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LE
Eiimn A ROI
M. Rem: PIC H ON
PARIS
!•: n
N E s
1'LEROUX, É
l)ri'E U
li2<S, rue Bonaparte (Vie) l')10
LE MARIAGE RELIGIEUX A ROME
Kxtrait de laBibliothèquede vulgarisation duMusée Guiinet, t.
XXXV,
1910Chalon-sur-Saône, Imprimeriefrançaiseetorientale E.Bertrand
LE
\m mmn a
M. René PIGHON
PARIS
E R N E S
i'LEROUX, É
1)ir E U R
2<S, rue Bonaparte (Vh) 1910
00 6 30 9'^
LE MARIAGE RELIGIEUX
A ROME
PAR
M. René PICHON
Lorsque lou examine
le bilan de nos connais- sances relatives à l'antiquité romaine,on
s'a- perçoit qu'elles sont assez inégalement répar-ties, et qu'elles ne sont pas toujours ti'ès abon- dantes sur les points
où
il nous serait le plus^
important d'être bien renseignés.Les
historiens et les orateursnous
parlentde
choses qui leur semblaient très considéi'ables, et quinont
pluspour
nouslemême
intérêt: ilsnous
entretiennent bien plusde
politiqueou de
guerreque
desfidts habituels
de
la vie courante ;nous
avons des détails sur les batailles et les traités, voiremême
sur les institutions;mais
lesmœurs, dans
leur vitalitécomplexe
eL mouvante,nous
îéchap- pent ti-op fi*cquemment. C'est le cas,par
exeni-CONFERENCES AU MUSEE GUIMET
pie, en ce qui
concerne
le mariage.Nous
sa- vons àpeu
près quellesen
étaient les condi- tions légales, juridiques, itiouspouvons en
dé- crire avecune
exactitude suffisante les céré-monies
consaci^es : la réalité intime, l'âme, si je puis dire, en est plus difficile à ressaisir.A
quelles conceptions, à quelles tendancesou
croyances correspondait la célébrationde
l'u- nion conjugale ? sous l'influencede
quellesidées etde
quels sentiments se sont développés les rites nuptiaux ?comment,
plus tai'd, ces idées et ces sentiments ont-ils évolué? qu'est-ceque
la société romaine,
aux
divers stadesde
son histoire, en a conservéou au
contraire laissé péi'ir ? Voilà des questions auxquelles il n'est pas très aiséde donner
des réponses précises, parceque nous manquons de
documents.Un
Tite-Live
ou un
Tacitene
touchent pasà
l'existence intime ; les auteurs
dramatiques
tra- duisent des pièces grecques, ce qui lesrend peu
propres ànous
donnei'une
idée exacte desmœurs
romaines; et les poètes sont la plupartdu temps
des célibataires, ce qui estune
assezmauvaise
conditionpom*
apporterun
témoi-gnage
autorisé sur le mariage. 11 fautdonc
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
nous résigner à ignorer,
— ou
à supposer,—
beaucoup
plusque nous ne
le voudrions.Cela est fâcheux, et aujourd'hui peut-être plus
que
jamais.A
Theure où
lemariage
su- bit l'assautde
discussions sinombreuses
et sihardiment
passionnées, il serait très intéressantde
bien connaître les originesdune
institution qui fait l'objetde
tantde
controverses. Or, ces origines, c'est àRome
qu'il faut les chercher.Qu'on
ren\isagecomme un
contrat juridiqueou comme une
union morale, lemariage mo- derne
estdoublement
latin.Les
clauses légales qui le régissent rappellent, avec des modifica- tions inévitables, celles qui furent jadis inscritesdans
le droit prétorien. D'autre part les concep- tions éthiques qni ledominent
portent la puis- sante empreintedu
christianisme,mais
le chris- tianismelui-mcmc
abeaucoup
conservé des ha- bitudesde
la sociétéau
milieu de laquelle il s'est organisé.Par
leCode
Ci^dlcomme
par l'Eglise chrétienne, notremariage
vient deRome;
il plonge ses lointaines et robustes ra- cinesdans
le sol latin. C'est ce quidonne
à l'étudedu mariage romain un
intérêt tout par- ticulier, actuel enquelque
sorte.Poui' cette étude, il est permis, je crois,
4
CONFERENCES AU MUSEE GUIMET
de
laisserde
côté tout ce qui est strictement juridique : les conditions et conséquencesdu mariage
sonténumérées
avec bien assez de précisiondans
tous lesmanuels de
droit ro-main
et d'institutions romaines, et d'ailleurs la théorie systématisée, stéréotypée, qui trouve son expressiondans
des articlesde
loi, n'est ja-mais
tout à fait adéquate à la réalité vivante.Il est également superflu
de
décrire par lemenu
tous les détails
de
lacérémonie
nuptiale :on
peut les trouver, fidèlement relevés,dans
les dictionnaires d'antiquités, et jene
voudrais les retenirque dans
lamesure où
ilnous
est pos- siblede
les interpréter,de
découvrir, en eux, quelque chosede
plus profondqu'eux-mêmes.
