ENTRE SOUS LE N*
FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
A3STNÉE 1902-1903 N°123
L'ORIGINE OSTRÉAIRE
DE
(Contribution à l'étude de l'étiologie de
cettemaladie).
PAR
Joseph-Marie LE
MAIGHAN de EERA\GATNé à Hennebont(Morbihan),le 14mars 1878.
ftlM. MORACHE, professeur.... Président.
LE DANTEG, professeur..,, i
RONDOT, agrégé ( Juges.
SABRAZÈS, agrégé 1
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
—
BORDEAUX
IMPRIMERIE Y. CADORET
17, lîUii PoQUELIN-MOUÈIUS, 17 Examinateurs de laThèse
1903
FACULTÉ
DEMÉDECINE ET DE FIIAKMAC1E DE BORDEAUX
M. de NABIAS Doyen. | M. PITRES Doyen honoraire.
PROFESSEURS
MM. MICÉ. J
DUPUY [ Professeurshonoraires.
Moussous )
Clinique interne.
MM.
PICOT.
PITRES.
«.. . i , DEMONS.
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j
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section ie chirurgie et accouchements MM.DENUCÉ.
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section des sciences anatomiques et physiologiques
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ANDERODIAS PACHON.
PRINCETEAU.
LAGRANGÉ.
CARLES.
LeSecrétaire de laFaculté: LEMAIRE.
Fardélibération du 5 août 1879, laFacultéaarrêtéquelesopinions émises dans lesThèses qui
•ont présentées doivent être considéréescomme propres à leursauteurs,et qu'elle n'entend leur
donnerni approbation niimprobation.
A MES PARENTS
Pour delongsetgénéreux sacrifices.
Faible témoignage de reconnaissance.
A MES MAITRES ET A MES COLLARORATEURS
Hommage demonrespectueuxattachement.
A MES AMIS ET A MES CONDISCIPLES
A mon Président de Thèse,
Monsieur le Docteur G. MORACIIE
Professeur de Médecinelégale à laFacultédeMédecine de Bordeaux,
Commandeur delaLégion d'honneur,Officier de l'Instructionpublique, etc.
Membre associé national de l'Académie de médecine.
L'ORIGINE
OSTRÉAIRE
DE
LA FIÈVRE TYPHOÏDE
(Contribution à l'étude de l'étiologie de cette maladie).
AVANT-PROPOS
Le procès de l'huître, ce savoureux mollusque, en tant que facteur de la fièvretyphoïdeestde première importance.Ce serait
faire œuvre utile quede déterminerexactementla responsabilité
du pauvre acéphale dans cette affaire.
Bien qu'assez richementdocumentée,notredissertationn'apas la prétention de vider une aussi grave question. Puisse-t-elle apporter un peu d'ordre et de lumière sur ce qui a été dit et
écrit concernant la question, contribuer à élucider quelques points decetroublantproblème qui, à l'heureactuelle, passionne
les savants de toutes les nationalités et préoccupe à juste titre l'opinion et notre modeste but sera atteint.
— 10 —
De grosintérêts sontauxprises : la santé publique d'une part,
non négligeable sans doute; d'autre part, une branche fort im¬
portante de notre commerce, l'industrie ostréicole.
Si l'huître est coupable, elle a assurément des complices; il
serait juste de s'occuper aussi de ces derniers. Notre enquête
sera dirigée dans ce sens et vaudra, nous aimons à le croire, le
bénéfice des circonstances atténuantes à noire intéressante et délectable prévenue.
Avant d'entrer dans notre sujet, nous tenonsà remercier M. le professeur Morache de l'honneur qu'il nous a fait en acceptant
la présidence de notre thèse.
Tous nos maîtres de Rennes ont également droit à notre reconnaissance. Nous remercierons tout particulièrement le doc¬
teur Le Moniet, professeur à l'Ecole de médecine, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, de la bienveillance qu'il nous atémoignée au cours de nos études.
Nous adresserons aussi l'hommage de notre reconnaissance
au docteur Ferrand, chirurgien de l'hôpital Saint-Yves, qui a bien voulu nous admettre comme son élève.
CHAPITRE PREMIER
APERÇU HISTORIQUE
Sir CharlesCameron, dès 1880, croitdevoir signaler, lors d'un congrès à Cambridge, le danger qu'il peuty avoir à consommer des huîtres recueillies à proximité de l'embouchure des égoùts;
en 1890, il insiste une nouvelle fois sur les conséquences possi¬
bles d'une pareille incurie et rend l'huître responsable des cas de fièvre typhoïde survenus à Belfast et à Dublin,
i Puis, c'est Conn qui en 1894, par uneenquête magistralement conduite, amis hors de doute les méfaits de l'huître contaminée.
