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Les mutations de l'industrie genevoise

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Les mutations de l'industrie genevoise

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Les mutations de l'industrie genevoise. Revue de géographie de Lyon , 1973, vol. 46, no. 4, p. 317-325

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4288

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LES MUTATIONS DE L'INDUSTRIE GENEVOISE

par Claude RAFFESTIN

INTRODUCTION

Tout système industriel urbain est susceptible de subir des modifi- cations que je propose d'appeler mutations lorsqu'elles semblent irréver- sibles par rapport à l'évolution générale. Les facteurs responsables de ces mutations peuvent être endogènes ou exogènes. Lorsqu'une entre- prise se modifie de l'intérieur en gardant le contrôle de ses plans de développement, donc de ses décisions, on peut penser que les facteurs endogènes sont prépondérants. Mais lorsqu'une entreprise perd, au profit d'une autre plus puissante ou mieux adaptée à la conjoncture, le contrôle de ses plans de développement et par conséquent aussi de ses décisions, les facteurs exogènes l'emportent. Il est assez évident, pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'y arrêter davantage, que dans le premier cas il y a conservation de l'indépendance et, dans le second cas, perte de l'indépendance. A ce sujet, on peut d'ailleurs se demander si les changements qui s'accompagnent d'une perte de l'indépendance et qui ont lieu dans le cadre d'un ou plusieurs secteurs industriels sont encore à observer du seul point de vue économique ou s'il ne faut pas faire intervenir le point de vue social et politique.

Je voudrais présenter, dans ces quelques pages, une analyse qui montre la dépendance croissante de l'espace industriel genevois qui perd pro- gressivement le contrôle de ses plans et de ses initiatives au profit d'autres régions suisses ou étrangères. Cette dépendance est la consé- quence de mutations qui n'ont certes pas toutes la même signification mais qui révèlent une transformation sensible de l'habitabilité indus- trielle et une rupture dans l'évolution économique.

Je me concentrerai sur quatre types de mutations fondamentales qui affectent l'espace proprement dit, la main-d'œuvre, la production et le capital. La géographie industrielle classique est peut-être mal armée pour saisir ces modifications qui se traduisent discrètement ou même pas du tout dans le paysage. Il faudrait, pour les saisir dans toute leur ampleur, faire une sorte de « radiographie » de l'industrie. Procédure qui s'avère extrêmement difficile dans le cas de la Suisse où le libéralisme économique s'accompagne d'un malthusianisme au niveau de l'informa-

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tion. Pourtant, en suivant attentivement la presse spécialisée complétée par des enquêtes, on peut faire toute une série de recoupements et émettre des hypothèses non dénuées de valeur.

Il me semble nécessaire, avant d'aborder ces mutations, de rappeler à grands traits l'évolution industrielle de Genève et les conditions spéci- fiques de ce « Finistère » helvétique.

EVOLUTION ET CONDITIONS DE L'INDUSTRIE GENEVOISE

Abstraction faite de l'imprimerie et de l'industrie du papier, stimulées par la Réforme à laquelle Genève adhère officiellement en 1536, l'indus- trie genevoise débute véritablement avec l'horlogerie, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Appliquer l'étiquette industrielle à l'horlogerie de cette époque serait abusif si l'on ne songeait à ce qu'elle est devenue par la suite. En effet, cet artisanat issu de la diaspora protestante ne fera figure d'industrie nationale qu'à partir du XVIIe siècle et, plus encore, du XVIIIe siècle, moment où la Fabrique contrôlera et gérera des marchés qui s'étendront à toute l'Europe et même au-delà. Les expériences textiles des Genevois au cours de ces deux siècles se heurteront à la concurrence lyonnaise, telle la soie, ou seront victimes de la conjoncture, telle l'in-diennerie.

Ce n'est guère qu'après 1860 que Genève réussira à s'insérer dans le grand mouvement de la seconde révolution industrielle qui permettra l'émergence des premières grandes entreprises de la mécanique, de la métallurgie et de la chimie. Eléments majeurs et bien visibles du paysage industriel à côté des fabriques d'horlogerie et d'une poussière de petites entreprises qui se consacrent aux biens de consommation.