Par
delà l'écorce superficielle et refroidie des formalités rituelles, peut-on pénétrer jusqu'à l'intérieur, jusqu'aux croyances etaux
sen- timents qui ont créé,dans
ce qu'il ade
plus essentiel, lemariage romain
? je voudraisdu moins
l'essayer.I
Il faut
pour
cela considérer d'abord laforme
la plus ancienne
de
ce mariage, laquelle est,selon toute pix)babilité, la confarreatio.
Quelques
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
juristes
de Rome
et quelques éruditsmodernes
ontpensé
qu'elle n'était pas la première chro- nologiquement,mais
leur opinion, généralement rejetée,me
paraît insoutenablepour
plus d'un motif.La
confarreatio, jusqu'à l'époqueimpé-
riale, a
eu un
cai-actère privilégié ; seuls les en- fants issus des mariagesde
cette espèce pou- vaient remplir certains sacerdoces,notamment
celui
du
Flaïuinede
Jupiter :une
tellesurvivance esttoujoursune présomption de
haute antiquité;elle
prouve que
l'usage quine
subsiste plusque dans
des cas exceptionnels a été jadis la règle générale.De
plus, la confarreatio estun
typede mariage
exclusivement patricien, et,à l'origine, les patriciens seuls ont constitué la cité romaine. Enfin la confarreatio se distingue des autres
formes
d'union conjugalepar un
ca- ractère religieiLX tout à fait spécial : or, chez tous les peuples, les institutions véritiiblement primitives sont toutesimprégnées de
religion;plus
une coutume
offreun
aspect rituel net-tement marqué,
plus elle ade chances de
re-monter
très loindans
le passé ; poiu* la socio- logie m(xlerne,comme pour
la vieille languelatine, « antiqiu-! » et « religieux » sont
deux
termes à i>eu prèssynonymes. Observons donc
6
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
cette variété tout à fait archaïque
du mariage
qu'est la confarrcatio, avantde
descendre atix espèces plus récentes, etvoyons comment
lema-
riage va
nous y
apparaître.Naturellement,
comme
cela a toujours lieudans une
société ancienne,Tamour
et lemariage
sontabsolument
distincts.De
tous les éléments qui entrent en lignede
compte, le goût person- nel des futursépoux
est le plus négligé.L'homme
peut contractermariage
à 14 ans, lafemme
à 12 ;mais
les fiançailles, qui onten
fait (sinon en droit)une
valeurpresque
aussi obliga- toireque
le mariage, les unissentbeaucoup
plus tôt :on
citedes petites filles fiancées àun
an, et Octavie, lafemme de
l'empereur Néron, fut fiancée à 7 ans,mariée
à 11, et tuéepar
sonmari
à 20.Ce ne
sontdonc
pas lesépoux
qui se marient :on
les marie.Les
chefs desdeux
familles concluentl'affaireensemble.Sans
doute,au moment de
la célébrationdu
mariage, leconsentement de
la jeune fille est officiellement reqids :mais
ilne semble
pas qu'en réalité elle le puisse refuser ;du moins
n'en connais- sons-nous pas d'exemple.On
s'explique, dèslors, les railleries
que Sénèque
et saintJérôme
lanceront plus tard contre cette institution quiLE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
enchaîne l'un à l'autre
deux
êtres qui ne se connaissentmême
pas : «On ne
peut choisirsa
femme,
il faut la garder telle quelle. Si elleest irascible, sotte, laide, orgueilleuse, si elle sent mauvais,
nous ne
savons ses défauts qu'a- près la noce.Un
cheval,un
âne,un
bœuf,un
chien,une
marmite,une
chaise,une
coupe,un
potde
terre,ne
s'achètent qu'aprèsexamen.
