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Problématique et explication en géographie humaine

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Problématique et explication en géographie humaine

RAFFESTIN, Claude

Abstract

Débats autour de : Problématique et explication en géographie humaine

RAFFESTIN, Claude. Problématique et explication en géographie humaine. In: Géopoint 76 : Théorie et géographie . 1976. p. 97-104

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5505

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Claude Raffestin Professeur à l'Université de Genève

Une des caractéristiques remarquables de la pensée géographique de ces vingt dernières années nous semble être, outre l'utilisation des méthodes quantitatives,

l'émergence d'une réflexion sur l'histoire de la géographie.

Cette réflexion toujours plus nourrie sur les textes géo- graphiques révèle, c'est évident, des préoccupations épistémologiques mais révèle aussi que le géographe s'in- sère dans un vaste courant d'observations sur le langage.

Henri Lefebvre a très bien dégagé cette tendance dans son livre "le langage et la société" qui s'ouvre par l'affir- mation suivante : "Les questions concernant le langage ont pris dans la pensée contemporaine une importance prépondé- rante" (1). La géographie n'y a pas échappé.

Précisons d'emblée que le terme de langage, tel que nous l'utilisons n'est pas limité à la seule langue natu- relle mais qu'il englobe tous les langages possibles tels que par exemple le langage graphique et le langage logico- mathématique. Mais quel rapport y a-t-il entre le langage et la science ? A cette question, Greimas a proposé une réponse : "La science n'est langage que dans la mesure, où celui-ci est compris comme un lieu de médiation, comme un écran sur lequel se dessinent les formes intelligibles du monc|e. La connaissance, dès lors, cesse d'être subjective,

(1) Henri Lefebvre, Le langage et la société, Paris 1969, p. 9.

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sans résider pour autant dans les objets "réels" (1). Dans ce jugement de Greimas, nous retiendrons les deux idées essentielles du langage comme espace de médiation et de la connaissance qui ne réside pas dans les objets "réels". Si tout géographe peut adhérer à la première assertion, il n'en va pas de même pour la seconde. Et pourtant, nous fe-rons l'hypothèse qu'il y a une liaison nécessaire entre les deux et nous allons essayer de le montrer.

Lorsqu'il affirme que la connaissance ne réside pas dans les objets réels, Greimas rejoint la pensée de Max Planck, pour lequel des considérations raisonnables et non des déductions logiques "nous contraignent à admettre der- rière le monde des sens, l'existence d'un deuxième monde, réel, jouissant d'une existence autonome, indépendante de l'homme, et que nous ne pouvons jamais appréhender directe- ment, mais uniquement par le truchement de nos perceptions, grâce aux signes qu'il nous communique" (2). Même si Max Planck exprime ici l'opinion d'un représentant des sciences de la nature, il n'y a aucune raison pertinente de penser que, dans la perspective esquissée ici, la situation n'est pas analogue pour les sciences humaines. Et c'est justement ce que Greimas affirme : "Ainsi, chaque science particulière possède, pour objet, une sémiotique particulière, la tota- lité des sémiotiques étant visée par le savoir dans son en- semble" (3). La sémiotique étant une possibilité de descrip- tion exprimée dans un système de relations. Il s'agit donc, au niveau sémiotique, d'expliciter des relations qui con- tribueront à l'élaboration d'un langage scientifique d'une

(1) A.-J. Greimas, Sémantique, sémiotiques et sémiologie, in Sign, Language, Culture, Paris 1970, p. 15.

(2) Max Planck, L'image du monde dans la physique moderne, Paris 1963, p. 6.

(3) Greimas, op. cit., p. 15.

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part et qui se substitueront d'autre part aux relations im- plicites véhiculées par le langage quotidien. Mais alors, cela signifie que cette sémiotique ou si l'on préfère ce langage scientifique est, en tant que système de relations, coupé de ce qu'il est convenu d'appeler le "réel" ou le

"concret".

C'est ici qu'il convient d'introduire au-delà du monde réel et du monde des sens dont il a été question précédem- ment, la notion de monde géographique. Ce monde géographi- que est un monde créé par le géographe c'est-à-dire l'image du monde proposé par la géographie. Evidemment, c'est un monde qui est modifiable et partant perfectible puisqu'il est le résultat d'une construction. Cette construction se réalise dans un processus de communication dont le géogra- phe est l'émetteur et aussi en tant que sujet individuel ou collectif le récepteur. Que la communication se fasse entre

"je" et "je" ou "je" et "tu" ou encore entre "nous" et

"vous" ne modifie en rien cette communication. Mais dès l'instant où il y a communication, il faut faire la suppo- sition d'un code pour coder et naturellement décoder l'in- formation que l'on veut transmettre.

Nous sommes ramené au problème du langage en tant qu'espace de médiation. Le langage scientifique constitue ce code qui permet la transmission de l'information. Au même titre d'ailleurs que le langage quotidien mais à la différence que celui-ci est perverti par toute la constel- lation équivoque des relations implicites véhiculées par les termes qui lui sont empruntés.

Ces remarques préliminaires, peut-être un peu longues au goût de certains, étaient néanmoins nécessaires pour si- tuer trois moments de notre invention dont nous ne dévelop- perons que les deux derniers.

