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Les caractères de l'industrialisation genevoise

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Les caractères de l'industrialisation genevoise

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Les caractères de l'industrialisation genevoise. In: L'industrie,

l'artisanat et les arts appliqués . Genève : Association de l'Encyclopédie de Genève, 1989.

p. 5-16

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4431

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Les caractères de l'industrialisation genevoise

A propos du mot «industrie»

Les caractères de l'industrialisation genevoise

Transformateur monophasé de grande puissance aux essais de réception haute tension chez ABB Sécheron S.A.

Le mot «industrie» est devenu si courant que l'on ne songe même plus à en cerner l'origine ni non plus à tenter de le définir. Les préhistoriens n'hésitent pas à parler de l'indus- trie lithique de la même manière que les historiens parlent de l'industrie textile du XVIIIe ou les économistes contempo- rains de l'industrie électronique actuelle. L'usage du terme industrie dans les trois acceptions précédentes n'est pas abu- sif car elles ont un noyau commun : la transformation de matières premières, à l'aide d'énergie et d'informations, pour mettre à disposition des biens utiles tels que pointes de flèches, mètres de drap ou micro-processeurs. Bien sûr la comparaison entre le néolithique, le XVIIIe et le XXe s'arrête là car la nature de la division du travail et la dimension des unités de production ressortissent à des organisations fort différentes. De plus, la dimension, source de confusion, n'est pas un critère absolu et pas même aussi important, qu'on a voulu le faire croire et le dire : l'artisan, qui se définit, entre autres, par la division professionnelle du travail, accomplit toutes les opérations depuis la matière brute jusqu'au produit fini tandis que l'ouvrier d'industrie, lui, n'intervient que pour une ou plusieurs opérations dans le processus de produc- tion: il est soumis à la division technique du travail. Lorsque, dans son célèbre ouvrage «La Richesse des nations», Adam Smith a fait la description de la fabrique d'épingles, il a théo- risé, en quelque sorte, les débuts de l'industrie moderne. Si dix personnes dans un atelier font chacune le même produit du début à la fin il s'agit d'un atelier d'artisans; en revanche, si chacune d'elle est spécialisée dans une opération, c'est une industrie au sens actuel du terme.

Cela dit, le mot industrie est employé abusivement lors- qu'on entend ou lorsqu'on lit des expressions telles que «in- dustrie touristique» ou «industrie culturelle» car, à l'éviden- ce, il s'agit, dans ces deux cas, de production de services: il n'y a aucune transformation de matières premières. Les abus de terme ont pour origine le fait dimensionnel: une grande entreprise est volontiers qualifiée d'industrielle même si elle n'a rien à voir avec la transformation de matières premières.

Le phénomène de l'industrialisation

Traditionnellement, les historiens font débuter la première révolution industrielle au XVIIIe siècle mais l'on sait mainte- nant qu'elle fut précédée d'une protoindustriahsation, objet d'études de plus en plus nombreuses. La première révolution

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L'industrie, l'artisanat et les arts appliqués

est fondée sur le machinisme, surtout dans le textile, puis sur la machine à vapeur, le charbon et la sidérurgie. Dans les années 1880, l'électricité, la chimie et les applications qui en sont dérivées ont déclenché une deuxième révolution industrielle, elle-même relancée dans la seconde moitié du XXe siècle par l'électronique et l'informatique. Ce qu'on pourrait appeler la troisième révolution industrielle s'accom- plit et s'épanouit sous nos yeux.

Ces révolutions successives ont bouleversé, en liaison avec l'urbanisation, nos paysages, nos comportements, en un mot nos habitudes d'existence. S'il est vrai que l'industrie a contribué à l'avènement de «l'ère de la consommation de masse» et qu'elle est l'expression matérielle de la modernité technico-scientifique, elle est aussi porteuse de nouveaux rapports à la société et à la nature: rapports tout à la fois ambigus et paradoxaux. Ambigus dans l'exacte mesure où l'industrie a déstructuré les relations sociales traditionnelles pour leur substituer des relations plus médiatisées que par le passé, c'est-à-dire plus indirectes, plus lointaines, mais rap- ports paradoxaux aussi car l'apparente croissance du bien- être a été payée par une destruction de l'environnement:

pollution du sol, de l'eau et de l'air et épuisement progressif des ressources non renouvelables.