Sa minutieuse étude de la singulière épidémie dont il relate les origines et les phases entraîne le diagnostic clinique de fièvre typhoïde et met hors de contestation la provenance ostréaire de
la maladie qui sévit à l'Université de Weslegan.
Depuis le réquisitoire du médecin américain, le mollusque
n'a plus quitté la sellette et les pièces les plus compromettantes
ont afflué de toutes parts àsondossier quivagrossissant dejour
enjour.
C'est d'abord sir Willam Broadbent qui revenant à la charge rapporte, en 1895,une série de cas de fièvre typhoïde nettement imputables, d'après l'auteur, à l'ingestion d'huîtres bacillifères.
Bref d'Italie, d'Angleterre, d'Amérique, etc. nous arrive une série d'observations dont notre index bibliographique fait foi.
EnFrance, Chantemesse, en 1896, portele débat devant l'Aca¬
démie de médecine, qui, émue àjuste titre, formule à ce propos
(après examen de la question) des désidérata dont nous aurons àreparler(séance du 30 juin 1896).L'Etat, providence lui-même,
s'émeut de la situation. La direction des services d'hygiène au
— 12 —
ministère del'intérieur, en 1899, chargele D1' Mosny de procéder
à une enquête sur la salubrité des parcs ostréicoles du littoral français. Ce dernier s'acquitte à merveille de sa tâche, met en mauvaise posture les huîtres de Toulon, Cette, Lorient, Gran-
ville dont les parcs laissent fort à désirer, réhabilite celles de
Marennes dont les parcs remplissent en retour toutes les condi¬
tions de salubrité désirables etoffrent des aménagements à l'abri
de tout reproche. Tout en faisant observer que les parcs défec¬
tueux sont en infime minorité, il exhorte les intéressés à mettre
fin à cette situation fâcheuse en souscrivant aux améliorations nécessaires dans leur propreintérêtetaussi auplus grand profit
de l'ostréiculture française qui doit tenirà honneurde conserver
sa supériorité.
La même année, année néfaste pour l'hultre, Klein se livre à
des expériences qui dévoilent les affinités du bacille d'Eberth
pour ces mollusques et sa résistance parfois surprenante à la
défense phagocytaire de l'animal.
Heureusement qu'en 1897 le docteur Polak, éminent hygié¬
niste de la ville deVarsovie, proclame, après de consciencieuses
recherches de laboratoirepratiquéessurdes huîtresde Hollande, d'Ostende, d'Odessa, que les mollusques pathogènes, quelques jours après avoir été retirés duparc ouaprèsavoir voyagé,ne con¬
tiennent pourainsi dire plus degermes ; la phagocytose trèsactive
de leurs tissus,comme le montreM. G. Chatin,a détruit tous ces germes. Ce savant conclut que, sans négliger le bon état d'en¬
tretien sanitaire des parcs souillés, on peut admettre que lors¬
que l'hultre reste pendant plusieurs jours horsdes parcssouillés,
elle détruit suâ sponte, par le processus nutritif, les germes
qu'elle contientetnepeutplusprovoquerl'infectionéberthienne.
M. ValIin, qui porte ces faits à notre connaissance dans la Re¬
vue d'hygiène de 1897, p. 544, estime encore plus prudent de
faciliter cette destruction en faisant vivre les huîtres pendant plusieurs jours dans l'eau pure de haute-mer, commel'a recom¬
mandé l'Académie de médecine.