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Le premier intéresse la cassure ou si l'on préfère la rupture aisément discernable entre une géographie classique et une géographie nouvelle. Il s'agit d'une rupture de la communication par changement de langage. La géographie clas- sique recourt à un espace de médiation dont les relations sont implicites parce que déjà contenues dans le langage utilisé et cela oblige à demeurer très proche des termes- objets dont l'ensemble devient objet géographique comme la définition de Gourou le montre clairement : "Ce qui, dans le paysage, tient à l'intervention de l'homme : tel est le premier objet de la géographie humaine? les champs, les mai- sons et leur groupement en villages et en villes, les pay- sages industriels, les chemins, les voies ferrées, les ca- naux... (1). La géographie nouvelle, elle, recourt à un espace de médiation dont les relations sont explicitées parce que résultant d'une construction délaissant le langa- ge quotidien au profit d'un langage plus élaboré qui cher- che à établir des correspondances bi-univoques entre des

définitions et des concepts. . .

Le deuxième, que nous allons traiter, intéresse la problématique qui, en vertu de ce qui précède, pourra être qualifiée d'implicite ou d'explicite.

Enfin, le troisième moment, que nous allons également aborder, concerne l'explication en géographie qui ne se situe pas au niveau du monde réel, mais au niveau du monde géographique construit et exprimé à travers des modèles.

Problématique et explication géographiques sont néces- sairement liées puisque c'est à partir de la problématique que sont formulées les hypothèses dont la vérification cons- titue, comme nous allons le voir, mais toujours dans la perspective indiquée, l'explication.

(1 ) Pierre Gourou, Pour une géographie humaine, Paris 1973, p. 9.

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Mais qu'est-ce qu'une problématique et qu'est-ce qu'une explication ?■ .

La problématique est une démarche, une procédure qui consiste à déterminer préalablement à toute analyse, le statut d'intelligibilité capable de rendre compte de l'exis- tence d'un système organisé. C'est au fond ce qui est visé par la recherche, par le savoir et c'est ce que Greimas ap- pelle l'univers sémantique (1). On pourrait en utilisant une terminologie linguistique dire qu'il s'agit du plan

d'expression de l'information en projet. Autrement dit dans le processus de communication c'est ce que l'émetteur veut transmettre au destinataire. C'est le projet de ce que veut rendre intelligible l'émetteur et ce projet est un ensemble d'éléments : E = P1; p2 ; . . . Pi;... Pn . Si le statut est

parfaitement défini et dans ce cas on dira que l'on a af- faire à une problématique explicite, à cet ensemble E cor- respond un ensemble H, celui des hypothèses auquel corres- pond un troisième ensemble X celui de la vérification des hypothèses. La communication scientifique, dans l'idéal, intéresse ces trois ensembles.

Si, en revanche, le statut est mal défini, l'ensem-ble E de la problématique l'est aussi et on dira dans ce cas qu'il s'agit d'une problématique implicite qui ne per-mettra qu'une communication ambiguë et équivoque. Il est évident que dans ce processus interfèrent les langages et les méthodes.

L'explication, de son côté, pourrait être définie com- me le plan de contenu de l'information. Expliquer, pour Piaget, c'est répondre à la question "pourquoi" mais c'est aussi répondre à la question "qu'est-ce que c'est ?" Litté- ralement expliquer c'est sortir de ses plis et finalement

(1) Greimas, op. cit., p. 27.

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formuler des hypothèses c'est proposer "une manière de dé- plier". Mais proposer une manière de déplier c ' e s t se situer à l'intérieur d'un monde construit, le monde géographique, et c'est utiliser un langage aussi univoque que possible de telle sorte que le processus de dépliage soit cohérent.

Selon Granger, une explication scientifique doit satis- faire à deux critères. (1) Selon cet auteur, une explication doit pouvoir être infirmée et pouvoir servir à une

prédiction. Par le premier critère, il veut dire que toute explication doit être formulée de telle sorte qu'une obser- vation puisse être conçue qui oblige ou incline à la reje- ter.

En ce qui concerne le second critère, la prédiction, il est suffisant que des hypothèses soient assez nettement formulées pour être contrôlées.

Nous allons tenter maintenant, à travers des illustra- tions empruntées à la géographie humaine, de distinguer les problématiques et les explications qui ont prévalu et qui ont constitué le monde géographique. La typologie que nous proposerons, ici, ne contiendra que le mot problématique mais il est entendu que cela englobera aussi la notion d'ex- plication. Nous distinguerons quatre types de

problématiques : problématique traditionnelle implicite, problématique traditionnelle explicite, problématique critique implicite et problématique critique explicite.

Pour justifier l'emploi des adjectifs traditionnel et critique, nous citerons Marx et sa Xle thèse sur Feuerbach : "Les philosophes n'ont fait

(1) Cf. G.-G. Granger, L'explication dans les sciences sociales, in l'explication dans les sciences, Paris 1973, p. 148. En fait, cet auteur introduit un troisième critère gui consiste dans le raccor- dement à d'autres explications de phénomènes limitrophes ou englobant les premiers.

