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Information, conseil, mise en garde : risques et responsabilité dans les opérations sur valeurs immobilières

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Academic year: 2022

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Information, conseil, mise en garde : risques et responsabilité dans les opérations sur valeurs immobilières

THÉVENOZ, Luc

THÉVENOZ, Luc. Information, conseil, mise en garde : risques et responsabilité dans les opérations sur valeurs immobilières. In: Journée 2007 de droit bancaire et financier . Genève : Schulthess, 2008. p. 19-57

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4810

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Journée 2007

de droit bancaire et financier

Mark barmes Pierre besson christian bovet Jacques iffland carlo lombardini

samantha Meregalli do duc aude Peyrot

luc thévenoz

sous la direction de

Luc Thévenoz et Christian Bovet

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InformatIon, conseIl, mIse en garde :

rIsques et responsabIlIté dans les opératIons sur valeurs mobIlIères

Luc Thévenoz*

L’investisseur qui achète un produit financier ajoute à son portefeuille un paquet de risques qui peuvent lui procurer aussi bien un profit qu’une perte, suivant l’évo- lution des marchés1, la qualité de sa contrepartie2 et les autres placements qui composent son portefeuille3. L’investisseur achète tel produit parce qu’il y voit un gain potentiel ; mais il sait ou devrait savoir que tout potentiel de gain est associé à un potentiel de pertes. Si le produit financier était emballé comme des cigarettes, on pourrait y lire this product may harm or benefit your financial health !

Le client, qui ne s’en soucie pas toujours au moment de l’investissement, tend d’ailleurs à s’en rappeler lorsqu’il subit une perte. Il essaie alors de la faire sup- porter par son prestataire de services financiers en invoquant une responsabilité fondée, au gré des circonstances, sur une information insuffisante, un conseil dé- fectueux ou l’absence d’une mise en garde relative à un risque que l’investisseur lui-même n’a pas identifié ou qu’il prétend n’avoir pas reconnu. Par le truchement de la responsabilité civile, contractuelle ou extracontractuelle, les devoirs d’in- formation, de conseil et de mise en garde des banques et négociants en valeurs mobilières représentent à leur tour un risque significatif pour ces derniers. These duties may harm your bottom line !

Cela fait des années que l’importance du sujet et la relative indigence de son traitement par les tribunaux civils suisses sont relevés, notamment à l’occasion de notre journée annuelle de droit bancaire et financier dans le contexte de la

* Professeur à l’Université de Genève, directeur du Centre de droit bancaire et financier, président de la Commission des offres publiques d’acquisition, ancien membre de la Commission fédérale des banques.

1 Risque de marché, éventuellement risques de change et de taux d’intérêt.

2 Risque de contrepartie, auquel il faut éventuellement ajouter un risque-pays.

3 Auquel le produit peut ajouter un effet de diversification ou au contraire réduire le risque relatif une autre position existante (effet de couverture).

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chronique de la jurisprudence civile4. L’année 2007 marque cependant un tour- nant mémorable : trois arrêts importants du Tribunal fédéral et un de la Cour de justice de Genève viennent renouveler le débat doctrinal sur cette question5. C’était un motif suffisant pour inscrire ce thème au programme de la Journée 2007 de droit bancaire et financier.

L’intérêt accru de nos juridictions supérieures pour les devoirs d’information, de conseil et de mise en garde s’inscrit aussi dans un contexte plus large. Depuis le 1er novembre 2007, les Etats membres de l’Union européenne ont transposé (ou sont censés avoir transposé) la MiFID, la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers6. Comme nous le verrons plus loin, les 457 millions d’Européens qui sont nos voisins bénéficient désormais, en tant qu’investisseurs, d’un régime relativement complexe où les entreprises d’in- vestissement doivent généralement s’assurer du “caractère approprié” des services qu’elles leur proposent, quand elles ne sont pas tenues de l’obligation plus sévère d’en vérifier le “caractère adéquat”. Ce changement de la réglementation commu- nautaire n’est pas sans effet de bord pour les établissements suisses, non seulement lorsqu’ils offrent leurs services dans l’espace communautaire, mais peut-être aussi lorsque des consommateurs européens obtiennent de tels services en Suisse7.

4 Luc Thévenoz, “Développements récents en droit privé”, in Journée 2002 de droit bancaire et fi- nancier, Berne : Stämpfli, 2003, p. 199 ss, p. 201-204 et 205-207 ; Claude Bretton-Chevallier,

“Jurisprudence civile récente”, in Journée 2003 de droit bancaire et financier, Genève Zurich Bâle : Schulthess, 2004, p. 103 ss, p. 110-114 ; Claude Bretton-Chevallier, “Jurisprudence civile ré- cente”, in Journée 2004 de droit bancaire et financier, Genève Zurich Bâle : Schulthess, 2005, p. 77 ss, p. 87 s. ; Sylvain Marchand, “Jurisprudence civile bancaire et financière 2004-2005 – commen- taire et inventaire”, in Journée 2005 de droit bancaire et financier, Genève Zurich Bâle : Schulthess, 2006, p. 71 ss, p. 74 ; Mario Giovanoli, “Jurisprudence bancaire et financière 2005-2006 en Suisse (droit privé)”, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, Genève Zurich Bâle : Schulthess, 2007, p. 129 ss, p. 133-138.

5 Une bibliographie sélective figure à l’annexe II de la présente contribution.

6 Bien que “MIF” soit l’abréviation française officielle de la directive, l’usage a imposé l’abréviation anglaise “MiFID” (pour Market in Financial Instruments Directive) en terre helvétique aussi bien pour l’allemand que pour le français, de sorte que je m’y rallierai. La directive 2004/39/CE du Parle- ment européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Par- lement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil a été publiée au JOCE 2006 L 114/60. Il est généralement commode de consulter la version consolidée sur eur-lex.

europa.eu, sous Recherche simple → Texte consolidé, qui est par ailleurs disponible via http://

eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:2004L0039:20070921:FR:PDF

7 Cf. Sylvain Marchand, “Jurisprudence civile bancaire et financière 2004-2005 – commentaire et inventaire”, in Journée 2005 de droit bancaire et financier, Genève Zurich Bâle : Schulthess, 2006, p. 79-81 ; ATF 4C.23/2006 du 28 mars 2007 commenté par Samantha Meregalli Do Duc, actualité CDBF no 520 et ATF 4C.292/2005 du 23 novembre 2005 commenté par Samantha Meregalli Do Duc, actualité CDBF no 424.

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La multiplication des procès civils dans notre pays et le renforcement du cadre légal et réglementaire à nos frontières sont deux facteurs importants qui donnent de la substance au warning énoncé en tête de ce chapitre.

I. Information, conseil, mise en garde : sources et jurisprudence Il convient de clairement distinguer les trois notions qui figurent dans le titre de cette contribution. Au sens où ils sont utilisés en rapport avec les services d’inves- tissement en valeurs mobilières :

− l’information (Information) est la communication objective de certains faits qui peuvent se rapporter à une transaction ou à une catégorie de transactions8 ;

− le conseil (Beratung) consiste à recommander une transaction ou une catégorie de transactions qui, dans l’opinion de celui qui émet cette recommandation, correspond aux besoins et aux vœux de celui à qui le conseil est adressé ;

− la mise en garde (Warnung) consiste à déconseiller une transaction (ou une catégorie de transactions) qui, dans l’opinion de celui qui l’émet, ne corres- pond pas aux besoins ou aux vœux de son destinataire9.

