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Données géographiques et construction institutionnelle d'une région transnationale. Le SOIA comme objet-frontière ?

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Données géographiques et construction institutionnelle d'une région transnationale. Le SOIA comme objet-frontière ?

PIERONI, Raphaël, DEBARBIEUX, Bernard

Abstract

Le rôle des bases de données géographiques dans le processus de construction régionale est resté à ce jour très marginal au sein des études régionales. Cet article étudie dans quelle mesure de telles bases de données constituent un opérateur, une modalité, de l'institutionnalisation d'une région transnationale émergente. Il mobilise pour cela les concepts d'objet-intermédiaire et d'objet-frontière, adoptés avec succès en anthropologie des sciences et des techniques. L'article se propose de le faire à l'échelle du périmètre de la Convention alpine avec une attention particulière portée sur le Système d'observation et d'information des Alpes (SOIA). Il montre que les difficultés apparaissant dans la création du SOIA sont révélatrices de celles rencontrées dans la construction institutionnelle de la Convention alpine. Cet article repose sur un corpus d'une dizaine d'entretiens étendus ainsi que de nombreux rapports internes aux institutions concernées.

PIERONI, Raphaël, DEBARBIEUX, Bernard. Données géographiques et construction institutionnelle d'une région transnationale. Le SOIA comme objet-frontière ? Revue internationale de géomatique , 2014, vol. 24/1, no. 1, p. 67-85

DOI : 10.3166/rig.24.67-85

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:36162

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Revue Internationale de Géomatique – n° 1/2012, 1-5

Données géographiques et construction institutionnelle d’une région transnationale

Le SOIA comme objet-frontière ?

Pieroni R., Debarbieux B.

1. Département de géographie et environnement, Faculté des sciences économiques et sociales, Université de Genève

Uni Mail, 40 Bd du Pont d’Arve, CH-1211 Genève 4, Suisse raphael.pieroni@unige.ch

RESUME. Le rôle des bases de données géographiques dans le processus de construction régionale est resté à ce jour très marginal au sein des études régionales. Cet article étudie dans quelle mesure de telles bases de données peuvent constituer un opérateur, une modalité, voire une condition, de l’institutionnalisation d’une région transnationale émergente.. Il mobilise les concepts d’objet-intermédiaire et d’objet-frontière, adoptés avec succès en anthropologie des sciences et des techniques. L’article se propose de le faire à l’échelle du périmètre de la Convention Alpine avec une attention particulière portée sur le Système d'Observation et d'Information des Alpes (SOIA). Il .repose sur un corpus d'une dizaine d'entretiens étendus ainsi que de nombreux rapports interne aux institutions concernées.

MOTS-CLES : OBSERVATION TERRITORIALE, REGION, SCALE, OBJETS-FRONTIERES, OBJETS-

INTERMEDIAIRES, DONNEES, CONSTRUCTION INSTITUTIONNELLE.

DOI:10.3199/JESA.45.1-n © Lavoisier 2012

1. Introduction

Signée en 1991 par les huit Etats qui se partagent les Alpes et par l’Union Européenne, la Convention Alpine est sans doute le premier traité à institutionnaliser un massif de montagne comme région transnationale. A ce titre, elle constitue une illustration remarquable du processus de construction d’une institution régionale (region-making) quand il est guidé par le double souci de circonscrire un ensemble de menaces ou de problèmes environnementaux dans une optique de développement durable et de se doter d’outils de gouvernance coopérative pour y faire face.

Très tôt après la signature de cette Convention, les Etats concernés ont convenu de la mise en place d’un système d’observation et d’information, baptisé « Système d’Observation et d’Information des Alpes » (SOIA) à partir de 1995. Cette décision est conforme à la tendance des organisations publiques de se doter toujours plus

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souvent d’outils de diagnostic et de monitoring, territorial ou environnemental, pour guider et évaluer les politiques publiques ou encore pour accompagner les initiatives de planification (« evidence-based » planning, voir Dühr et Müller, 2012) et de gestion territoriale (voir Guermond, 2011). Toutefois, la genèse du SOIA a été particulièrement lente et difficile. Vingt ans après la signature de la Convention Alpine, il n’a toujours pas pris une forme stable et durable, la forme préconisée ayant d’ailleurs changé à plusieurs reprises durant cette période.

Cette difficile gestation ne sera pas principalement étudiée ici du point de vue géopolitique (contrairement à Dean et al. 2008), technique ou financier, même si ces dimensions pourront être sollicitées ici et là, mais de façon secondaire. L’analyse qui suit propose plutôt de comprendre les difficultés de constitution du SOIA du point de vue des cadres d’analyse combinés de la Nouvelle Géographie Régionale et de l’Anthropologie des Techniques. Dans cette perspective, il s’efforce de montrer dans quelle mesure la constitution de bases de données géographiques constitue un dispositif qui lie des acteurs impliqués dans la construction territoriale de la région correspondante, mais aussi qui reflète et oriente aussi les modalités pratiques de cette construction.

2. La Nouvelle Géographie Régionale et les approches constructivistes de la question régionale

La Nouvelle Géographie Régionale (New Regional Geography ou NRG) est un courant de la géographie du dernier quart de siècle, particulièrement présent dans les publications anglophones. Ce courant a revisité le concept de région, central dans la géographie américaine et européenne tout au long de la première moitié du XXe siècle, et travaillé à lui donner une valeur heuristique nouvelle. A la géographie régionale du milieu du XIXe siècle, principalement occupée à identifier des régions selon des indicateurs le plus souvent matériels et fonctionnels, parfois culturels et identitaires, la NRG a substitué une approche constructiviste. Comme l'écrira bien plus tard Annsi Paasi, un contributeur important et souvent cité de ce nouveau champ, avec la NRG, « (it) has become typical to understand regions as historically contingent social processes emerging as a constellation of institutionalized practices, power relations and discourse » (Paasi, 2004). L'expression "historically contingent social process », utilisée pour la première fois par Allan Pred (1984), mettait l'accent sur le processus de régionalisation, plus que sur le produit, la région, et plus particulièrement sur les modalités de la construction et l’institutionnalisation de régions. Ce déplacement de la question scientifique a conduit les auteurs de ce courant à focaliser leur attention sur les pratiques d’acteurs et plus particulièrement sur l’articulation de leurs visions et de leurs projets dans un cadre qui de fait relevait de 2 catégories différentes : tantôt le niveau dit régional ou sub-national de l’organisation de l’Etat ; tantôt le périmètre de projets plus circonstanciels, que l’on a appelé parfois ad hoc regions ou unusual regions (Deas and Lord, 2006), ou encore régions de projet (project regions) (Debarbieux et al, soumis) comme dans le cas des initiatives transfrontalières en Europe.