Iln'y a
que
lafemme
qu'onne montre
pas; elle n'auraitquà
déplaire avant d'être prise^ ! »Ces protestations satiriques ont été reprises .souvent,
dans
toutes les sociétésoù
lelibi-e choixde deux
volontés n'est pas la basedu
mariage.Mais,
quand
il s'agitde Rome,
il ne faut pas prendreau
piedde
la lettre lacomparaison
qu'elles supposent entre l'acquisition d'une
femme
et celle d'un objetmobiher ou
d'un ani- mal. Ily
a des peuples chez lescpielson
achèteune femme comme on
achèteun
esclaveou une
bête
de somme
;mais
àRome
il en esttout autix- ment,même aux temps
les plus reculésque
nous puissions atteindi^e. D'abord la
femme
estdotée, et
non
pas vendue, ce qui ne laisse pasque
d'établirune
notiible différence.En
outre,de
ce qu'elle ne semarie
pas hbremcnt, ilne
1. Sén., De malriin. (ap. Hier., Adv.lovinian., I).
8 CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
s'ensuit pas qu'elle soit privée de toute liberté dans le mariage.
On
s'y est quelquefois ti^ompé :sous prétexte
que
lemême mot
désigne la puis- sancedu
chefde
famille sm' safemme,
sur ses enfants, sur ses esclaves ©t sur ses biens, sous prétexteque
lafemme
est «dans
lamain
» de son mari, inmanu
mariti,on
l'a cruecom-
plètement asservie par le pacte nuptial. Cela n'est qu'à moitié vrai.Sans
doute lafemme
apr-partient
à
son mari,comme,
étant fille, elle ap- partenait à son père, dont les droits sontpour
ainsi dire transportés à l'époux. Elle n'héritera plus
de son
père; ellene
participera plusau
cultede
sa famille originelle ; elle peindramême
sonnom, pour
prendre celuide
sonmari
;elle deviendra en quelque sorte « la fille » de
celui-ci, filiae loco. Mais elle
ne
sera pas dé-sarmée
devant lui. 11ne pourra
la punir qu'as- sistédu
tribunal familial tout entier (dumoins pour
les peines graves). Ilne
la répudieraque dans
des cas strictement déterminés (si elle est coupable d'empoisonnement, d'adultère,de
sup- position d'enfant,ou
d'usagede
fausses clefs).S'il la répudie sans qu'elle ait
commis une de
ces fautes,ou
s'il cèdeà quelque autreles droits qu'il a sur elle, il sera puni,non seulement par
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
9 la restitutionde
la dot.mais par
la sanction laplus terrible qaie connaisse la société
romaine
primitive,une
sanction religieuse : il sera dé-voué aux
dieiux infernaux, sacer esto.La femme
est
donc
bien, si l'on veut, la propriétéde
Té- poux,mais une
propriété d'un genre spécial, donton ne
peut ni se défaire à volonté, ni abu- ser librement, parce qu'elle est préservée par des interdictions légalesou
sacrées.Et ceci nous
amène
à concevoircomme
il sied lemariage romain
primitif : ce n'est niune
union sentimentale, niun
contrat d'acquisition, c'estune
initiation religieuse.Beaucoup
plus tard,dans
le Digeste, le jurisconsulteModes-
tinus endonnera
cette définition admirable :« le
mariage
est l'unionde l'homme
et de lafemme,
leur associationpour
toutes les chosesde
la vie, lem'mise en commun de
tout droit divinou humain
», coniunctiomaris
et fcmi- nae et consortiumomnis
uitae, diuini et huinani iuris communicatio. Mais à l'époque la plus an- cienne, c'est le « droit divin » surtout qui im- porte. L'effetdu mariage
c>t d'introduire au foyerdu mari une femme
qui sera sacompagne
da:ns les actes
du
culte dôme:.tique, et qui. chose plus essentielle encore, assurera la perpétuitéde
10
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
ceculte
par
les enfants (ju'elle mettraau monde.