Genève n'ayant pas vraiment de vocation industrielle inscrite dans la géographie, les processus d'industrialisation seront déclenchés entre 1860 et la première guerre mondiale, moins par la présence de facteurs de production abondants — main-d'œuvre et hydro-électricité mises à part — que par le dynamisme d'entrepreneurs-inventeurs. L'absence de matières premières, l'insuffisance des moyens de transport et la médio- crité des relations régionales empêcheront l'industrie genevoise d'acquérir de grandes dimensions. Le milieu industriel genevois a toujours été caractérisé par une certaine insularité, conséquence de l'enclavement territorial, par une inaptitude à investir massivement dans la région et par une habitabilité industrielle très sélective en raison de la rareté des espaces industriels disponibles.

La période de 1920 à 1950 révélera, souvent cruellement, la fragilité des structures industrielles locales et la pauvreté des conditions ambiantes.

Depuis 1950, la prospérité générale a masqué tout à la fois cette fragilité et cette pauvreté mais, depuis une dizaine d'années, l'industrie genevoise est confrontée avec des problèmes qui exigent une adaptation dont elle est de moins en moins capable d'assurer seule la réalisation. Si la pros-

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périté a, sans nul doute, été une chance économique et sociale, elle n'en a pas moins contribué à anesthésier un patronat qui a sacrifié le long terme au court terme. Cette impossibilité de penser dans la longue durée indique un appauvrissement de l'imagination industrielle qui, du point de vue psychologique, explique la dépendance accrue à l'endroit des grands groupes suisses-alémaniques et étrangers.

Cette dernière remarque n'est pas un jugement de valeur mais un fait facilement observable, d'ailleurs regrettable car il signifie que Genève abandonne son destin industriel à d'autres. C'est ainsi que les horizons de travail se rétrécissent dans une ville et que certaines capacités doivent émigrer. La perte d'indépendance pose donc une série de problèmes d'écologie sociale qui, au-delà des firmes, intéressent les individus.

LES MUTATIONS DE L'INDUSTRIE GENEVOISE

Comme je l'ai écrit plus haut, les mutations s'exercent dans quatre directions principales : géographique, humaine, technique et financière.

Les mutations géographiques sont polymorphes. Le paysage industriel peut être modifié par la disparition pure et simple d'une entreprise asphyxiée par le milieu ambiant, par le déplacement d'une partie de la chaîne de production ou par le déplacement total de l'entreprise. Ces trois cas posent, bien qu'à des degrés divers, le problème de l'habitabilité industrielle de Genève. De plus en plus, l'espace industriel genevois est favorable aux unités de production qui se contentent d'un espace restreint et dont la technicité exige une main-d'œuvre hautement qualifiée à laquelle on peut offrir des salaires élevés. Les entreprises qui peuvent le mieux valoriser les conditions genevoises sont celles qui se situent à la charnière de la production et de la recherche.

C'est pour ces raisons qu'il y a environ deux ans, une entreprise spécia- lisée dans la fabrication d'appareils ménagers a dû fermer ses portes après son absorption. D'une part, elle employait une main-d'œuvre peu qualifiée et, d'autre part, ses dimensions réduites ne lui permettaient plus de jouer un rôle sur un marché où la concurrence des grands groupes est terrible.

Le déplacement partiel d'un secteur de la production est un cas plus fréquent qui se réalise par la création d'une succursale dans un autre canton suisse ou dans l'un des départements français limitrophes, l'Ain ou la Haute-Savoie ou encore, exceptionnellement, dans la région lyon- naise. C'est ainsi que Sécheron, une des grandes entreprises de l'élec- tromécanique, avant d'être absorbée par Brown-Boveri, a transporté sa fabrication d'électrodes à Gland, dans le canton de Vaud. Même réflexe de Gardy, spécialisée dans l'appareillage électrique, qui a créé à Préve- renge, également dans le canton de Vaud, une unité de production pour ses tableaux porte-compteurs. Sodeco, grande entreprise de la branche compteurs électriques et de la téléphonie a ouvert un atelier à Hérémence,

