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Les théories de la justice. Application aux problèmes de l'eau. Conférence d'introduction

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Conference Presentation

Reference

Les théories de la justice. Application aux problèmes de l'eau.

Conférence d'introduction

OSSIPOW, William

Abstract

Il est nécessaire de souligner la très grande complexité du thème de la justice, quels que soient les domaines auxquels ce thème est appliqué. Je me focaliserai bien sûr plus particulièrement sur la thématique de l'eau en m'inspirant des grandes théories de la justice, celles de Aristote, de Michael Walzer, de John Rawls, de Robert Nozick.

OSSIPOW, William. Les théories de la justice. Application aux problèmes de l'eau. Conférence d'introduction. In: Coordinations hydrauliques et justice sociale , (Montpellier (France)), 25-26 novembre, 2004

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:108550

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A. Richard, P. Caron, J.Y. Jamin, T. Ruf (éditeurs scientifiques), 2006. Coordinations hydrauliques et justices sociales. Actes du séminaire, novembre 2004, Montpellier, France. Cirad, Montpellier, France, Colloques

Conférence d'Introduction

Les théories de la justice. Application aux problèmes de l'eau

par le Pr. William O

SSIPOW

Département de science politique de l’Université de Genève

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Chers amis,

Merci de m'avoir invité. Merci, je dirais, d'avoir pris le risque de m'inviter. Nous ne sommes pas des vieux habitués les uns des autres et il y a toujours un risque pour tout le monde à se lancer un peu dans l'inconnu.

Je suis professeur de science politique, plus particulièrement de théorie et philosophie politique, à l'Université de Genève. Je ne suis pas tombé dans une bassine d'eau à ma naissance, je veux dire que je ne suis pas un spécialiste de l'eau depuis toujours. Je m'y suis intéressé de plus en plus ces dernières années, en particulier dans le cadre de l'intérêt très profond que j'ai pour tout ce qui se passe au Moyen- Orient et pour le conflit israélo-palestinien. En mai 2000, j'avais organisé, avec un ami des territoires palestiniens, un colloque sur l'eau, précisément, à l'Université de Naplouse où une petite équipe interdisciplinaire de l'Université de Genève s'était rendue sur place et où nous avons rencontré des collègues palestiniens. Nous y avons tenu un séminaire qui s'est avéré extrêmement intéressant et fructueux et qui a eu des suites puisque, notamment, un étudiant palestinien est venu à Genève pour poursuivre des études en hydrologie au niveau du doctorat. Actuellement, avec une ONG basée à Genève, nous sommes en train de préparer un colloque sur le thème, précisément, de "Water for peace", concernant toujours cette région du Moyen-Orient.

Donc, voilà un peu à quel titre je peux m'adresser à vous aujourd'hui et, au fond, mon objectif, dans le temps assez bref qui m'est imparti, est nécessairement limité. Cela ne serait déjà pas mal si je réussissais à souligner la très grande complexité du thème de la justice, quels que soient du reste les domaines auxquels ce thème est appliqué. Bien entendu je vais essayer de me focaliser plus particulièrement sur la thématique de l'eau, en m'inspirant, des grandes théories sur la justice.

Je commencerai par dire que le problème de la justice est un problème qui accompagne la marche de l'humanité depuis l'aube de son apparition. Je crois que, historiquement et cela de manière très grossière, on peut dire qu'il y a deux grands paradigmes de la justice qui ont partagé l'histoire. D'abord ce que j'appellerai un paradigme vertical qui est la vision d'un monde hiérarchique avec, bien entendu, les dieux ou la divinité unique, en haut, au sommet, et puis toute une hiérarchie d'êtres, une hiérarchie, dans le sens de la valeur et de la noblesse des êtres, y compris dans le monde social. Dans ce contexte d'une perception et d'une structuration verticale des relations, la justice signifie que chacun soit à sa place au sein du tout. Il y a une vision cosmique, une vision qui embrasse le cosmos, qui embrasse la société, qui embrasse tous les détails de la vie jusqu'à la distribution des rôles de la femme et de l'homme dans la famille et dans le couple.

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Dans un tel contexte, il est juste d'occuper la place que la destinée, ou les dieux, nous ont assignée. Je pense que la pensée de Platon était très largement dans cet horizon-là. Par

Ce problème n'a pas perdu de son importance dans les sociétés modernes, bien au contraire. On consultera à cet égard l'excellent chapitre VI consacré au féminisme dans Kymlicka (1999).