L'hultre trouve encore des défenseurs au Congrès français de médecine, réuni en 1898 à Montpellier où MM. Ducamp,
Sa-
batieret Petit donnent à entendre, après exposition du résultat
de leurs recherches sur la question, recherches opérées à la
station géologique de Cette, qu'on a fait à tort du bruit dans le
Landerneau médical, relativementaudéveloppementde la fièvre typhoïde, par le fait d'ingestion d'huîtres contaminées et que cette étiologie de la fièvre typhoïde ne mérite pas de prendre place en médecine. C'est encore M. Vallin qui, dans la Revue d'hygiène de 1898, p. 565, remet la question au point; la vérité
est entre les deux extrêmes pour ce maître hygiéniste : à son avis, si la première incrimination était peut-être prématurée, la
déclaration de ces Messieurs peut sembler par contre excessive
et trop absolue. « Au Congrès de Montpellier, écrit l'auteur, il
eût mieux valu innocenter les huîtres de Cette, mais ne pas décerner un bill d'indemnité à toutes les autres ». H est appa¬
remment malaisé de-trouver en toutes matières le point juste
où se tenir. Comme on le voit, les témoignages à charge et à décharge se succèdent. En 1902, M. Sacquepée (de Rennes),
dans un consciencieux travail, cite divers cas probants d'infec¬
tion éberlhienne et conclut que l'huîtrepeut être le réceptacle
soit de bactéries sûrementpathogènes (bacille typhique)oupatho¬
gènesfacultatives (bacterium coli, proteus vulgaris) et que des
contaminations accidentelles oupermanentes menacent lesparcs ostréicoles de la côte bretonne. Les parcs de Cancale sont parti¬
culièrement défectueux à son avis, et le certificat d'origine des produits de cette provenance marqué au coin. L'auteur s'étonne
avec raison que M. Mosny ne nous ait pas entretenus des parcs cancalais.
Peut-être l'absence d'égouts et l'excellente renommée des
huîtres de la Houle ont-elles écarté toute suspicion chez le sagace
enquêteur. C'est à tort, bien des faits l'ont depuis mis en évi¬
dence, et une sévère enquête s'élabore à ce sujet.
La même année (octobre) M. Remlinger nous apprend, à son
tour, que les huîtres pêchées sur les rives du Rosphore, de
la Marmara, de la Corne d'or transmettent la fièvre typhoïde. À Constantinople, l'absence de parcsdans ces contrées n'exclutpas
le mélange d'eau de mer, d'eau douce et d'eau d'égouts, milieu
— u -
considéré comme idéal depuis la plus haute antiquité pour le rapide accroissement de l'huître.
La Société centrale cl'agriculture et clepêche de Paris ne se désintéresse pas non plus de la question et nous invite, par le
canal de son président, M. le Dr Leprince, à lui fournir tous
documents pouvant contribuer à l'installation de parcs ostréico¬
les offrant les meilleures garanties pour la santé publique.
Comme on le voit, les travaux sur la question s'accumulent et
ils 11epeuvent manquerdemettre en lumière les responsabilités qui incombent, on le voit d'ores et déjà, davantage aux eaux où sont cantonnées les huîtres qu'à ces mollusques eux-mêmes.
CHAPITRE II
l'origine ostréaire de la. fièvre typhoïde doit-elle être admise ?
A. Il est déjà loin le temps où l'eau seule passait pour char¬
rier le germe de la fièvre typhoïde; le lait a depuis longtemps pris place parmi les véhicules du bacille d'Eberth, et, aujour¬
d'hui,l'étiologie jadis univoque de l'infectiontyphique reconnaît
aussi comme agents de transmission les légumes crus (salades, radis, cresson, etc.), toutes denrées excellentes sans doute, mais qui, à un moment donné, peuvent servir de support au virus typhiquesuivant l'expression de M. Bodin.
Pourquoi l'huître serait-elle plutôt que tous ces autres pro¬
duits de consommation courante à l'abri de la suspicion dont il s'agit?
Entre ses valves, il y a assurément place pour beaucoup de
choses en dehors de leur hôte principal et de l'eau saline qui baigne cedernier. Et au surplus les procédés employés par les
maraîchers pour faire prospérerleurs plants desalades et leurs
cressonnières ne sont déjàpas si différents de ceux mis enpra¬
tique pour le rapide engraissement du mollusque que nous
consommons avec une si complète sécurité. Cette dernière a été
lin peu troublée dansces derniers temps et nonsans raison car il est établi que l'huître détient avec l'eau de mer un grand nom¬
bre de détritus organiques et desgermes de toutes espèces.
Des documents scientifiques de premier ordre ont établi sans conteste que les bacilles qui engendrent la fièvre typhoïde ont,
eux aussi, violé le domicile du précieux mollusque si sain d'or¬
dinaire.
Or, s'il est constant que l'huître peut devenir le réceptacle du
virus qui engendre la pyrexie spécifique mentionnée, son inges¬
tion doit occasionner au même titre que celle des denrées citées plus haut, des accidents typhiques chez certains consommateurs
en état de réceptivité morbide.