L’information est objective : elle porte sur des faits ; elle est exacte (ou inexacte) indépendamment de la personne du destinataire, même si sa compréhension sup- pose qu’elle soit formulée et communiquée d’une manière adaptée à ce dernier.

Le conseil et la mise en garde sont généralement subjectifs puisqu’ils com- muniquent l’opinion de leur auteur sur l’adéquation d’une transaction aux at- tentes et aux besoins de leur destinataire10. Ils vont au-delà d’une information puisqu’ils comportent un élément d’appréciation, de jugement. La mise en garde n’est rien d’autre qu’un conseil négatif (“déconseiller”). L’un et l’autre peuvent être sollicités expressément ou être émis spontanément.

Dans cette section, nous allons passer en revue les bases légales des devoirs d’information, de conseil et de mise en garde qui peuvent grever un prestataire de services en matière de placements financiers. Cette périphrase désigne aussi bien

8 Cf. l’art. 11 al. 1, lettre a, LBVM, qui astreint le négociant en valeurs mobilières à informer ses clients, notamment, “sur les risques liés à un type de transactions donné”. Sur ce devoir d’infor- mation, cf. infra section I.D.

9 Cf. Oliver Arter / Florian S. Jörg, “Informationspflichten beim Discount-Brokerage”, PJA 2001, p. 52 ss ; Sandro Abegglen, Die Aufklärungspflichten in Dienstleistungsbeziehungen, insbesondere im Bankgeschäft – Entwurf eines Systems zu ihrer Konkretisierung, thèse, Berne : Stämpfli, 1995.

10 Bien que le conseil soit souvent un jugement qui combine une appréciation des besoins du client et des tendances du marché, il est des conseils qui sont généralement exacts indépendamment de l’évolution du marché. Ainsi, il est généralement admis qu’un investissement en actions et autres titres de participation est d’autant moins souhaitable que l’investisseur doit pouvoir réali- ser son investissement à courte échéance.

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le négociant en valeurs mobilières pour le compte de clients, soumis à l’agrément et à la surveillance prudentielle de la Commission fédérale des banques précisé- ment en raison de son activité d’intermédiation dans le négoce des valeurs mo- bilières, que la banque, le conseiller indépendant ou tout autre distributeur de produits financiers.

Une fois n’est pas coutume, cette contribution ne parlera que peu de l’acti- vité de gestion de fortune (wealth management ou asset management) où le gé- rant s’oblige contractuellement à prendre les décisions de placement à la place mais dans l’intérêt de son client. Ce service peut, à bien des égards, être considéré comme une extension du conseil en placements. La jurisprudence et la doctrine suisses ont depuis longtemps bien cerné l’étendue des obligations du gérant de fortune (qu’il soit ou non soumis à une surveillance prudentielle) et de sa res- ponsabilité en matière d’information et de conseil. Ces obligations portent prin- cipalement sur la proposition d’une politique de gestion au client et, dans une moindre mesure seulement, sur les types de placements utilisés pour mettre en œuvre cette politique. On va d’ailleurs voir dans les développements qui suivent que la figure bien connue du gérant de fortune est rarement absente de la réflexion des juges, ne serait-ce qu’à titre d’inspiration ou de comparaison.

A. Le devoir extracontractuel de ne pas donner de renseignement erroné First things first. L’ordre juridique suisse ne connaît pas de devoir général (qui s’imposerait à chacun et dont l’omission serait un acte illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO) de renseigner un tiers. Depuis longtemps, le Tribunal fédéral a cepen- dant jugé que celui qui, sans y être obligé et en dehors d’un contrat ou d’un rap- port de confiance particulier, donne un renseignement qu’il sait ou doit savoir er- roné engage sa responsabilité envers la personne qui a sollicité ce renseignement.

En s’appuyant sur une jurisprudence bien antérieure, les juges de Mon Repos ont examiné la responsabilité extracontractuelle d’une banque acceptant de donner sine obligo un renseignement commercial au regard du principe suivant :

“Celui qui est interrogé sur des faits qu’il est bien placé pour connaître doit (s’il veut répondre à la question posée) donner un renseignement exact, dès qu’il est reconnaissable pour lui que le renseignement a ou peut avoir pour celui qui le demande une signification grosse de conséquences. Il ne doit pas donner sciem- ment des indications fausses ni donner à la légère des indications dont la fausseté saute aux yeux, même sans un long examen. Celui qui demande le renseignement n’attendra pas de la banque qu’elle fasse des recherches approfondies, mais bien qu’elle le renseigne avec diligence et bonne foi, qu’elle lui dise tout ce qu’elle sait, loyalement et sans réserve. Agit de manière illicite non seulement celui qui ar-

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ticule sciemment ou par légèreté des faits inexacts, mais encore celui qui passe sous silence des faits qu’il connaît et dont il doit se dire que la révélation pourrait influencer la décision de l’autre partie.”11

Ce devoir relève de l’information, non du conseil. Il n’oblige pas à renseigner spontanément : l’information doit être sollicitée et elle peut être refusée. Son objet n’est pas déterminé autrement que par la requête qui est faite.

B. Les rapports soumis aux règles du mandat

1. Une dichotomie simpliste : mandat ou simple commission ?

A l’autre bout du spectre, la jurisprudence a régulièrement affirmé et étendu l’obli- gation d’information, d’explication (Aufklärung) du mandataire comme décou- lant de son obligation contractuelle de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO)12. En matière d’investissements financiers, et contrairement par exemple aux ser- vices médicaux, le Tribunal fédéral s’est cependant montré restrictif.

i) Dans un arrêt de 1993 relatif à un achat de devises par une société active dans le commerce international, il établit une distinction qu’il a souvent réaffirmée par la suite. Dans le cadre d’un mandat de gestion de fortune, une banque (ou tout autre intermédiaire financier) doit une information étendue à son client et doit at- tirer son attention sur les chances et les risques du mandat. Si, comme en l’espèce, son activité se limite à exécuter des affaires ponctuelles sur instructions de son client, elle ne doit le renseigner que si ce dernier le demande ; l’étendue de cette information se détermine d’après les connaissances et l’expérience du client13. ii) Cinq ans plus tard, toujours en matière de devises mais cette fois dans le contexte d’un véritable mandat de gestion, le Tribunal fédéral confirma ce prin- cipe, mais précisa à juste titre que le mandat de gestion fonde non seulement

11 ATF 111 II 471, c. 3, JdT 1986 I 487. Les références complètes des arrêts cités dans la présente contribution figurent dans le tableau de jurisprudence à l’annexe I. Afin d’alléger les notes de bas de page, on n’y reproduit que la référence principale et, le cas échéant, la traduction française.

12 Ainsi, en matière médicale, l’art. 398 al. 2 CO impose au médecin une obligation de renseigne- ment portant sur le diagnostic, les risques et la nature du traitement ainsi que les alternatives thérapeutiques mais également sur les aspects financiers du traitement, notamment sur le fait que celui-ci n’est pas couvert par l’assurance-maladie, ATF 119 II 456, c. 2. Sur le fondement de cette obligation (diligence et/ou fidélité), cf. Franz Werro, Art. 398 CO, in Commentaire romand, Code des obligations I, art. 1-529 CO, L. Thévenoz / F. Werro (éd.), Genève Bâle Munich : Helbing

& Lichtenhahn, 2006, p. 2045 ss, No 16 ; Franz Werro, Le mandat et ses effets, thèse, Fribourg : Ed. universitaires, 1993, p. 206 ss, Nos 594-605.

13 ATF 119 II 333, JdT 1994 I 610.

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une obligation d’information, mais aussi une obligation de conseil et de mise en garde14.

