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Epistémologie de la géographie humaine

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Epistémologie de la géographie humaine

RAFFESTIN, Claude, LÉVY, Bertrand

RAFFESTIN, Claude, LÉVY, Bertrand. Epistémologie de la géographie humaine. In: Bailly Antoine. Les concepts de la géographie humaine . Paris : Armand Colin, 1998. p. 25-36

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4463

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Épistémologie de la géographie humaine*

Claude Raffestin** et Bertrand Lévy*** * Révision du chapitre de Raffestin C. et Turco A.

de la troisième édition.

** Professeur à l'Université de Genève.

*** Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève.

elon J. Piaget1, L'épistémologie1 est « l'étude de la constitution des connaissances valables, le terme de « constitution » recouvrant à la fois les conditions d'accession et les conditions proprement constitutives ». Dans cette définition interviennent plusieurs critères : la validité, la pluralité des connaissances, le caractère processuel des connaissances et le rapport du sujet et de l'objet dans la structuration des connaissances.

1. Des interrogations épistémologiques

Il est, sans doute, provocateur de se référer à J. Piaget pour intro- duire l'épistémologie de la géographie puisque cet auteur n'a réservé aucune place à la discipline géographique dans ses travaux d'épistémologie! Est-ce oubli, lacune ou ostracisme délibéré? Seul J. Piaget lui-même aurait pu répondre à cette question. En fait, il a implicitement donné la réponse par sa tentative de classification cyclique3 des sciences qui exclut les sciences pluridisciplinaires. Autrement dit, pour J. Piaget, il n'y a pas d'épistémologie de la géographie mais une épistémologie de chacune des sciences que mobilise la connaissance géogra- phique. Cependant, toute classification des sciences de Bacon à J. Piaget, en passant par Ampère, Spencer, Comte et Cournot n'est jamais qu'un système conventionnel, finalement trop fragile, nous semble-t-il, pour condamner la géographie à un déni épistémologique.

J. Piaget, influencé par l'esprit encyclopédique du XVIIIe siècle, s'est laissé enfermer dans la conception kantienne de la géogra- phie qui confine à une description de l'espace et qui n'a guère favorisé une explicitation épistémologique car la géographie est longtemps restée figée, ne suscitant pas un changement de para- digme qui aurait remis en question concepts, méthodes et modèles. En effet, il convient de s'entendre car il n'y a « absence »

1. Piaget J., 1967, Logique et connaissance scientifique, Gallimard, Paris.

2. Épistémologie.

3. Voir Piaget J., 1967, op.

cit., p. 1187 sq.

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4. Activité autoréférentielle : par laquelle une discipline s'interprète elle-même;

une communauté scientifique définit son identité et son domaine de recherche d'une manière autonome sans recours à une norme abstraite mais à travers les pratiques de ses membres.

5. Cf.BaillyA. et Ferras R., 1997, La géographie à la recherche de son statut, Eléments d'épistémologie de la géographie, A. Colin, Paris, p. 33-35.

6. Kant E.,1923, Logik, Physische Géographie, Pedagogik, Berlin und Leipzig, Band IX.

7. Febvre L, 1922, La terre et l'évolution humaine, La Renaissance du livre, Paris. Hartshorne R., 1959, Perspective on the nature of geography, Rand MacNally, Chicago.

8. Claval P., Les mythes fondateurs des sciences sociales, PUF, Paris.

Capel H., Filosofia y cienca en la Geografia contemporanea, Barcanova, Barcelone.

Épistémologie et histoire de la géographie humaine

d'épistémologie géographique que dans le sens où l'activité autoréférentielle4de la discipline considérait comme non perti- nente la réflexion explicite sur les conditions de production et sur les procédures de vérification et de légitimation du savoir géographique. Bien évidemment, cela ne signifie pas que la géographie, dans le passé, a été privée d'une problématique épis- témologique puisqu'elle avait des objectifs de connaissance, des modalités d'acquisition et d'organisation des données observées, des procédures de contrôle des résultats acquis et tous les éléments nécessaires et suffisants pour stimuler des interroga- tions sur la nature, la forme, le contenu et la stabilité de son statut. Cette question est évoquée par A. Bailly et R. Ferras5 dans leur ouvrage récent.

Pourtant on est en droit de s'étonner que cette explicitation n'ait pas eu lieu plus tôt dans la mesure où la géographie a été très liée à la philosophie à partir de la «révolution kantienne».

E. Kant n'a pas craint de consacrer une partie de son œuvre à la géographie mais, à le lire, on est autorisé à se demander si la pluridisciplinarité, que dénonce J. Piaget à propos de la disci- pline géographique, ne plonge pas ses racines dans les exposés du philosophe du Königsberg6. Davantage même, E. Kant ne serait-il pas, paradoxalement, le grand inhibiteur de la réflexion épistémologique en géographie, en raison même du découpage qu'il a adopté? La question demeure ouverte.