Qu'onnous permette, dans un autreordre d'idées, designaler
ici un fait qui nous a frappé et qui plaide également, ce nous
semble, en faveur de l'admission de l'origine ostréaire de la
Dothiénentérie. Nous voulons parler de l'apparition soudaine,
aux mois de septembre et d'octobre, de nombreux cas de ty¬
phoïde coïncidant précisémentavec l'époque où se généralise la
consommation des huitres au pays breton. Ce dernier, à tort ou à raison, respecte la légende de la tradition des mois sans R, qui, dans bien des contrées, a rejoint les vieilles lunes. Il est
incontestable qu'il y a généralement recrudescence de fièvre typhoïde en septembre et octobre ; tous les médecins sont d'ac¬
cord pour dire que c'est à ce moment qu'on observe le plus de
dothiénentérie. En consultant les statistiques de l'Hôtel-Dieu
de Rennes, nous avons pu contrôler la valeur de cette assertion.
Il y a là, à notre avis plus qu'une simple coïncidence.
Observons encore, puisque l'unique mérite de ce travail est
d'avoir l'observation pour guide etla vérité pourbut,observons
que nos médecins relèvent relativement beaucoup plus de cas de fièvre typhoïde en ville qu'à la campagne à cette même épo¬
que. Le contraire cependant devrait se produire, car il est de
notoriété que les fermes bretonnes ne brillent pas par les précautions hygiéniques; la pureté de l'eau, ce véhicule avéré
de fièvre typhoïde, n'y est pas l'objet d'une grande sollicitude.
Dans lesvilles, parcontre, Rennesen tête, les mesureshygié¬
niques sont réelles et ont donné des résultats manifestes depuis
leur stricte observance. Pourquoi alors les citadins seraient-ils plus éprouvéspar l'infection typhique queles campagnards ? La questionpeut se poser, surtoutsi l'on envisage la question deter¬
rain quiest àl'avantage du citadin. Gedernier jouitd'unreposrela¬
tif pendant août et septembre, l'homme des champsest au con¬
traire surmené à cette période de l'année par les rudes travaux qui lui incombent (moissons, etc.). Nous ne croyons pas formu-
1er une accusationtrop téméraire, enincriminantici leshuîtres :
le campagnard n'en mange point, alors que le citadin en fait
une grande consommation.
Bien que les arguments qui précèdent soient loin d'être
péremptoires, ils sont de nature à militer en faveur de l'origine
ostréaire de la fièvre typhoïde. Nous allons d'ailleurs revenir
sur la question quand nous envisagerons le mode palhogénique.
Admettons pour l'instant cette origine comme probable et nous
ne nous compromettrons pas.
B. Observations. — Pour mieux prouver que l'huître joue un rôle vraiment appréciable dans l'étiologie de la fièvre typhoïde,
nous avons cru devoirapporter iciune poignée de faits parnous recueillis avec l'aide de nos maîtres. Nous nous permettons de
les mettre sous les yeux de nos lecteurs indulgents.
Si les observations que nous leur soumettons ne sont pas toutes absolument probantes, il peut néanmoins se dégager de
leur ensemble le fait brut de la transmission de la fièvre
typhoïde par l'huître à l'homme. A ce titre, notre contribution,
sans présenter la rigueur scientifique des documents des Gonn,
des. Broadbent, des Chantemesse et d'autres éminents maîtres,
pourra néanmoins contribuer aussi pour une petite part à la
solution du problème de l'étiologieostréairede lafièvre typhoïde.
L'hypothèse du péril ostréaire ne se meut pas encore toute seule. 11 faudra encore bien des faits pour l'étayer solidement.
Donnons la parole à une voix autorisée, M. Le Damany, pro¬
fesseur à l'école de Rennes, qui a été à 'même d'observer plu¬
sieurs cas de lièvre typhoïde à origine ostréaire probable et a bien voulu nous remettre la relation de ces cas.
« J'ai eul'occasion, nous dit de maître, d'observerdu mois de
septembre 1902aumois dejanvier1903,14casde fièvre typhoïde.
11 d'entre eux sont survenuschez des mangeurs d'huîtres, pour le 12e la contamination s'était faite au bord de la mer dans une
région où la fièvre typhoïde est extrêmement fréquente tous les
ans chez les baigneurs; sur le 13e cas, je n'ai aucun renseigne¬
ment. Le dernier cas s'est montré chez un jeune collégien qui
n'avait pas quitté Rennes, n'avait pas mangé d'huîtres, mais
Le M. de K.
2
— 18 —
aimait volontiers les légumes crus, les
salades
queles maraî¬
chers des environsdeRennes laventconstamment dans les ruis¬
seaux et même dans l'eau de la Vilaine polluée par les égoûts
de la ville.