On aurait tort ainsi de croire que l’obligation d’informer, de conseiller ou de mettre en garde résulte simplement et directement des obligations de diligence et de fidélité du mandataire statuées à l’art. 398 al. 2 CO. En matière financière, le Tribunal fédéral pose une distinction qu’il ne semble pas faire, par exemple, pour l’activité du médecin, de l’avocat ou du notaire :

“Ce devoir [de renseignement] vaut pour le cas où il existe entre les parties un mandat de gestion de fortune illimité, en ce sens que le gérant doit sauvegarder intégralement les intérêts de son client. Si la banque n’exécute au contraire que des affaires ponctuelles pour son mandant, elle n’est pas tenue à une sauvegarde générale de ses intérêts.”15

L’exécution de transactions ponctuelles relève en principe de la commission de vente ou d’achat pour laquelle l’art. 425 al. 2 CO renvoie aux règles du mandat16. On ne saurait dire que la réglementation légale de la commission restreint les obli- gations de diligence et de fidélité du mandataire ; bien au contraire, elle confirme et renforce l’obligation de diligence en encadrant étroitement les conflits d’intérêts inhérents à l’activité du commissionnaire et à son intervention (Selbsteintritt)17. L’étendue des obligations contractuelles de l’intermédiaire financier d’informer, de conseiller et de mettre en garde son client ne résulte donc pas d’une simple opération de qualification ou de l’application mécanique de l’art. 398 al. 2 CO, une norme étonnamment peu spécifique, mais de l’interprétation de la volonté des parties quant à l’étendue des services promis. Le gestionnaire “doit sauvegar- der intégralement les intérêts de son client”, ou plus précisément ceux qui lui sont confiés ; le négociant agissant comme simple broker doit exécuter la commission qui lui est confiée, rien de plus.

2. Le contrat de conseil en placement

Les arrêts susmentionnés nous éclairent quant à l’étendue du devoir d’informa- tion dans le cadre d’un mandat de gestion ainsi que d’un contrat de commission

14 ATF 124 III 155, JdT 1999 I 125.

15 ATF 119 II 333, c. 5a, JdT 1994 I 610, confirmé notamment par ATF 133 III 97, c. 7.1.1.

16 Sur la portée du renvoi, cf. Andreas von Planta, Art. 425 CO, in Commentaire romand, Code des obligations I, art. 1-529 CO, L. Thévenoz / F. Werro (éd.), Genève Bâle Munich : Helbing & Lich- tenhahn, 2006, p. 2211 ss, No 6 s. ; Andreas von Planta / Christian Lenz, Art. 425 OR, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, Art. 1-529 OR, H. Honsell / N. P. Vogt / W. Wiegand (éd.), 4e éd., Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2007, p. 2593 ss, No 6 ss.

17 Cf. art. 428, 433 et 436 CO.

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qui se limite à l’exécution d’ordres de clients. Mais qu’en est-il lorsque le presta- taire de services en matière de placements financiers, sans être au bénéfice d’un mandat de gestion, conseille son client sur les investissements à effectuer ? i) Jusqu’à très récemment, le Tribunal fédéral n’avait pas explicitement envisagé l’existence de mandats de conseil. Sauf erreur, il l’a fait pour la première fois dans un arrêt du 29 mars 2006 non publié et non commenté par la doctrine, où il a retenu la conclusion informelle d’un “contrat d’information et de conseil” (Aus- kunfts- und Beratungsvertrag) et confirmé la responsabilité d’un intermédiaire qui, en violation grave de ses obligations, avait “recommandé sans réserve” des placements proposés par le European Kings Club18. Depuis lors, il a retenu à deux autres reprises l’existence d’un mandat de conseil, formellement convenu ou ré- sultant simplement des actes concluants des parties, à quoi il faut ajouter une décision genevoise qui ne semble pas avoir fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

ii) Le deuxième arrêt fut prononcé le 4 janvier 2007 et publié aux ATF 133 III 9719. Un résident allemand disposait d’un portefeuille d’environ DEM 800 000 financé presque pour moitié par un crédit lombard. Sans avoir jamais formellement conféré un mandat de conseil à sa banque, il entretint des contacts étroits pendant deux ans et demi et passa de nombreux ordres de bourse, concentrant ses inves- tissements dans les actions des entreprises de télécommunications sur le marché américain. Lorsque la bulle du “.com” éclata à l’automne 2001, il invoqua la res- ponsabilité de sa banque pour ne l’avoir pas suffisamment mis en garde contre les risques auxquels il s’était exposé. Le Tribunal fédéral considéra que la banque avait une véritable obligation de conseil et de mise en garde envers son client :

“[…] en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une simple relation de compte/dépôt ; la défenderesse doit être considérée comme une conseillère en placement sans que cela trouve son fondement sous la forme d’un contrat expressément conclu. […]

un fondement formel est cependant superflu lorsqu’une longue relation d’affaires entre la banque et le client a fait naître un rapport de confiance particulier qui autorise ce dernier, selon les règles de la bonne foi, à s’attendre à recevoir conseils et mises en garde sans les avoir sollicités.”20

Le Tribunal fédéral se réfère ici aux règles de la bonne foi et à l’existence d’un rapport de confiance particulier fondé sur une relation (contractuelle) de longue durée. Il ne se prononce pas sur le fondement dogmatique de l’obligation de conseil et de mise en garde : fait-il allusion à sa théorie de la responsabilité fondée

18 ATF 4C.394/2005 du 29 mars 2006.

19 ATF 133 III 97, rés. SJ 2007 I 252.

20 ATF 133 II 97, c. 7.2, traduction libre.

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sur la confiance ? Je crois qu’il faut plus classiquement voir ici une application du principe de la confiance. Ce principe permet au client, dans les circonstances du cas d’espèce et selon les règles de la bonne foi et de la loyauté commerciale, de considérer que les nombreux conseils qu’il a reçus de la banque (sans que celle-ci s’y soit formellement obligée) créent entre eux un véritable rapport de conseil en investissement et obligent la banque à continuer de fournir conseils et mises en garde aussi longtemps que ce contrat tacite n’est pas résilié par l’une des parties.

Au cas d’espèce, les juges de Mon Repos exonérèrent la banque de toute responsa- bilité car la juridiction cantonale avait constaté que la banque avait expressément et spécifiquement attiré l’attention de son client sur les risques accrus de ses in- vestissements et réinvestissements.

iii) Le troisième arrêt fut rendu moins de deux mois après le précédent, sans publi- cation au Recueil officiel21. A la demande de son client, qui avait déjà investi dans des hedge funds, une banque avait recommandé un investissement dans l’AWH Fund Limited. Le placement s’étant soldé par une perte, le client reprocha pour l’essentiel à la banque de l’avoir incorrectement renseigné sur certains aspects de ce fonds. Ce grief fut écarté en fait. Le client faisait également grief à sa banque de ne pas l’avoir informé d’une sanction prise à l’encontre du gérant du fonds décidée par et publiée sur le site de la Hong Kong Monetary Authority. Ce grief aussi fut rejeté au motif que la banque n’avait pris connaissance de la sanction qu’en lisant le rapport d’une société d’audit publié après que la recommandation fut communiquée au client.