Néanmoins, il fallait la poser car les interrogations épistémo- logiques ont tardé à venir ou plus exactement si elles sont présentes dans quelques grands livres7, elles sont masquées par des préoccupations, exprimées dans des discours normatifs, relatives à l'identité objectale de la géographie. Comment cela s'est-il passé puisque, malgré tout, la géographie a longtemps tenu une place honorable dans les sciences de l'homme, comme l'ont démontré P. Claval et H. Capel3, participant même aux grands mouvements culturels de l'Occident et proposant des projets parcourus par de fortes et originales tensions éthico- scientifiques.

Sans doute, faut-il revenir à E. Kant dont les idées, à travers le positivisme de Comte et la pensée de Cournot, ont transité par Levasseur, qui a emprunté la dichotomie nature/culture, pour parvenir, en termes néokantiens, jusqu'à P. Vidal de la Blache.

Celui-ci, peu préoccupé par les interrogations épistémologi- ques, a entraîné la géographie classique sur la voie éclectique.

Les conséquences les plus directes et les plus graves ont été une série de contradictions et l'impossibilité d'assigner un objet précis et rigoureux à la géographie.

2. La révolution qualitative contemporaine

Pour E. Dardel, géographe-historien qui possédait une remar- quable culture philosophique, la géographie s'apparentait à une

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Épistémologie de la géographie humaine

« science-limite, comme la psychologie et l'anthropologie, une science dont l'objet reste, dans une certaine mesure, inaccessible, parce que le réel dont elle s'occupe ne peut être entièrement objectivé9». La géographie humaine, avec le renouveau culturel et humaniste qui la caractérise depuis deux décennies, pose différemment la question de sa scientificité par rapport aux années 1970, quand son caractère instrumental nouveau ou son héritage classique manquait de bases théoriques et de rigueur conceptuelle. Depuis lors, la géographie, en s'intéressant aux deux autres versants de la connaissance que sont l'éthique et l'esthétique, s'est plutôt muée en Wissenschaft, connaissance au sens allemand des relations de l'homme à l'espace et au monde plutôt qu'en science positive, dont elle a toujours eu du mal à respecter les critères néokantiens10.

Cette ouverture de la discipline qui se traduit par un enri- chissement thématique inégalé ne doit pas masquer certaines faiblesses méthodologiques. Dès l'instant où la géographie pénètre le monde du symbolique, celui de la littérature, des croyances, des comportements par exemple, elle devient une science de l'interprétation du monde11, voire un commentaire. Elle revendique toujours un caractère de synthèse, de synthèse partielle et formant un tout pour l'esprit. Cette conception de la science est éloignée de celle dérivée des sciences naturelles et qui avait marqué le courant quantitativiste, accusé de réduc- tionnisme. W. Bunge appelait cette dernière une science

«parcimonieuse» ou minimale fondée sur des lois géométri- ques et qui sous-estimait les facteurs humains et historiques.

Pour éviter cet écueil de la fragmentation dû à la logique analy- tique pure, la géographie humaine contemporaine doit veiller à l'unité de la discipline et ne plus dichotomiser des catégories telles que technique et culture, savoir-faire et savoir, pratique et théorie.

Avant de définir sa méthodologie11, la géographie doit impéra- tivement se constituer une problématique12'. La problématique, c'est la façon d'envisager les problèmes, de poser les questions pertinentes, selon une vision du monde et un système de réfé- rences clairement explicité, à l'aide d'une méthodologie dirigée vers une intentionnalité. La géographie non problématisée conduit soit à un discours sans structure ni intention claire, donc à pouvoir organisationnel faible, soit à un discours répétitif et acritique, qui a marqué une partie de la géographie descriptive.

Une problématique rigoureuse est d'autant plus exigée que le monde des symboles, contrairement à celui des concepts, revêt des significations équivoques.

Le passage de l'ère du quantitatif à l'ère du qualitatif a été à la fois influencé par l'esprit du temps, sa préoccupation de qualité de vie notamment, que par les progrès freinés de la géographie purement quantitative et modélisatrice. Les approches structuraliste et sémiotique se sont comme cristalli- sées avec le temps; les structuralistes se font d'ailleurs fort

9. Dardel E., 1952, L'Homme et la Terre, PUF, Paris, p. 124.

10. Critères néokantiens de la science ; l'explicitation totale des procédures d'analyse; la preuve de la validité des résultats par la non- falsifïcation; la généralisation possible des résultats indépendamment des conditions d'espace, de temps et de société; la prédiction des résultats.

11. Science de l'interprétation du monde.

12. Méthodologie : façon d'organiser son langage en un système cohérent et doté d'une intentionnaiité, à l'articulation de la théorie et de l'acquisition des résultats.

13. La problématique.

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14. Morley D. et Robins K., 1995, Spaces ofidentity.

Global media, electronic landscapes and cultural boundaries, Routledge, Londres.

15. Cf. Raffestïn C., Réinventer l'hospitalité, Communications, 65, 1997, p. 165-176.

16. RitterJ., 1997, Paysage.

Fonction de l'esthétique dans la société moderne, Éd. de l'Imprimeur, Besançon, trad.de l'allemand.

17. Beguin F., 1995, Le paysage, Flammarion/Dominos, Paris.

Berque A., 1995, Les raisons du paysage, Hazan, Paris.