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Cette perspective constructiviste appliquée à la région a conduit certains auteurs à étudier plus spécialement les relations établies par des réseaux d’acteurs hétérogènes impliqués dans le processus. Ce point de vue a conduit à privilégier une approche dite « relationnelle » de la région au détriment d’une approche dite « territoriale » (par ex. Allen and Cochrane, 2007), en s’inspirant plus ou moins explicitement de la théorie de l’acteur-réseau. D’autres auteurs se sont plutôt intéressés aux modalités discursives du cadrage des problèmes à résoudre, des solutions préconisées et des justifications données ex post à la constitution d’un système de régions sub-nationales ou de régions de projet. Par contre, rares sont les publications de ce champ académiques qui se sont intéressées au rôle de la cartographie dans le processus de construction régionale (par ex. Painter, 2008 ; Debarbieux et Gaberell, soumis). Quant à la question du rôle des bases de données géographiques dans ce même processus, elle est restée très marginale. Cet article vise à comprendre dans quelle mesure une base de données portée par des acteurs différents constitue un opérateur, une modalité, voire une condition, de l’institutionnalisation d’une région transnationale émergente. Il se propose de le faire à l’échelle du périmètre de la Convention Alpine.

3. Les bases de données géographiques comme objets-frontières

Focaliser notre attention sur le rôle d’une base de données dans la construction d’une région consiste à s’intéresser au rôle d’un médiateur spécifique qui est un dispositif à la fois technique et sémiotique. En effet, les données retenues, leur structuration informatique et le jeu de cartes qu’elles rendent possible visent à donner des représentations des Alpes guidées par le projet régional lui-même. Le SOIA est donc conçu ici comme un médiateur motivé par la Convention Alpine et mis en œuvre par un ensemble d’acteurs associés, d’une façon ou d’une autre, à l’arrangement institutionnel correspondant.

La sociologie et l’anthropologie des techniques nous ont fourni un cadre et quelques concepts pour procéder à une analyse de ce type. Plusieurs chercheurs se réclamant de ce courant ont déjà montré le rôle important que jouent les bases de données dans la construction d’une connaissance partagée, ou au contraire dans la construction des désaccords, voire dans le « caractère performatif de l’infrastructure » elle-même (Bowker, 2000 ; voir aussi Hine, 2006 et Strasser, 2012). D’autres ont proposé les concepts intéressants d’objet intermédiaire et d’objet-frontière (boundary-object) qui ont très peu été utilisés pour comprendre ce qui se joue autour d’une base de données. Dominique Vinck (2009) a forgé le concept d’objet intermédiaire pour rendre compte de l’activité de réseaux de coopération scientifique et technique telle qu’elle s’organise au travers des objets (courriers, rapports, filtres, détecteurs, etc.) qu’ils mobilisent dans leurs échanges.

« L’identification et le suivi des objets intermédiaires aidaient alors à cartographier les relations d’acteurs et à documenter leurs pratiques dans cet univers de production de connaissances scientifiques » (Vinck, 2009, 55).

Le concept d’objet frontière, proche du précédent, le complète en ce qu’il insiste sur la capacité d’objets à articuler des mondes sociaux hétérogènes. Il a été forgé par

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Star et Griesemer (1989) pour désigner des artefacts de connaissance (répertoires, classifications, représentations matérialisées, méthodes standardisées), dotés d’un caractère abstrait ou tangible, intervenant comme opérateurs de coordination entre des acteurs appartenant à des mondes hétérogènes. Ce sont des objets qui ont

« different meanings in different social worlds but their structure is common enough to more than one world to make them recognizable, a means of translation. The creation and management of boundary objects is a key process in developing and maintaining coherence across intersecting social worlds. » (Star et Griesemer, 1989, 393). Ce concept a ainsi été utilisé par quelques auteurs francophones comme Céline Granjou et Isabelle Mauz qui ont étudié les modalités de coordination entre les acteurs de la gestion de la nature et ceux de la recherche scientifique dans l’estimation de l’effectif de la population de loups en France (Granjou et Mauz, 2009).

Quelques uns de ces travaux consacrés aux objets-frontières se sont intéressés aux bases de données. L’anthropologue Morgan Meyer (2009) a étudié le rôle de la mise en place d’une banque de données au Musée national d’histoire naturelle du Luxembourg. Il soulignait que cette banque de données, en rendant possible l’articulation d’acteurs hétérogènes mais clairement spécifiés, avait joué un rôle majeur dans la définition des identités sociales de chacune des parties prenantes :

« une base de données est un objet-frontière politique, objet à travers lequel s’expriment des identités spécifiques et dont le fonctionnement dépend des enrôlements et des résistances de ses utilisateurs. » (Meyer, 2009, 144). La seule recherche qui, à notre connaissance, a fait usage du concept d’objet frontière pour analyser le rôle de bases de données géographiques et de systèmes d’information géographiques dans l’agencement d’acteurs hétérogènes – en l’occurrence une infrastructure de données (ATKIS) spécifique à l'administration allemande - a été conduite par Francis Harvey et Nicholas Chrisman. Ils insistent notamment sur la capacité de ce type d’objet à intégrer des groupes d’acteurs aux identités différenciées, mais aussi à exclure d’autres groupes du système et donc à instaurer des rapports de pouvoir entre eux : « a boundary object connects the enrolled groups while excluding the opposition » et « ATKIS structures relationships and delimits organizational power to the groups who constructed the technology » ((Harvey and Chrisman, 1998a, 1683 ; 1998b, 1692).