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qu'interpréter le monde de différentes manières; il s'agit maintenant de le transformer". Nous appellerons tradition- nelles les problématiques qui cherchent à communiquer une interprétation du monde et critiques celles qui cherchent à proposer des transformations. Ici, nous rejoignons par- faitement Horkheimer lorsqu'il dit : "La théorie qu'élabore la pensée critique ne travaille pas au service d'une réalité déjà donnée, elle en dévoile seulement la face cachée" (1).

Sauf exceptions, la problématique traditionnelle impli- cite a caractérisé la géographie humaine jusque dans les années 50. Le langage quotidien est presqu'exclusivement le seul écran sur lequel on projette les formes intelligibles du monde sans se rendre compte vraiment que l'on véhicule des modèles implicites souvent de nature anthropomorphique inacceptables au niveau social comme par exemple la défini- tion suivante : "La fonction, c'est en quelque sorte la pro- fession exercée par la ville, c'est sa raison d'être" (2).

Ou encore c'est l'obligation qui est faite par le langage courant d'accepter un modèle unique de la concentration ex- primé à travers la densité : "Toute la machinerie de l'ex- plication géographique doit être engagée pour rendre compte à la fois de la densité de la population et du poids écono- mique de la population. Une géographie humaine pourrait aussi bien être bâtie à partir de la densité de la popula- tion qu'à partir des paysages humains, les deux filières sont interconnectées; l'un des plus importants éléments du paysage humain est le nombre des hommes au km2 (3).

(1) Max Horkheimer/ Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974, p. 49.

(2) J. Beaujeu-Gamier et G. Chabot, Traité de géographie urbaine, Paris 1963, p. 104.

(3) Gourou, op. cit., p. 154. . ...

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Ces modèles implicites véhiculés dans le langage sont souvent sous-tendus par une idéologie mystifiante. Qu'on en juge à propos de l'étalement urbain : "A cette phase de con- centration succède une phase de décentralisation qu'autori- sent les progrès techniques et à laquelle semblent tendre les masses citadines à la recherche de meilleures conditions de vie" (1) et plus loin : "Techniquement, ce phénomène n'était possible qu'avec les progrès des transports" (2) et un peu plus loin encore : "II semble que cette évolution des conditions de vie urbaines ait permis à la population cita- dine de retrouver son équilibre biologique" (3).

Ces citations pourraient laisser croire que nous jouons au jeu vain de l'ironie facile. Tel n'est pas notre inten- tion. Nous voulons simplement montrer que le discours géo- graphique codé à partir du langage immédiat de la quotidien- neté n'est pas en mesure, si tel est le propos de l'auteur, de rendre compte de cette quotidienneté spatialisée. Il n'y a là aucun paradoxe, puisque le langage en tant que système de signes est composé de signifiants et de signifiés. En effet, un signifiant peut avoir plusieurs signifiés. Le si- gnifiant centre urbain en tant qu'objet devient le signi- fiant d'une unité sémantique qui ne dénote pas seulement centre d'une ville mais qui peut connoter : "pouvoir politi- que" ou "pouvoir économique" ou encore "ghetto" ou "pauvre- té". Dans ce cas, l'objet centre urbain devient le signi- fiant de sa fonction ou usage possible (4). L'anthropomor- phisation n'est pas non plus absente puisque le centre est

(1) Géographie générale, in Encyclopédie de "la pléiade", Paris 1966, p. 1018.

(2) Ibid., p. 1018.

(3) Ibid., p. 1019.

(4) V. Eco, Trattato di semiotica generale, Milano 1975, p. 43.

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souvent assimilé au coeur, voir à cet égard, le traité de géographie urbaine de Beaujeu-Garnier et Chabot. La conno- tation du langage quotidien interfère de manière si intense dans la description que l'on ne se meut plus dans un espace de médiation balisé mais dans un espace labyrinthique. Celui- ci impose alors des choix dont l'émetteur n'est plus même conscient, qui sont profondément idéologiques et qui expri- ment souvent très clairement la position de celui qui commu- nique l'image. Ainsi, un auteur d'une géographie économique parlant des maîtresses de maison : "l'après-midi, elles lè- chent vitrine avant de faire l'acquisition de robes, de blouses, ou des mille riens qui donnent leur charme à l'exis- tence" (1) révèle une conception idéologique sur laquelle il est inutile d'insister, non pas parce que nous pourrions ne pas partager son point de vue mais uniquement parce que cela nous entraînerait dans des analyses semiologiques trop lon- gues ici.

Quelle a été la valeur, ou mieux le pouvoir explicatif de cette géographie ? Elle est parvenue à élaborer des mo- dèles qualitatifs verbo-conceptuels permettant de faire le lien entre formes et fonctions. C'est ce que nous pourrions appeler une explication du contexte morpho-fonctionnel. Si le premier critère de Granger peut être vérifié, le second, relatif à la prédiction, n'a que rarement été vérifié. Le fait d'avoir "collé" au monde des sens organisé par le lan- gage quotidien systématisé dans les meilleurs cas n'a pas permis la construction d'un monde géographique dans lequel les relations auraient été nécessaires. La conséquence ul- time a été que l'on a vu émerger non pas une géographie mais des "géo-graphies".

(1) Paul Claval, Eléments de géographie économique, Paris 1976, p. 19.