Roger A., 1997, Court traité du paysage, Gallimard, Paris.

18. Géographie et littérature : Brosseau M., 1996, Des romans-géographes.

L'Harmattan, Paris.

Lévy B., 1997, Géographie humaniste, géographie culturelle et littérature. Position épistémologique et méthodologique, Géographie et Cultures, 21, p. 27-44.

Voir aussi la nouvelle revue Geografia e Letteratura de l'Université de Feltre (Italie) animée par F.

Lando, M. de Fanis et F.Vallerani.

BarnesT.J., Duncan).S.

(eds.), 1992, Writing Worlds. Discourse, text and metaphor in the reprensentation of landscape, Routledge, Londres.

19. StaszakJ.-F. (éd.), 1997, Les discours du géographe, L'Harmattan, Série « Histoire et épistémologie de !a géographie», Paris.

Épistémologie et histoire de la géographie humaine

rares aujourd'hui... C'est l'évolution de la société occidentale, sa démographie et son économie stagnantes, qui ont guidé ce passage progressif du quantitatif vers le qualitatif, époque qui redonne vigueur à des notions historiques de la géographie comme celles de paysage et de patrimoine naturel ou culturel, ou à une notion empruntée à la philosophie morale et à la sociologie comme celle de relation à l'altérité qui touche les questions très contemporaines traitant de multiculturalisme, d'identité14 et d'hospitalité15. La géographie des représentations participe aussi de ce mouvement interprétatif.

La préoccupation paysagère s'impose concomitamment en géographie humaine, en littérature, philosophie et en histoire de l'art. Là aussi, il y a un retour vers le figuratif, après les excès d'abstraction analytique qui ont conduit à une certaine sécheresse du discours et à une conception minimaliste de la discipline. Les textes de référence sur le paysage dont une bonne partie proviennent de l'allemand, de l'italien et du japo- nais sont en voie d'être traduits en français : le dernier en date est celui de J. Ritter16 accompagnant la fameuse Promenade en vers de F. Schiller à travers un paysage qui passe de l'ordre divin à l'ordre naturel, puis de l'ordre campagnard à l'ordre urbain. Les ouvrages récents sur le paysage de F. Beguin, A. Berque et A. Roger17 montrent à quel point la géographie qualitative fortifie sa réflexion théorique et commence à infuser ses idées là où elles ont toute leur raison d'être : l'aménagement du territoire et le remodelage de paysages accompli selon des critères esthétiques et éthiques. Cette géographie paysagère, à la fois théorique et pratique, utilise des concepts tels que le point de vue, la succession de plans, la vision circulaire, la perception des couleurs et des odeurs, le dégagement d'un horizon conçu dans un sens géographique et existentiel, physique et métaphysique. Cette tendance plus culturaliste que naturaliste augure d'une discipline capable d'insuffler des idées sensées dans la pratique, la connaissance et l'action sur l'espace.

Elle est le signe d'un véritable changement de paradigme en géographie, d'un enrichissement et non d'un simple retour en arrière à l'âge classique, car elle ouvre ou elle s'appuie sur des champs interdisciplinaires nouveaux; les croisements entre géographie et littérature13, géographie et poétique, géographie et peinture ou géographie et musique, procurent à l'interpréta- tion des paysages un recul et une profondeur de champ qui faisait défaut à la géographie classique. A. de Humboldt, dans le Cosmos, était d'ailleurs un précurseur dans ce domaine. La question du langage géographique, après les réflexions fonda- mentales de G. Olsson dans les années 1980, fait aussi l'objet de recherches récentes19. Auparavant, il s'agit de voir comment la géographie humaine s'est constituée, dans la construction de son savoir comme dans ses contradictions.

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Épistémologie de la géographie humaine 29

3. Courant français et courant allemand

La pensée vidalienne s'est nourrie de divers courants, dont celui de C. Ritter, et elle a surtout illustré l'induction qui a débouché davantage sur une conception idiographique que sur une conception nomothétique de la géographie. Dans cette perspec- tive, la reconstruction historique d'un siècle d'existence de la géographie révélerait, vraisemblablement, une excessive

«normalisation» des pratiques de recherche, avec la consé- quence que le paradigme dominant (celui de la géographie

«régionale»20) a fini par évacuer tout discours critique et par là même toute possibilité d'élaborer une géographie générale.

Constatation plus grave encore qu'on ne le soupçonne si dans cette reconstruction historique on décidait d'attirer l'attention, non pas sur la sociologie de la recherche, à la manière de E. Kuhn, mais bien sur les programmes de recherche à la manière de I. Lakatos21, on découvrirait peut-être une série de dérapages ou de glissements — régressifs — de problèmes tels qu'il n'est plus possible de faire aucune distinction entre savoir scientifique — d'où la nécessité de déployer ce métadiscours spécifique qu'est l'épistémologie — et expérience commune.