1erCas.—Jeunehommede 23ans.Ilpassele moisd'aoûtàParamé,
il y mangefréquemmentdes huîtres.Puis ilvaàParis où
il
sesurmène.
Il rentre à Rennes et s'alitevers le 18septembre, maisilacommencé
à être malade dans les premiers jours de ce mois. Il fait une fièvre typhoïde classique. Pendant son séjour au bord de
la
mer,il
nebuvait pas d'eau. Son séjour à Paris ne peut être incriminé, car
il
était souffrant avantd'y arriver. Aucune autre cause quel'absorption
d'huîtres ne peutêtre incriminée chez lui.
2* Cas. — Fièvre typhoïde non imputable aux huîtres.
3° Cas. — Mmo X... mange des huîtres le 26 septembre avec son
mari. Le 12octobre, elle estatteinte de fièvre typhoïde. Le mari est
indemne.
4e Cas. — M.E..., marchand de vin en gros. Ne boit jamaisd'eau.
Mange trèssouventdeshuilreschezhiieten voyage.Commence àêtre
souffrant le 8 septembre etfait une fièvre typhoïde classique quise
termine par la guérison. Sa femme n'a pas mangé d'huîtres,
elle
reste indemne.
5e Cas. — M. II..., employé de bureau. A mangé des huîtresune
seule fois dans ladeuxième moitié du mois de septembre sans qu'il puisse préciser la date. Sa femme en amangé en
même
tempsquelui. Vers le 12 octobre, il est atteint de dothiénentérie. Sa femme
reste indemne. Cet homme estbuveur d'eau, mais il ne faisaitusage que de l'eau de laville, laquelle est reconnue
saine.
6e Cas. — MlleX..., bonne dans unemaisonbourgeoise, mangedes
huîtres avec d'autres domestiques le 26 septembre; ses maîtres en mangent également. Le 13 octobre, elle estatteinte
de typhoïde. Elle
ne buvait pasd'eau, sa boisson habituelle étaitle cidre.
— 19 -
7e Cas.— MmeX...,religieuse,estvue en consultationle 30 octobre.
Elle est atteinted'une dolhiénentérieclassique. Ellene buvait jamais d'eau; elle avait mangé des huîtres un mois avant de s'aliter.
8e Cas.—Elève dulycée.Avaitmangé souventdes huîtresàTréguier pendant ses vacances. Quelques jours après son entrée au lycée, le 10 octobre, il est atteint de dothiénentérie qui se termine par la guérison.
9e Cas. — M. X..., étudiant en droit. Pendant les vacances, il a mangé plusieurs fois des huîtres sur la côte du Morbihan. Vient à Rennes le 3 novembre. Le 13 décembre, je diagnostique une fièvre typhoïde.
10e Cas. — M. X..., étudiant. Pendant les vacances, a mangé des huîtres au Val André. 11 en mangela dernière foisvers la fin d'octo¬
bre. Un mois après, il fait une fièvre typhoïde grave avec complica¬
tions pulmonaires. Guérison.
11° Cas. — M. X..., élève externe au lycéede Rennes. Vu une fois
en consultation le 13 novembre. Fièvre typhoïde avec hémorrhagies intestinales. Il avait mangé des huîtres environ un mois avant de tomber malade.
12e Cas. —Jeune garçon, 13 ans. Mange des huîtresavec toute sa
famille un mois avantde tomber malade. Typhoïde très nette. Il n'y
avait pas d'autre causeappréciable de contamination.
13e Cas. — Typhoïde non imputable auxhuîtres.
14e Cas. — Typhoïde non imputable aux huîtres.
Conclusions. — Aucunde ces cas n'estfrappant parlui-même.
Ce qui est intéressant, c'est que dans cette note qui représente
mon observation intégrale depuis l'apparition de la fièvre typhoïde à Rennes après les vacances d'été, c'est la fréquence
avec laquelle les malades
donnent le renseignement qu'ils ont
mangédes huîtres.Toujours, ou
bien s'ils
enont mangé plusieurs
fois, ou bien s'ils en ont ingéré une
fois, le laps de temps
nor¬mal pourl'incubation
s'est écoulé, ni plus ni moins. On peut donc,
si l'on veut, considérer ces onze cas comme une étonnante
série
decoïncidences qui doiventéveiller l'attention.
