Télémétrie laser et cinématique relativiste
Jean Parizet, 20 mai 2008
Début de Topométrie : mesure des distances Didier Bouteloup IGN/ENSG.
Les mesures de distances électroniques datent de la 2ème guerre mondiale avec l’apparition des radars. Les premiers distance-mètres à usage géodésique apparaissent aux environs de 1960 (Géo- dimètre - Telluromètre), ils permettent de mesurer des distances de plusieurs dizaines de km quasi instantanément, alors qu’elles auraient nécessité auparavant plusieurs mois à plusieurs personnes (bases mesurées au fil invar).
On mesure le temps de propagation aller-retour d’un train d’onde à très grosse énergie émis en très peu de temps. Cette méthode est utilisée pour les distances (terre lune-terre satellites) énormes mais également dans les dispositifs de mesures sans prisme. L’équation d’une telle mesure s’exprime simplement : D=12.c.∆t.
Pour obtenir un appareil de mesure d’une précision de l’ordre de 1mm à 100m, il faut mesurer le temps avec une précision de l’ordre de 10−5s et une résolution de l’ordre de 10−12s.
Vérifions que ce principe de télémétrie s’explique en cinématique relativiste.
1 Conventions géométriques
L’espace temps E est muni de la forme de Minkovski Q de forme bilinéaire as- sociée Φ, avec orientations temporelle et spatiale. Un point de E (événement) peut être repéré à partir d’un point O0 et d’une droite issue de O0 orientée vers le futur parτ unitaire ; cette droite est considérée comme la droite d’univers D(O) d’un ob- servateur galiléen O et l’abscisse sur la droite d’origine en O0 selon τ est le temps propre de l’observateur.
Un point M de l’espace temps est alors repéré en considérant l’hyperplan affine issu de M de direction l’hyperplan Eτ Φ-orthogonal àD(O) qui rencontre cette droite en Ot (d’abscisse t) d’où M=O0+tτ+~r avec ~r ∈Eτ; cet hyperplan est l’espace de O à l’instantt de son temps propre que l’on noteEt(O).
Si la droite (O0M) appartient au cône de lumière de sommet O :Q(M−O0)qui est nulle s’écrit : t2− ||~r||2= 0.
Si M est mobile de courbe d’univers une droite temporelleD(M), c’est un obser- vateur galiléen. En effet en la paramétrant par le temps propre de O
M(t) = O0+tτ +~r(t) avec d2M
dt2 = d2~r(t) dt2 = 0 soit~r(t) =~r0+t~voù ~r0 et~v sont des vecteurs de Eτ.
Interprétons par rapport à O :M(t)−Ot=~r0+~vt; ainsi dans l’espace propre de O le mouvement de M est rectiligne uniforme de vitesse~v par rapport à O.
La quadrivitesse de M est le vecteur unitaire orienté, commeτ, vers le futur ; à priori t0 étant le temps propre de M,dM/dt=τ0 est unitaire or :
τ0 = dM
= dM
· dt
= dt
(τ +~v)
PuisqueQ(τ0) = 1,Q(τ+~v) = 1− ||~v||2 :τ0 =γ(τ+~v) avec γ2(1− ||~v||2) = 1 donc γ >0 etdt=γdt0.
Il est commode de faire intervenir la Φ-perpendiculaire commune à D(O) et D(M)
—ce qui permet de préciser la derniére relation—. Soit t0 tel que~a=~r0 +~vt0 soit orthogonal à~v (en supposant~v non nul sinon O et M sont en repos relatif), c’est à dire ||~v||2t0 = −~r0·~v, et en prenant Ot0 et M(t0) pour origines des temps propres des observateurs il vient
M(0) = O0+~anoté M0,M(t) = O0+tτ +~a+~vt= M0+t(τ +~v)
ou encore M(t) = M0 + (t/γ)(τ +~v) = M0 +t0(τ +~v) avec t0 = t/γ qui précise dt = γdt0. Remarquons que ~a orthogonal à ~v est aussi Φ-orthogonal à τ car dans Eτ, donc aussi à τ0 : la droite (O0 M0) est Φ-perpendiculaire commune aux droites d’univers. On pose~v=v~i(~iunitaire de Eτ) vitesse de M par rapport à O ; de même avec~i0 =γ(~i−vτ) (unitaire), −v~i0 est la vitesse de O par rapport à M.