Ce sont les excès de la société industrielle qui ont déclen- ché dans les années soixante ces mouvements collectifs tels que l'écologisme et les «partis verts» un peu partout en Occi- dent. Parallèlement et d'une manière presque concomitante l'industrie traditionnelle est devenue objet de culture et des associations pour la sauvegarde du patrimoine industriel se sont créées, donnant naissance à l'archéologie industrielle et à une muséographie spécifique.

C'est assez dire que nos sociétés ont été, et sont encore, très marquées par l'industrie, qu'on la désapprouve ou qu'on l'approuve d'ailleurs, qui a procuré le meilleur et le pire. A l'industrialisme triomphant des années 1820 s'est substitué un post-industrialisme des années 1980 qui tente de définir une nouvelle modernité, ou plus exactement une post-modernité dont l'idéologie ne laisse pas d'être ambiguë.

Le «microcosme genevois» n'a pas, pour des raisons natu- relles, c'est-à-dire absence de ressources, connu la première révolution industrielle mais il en a subi les effets. En revanche, l'industrie genevoise doit beaucoup aux deuxième et troisième révolutions industrielles. En effet, ce qu'il est convenu d'appeler, à Genève, la «grande industrie» a débuté après 1860 et s'est orientée assez rapidement vers l'électro- mécanique et la chimie. De même, le passage vers l'électroni- que et l'informatique s'est effectué après i960, dans un

Source : Enquête menée par l'Office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail auprès de 300 entreprises genevoises environ.

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contexte, hélas, peu propice en raison de réflexes conserva- teurs de la part de certaines directions d'entreprises. Les conditions techniques de la «mutation» étaient réalisées mais les volontés humaines étaient trop peu fermes pour déclen- cher le processus de transformation. Ce sont donc de petites entreprises nouvelles qui se sont lancées dans l'électronique et l'informatique, laissant derrière elles les entreprises tradi- tionnelles dont la plupart sont entrées en crise.

Des industries traditionnelles à l'industrie moderne

Il n'est pas exagéré d'affirmer que l'industrialisation gene- voise, du XVIe siècle à nos jours, est bien davantage due à une suite «d'accidents historiques» qu'à l'exploitation de

«dons géographiques». Voyons les choses d'un peu plus près.

On peut balayer d'un revers de main l'habituel inventaire, cher aux géographes, des ressources naturelles: celles-ci sont absentes ou inexploitables, l'eau mise à part. Alors, peut-être faut-il évoquer la position géographique et la situation dans le contexte régional. Parlons-en! S'il est vrai que Genève accuse une situation de carrefour au contact de régions natu- relles différentes, il est non moins vrai que le carrefour sans aménagement préalable est d'une grande médiocrité: étroi- tesse du passage en direction du reste de la Suisse, passage difficile du côté du S.O. par le Fort-de-1'Ecluse. Par ailleurs, la vallée de l'Arve, avant le percement du tunnel du Mont- Blanc, n'est pas un dégagement mais une impasse pour Genève. Ainsi donc, avant la mise en place des infrastruc- tures de transport contemporaines, Genève peut, certes, entretenir des relations avec les régions voisines mais elle n'en demeure pas moins très enclavée.