Au vu de ces apports, nous pouvons reformuler la question principale de cet article : dans quelle mesure l’histoire difficile de la conception et de la mise en place du SOIA gagne-t-elle a être interprétée en termes d’objet intermédiaire ou d’objet frontière ? Peut-on analyser le SOIA comme un objet intermédiaire qui a pu (ou échoué à) fédérer un groupe d’acteurs experts dans la maîtrise de la technologie correspondante ? Ou doit-on plutôt l’analyser comme un objet frontière qui a pu (ou échoué à) faire converger divers groupes d’acteurs concernés, à des titres divers, par le système technique promu et par la constitution d’une région alpine ? La recherche dont cet article rend compte repose sur une analyse de la documentation disponible et une dizaine d’entretiens d’acteurs impliqués à un stade ou un autre de l’élaboration de cette base de données. Plusieurs extraits de ces entretiens, tous anonymisés, sont reproduits ici.

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3. Le système d’observation des Alpes et la mise en place d’un instrument au service d’un projet régional

Signée en 1991, ratifiée par les Etats signataires en 1994, la Convention Alpine poursuit depuis lors, notamment sous la pilotage de son Secrétariat Permanent (PSAC) créé en 2003, un objectif double de protection de la nature et de promotion du développement durable des Alpes (Price, 1999 ; Balsiger, 2008). L’article 3 et, dans une moindre mesure, l’article 4 de cette Convention prévoient que les Etats signataires coordonnent leurs activités en matière d’observation et de recherche sur les Alpes. Pour répondre à ces objectifs, le comité des hauts fonctionnaires représentant les pays concernés a constitué en 1992 un groupe d’experts chargé de préparer la création d’un système d’observation des Alpes. A cette époque et jusqu’en 1994, la présidence de la Convention Alpine est assurée par la France qui confie cette responsabilité au Pôle Européen Universitaire et scientifique de Grenoble et plus précisément à des chercheurs du Cemagref (principalement Vincent Briquel et Philippe Huet), et de l’Institut de Géographie Alpine (Université Joseph Fourier, Grenoble) autour de Hervé Gumuchian. Le mandat confié à ce groupe de chercheurs « était de dégager des thèmes prioritaires d’observation et de recherche, de concevoir le sommaire d’un futur rapport sur l’état de l’environnement des Alpes et de proposer divers schémas d’organisation pour le système à mettre en place » (Briquel, 1995, 24).

Le couplage de l’observation et de la recherche, explicite dès les premiers documents, s’explique par le souci d’alimenter le système avec des données fournies par les chercheurs et, en retour, de mettre à leur disposition l’ensemble des données collectées.

Outre les scientifiques, cette mise à disposition des informations s’adresse aussi aux acteurs politiques et associatifs , notamment avec le souci de promouvoir l’idée que les Alpes constituent une entité de référence de l’action publique: comme l’analyse un des chercheurs impliqués dans ce processus, la constitution du système d’observation des Alpes « donne plus de consistance à cette zone alpine (…) pour être capable de diffuser de l’information sur les Alpes, c’est une façon de montrer que les Alpes ça existe, qu’elles sont capables de se situer par rapport aux autres massifs. » (Entretien n°5)

En outre, étant guidé par les objectifs visés par le document-cadre et les protocoles thématiques de la Convention Alpine, le système d’observation des Alpes était conçu comme un instrument clef de la conduite et du monitoring d’une politique transnationale appliquée à un périmètre précisément fixé dans l’article 1 du Traité et son annexe. On comprend aussi qu’en cherchant à associer les organismes de recherche, voire les élus, le système d’observation des Alpes ambitionnait de devenir un instrument de coordination régionale de leurs activités et d’identification de leur ancrage alpin.

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4. Le système d’observation des Alpes et la mise en place d’un instrument au service d’un projet régional

Signée en 1991, ratifiée par les Etats signataires1 en 1994, la Convention Alpine poursuit depuis lors, notamment sous la pilotage de son Secrétariat Permanent (PSAC) créé en 2003, un objectif double de protection de la nature et de promotion du développement durable des Alpes (Price, 1999 ; Balsiger, 2008). L’article 3i et, dans une moindre mesure, l’article 4 de cette Convention prévoient que les Etats signataires coordonnent leurs activités en matière d’observation et de recherche sur les Alpes. Pour répondre à ces objectifs, le comité des hauts fonctionnaires représentant les pays concernés a constitué en 1992 un groupe d’experts chargé de préparer la création d’un système d’observation des Alpes. A cette époque et jusqu’en 1994, la présidence de la Convention Alpine est assurée par la France qui confie cette responsabilité au Pôle Européen Universitaire et scientifique de Grenoble et plus précisément à des chercheurs du Cemagref (principalement Vincent Briquel et Philippe Huet), et de l’Institut de Géographie Alpine (Université Joseph Fourier, Grenoble) autour de Hervé Gumuchian. Le mandat confié à ce groupe de chercheurs « était de dégager des thèmes prioritaires d’observation et de recherche, de concevoir le sommaire d’un futur rapport sur l’état de l’environnement des Alpes et de proposer divers schémas d’organisation pour le système à mettre en place » (Briquel, 1995, 24).

Le couplage de l’observation et de la recherche, explicite dès les premiers documents, s’explique par le souci d’alimenter le système avec des données fournies par les chercheurs et, en retour, de mettre à leur disposition l’ensemble des données collectées.