La Cour de justice de Genève avait retenu que les recommandations émises par la banque à la demande de son client relevaient d’un contrat de conseil en placement conclu par actes concluants. Sans confirmer explicitement cette quali- fication, le Tribunal fédéral l’adopta en substance en écrivant ce qui suit :

“[…] la banque doit fournir à son client une information véridique et complète chaque fois que, dans un cas concret, le client souhaite information et conseil qui lui sont fournis par la banque professionnellement compétente. De plus, un de- voir d’information marqué existe dans l’hypothèse où la banque recommande au client, même spontanément, certaines dispositions patrimoniales, en particulier des placements de capitaux. Le renseignement donné par la banque dans un tel cas doit être juste, compréhensible, donné sur la base des éléments disponibles, précis et exhaustif. Selon les circonstances, la banque ne répond des conséquences d’un conseil objectivement faux que si, au moment où elle s’est exprimée, le conseil était manifestement déraisonnable. En effet, le spéculateur doit savoir qu’il ne peut se fier sûrement à un conseil relatif à un événement futur et incertain ; en principe, il doit assumer lui-même les risques, s’il suit le conseil de la banque.”22

21 ATF 4C.205/2006 du 21 février 2007, SJ 2007 I 313.

22 Ibidem, c. 3.4.1.

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iv) Enfin, un autre arrêt de la Cour de justice de Genève, daté du 19 janvier 2007, ne fut pas porté au Tribunal fédéral23. Les juges cantonaux retinrent qu’en re- commandant l’achat de CDO – des Collateralised Debt Obligations, représentant typiquement des investissements indirects dans le marché hypothécaire subprime nord-américan, et entretemps rendues tristement célèbres par les pertes qu’elles ont causées aux grandes banques d’investissement – la banque avait conclu un contrat de conseil en placement par actes concluants. Au cas d’espèce, ils nièrent la responsabilité de la banque du fait que l’investisseur, expérimenté en affaires, avait suffisamment pu réaliser les risques de son placement sur la foi du Offering Memorandum qui lui avait été remis.

Ces quatre décisions, rendues en moins d’une année, consacrent définitive- ment la reconnaissance par les tribunaux suisses d’un véritable contrat de conseil en placement, qui peut être conclu par actes concluants, notamment lorsque le prestataire de services en matière de placements financiers recommande certains investissements à un client. Ce contrat de conseil en placement vient s’ajouter à la relation contractuelle tirée du compte de dépôt de titres ainsi qu’aux simples instructions d’achat et de vente relevant du contrat de commission. Le conseil en placement est également distinct de la gestion de fortune, puisque l’investisseur se réserve les décisions, mais il oblige probablement le conseiller en placement à une diligence comparable à celle d’un gérant dans le choix des placements qu’il recommande.

C. Culpa in contrahendo et Vertrauenshaftung : l’art. 2 al. 1 du Code civil

La tardiveté de l’intérêt des juges de Mon Repos pour le conseil financier contraste avec leur activisme relativement aux obligations fondées sur les règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) lorsqu’il existe un rapport de confiance particulier.

Il est traditionnellement admis que les pourparlers contractuels ne sont pas un espace vide de devoirs. Avant même tout contrat, l’art. 2 al. 1 CC, qui oblige chacun à se comporter conformément aux règles de la bonne foi, fait naître cer- taines obligations de comportement entre les parties. Il peut en résulter une obli- gation d’informer ou de détromper l’autre partie, le principe restant que chaque partie doit veiller à ses propres intérêts et se procurer les informations qui sont nécessaires à sa décision.

Depuis le milieu des années 1990, la Ire Cour civile du Tribunal fédéral a géné- ralisé les principes sous-jacents à la culpa in contrahendo pour énoncer le principe

23 Arrêt de la Cour de justice GE du 19.01.2007, ACJC/35/2007.

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d’une responsabilité fondée sur la confiance24. On sait le succès doctrinal de cette construction25. Le principe de cette responsabilité fut affirmé à plusieurs reprises dans le contexte de crédits octroyés par une banque dont les clients mirent en cause, sans succès, la responsabilité à la suite de l’échec des projets immobiliers financés26. Resté apparemment sans application pratique dans le financement d’opérations non bancaires, ce même principe a été récemment retenu par le Tri- bunal fédéral à deux reprises au moins pour fonder l’indemnisation d’un inves- tisseur pour les pertes encourues suite à des placements financiers.

i) L’arrêt paru aux ATF 131 III 377 retient la responsabilité d’une société fidu- ciaire ayant servi d’intermédiaire pour un placement fait par l’un de ses clients dans une société panaméenne. Le Tribunal fédéral commence par y résumer les principes qu’il avait énoncés dans plusieurs décisions antérieures :

“Se fondant sur l’obligation de diligence et de fidélité prévue par les dispositions régissant le mandat (art. 398 al. 2 CO), la jurisprudence admet toutefois l’existence d’un devoir d’information, lorsqu’il est reconnaissable par la banque que son client ne se rend pas compte des risques auxquels il s’expose, ou lorsque les parties entretiennent une relation de confiance telle que le client peut s’attendre, de bonne foi, à être informé à chaque fois d’un danger lié à un investissement prévu par lui, sans avoir à en faire une requête explicite.”27

L’arrêt retient un premier chef de responsabilité de la société fiduciaire qui, en rai- son de la relation de confiance établie entre les parties, aurait dû “signaler qu’elle ne connaissait guère les partenaires de l’opération”, “qu’elle n’avait pas vérifié la validité de la garantie [reçue pour le compte de l’investisseur] et qu’elle ne comp- tait pas le faire.”28 Cependant, au considérant suivant, le Tribunal fédéral précise sa pensée en ce qui concerne la vérification de la garantie. Après un paragraphe étoffé sur l’interprétation des contrats selon le principe de la confiance, il relève

24 En particulier, ATF 121 III 350 ; ATF 123 III 220, SJ 1998 277, JdT 1997 I 125 ; ATF 124 III 363, SJ 1999 I 38, JdT 1999 I 402 ; SJ 1999 I 113 ; ATF 130 III 345, JdT 2004 I 207 ; ATF 133 III 449.

25 Voir notamment Ariane Morin, La responsabilité fondée sur la confiance : étude critique des fonde- ments d’une innovation controversée, thèse Genève, Genève Bâle Munich : Helbing & Lichtenhahn, 2002 ; Martin Moser / Bernhard Berger, “Vertrauenshaftung auch im Bankgeschäft : zur Haf- tungsgrundlage und zu den Grenzen von Aufklärungspflichten“, PJA, 1999, p. 541-554 ; Bern- hard Berger, Verhaltenspflichten und Vertrauenshaftung : dargestellt anhand der Informationspflicht des Effektenhändlers, Berne : Stämpfli, 2000 ; Peter Loser, Die Vertrauenshaftung im schweizerischen Schuldrecht : Grundlagen, Erscheinungsformen und Ausgestaltung im geltenden Recht vor dem Hintergrund europäischer Rechtsentwicklung, Berne : Stämpfli, 2006.

26 ATF 4C.410/1997 du 23 juin 1998, SJ 1999 I 205. Sur cette responsabilité, cf. L. Thévenoz, “La responsabilité fondée sur la confiance dans les services bancaires et financiers”, in Journée de la responsabilité civile 2000, C. Chappuis / B. Winiger (éd.), Zurich : Schulthess, 2001, p. 37 ss.

