3/ Le Fantastique
Définition
- Apparition d’un élément étrange, surnaturel dans un monde normal et rationnel, cela interroge et crée de l’incertitude. (Todorov)
- Cette hésitation entre une explication rationnelle rassurante et une explication irrationnelle (surgissement du surnaturel) provoque peur et angoisse.
- Différent du merveilleux dans lequel le surnaturel est normal pour les personnages (cf les contes de fées)
Dans ce roman on se trouve aux marges du merveilleux et du fantastique
• Un cadre intemporel
• Nombreux éléments communs avec la tradition orale des contes : phrases répétées, mots, thèmes :
- Drogo et Moro demandent leur chemin - Reprises binaires ou ternaires d’un mot - Parallèle entre ch II et ch XIV
- Même images (la mouche) - Descriptions du printemps
- Les vieux sages (tailleur et son frère) - Les personnages guides au début
• Parcours initiatique comme dans beaucoup de contes
• Une impression d’étrangeté :
- Champ lexical de la crainte, de la tristesse (destin, destinée,
angoisse, lumière, crépuscule, heure, attente, vague, triste, seul, sinistre, sauvage, mystérieux, lointain, lugubre…)
- Adj « étrange » très présent dans le texte
- Aucun véritable évènement…mais cette histoire nous capte.
- Contexte dans lequel la volonté humaine n’a plus de prise.
- Un monde sans couleurs
Chez Buzzati le fantastique n’est pas issu du surnaturel mais ce qui est terrifiant c’est qu’il est issu d’une sorte d’hyperréalité, dans les recoins de la conscience humaine.
Ce récit est un exutoire, une thérapie, une revanche sur le mal-être de Buzzati. Ce dernier utilise ses fantasmes, ses angoisses, ses obsessions.
4/ Un narrateur omniprésent
• Petit rappel de narratologie : statut, point de vue et discours du narrateur.
• Le narrateur, c’est la « voix » qui prend en charge et organise le récit. C’est un être fictif.
- Qui est le narrateur ? Que sait-il ?
- D’où et comment sont vus les personnages ? - S’efface-t-il ou intervient-il dans son récit ?
Narrateur Point de vue Exemple
Le narrateur n’est pas un personnage de l’histoire, c’est
une voix extérieure qui raconte…
(narrateur extradiégétique)
Il intervient parfois dans le récit, commente, s’adresse au
lecteur, émet des opinions…
Le narrateur
est l’un des personnages de l’histoire qu’il raconte…
(narrateur intradiégétique)
… De manière neutre et objective. Il en sait moins que les personnages :
FOCALISATION EXTERNE
… et semble tout savoir, il en sait même plus que les personnages eux-mêmes : ce
narrateur est OMNISCIENT
On parle aussi de FOCALISATION ZERO
… et nous livre les évènements tels qu’ils sont perçus et ressentis par un
personnage particulier ; le lecteur découvre les évènements à travers le champ de conscience d’un personnage :
FOCALISATION INTERNE C’est donc une sorte de témoignage
(totalement fictif en général).
Le point de vue est forcément limité et donc toujours interne !
Une grosse mouche venue d’on ne sait où, approcha d’une tarte aux fraises. Elle tournoya un instant puis se posa sur celle-ci.
Une mouche, partie à 11 heure 12 de la salle de bain approcha de la tarte aux fraises que madame Michu venait de sortir du four. Après avoir tournoyé un instant au-dessus, Mimi-la-mouche se posa sur les belles fraises bien sucrées, payées en 1€ les 250 grammes.
Elle avait espéré un bon repas, elle ne se doutait pas qu’elle vivait là ses derniers instants. Lecteur, tu vas lire le récit cruel de sa fin !
Une mouche approcha de la tarte qu’elle avait repérée.
Elle la trouvait fort appétissante et décida, après avoir tournoyé un moment, de s’y poser afin d’en déguster quelques fragments. Elle aimait tant les fraises !Chacun sait combien les mouches sont gourmandes…
Je bourdonnais joyeusement depuis un moment. Partie de la salle de bain, j’allais dans la cuisine. Là, mes beaux yeux à facettes furent émerveillés par le spectacle qu’ils découvrirent : une splendide et bien rouge tarte aux fraises reposait sur la table. Je décidai de me poser rapidement dessus afin de savourer un bon repas.J’aime tant les fraises !