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en Valais, en 1963. Ces déplacements vers d'autres cantons s'expliquent essentiellement par le manque de terrains industriels à Genève et, dans une certaine mesure, par le désir de récupérer une main-d'œuvre locale qui, comme en Valais par exemple, accepte des salaires légèrement inférieurs à ceux pratiqués à Genève. Les créations de filiales ou de succursales dans la région française limitrophe, ou dans la région lyon- naise, n'ont pas exactement la même signification. Les créations dans l'Ain et la Haute-Savoie surtout, ont généralement pour cause principale la recherche de main-d'œuvre et l'exploitation d'une position dans le Marché Commun. Accessoirement, on peut relever l'attraction des ter- rains industriels bon marché. Cette dernière raison pourrait devenir prépondérante avec le temps. Actuellement, ce sont essentiellement des entreprises de la mécanique, de l'horlogerie et du vêtement qui réalisent ces implantations. Néanmoins, d'autres branches envisagent sérieusement une transplantation à plus ou moins brève échéance.

On constate donc que les investissements régionaux genevois ne prennent naissance qu'en raison d'une dégradation de l'habitabilité industrielle de Genève.

Dans la région lyonnaise, les implantations d'entreprises genevoises, d'ailleurs rares, signifient que les entreprises recherchent un type de main- d'œuvre très spécialisée, celle du textile par exemple, ou désirent profiter de certaines économies externes.

Ces mutations géographiques devraient, à moyen terme, modifier sensi- blement le paysage industriel ou, du moins, le stabiliser. Le terme ultime pourrait s'inscrire dans une collaboration régionale qui établirait un partage entre Genève qui conserverait les sièges sociaux et les services de recherche et la région qui accueillerait les unités de production pro- prement dits. Partage qui n'a rien d'arbitraire compte tenu des infrastruc- tures dont dispose Genève et de la nécessaire industrialisation des dépar- tements limitrophes.

Les mutations humaines dans l'industrie sont également de divers ordres et demandent à être interprétés avec prudence. En effet, si la main- d'œuvre des entreprises se modifie, quant à l'origine ethnique, ces dernières années à Genève, c'est en raison de la conjonction de plusieurs facteurs. D'abord, on doit relever la faible attraction de l'industrie sur les Genevois qui, pour des raisons salariales et d'ambiance de travail, préfèrent les entreprises du tertiaire. Ensuite, Genève, qui est une zone de turbulence migratoire, accueille un grand nombre de méditerranéens prêts à accepter les conditions de travail qui sévissent dans l'industrie.

Enfin, le décalage entre le développement de Genève, d'une part, et celui des départements limitrophes de l'Ain et de la Haute-Savoie se transcrit par des salaires différentiels qui déclenchent les mouvements pendulaires des frontaliers qui ont commencé à prendre de l'ampleur à partir de 1960 mais qui s'accélèrent depuis 1965.

Il ne fait donc aucun doute que l'industrie genevoise dépend de plus en plus d'une main-d'œuvre extérieure dont l'afflux est en partie com- mandé par des phénomènes sur lesquels elle n'a aucune prise.

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Cette situation de dépendance, qui augmente la fragilité de l'industrie, ne présente pas partout le même degré. Ainsi, l'horlogerie, la chimie, les arts graphiques et la bijouterie puisent moins de 40 % de leurs effectifs dans la main-d'œuvre étrangère mais la mécanique se situe entre 45 et 50 %. Quant à l'industrie alimentaire, à l'industrie du tabac et à celle du papier, elles occupent plus de 50 % d'étrangers. La plus grande dépendance est réalisée dans la métallurgie et l'industrie du vêtement et de la chaussure dont les effectifs étrangers dépassent 60 %. Dans l'ensemble, les frontaliers représentent en moyenne 10 % du total étranger mais avec des écarts à la moyenne sensible au niveau sectoriel.