27 ATF 131 III 377, c. 4.1.1, tel que traduit à la SJ 2005 I 412.

28 Ibidem, c. 4.1.2.

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certes que l’accord écrit des parties n’obligeait pas la fiduciaire à vérifier la va- lidité de la garantie. “L’ensemble des circonstances ayant entouré la conclusion du contrat de mandat conduisent cependant à admettre l’existence d’une obliga- tion contractuelle dans ce sens.”29 C’est donc bien l’inexécution d’une obligation contractuelle qui entraîne la responsabilité de la fiduciaire envers son client, illus- trant une fois de plus30 que la responsabilité fondée sur la confiance revient bien souvent à interpréter les conventions selon le principe de la confiance et donne lieu à une responsabilité, très classique, fondée sur les art. 97 ss CO.

ii) L’arrêt du Tribunal fédéral du 2 avril 2007 retient la responsabilité d’une banque qui, en-dehors de tout mandat de gestion, n’avait pas attiré l’attention de ses clients – un carreleur à la retraite et son épouse qui n’avait pas exercé d’activité professionnelle – sur la concentration excessive de leurs risques résultant d’une position en actions Vivendi Universal à hauteur de 17% dans un portefeuille re- présentant un peu plus de CHF 600 000.–31. L’arrêt repose sur la violation d’une obligation de conseil et de mise en garde sans préciser avec toute la clarté sou- haitable la base légale retenue parmi les divers fondements qu’il répète scrupu- leusement32. Le fait déterminant pour la naissance de l’obligation de conseil et de mise en garde à laquelle la banque avait failli, et qui n’avait pas été expressément convenue, est ici “l’existence d’un rapport particulier de confiance” qui résulte des rencontres régulières entre des clients totalement inexpérimentés en matière financière et un collaborateur de la banque avec lequel ils discutaient de la com- position de leur portefeuille.

D. La législation boursière : l’art. 11 de la loi sur les bourses

L’art. 11 al. 1, lettre a, LBVM met à la charge du négociant en valeurs mobilières un devoir d’information à l’égard de ses clients : “il les informe en particulier sur

29 Ibidem, c. 4.2.2.

30 Voir aussi l’ATF 133 III 97 commenté supra sous I.B.2 ii).

31 ATF 4C.385/2006 du 2 avril 2007, reproduit très partiellement à la SJ 2007 I 499.

32 Ibidem, c. 2.2 : en cas d’instructions ciblées, il “n’y a de devoir d’information que dans des situa- tions exceptionnelles, soit lorsque la banque, en faisant preuve de l’attention requise, a reconnu ou aurait dû reconnaître que le client n’a pas identifié un danger lié au placement, ou lorsqu’un rapport particulier de confiance s’est développé dans le cadre d’une relation d’affaires durable entre le client et la banque, en vertu duquel le premier peut, sur la base des règles de la bonne foi, attendre conseil et mise en garde même s’il ne formule pas de demande dans ce sens. Ces devoirs d’information et de conseil peuvent découler des obligations de diligence et de fidélité ancrées dans les règles du mandat (art. 398 al. 2 CO), de l’art. 11 de la Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières, ou encore du principe de la confiance (art. 2 CC) ; ils tendent de manière uniforme à la sauvegarde loyale des intérêts d’autrui.”

(14)

les risques liés à un type de transactions donné”. La doctrine a d’emblée relevé la double nature de ce devoir, qui d’une part concrétise la garantie d’une activité irréprochable33, condition de droit public à l’obtention et au maintien de l’autori- sation à exercer l’activité de négociant, et qui en même temps oblige le négociant

“envers ses clients”, créant (ou confirmant) par là une obligation de droit civil34. L’intérêt de l’obligation civile tient notamment en ce qu’elle s’applique à la relation contractuelle entre le client et le négociant indépendamment de sa qualification (gestion, conseil, commission d’achat ou de vente ou simple vente). L’objet de cette obligation est cependant restreint puisqu’il s’agit d’informer (et non de conseiller) et que l’information due porte sur les risques d’une catégorie (“type”) de transac- tions, et non sur une transaction spécifique.

Autant les sages de Mon Repos ont-ils montré de l’empressement à explorer les sables mouvants de certaines théories doctrinales allemandes – Vertrauenshaf- tung, gesetzliche Schutzpflichten ohne primäre Leistungspflicht… – , autant ils ont éprouvé de la réticence à examiner les effets de droit civil d’une base légale claire adoptée par le législateur suisse en 1995. Pendant des années, l’art. 11 LBVM n’a fait l’objet que de mentions en passant.

Ce n’est que dans ses trois principaux arrêts de 2007 que le Tribunal fédéral l’a regardé de plus près35. Admettant enfin clairement la double nature juridique de l’art. 11 LBVM et donc son applicabilité aux litiges civils, le Tribunal fédéral a jus- tement retenu que l’art. 11 LBVM oblige le négociant en valeurs mobilières à in- former son client sur la structure de risques d’un type de transaction ou de place- ment particulier, mais pas sur une transaction ou un placement en particulier36. Le négociant peut s’exécuter soit de manière standardisée, en remettant des bro- chures ou des notices d’information ; dans ce cas, il doit s’adresser à un client dont le degré d’expérience et de connaissances est objectivement bas. Lorsqu’il accom- plit ce devoir de manière individualisée, le négociant doit établir l’expérience et les connaissances particulières de chaque client en se renseignant conformément à l’art. 11 al. 2 LBVM37. L’art. 11 LBVM impose un devoir d’information mais pas une obligation du négociant de se prononcer sur l’adéquation d’un instrument particulier aux besoins de son client.

33 Art. 10 al. 2, lettre d, LBVM, reprenant pour les négociants la formule célèbre de l’art. 3 al. 1, lettre c, de la loi sur les banques et les caisses d’épargne (LB).

34 Urs Zulauf, “Les règles de conduite des négociants dans la nouvelle loi suisse sur les bourses”, in Journée 1995 de droit bancaire et financier, Berne : Stämpfli, 1995, p. 25 ss ; Luc Thévenoz, “Les règles de conduite des négociants”, RSDA 1997 Numéro Spécial, p. 20 ss.

35 ATF 133 III 97, c. 5 ; ATF 4C.205/2006, c. 3.3, SJ 2007 I 313 ; ATF 4C.385/2006, c. 4.2.2., repro- duit très partiellement à la SJ 2007 I 499.

36 ATF 4C.205/2006, c. 3.3, SJ 2007 I 315.

37 ATF 4C.385/2006, c. 4.2.2.

(15)

Dans les trois arrêts où le TF articule clairement ses vues sur l’art. 11 LBVM, celui-ci ne sert pas de fondement à la décision.

A l’inverse, la Commission fédérale des banques a prononcé plusieurs dé- cisions où elle ordonne des mesures administratives ou prononce un blâme en raison de la violation par un négociant en valeurs mobilières du devoir d’infor- mation statué par l’art. 11 LBVM38. A ce jour, il faut donc bien admettre que cette base légale a porté plus de fruits dans la pratique administrative de l’autorité de surveillance que dans la jurisprudence civile.

E. Autoréglementation : Les Règles de conduite pour négociants de l’ASB Au vu du peu d’intérêt du Tribunal fédéral pour l’art. 11 LBVM, on ne sera pas étonné du très peud’attention que les tribunaux civils ont accordé jusqu’ici aux Règles de conduite pour négociants en valeurs mobilières applicables à l’exécution d’opérations sur titres. Adoptées par l’Association suisse des banquiers le 22 jan- vier 1997 et actuellement en cours de révision, ces Règles de conduite sont consi- dérées par la Commission fédérale des banques “comme standards minimaux pour [leurs] destinataires” dont les réviseurs vérifient le respect qu’ils attestent dans leur rapport d’audit39. Cette autoréglementation concrétise l’art. 11 LBVM pour tous les négociants (y compris ceux qui n’ont pas le statut de banque).