Dans le roman de Buzzati :
- le narrateur est extradiégétique
- Il est le plus souvent focalisé sur Drogo (focalisation interne) - Parfois omniscient (cf p9, p74)
- Il intervient sans cesse dans son récit (discours du narrateur)
Chapitre Edition pocket
Edition poche
X 80 74
I 7 9
X 80 74 et
suivantes
XII Vers 112 100 et
suivantes
I 6 8
VII 66 60
VI 55/58 50/53
X 83/86 76/79
VII 169 152
XXX 264 240
XV Vers 157 143
I 9 11
CORRESPONDANCES (parfois approximatives) de pagination.
Ces interventions fréquentes ressemblent à celles des conteurs de la tradition orale :
- Fait des remarques sur ses personnages (ch I,p 8 ; ch 7, p 60).
- Il répète souvent des formules (ch X, ch XII, ch XIV).
- Il commente le temps qui passe et met en évidence le manque de lucidité des personnages.
- Se préoccupe d’eux et les soutient (ch VI, 50/21,53 ; ch X, 76, 78, 79).
- Connaissant les tréfonds de leur conscience, il les interpelle pour les secouer, les consoler aussi (ch XVII, p 152 ; ch XXX, p 240).
- Apostrophe Lagorio (ch VIII), encourage Filimore (ch XIV), salue Angustina (ch XV, p 143).
- Prend le lecteur à témoin et lui rappelle le danger que va courir Drogo (ch I, p 11).
• Ces interpellations sèment le doute, contribuent à créer une atmosphère fantastique.
• Ce narrateur extradiégétique bouscule son statut par la proximité qu’il crée avec ses personnages.
• Les lecteurs eux-mêmes sont invités à se rapprocher des personnages.
Personnages, narrateur, lecteurs sont dans la même galère existentielle, l’incontournable et inconfortable
condition humaine.
Quelques problèmes relatifs à la traduction d’une œuvre littéraire (et à la traduction en
général).
Traduttore, traditore !
• Une démarche interprétative, jamais neutre.
• Tentative de restitution.
• Une négociation permanente.
Les problèmes posés par la traduction sont de six ordres : 1) Problèmes lexico-sémantiques
2) Problèmes grammaticaux 3) Problèmes syntaxiques 4) Problèmes rhétoriques 5) Problèmes pragmatiques 6) Problèmes culturels
1) Problèmes lexico-sémantiques
- Il n’existe pratiquement pas de synonymes parfaits entre deux langues (par exemple poule désigne en français le gallinacé bien connu mais aussi une femme entretenue aux mœurs réputées légères (la cocotte !) alors que le
mot chicken ne désigne que l’oiseau.
- Nécessité des dictionnaires pour déterminer la signification exacte d’un mot dans un contexte particulier
- En France on aime sa grand-mère, …mais aussi la soupe. La langue anglaise distingue to love et to like.
2) Problèmes grammaticaux
- Les temps verbaux, leurs valeurs et leurs emplois ne
correspondent pas (cf répartition imparfait/passé simple en français; deux verbes être en espagnol, des emplois différents)
- Problème de la représentation pronominale (existe ou pas ? Valeur de on ? Détermination ? Construction adj/cdn ?)
4) Problèmes rhétoriques
- À identifier et à recréer dans l’autre langue
(comparaison, métonymie, synecdoque, oxymore, …) 3) Problèmes syntaxiques
- Les figures de construction n’existent pas forcément
d’une langue à l’autre (cf l’hyperbate – modification de l’ordre des mots – est expressive et significative en
français …)
6) Problèmes culturels
- Selon la culture, 06/05/2022 peut signifier 6 mai 2022 ou 5 juin 2022
- Toute référence culturelle nécessite une adaptation localisée
- Problème des connotations dont un mot a pu se charger : collaborateur est chargé positivement ou non ?
5) Problèmes pragmatiques
- Comment traduire un dicton, un proverbe ?
- Comment faire ressentir l’humour, le sarcasme, le sous- entendu… ?
- Comment traduire le « you » anglais ? - Comment traduire un poème ?
Une langue, c’est une manière de découper le monde, de concevoir la réalité.
L’esprit est façonné par la langue
Il existe une interdépendance très forte entre la langue et la pensée.
Par exemple :
La langue anglaise est souvent très elliptique là où le français utilise des connecteurs, des prépositions, des déterminants qui lèvent des ambiguïtés.