Outre les scientifiques, cette mise à disposition des informations s’adresse aussi aux acteurs politiques et associatifsii, notamment avec le souci de promouvoir l’idée que les Alpes constituent une entité de référence de l’action publique: comme l’analyse un des chercheurs impliqués dans ce processus, la constitution du système d’observation des Alpes « donne plus de consistance à cette zone alpine (…) pour être capable de diffuser de l’information sur les Alpes, c’est une façon de montrer que les Alpes ça existe, qu’elles sont capables de se situer par rapport aux autres massifs. » (Entretien n°5)

En outre, étant guidé par les objectifs visés par le document-cadre et les protocoles thématiques de la Convention Alpine, le système d’observation des Alpes était conçu comme un instrument clef de la conduite et du monitoring d’une politique transnationale appliquée à un périmètre précisément fixé dans l’article 1 du Traité et son annexe. On comprend aussi qu’en cherchant à associer les organismes de recherche, voire les élus, le système d’observation des Alpes ambitionnait de devenir un instrument de coordination régionale de leurs activités et d’identification de leur ancrage alpin.

1 Autriche, France, Allemagne, Italie, Liechtenstein, Slovénie, Suisse, Principauté de Monaco

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5. L’institutionnalisation du SOIA

Suite à ce travail d’expertise initial, les ministres de l’environnement des Etats signataires statuent en 1994 sur les principes de mise en oeuvre de ce qui devient alors officiellement le « Système d’Observation et d’Information des Alpes » (SOIA).

La structure organisationnelle du SOIA est adoptée en février 1996. Il est décidé que le SOIA devait être piloté par un Standing Committee, chargé de l’orientation stratégique, correspondant de fait aux délégués des pays signataires dans les institutions de la Convention Alpine. Il devait être mis en œuvre par un «executive level», en l’occurence un réseau de huit « centres nationaux de communication », un par pays signataire (meeting of the working group SOIA, 2009). L’activité des centres était soutenue par une unité de coordination, le « Joint Research Center » d’Ispra (Italie), un des centres de recherche que l’Union Européenne a mis sur pied pour accompagner la mise en œuvre des politiques publiques transnationales ou supranationales.

Cette structure organisationnelle devait permettre au SOIA de réaliser des tâches ayant trait à la structuration, au traitement, à la représentation ainsi qu’à la diffusion de l’information géographique sur les Alpes. A partir de 1998, sa mission est explicitement subordonnée au besoin de produire les données et l’information nécessaire à une évaluation homogène de la situation socio-économique de la région alpine, en particulier pour les enjeux pointés par la Convention Alpine et ses protocoles.

6. Le SOIA, un objet qui peine à prendre forme « intermédiaire »

En dépit de cette définition claire des objectifs et de la mise sur pied d’une structure de pilotage et d’exécution, les travaux de SOIA se heurtent rapidement à une série de difficultés. Une des principes réside dans la difficulté que rencontrent les « centres nationaux de communication » de l’executive level à dégager une véritable vision commune et à faire du SOIA un véritable objet intermédiaire.

6.1. L’enjeu du leadership politique

En effet, dès 1998, peu après avoir initié la conception d’un vaste outil de référence pour l’information environnementale sur les Alpes (Catalogue de Sources de Données - CDS ALPIN2), la contribution du Joint Research Center d’Ispra est interrompue en raison du manque de financement européen. A partir de cette date, la coordination du projet passe entre les mains de plusieurs administrations nationales successives, en vertu du principe de rotation tous les deux ans de la présidence de la

2 http://www.grid.unep.ch/activities/metadata/alpine_catalogue/index.fr.php

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Convention entre les Etats signataires. Or les conceptions que chaque Etat adopte en matière de coordination sont très variables.

En 1998, la Suisse, qui préside alors la Convention Alpine, avait délégué à deux administrations fédérales, l’Office fédéral du développement territorial (ARE) et l’Office fédéral de l’Environnement (OFE), le suivi de la Convention. Ensemble, ils mandatent une cellule technique du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le « Global Resource Information Database » (GRID), localisé à Genève, spécialisé dans le suivi et l’évaluation environnementale, pour reprendre le travail initié par le JRC. Ce choix était justifié par des considérations techniques – notamment le savoir faire du GRID en la matière - et politiques : « la Suisse demandait des données (aux autres Etats alpins) tout en faisant partie des pays signataires ; donc c’était délicat. (elle a pensé que c’était) mieux si c’est une agence supranationale qui reprenait le leadership. » (Entretien n°1).

En 2001, la Suisse cède la présidence à l’Italie qui, aux dires de certains témoins interrogés, cherche à acquérir un leadership durable dans cette mission : « Les Italiens ont (alors) la volonté de reprendre le bébé à leur compte », procédant à une

« sorte de putsch » (Entretien n°1), tout en mettant en place une nouvelle série d’instruments, notamment un site web. En 2003 vient le tour de l’Allemagne ; l’Etat fédéral développe au même moment un « google environnemental » (GEIN), remplacé aujourd’hui par le « German Environmental Information Portal » (PortalU), et s’efforce de mettre le CDS ALPIN au service de ce projet. Cette réorientation conduit à de nouvelles tensions entre Etats alpins.

L’enchainement des présidences et la succession de conceptions différentes de la structure à donner au SOIA conduisent in fine à l’enlisement du projet. La création par les Etats signataires, en 2003, du Secrétariat Permanent à la Convention Alpine (PSAC) intervient précisément pour éviter que des stratégies nationales prévalent trop aisément dans le pilotage de la Convention intervient trop tardiii.

6.2. L’enjeu de l’accès aux données

Un second point d’achoppement réside dans les modalités de partage, de mise en commun ou d’échange des données entre les administrations nationales. Plusieurs modèles de coopération existent dans ce domaine, qui vont de la gestion commune ou coordonnée dans les cas de collaboration les plus intenses, à un simple échange d’information dans les situations opposées (Pornon, 1998). Dans le cas du SOIA, les administrations nationales se sont parfois montrées réticentes à partager leurs données et à voir une instance transfrontalière se mêler de leurs ressources :

«Certains pays comme la Suisse, la France, Monaco voulaient vraiment partager ces données et faciliter la gestion transfrontalière de l’environnement mais d’autres pays ne partageaient pas cette préoccupation » (Entretien n°1). Le réseau de centres nationaux adopte alors une conception minimaliste de la coopération, celle de l’échange d’information sur les bases de données dont ils disposent sans donner l’accès de ces bases aux admnistrations des autres Etats signataires. Il a été convenu

« de cataloguer les données pour savoir qu’elles existent », mais que « le SOIA

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n’aurait pas pour vocation à les centraliser » (Entretien n°5). La raison invoquée est simple : « les données produites par certaines administrations ne sont pas nécessairement autorisées à circuler sans restriction d’un Etat à l’autre. » (Briquel, 1995, 38). D’autres entretiens invoquent le « culte du secret » dans ce domaine et le fait que les « données propriétaires » sont souvent commercialisées, et donc « que l’on n’a pas l’habitude de (les) diffuser gratuitement » (Entretien n°1).