Il n'y
apasmême,
dans les onze cas réunis, unevéritable preuve ni mêmeun com¬
mencement de preuve mais il y a très
certainement
unindice
quidoitêtre tenu pour
valable et
nous engagerà poursuivre des
recherchessurl'origine ostréaire de la fièvre
typhoïde
àRennes.
Ces malades ont mangé des huîtres de différentes
origines. Il
est donc probable que
si les huîtres sont coupables, elles le sont
quelle quesoit leur
provenance.Leur élevage dans les estuai¬
res enaval de gros bourgsou au-dessous
de
centresimportants
sur la côte explique que les huîtres prospèrent
surtout
parles
détritus d'origine humaine qui servent à
leur alimentation.
C'est là aussi que les huîtres prennent
le
germed'Eberth. Il
yadonc lieude transformer et de rénover l'industrie ostréicole sur¬
toutau point devuedu parcageet
de l'alimentation de l'huître
».A ces onze cas du docteur Le Damanv, nous allons ajouter quelques observations.
lre Observation. — Mn« X..., 11!) ans, mange des huîtresle 10 octo¬
bre. Ces huîtres lui paraissent moins bonnes qu'à l'ordinaire, be
23 octobre, elle fait appeler le docteur Godet, de Saint-Brieuc,
qui
diagnostique une fièvre typhoïde. La
maladie évolue normalement
et se termine par la guôrison.
2° Observation (Obs. du docteurCouf/t). — M. \..., 10 ans,
élève
ducollège de Y..., mange deshuîtres à la rentrée du
collège
versle
1eroctobre. 11 en mange unedeuxième fois vers le 13. 11 rentredans
sa famille versle 1er novembre avec une typhoïde très nette.
3° Observation.—0. J..., 30ans, domestique, entre àl'IIôtel-Dieu
de Rennes le 21 octobre 1902 dans le service du docteur Follet. Celte
femme estmalade depuis trois jours ; elle présente tous les
symptô-
— 21 —
mesd'une dolhiénentérie. Le sôro-diagnostic est positif. Cette ma¬
lade avait mangé des huîtres le 1er octobre, et deux heures après leur absorption elle avait été prise de phénomènes d'intoxication
se traduisant par des douleurs abdominales et de la diarrhée. Ces phénomènes s'amendèrent rapidement, mais il persiste un malaise vaguejusqu'au 18 octobreoùla fièvre typhoïde se déclara. La bois¬
son habituelle de celtefemme était le cidre. Jamais elle ne buvait d'eau.
4eObservation. — B..., 27 ans, zingueur, entre le 18 novembre 1902 dans le service du docteur Follet àl'IIôtel-Dieu de Rennes qui diagnostique une fièvre typhoïde. Le séro-diagnostic est positif. Le début de la maladie remonte au 12 novembre. Or, vers la moitié du mois d'octobre, cet homme avait été acheter 200 huîtres à Saint- Malo qu'il amangéesà Rennesavec des amis. De plus, on lui en a servi à maintes reprises au restaurant, et la dernière fois qu'il en a mangé,c'était dans les premiersjours de novembre. Un de ceuxqui
avaient mangé des huîtres avec lui a eu de l'embarras gastrique pendant quelquesjours. Cet hommene buvaitjamais d'eau.
5n Observation. —D. B. R..., 20 ans, ingénieur. Entre le 11 no¬
vembre àl'hôpital de Rennes, salle Saint-Louis, n°2. Le début de la maladie remonte au 2 novembre. Le docteur Folletdiagnostiqueune
fièvretyphoïde. Le séro-diagnostic et la diazo-réaction sont positifs.
Typhoïde grave àforme adynamique qui se termine parla guérison.
Cet homme avait mangé des huîtres tous les vendredis depuis le
commencement de septembre. Parfois il en mangeait les autres jours. Seul, sursix pensionnaires du mômehôtel, ila été malade. Sa boisson habituelle était le vin coupé d'eau.
6o Observation. — B..., boulanger, 49 ans. Entre le 20 octobre 1902 à l'Hôtel-Dieude Rennes. Le docteur Bertheuxdiagnostique une fièvre typhoïde. Ladiazo-réaction et le séro diagnostic sont positifs.
Le début de la maladie remonteau 8 octobre; or, 14jours aupara¬
vant, cet homme avait mangédeshuîtres.Jamais il ne buvait d'eau.
7e Observation. — B..., coiffeur, 13 ans, enlreà l'Hôlel-Dieu de
Rennes le 13 novembre 1902, date où le docteur Follet diagnostique
une fièvre typhoïde. Séro-diagnostic etdiazo-réaction positifs. Le
début de la maladie remonte au 30 octobre. Lemalade avait mangé
des huîtres le 15 octobre avec trois autres personnes de sa famille.