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ailleurs, les travaux de Louis Dumont, montrent bien que la structure de la société indienne en castes, répond tout à fait à ce paradigme qu'il résume par le concept de Homo hierarchicus. C'est un paradigme fondamentalement pré-moderne. Progressivement, bien que l'effort dans ce sens ait commencé il y a certainement deux à trois mille ans, très progressivement et non sans difficulté, va s'imposer un autre paradigme qui est celui de l'horizontalité et, je dirais le paradigme de l'égalité. Sans aucun doute la modernité fonctionne sous le signe du paradigme horizontal. Alors que le paradigme vertical représente une espèce de relation de père à enfant ou de despote à sujet, le paradigme horizontal représente plutôt la relation de la solidarité, de la fraternité. Les religions, les trois religions monothéistes en tout cas, ont joué un rôle très important dans le développement de ce paradigme horizontal foncièrement égalitaire (nonobstant le fait que les religions ont toujours conservé un résidu de la conception verticale pour rendre compte des relations des hommes avec Dieu). Dans la foulée des religions, les conceptions anthropologiques de l'Aufklärung, des Lumières, des révolutions du XVIIIe siècle, les conceptions du socialisme et du communisme ont donné un élan très fort à cette conception moderne fondée sur l'horizontalité, et qui est la nôtre encore aujourd'hui.

Donc, la plupart des discussions que nous allons avoir, j'imagine, dans la journée, vont se dérouler sur la toile de fond de ce paradigme horizontal avec l'égalité comme centre, je dirais incontournable, de notre intuition de la justice. Quand nous pensons à la justice, nous pensons spontanément à l'égalité.

Je m'empresse de dire tout d'abord que je suis moi-même idéologiquement, si je puis dire, totalement à l'intérieur de ce paradigme. J'imagine que la plupart d'entre nous le sommes aussi, (mais peut-être pourrait- on avoir des surprises) et la discussion montrera s'il y a des diversités de visions. En bref, quant à moi, je suis solidement installé dans ce paradigme de l'égalité. Ceci dit, et c'est peut-être un des premiers apports des théories de la justice, l'égalité pose des problèmes d'ordre conceptuel et opérationnel. Certains ont dit que, au fond, toutes les théories contemporaines de la justice, que cela soit celle de John Rawls, de Michael Walzer ou de Robert Nozick2, toutes ces théories extrêmement intéressantes et subtiles, ne seraient là que pour montrer quelles sont les bonnes raisons que nous pourrions avoir de nous décaler par rapport à une idée très ou trop stricte de l'égalité. Alors une des difficultés des problèmes de la justice, c'est précisément que nous avons une intuition forte de la justice comme égalité et, en même temps, que, pour diverses raisons que l'on essaiera de voir assez rapidement, on est obligé de prendre des distances avec cette idée.

C'est probablement la tension majeure qui existe dans la problématique.

Je vais commencer par rappeler ce qu'un des auteurs principaux de la réflexion sur la justice, à savoir Aristote, a dit. Aristote, dans son Ethique à Nicomaque, a posé les concepts, je dirais indépassables, de la justice. Il les a posés avec comme toujours chez lui, beaucoup de nuances et une intuition très grande de la complexité des choses. On lui attribue cette sentence tout à fait fameuse :

« Il faut traiter les choses égales de manière égale et les choses inégales de manière inégale ».

Cet énoncé donne l'impression d'être une tautologie ou d'enfoncer une porte ouverte, mais en fait il exprime bien tout d'abord que l'égalité (et son opposé l'inégalité) est au centre des problèmes de la justice ; c'est là, déjà, une affirmation qui vaut son pesant d'or du point de vue conceptuel. L'égalité est le cœur de toute réflexion sur la justice mais on ne peut pas appliquer de manière aveugle et automatique le concept d'égalité. Il faut le faire de manière nuancée et différenciée en traitant les choses égales de manière égale, les choses inégales de manière inégale. Cela paraît du bon sens mais en fait cela nous renvoie à des abîmes de difficulté. En effet, qu'est-ce qui est égal et qu'est-ce qui est inégal ? Vous connaissez la théorie d'Aristote qui justifiait l'esclavage, parce que pour lui un homme libre, un citoyen et un esclave n'étaient pas ontologiquement égaux. Pour lui, comme pour tous ses contemporains, c'était une évidence qu'il y avait-là une différence ontologique, c'est-à-dire inscrite dans l'être même. Il faut sans cesse se poser la question - et l'humanité s'est posé la question tout au long de son cheminement : qu'est-ce qui est égal, qu'est-ce qui est inégal ? Est-ce que les femmes sont les égales des hommes ? oui ou non ? Notre société apporte sa réponse, ou en tout cas travaille à sa réponse. Est-ce que les Indiens d'Amérique du Sud étaient les égaux des Espagnols ? C'est la fameuse controverse de Valladolid de 15503. Finalement, Dieu merci, grâce notamment au frère dominicain Bartolomé de Las Casas, l'Eglise a décidé dans sa sagesse que les hommes étaient égaux, que les Indiens étaient égaux des autres, mais il s'en est fallu de peu que l'Eglise ne bascule dans une catastrophe théologico-

2 Cf. la bibliographie à la fin de cette communication.

3 On trouve une bonne introduction à ce sujet dans Tzvetan Todorov, La conquête de l'Amérique. La question de l'autre. Paris, Seuil, 1982 (réédition in collection Points Essais no 226).