Un
acte quia
des conséquencesreligieuses d'unesi haute gravité
ne
peut êtrelui-même qu'un
acte religieux, et, de fait, tous les détails de la célébrationdu mariage
sont autantde
rites d'une cérémonie
sacrée.Les
preuves en sontinnom-
brables ; j'en citerai seulement quelques-unes.Comme
tous les actesdu
culte, lemariage
est interdit à certains jours,en
particulieraux
joursoù
l'on redoute l'influence maléfique des morts (les Lémuries, les dies parentales, les trois joursoù
est censée ouverte l'entrée des enfers).La
fête s'ouvrepar une
prise d'auspices, se continuepar une
prière, puis parun
sacrifice, et se terminepar
lamanducation
d'un gâteau sacré.La
toilettemême de
la fiancée est sou- mise à des obligations rituelles : elle doit porterune
robe d'une certaine couleur,—
blanche,—
etd'un certain tissu,
— un
tissu à fils verticaux;elle doit avoir la tête couverte d'un voile, ana- logue à celui qui est en usage
dans
les purifi- cationsou
les initiationsaux
mystères^ ; et sous ce voile, les bandelettes qui ornent son front,—
ceis
mêmes
bandelettes qui sont les signes con- sacrés des prêtressesou
des victimes offertes1. Cf. s. Reinach, Cultes, mythes e( religions, I,p. 299.
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME H
aux
dieux,-
partagent sescheveux en
tresses dont lenombre
n'est pas laissé à son librechoix; il y en a six,
nombre mystique
et divin...Je n'insiste pas là-dessus, la nature religieuse de la
cérémonie
nuptiale ayant été admirable-ment mise
en lumièredans
la Cité antique de Fustelde
Coulanges, etreconnue
également par tous les historiens.La
chose n'a d'ailleurs rien d'aonnant, ni rien qui soitpropre
àRome
:l'incompréhensible serait qu'en
une
société pri- mitive lemariage
n'eût pas été essentiellement religieux.Voici
au
contraireun
trait quine
se rencon-tre pas chez tous les peuples, et qui, si je ne
me
trompe, n'a pas été bien nettement signalé jusqu'ici.Un
acte religieux,- un
sacrifice,une
offrande,
une
prière,-
s'adresseen
général àun
seul dieu,ou
àun groupe de
divinités sti'ic-tement
déterminé.Par
exemple, enprenant dans un
sens rigoureux la théoriede
Fustel de Cou- langes,on
devrait s'attendre à ceque
tout,dans
le mariage, gravitât autour
de
la divinitédu
foyer ; et précisément Fustel,
un peu
trop sys-tématiquement
préoccupédu
culte domestique,de
l'adorationdu
feu et des ancêtres héroïsés, n'a guèrevu dans
lacérémonie
nuptialeque
ce12
CONFÉRENCES AU MUSEE GUIMET
qui pouvait s'y rapporter. Mais,
quand on
exa-mine
sans parti pris les divers ritesdu mariage
l'omain,on
voit qu'ils concernent des divinités assez différentes lesunes
des autres, etque par
suite ilsforment un ensemble
assez complexe.Peut-être étaient-ils plus
homogènes
à l'origine;mais, aussi haut
que nous pouvons
remonter, la fête conjugalenous
apparaîtcomme un com-
posé de plusieurs cultes, entre lesquels la syn- thèse adû
se fairede bonne
heure,puisque nous
n'apercevonsaucun
vestige d'un étatde
choses plus ancien.Pour nous en
rendre compte, suivons,heure par
heure, la journée d'une fiancée romaine,en
tâchant d'expliquerchacun