Serait-ce du côté des facteurs démographiques qu'il faut chercher la clé du développement? Un peu, sans doute, à partir du milieu du XIXe siècle mais pas pour les siècles anté- rieurs. Jusqu'en 1815, Genève est une «grosse tête» urbaine, relativement à ses territoires ruraux, dont elle est d'ailleurs séparée par la Savoie qui appartient au Royaume de Sardaigne, toujours prompt à susciter des concurrences à Genève comme dans le cas de «l'invention de Carouge» à la fin du XVIIIe (Corboz). Au début du XVIIe, Genève, der- rière ses remparts, abrite moins de 15.000 habitants qui deviendront 25.000 deux siècles plus tard. Ce sont des chif- fres modestes, malgré le contexte historique, et le réservoir démographique de la campagne n'est pas non plus très

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à Georges Leschot, au XIXe siècle, le perfectionnement de l'échappement à ancre et la mise au point de machines qui ouvrirent la voie à l'interchangeabilité des pièces. De même Adrien Philippe inventera le remontoir et Lutz le spiral en acier trempé.

C'est à l'indiennene, industrie aujourd'hui disparue, que nous demanderons l'ultime illustration de notre hypothèse.

L'engouement de l'Europe, au XVIIe, pour les toiles de coton peintes, importées par la Compagnie des Indes orien- tales, incita de nombreux entrepreneurs européens à fabri- quer ce nouveau produit. Exigeante en main d'oeuvre et en capitaux, l'indiennerie ne pouvait être que de grande dimen- sion. Introduite à Genève à la fin du XVIIe siècle vraisembla- blement par les Dauphinois, elle est typiquement une indus- trie du second Refuge. Elle fut très florissante pendant le XVIIIe, du moins jusqu'à la décision de la France, en 178$, de prohiber l'entrée des toiles peintes. La Révolution, puis le blocus continental, auront finalement raison de cette indus- trie qui agonisera jusqu'au lendemain de la Restauration avant de s'effondrer complètement.

Il est donc loisible d'affirmer, — les industries entraînées par les besoins courants mises à part, — que les grandes activités motrices du XVIe au XIXe siècle ont toutes été

«greffées» sur le paysage économique genevois par des immigrants. La vocation première des Genevois étant, à l'évi- dence, plus commerciale qu'industrielle, l'innovation ne peut guère émerger sur place.

Montage d'une tête de lecture pour téléphone public à carte.

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Les caractères de l'industrialisation genevoise

La période récente

Pour la période récente, disons les vingt dernières années, ces modèles ne sont plus très significatifs pour diverses rai- sons que nous allons évoquer rapidement. Tout d'abord, beaucoup des dites «grandes entreprises» ont disparu ou ont été rachetées par des multinationales et n'ont plus, par consé- quent, que le statut d'établissement industriel, ensuite ce qu'on pourrait appeler «l'espérance de vie» des entreprises a beaucoup diminué. Si l'on nous passe cette métaphore démographique, on peut dire qu'il y a une forte natalité mais aussi une forte mortalité. Les nouvelles entreprises sont le résultat d'associations entre des Suisses et des étrangers et les connaissances technologiques qu'elles utilisent se modifient à grande vitesse: tel qui possède un «monopole» aujourd'hui grâce à la technologie novatrice en sera dépossédé dans cinq ans s'il n'a pas consenti des sacrifices pour la recherche et le développement de manière à se trouver toujours à la pointe dans son domaine. Enfin, il faut noter que le nombre des actifs dans l'industrie a régulièrement baissé depuis 1955 au profit des activités tertiaires.

Par ailleurs, on observe que les industries nouvelles, qui conjuguent électronique et informatique ou biologie et informatique par exemple, se situent toujours plus à la char- nière de l'industrie et de la recherche. Les vieux mécaniciens, porteurs d'un irremplaçable savoir-faire qui leur permettait de faire les ultimes réglages sur une machine, n'ont plus guère leur place avec l'avènement de la commande numéri- que, qui exige de leurs cadets une formation de plus en plus poussée en informatique. La mutation industrielle n'est pas achevée mais elle est engagée d'une manière irréversible.

Seuls les sous-traitants, et encore en petit nombre, emploient des mécaniciens traditionnels. En d'autres termes, Genève s'achemine vers la formule du laboratoire industriel concep- teur de prototypes et de produits nouveaux de haute tech- nologie dont la fabrication sera, en grande partie, assurée ailleurs, au gré des prix de la sous-traitance.