6.3. L’enjeu technique

Une troisième difficulté provenait des défis techniques que représente la constitution d’une base unique à partir de données hétérogènes. Certains de ces défis sont apparus avant même l’étape de création de la base de donnée : « quand il a fallu passer à l’acte, il s’est avéré que ce n’était pas évident sur des tâches assez techniques comme rebooter des fonds géographiques » (Entretien n°5). Quant à la conception de la base de donnée elle-même, les techniciens se sont rapidement heurtés aux « normes (et) aux formats très différents….ça ne facilite pas ! », ainsi qu’à la question de « la mise à jour (qui) était le plus gros problème technique » (Entretien n°1).

Le projet souffre alors de ne pas bénéficier de développements techniques intervenus ultérieurement, notamment le recours aujourd’hui commun à des infrastructures de données spatiales (SDI) : « si l’on devait lancer le catalogue alpin aujourd’hui on n’aurait plus de facilité technique (…) la seule chose qui marche c’est le SDI accompagné de tous les standards » (Entretien n°1). En effet les infrastructures de données spatiales facilitent aujourd’hui une « gestion décentralisée tout en gardant le contrôle total sur l’information, la technique peut donc maintenant faciliter la prise de décision politique ! » (Entretien n°1).

Finalement, tout au long des 10 premières années de sa gestation, le SOIA aura peiné à prendre forme. Le projet aura souffert d’un manque de constance, de consensus, et d’une faible motivation des administrations nationales sollicitées, ainsi que de complications techniques dans sa mise en œuvre. Si l’on reprend la terminologie et le cadre d’analyse de Dominique Vinck, le SOIA a échoué, durant cette période, à devenir un véritable objet intermédiaire, à fédérer des acteurs de niveau équivalent à construire un collectif par le partage de connaissances et d’outils susceptibles de leur donner forme.

7. Le SOIA, un objet qui peine à rassembler acteurs politiques, techniques et scientifiques

Si le SOIA n’est pas parvenu à devenir un objet intermédiaire pour les administrations nationales en charge de la collecte et de la structuration des données géographiques pour les raisons qui viennent d’être citées, il n’est pas davantage devenu un objet frontière entre acteurs de natures différentes impliqués dans la Convention. On l’observe dans deux domaines où une telle coordination était attendue : entre les techniciens de l’information géographique et les porteurs

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politiques de la Convention d’une part; et entre ces derniers et les scientifiques d’autre part.

7.1. La faiblesse de l’articulation du technique et du politique

Pour certains observateurs, la difficulté rencontrée dans la coopération attendue des administrations nationales de l’information géographique reflétait la faible prise des représentants des Etats signataires de la Convention sur ces administrations. Les premiers sont, selon les cas, les ministères de l’environnement ou de l’aménagement du territoire. Le plus souvent, les administrations de la statistique ne sont pas sous leur autorité et ils disposent d’une médiocre connaissance des implications techniques de la confection du SOIA : « C’est là où il y a eu pas mal de difficulté (…) car les gens avec qui on travaillait, je dis pas que la notion de système d’information leur était étrangère, mais ce n’était pas leur quotidien, des chefs du ministère de l’environnement qui n’étaient pas des techniciens des SIG. (…) Alors oui, ces experts c’étaient soit des techniciens du chiffre ou de l’information ou alors des fonctionnaires aux ordres de leur directeur, un peu une tour de Babel. » (Entretien n°5)

Par ailleurs, les techniciens chargés de monter le SOIA n’étaient pas en mesure de maîtriser les enjeux relatifs à la conduite politique de l’ensemble de la Convention : « (les Etats) avaient déjà de la peine à (la) faire fonctionner ; alors imaginez vous (ce qu’il en était) au niveau opérationnel-management des données » (Entretien n°4). Les difficultés rencontrées dans la définition des contenus des protocoles, notamment dans quelques domaines sensibles comme celui de la pollution et des transports, ont introduit dans les discussions « des jeux de pouvoir et diplomatiques » (Entretien n°1) et contribué à rendre plus difficile encore l’échange de données. Avec le recul, un observateur conclut : « on n’avait pas le sentiment que les Etats alpins sentaient vraiment la nécessité d’avoir des données à leur disposition pour suivre la Convention Alpine. » (Entretien n°5) Plus que cela, le SOIA a pu susciter une méfiance de la part de certains en vertu même de la nature des missions qui lui étaient données : le SOIA était en mesure de devenir « un truc avec un statut institutionnel mal défini qui (allait) voir lui-même quels sont les progrès que font les pays dans l’application de leurs protocoles ; donc il (allait) évaluer ce que font les pays ; et ça c’est niet ! » (Entretien n°4)

7.2. Le déphasage des attentes politiques et scientifiques

On a déjà dit qu’un des objectifs initialement fixés au SOIA était de coupler les besoins du pilotage politique de la Convention et ceux des chercheurs. De fait, durant les premières années de la Convention Alpine, avait été mis en place un véritable dispositif visant à structurer la recherche dans le cadre alpin, notamment pour faciliter la communication des connaissances scientifiques vers les décideurs:

un recensement des organismes liés à la recherche alpine avait été lancé en 1994 qui aboutit à l’identification de 500 partenaires potentiels (Plassmann, 1995); un conseil

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scientifique (ISCAR) composé de délégations nationalesiv avait été mis sur pied en 1999; il était officiellement désigné comme observateur officiel de la Convention alpine l’année suivante ; depuis lors, l’ISCAR organise un Forum scientifique bisannuel qui vise à faire le point sur les connaissances disponibles et à susciter des collaborations entre chercheurs et institutions scientifiques ; ce Forum se mue en Semaine alpine, tous les 4 ans, qui rassemble les scientifiques, les responsables politiques et les ONGs.