La seule mention qu’en fait le Tribunal fédéral met en question (sans la tran- cher) la validité de la présomption énoncée à l’art. 3 al. 2 de ces Règles selon laquelle

“le négociant peut en principe admettre que chaque client connaît les risques ha- bituellement liés à l’achat, à la vente et à la détention de valeurs mobilières.”40 On relèvera d’ailleurs que, comme pour les directives de l’ASB relatives au mandat de gestion41, le Tribunal fédéral – qui considère que les Règles de conduite ASB “ne lient pas le juge civil mais peuvent le guider dans l’appréciation des mo- dalités du devoir d’information”42 – ne s’est à juste titre pas soucié du quatrième

38 Bull. CFB 35/1998 13 ; Bull. CFB 49/2006 81, Rapport CFB 2005, p. 46. L’art. 11 LBVM a par ailleurs également servi de fondement juridique pour sanctionner certaines pratiques de marché considérées comme abusives (cours coupés, snake trading, etc.).

39 Circ.-CFB 04/2 Normes d’autorégulation reconnues comme standards minimaux du 21 avril 2004, c.m. 1 & 2.

40 ATF 4C.385/2006 du 2 avril 2007, c. 4.2.3 non reproduit dans SJ 2007 I 499, citant une critique formulée par Benoît Chappuis / Franz Werro, “Le devoir d’information de l’article 11 LBVM et son rôle en droit civil à la lumière des Règles de conduite de l’ASB”, PJA 2005, p. 560 ss, p. 569.

41 Comme les Règles de conduite ASB, les Directives concernant le mandat de gestion de fortune du 21 décembre 2005 sont des règles d’autorégulation adoptées par l’Association suisse des ban- quiers reconnues par la CFB comme standards minimaux (Circ. CFB 04/2) dont les sociétés d’audit doivent vérifier le respect (Circ. CFB 05/1 et 05/2).

42 ATF 4C.385/2006 du 2 avril 2007, c. 4.2.3.

(16)

alinéa du préambule de ces règles selon lequel celles-ci “n’affectent pas les relations de droit privé entre les négociants en valeurs mobilières et leurs clients.” Dans la mesure où les Règles de conduite ASB ont pour objet explicite de “concrétiser les devoirs d’information, de diligence et de loyauté prévus par l’art. 11 de la loi sur les bourses”43, qui sont des devoirs statués à l’égard et en faveur du client du né- gociant, justiciable des tribunaux civils autant que des autorités administratives, on voit mal comment de telles règles de comportement pourraient être privées de tout effet civil. L’Association suisse des banquiers a d’ailleurs renoncé à ce passage du préambule dans la révision en cours de ses Règles.

Même si les Règles de conduite ASB, adoptées sans mandat législatif par une organisation professionnelle représentative des négociants assujettis à la loi sur les bourses, n’ont jusqu’ici pas connu de véritable consécration jurisprudentielle, l’Association suisse des banquiers marque une grande prudence dans leur révi- sion, qui a commencé il y a plus de trois ans. Il appartiendra à la Commission fédérale des banques de décider si les règles révisées expriment un standard mi- nimum qui oblige tous les négociants ou si elles se situent en dessous des attentes de l’autorité de surveillance chargée du mandat légal de veiller au respect de la loi sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières44.

II. Tour d’horizon : quelle suitability ?

Il est regrettable que la phrase la plus remarquée par les commentateurs de l’ATF 133 III 97 fut la suivante :

“La doctrine anglo-américaine de la suitability, qui a fait son entrée dans la légis- lation de la Communauté européenne, n’a, selon la doctrine pertinente, pas été reprise dans la loi sur les bourses.”45

La phrase qui suit est au moins aussi intéressante, notamment pour la jurispru- dence civile, et elle correspond au raisonnement appliqué par les juges fédéraux au cas d’espèce pour apprécier la responsabilité de la banque :

“Une partie de la doctrine affirme cependant que le négociant en valeurs mobi- lières qui distribue activement des valeurs mobilières doit se renseigner sur et conseiller son client sur la suitability, cette obligation ne découlant cependant pas directement de l’art. 11 LBVM, mais soit de la conclusion d’un contrat de

43 Chiffre 2 du préambule des Règles de conduite ASB.

44 La Commission fédérale des banques a exposé son approche de l’autoréglementation dans un rapport intitulé L’autorégulation dans le secteur financier suisse (Rapport de la CFB sur l’autorégulation) de juillet 2007, www.ebk.admin.ch/f/publik/medienmit/20070704/20070704_02_f.pdf.

45 ATF 133 III 97, c. 5.2 in fine (traduction de l’auteur).

(17)

conseil par actes concluants, soit d’une adaptation de la LBVM au droit de l’Union européenne.”46

Cette deuxième phrase pose précisément le cadre dans lequel les juges fédéraux ont apprécié le comportement de la banque au cas d’espèce, retenant une véri- table obligation de conseil à charge de la banque dont celle-ci s’était effectivement acquittée avec diligence, l’exonérant ainsi de toute responsabilité pour les pertes subies par le client47. Car la suitability n’est, en substance, rien d’autre qu’un ju- gement du prestataire de services financiers sur l’adéquation d’un placement aux besoins de son client.

Le mot suitability reste cependant une forme de slogan, ou plutôt un spectre brandi en Suisse pour mettre en garde contre les errements de la réglementation dans d’autres juridictions et contre les coûts et la responsabilité qu’elle impose aux négociants en valeurs mobilières. Il convient de définir plus précisément ce que le mot désigne, dans le droit des securities étatsunien, où il est apparu, et dé- sormais en droit européen, où la MiFID l’a consacré dans des limites précises.

A. Le prophète : les Etats-Unis d’Amérique

L’obligation des négociants en titres américains de s’assurer de l’adéquation de leurs recommandations aux clients à qui ils s’adressent est une concrétisation du devoir légal de fair dealing par voie d’autorégulation. La Rule 2310 Recommen- dations to Customers (Suitability), émise à l’origine par la National Securities Dealers Association (NASD), est désormais administrée et mise en œuvre par la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA), qui résulte de la fusion en juillet 2007 de la NASD et des fonctions de réglementation, mise en œuvre et arbitrage du New York Stock Exchange48. Dans son état actuel, la Rule 2310 a la teneur suivante :

“(a) In recommending to a customer the purchase, sale or exchange of any secu- rity, a member shall have reasonable grounds for believing that the recommenda- tion is suitable for such customer upon the basis of the facts, if any, disclosed by such customer as to his other security holdings and as to his financial situation and needs.

(b) Prior to the execution of a transaction recommended to a non-institutional customer, other than transactions with customers where investments are limited

46 Ibidem.

47 Cf. la discussion de l’ATF 133 III 97 supra page 25, sous I.B.2 ii).

48 Avec 3000 collaborateurs, FINRA surveille les activités de 5000 entreprises d’investissement et 672 000 personnes physiques. Cf. www.finra.org/AboutFINRA/CorporateInformation/index.

htm.

(18)

to money market mutual funds, a member shall make reasonable efforts to obtain information concerning :

(1) the customer’s financial status ; (2) the customer’s tax status ;

(3) the customer’s investment objectives ; and

(4) such other information used or considered to be reasonable by such mem- ber or registered representative in making recommendations to the customer.

(c) For purposes of this Rule, the term ‘non-institutional customer’49 shall mean a customer that does not qualify as an ‘institutional account’ under Rule 3110(c)(4).”