Comme beaucoup de ces travailleurs étrangers n'ont pas les qualifications requises, les entreprises se sont trouvées dans l'obligation de mettre en place des cours de formation qui alourdissent naturellement leur organi- sation et leurs coûts.

Si ces mutations humaines constituent un problème supplémentaire pour les industriels genevois, elles ne présentent pas qu'une face écono- mique. Elles offrent, en outre, un aspect politique qui peut être résolu par un effort d'assimilation de cette main-d'œuvre et un accès facilité à la naturalisation de la part des Suisses. Ces deux moyens pourraient former la base officielle d'un ensemble de mesures destinées à consolider le facteur travail plus fluctuant à Genève qu'ailleurs. Cette interdépen- dance d'une pratique économique avec la politique n'a peut-être pas été suffisamment considérée. On peut le regretter dans la mesure où cela laisse soupçonner que les relations avec la main-d'œuvre étrangère se déroulent sur le strict plan de l'utilisation et de l'exploitation sans que les prolongements sociaux aient été envisagés.

Les mutations techniques s'expriment essentiellement à travers les reconversions. Celles-ci peuvent être dynamiques s'il s'agit de l'abandon de fabrications traditionnelles dont les marchés se contractent au profit de fabrications nouvelles destinées à des marchés en expansion. Encore faut-il nuancer ce caractère dynamique car le produit nouveau n'est pas toujours une création originale de l'entreprise mais peut n'être qu'une fabrication sous licence, accordée par une autre firme. Les reconversions ne sont pas dynamiques si l'entreprise abandonne toute production fondée sur des recherches ou bascule dans le monde de sous-traitance.

Il est évident que le recours à une licence ou le passage à la sous-trai- tance s'accompagne d'une perte de l'indépendance qui n'aurait rien de significatif si elle ne révélait, à ce niveau là, un affaiblissement de l'ini- tiative industrielle et un appauvrissement de l'esprit d'innovation. A cet égard, Genève devient, année par année, un espace technique dépendant.

En effet, on peut observer, dans plusieurs cas, un « décollement » entre la création industrielle située hors de Genève et la production industrielle qui y demeure. Il s'agit d'une mutation d'autant plus étonnante qu'elle rompt avec une tradition qui s'appuyait sur un environnement scienti- fique, technique et économique qui n'a pas disparu mais qui, apparem- ment, n'est plus valorisé. Pour expliquer cette situation, on peut faire l'hypothèse que les conditions potentielles favorables n'ont pas d'effet stimulant sur l'industrie si celle-ci ne dispose pas de moyens suffisants

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pour les mobiliser. Jusqu'en 1955 ou 1960 peut-être, à la limite, quelques entreprises genevoises possédaient encore des dimensions permettant une valorisation des données locales mais il aurait fallu, pour demeurer dans cette position, déclencher une dilatation des dimensions par le biais de la concentration qui aurait certainement contraint à « décoller » géographiquement les unités de production, qui auraient pu s'installer dans des zones sous-industrialisées, des unités de recherche qui seraient demeurées à Genève. Mais, comme dans la majorité des cas, la concen- tration a été amorcée par des firmes non genevoises, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Cette rationalité technico-économique des grands groupes engendre un gaspillage qui provient de leur méconnais- sance du milieu genevois. Ainsi, les mutations techniques sont donc en étroite relation avec les mutations financières qui sont, évidemment, les plus fondamentales.

Les mutations financières s'expriment à travers le rachat total ou partiel d'entreprises genevoises par des firmes suisses-alémaniques ou étran- gères. Elles constituent une des formes de concentration difficile à étudier de manière précise car les négociations qui y conduisent et les transactions qui en résultent s'entourent de secret. A ce sujet, l'infor- mation se limite à des constats qui sont parfaitement insuffisants pour saisir les véritables transformations qui résultent de ces rachats. Pour- tant, on peut légitimement supposer que tout le système de relations des entreprises rachetées se modifie. Il se modifie puisque, très vraisem- bl.ablement, de nouveaux marchés surgissent si la firme acheteuse appartient au même secteur industriel ou à un secteur voisin complémen- taire. Il peut également se modifier au niveau des fournisseurs où se réalisent des substitutions. Ainsi, à moyen terme, les réseaux de distri- bution et les réseaux d'approvisionnement sont déformés. Si ces défor- mations sont impossibles à connaître précisément, actuellement du moins, leurs conséquences socio-économiques sont indiscutablement nombreuses dans une ville comme Genève où les entreprises sont petites. On voit que le rachat d'une entreprise par une autre devrait pouvoir être étudié dans ses effets sur l'organisation des autres firmes.