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philosophique. En bref, j'aimerais souligner à quel point cette proposition d'Aristote est centrale d'un point de vue conceptuel. Et cependant, d'une certaine manière, elle n'est plus tellement opérante, c'est- à-dire utile et applicable dans la réalité, parce qu'elle nous oblige à regarder dans ce qu'on pourrait appeler philosophiquement « l'essence des choses ». Or, l'épistémologie contemporaine, la manière scientifique ou philosophique d'aborder les problèmes a largement disqualifié cette approche par l'essence des choses. Donc, on est obligé maintenant de se tourner vers des conceptualisations plus diversifiées. Mais je crois qu'il était bon de souligner cette problématique telle qu'Aristote l'a posée.

Un des auteurs contemporains qui approche le plus cette nécessaire complexité d'une perspective des problèmes de la justice, et certainement dans l'esprit aristotélicien, c'est le philosophe américain de Princeton, Michael Walzer. Walzer récuse l'idée que l'on puisse faire des théories générales de la justice, de manière généralisante, à propos de n'importe quel bien. Il propose que l'on concentre l'attention sur la justice de la distribution, de la répartition des biens ou des maux, des biens ou des charges – comme la charge fiscale ou la charge du service militaire – mais que l'on distingue soigneusement chaque type de bien. Il ne s'agit pas, contrairement à d'autres auteurs, de parler de la justice en général, mais c'est chaque fois le problème de la justice relative à un type de biens particuliers. Ces biens peuvent être très différents : cela peut être la santé, et l'accès aux soins de santé ; cela peut être l'appartenance citoyenne ; cela peut être, un exemple que Walzer affectionne, les honneurs académiques, ou les honneurs sociaux de manière générale ; par exemple, qui a droit à un prix Nobel ? qui a droit à un prix Goncourt ? Si l'on fait cette distinction par type de biens, on se rend alors compte qu'il y a des biens qui obéissent à des critères de distribution très différents. Il serait manifestement absurde que la distribution des prix Nobel ou Goncourt réponde à un critère égalitaire, car ces prix récompensent un mérite particulier dont tout un chacun n'a pas fait preuve ; mais, à l'inverse, il serait absurde de distribuer les soins de santé sur la base du mérite, ou sur la base de la simple solvabilité. Il semble bien – du moins il semble bien à nos sociétés démocratiques – que le critère correct de la distribution des soins de santé soit le besoin.

Il y a donc des types de biens qui demandent l'égalité, comme l'accès aux soins, comme la nourriture, et probablement, mais il faut être là aussi prudent et nuancé, comme l'eau. Cela nous oblige alors à nous poser la question sur la nature de ce bien spécifique qu'est l'eau. Là, vous en savez probablement beaucoup plus que moi. Je dirais simplement et très rapidement que l'eau est bien sûr indispensable à la vie physiologique et hygiénique de chaque individu et, à ce titre, il doit bien entendu y avoir un accès égalitaire à l'eau, autant qu'il doit y avoir par ailleurs un accès égalitaire à la santé, aux soins, aux besoins de base ; mais l'eau a cette caractéristique d'avoir des usages totalement diversifiés : des usages agricoles comme des usages industriels, des usages de loisirs tels les piscines privées ou publiques. Par conséquent, s'il est vrai qu'il faut qu'il y ait un accès égalitaire pour l'usage indispensable à la vie personnelle, dans les autres usages la question d'un accès égalitaire reste ouverte et à débattre. Par exemple, est-ce que quelqu'un qui veut – et cela se fait, sur une vaste échelle – construire un hôtel avec piscine et golf en bordure du désert, est-ce qu'il a droit au même accès à l'eau que les habitants de la ville d'à côté qui vivent sous le signe d'une pénurie chronique ? L'égalité doit être, bien entendu, arbitrée entre les différents usages d'un même bien selon des priorités politiquement définies.

Je vais vous présenter d'autres concepts à partir desquels on peut essayer de penser la répartition des problèmes de l'eau en termes de justice. Mais il y a encore des précisions à apporter au sujet de l'égalité.

Il faut, je pense, avoir une vue très nuancée. Je voudrais encore préciser ma pensée à ce point de vue-là.

On se plaint, et on a raison, en tout cas les gens qui ont une certaine sensibilité aux problèmes sociaux et au sort des plus défavorisés dans les sociétés signalent et se plaignent de ce qu'on appelle le creusement des inégalités. Et effectivement, c'est un phénomène qui va à l'encontre de notre sentiment profond de justice et par conséquent, en principe, il faut se mobiliser contre ce creusement des inégalités.