Pourtant, malgré ce souci de rapprochement des cadres de la discussion scientifique et de la décision politique, la coopération entre le monde de la recherche et le pilotage scientifique de la Convention a peiné à prendre la forme évoquée dans le document cadre de la Convention. Ainsi le programme pluriannuel que conçoit l’ISCAR pour structurer la recherche de façon à accompagner la définition et la mise en œuvre de politiques plurinationalesv ne trouvera jamais, du côté des Etats partenaires ou du Secrétariat permanent, le soutien, notamment financier, dont il avait besoin. Par ailleurs, et c’est le point le plus important ici, la construction du SOIA ne parvient pas à prendre en compte les besoins réels et les pratiques effectives des chercheurs.

Ainsi, bien que les textes fondateurs aient fait explicitement référence au monde de la recherche, la construction de SOIA prend peu en compte le différentiel des besoins et des cultures professionnelles des acteurs concernés. Selon un chercheur :

« on n’a pas vraiment parlé de recherche (lors de la mise en place du SOIA) ; c’était vraiment une base de données, une base d’information pour conduire une politique des Alpes. C’était ça le cœur (du projet)» (Entretien n°4). Pour un autre interlocuteur, s’il y avait un sentiment partagé que « les scientifiques devaient être associés à la Convention Alpine », il a fallu admettre que « les scientifiques ont leurs propres liberté, (qu’)ils sont dans une problématique recherche et (ne veulent) pas se sentir inféodés à un texte politique » (Entretien n°5). Dans ces conditions, le SOIA ne pouvait pas plus devenir un objet frontière entre les pilotes politiques de la Convention et les scientifiques, qu’entre les premiers et les techniciens de l’information géographique.

De leur côté, les chercheurs se sont peu investis dans la construction de SOIA et bien davantage soucié de constituer leurs propres bases de données, en fonction des questions spécifiques sur lesquelles ils travaillaient: l’évolution démographique des communes alpines (Bätzing, 2001), la transformation des exploitations agricoles et de l’occupation du sol (Tappeiner et al., 2003), etc. Si ces initiatives ont conduit à des analyses qui ont pu être discutées dans les organes de la Convention Alpine, elles n’ont pas contribué à influer sur la structure et le développement du SOIA lui- même. Il semble bien que la structure politique du projet et la coordination scientifique qui s’est mise en place très tôt ne se sont pas efficacement articulées, en raison peut-être de cultures professionnelles trop différenciées. Pour un des chercheurs interrogés « le fonctionnement de la Convention Alpine comme processus politico-administratif ne correspondait vraiment pas à celui du monde scientifique (…) Clairement il a manqué une stratégie opérationnelle pour SOIA concernant la recherche, parce que la Convention Alpine comme organe

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administratif ne pouvait pas mobiliser des scientifiques pour des questions qui sont des questions de la Convention. (…) Non, (…) la recherche ne fonctionne pas à travers les administrations, elle utilise peut-être ces données mais les questions de recherche se créent dans le monde de la recherche (…) Pour les scientifiques, c’est clair, SOIA n’a jamais été une organisation de référence. (…) Il n’est pas devenu la bibliothèque pour les Alpes » (Entretien n°4). Un responsable politique formule les choses autrement : « Ce qui est important pour la science peut différer de ce qui est important pour la Convention alpine. Et comment mettre ces deux choses ensemble, ces demandes ensemble, ça c'est compliqué, c'est assez délicat (…) » (Entretien n°3).

Au vu de cette difficulté à coordonner les acteurs politiques de la Convention Alpine, les techniciens de l’information et les scientifiques, des chercheurs ont initié au milieu des années 2000 un projet d’une autre nature. Forts de l’interconnaissance et des collaborations encouragées par la structuration de la recherche alpine et les événements organisés par l’ISCAR, un collectif d’institutions scientifiquesvi a été constitué en 2004. Ce collectif monté par le professeur Axel Borsdorf de l’Université d’Innsbruck, impliquait fortement, en tant que « scientific leader », l’Académie Européenne de Bolzano (EURAC) un centre de recherche privé sans but lucratif du Haut Adige – Sud Tyrol italien qui se spécialise alors dans le traitement de données géographiques. Il obtient un financement du programme communautaire Interreg IIIB pour un projet baptisé «Infrastructure de Données pour les Alpes – une technologie en réseau pour des zones de montagne» (DIAMONT), conduit sur la période 2005-2008 : « l’ambition de Borsdorf, c’était de dire ‘le SOIA s’est cherché pendant des années, mais maintenant il est mûr pour repartir’. Ce qu’il a proposé c’est en fait de faire ce qu’on avait plus ou moins envisagé de faire en espérant que ça passe mieux » (Entretien n°5).

Comme l’indique son nom, le projet DIAMONT visait à mettre en place une infrastructure de données couplée avec un système d’information géographique, qui rende possible l’actualisation des données, de publier des analyses synthétiques comme celles finalement rassemblées dans un Atlas thématique des Alpes (Tappeiner et al., 2008), ainsi que l’accès de certaines de ces données et des cartes produites par un site internet créé pour l’occasion3.

De 2005 à 2008, le projet DIAMONT avait donc vocation à interagir fortement avec le Secrétariat Permanent de la Convention Alpine (PSAC) pour préfigurer une relance du projet SOIA4. Les témoignages sur cette période sont assez divers ; mais ils montrent que ce potentiel de coopération n’a pas été optimisé. Certes, des échanges de vues sont intervenus sur quelques aspects techniques et méthodologiques, comme le choix des indicateurs. Par contre, ils auraient été rares sur des questions plus stratégiques, comme les modalités de promotion du

3 http://diamont-database.eu/

4 Un working package du projet DIAMONT spécifiait le souci de «Permanent Contact and Collaboration with SOIA and Public Authorities»

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développement territorial durable. Enfin, si le projet DIAMONT avait souhaité communiquer sur les concepts et les méthodes adoptés, les données collectées dans ce cadre n’ont jamais pu être mises à dispotion du PSAC pour des questions de droit de propriété.