L'industrie et la banque?

Cette question se pose depuis longtemps mais il est très difficile d'avoir une idée claire du rôle des banques dans le financement de l'industrie. Si l'on sait assez bien la part prise par la banque genevoise dans les grandes affaires euro- péennes aux XVIIe et XVIIIe, on ne sait guère son rôle dans le financement industriel local. Quel crédit faut-il accorder

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L'industrie, l'artisanat et les arts appliqués

aux reproches adressés à la banque à propos de son peu d'empressement à financer les entreprises genevoises? C'est évidemment une question controversée, d'autant plus que l'information sur le sujet est rare, fragmentaire et, disons-le, souvent médiocre. Si les banques privées avaient la bonne idée d'ouvrir leurs archives jusqu'au début du XXe siècle, on pourrait déjà avoir une meilleure vision des relations entre banque et industrie.

S'il n'est pas possible d'affirmer que la banque n'a pas sou- tenu l'industrie locale, force est d'admettre pourtant que les rares informations qu'on possède sur les relations entre la finance et l'industrie intéressent le plus souvent l'industrie électrique en Suisse, en France, en Italie ou aux Etats-Unis, De Genève, il est rarement question sauf à propos de Sèche- ron et de la S.A. Conrad-Zschokke, qui à l'occasion de diffi- cultes graves firent jouer des relations d'amitié et de famille avec certains banquiers. Peut-être ne s'agit-il pas de cas iso- lés, mais alors pourquoi sont-ce les seuls à être signalés?

Quoi qu'il en soit, le financement de l'industrie locale jusqu'en 1950 a été certainement peu important. Les choses ont changé avec les grandes banques mais il faut se souvenir qu'au delà d'une certaine somme, les banques dont le siège social n'est pas à Genève doivent en référer à leur direction générale à Bâle, Berne ou Zurich. Le problème est sans doute plus aigu actuellement pour les sous-traitants industriels, à façon ou de capacité, dont la surface financière est faible, que pour les entreprises en plein développement qui prati- quent dans une large mesure l'auto-financement.

Malgré le manque de documentation, on peut néanmoins prétendre que l'industrie locale a toujours eu beaucoup de peine à s'intégrer au système économique genevois du point de vue financier. Cela expliquerait-il certains retards, certains passages difficiles, en un mot certaines crises? Souhaitons que les historiens soient en mesure, un jour ou l'autre, de débroussailler cette question.

L'industrie genevoise dans le contexte régional

L'époque des grandes entreprises industrielles implantées à Genève est révolue. En effet, de plus en plus on aura affaire, à Genève, à la localisation des services de conception et de direction alors que la production sera distribuée un peu partout en Suisse ou à l'étranger, là où les coûts seront les plus bas et les plus avantageux. Parallèlement, on assiste du côté français à la mise en place de techno-parcs dont celui

Contrôle d'ébat des mobiles d'un mouvement mécanique automatique chez Rolex.

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L'industrie, l'artisanat et les arts appliqués

d'Archamps et celui de Saint-Genis-Pouilly qui accueilleront des entreprises internationales mais aussi régionales ou locales. On peut, en effet, raisonnablement penser que des frontaliers, après quelques années de travail à Genève et après avoir accumulé connaissances et capitaux, créeront des entreprises industrielles qui travailleront autant pour le marché français que pour le marché suisse.

Tant que le coût de la main-d'œuvre sera moins élevé en France qu'en Suisse, il est probable que la production pro- prement dite sera mieux insérée du côté français que du côté suisse. Il est vraisemblable aussi que l'Acte unique européen incitera les Suisses à investir davantage en France, surtout dans le contexte régional. Il devrait en résulter une diminu- tion du nombre des frontaliers à plus ou moins long terme.

C'est pourquoi nous sommes vraisemblablement à la veille d'un remaniement du tissu économique en général et du tissu industriel en particulier dans le bassin genevois.

C. R.

Halle de montage des machines à pointe à commande numérique de la Société genevoise d'instruments de physique.

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