Cependant, si on pouvait démontrer, je dis bien « si » – mais je pense que dans certains cas on peut le faire – que les mieux lotis, les plus riches augmentent leurs richesses dans une proportion donnée et que, de manière concomitante, corrélée, les plus démunis améliorent également leur sort, quelle est alors la position que l'on devrait avoir par rapport à l'inégalité ? S'il y a le creusement d'une inégalité mais ce creusement d'une inégalité ne nuirait pas à l'amélioration du bien-être des plus défavorisés, alors on pourrait faire l'hypothèse – c'est une pure hypothèse – qu'il y a une causalité entre l'amélioration du sort des plus riches et celui des plus défavorisés. Je ne dis pas que c'est le cas. Mais s’il y avait une causalité dans le fait que les plus riches deviennent plus riches et qu'ils entraînent, en quelque sorte, les plus pauvres à améliorer leur situation, est-ce que simplement par amour de l'égalité on dirait: « non, non, nous préférons l'égalité, donc nous supprimons cette causalité. On n'accepte pas que les riches deviennent plus riches, mais on n'accepte pas non plus alors que les pauvres améliorent leur sort ».

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Donc, là, il y a un problème qui implique toutes les réflexions que l'on doit avoir sur la social- démocratie, sur le libéralisme et le néolibéralisme. Je pense qu'il y a là un problème délicat lié à l'effet de l'ascenseur : si le plafond de l'ascenseur monte, le plancher monte aussi. Dans la mesure où l'on peut attester cet effet de l'ascenseur, je me garderais personnellement d'une espèce de dogmatisme ou de fondamentalisme de l'égalité, dans de telles circonstances. Je suis persuadé – et certains travaux l'ont montré, en particulier les travaux en France de Jean Fourastié, de Robert Boyer et de Thomas Piketty (2001) – que pendant ce qu'on a appelé les Trente Glorieuses (environ de 1950 à 1980), il y a eu une montée très remarquable de toute la société française (mais vraisemblablement toute l'Europe était prise dans le même mouvement) vers une amélioration simultanée du sort des mieux lotis et des moins bien lotis.

Un autre principe de répartition qui remonte très largement à Aristote lui-même, c'est le principe du mérite. Celui qui contribue beaucoup a droit à beaucoup, celui qui contribue peu a droit à peu, celui qui ne contribue pas du tout a droit à rien du tout. C'est un principe un peu dépassé au premier abord, et, de plus, récusé par pas mal de théoriciens. Cela dit, je crois qu'il n'a pas fini de peser sur la répartition d'un certain nombre de biens : on dit souvent que le monde scientifique et l'université fonctionnent de manière méritocratique (ou devraient fonctionner de manière méritocratique). Ainsi l'attribution des prix Nobel et des récompenses académiques fonctionne sur le principe du mérite, et on parle volontiers d'une société méritocratique. On parle aussi de salaire au mérite. En ce qui concerne l'eau et la répartition de ce bien particulier qu'est l'eau, on pourrait imaginer une répartition qui obéisse moins au principe d'égalité (x m3 d'eau par m2 de culture) mais au principe du mérite, dans le cas par exemple où on voudrait allouer des quantités d'eau supérieures à des agriculteurs qui pratiquent une agriculture écologique ou biologique ou respectueuse de l'environnement. Ce serait une sorte de discrimination positive qui viendrait récompenser des efforts particuliers dans un domaine comme l'écologie et le développement durable. Dans ce cas la justice de la distribution d'eau n'aurait plus de lien avec l'égalité mais bien avec un principe inégalitaire qui peut se révéler parfaitement acceptable pour autant qu'il soit justifié avec des arguments rationnels.

Un autre principe de répartition est le principe du besoin, incontournable dans le cas de l'eau puisque c'est un besoin vital. Nous avons, dans le cadre du colloque que l'on prépare à Genève sur le thème Water for peace, des partenaires israéliens et des partenaires palestiniens, et il n'est pas évident de trouver un agenda commun. D'un côté les Israéliens disent : « il faut centrer la conférence sur les besoins, précisément, les "needs", et nous avons toutes les solutions techniques : désalinisation de l'eau, importation de Turquie. Nous disposons d'une expertise qui nous permet de maîtriser les questions techniques et de faire face aux différents problèmes ». Et, de leur côté, les Palestiniens disent : « C'est très bien les besoins, évidemment; ils sont considérables et ne peuvent être résolus sans expertise. Mais nous, nous aimerions parler des droits, (rights). Nous avons des droits (water rights) reconnus par les accords d'Oslo sur l'eau qui tombe sur nos collines et que les Israéliens recueillent, captent et utilisent à notre place ». Et donc c'est un dialogue et une confrontation autour de concepts essentiels de la justice, dialogue que nous espérons pas totalement de sourds, mais c'est un dialogue difficile entre ceux qui pensent en termes de besoins et ceux qui pensent en termes de droits. Ici, comme dans la théorie libertarienne défendue par Robert Nozick, il s'agit de droits de propriété (property rights). La position palestinienne esquissée ici permet d'envisager un recours non réactionnaire, loin du néolibéralisme, à la revendication de droits de propriété. La souveraineté d'un peuple sur l'eau, comme sa souveraineté sur sa terre, est un des fondements de sa dignité. C'est du reste un champ très important du droit international que de délimiter les droits et obligations respectifs des riverains des cours d'eau internationaux comme le Nil, le Tigre, l'Euphrate, le Rhin, etc.