Dès lors, il semble bien que malgré les intentions déclarées à l’origine du projet, la base de données de DIAMONT ne soit pas parvenu à jouer le rôle d’objet- frontière, entre les scientifiques, le PSAC et derrière lui, les Etats signataires qui définissent les tâches du Secrétariat. Par contre, en raison de sa structure en réseau, mais aussi du recours à un grand nombre d’experts pour identifier les défis alpins les plus significatifs (à l’aide de la méthode DELPHI), DIAMONT a constitué un moment privilégié de coordination de l’activité scientifique. A ce titre, il a pu jouer le rôle d’objet intermédiaire, structurant pour cette communauté, mais elle seule.

8. Le redimensionnement du SOIA : une nouvelle articulation d’acteurs et d’échelles

La relance progressive du projet SOIA par le PSAC, à partir de 2004, n’a donc pas pris la forme d’une coopération privilégiée et durable avec les scientifiques impliqués dans le projet DIAMONT. En 2004, la présidence allemande avait initié un recalibrage du SOIA qui acte de la reprise en main de son pilotage par le PSAC.

Pour ce faire, elle avait installé un groupe de travail composé de représentants des points focaux nationaux, mandaté pour redimensionner les objectifs et les modalités du projet. La nouvelle équipe dirigeante du PSAC, nommée en 2006, établit alors des contacts avec l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE). Cette agence était mentionnée comme partenaire possible du SOIA dès 1994 (Briquel, 1995), mais la collaboration ne prend forme vraiment qu’à partir de 2009 (Rapport d’activités 2009-2011 du PSAC). En mars 2012, un accord de partenariat est signé entre le PSAC et l’AEE.

Le parti-pris consistant à se rapprocher de l’AEE est motivé par des considérations politiques et pratiques, qui tirent les leçons de l’échec du SOIA dans la première décennie de son existence. Comme nous le disait un technicien impliqué durant cette première phase :« on n’est jamais arrivé à une centralisation des données au niveau de la Convention. Les seuls à y être parvenus, ce sont Eurostat d’une part, et l’AEE au niveau des données environnementales d’autre part, car ils ont des accords politiques en amont !!! » (Entretien n°1). L’AEE avait reçu mandat de la part des Etats membres et de la Commission Européenne de collecter, harmoniser et structurer les données sur l’environnement européen. Ce rôle lui était reconnu par des directives communautaires, beaucoup plus contraignantes que ne le sont les protocoles vis à vis des Etats signataires de la Convention Alpine. Dès lors son activité se trouvait moins sujette aux contraintes politiques et technocratiques qui avaient rendu difficile la création du SOIA sous la forme initialement prévue.

Dès lors l’objectif du SOIA pouvait être redéfini. Il devenait possible de confier à l’AEE la gestion des données elles-mêmes, selon des protocoles harmonisés à l’échelle continentale, de convenir avec eux de la possibilité d’extraire les données

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relatives aux Alpes, autrement dit de constituer « une région de données (…) concernant le périmètre alpin » (Entretien n°4), et de faire de SOIA un dispositif d’interrogation et d’analyse de ces données. Le PSAC renonçait alors à constituer une base de données à l’échelle du périmètre de la Convention pour assurer un suivi ad hoc du territoire et de l’environnement alpins. Il pouvait alors concentrer son activité sur la réalisation de « Rapports sur l’état des Alpes » utiles à l’évaluation de l’action de la Convention. Quatre rapports thématiques ont vu le jour dans ce nouveau contexte - sur les transports et la mobilité (2007), l’eau (2009), développement rurale durable et innovation (2011) et le tourisme durable (en cours de finalisation) – à chaque fois réalisés à l’aide de données provenant pour partie de DIAMONT mais plus souvent encore de l’AEE.

La réalisation de ces rapports a suscité de nouvelles formes de collaboration entre les instances de la Convention et les chercheurs. Chaque rapport a donné lieu à la constitution d’un réseau régional d’experts des différents pays. La conception du SOIA qui prévaut désormais est celle d’un « tissu, un réseau, un management du savoir (…) soutenu par des outils comme la base de données » (Entretien n°6).

SOIA devient alors une forme de valorisation des données de l’AEE à l’échelle alpine, une sorte de « focal point régional » (Entretien n°3), avec en outre l’avantage de combiner une compétence perçue comme externe et neutre, celle de l’AEE, et une compétence interne, celui du SOIA, guidée par le souci de coller avec les objectifs de la Convention : « On a, disons, des données environnementales, puis on définit le périmètre, et puis on essaye plus ou moins de régionaliser l’information qu’on a ; mais ça, c’est le job des gens à Copenhague (siège de l’AEE). Parce qu’eux, ils ont le tout, avec une vue depuis l’extérieur ; et SOIA a le problème qu’il focalise (à l’échelle) du périmètre alpin, avec une vue depuis l’intérieur. (…) je crois que c’est plus facile. » (Entretien n°4)

Cette transformation radicale du SOIA a été appréciée par certains scientifiques :

« le SOIA devrait avancer dans son (nouveau) rôle d’interaction avec le savoir et l’appliquer pour la Convention Alpine » et non plus « essayer de coordonner ou produire des données ; ce n’est plus possible » (Entretien n°4). Ce serait une « tâche dans le futur (pour SOIA) de documenter dans une démarche de monitoring et (…) l’AEE serait intéressée d’avoir une aide de SOIA pour réaliser ce monitoring. » (Entretien n°4). Mais elle a déçu des chercheurs fortement impliqués dans le projet DIAMONT qui pensaient avoir jeté les bases du système opérationnel dont avait besoin la région alpine.