La Rule 2310 exprime un aspect important du devoir des entreprises d’investis- sement de traiter équitablement (fair dealing) avec leurs clients privés ou institu- tionnels. Elle requiert du négociant qui recommande une transaction financière (autre qu’un fonds de placement réglementé) que ce négociant ait des motifs rai- sonnables de considérer que la recommandation est appropriée aux besoins du client tels qu’ils sont déterminés par le négociant sur la base de faits communi- qués par son client relativement, notamment, à sa situation financière et fiscale et ses objectifs d’investissement. Les connaissances et l’expérience du client ne sont pas pertinentes : il ne s’agit pas de déterminer si le client comprend les risques des transactions recommandées, mais si ces transactions sont appropriées pour le client.

La Rule 2310 attache l’obligation de suitability à une “recommandation”, indé- pendamment de la qualification du contrat entre le négociant et son client et indé- pendamment d’éventuelles obligations fiduciaires (fiduciary duties) du négociant à l’égard de son client. A contrario, elle ne se rapporte pas à une transaction faite spontanément par le client sans recommandation du négociant50.

Outre les sanctions disciplinaires que la FINRA peut prononcer en cas de vio- lation de la suitability rule, sa violation peut justifier l’intervention de la SEC ainsi qu’une responsabilité en dommage-intérêts, notamment sur la base de la Rule 10b-551.

49 La règle IM-2310-3 Suitability Obligations to Institutional Customersdiscute spécifiquement les obligations correspondantes relatives à des clients institutionnels.

50 La notion de recommendation est controversée. Pour quelques éléments de réponse, cf. Lewis D.

Lowenfels / Alan R. Bromberg, “Suitability in Securities Transactions”, in The Business Lawyer, vol. 54, no 4, 1999 ; NASD Notice to Members 96/60 disponible via www.finra.org/web/groups/

rules_regs/documents/notice_to_members/p016905.pdf.

51 Fondée sur la section 10(b) du Securities Exchange Actde 1934, la SEC Rule 10b-5 Employment of manipulative and deceptive devices, 17 Code of Federal Regulation § 240.10b-5, dispose :

“It shall be unlawful for any person, directly or indirectly, by the use of any means or instru- mentality of interstate commerce, or of the mails or of any facility of any national securities exchange,

(a) To employ any device, scheme, or artifice to defraud,

(19)

B. Le converti : l’Union européenne

Les trois devoirs d’information, de diligence et de loyauté inscrits en 1995 dans l’art. 11 LBVM sont directement inspirés de l’art. 11 de la directive européenne sur les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières de 1993 (DSI)52. Au 1er novembre 2007, la DSI a été abrogée et remplacée par la MiFID, la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés financiers53.

1. Suitability et appropriateness dans la directive sur les marchés d’instruments financiers

La MiFID, dont l’objectif supérieur est la réalisation d’un véritable marché unique des services d’investissement en valeurs mobilières, vise explicitement à protéger

(b) To make any untrue statement of a material fact or to omit to state a material fact necessary in order to make the statements made, in the light of the circumstances under which they were made, not misleading, or

(c) To engage in any act, practice, or course of business which operates or would operate as a fraud or deceit upon any person, in connection with the purchase or sale of any security.”

Voir notamment, Banca Cremi v. Alex Brown 132 F 3d 1017 (4th Cir. 1997) et la jurisprudence citée p. 1032 de l’arrêt.

52 Directive 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993 concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières, JOCE 1993 L 141/27, dont l’art. 11, 1er par. se lit ainsi : “1. Les Etats membres établissent des règles de conduite que les entreprises d’investissement sont te- nues d’observer à tout moment. Ces règles doivent mettre à exécution au moins les principes énoncés aux tirets figurant ci-dessous et doivent être appliquées de manière à tenir compte de la nature professionnelle de la personne à laquelle le service est fourni. Les Etats membres appliquent également ces règles, lorsque cela s’avère approprié, aux services auxiliaires visés à la section C de l’annexe. Ces principes obligent l’entreprise d’investissement :

– à agir, dans l’exercice de son activité, loyalement et équitablement au mieux des intérêts de ses clients et de l’intégrité du marché,

– à agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent, au mieux des intérêts de ses clients et de l’intégrité du marché,

– à avoir et à utiliser avec efficacité les ressources et les procédures nécessaires pour mener à bonne fin ses activités,

– à s’informer de la situation financière de ses clients, de leur expérience en matière d’investisse- ment et de leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés,

– à communiquer d’une manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec ses clients,

– à s’efforcer d’écarter les conflits d’intérêts et, lorsque ces derniers ne peuvent être évités, à veiller à ce que ses clients soient traités équitablement,

– à se conformer à toutes les réglementations applicables à l’exercice de ses activités de manière à promouvoir au mieux les intérêts de ses clients et l’intégrité du marché.”

53 Cf. note 6.

(20)

les investisseurs en même temps qu’elle reconnaît que les “mesures destinées à protéger les investisseurs doivent être adaptées aux particularités de chaque caté- gorie d’investisseurs (clients de détail, professionnels et contreparties).”54 On trouve désormais à l’art. 19 MiFID, reproduit ci-après à l’annexe III, les

“règles de conduite pour la fourniture de services d’investissement à des clients”

que les Etats membres sont tenus de transposer dans leur législation. Ce sont les paragraphes 3 à 6 de l’art. 19 MiFID qui nous intéressent ici, lesquels sont concré- tisés par les art. 31 à 38 d’une directive dite “de deuxième niveau”, la directive 2006/73/CE adoptée par la Commission européenne le 10 août 200655 dans le cadre de la délégation législative figurant à l’art. 19(10) MiFID.

Les obligations des entreprises d’investissement envers leurs clients varient suivant la nature du service fourni. Un bref tableau permet de résumer ces obli- gations.

MiFID Services fournis

Obligation de l’entreprise d’investissement

Know your customer Directive 2006/73/CE Art. 19(3) :

Tous services d’investissement

informer sur l’entreprise, ses services, les instruments et stratégies proposés (y compris risques inhérents), les systèmes d’exécution, coûts et frais

aucune Art. 31 à 34

Art. 19(4) : Conseil en investissement Gestion de portefeuille

recommander les services d’investissement et les instruments financiers qui conviennent (anglais : suitable) au client

se procurer les

informations nécessaires sur ses connaissances et son expérience relatives au type spécifique de produit, sa situation financière, et ses objectifs d’investissement

Art. 35 & 37

Art. 19(5) :

Autres services déterminer si le service ou produit envisagé convient (anglais : appropriate) au client

demander au client des informations sur les connaissances et l’expérience relatives au type de produit

Art. 36 & 37

Art. 19(6) : Réception, transmission, exécution d’ordres

exemption de l’art. 19(5),

à certaines conditions aucune Art. 38

54 C. 31 MiFID.

55 Directive 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d’exécution de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive, JOCE 2006 L 241/16.

(21)

L’art. 19(3) MiFID correspond, par son contenu, au devoir d’information statué par notre art. 11 al. 1, lettre a, LBVM. Cependant, le contenu de cette information tel que précisé aux art. 31-34 de la directive 2006/73/CE, va sensiblement au-delà de ce qui résulte de l’interprétation actuelle de notre loi sur les bourses et des Règles de conduite pour négociants ASB. Point commun aux dispositifs suisse et communautaire, cette information spontanée est due même lorsque le client prend l’initiative de donner des ordres que l’entreprise d’investissement ne fait qu’exécuter.