Un autre principe de distribution est celui de la capacité contributive. J'aurais pu aussi appeler cela le principe de solvabilité. Cela introduit évidemment le problème du marché. Si on considère que l'eau est un besoin vital et nécessaire indépendamment de toute solvabilité, bien entendu vendre de l'eau, en faire un produit marchand, est une aberration et une dérive dans laquelle s'engage notre monde gangrené par le néolibéralisme. On sait que Riccardo Petrella (2001) a fait sien le combat pour soustraire l'eau à l'emprise de la sphère marchande génératrice de l'exclusion des insolvables.

Par plusieurs de ses caractéristiques l'eau est un bien privé : elle est divisible en unités discrètes (la mise en bouteilles) ; en cas de pénurie, elle peut faire l'objet d'âpres rivalités pour son contrôle ; on peut exclure de son usage les insolvables. Par ailleurs, il n'est évidemment pas possible d'éliminer tout calcul économique de l'eau puisque sont en jeu des infrastructures extrêmement lourdes que nécessitent

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l'adduction, le traitement de l'eau en amont de son utilisation, le traitement des eaux usées.

Economiquement, l'eau est tout sauf une denrée gratuite. Cela dit, le marché n'est pas, dans le cas particulier, le mécanisme qui permettrait une allocation de l'eau selon les besoins, et en particulier les besoins des plus nécessiteux ; ce n'est pas la solution optimale. Il y a toute une discussion sur le partenariat avec des entreprises privées, notamment en France. Ma propre position est que les pouvoirs publics et les sociétés privées doivent coopérer à l'intérieur d'un régime de concessions qui permettent de sauvegarder, par un cahier des charges exigeant, l'objectif d'une distribution à tous selon le principe du besoin, tout en assurant aux sociétés exploitantes (qui souvent détiennent l'expertise permettant la maîtrise technologique) un revenu convenable.

Il y a le principe des droits historiques. Le premier qui s'approprie un puits et utilise son eau, ou qui s'approprie une réserve d'eau comme un lac, a-t-il des droits qui engendrent une exclusion de ceux qui n'étaient pas là? C'est un peu aussi le problème qu'il y a en arrière-fond des débats au Proche-Orient.

J'en viens maintenant à un problème que je considère comme très important, dans toutes les réflexions sur la justice. C'est ce que j'appelle le périmètre de la justice. La justice, pour qui ? Il ne s'agit pas nécessairement d'un périmètre territorial, bien que ça puisse l'être aussi, mais en principe ce n'est pas d'abord un périmètre territorial ; il s'agit d'un périmètre social et politique. Par exemple, l'Etat providence avec ses dispositifs nombreux, multiples, complexes et très coûteux de la sécurité sociale a été conçu dans le cadre de l'Etat-nation. Dans tous les pays, et notamment en Europe, les systèmes sont très nationaux et peu transposables d'un pays à l'autre. L'Etat-nation est un périmètre qui en vaut un autre. Les Français, ou les résidents en France depuis un certain nombre d'années, ont droit à la sécurité sociale et à ses avantages. Ils appartiennent au périmètre des bénéficiaires. Il s'agit-là d'un périmètre forgé par l'histoire mais auquel nous sommes tellement habitués qu'il nous est devenu presque naturel. Il faut se poser la question, en ce qui concerne l'eau, par exemple par rapport à des bassins hydrologiques – encore que maintenant on puisse transgresser les bassins naturels, puisqu'on peut soit importer de l'eau, et surtout puisqu'on peut détourner le cours naturel de l'écoulement de l'eau – ce que les Israéliens ont fait à partir du lac de Tibériade : l'eau du lac qui doit naturellement descendre dans le Jourdain et irriguer la vallée du Jourdain, a été partiellement détournée vers des canalisations gigantesques qui alimentent toute la côte et les villes de Haïfa et Tel Aviv.