Depuis une dizaine d'année, les rachats se sont multipliés à Genève mais tous les secteurs industriels n'y sont pas exposés de la même manière. Les secteurs les plus touchés sont l'horlogerie, la mécanique et la métallurgie, la chimie et l'industrie alimentaire. D'autre part, les firmes suisses-alémaniques et les firmes étrangères, surtout américaines, ne s'intéressent pas aux mêmes secteurs. L'industrie horlogère, encore très dispersée, est naturellement vulnérable, en particulier aux capitaux américains. La mécanique et la métallurgie de même que la chimie atti- rent surtout l'attention des grands groupes suisses-alémaniques. L'in- dustrie alimentaire, enfin, est visée tout à la fois par les groupes suisses- alémaniques et américains. Néanmoins, il s'établit une sorte de clivage entre les capitaux suisses-alémaniques qui cherchent à s'implanter dans les secteurs de biens de production et les capitaux américains qui s'orien- tent vers les secteurs de biens de consommation.

Dans l'industrie horlogère, la manufacture Universal est passée, en

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1966, sous contrôle du groupe américain Bulova qui a pris une certaine avance dans le domaine de la montre électronique. L'exemple d'Universal illustre bien ce phénomène. Il s'agissait, en effet, d'une entreprise moyenne, même relativement grande pour le milieu horloger genevois mais manifestement trop petite pour conserver à long terme ses positions commerciales et développer des programmes plus ambitieux.

La mécanique et la métallurgie ont été exposées, ces dernières années, au capital suisse-alémanique qui a réussi à contrôler partiellement ou complètement les plus grandes entreprises genevoises. C'est à la fin de 1967, par exemple, que l'on a appris, brusquement, que le groupe Hoffmann-La Roche avait réussi à racheter le 25 % du capital-actions de la Société genevoise d'instruments de physique. Dans la mesure où les actions sont très dispersées, la possession du quart d'entre elles suffit pour exercer un contrôle effectif.

Cette intervention a étonné les milieux genevois ; d'abord parce que le rachat des actions s'est fait dans le plus grand secret avec l'aide des banques et, ensuite, parce qu'il s'est agi d'une poussée de la grande chimie vers la mécanique. Ce dernier fait est particulièrement intéressant car il est le signe d'un éventuel renouvellement de la mécanique de pré- cision par la chimie qui cherche à développer des programmes de fabri- cation d'instruments scientifiques. Ainsi, la chimie semble avoir, vis-à-vis de la mécanique, le même comportement que l'industrie textile au siècle dernier. En 1969, ce fut au tour de Sécheron, qui traversait des difficultés depuis plusieurs années, d'être racheté par le groupe Brown-Boveri de Baden. Enfin, en 1970, Hispano-Suiza, qui réussissait mal à se recon- vertir, s'est vendu respectivement à Sulzer qui a pris le département machines-textile et à Bührle qui s'est intéressé au secteur armement.

Ainsi, à l'exception des Ateliers des Charmilles, plus aucune grande entreprise genevoise n'est indépendante.

Dans le secteur de la chimie, c'est à nouveau le groupe Hoffmann- La Roche qui est intervenu en rachetant, en 1958, les laboratoires Sauter et, quelques années plus tard, l'entreprise Givaudan dont la production de base pour la parfumerie et la cosmétique renforçait celle du groupe bâlois. Dans cette branche, Firmenich demeure la seule grande entreprise indépendante mais pour combien de temps encore ?