Avec ce choix des origines temporelles, puisque Mt0 = Ot−tτ +~a+t0τ0 : Mt0 ∈ Et(O)⇔Φ(−tτ +~a+t0τ0, τ) = 0 ou t=γt0,
Ot∈ Et0(M)⇔Φ(−tτ +~a+t0τ0, τ0) = 0 ou t0 =γt.
2 Émission d’un éclair lumineux de O vers M
Supposons qu’à l’instanttdu temps propre de O celui-ci envoie un éclair lumineux vers M qu’il atteint à l’instant t0 du temps propre de M. Puisque
Q(Mt0 −Ot) =t2−2γtt0+t02−a2 où a=||~a||, t0 est la racine de
t02−2γtt0+t2−a2 = 0 (1)
vérifiant Φ(−−−→
OtMt0, τ)<0d’où avec γ2−1 =γ2v2 t0 =γt+p
γ2t2−t2+a2 soit t0 =γt+p
γ2t2v2+a2.
γt0 étant l’instant pour O dans son temps propre où le éclair atteint M, la durée de son trajet pour O est
∆t=γt0−t=γ2v2t+γp
γ2t2v2+a2.
Réflexion de l’éclair vers O
L’éclair reçu en Mt0 est renvoyé vers O qu’il atteint à l’instantt00 du temps propre de O. Comme précédemmentt00 est racine de
t002−2γt0t00+t2−a2 = 0 (2)
En éliminanta2 entre (1) et (2) :t002−t2−2γt0(t00−t) = 0 soit puisquet006=t t00 = 2γt0−t=t+ 2∆t
Or en résolvant (1) par rapport à t(qui doit vérifier t < γt0) t=γt0−p
γ2t02v2+a2 d’où
∆t=p
γ2t02v2+a2. Interprétation en terme de distance
Considérons dans l’espace temps l’éclair lumineux allant de Ot vers Mt0 puis réfléchi vers Ot00.
- -
i
6
~ a
~ a Ot00
τ
Oγt0
Ot
A0= M0
6 τ0 τ τ
v~i
Aγt0
Oγt0 milieu de [Ot Ot00]
O0
Mt0
D(O) D(M)
6
v~i
τ0=γ(τ+v~i)
Plaçons nous dans l’espace physique de O à l’instant γt0 de son temps propre. S’y trouvent avec Oγt0 les points Mt0 et Aγt0 (A au repos par rapport à O et coïncidant à l’instant initial avec M0) : ils forment un triangle rectangle car −−−−−→
Aγt0Mt0 = (γt0)v~i et que−−−−−→
Oγt0Aγt0 =~aestΦ-orthogonal à τ etτ0 donc à~i. Ainsi Oγt0Mt0 =p
γ2t02v2+a2 = ∆t= t00−t 2 :
∆t= t00−t
2 est la distance OM
dans l’espace de O à l’instant où l’éclair lumineux atteint M.
3 Télémétrie en cinématique galiléenne
Avec les notations précédentes, imaginons un éclair lumineux envoyé de O vers M en mouvement uniforme par rapport à O.
Á l’instant initial (du temps universel) M est en M(0) au pied de la perpendiculaire issue de O à la trajectoire rectiligne de M (on retrouve−−−−→
OM(0) =~a).
1.L’éclair est émis à l’instanttet atteint M à l’instant t+ ∆t.
6
O
• -
•
• M(0)
~a
v~i M(t) M(t+ ∆t)
La lumière (de vitesse 1) parcourt OM(t+ ∆t) dans le temps ∆t; dans le triangle rectangle OM(0)M(t+ ∆t):
(∆t)2 =a2+v2(t+ ∆t)2
∆test la racine positive de l’équation
(1−v2)(∆t)2−2v2t∆t−a2−v2 = 0 Siv>1 l’éclair ne rattrape pas M. Supposonsv <1 :
∆t= v2t+p
(1−v2)a2+v2t2 1−v2
Il est commode de poser γ2 = 1/(1−v2):
∆t=γ2v2t+γp
a2+γ2v2t2= (γ2−1)t+γp
a2+γ2v2t2 Ainsit+ ∆t=γh
γt+γp
a2+γ2v2t2i
=γt0
Remarquons que l’on retrouvet0temps propre de M de l’étude précédente lorsque l’éclair atteint M, et qu’alorst+ ∆t=γt0 est le temps propre de O à cet instant.