Le problème du périmètre, en tant qu'il définit qui est inclus dans les bénéficiaires et qui en est exclu, est donc un problème absolument fondamental. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt, dans cette optique du périmètre, la réunification allemande. Il s'est trouvé que tout d'un coup le périmètre de ce qu'on appelait la République Fédérale d'Allemagne s'est élargi à une population beaucoup plus pauvre, beaucoup plus démunie. Et suite à la réunification et à l'agrandissement du périmètre, il y eut des centaines de milliards de DM ou d'euros qui ont été dépensés par l'Etat de la République Fédérale pour compenser les handicaps économiques et sociaux de la population de l'Allemagne de l'Est. Et suite à l'incorporation dans le périmètre de la justice de cette nouvelle population de la République Démocratique Allemande, il y eut comme résultat – presque inévitable – que la République Fédérale d'Allemagne a dû subir un coût très important et probablement un appauvrissement dont le ralentissement économique actuel est encore une séquelle. Je veux dire qu'on n'élargit pas impunément, c'est-à-dire sans aucun coût, le périmètre de la justice. Dans le même ordre d'idées, il est très intéressant de suivre l'élargissement de l'Europe aux nouveaux pays de l'Europe orientale, pays très nettement plus pauvres que les anciens membres de l'Union. L'élargissement du périmètre de la justice exige des transferts considérables en vertu du mécanisme de péréquation et de rattrapage des fonds structurels qui se révèlent absolument nécessaires. La justice a un coût.

La question du périmètre est donc très importante. On aurait tendance à dire dans notre humanisme sans limites qu'il faut étendre le périmètre de la justice au monde entier. Nous devons, dans une optique cosmopolitique cohérente, être des citoyens du monde. Chacun a ses idées à ce sujet. Quant à moi je suis tout à fait d'accord avec la perspective cosmopolitique, mais il faut être conscient du coût que cela implique. On n'élargit pas sans coût, d'une certaine manière, et je pense que c'est bien, moralement c'est tout à fait salutaire, mais on n'élargit pas sans qu'il y ait un coût pour soi-même, sans, pour parler dans un autre registre sémantique, que l'on ait à consentir des sacrifices. Dans le contexte du Moyen- Orient, le problème est évidemment tout à fait lancinant, en particulier en ce qui concerne l'eau, puisque vous savez que la consommation israélienne par habitant est de l'ordre de trois fois la consommation d'eau par habitant de la population palestinienne qui habite juste à côté ; la consommation d'eau des colons qui habitent le même territoire que la population palestinienne (y compris la consommation pour

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leurs piscines privées) est quelque chose comme six fois à dix fois la consommation d'un Palestinien, pour un prix par mètre cube d'eau très nettement inférieur, puisque elle est subventionné dans le cadre de la politique de colonisation. Donc sur un même territoire, deux groupes humains ne bénéficient pas du même accès à l'eau. Il y a des problèmes, je dirais de périmètre de justice qui sont très sérieux, qui ne relèvent absolument pas de problèmes techniques mais qui relèvent intégralement d'une conception politique relative à qui est inclus et qui est exclu dans le périmètre de l'accès privilégié4.

J'en viens à une autre manière d'aborder ce type de problèmes, à d'autres critères5, mais avec toujours en toile de fond une réflexion sur l'égalité dans la distribution d'un bien : jusqu'à quel point l'égalité doit-elle être cherchée pour elle-même ? Si vous avez une population qui a, peu importe les chiffres, cinquante, une autre population qui a cent, vous voulez réaliser l'égalité. Dans ce cas, le point d'égalité sera soixante- quinze, pour une quantité fixe de biens. La nouvelle situation est très bonne pour ceux qui passent de cinquante à soixante-quinze ; mais il faut savoir que l'on donne à Pierre ce qu'on a enlevé à Paul. Et c'est tout à fait logique dans une conception de l'égalité. Cela dit, il y a des inconvénients : il y a l'inconvénient que les gens qui avaient cent et à qui on enlève vingt-cinq pour donner aux autres, peuvent se révolter. On peut enlever les moyens nécessaires pour une production de qualité. Donc cette politique égalitaire peut provoquer politiquement et économiquement une situation difficile. La solution serait qu'il faudrait trouver un moyen d'augmenter la quantité disponible. C'est un des débats que nous avons eu à l'Université de Naplouse avec nos collègues palestiniens ; quant à moi, j'étais tout à fait enthousiaste pour la désalinisation de l'eau, parce qu'alors on aurait pu disposer de quantités additionnelles. Il y a du reste un projet israélien actuellement bien avancé en coopération avec la Banque mondiale de créer une immense usine de désalinisation à Césarée, qui apporterait de l'eau aux Palestiniens et que les Palestiniens et les Américains paieraient, les Israéliens fournissant le terrain pour cette usine. Et curieusement (au premier abord), les Palestiniens étaient très réticents à cette idée : ce qu'ils demandent, eux, c'est leurs droits sur l'eau qui est chez eux et le contrôle de l'eau, le contrôle des puits, le contrôle des nappes phréatiques. Leur problème de justice, ce n'est pas en priorité des quantités additionnelles d'eau qu'ils demandent.

Passons à d'autres critères. Le critère de la maximisation, critère favori des utilitaristes. On considère qu'une situation est meilleure qu'une autre si le total net des quantités disponibles – que ce soit de l'argent, des utilités, de l'eau – est supérieur à ce qu'il était auparavant. Par exemple, on peut imaginer qu'il y a une utilisation domestique de l'eau, il y a une utilisation, comme je le disais, industrielle, une utilisation agricole, une utilisation de loisirs. Et là il faut faire certainement des arbitrages entre ces différents usages.