Si la branche alimentaire est formée d'une multitude de petites unités, elle comprend deux entreprises importantes, la biscuiterie Doria et les condiments Chirat qui sont, aujourd'hui, également dépendants. En effet, la première a été rachetée en 1963 par un groupe américain qui contrôle également Gringoire en France et la seconde s'est intégrée au groupe Knorr qui possède peut-être déjà une participation majoritaire dans l'entreprise

Si l'on généralise ces données, on peut dégager quelques principes utiles à la compréhension du phénomène de concentration. Tout d'abord, on constate que Genève est à l'intersection de deux champs de forces, l'un suisse-alémanique et l'autre américain. S'il est difficile d'apprécier le second dont les moteurs sont extérieurs à la Suisse, il est plus com-

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mode d'analyser le premier. En effet, la puissance économique de Zurich et de Bâle (Ville et Campagne) résulte d'un certain nombre de données de base qui ont permis la mise en place d'un champ de forces qui déborde les frontières et qui, tout naturellement, englobe Genève.

Zurich et Bâle sont donc des complexes industriels fondés respecti- vement sur la mécanique et la chimie et dont les dimensions sont sans commune mesure avec celles de Genève.

A l'inverse, Genève n'est pas un complexe mais tout au plus un assemblage de secteurs industriels dont aucun n'est vraiment polarisant.

Enfin, à des conditions géographiques supérieures ou mieux mises en valeur, Zurich ajoute une infrastructure bancaire remarquable. En effet, si l'on considère les cinq plus grandes banques suisses, à savoir la Banque Leu S.A., l'Union de Banques Suisses, le Crédit Suisse, la Société de Banque Suisse et la Banque Populaire Suisse, les trois premières ont leur siège social à Zurich et les deux dernières ont le leur, respectivement, à Bâle et à Berne.

A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler l'un des motifs invoqués au moment du rachat d'Hispano-Suiza : « Pour se développer, Hispano- Suiza aurait besoin de capitaux qu'il est difficile de trouver à Genève où aucune grande banque n'a son siège » l. Ainsi, les grosses firmes zurichoises et bâloises qui sont à proximité des centres de décision financiers disposent d'un atout supplémentaire pour mener à bien leur stratégie en matière de concentration. Ainsi s'amorce une réorganisation de l'espace industriel suisse depuis Zürich et Bâle qui s'appuient sur les piliers majeurs de l'économie helvétique : la mécanique, la chimie et la banque. Si le fédéralisme continue à avoir une signification poli- tique, il n'en a plus du point de vue économique puisque ce sont les deux régions les plus riches qui imposent leur rationalité et leurs objectifs. D'ailleurs, Hermann et Keyserling ne s'y trompait pas lorsqu'il écrivait, il y a plus de quarante ans, l'Analyse spectrale de l'Europe :

1. L'absorption d'Hispano-Suiza par deux groupes suisses-alémaniques est consommée, in « L'Ordre Professionnel » du 1er octobre 1970.

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« Comment Zurich qui s'accroît et qui s'internationalise sans cesse ne ferait-il pas bientôt éclater, quant à lui, la condition suisse tradition- nelle ? ». Le déséquilibre régional est subtil, en ce sens que la réorga- nisation qui s'ébauche tend à laisser subsister les centres de production traditionnels mais à concentrer à Zurich et à Bâle les centres de déci- sion et de création.

CONCLUSION

Cette mutation, dont Genève n'est qu'un exemple particulier, affecte en réalité l'ensemble de la Suisse. Cette situation révèle l'absence de mécanismes de régulation qui permettraient de sauvegarder un équi- libre régional souhaitable. Il est urgent que le phénomène de la concen- tration économique soit étudié dans ses implications socio-géographiques qui peuvent être négatives.

En effet, si une réorganisation industrielle, conduite par quelques grands groupes, se traduit, sans raison, par un appauvrissement de la création industrielle au niveau régional, on peut estimer que la concen- tration est irrationnelle et qu'il convient de corriger l'action des firmes pour sauvegarder les horizons de travail créateur.

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