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La problématique traditionnelle explicite, caractéris- tique de la nouvelle géographie nourrie par les méthodes quantitatives, les théories et les modèles, s'est surtout développée autour des années 50. Mais ce n'est pas un cou- rant qui émerge brusquement puisqu'il se rattache étroite- ment aux travaux sur l'espace de von Thünen, Christaller et Lösch, entre autres. A la différence du groupe précédent qui s'est laissé entraîner par des modèles implicites, ce groupe- ci a préalablement proposé des modèles qui supposaient d'une part le dépassement du langage quotidien et d'autre part l'introduction de conditions et d'hypothèses théoriques permettant de raisonner à l'intérieur d'un "monde géographi- que" défini aussi strictement que possible par un système de relations.

On remarquera à cet égard une différence qui nous pa- raît fondamentale entre les deux problématiques à savoir que dans l'une l'orientation vers la globalité est évidente alors que dans l'autre l'approche est plus spécifique. Ainsi von Thünen a parfaitement défini sa problématique qui con-sistait à rendre intelligible la localisation des activités

agricoles, de même que Christaller qui tout en reprenant l'idée de place centrale a porté sa recherche sur le rôle des fonctions tertiaires dans la structure des réseaux ur-bains.

Nous connaissons un géographe célèbre et pour lequel d'ailleurs nous avons du respect, qui n'a jamais accepté cette idée de hiérarchie urbaine de Christaller. Comme il appartient à ceux qui ne peuvent imaginer de "fendre" une réalité pour la comprendre parce qu'alors la "totalité" sur laquelle il fonde la géographie n'existe plus, il y a rup- ture de la communication. Ce sont les géographes qui ont suivi la problématique traditionnelle explicite qui ont vé- ritablement contribué à construire le monde géographique.

Cette construction a débloqué d'une manière remarquable

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l'explication des structures spatiales envisagées soit du point de vue de la production, soit du point de vue de la consommation.

La projection sur un espace d'une structure mathémati- que n'a pas été seulement une victoire de la formalisation dans un domaine qui offrait une forte résistance mais encore un succès au niveau de la conceptualisation par des enrichis- sements énormes au niveau de la cohérence. Qu'on songe en particulier aux travaux d'analyse factorielle, qui peuvent et qui doivent être discutés, et qu'on songe à l'emploi des graphes comme chez Kansky (1). Dans tous ces cas, l'expli- cation satisfait aux deux critères de Granger et peut-être même au troisième dont nous nous sommes abstenus de parler.

Le reproche de simplicité adressé à ces travaux ne révèle, de la part de ceux qui le font, qu'une incapacité à s'élever jusqu'à la conception de modèle. On ne peut résister, ici, au plaisir de rappeler la très belle définition de Valéry :

"Tout ce qui est simple est faux mais tout ce qui ne l'est pas est inutilisable".

Pour conclure sur ce point, nous dirons que la problé- matique traditionnelle explicite est parvenue à substituer au modèle implicite de la langue un ou des modèles explici-tes construits à partir d'un système cohérent de relations. C'est en cela que réside la, révolution quantitative de la nouvelle géographie et c'est aussi pour cela que les apports de cette géographie sont fondamentaux et irréversibles. Nous ne dirons pas comme Scott que s'y opposer c'est faire de la contre- révolution, même si nous adhérons à cette opinion mais nous dirons pour demeurer dans un système de description cohérent que s'y opposer c'est choisir un processus de com-munication ambigu et équivoque.

(1) K.-J. Kansky, Structure of transportation networks, Chicago, Illinois 1963.

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Cependant si cette révolution est faite, cela ne signi- fie nullement que cette conception doive devenir comme le voudrait Gregory la nouvelle orthodoxie. Nous avons tous souffert et nous souffrons encore de ces blocages qui sont consécutifs à l'aménagement inévitable de toute révolution qui se transforme en idéologie dominante. D'ailleurs, Brian J.-L. Berry dont on ne contestera pas qu'il est un "révolu- tionnaire" d'hier ne va-t-il pas jusqu'à exprimer ses doutes vis-à-vis de la problématique traditionnelle explicite ce qu'il appelle la "traditional statistical geography" (1).

Si l'on reprend les priorités qu'implique le paradigme pro- posé par Berry :

a) Logical classification of the variety of actions modalities,

b) The formal treatment of decision and action sequences,

c) The further analysis of emergent properties including systemic transformation,

on découvre l'annonce d'une problématique critique en fili- grane. Problématique mieux cernée dans la conclusion lorsque Berry déclare qu'il est important de définir les buts dési- rables que les collectivités peuvent poursuivre dans la me- sure où elles sont : "aware of the actual tendencies and capabilities of imperfectly organized collectivities and sensitive to individual needs, capabilities and limita- tions" (2). Berry assure une transition dans le "style" po- sitiviste entre la problématique traditionnelle dont il dou- te et la problématique critique dont il sent confusément l'intérêt. Notons d'ailleurs que le passage de l'une à l'au- tre aura nécessairement des conséquences méthodologiques mais sans qu'il y ait remise en question du langage scienti-

(1) Brian J.-L. Berry, A paradigm for Modem Geography, in Directions in geography, Loridon 1973, p. 3-21.

(2) Ihid., p. 20.

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fique logico-mathématique dans la perspective indiquée tout au long de ce texte.