Seul il a été atteint. Ne buvait pas d'eau.
8e Observation. —Marie L... Entrele 26 septembre 1902à l'Hôtel-
Dieu de Rennes où le docteur Bertheux diagnostique une fièvre typhoïde. Séro-diagnostic et diazo-réaction positifs. Quinze jours
avantle début de sa maladie, cette femme avait mangé des huîtres.
Aussitôt l'absorption de ces huîtres, elle fut prise de douleurs abdo¬
minales et de céphalée. Le tout dura 8 jours et pendant ces 8 jours
elle resta constamment constipée. Lasemaine suivante, latyphoïde
se déclara. Elle fut compliquée de congestion pulmonaire et d'hé- morrhagie intestinale et pendantla convalescence d'une poussée
de
périostite aux deux tibias. Sort guérie le 8 décembre.
9° Observation. — Marie-Louise B...,domestique, 17ans. Entre le
10 novembre à l'Hôtel-Dieu de Rennes, où le D1' Bertheux diagnosti¬
que une fièvre typhoïde. Séro-diagnostic et diazo-réaction
positifs.
Le début de la maladie remonte au 7 novembre. Dans le mois qui précédait,elle avait mangé plusieurs fois des huîtres.A la suite d'une
dernière ingestion de ces mollusques,elle fut prised'intoxication qui
ne seguérit pas complètement et 8 jours après elle fut
atteinte de
typhoïde à forme ataxo-adynamique qui se termina par
la
mortle
19 novembre. ■
10e Observation (Observation communiquée par le Dr Bertheux, professeur àl'Ecole de médecine de Rennes). — M. X...,
vicaire
càX..., mange des huîtres dans une localité à quelques lieues de chez
lui. Il rentre dans son pays et 15 jours après il est atteint de fièvre typhoïde. Or il n'y avait pas auparavant de
dothiénentérie dans
toute la contrée etcethommenebuvait pas d'eau. Guérison.
11° Observation (Communiquée parle Dr Robert, de Dol). — F...,
— 23 —
employéen retraite. Au commencementdeseptembre 1902, il mange
unedouzaine d'huîtres. Personne autre que lui dans la maison n'en mange.Dansla nuit suivante, il se trouve gêné et reste indisposé pendant 8 jours. Le 25 septembre, fièvre typhoïde. Entre en con¬
valescence le 12 octobre.
123 Observation (Communiquée par le Dr Robert, de Dol).— R ..,
femme mariée, débitante. Seule de sa famille elle mange des huîtres
dansles premiersjours d'octobre. Elleestprise immédiatementd'in¬
disposition. Au bout de 8 jours, typhoïde. Elle meurtd'hémorrhagie
intestinale.
13e Observation (Communiquée par leDr Robert, de Dol). — P...,
cultivateur à D..., 27 ans. Seul de sa maison il mange des huîtres
dans les premiers jours d'octobre. Le 16, fièvretyphoïde.Le malade
entre en convalescence le 8 novembre.
14e Observation (Communiquée par le Dr Robert). — Mme G.,.,
36 ans, cultivatrice. Il n'y avait pas un seul cas de fièvre typhoïde
danssa région, etaprès elle il n'yen a pas eu d'autres. Le 8octobre,
elle vient à D... faire une commission; elle n'entre dans aucune maison où se trouvent les malades. En s'en allant, elle achète une douzaine d'huîtres. Rendue chez elle, elle en mange une demi-dou¬
zaine et se trouve immédiatementindisposée.
Son marijette la demi-douzaine qui restait.
Le 18 octobre, fièvre typhoïde. La malade succombe le 3 novem¬
bred'hémorrhagie à lasuite d'une rechute.
15e Observation (Communiquée par M. le Dr Bru-té de Rémur, professeur àl'école de médecine de Rennes). — Il s'agit d'une jeune
fille de 22 ans, très vigoureuse, qui, redoutant beaucoup la fièvre typhoïde, prenaittouteslesprécautions hygiéniquesnécessairespour l'éviter.
Unjour cettejeune fille, bien qu'ayantentendu parler de l'origine
ostréaire possible de la fièvre typhoïde, mangea 6 huîtres. Dans
la quinzaine suivante, elle fut atteinte de typhoïde à forme ataxo-
adynamique. Ellemourutdans le baind'unehémorrbagie intestinale.