Les art. 19(4) et (5) MiFID règlent des devoirs qui ne figurent pas à notre art. 11 LBVM. La législation communautaire distingue ici la suitability de l’art. 19(4) MiFID de l’appropriateness statué à l’art. 19(5) MiFID. La suitability ne s’applique qu’au conseil en investissement et à la gestion de portefeuille : elle oblige le pres- tataire de services à se procurer les informations nécessaires pour déterminer si le produit ou la stratégie proposés conviennent non seulement aux connaissances et à l’expérience de son client, mais aussi à sa situation financière et à ses ob- jectifs d’investissement. L’appropriateness de l’art. 19(5) MiFID concerne d’autres services56 – négociation pour compte propre, placement d’instruments financiers avec ou sans prise ferme – pour lesquels les obligations de l’entreprise d’inves- tissement sont naturellement moins étendues : elles portent sur l’adéquation des produits et services proposés aux connaissances et à l’expérience indiquées par le client et ne prennent pas en considération la situation financière et les objectifs d’investissement du client. La transmission et l’exécution d’ordres sont dispen- sées de cette dernière obligation aux conditions restrictives énoncées à l’art. 19(6) MiFID.

Suitability et appropriateness se distinguent, dans la législation communau- taire, par les attributs du client que l’entreprise d’investissement doit prendre en considération pour déterminer si un produit financier ou un service convient à ce client57. L’appropriateness de l’art. 19(5) MiFID se limite aux connaissances et à l’expérience du client ; la suitability de l’art. 19(4) MiFID inclut en outre sa situation financière et ses objectifs d’investissement. Les deux alinéas se dis- tinguent également quant à l’intensité du devoir de se renseigner sur le client : la suitability exige que l’entreprise d’investissement se procure les informations nécessaires ; l’appropriateness se contente que l’entreprise d’investissement inter- roge son client et l’informe si les informations reçues sont insuffisantes pour dé- terminer le caractère approprié du produit ou du service.

56 La liste des services d’investissement et des services auxiliaires figure à l’annexe I de la MiFID.

57 Malheureusement, le texte authentique français de la directive (comme d’ailleurs les textes alle- mand et italien) n’utilise pas deux adjectifs différents pour ces deux concepts distincts, de sorte que je continuerai à employer la terminologie anglaise de la directive.

(22)

2. Comparaison avec le droit suisse

L’art. 19(4) MiFID énonce une obligation de suitability qui résulte nécessairement de la nature des services visés, à savoir la gestion de portefeuille et le conseil en investissements. Qu’il soit ou non soumis à un régime d’autorisation et de sur- veillance prudentielle, le prestataire qui gère le portefeuille du client ou conseille le client en matière d’investissements promet expressément ou implicitement d’ef- fectuer (gestion) ou de recommander (conseil) des transactions qui sont appro- priées aux besoins du client tels que déterminés par la situation financière, les objectifs d’investissement, ainsi que les connaissances et l’expérience de ce der- nier en matière financière. Pour cela, le prestataire a l’obligation de se procurer les informations nécessaires à établir les paramètres susmentionnés.

La principale différence entre le droit suisse et le droit communautaire tient au fait que la question relève, en droit suisse, de l’interprétation du contrat, exprès ou implicite, de gestion ou de conseil noué entre le client et son conseiller en place- ment ou son gérant de fortune, que celui-ci soit ou non un établissement soumis à la loi sur les bourses ou à la loi sur les banques.

En matière de contrat de conseil, la jurisprudence suisse n’a pas plus d’une année et se limite pour le moment à exiger des mises en garde du mandataire.

Bien plus ancienne et établie, la jurisprudence suisse relative au mandat de ges- tion pose la question en termes d’opérations déraisonnables et d’opérations qui ne sont pas couvertes par la politique de gestion convenue avec le mandant58, ce qui est une manière négative et restrictive d’apprécier le caractère approprié des actes de gestion. De manière significative, les directives ASB sur le mandat de gestion adoptent une approche également étroite en se bornant à exiger de la banque qu’elle choisisse “avec soin les placements qui figureront dans le dépôt du client” et en énonçant quelques autres principes (opérations bancaires ordinaires, éviter une concentration anormale des risques, caractère aisément négociable des placements, interdiction de rendre le compte débiteur) sous réserve de tout accord contraire du client.

On peut donc conclure que, s’il était intégré au droit suisse, l’art. 19(4) MiFID établirait un standard de diligence dans le choix des transactions effectuées plus exigeant que l’interprétation actuellement consacrée en Suisse du contrat de ges- tion de fortune, que celle-ci soit effectuée par une banque, par un négociant en valeurs mobilières ou par un gérant indépendant non soumis à un régime de sur- veillance prudentielle.

La différence est plus marquée encore en ce qui concerne les autres services visés à l’art. 19(5) MiFID. Le droit européen se distingue du droit suisse en exi-

58 ATF 115 II 62, JdT 1989 I 539 ; ATF du 5 mai 1994, SJ 1994 729 ; ATF du 15 septembre 2004, 4C.126/2004.

(23)

geant du prestataire de services d’investissement qu’il propose des produits que le client est en mesure de comprendre en fonction des connaissances et de l’expé- rience financières que le client a fait connaître au prestataire. Si les produits offerts ou sollicités ne paraissent pas convenir à l’expérience et aux connaissances du client ou si le prestataire n’a pas pu établir cette expérience et ces connaissances, le prestataire doit en avertir le client. Le prestataire ne peut renoncer à cette dé- termination ou à cet avertissement que si c’est le client qui a pris l’initiative de la transaction, et encore pour autant “que celui-ci n’en fasse pas la demande à la suite d’une communication personnalisée [du prestataire] qui l’invite ou tente de l’in- viter à s’intéresser à un instrument financier ou à une transaction donnés.”59 Les conditions auxquelles l’intermédiaire financier peut renoncer à se renseigner sur l’expérience et les connaissances de son client et à se déterminer sur le caractère approprié d’un produit au regard de celles-ci paraissent donc bien plus étroites qu’en droit suisse. En effet, les contrats qui caractérisent les services visés par l’obligation d’appropriateness de l’art. 19(5) MiFID ne sont pas actuellement in- terprétés, par la doctrine ou les tribunaux suisses, comme imposant au négociant qui place des titres dans le public ou qui les achète et les vend pour son propre compte une obligation comparable à celle statuée par la MiFID. L’art. 11 LBVM, qui s’applique également à ces contrats, ne va pas au-delà du devoir d’information au sens défini plus haut (supra I. D).

III. (Re)trouver le système du droit suisse

Comparaison n’est pas raison. La Suisse a choisi de rester pour l’instant hors de l’Union européenne et de ne pas se lier par un accord bilatéral sur les services, qui l’obligerait à conformer sa législation à la MiFID comme à bien d’autres di- rectives. Mais ce bref parcours des sources traditionnelles (Etats-Unis) et récentes (Union européenne) relatives aux obligations d’information, de conseil et de mise en garde des prestataires de services en matière de valeurs mobilières nous invite à retrouver le système du droit suisse, malheureusement rendu confus par la diffi- culté d’articuler entre eux un régime prudentiel (directives ASB sur le négoce des valeurs mobilières et sur la gestion de fortune) et un régime purement contrac- tuel. Cette confusion est aggravée par une jurisprudence fédérale qui abuse par- fois du traitement de texte pour copier-coller de longs considérants peu clairs pour servir de fondement à des solutions d’espèce généralement satisfaisantes, mais que l’observateur attentif a le plus grand mal à réinsérer dans la systéma- tique du droit suisse.

59 Chiffre 30 du préambule de la directive 2004/39, explicitant la ratio legis de l’art. 19(6) MiFID.

Références

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