2.Puis l’éclair se réfléchit de M vers O. Pour préciser cette réflexion, deux points de vue sont possibles :
• ou le trajet lumineux inverse prend le même chemin que celui de l’aller et atteint O au bout du temps ∆t de l’aller ; et l’intervalle entre les deux éclairs émis et reçu en O donne comme précédemment le double de la distance OMt+∆t,
• ou on tient compte du mouvement de M. En repérant le mouvement par rapport à M on est amené à considérer O en mouvement de vitesse −v~i et on reprend les calculs précédents en changeantten t+ ∆t=t1.
Représentons le mouvement de O par rapport à M, avec les différentes positions de O aux tempst,t1 ett1+ ∆t1
? O(0)
•
• +
• O(t1)
−~a
-v~i
M
O(t) O(t1+ ∆t1)
Alors
∆t1= (γ2−1)t1+γp
a2+γ2v2t21>∆t
Dans ce cas le demi écart entre les deux éclairs émis et reçu en O est la moyenne des distances de O à M(t+ ∆t) et de O à M(t1+ ∆t1).
Le premier point de vue est celui généralement admis. Il est plus simple et aussi implicitement en accord avec la cinématique relativiste :
1) supposer que le temps du trajet de l’éclair réfléchi est celui de l’incident revient à supposer que la vitesse de M n’influe pas sur celle de la lumière,
2) t+∆tett0 sont en cinématique relativiste les temps propres de O et M lorsque l’éclair émis par O rencontre M,
3) et ∆t=OM(t+ ∆t) =Oγt0Mt0.
Remarque Lorsque O et M sont en repos relatif, il est clair que l’on obtient le même résultat dans les deux points de vue :
en cinématique classique , en notant −−→
OM =~a, de module a>0, ∆t=a, et en cinématique relativiste avec
−−−−−−−−−−→
O(t)M(t + ∆t) =−−−−−−→
O(t)O(0) +−−−−−−→
O(0)M(0) +−−−−−−−→
M(0)(M(t) +−−−−−−−−−−−→ M(t)M(t + ∆t)
=−tτ +~a+tτ+ ∆t τ soit
−−−−−−−−−−→
O(t)M(t + ∆t) =~a+ ∆t τ d’où Q(−−−−−−−−−−→
O(t)M(t + ∆t)) = (∆t)2−a2 = 0 =⇒∆t=a
Considérons maintenant un exemple connu faisant intervenir encore des éclairs lumineux et permettant comme précédemment de voir les différences entre traitement classique et traitement relativiste.
4 À propos d’une expérience ferroviaire imaginée par Einstein
Einstein imagina l’expérience de pensée suivante1.
Sur le quai d’une gare se trouve un observateur O situé exactement au milieu de deux émetteurs d’éclairs lumineux A et B. À un même instant (pour O) ces derniers émettent deux éclairs qui donc arrivent simultanément en O.
Supposons qu’un train traverse la gare à grande vitesse, allant de A vers B, et que lorsque le contrôleur M du train passe juste devant O il reçoit les deux éclairs. Pour M les émissions de ces éclairs sont-elles simultanées ? En le temps propre de O :
∆t=tB−tA= 0.
Selon le raisonnement d’Einstein, avant que M passe devant O il était plus proche de A que de B. L’éclair émis par B ayant un trajet plus long que celui émis par A —donc durant un temps plus long car les deux éclairs se propagent à la même vitesse de la lumière par rapport à O et à M— ils parviennent simultanément en O et M lorsqu’ils sont en vis à vis ; ainsi B a dû émettre son éclair pour M avant A et dans le temps propre de M : ∆t0 =t0B−t0A<0.
Reprenons la question en cinématique relativiste puis en cinématique classique.
1. Dans l’espace propre de O, O est au milieu de [AB] segment parallèle au quai de la gare (dans la traversée de la gare le train a une trajectoire parallèle au quai).
Notons −→
OA =−d~i, −→
OB =d~i (~i unitaire). M0 étant la position de M lorsqu’il passe
1cf J. Hadlik et M ChrysosIntroduction à la relativité restreinteDunod 2001
en face de O (M0 et O0 sont à l’origine des temps propres de M et de O), ce point est dans l’espace de O à cet instant ; posons2 −−−→
OM0 =a~j (~j unitaire et orthogonal à
~i). Les horloges en A,O et B sont synchronisées.