des actes qu'elle accomplit.J'ai parlé tout à l'heure
du flammeum, du
voile qu'elle
met
sur sa tête lematin
de la cé-rémonie
; ce voile,comme
lenom
Tindique, est d'une couleur qui serapproche du rouget
Déjà, la veilleau
soir, elle aenfermé
sescheveux dans une
résille ix)uge également, rcticulam.Le
rouge n'estpas la couleur la plus habituellement exigéedans
les cérémoniesdu
culte ; ce serait1. Dans l'Eglisearménienne, les fiancés sont encore couverts d'un voile rouge.
LE
MARTAGE
RELIGIEUX AROME
13 plutôt le blanc :mais
ily
aun
dieu toutau moins
à qui cette couleui' est consacrée, c'est le dieuMars
i. 11 peut sembler étrange de pro- noncer sonnom
à proposdu
mariage, parce que,dans
les classifications qui, àune époque
pos- térieure, ont essayéde
mettreun peu
d'ordreparmi
les traditions mythologiques.Mars
a été, si j'ose dire, étiqueté « dieude
la guerre ».Mais
à l'origine, s'il est « dieude
la guerre », il est bien autre cliose encore : dieude
l'agri- culture, dieude
la fécondité, etc.; les attribu- tions des différentes divinitésne
sont pas en- core réparties avec cette rigueur artificielle qui serade mise
plus tard.Chez
les Sabins, c'est- à-diredans une
des races qui ont contribué àformer
la population anciennede Rome, Mars
était vénéré
comme
le dieudu
mariage, et sonunion
avec la déesseNerio
étaitregardéecomme
le prototype des unions
humaines
: Tite-Live1. C'est en ce sens ({uil faut inlerprétor l'usage de létendard rouge élevé au ChampdeMars pour réunir rarnice romaine.
L'emploid'unmorceaud'étofl'cd'unecouleur déterminéeest,chez touslespeuples primitifs,un desmoyensusuels pour proclamer
le «tabou», la consécration d'un lieu. Hisser l'étendard rouge, c'était déclarer que l;i phiiiic se trouvait vouée au dieu Mars pour l'occomplissemeal d'uir acte cpii, politique ou militaire, étaitavanttout religieux.
—
Nosrévolutionnaires, en acclamantledrapeau ronge, nese doutentpasde sa signification primitive.
14
CONFÉRENCES
AUMUSÉE GUIMET
y
fait allusiondans
la prière qu'il fait pronon- cerpar
Hersilia, l'épousede Romulus^
lorsde renlèvement
des Sabines. Il n'y adonc
nulle in- vraisemblance à supposerque
la résillerouge
et le
flammeum
sont des indices d'une adora- tion de Mars.Les cheveux de
la jeunefemme,
ai-jedit aussi, sont partagiésen
six tresses :mais
ilsne
sont pas peignés à l'aide d'un instrument ordinaire..On
s'est servi ce jour-là d'un ferde
lance ai- guisé enforme
d'aiguille, la hasta caelibaris.On
abeaucoup
écrit, dès l'antiquité, sur ce ferde
lance : certains auteurs ontprétendu
qu'il devait,pour
avoir toute sa valeur, être retirédu
corps d'un gladiateur frappé mortellement, ce qui estévidemment une
superstitionde
la basse époque, greffée sm^un
usage très ancien.De
cet usagemême, on
adonné
des raisonsmul-
tiples : la
femme
doit être aussiintimement
unie à sonépoux que
la lanceau
corpsdu
blessé ; les
femmes
sont consacrées à Junon,de
Cluses (quiris signifiant lance); la
femme
doit enfanter des enfantscourageux
; la lancesym-
bolise lecommandement,
et lemari commande
à la
femme
1.Parmi
ces explications, il faut na-1. Prise, p. 631 P.