9. Synthèse : retour sur l’institutionnalisation de la région, la science et les données

Le projet de cet article était d’apprécier le statut du Système d’Observation et d’Information des Alpes durant la quinzaine d’années de son existence officielle à l’aide des concepts d’objet intermédiaire et d’objet frontière, issus de l’anthropologie des techniques, et le rôle que le SOIA a joué dans l’institution de la région alpine. L’analyse de la constitution du SOIA du point de vue des deux cadres d’analyse correspondants nous conduit aux conclusions suivantes :

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– Le SOIA a constamment été pensé comme un outil d’accompagnement d’un projet éco-régional. Mais il s’avère avoir été plus que cela ; l’historique de ses échecs et de son redimensionnement montre qu’il a été constamment un révélateur des modalités institutionnelles de pilotage de la Convention Alpine et de relations entre les parties prenantes, voire une source de leur caractère conflictuel ;

– Il a échoué à devenir un objet intermédiaire, c’est à dire un objet capable d’accompagner la constitution d’un collectif de partenaires, les Etats signataires et l’Union Européenne, et de les doter d’une connaissance et d’une vision commune ;

– Il a aussi largement échoué à fédérer les acteurs politiques, techniques et scientifiques, les besoins en matière de données, mais aussi le souci d’autonomie des uns et des autres, ayant fait diverger leurs intérêts respectifs. Dès lors, il n’a pas non plus joué le rôle d’objet frontière.

– Le nouveau dispositif qui s’est mis en place durant les dernières années semble avoir gagné en efficacité. De façon révélatrice, deux facteurs ont joué un rôle décisif dans ce tournant : le premier est le recours aux services d’une agence européenne, qui acte le bénéfice d’une sortie du cadre strictement alpin de la coopération ; le second est la montée en puissance des institutions localisées à Innsbruck et Bolzano (PSAC, université, EURAC). La concentration des initiatives au Tyrol, de part et d’autre de la frontière austro-italienne, marque une rupture avec une des dimensions importantes du projet initial : la mise en place et la valorisation d’un réseau équilibré de partenaires localisés dans chacun des pays alpins.

Cette étude de cas, tout en portant sur un type d’objet assez différent de ceux qui ont été étudiés jusqu’ici, conforte donc les recherches ayant mobilisé les concepts d’objets intermédiaires et d’objets frontières. Le SOIA s’est avéré être un objet agissant sur les configurations institutionnelles et les identités des acteurs impliqués, suscitant souvent prises de distances et revendications d’autonomies, parfois seulement des rapprochements, et ponctuellement des polarisations qui ne sont pas dans l’esprit de la coopération alpine. En ne parvenant pas à devenir ni objet intermédiaire, ni objet frontière, le SOIA montre a contrario, de par ses échecs successifs, à quel point une base de données peut être un élément décisif d’une coopération transnationale. Dans une perspective de géographie régionale, l’exemple du SOIA et de la Convention Alpine rappelle combien la constitution de bases de données est une dimension centrale d’un projet écorégional. Il montre aussi qu’une base de données régionale peut-être non seulement un révélateur des relations institutionnelles à l’œuvre dans le projet, mais aussi une de leurs modalités, voire même un opérateur contribuant à l’agencement des relations entre acteurs. Les difficultés rencontrées aujourd’hui dans le pilotage de la Convention Alpine (CIPRA 2012 ; ARE 2012) pourraient illustrer cette dépendance d’un arrangement institutionnel ambitieux à l’égard d’un instrument – le monitoring territorial et environnemental – qui n’a pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés.

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Remerciements :

Nous tenons ici à remercier le Fond National Suisse de recherche (FNS) pour son support financier au projet (CR10I1_125414), qui a conduit à cet article. Nos remerciements vont tout particulièrement aux 9 personnes qui ont été longuement interrogées dont il était convenu que nous préservions l’anonymat. Nos remerciements vont aussi à l’ensemble des relecteurs pour leur contribution empirique et théorique - Jörg Balsiger et Simon Gaberell (UNIGE), Isabelle Mauz (IRSTEA, Grenoble) et au professeur Martin Price (UHI, Perth, UK).

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i Article 3. Recherche et observations systématiques

« Dans les domaines cités à l'article 2, les Parties contractantes conviennent

a. d'effectuer des travaux de recherche, des évaluations scientifiques et d'y travailler en collaboration,

b. d'élaborer des programmes communs ou se complétant mutuellement pour une observation systématique,

c. d'harmoniser les recherches et les observations ainsi que la saisie de données y afférente ».

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ii L’article 4 alinéa 4 stipule notamment que « Les Parties contractantes assurent de façon appropriée une information régulière de la population et du public sur les résultats de recherche et d'observations ainsi que des mesures prises. »

iii Par souci de compromis entre plusieurs propositions de localisation défendues par les Etats signataires, sa composante politique et administrative a été installée à Innsbruck, et sa composante technique et scientifique à Bolzano.

iv Les institutions partenaires, signataires de la Convention ISCAR (1999), sont l’Académie autrichienne des Sciences, l’Académie bavaroise des Sciences et Humanités, l’Académie slovène des Sciences et des Arts, l’Académie suisse des Sciences, le Ministère italien des Affaires régionales/l’Université de Montagne d’Edolo et le Pôle universitaire de Grenoble et Irstea

v Il s’agit de l’Agenda de recherche (Research Agenda) du Programme de Travail pluri- annuel de la Conférence Alpine (multi-annual Working Programme of the Alpine Conference) (MAP 2005 – 2010)

vi Il s’agit de cinq instituts de recherche et universités (l’Institut de Géographie de l’Université d’Innsbruck; European Academy of Bozen/Bolzano (EURAC); CEMAGREF, Grenoble; l’Institut de Géographie de l’Université de Ljubljana; l’Institut de recherche de géographie économique et de politique régionale de Saint-Gall), deux fondations privées (Bosch & Partner et l’ IFUPLAN, Münich) ainsi qu’une autorité politique (Unione Nazionale Comuni Comunità Enti Montani, Rome).

Article reçu le : AR_1religne_soumission Article accepté le : AR_soumission

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