L'enquête ne permit pas de découvrir une autre cause que cette ingestion d'huîtres.
16e Observation (communiquée par M. le Dr Piiilouze, de Rennes).
— MraeX..., 27 ans, mange des huîtresle5janvier, elle en remarque
une qui a mauvaisgoût. Dans la nuit, elle est prise de diarrhées,
vomissements avec douleurs abdominales vives. La diarrhée dure 8 jours, puis elle cessependant2 jours, etlesoir dece deuxièmejour
cette femme est prise de céphalée violente. Le lendemain matin la température est de 40°. On diagnostique une fièvre typhoïde qui
évolue normalement. Seule celte femme avait mangé des huîtres.
Jamais elle ne mangeait de salades etjamais elle ne buvait d'eau.
Ces seize observations jointes aux onze cas du Dr Le Damany
nous donnent donc un total de vingt-sept cas qui peuvent être
dus aux huîtres. On ne saurait cependant affirmer que dans ces
vingt-sept cas la maladie ait été transmise par ces mollusques;
mais l'ensemble de ces observations doit certainement attirer notre attention de ce côté. Presque tous ces cas, en effet, sont
survenus à Rennes; or, dans cette ville, le service des eaux est très bienorganisé et des analyses fréquentes faites par un bac¬
tériologiste éminent, M. le D1' Bodin, démontrent constamment
la pureté de ces eaux au point devue microbien. Quelques-unes cependant parmi cesvingt-sept observations ont assez de valeur
par elles-mêmes. Ce sont les observations X, XIV, XV et XVI.
Voici d'autres faits encore présentant le maximum de proba¬
bilité sinon probants.
lre Observation (Communiquée par M. le Dr Bruté de Rémur, professeur à l'Ecole de Rennes). 2 cas. — Un jeune homme de
15 ans voyage avec samère sur les côtes bretonnes. Ils n'y boivent
pas d'eau mais font un déjeuner aux huîtres. Ils rentrent à Rennes
etdixjours après lejeune homme estpris de typhoïde grave.
La mère est atteinte également quelques jours plus tard. Sa fièvre typhoïde fut bénigne, elle en guérit fortbien d'ailleurs. L'enquête
étiologique ne permit pas d'attribuer à une cause autre que l'ab¬
sorption d'huîtres ces deux cas de dothiénentérie.
2e Observation(Communiquéepar M. leDr Godet, de Saint-Brieuc).
3 cas. — Dans une famille de Saint-Brieuc, composée de quatre personnes, on ne mange presque jamais d'huîtres. Par extraordi¬
naire trois membres de la famille, le père, unjeune homme et une jeune fdle mangent des huîtres. Le quatrième membre de la famille, unejeune fille de vingt-deux ans, n'en mange pas. Lestrois premières sont prises quinzejours après de fièvre typhoïde. Le père
etlejeune homme guérissent, mais la jeune fille meurtd'hémorrha- gie intestinale. La quatrième, qui n'a pas mangé d'huîtres, reste indemne.
3eObservation (Communiquée parle Dr Robert, de Dol). 1 cas. —
L..., 49 ans, cultivateur, va au mois d'octobre conduire un tonneau de cidre à C... Il est accompagné par son fils. Là on leur sert des
huîtres. Le fils refuse d'en manger, seul le père accepte. Ce dernier
estpris de typhoïde quelquesjours après et meurt d'hémorrhagie
intestinale. Dans toute sa région il n'y avait pas un seul cas de
fièvre typhoïde et après lui il n'y en a pas eu.
4e Observation (Personnelle).—X...,étudianten médecine,21 ans.
Passe ses vacances chez des amis où ilneboit quedu cidre et du vin
noncoupé d'eau. Mangedes saladesetlégumes commeles dix autres personnes de la famille; cette salade était cultivée dans lejardin de
la maison et n'était arrosée qu'avec de l'eau pure. Un jour, ce jeune
homme vadéjeuner à C... chez des amis. Il y mange des huîtreset
rentre dans sa famille. Danslaquinzaine qui suit,ilestpris de fièvre typhoïde. Les dix personnes de la famille qui n'ont pas été avec lui
àC... et n'ont pas mangé d'huîtresrestent indemnes.
Dans toute la région il n'y avait pas un seul cas de fièvre typhoïde
avant celui-là.
5e Observation (Communiquée par le docteur Ferrand de Rennes).
3 cas. — Mma X., 50 ans, M11* Y. et M. Z. assistent à un repas avec