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
15 turellement éliminer celles qiii,par
leur carac- tère abstrait et philosophique, s'écartentde
l'es-prit des religions primitives.
En
réalité la hastacaelibaris est
un
signede
consécration à laJuno
hastata dontnous
parlentd
autres textes. Ju-non
jouant d'ailleursun
rôle essentieldans
toute lacérémonie
conjugale.Outre
leflammeum
et les bandelettes, la pa- rure de la fiancéecomporte
encoreune
cou-ronne de
fleurs, lesquelles ontdû
être cueilliesde
sa propre main.Ce
seraitmal
connaître les habitudes de cesépoques
reculéesque de
voir,dans
cette deniière prescription,un symbole de
la simplicité
exempte de
luxe qui sied àune
jeunefemme. On
se ti^omperaitégalement en
croyantque
lacouronne de
fleurs n'est qu'une parure.Les
fleurs,comme
les arbres,comme
certains
animaux
et certaines pierres, sont des objets sacrés. S'en couvrir estdonc un moyen de
se sanctifier,de
se conférer àsoi-même une dose
plus élevéede
force sm'iiaturelle; et c'estpourquoi
il fautque
la jeune fille ait cueillielle-même
ces flcm's : en passant pai* l'enlre-mis€
d'unemain
étrangère, elles perdraientun
j)eu
de
leur efficacité mystique.Ainsi ornée, la fiancée sort
de
lachambre
16
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
virginale, et est ajnenée
à
son futur époux.EUe
l^ui est amenîée,
non
pai' son pèreou
sa mère,mais par une
mati-one appelée pronuba.Ce mol
est significatif : c'est
une
des épithètesde
Ju- non.La
raatroine estdonc
iciune
prêtresse,on
peutmême
direune
incai-nationde
Junoai.—
Il faut
que
cette mati-one,pour
être apte àrem-
plir son office, n'ait été
mariée qu'une
seule fois : reconnaissons là tout autre chosequ'une vague
préférence sentimentale ;ne nous bornons
même
pas à dire,comme on
l'a fait,que
l'in-teiTention d'une
veuve
remariée seraitun
pré- sage fâcheuxpour
l'avenirdu nouveau
couple;il
y
a iciquelque
chose de plus. Suivant les anciens, les secondes noces sontune déchéance
:une femme mariée
plusieurs fois est, si l'on peut dire, « disqualifiée »pour
jouerun
rôle religieux.La pronuba
doit être uniuiracomme
la vestale doit être vierge,
comme
le rex sa- croriim doit être patricien : ce sont des condi- tions d'intégrité requisesppur
exercerun
sa- cerdoce.— En
présencede
cette pronuba, la fiancéedonne
samain au
jeunehomme,
et ceci encore estun
acte rituel.La main
droite est lesymbole
matérieldo
la foi, à telles enseignesque
dcxtra et fides sont souventsynonymes
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
17 dans les formules archaïques. Cette idéede
la valeur sacrée de la main.—
idée dont la lé-gende
deMucius
Scaevola estune
lointaine dé- formation,—
se retrouve,moins
altérée,dans
les rites nuptiaux qui ont persisté jusqu'à nos jours.