Toutefois, en aucun cas on ne pourra soutenir que le manque d'une épistémologie géographique, est associé au caractère préthéorique de la géographie elle-même. Cette thèse serait immédiatement contredite par les apports d'un F. Ratzel22 et d'un W. Christaller, pour ne citer que des exemples macroscopi- ques. Ces auteurs ont largement contribué à montrer qu'il n'y avait pas de connaissance sans théorie23 et que ce qui est désigné comme préthéorique est simplement la condition dans laquelle la théorie sélectionne, ordonne, associe les faits et leur confère une signification de manière implicite. On pensera, sans doute, qu'une théorie implicite24 est difficilement intelligible ou qu'elle produit une connaissance dangereusement éloignée de ce que K. Popper25 appelle « connaissance objective ». Mais on conviendra pourtant que parler de caractère «préthéorique » ou de « manque de théorie » à propos de la géographie, c'est porter un jugement rapide et sommaire qui ne tient pas compte des apports réels depuis un siècle.

C'est assez dire que le courant français s'est opposé au courant allemand qui contenait en germe les conditions d'une vision nomothétique26 et déductive qui a débouché sur l'élabora- tion de théories (théorie des lieux centraux27, par exemple).

4. Géographie humaine et géographie physique L'ouverture, puis l'épanouissement, du débat épistémologique, à la suite de la révolution méthodologique quantitative28 des années 50, a relancé le vieux problème de la définition de la géographie et, à travers lui, celui de la distinction entre géographie physique et géographie humaine29. Le seul consensus que l'on peut espérer de

20. La géographie régionale est présentée par H. Nonn dans le chapitre Régions, nations.

21. Lakatos I., 1976, La falsificazione e le metodologia dei' programme di ricerca scientifici, in Critica e crescita della conoscenza, Feltrinelli, Milano.

22. Ratzel F, 1882, Anthropogeographie le oder Grundzüge der Anwendung des Erdkunde auf die Geschichte, Verlag von J. Engelhorn, Stuttgart.

23. Théorie : système scientifique qui structure un domaine de ia connaissance.

24. RaffestinC, Problématique et explication en géographie humaine, in : Céopoint 76, Croupe Dupont, Avignon.

25. Popper K., 1972, Objective Knowledge.

An evolutionary approach, Clarendon Press, Oxford.

26. Conception nomothétique :destinée à produire des lois scientifiques ou, plus amplement, des formes et des procédures de généralisation conceptuelle.

27. La théorie des lieux centraux est développée par J.-B. Racine et M. Cosinschi dans le chapitre Géographie urbaine.

28. Révolution méthodologique quantitative : apparition utilisation et vulgarisation des méthodes quantitatives empruntées à la ■ statistique et aux mathématiques.

29. Géographie physique et géographie humaine.

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30 Épistémologie et histoire de la géographie humaine

30. Par Ordre naturel et ordre social, nous n'entendons pas autre chose qu'une combinaison de phénomènes ne prenant pas ou prenant en compte l'homme en tant qu'il appartient à une collectivité.

31- George P., 1970, Les méthodes de la géographie, PUF, P is.ar 32. Objet et méthode.

33. Cité par Gregory D., 1978, Ideology, science and human geography, Hutchinson and Co, Londres.

34. PrietoL.-J., 1975, Pertinence et pratique.

Essai de sémiologie, Les Éd. de Minuit, Paris.

35. Réalité matérielle et réalité historique.

36. F. Ratzel n'écrit-ii pas :

«Reinbegrifflich gefasst, ist des Mensch Gegenstand der Erdkunde, insoweiter von den räumlichen Verhältnissen des Erde abhängt oder beeinflusst wird.» «Purement conceptuellement, l'homme est l'objet de la géographie en tant qu'il dépend ou qu'il est influencé par les conditions spatiales de la terre».

la part des géographes réside dans la constatation qu'il s'agit pour eux d'observer des faits, de déceler des régularités, de montrer des enchaînements et de dégager des relations entre divers ordres de phénomènes. Mais il s'agit d'un bien piètre consensus dans l'exacte mesure où il ne fait aucune place à une délimitation, pourtant nécessaire, entre l'ordre naturel et l'ordre social30 des choses. Ce refus de la délimitation apparaît chez P. George31 qui définit la géographie comme « une science de synthèse au carrefour des méthodes de sciences diverses». Il ajoute : « Par sa nature, la géographie est donc nécessairement méthodologiquement hétérogène...» Cependant, toute science est, aujourd'hui, méthodologiquement hétérogène et cela n'implique pas qu'elles sont toutes à la recherche de leur unité et de leur objet. La confusion entre objet et méthode32 est notoire en géographie dans l'exacte mesure où les méthodes ont servi à définir l'objet. Or, les premières méthodes employées en géogra- phie sont venues tout droit des mathématiques et des sciences naturelles. La remarque d'un président de la Royal Geographical Society, Strachey, en 1888, faisant écho à l'affirmation de H. MacKinder33 selon laquelle la base de la géographie était l'environnement physique, est, à cet égard, éclairante : « Its methods, though first developed by the study of mathematics and of the physical forces of nature, are applicable to all the objects of our senses and the subjects of our thought ». Et pour H. MacKinder « the other element is, of course, man in society this was relegated to a footnote in which he observed that the analysis of this will be shorter than that of the environment ».