La problématique critique émerge actuellement, c'est un fait indiscutable et nous allons le montrer. Mais pour-quoi

? Nous pensons que c'est la conséquence de la dichoto-mie qui a été faite entre individu et société. La probléma-tique traditionnelle implicite ou explicite a purement et

simplement évacué l'individu au profit de la société sous le prétexte finalement paradoxal et obscur que la géographie était concernée par les groupes et non par les individus dans l'espace. Mais alors comment justifier l'évacuation de la problématique des classes qui fait que beaucoup d'expli- cations traditionnelles se soient davantage apparentées à l'imaginaire qu'à la vie quotidienne que l'on voulait res- tituer ?

Il ne fait pas de doute qu'une problématique critique renferme une conception de l'homme. Cette problématique doit

"prendre pour sujet un individu bien défini dans ses rap- ports avec d'autres individus et avec des groupes et dans son insertion médiatisée avec le corps social" (1). S'occu- per de l'individu ne signifie nullement prendre en compte un sujet ponctuel mais observer un homme pris dans la réa-lité historique de son temps. Il semble bien que Marx, à cet égard, ait été mal interprété.

La problématique critique s'impose en raison de ce qu'Horkheimer a montré : "la production n'est pas organisée en fonction de la vie de la collectivité de manière à satis- faire en même temps les revendications individuelles; elle est organisée en fonction de l'aspiration de quelques indi- vidus à la puissance et ne prend en charge la vie de la collectivité que dans la mesure où c'est absolument néces- saire" (2).

(1) Horkheimer, op. c i t . , p. 42.

(2) Ibid., p. 45.

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Parmi les géographes, David Harvey développe actuelle- ment une problématique critique qui n'est encore qu'implicite dans Social justice and the City (1). Il est très significa- tif qu'il ait pu écrire : "After completing a study of me- thodological problems in geography, which was published under the title Explanation in Geography, I began to explore

certain philosophical issues which had delibarately been neglected in that book. In particular, I felt it important and appropriate to explore how ideas in Social and Moral Philosophy,..., could be related to geographical enquiry and to those fields of intellectual endeavour such as planning and régional science, with which geography has much in com- mun" (2).

Lorsque Harvey aborde le problème de l'accessibilité et de la proximité du point de vue de l'individu consomma-teur, il fait entrer dans sa problématique des éléments re-

lationnels qui ressortissent non seulement à des coûts éco- nomiques mais encore à des coûts sociaux qui s'expriment à travers des prix émotionnel et psychologique (3) : "It should be self-evident that as me change the spatial form of city (by relocating housing, transport routes, employment oppor- tunities, sources of pollution, etc..) so me change the price of accessibility and the cost of proximity for any one household" (4). Ceci amène Harvey à poser la question fonda- mentale qui va bien au-delà de la simple interprétation de la réalité spatiale pour déboucher sur le changement : "Is thèse some spatial structure or set of structures which will

maximize equity and efficiency in the urban System... ? (5).

(1) David Harvey, Social Justice and the City, London 1973.

(2) Ibiû., p. 9.

(3) Ibid., p. 57.

(4) Ibid., p. 57. .

(5) Ibid., p. 86.

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Il est intéressant de relever que ce type de problématique conduit à des explications constituées par des modèles dans lesquels ce sont les relations qui sont privilégiées car, elles, seules, permettent de situer la vie de l'individu et de comprendre son existence dans la totalité sociale.

On retrouve la même chose avec Bunge qui est véritable- ment au seuil d'une problématique critique explicite dans l'exacte mesure où il cherche, en utilisant la géographie la plus moderne, à pénétrer jusqu'aux racines de la société, c'est-à-dire jusqu'aux relations, pour dévoiler les vérita- bles irrationalités du monde que le géographe veut expli- quer : "the most irrational feature of any American city is the fact that children are hungry in the midst of abun-dant food right in their neighbourhoods" (1).

Bunge, au contraire de beaucoup sinon tous, n'a pas évacué la dimension politique et il le dit : "My confession is not even an illustration of my honesty. It is an illus- tration of the nature of the mental labour called geography.

Geography has been the overwhelming force in leading me to such a deep "political" position" (2).

Il semble que Bunge, dans son dernier livre, The Cana- d'ian alternative ait véritablement explicité une probléma- tique critique explicite qui retourne contre le pouvoir la théorie des lieux centraux manipulée par lui.

Que pourrait-être une telle problématique ? Elle ne peut être fondée que sur les relations prenant naissance dans l'enveloppe spatio-temporelle mais elle nécessite une anthropo-écologie qui soit capable d'intégrer les notions d'autonomie, de pluralisme et de liberté. La structure même

(1) W. Bunge, Ethics and logic in geography, in Directives in Geography, London 1972, p. 324.

(2) Ibid., p. 320.

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de la géographie est ici en cause car au lieu d'un géogra- phe-témoin, il faut un géographe-conscience malheureuse.

Pour y parvenir, il faut démasquer la connotation dominante des signes que nous utilisons et ne pas se tromper sur la prétendue neutralité des concepts que nous véhiculons. Il faut admettre aussi, et c'est peut-être le plus difficile à faire, que toute tentative géographique contient une fina- lité politique. Ceux qui prétendent ne pas en avoir ne font que poursuivre inconsciemment celle de l'ordre dans lequel ils sont.