Ainsi imaginons une situation où il y a plus d'eau qui est à mise à disposition, mais cela pose des problèmes en termes de justice (et de périmètre de justice). On peut mettre, par exemple, plus d'eau à disposition des infrastructures touristiques, au détriment des populations autochtones qui doivent continuer d'avoir un très mauvais approvisionnement d'eau, alors qu'à proximité il y a des golfs, il y a des piscines.

Mais ce sont des arbitrages qui ne sont pas totalement absurdes, le gouvernement peut se dire : nous allons maximiser l'utilisation de chaque franc ou euro ou dollar investi parce que le tourisme nous rapporte des devises et crée des emplois, et que c'est tout aussi important d'avoir des devises que d'avoir une hygiène correcte pour la population. Problème évidemment d'arbitrage politique entre des priorités qui devraient être fixées démocratiquement, encore que ce ne soit pas une garantie de justice, comme je vais le montrer.

Le critère démocratique, c'est-à-dire le critère d'après la volonté de la majorité. Nous sommes tous probablement des démocrates, donc nous avons un préjugé très favorable en faveur de ce critère. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait que c'est un critère, bien sûr important, mais qui peut avoir, lui aussi, des effets pervers. Si vous avez trois groupes de population, je dirais les pauvres, la classe moyenne et les riches (chaque groupe d'une même importance numérique), et vous faites un programme dans le domaine social ou dans le domaine de l'eau ; vous faites un programme qui va améliorer le sort de la classe moyenne et le sort des riches. Vous pouvez donc avoir une majorité démocratique même si ce programme va défavoriser les pauvres et améliorer le bien-être de ceux qui sont déjà correctement lotis. D'une certaine manière, on peut expliquer ainsi qu'aux Etats-Unis le président Bush soit réélu alors même qu'il a une politique économique et sociale qui défavorise les couches les plus pauvres de la population (mais qui sont aussi celles qui votent le moins). Il y a une coalition des classes moyennes et des riches qui joue démocratiquement en défaveur des plus démunis.

4 Sur le problème de l'eau dans la région Israël-Palestine, voir notamment Lowi, Miriam R. (1995). Water and Power. The Politics of a scarce resource in the Jordan River basin. Cambridge, Cambridge University Press.

5 Pour une présentation plus systématique de ces critères, cf. W.Ossipow (1998).

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Le jeu démocratique est dans cet exemple, hélas plus que plausible, complètement dissocié des besoins sociaux les plus réels.

Un critère important pour les économistes est celui dit de l'optimum de Pareto. Selon ce critère une distribution sera dite juste si aucun des partenaires sociaux ne sera plus mal loti après cette distribution qu'avant. Ce critère exclut tout jeu à somme négative ou nulle et assure que personne n'y perde. Et c'est évidemment très important. Mais ce critère peut jouer paradoxalement par rapport à notre intuition de justice car il permet que les mieux lotis, les plus riches, améliorent leur position. Il tolère tout à fait que les plus pauvres restent au niveau de départ (en revanche le critère interdit que les plus pauvres y perdent).

Donc il peut y avoir, dans l'application de ce critère, ce que j'appelais tout à l'heure le creusement des inégalités, mais ce n'est pas une nécessité. Une situation où les classes pauvres améliorent leur situation sans que celle des plus aisées ou de la classe moyenne soit péjorée est également acceptable en regard de ce critère.

Mentionnons aussi le critère du maximin que l'on doit au grand philosophe de Harvard, John Rawls, décédé il y a quelques mois, et qui est l'auteur d'une très célèbre Théorie de la justice.6 L'idée est qu'une distribution juste ou équitable d'un bien quelconque doit se faire en faveur des plus démunis, que le critère de Pareto soit ou non respecté. Par ailleurs, Rawls dit dans son fameux principe de différence que les inégalités sont acceptables dans la mesure où elles permettent l'amélioration du sort des plus défavorisés.

Imaginons l'exemple (à soumettre à la critique) d'une allocation d'eau pour l'irrigation plus importante en faveur des grands domaines voués aux cultures d'exportation dans la mesure où l'on escompte une plus grande embauche de travailleurs agricoles et donc une diminution du chômage ainsi qu'une rentrée de devises.

S'il y a une amélioration du sort des plus démunis sans que les plus riches en souffrent, c'est à la fois une application correcte du critère de Pareto et une application du critère de Rawls. Cependant, c'est une situation un peu idéale, car dans ce cas de figure, on améliore le sort de Pierre sans rien enlever à Paul, et donc il faut trouver des ressources additionnelles. Or, trouver des ressources additionnelles en ce qui concerne l'eau suppose soit une amélioration de la pluviométrie (ce qui reste aléatoire), soit la mise en place d'infrastructures lourdes du type barrages, importations ou usine de désalinisation. Cela suppose à l'évidence une politique d'aménagement de l'espace rural sur le plan hydrologique en particulier.