Dans ces conditions, la délimitation entre géographie physique et géographie humaine est pertinente. A ce sujet, L. Prieto34 écrit : « Les sciences de l'homme sont précisément, à notre avis, les connaissances (scientifiques) dont l'objet relève, non pas de la réalité matérielle?5, mais de la réalité historique que constituent les connaissances de la réalité matérielle». Dans cette perspective, il est loisible d'affirmer que l'objet de la géographie physique relève de la réalité naturelle qu'est la réalité matérielle, tandis que l'objet de la géographie humaine relève de la réalité historique que constituent les connaissances de la réalité matérielle. Une lecture attentive de F. Ratzel aurait montré qu'il était très proche de cette conception, sans en voir, peut-être, toutes les implications. Mais de deux choses l'une : ou la leçon ratzélienne n'a pas été entendue ou elle n'a pas été retenue pour des raisons d'incompréhension36 qui pourraient s'expliquer par la non-formulation explicite de l'action de l'homme sur la nature.

En d'autres termes, la géographie humaine est la connais- sance de la pratique et de la connaissance que les hommes ont de la réalité matérielle qu'est l'espace. Dans cette perspective l'objet de la géographie n'est pas l'espace mais les relations que les hommes nouent avec l'espace. L'objet de la géographie n'est ' donc pas un « donné » mais un « produit ».

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Épistémologie de fa géographie humaine 31

Par conséquent, si l'objet du géographe est un « système de relations à l'espace», ce système doit être construit. En effet, si les relations sont déchiffrables, elles ne sont pas, au sens strict du terme, visibles. En revanche, elles sont visualisables mais pour les rendre telles, il faut élaborer un appareil conceptuel.

On touche, ici, un point important pour l'épistémologie de la géographie : la « chose » géographique immédiatement visible, un paysage, par exemple, peut être décrit au moyen d'une langue naturelle ou d'un code artistique. C'est la description du romancier qui peut être parfaitement pertinente, admirable, voire géniale, mais qui n'est pas scientifique dans la mesure où elle est le produit d'une conscience et d'une expérience indivi- duelles. La description scientifique nécessite la construction d'un appareil conceptuel qui permet de passer de la « chose » donnée à l'objet géographique à l'aide de concepts aussi univo- ques que possibles. A cet égard, on peut prendre l'exemple de la cartographie qui est tout à fait illustrant : le passage de l'espace réel à la carte se réalise par la mobilisation d'un appa- reil conceptuel graphique qui n'est rien d'autre qu'une construction. Si pour des raisons pratiques évidentes on ne modifie guère l'appareil conceptuel de la carte topographique, on pourrait en changer et réaliser, par conséquent, d'autres constructions cartographiques. C'est ce qui se passe dans la cartographie thématique qui recourt à des constructions de plus en plus différenciées.

Un exemple de construction d'un objet scientifique en géographie est fourni par A. Turco qui, avec son « Homo geographicus » a montré un exemple d'appareil conceptuel susceptible de rendre compte des actes de territorialisation37.

De là une oscillation entre une géographie «science de l'espace » (Raumwissenschaft) et une géographie « science de la société » (Gesellschaftwissenschaft) bien montrée par U. Eisel38 qui a pris pour axe de sa reconstruction historico-épistémolo- gique l'axe idiographique39 — anti-idiographique. Cependant pour parvenir à la géographie « science de la société » (et non pas sociologie), il a fallu qu'une des grandes questions, qui a préoccupé la pensée occidentale, surtout depuis le XVIIIe siècle, et que C. Glacken40 a fort bien formulé, devienne obsédante dans la pensée géographique : « In his long tenure of the earth, in what manner has man changed it from its hypothetical pris- tine conditions? » « Cette question, simple seulement en apparence, constitue un renversement de problématique, donc la recherche d'un nouveau statut d'intelligibilité, en ce sens qu'elle met l'accent sur le caractère historique des connais- sances de la réalité matérielle. On peut prétendre qu'il s'agit d'une interrogation fondatrice qui a suscité, ces dernières années, en géographie un nouveau paradigme celui de la territorialité41 dont l'objet est relationnel. Paradigme auquel ont contribué, à leur manière, des non-géographes. Nous pensons, en particulier, à G. Bachelard42 qui a analysé, à grande échelle,

37. TurcoA., 1988, Verso una teoria geografica della complessità, Unicopoli, Milan.

38. Eisel U., 1980, Die Entwicklung der Anthropogeographie von einer Raumwissenschaft zur Gesellschaftwissenschaf, Urbs et Regio 17, Kassel.

39. Conception idiographique : destinée à produire des descriptions et des explications de phénomènes uniques et, par là même non répétables.

40. Glacken C, 1967, Traces on the Rhodian Shore, University of Berkeley Press, Berkeley.

41. La territorialité est développée par C. Raffestin et A. Barampana dans le chapitre Espace et Pouvoir.

42. Bachelard G., 1957, La poétique de l'espace, PUF, Paris.

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32 Épistémologie et histoire de la géographie humaine

43. Olsson G., 1975, Birds in Eggs, Michigan Geographical Publication, n° 15, Chicago.

Voir aussi le chapitre de C. Olsson in Could P. et Bailly A., 2000, Mémoires de géographes, Paris, Anthropos.