Nous terminerons par cette très belle phrase de Bunge qui risque d'être mal comprise à cause de ses connotations naïves et pourtant c'est autre chose qu'il faut y voir sur le plan strictement théorique : "May the earth be filled with happy regions" (1).

(1) Bunge, op. cit., p. 324.

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C O M P T E - R E N D U D E S D E B A T S

I.- US QUATRE TYPES VE PROBLEMATIQUE

Des questions ont été posées à C. RAFFESTIN : Q - "Précisez ce que vous entendez par problématiques critiques" R - "Problématique critique implicite:

c'est celle, de HARVEY, qui utilise le langage quotidien; problématique critique explicite: c'est celle de BUNGE, qui utilise le langage loglco-mathématique. Q -

" N ' y a-t-ll pas davantage de synchronie entre les démarches géographi- ques ?"

R - "L

ES

coupures correspondent à un souci pédagogique; les différentes géographies se chevauchent dans le temps. Toute science reprend en le

dépassant l'acquis précédent. Si le langage scientifique avait suivi l' exemple donné par MARX, la définition de l'objet se ferait par un système

relationnel.".

Q - "Logiquement, l'ordre des critères dans la typologie ne devrait-il pas être inversé? L'opposition implicite-explicite serait fondamentale par un rapport à l'opposition traditionnel-critique qui serait seconde.

La géographie traditionnelle, qui n ' a pas formulé de problémati-que, qui n'avait pas de langage précis, ne pouvait être claire pour établir une problématique critique.

La géographie est conçue comme une construction. Chaque géographe choisit une image parmi les multiples images possibles d'une même réali-té. Tout vient de la cohérence de l'image. La problématique impose un sujet très clair, permet de se reconnaître, de poser les points de désaccord; elle permet donc la communication. Il y aurait donc impossi-bilité d'avoir une problématique traditionnelle explicite; le propre du traditionnel est de ne rien définir. Le. statut d'intelligibilité impli-querait la formulation de concepts. Une problématique critique de la géographie traditionnelle peut- elle exister dans la mesure où cette dernière n'est même pas capable de les formuler?"

R - "S

UR

le plan méthodologique, il n' y a pas compatibilité, et l'opposi-tion

implicite-expicite est fondamentale. Sur le plan de la probléma-

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tique, il n' y a pas de contradiction entre traditionnel et explicite. Une problématique existe toujours, explicitée ou non. La différence porte sur les signes, définis ou non. Dans une problématique tradi-tionnelle implicite, la description porte sur un ensemble de signes non définis;

en revanche, une problématique traditionnelle explicite porte sur un ensemble de signes définis au départ, sur lesquels peu-vent porter les méthodes quantitatives.

En géographie, ce qui nous fait défaut, c'est une sémiotique du contenu en plus d'une sémiotique de l'expression. Il faudrait faire éclater les termes pour étudier les relations à l'intérieur des con-cepts, comme MARX lorsqu'il fait éclater le concept de valeur en va-leur d'usage en valeur d'échange, préfigurant SAUSSURE qui distingue signifiant et signifié.

Le débat continue en dehors de la présence de C. RAFFESTIN.

Ne faut-il pas insister sur la géographie nouvelle? Traditionnel et critique ne devrait-il pas être remplacé par l'opposition traditionnel- nouveau? L'articulation serait entre

- implicite = traditionnel

- explicite, avec 1 - concepts neutres

2 - concepts non neutres. Dans ce cas, il y aurait de multiples possibles théoriques relevant de positions idéologiques diverses.

Mais être explicite suffit-il à la géographie pour être "nouvel-le"?

La nouvelle géographie peut contenir un projet social du géographe, très différent des aspects théoriques et techniques. P

OUR CERTAINS

, Ie projet social du géographe serait la coupure fondamentale entre une géo-graphie traditionnelle, impuissante à transformer le monde, faute de con-cepts (cf. la géographie appliquée) et une géographie nouvelle, capable de le transformer, car elle en a les outils, au-delà de la simple description.

II. - GEOGRAPHIE ET LANGAGE

Pour certains, la rupture entre la géographie traditionnelle et la

nouvelle géographie est une question de langage: celui de la géographie

traditionnelle est un langage quotidien ou emprunté aux autres sciences

sociales, celui de la nouvelle géographie est un langage logico-mathémati-

que. Pour d'autres, la rupture est plus profonde (au niveau des concepts).

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/. - Pour un langage traditionnel, contre un langage formalisé.

Le langage traditionnel peut, à un moment donné et compte tenu du développement de la science, rendre compte de la réalité de manière em-pirique (cf.

la notion de ville, qui a pu évoluer en tant que concept).

Certaines questions subtiles ou mal connues, difficiles à perce-voir (exode rural, migration) ou certaines valeurs, saisies de façon glo-bale (paysage) nécessitent un langage esthétique, impressionniste. Trans-mettre seulement la vérité serait alors une aliénation.

En géographie le langage traditionnel n'est pas arrivé à tra-duire une problématique critique parce que les chercheurs ne le voulaient pas. Dans les autres disciplines, sociologie, économie, histoire, les cher-cheurs sont arrivés à poser une problématique critique en utilisant le lan-gage courrant.