Souvent, il faut bien admettre que l'amélioration du sort des plus démunis doit s'effectuer en transférant une partie des richesses des plus riches vers les plus pauvres. John Rawls admet expressément cette variante qui n'est plus compatible avec l'optimum de Pareto. C'est ce qu'ont fait les sociétés occidentales, européennes en particulier, depuis 1945. J'appelle cette variante – et j'aime bien ce terme qui sonne correctement à mes oreilles – le modèle social-démocrate. Je sais qu'en France ce modèle n'est pas très prisé, que la social-démocratie est considérée par la gauche comme une voie de compromis, voire de compromission. Mais pour moi qui viens plutôt d'Europe du Nord, la social- démocratie – ou ce que les Allemands appellent l'économie sociale de marché (la Sozialmarktwirtschaft) - c'est l'amélioration concomitante de toute la société avec une attention soutenue à l'amélioration du sort des plus défavorisés. Tâche toujours à reprendre, bien entendu, mais je crois que, en tout cas pendant les Trente Glorieuses et jusque dans les années 80, cette tâche a été la préoccupation majeure des sociétés occidentales.

Un dernier critère de justice serait une sorte de critère de synthèse qui permettrait au fond de réunir tous les critères ensemble, tous ces critères qui sont parfois difficiles à concilier : égalité, maximisation, majorité démocratique, Pareto, maximin. Dans certaines circonstances, il est possible de faire en sorte que tous ces critères puissent être conjointement appliqués, au moins tendanciellement. On peut ainsi avoir des situations où l'écart entre les plus défavorisés et les plus riches se resserre, et donc on va vers l'égalité. Je vous signale à nouveau les travaux de ce jeune économiste français très brillant, Thomas Piketty (2001), qui tient une chronique régulière dans Libération. Il a fait une thèse magistrale sur les hauts revenus en France depuis le début du vingtième siècle et a montré à quel point l'introduction de l'impôt sur le revenu et l'introduction de l'impôt sur les successions ont cassé les grandes fortunes et ont permis un resserrement tout à fait remarquable de l'écart entre les riches et les pauvres avec une amélioration très notable du sort des plus défavorisés. Il est donc possible d'affirmer – et je pense que c'est le cas dans un certain nombre de sociétés les plus avancées, en particulier en Europe – que plus une société est riche, plus elle est égalitaire.

6 John Rawls, Théorie de la justice. Trad. française, Paris, Seuil, 1987 [1971].

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Coordinations hydrauliques et justices sociales 8

C'est le cas par excellence des sociétés scandinaves à la fois plus riches et plus égalitaires que les Etats les moins avancés de l'Union européenne (d'avant l'élargissement) comme la Grèce ou le Portugal. On peut par conséquent tenir conjointement une tendance vers l'égalité et une tendance à la maximisation, c'est-à- dire à l'augmentation du PIB. On peut avoir une amélioration très largement majoritaire, voire consensuelle, surtout si personne ne subit les frais de cette amélioration. Dans certaines circonstances, il est possible de synthétiser l'ensemble des critères passés en revue. Je dirais que c'est, du point de vue socio- économique et du point de vue de la justice, une situation idéale. Il y a vraisemblablement une condition qui est un peu problématique, c'est la croissance. Le critère de synthèse implique nécessairement la croissance des ressources afin que l'on puisse les distribuer sans enlever quoi que ce soit à qui que ce soit (exigence parétienne). Il y a des situations très nombreuses, de par le monde, de croissance sans la préoccupation rawlsienne ou social-démocrate de redistribution: je pense notamment au Brésil d'avant Lulla. Pour ne pas tomber dans ce piège, une intervention à la fois volontariste et nuancée de la part de l'Etat, par le biais notamment de la fiscalité, est absolument nécessaire.

Il faut qu'il y ait la croissance pour que tous les critères puissent jouer sans se contredire et sans que l'on doive faire des arbitrages entre bénéficiaires. C'est pour cette raison que tous les gouvernements du monde sont éperdument à la recherche de la croissance qui leur facilite considérablement la tâche de gouverner. C'est pour cette raison également qu'il faut être très vigilant dans la mesure où, comme on le sait, la croissance est souvent antinomique à la qualité de la vie, elle est souvent antinomique à la qualité écologique et au développement durable. Mais là, il s'agit d'une préoccupation qui n'entre pas dans notre ensemble de critères. C'est un autre sujet, vraisemblablement aussi important que celui de la justice, mais qui s'en distingue conceptuellement.

Je suis conscient de l'aspect programmatique de ces propos qui passent trop rapidement du micro au macro, des exemples concernant l'eau à la politique économique générale. Voilà cependant, Mesdames et Messieurs, les quelques réflexions que j'espère utiles comme introduction à votre séminaire et je vous remercie de votre attention.

Bibliographie sommaire

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Références

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