44. Rossi-Landi F., 1978, Ideologia, ISEDI, Milano, relève onze significations du mot idéologie dont « fausse conscience», «vision du monde », « système de comportement», etc.

45. Bouveresse J., 1976, Le mythe de l'intériorité, Éd. de Minuit, Paris.

46. Épistémologie et statut scientifique.

47. Épistémologie en tant que référentiel.

une véritable territorialité de l'habitat qui se dévoile comme système de relations à la maison, aux coins, etc.

5. Le recours au référentiel épistémologique

L'activité scientifique peut être étudiée sous des angles multiples.

P. Bourdieu, pour sa part, y voit un jeu de spécialistes dont l'enjeu est d'accroître le contrôle symbolique sur la réalité. Tout un courant de pensée en fait un aspect du social, un ensemble de stra- tégies intellectuelles connotées par le contexte économique et- historico-culturel. Pour J. Habermas c'est une pratique privée de connotation spécifique en tant qu'elle est soumise aux règles géné- rales de l'action communicationnelle. À cette conception semblent s'inspirer des géographes comme G. Olsson43et D. Gregory en tant qu'ils placent au centre de leurs préoccupations les «prisons linguistiques» ou les substrats idéologiques44dont procède inévi- tablement la recherche. G. Olsson est très marqué par les aphorismes de Wittgenstein dont il a très bien compris que la philosophie était une philosophie du concept et que «la limite de l'empirie est la formation du concept »45. Mais ces auteurs n'épui- sent pas, tant s'en faut, l'objectif épistémologique.

L'épistémologie46 s'intéresse au « statut scientifique d'un corps d'énoncés », elle en individualise « l'analyse des procédures rationnelles à travers lesquelles s'organise une théorie et l'analyse des modes dans lesquels elle définit son propre contrôle sur l'expérience». Cela ne signifie pas que nous voulions nier l'importance des autres approches mais disons, une fois encore, avec A. Gargani que la corrélation d'une hypo- thèse scientifique avec des schémas de type socioculturel n'épuise pas la signification de telles hypothèses. Évidemment, une théorie scientifique est influencée par les codes culturels de la société à laquelle elle appartient. Mais, il n'en demeure pas moins vrai qu'à travers un emploi défini et contrôlé des schémas conceptuels et linguistiques de cette société, la science établit des connexions contrôlables, expérimentalement, entre les faits...

Ainsi, si nous nous déplaçons du terrain philosophique au terrain plus concret de la pratique de la recherche, nous voyons que l'épistémologie47 se présente au géographe comme un référen- tiel capable, au moins potentiellement, de lui indiquer si son . travail répond effectivement aux canons d'une quelconque légi- timité scientifique reconnue d'une part et dans quelle mesure ses résultats se distancent de l'expérience ordinaire et du sens commun d'autre part.

Ce serait une erreur de penser que le référentiel épistémolo- gique puisse se ramener à une « norme » ou à un « ensemble de normes » de conduite scientifique claires et définitives. Bien au contraire, il offre des zones d'ombre qui prêtent à discussion.

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Epistémologie de la géographie

humaine 33

Un bon cadre épistémologique est celui qui offre tout à la fois des points d'ancrage sûrs et des points controversés.

Le chercheur est confronté avec quatre éléments épistémolo- giques fondamentaux48 : la métaphysique, la problématique, la théorie et l'empirie49. Son travail est largement conditionné par le fonctionnement de ces quatre éléments et par les rapports qu'il établit entre eux. Examiner ces éléments dans l'ordre de la séquence proposée c'est se situer dans une perspective analy- tique de type hypothético-déductif0 qui est parmi les plus solidement fondées, ce qui, pourtant, n'empêche pas les interro- gations et les dilemmes.

La métaphysique51 est, avant tout, un terme conventionnel qui désigne une très vaste région de la connaissance : de la connais- sance innée ou «subjective» à la foi religieuse, des modalités affectives et éthiques qui orientent le comportement et forment les attitudes aux idéologies politiques et aux croyances supersti- tieuses. En quelque sorte, la métaphysique joue le rôle de réservoir d'impressions, de convictions et de croyances alimen- tant le processus de la connaissance scientifique à partir duquel se forme le second élément épistémologique : la problématique.

Notons, à cet égard, que les grandes questions scientifiques ont souvent pour origine des mythes comme l'a fort justement remarqué H. Blumenberg52 : «... ce que la science répète, le mythe l'avait déjà suggéré... ».