La formalisation prématurée risque d'être scientifiquement une

catastrophe; on risque de se satisfaire d'un résultat parce qu'il est beau et cohérent, pire, de s'auto-illusionner.

La formalisation mathématique est un moyen de récupérer et d'in-sérer dans la société dans la société les géographes, c'est-à-dire de placer dans la classe dirigeante un certain nombre de géographes comme techniciens chargés d'at- ténuer les conflits sociaux.

2 . - Pour un langage formaliser, contre un langage traditionnel.

Le langage traditionnel est suffisant pour transcrire ce que l ' o n perçoit du réel. Il es limité car il fait appel à des réactions in-dividuelles. Il est insuffisant pour développer une problématique.

Si certains sujets sont difficiles à formaliser pour l'instant, cela ne veut pas dire qu'ils ne soient pas formalisables. C'est formalisa-ble à partir d'un certain nombre d'hypothèses qu'il faut rechercher. C'est là qu'est le problème.

Ce qui a poussé les géographes à la formalisation, c'est l'esprit critique, y compris par rapport à ce qu'ils font. C'est le rôle du cher-cheur de prendre des précautions, de douter. La science progresse par échecs successifs.

Si le langage logico-mathématique permet une certaine mystifica-tion,

celle de l'homme qui sait par rapport à celui qui ne sait pas, en revanche il ne

permet pas les tours de passe-passe volontaire ou involon-

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taires que véhicule le langage quotidien. Il est trop rigoureux pour pou-voir être manipulé.

La formalisation est importante pour retrouver des signes com- préhensibles dans les diverses disciplines sociales. Elle a l'avantage d'avoir une certaine universalité. le langage a permis de créer de nouveaux concepts.

3. - Nécessité d'une réflexion sur le langage géographique

On ne peut ni tout exprimer en langage traditionnel, ni tout ex- primer en langage formalisé. Les différents types de langage ne sont pas utilisés au même niveau de la démarche géographique.

Plusieurs groupes ressentent la nécessité de créer un méta-langa-ge, c'est-à-dire un langage propre à mieux rendre compte du réel, en liai-son avec l'utilisation des nouvelles méthodes.

Le langage n'est pas un simple véhicule, il n'est pas déconnecté de ses racines sociales. Ce problème a été sous-estimé jusqu'à présent,

permettent des mystifications; il faut donc faire une analyse des types de langage utilisé. Il semble qu'il existe des conditions pour que se crée un langa-ge qui soit scientifique et plus habituel à la démarche intellectuelle des européens, c'est-à-dire qui pose clairement des a priori, ce que n'ont pas fait les américains. On n'a pas encore donné à la géographie des outils de travail (langage, concepts, théories, idéologies) qui soient proprement géographiques.

I I . - LA GEOGRAPHIE EST-ELLE VRAIMENT UNE SCIENCE? QU'EST-CE QUE LE REEL?

Deux positions sur le réel sont avancées:

- le réel n'existe pas, il est perçu; la science construit un réel un réel dont la

validité tient à la cohérence du langage et des hypothèses;

- le réel existe, indépendamment de l'observation, avec ses propres lois, et il faut découvrir ces lois.

Les rapports science-réalité font référence au débat entre le

matétialisme et idéalisme. La science est la réalité pensée, à un moment

donné, le moyen adéquat de rendre compte de la réalité (cf. les travaux du

C . E . R . M . sur les rapports entre science et idéologie).

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la globalité. Il y a rupture dans la problématique avec une géo-graphie du concret qui est en même temps une géographie de la confirmation de l'ordre social.

La science est un produit social imprégné de l'idéologie dominan-te. Il s'agit d'expliciter cette idéologie.

Il existe des ruptures dans le développement scientifique; la rup-ture majeure est entre le matérialisme dialectique et la démarche idéaliste. Vérité, essence, réel sont des scories de l'idéalisme.

La différence majeure entre sciences humaines et sciences exactes est le problème de l'expérimentation. En sciences humaines, en géographie en particulier, il n'y a pas possibilité de réversibilité.

I I I . - PROBLEMATIQUE, IDEOLOGIE, POLITISATION DE LA GEOGRAPHIE

Pour arriver à une problématique critique, il n'y a pas seulement une question de langage; il y a, au fond, une prise de position politique.

Quand la géographie traditionnelle a été politiquement critique, elle a été traditionnelle dans sa critique politique. Si les géographes traditionnels ne sont pas arrivés à une problématique critique, c'est sur-tout parce que pour la plupart, en cherchant la logique avec laquelle se localisent les phénomènes, ils ont cherché à justifier la réalité du sys-tème politique dominant.

Le problème est de voir si la géographe doit s'arrêter avant le jugement de beauté, de bonté, de bonheur, ou bien si les instruments de connaissance doivent s'intégrer à une idéologie pour juger; mais alors ce n'est pas le géographe qui intervient, mais l'homme en complet.

Pourquoi la géographie n'est-elle pas entrée dans les grands cou-rants de pensée philosophique (marxisme, structuralisme, etc.) comme l'his-toire? Il y a des géoghaphes marxistes mais pas de géographie marxiste.

Pourquoi la géographie admet-elle toujours l'idéologie dominante?