Aussitôt après la dextraruni iunctio, le prêtre qui, dès le matin, a pris les auspices adresse
une
prière à cei'tains dieux, et les fiancés leur offrent des fruitsen même
temps. Quels sont ces dieux ? Plutarque cite Jupiter, Junon, Vé- nus, Diane, et la Persuasion ;mais
c'est làune
formule liturgiquede
date récente, qui décèle l'influence des cultes gi^ecsi. Plus ancienne- ment,on
invoquait Jupiter, Junon, laTerre
2,Picumnus
et Pilumnus.La
présencede
Jupi- terdans
cette liste secomprend
sans peine,non seulement parce que
c'est le dieu souve- rain,mais
parceque
Jupiter, éi)ouxde
Junon, participe à son rôlede
protection nuptiide.L'hommage rendu
à laTeiTC
(ou à Gérés) a .son analogue en Grèce, oiiDéméter
présideaux
unions conjugales^ ; peut-êtrey
a-t-il làune
as-1. Il 11est pas siii-(jiic la PiTsiiasioii ail jamais ctf adorée a Uiiiiie eiimine en rirèce.
2. Plus lard Tellus l'ut remplacée parCi-rès.
3. Virgile, en uiellanl l'union de Didun eldEnécsou* lu ])ro-
18
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
similatioii confuse entre la fécondité terrestre et la fécondité
humaine
; d'ailleurs, chezun
peuple agricole, la déesseTerre
adû
êtreune
des divinités primordiales.Picumnus
et Pilum-nus nous
sont fortmal connus
: àun
certainmoment,
ils ont été des dieux agricoles,eux
aussi, le dieu [des engrais et celui
du
pilonà
broyer le grain ;mais auparavant
ils semblent bien avoir été des dieux-oiseaux, le pivert et la huppe, et à ce titre lamention
quien
est faite le jom' des noces rattacherait les ritesnup-
tiaux àde
très vieux cultes totémiques.Tout
à l'heure nous trouvionsune
oblationnon
sanglante ; voicimaintenant un
sacrifice : les futursépoux immolent un bœuf ou un
porc. 11 paraît bien
que
cettecoutume
s'est in- troduite àune
date relativement récente, et cela s'accorde avec l'évolution qu'on a cru re-marquer
dans la religionromaine en
général :d'aboixi
champêtre
et inoffensif, elle n'aurait revêtuun
caractère sanglantque
plus tard,au
contact des Etrusques ; c'est alors,par exem-
ple,
que
l'hainispicine am-aitremplacé
l'inspec-tion
du
vol des oiseaux.Mais
tout cela est asseztection de Junon, .\pollon, Baci'hus et Cérès, combine le culte grec et le culte latin.
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
19 hypothétique, et en tout cas le sacrifice, s'il est postérieur à l'oblatiou végétale,ne
l'a pasfait disparaître ; il s'y est juxtaposé, rendant ainsi plus
complexe
raccomplissemeiit de la cé-rémonie
totale.Vient ensuite le repas cliez le père
de
lafemme,
repas qui.dans
la suite, estdevenu une pure
et simple réjouissance,mais
qui,au
début, était certainementun
festin sacré.Et
après ce repas, c"est-à-dire très tarddans
la journée, à latombée de
la nuit, lafemme
est conduite chez son mari. C'est la seconde partie de la fête, ladonuim
dcductio^ dont bien des détails sontpour nous
énigmatiques. Quelle est,par
exemple, la vraie nature des « vers fes- cennins »,de
ces vers si libres, etmême
obs- cènes,que
l'on chantait enaccompagnant
le cor- tège ? 11 est àpeu
près sûrque
leurnom
vientde fascinuni, et non,
comme
lont prétendu desgrammairiens
latins,de
la villeétrusque de Fes- cciinia ; mais cette étymologie laisse encore lechamp
libreaux
conjeclur&s : ces chants se rap- l)ortaicnt-ils à la fécondité,ou
à la puissance magique, au «mauvais
œil ».dont
lenom
latin, fascinatiu, dérivedu même mot
'!— Qu
était, d'autre i)ai"t. ce cri de idldsioou
t(dassi<>que
20 CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
l'on poussait à fréquentes reprises ?