La problématique joue un rôle véritablement stratégique dans l'activité scientifique et pour la comprendre il faut partir de l'idée que la vérité, finalement ce qui est visé par l'entreprise scientifique, est tout entière contenue dans le monde qui nous entoure et en nous-mêmes. La vérité, toutefois ne se laisse pas

« cueillir » dans son entièreté, et sa complexité la rend inattei- gnable. En d'autres termes, d'une idée absolue et globale de vérité, nous devons passer à une idée relative et partielle de vérité. Cela équivaut à « questionner » la réalité sur des points circonscrits et selon des modalités bien spécifiques, c'est-à-dire à instituer une problématique qui apparaît, dès lors, comme un

«instrument qui sert à rendre intelligible»... quelque chose dans la réalité. Cette opération, évidence qui n'est pas à démon- trer, n'est pas neutre en ce sens qu'elle est déjà un choix fondé métaphysiquement sur un jugement auquel est conféré une pertinence cognitive et/ou sur des inclinations personnelles...

donc subjectives. Mais la subjectivité, premier pas qui coûte, n'interdit pas la cohérence ultérieure de la démarche53. Qu'il le veuille ou non, le chercheur institue ou accepte toujours une problématique que ce soit sur le mode implicite ou sur le mode explicite. Dire cela, c'est admettre l'hypothèse que tout exposé scientifique ou non est orienté par quelque chose dont il ne peut pas se débarrasser et qu'on peut trouver dans la structure même du langage préformé qu'il emploie ou auquel il se réfère.

Nous ne voulons pas dire qu'une problématique est un sous-

48. TurcoA., 1982, Geografia :cronache del

" postquantitativismo, in : Bolletino della Società Geografica Italiana, no1- 3, p. 15-56.

49. Empirie : qui relève de l'expérience ou de l'observation.

50. Hypothético-déductif : analyse procédant à partir de modèles fondés sur des hypothèses.

51. Métaphysique.

52. Blumenberg H., 1979, Arbeit am Mytbos, Suhrkamp, Francfort-sur- le-Main.

53. Raffestin C. et TricotC., 1983, Le véritable objet de la science?, in Les critères de vérité dans la recherche scientifique, Maloine, Paris.

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34 Épistémologie et histoire de la géographie humaine

54. Le langage est pris, ici, dans le sens d'un ensemble d'énoncés préexistants dans la discipline considérée.

Voir à ce sujet le chapitre La diffusion.

55. La théorie.

56. Popper K., 1978, La logique de la . découverte scientifique, Rayot, Paris.

57. Théorie et empirie.

58. RaffestinC, 1978, Les construits en géographie humaine : notions et concepts, in : Géopoint 78, Groupe Dupont, Avignon.

59. Méthodologie.

60. Dans Cale S. and Olsson G. (eds.), 1979, Philosophy in geography, Reidel, Dordrecht.

61. Racine J.-B., Cunha A, 1984, Dalle teorie ai metodi : soggetivismo dell'obiettività scientifica e efetto Edipo nella definizione operativa delle regioni spaziali, in : A. Turco (éd.) Regione e regionalizzazione, F. Angeli, Milano.

produit du langage54 mais que celui-ci en fournit une si le cher- cheur a omis d'en expliciter une.

Si nous ne savons pas clairement ce que nous voulons (problématique implicite), nous ne pourrons jamais nous . prononcer sur l'adéquation de la réponse à une question...

informulée et nos interprétations seront confuses et équivoques.

Cela constitue, justement, le nœud de l'indécidabilité relative- ment aux solutions offertes par le monde de l'expérience.

Nous sommes, par là même, amenés au troisième élément épistémologique : la théorie55. En première approximation, nous pouvons dire que, si une problématique est une question à propos d'un phénomène de l'univers empirique, une théorie est une réponse qui rend compte du comment et du pourquoi ce phénomène se manifeste de telle manière et pas de telle autre.

D'une manière plus approfondie, nous pouvons dire, avec K. Popper, qu'une théorie est un ensemble argumenté d'énoncés capables d'expliquer déductivement un donné de l'expérience ou de l'observation56. Le contenu logique d'une théorie est constitué par la chaîne des implications produites à partir de propositions. Mais ce qui qualifie scientifiquement une théorie est son contenu informatif, soit l'ensemble des condi- tions empiriques d'incompatibilité, c'est-à-dire ce qui ne doit pas survenir pour que la théorie demeure valable. Plus simple- ment, la théorie peut aussi être entendue au sens du programme d'observation.

Le rapport entre théorie et empirie57, le quatrième élément épistémologique, est clair. Il est, en somme, le moyen d'instruire la validité d'une théorie dans sa confrontation avec les faits. Une théorie sera considérée comme vraie jusqu'à quand, et seulement jusqu'à quand, une de ses assertions ne sera pas contredite (ou falsifiée) par l'expérience. Une théorie s'élabore à partir d'un processus de conceptualisation58 et par là même n'est pas comparable directement avec l'empirie. Elle l'est, en revanche, par le truchement d'un médiateur technique pertinent, la méthodologie59, dont l'adéquation n'est pas évidente comme le montrent par exemple les travaux de S. Gale60.

D'ailleurs, comment éliminer ou au moins tenir sous contrôle les pièges de la subjectivité ou de « l'effet oedipe » 61 dans la connexion théorie-empirie ? Comment démasquer dans une science humaine telle que la géographie les stratégies inhibi- trices produites pour neutraliser les « agressions » de l'empirie, c'est-à-dire les stratégies pour faire survivre la théorie malgré ses insuffisances?