Peut-être parce que le problème de l'organisation de l'espace est un problè-me

difficile, dangereux; alors on lui donne un aspect technique, scientifi-que...

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L'histoire, la politique, l'économie sont tout aussi dangereuses que la géographie, sinon plus..

Comme la géographie traditionnelle, la géographie nouvelle se re-fuse à étudier la manière dont l'espace est produit; elle se refuse complé-tement aux analyses en termes de processus.

Le fait de dire qu'on étudie l'organisation de l'espace ne revi-ent- il pas à dire qu'on étudie surtout le passé et la façon dont le pouvoir en place organise cet espace?

Quand on regarde l'histoire de la géographie, on voit que celle-ci a été une discipline dangereuse pour la société et c'est pour cela qu'el-le continue à justifier la réalité.

On pourrait aussi bien dire d'une recherche qu'elle est non pas implicite ou explicite, mais de droite ou de gauche en entendant par ces termes:

est de droite ce qui conforte le système social, et de gauche, ce qui cherche à lui nuire.

Il y a également contrainte de l'idéologie dominante sur la col- lecte des données; l'information est produite par le système.

Historiquement, on a voulu rattraper un retard sur les américains par l'acquisition de techniques quantitatives, mais on s'est aperçu qu'en les imitants, on importait aussi une sorte d'empirisme anglo-saxon; c'est pourquoi on a été amené dans le courant quantitatif à faire des remises en cause d'ordre épistémologique.

En amont de toute recherche, il faut savoir déclarer sa propre position philosophique et "politique". Cela se fait-il dans la nouvelle géographie?

IV. - EXISTE-T-IL UNE SPECIFICITE DE LA GEOGRAPHIE ?

Le géographe diffère des autres chercheurs par sa tournure d'es- prit, son approche des problèmes, sa conception des choses. Le langage, les méthodes, les concepts, les hypothèses, les théories, les idéologies ne sont pas pour autant spécifiquement géographiques.

Il faut différencier les outils proprement dits et les concepts. Les

outils ne sont pas propres à une discipline; par exemple, les physiciens

utilisent le langage mathématique qui n'est pas leur propre langage. Par

contre, le problème de la spécificité se pose au niveau des concepts. Par

exemple, le concept de lutte des classes, emprunté par HARVEY, n ' a rien de

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retrouver une unité en ayant des signes qui soient compréhensibles dans les diverses disciplines.

P

OUR LE

moment, il n' y a pas de théorise géographique, mais il y a toujours introduction des théories sociales sur le plan spatial; par exemple, la théorie des lieux centraux est une traduction spatiate des lois de

comportement de la société. La géographie est l'étude des rapports entre des groupes et un territoire. Les théories auxquelles on a besoin de se ré-férer sont donc des théories de l'espèce, naturelles, biologiques, et ce sont des théories sociales. Elles existent déjà maison a rarement montré comment ces théories sociales peuvent se prolonger dans l'espace. Les théo-ries sociales habituelles se préoccupent d'une division de la société en classes, ce qui n'a pas de réalité géographique: c'est la combinaison de petits groupes sociaux différents qui est proprement géographique.

C. RAFFESTIN donne son point de vue : "En étudiant la géographie politique, j'ai découvert que les codes utilisés par les géographes pour communiquer le territoire n'étaient pas des codes géographiques mais des codes de type géométrique, sémantique ou syntaxique. C'est la combinaison de ces code qui fait aboutir à des taxinomies qu'on appelle en géo-graphiques, mais qui ne le sont pas fondamentalement.

Pour le moment, je n'ai pat, encore trouvé, de plan purement géo- graphique, mais c'est un problème qui n ' a plus de signification si on le considère au niveau de la sémiologie. Pour GREMAS, l'objet a peu d'impor- tance, ce qui a de l'importance, ce sont les signes. Pour lui, toute scien-ce, est une sémiotique, ce qui a l'avantage de faire cesser la dichotomie absurde entre sciences naturelles et sciences humaines".

Cette réponse ne satisfait pas entièrement l'auditoire mais d'au-tres intervenants pensent par ailleurs que la question est un faux problé-me : la spécificité de la géographie relève d ' u n patriotisme de discipline.

La relation entre espace et temps a également été évoquée. Il se-rait épistémologiquement impossible d'étudier en même temps et en même lieu l'espace et le temps. Dans le marxisme, la dialectique de. l'espace ne se-rait qu'un

corollaire de la dialectique du temps. Que serait un espace étu-dié sans le temps,

sinon un espace appauvri, une table rase?L'objet de la

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géographie est un espace construit dont il est impossible de soustraire le temps.

V.- LA GEOGRAPHIE APPLIQUEE

Si la géographie est conçue comme une science, elle est immédia-tement applicable. La géographie quantitative, avec la formalisation, l'idée d'utiliser un modèle, apparaît à certains comme un avantage pour une analyse nouvelle débouchant sur des problèmes nouveaux et sur un certain nombre de faits théoriques applicables à l'aménagement.

Mais cela soulève le problème d'une nécessaire théorie. Celle-ci

actuellement n' est le fruit que d'une crise ou d'une contradiction. la nou-velle

géographie pourrait-elle amener une réponse plus rapide que l'ancien-ne à

cette crise ou à cette contradiction ?

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