Dans l’espace temps, τ et τ0 sont les quadrivitesses de O (et de A et B) et de M. v ,étant la vitesse de M par rapport à O : τ0 = γ(τ +v~i) où γ positif vérifie γ2(1−v2) = 1.
2.Considérons les éclairs lumineux issus de A et B, et atteignant O et M à l’instant 0 (pour l’un et l’autre des temps propres).
Éclats vers O0.
tétant l’instant d’émission de l’éclair issu de A, le vecteur
O0−At= O0−A0+ A0−At=−tτ +d~i est isotrope :t2 =d2ett <0 car orienté vers le futur donct=−d. Ce vecteur s’écritd(τ+~i), et l’éclair issu de B vers O0 correspond au vecteurO0−B−d =d(τ −~i)(en changeant~ien -~i).
Éclats vers M0.
De manière analogue, t étant l’instant d’émission de l’éclair issu de A, le vecteur correspondant à l’éclair parvenant en M0
M0−At=−tτ +d~i+a~j est isotrope orienté vers le futur sit1 =−√
d2+a2. Et de même M0−Bt=−tτ −d~i+e~j
avec la même valeur t1 =−√
d2+a2 de t correspond à l’éclair issu de B atteignant M0.
Illustrons par une figure :
6
* a~j
D(M) D(O)
I
-
1 τ
~i τ0
~i0
O0
A0 B0
At1 Bt1
M−d/γ
O−d
B−d
A−d
M0
D(A) D(B)
*
*
*
Mt0
B
Mt0
A
M
3. Les droites de la figure issues de At1 et Bt1 joignent ces points aux positions de M correspondant aux départs des éclairs dans les espaces des positions de M.
Pour l’éclair issu de A, t0Aétant l’instant propre de M à son émission, le vecteur de genre espace−−−−−→
At1Mt0
A =−t1τ +d~i+a~j+t0Aτ0 de Et0
A(M)
2pour éviter une collision
estΦ-orthogonal à τ0. Or3 τ =γ(τ0−v~i0),~i=γ(~i0−vτ0) d’où Φ(−−−−−→
At1Mt0
A, τ0) =−γt1−dγv+t0A= 0⇒t0A=γ(t1+dv) et alors : −−−−−→
At1Mt0
A =γ(vt1+d)~i0+a~j —d’où la construction de Mt0
A. De manière analoguet0B =γ(t1−dv), −−−−→
Bt1Mt0
B=γ(vt1−d)~i0+e~j.
−−−−−→
At1Mt0
A+−−−−→
Mt0
BBt1 = 2γd~i0, et2γdest la longueur de AB dans l’espace de M car
−→AB = 2d~i= 2dγ(~i0−vτ0).
On retrouve l’intuition initiale : ∆t0 = t0B−t0A = −2γd v < 0. Les émissions si elles sont simultanées pour O, situées dans Et1(O), elles ne le sont pas pour M car situées dansEt0
A(M)etEt0
B(M)espaces propres différents du fait du mouvement de M par rapport à O.
En cinématique classique
- 6 a~j
O M(0)
A B
d~i
I
Le temps est le temps universel. Les deux éclairs qui partent de A et B atteignent simultanément M à l’instantt= 0. Selon la symétrie leurs départs sont aussi simul- tanés et la durée de leurs trajets est AM(0) (la vitesse de la lumière étant l’unité) :
AM(0)=√
d2+a2 et on retrouve t1 =−√
d2+a2.
Remarquons que t0A'γt1 't0B (on voit encore intervenir le "cœfficient relativiste"
entre les temps propres) car t0A γt1
= 1 +dv t1
et dv
|t1| = dv
√
d2+a2 < v : pour un TGV ( roulant à 180 km/h)
v= 1.67 10−7. Sid= 100meta= 10mavec√
d2+a2 '100,5: t1 '459,2ns, et l’erreurt0A−γt1 est de l’ordre de0,1ps (γ−1'v2/2 = 1.4 10−14).
· · − · · · − · · − − − · · − · − · − · ··
3avec~i0=γ(~i+vτ),(τ,~i,~j, ~k)et(τ0,~i0,~j, ~k)sontQ-orthonormées directes.