Enfin, on peut se demander si les théories dites

« normatives », celles que la tradition disciplinaire nous enseigne de J. von Thünen à T. Hägerstrand et d'autres en passant par W. Christaller, ne sont pas de froids exercices géométriques et mathématiques ou n'ont pas aussi, comme

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Épistémologie de la géographie humaine 35

semble l'indiquer P. Haggett62, un rôle non négligeable dans la production de la connaissance géographique?

L'épistémologie, pour le chercheur, et particulièrement pour le géographe, doit être un moyen de se préserver tout à la fois contre un esprit critique hyperbolique et contre un dogmatisme confinant au conservatisme. C'est la préservation de la liberté de la science à laquelle tient tant P. Feyerabend63.

6. Conseils de lectures

BAILLYA., FERRAS R., 2001, Éléments d'épistémologie de la géogra- phie, A. Colin, Paris, 2e éd.

Livre qui parcourt l'évolution des géographies, anciennes et modernes, des différentes écoles, française, allemande et améri- caine, avec une préséance donnée à la première. Le livre intègre le vocabulaire de la géographie physique mais la dominante reste humaine. Très utile passage en revue des «outils indispensables » : collections éditoriales, revues géographiques des XIXe et XXesiècles; nombreux renvois bibliographiques.

BEGUIN F., Le paysage, 1995, Dominos /Flammarion, Paris.

Livre de poche qui condense à merveille la question complexe du paysage, en se basant sur le paysage des géogra- phes, des artistes et des architectes. Non content d'insister sur la dimension esthétique du paysage, l'ouvrage établit le lien indis- pensable avec l'aménagement du territoire, en insistant sur les transformations des paysages modernes, ruraux et urbains.

GLACKEN C.J., 1967, Traces on the Rhodian Shore, University of California Press, Berkeley.

Somme érudite sur les liens entre la nature et la culture dans la pensée occidentale, de l'Antiquité à la fin du XVIII siècle. Le livre examine les valeurs environnementales, le déterminisme, le climat, les mœurs, la religion et le style de gouvernement des différentes sociétés européennes en accordant une grande place à l'espace sacré, à la théologie et la téléologie.

7. Sujet : langages et paysage

Le paysage est d'abord une construction humaine, du double point de vue de sa face visible et concrète ainsi que de sa repré- sentation. C'est en effet l'homme qui prête sa cohérence à un paysage, en le délimitant, en le « cadrant » dans une image ou en le racontant dans un récit. Contrairement aux notions d'espace ou de nature, un paysage est limité et toujours saisi dans ses trois dimensions. Un paysage possède un ciel, un volume, alors qu'un espace peut être réduit à deux dimensions.

En géographie classique, il est question de paysages ayant une existence «en-soi», comme les paysages zonaux (paysages

62. Haggett P., 1973, L'analyse spatiale en géographie humaine, A. Colin, Paris.

63. Feyerabend P., 1978, Science in a free society, NLB, Londres.

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Épistémologie et histoire de la géographie humaine

de désert, marin, de forêt humide...) ou les paysages régionaux (paysages de Champagne, d'Alsace...), correspondant le plus souvent à des compartiments naturels séparés par tel type de relief ou de sol. Le paysage de la géographie classique exprime une gradation en terme d'humanisation, des paysages

« naturels », laissés en l'état, aux paysages ruraux puis urbains étroitement façonnés par la main de l'homme et ses agents . techniques.

Les acquis des disciplines connexes à la géographie, comme l'architecture ou l'histoire de l'art, ont permis de considérer d'autres échelles paysagères (le paysage de l'architecte, c'est par exemple le jardin paysager vu à partir de la maison), ainsi que de préciser la nature d'autres systèmes symboliques de repré- sentation. Par système de représentation, nous entendons la forme, le contenu et les références des langages, verbaux ou picturaux, par exemple; le langage verbal représente des paysages ou des éléments de paysage dans la littérature et dans la paralittérature, et le langage iconique (des images), qui pren- son essor paysager à partir du XVIe siècle dans la culture occiden- tale, donne à voir des paysages figurés de manière plus ou moins réaliste. D'autres systèmes de représentation iconique se sont développés par la suite : la photographie de paysages, notamment celle de haute montagne, dès la seconde moitié du XIXe siècle, la bande dessinée que l'on peut faire remonter à Töpffer, et le cinéma, puis la télévision. Chacun de ces systèmes de représentation possède son propre code, sa propre concep- tualisation, et son originalité, mais la littérature nous semble particulièrement riche en matière interprétative, car son langage est conceptualisé dans la même langue, celle des mots, que celle usitée par l'interprète. Les paysages picturaux sont plus directe- ment suggestifs à l'œil, mais il est plus difficile de les « faire parler », car leur code de représentation est essentiellement non verbal. Dans ce cas, il est nécessaire d'opérer une transposition entre le langage iconique et le langage verbal pour que naisse un commentaire sur l'image. Le langage le plus implicite et le plus ardu à interpréter en regard du contenu paysager est le paysage musical, car le code musical, qui exprime entre autres la relation d'une société à son paysage et à son territoire — le code roman- tique est lié aux sentiments de la nature par exemple — marque l'ultime limite en matière d'abstraction langagière des recher- ches sur le paysage.

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