Les
érudits anciens ontaccumulé
là-dessus les hypothèses saugrenues ; ily
en amême un
qui reconnaîtdans
cette exclamationpurement
latineun
dé- rivédu
grecôàXacraa !— Pourquoi
enfin jetait-on
des noix sm' le passagede
la noce ? parceque
les noix, dit l'un, serventaux
jeux des en- fants, -et qu'en les jetant,on marquait que
les
époux
sortaientde
l'enfancepour
entrerdans
la \ie sérieuse : explicationbeaucoup
trop savantepour
être primitive. Selon d'autres, les noix seraientun symbole
de fécondité ; selon d'autres encore, ce seraitune
nourriture des- tinée à apaiser la faim desmauvais
esprits qui rôdent sans cesse, et à conjurer par là leurma-
lice. Cette dernière
vue
a l'avantagede
s'accor- der avec les superstitions populaires encore vi-vaces en d'auti-es pays. Mais pom-quoi des noix plutôt
que
d'autres aliments 1 11 est bien pos- sible qu'il faille reconnaître iciun
vestigedu
culte
du
noyer,— de même que
les torches por- tées par les enfantspour
éclairer le jeune cou- ple, (torches qui sont des branches de pin à l'exception d'une,formée par un rameau
d'au- bépine),nous
révèlent la valeui' religieuse de ces arbres ou arbustes.LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
21En
arrivant à lamaison
qui désormais sera sademeure,
la fiancéecommence
pai' rendre à la portede
cettemaison un hommage
quinous
paraît assez singulier : elle enduit lesmontants de
cette porte,ou
d'huile,ou
de graisse de loupou de
porc, et les jEVotte avec de la laine.Rappelons-nous que
la porte,comme
le foyer,comme
le pilier, estdans
les civilisations pri- mitives l'objetdun
véritable culte, etnous com- prendrons
alors ce geste bizarre. 11 se peut aussi qu'on doive tenircompte
des substances quiy
sont utilisées : userde
graissede
loupou
de porcpour
oindreun
objet, c'est le consacreren quelque
sorteau
loup etau
porc, qui sontdeux animaux
sacrésdans
laRome
primitive.—
Jene
sais si l'onne
doit pas expliquerpar
la rai-son que
j'invoquais tout à l'heure le rite qui a été tantde
foiscommenté,
et qid veutque
la nouvelle épouse soit soulevéepar
sonmari pour
franchir le seuil.Les uns
ontvu
làun symbole de
lapudeur de
la jeune fille, qui ne doit pas avoir lairde
venir librement chezun homme
;d'autres,
une
survivancedu mariage
par enlè-vement
; d'autres,une
précautionpour que
lafemme ne
heurte pasdu
pied le seuil de la mai- son, ce qui seraitde mauvais
présage.Ne
pour-22
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
rait-on pas dire
que
le seuil est sacrécomme
la porte,
que
seuls les initiés peuvent le toucherimpunément,
etque
la jeunefemme,
encore pro- fane par rapport à la religion de son mari,ne
peut s'exposeï' à ce contact sanscommettre un
sacrilège ?
C'est en effet auprès
du
foyer de l'époux qu'elle va recevoir l'initiation définitive :on
luiprésente l'eau et le feu, l'eau lustrale et le feu domestique, objets d'une telle
importance
reli- gieuse que, chezlesRomains, excommunier
quel- qu'un, c'est lui interdire l'eau et le feu.Et
en-fin, assis sur
deux
siègesjumeaux,
qui sont recouverts d'une toison de brebis, les mariésmangent ensemble
le gâteau de farine d'é^peautre qui
donne
sonnom
à la confarreatio.Nous
retrouvons là, d'une part, le sacrificedu mouton,
rite pastoral, et d'autre part laman-
ducation solennelledu
pain, rite agricole, lesdeux
formes d'oblationque nous
avons obser- véesun peu
plus haut, etdont
l'union se mani- feste sans cessedans
la religion romaine.Nous
n'irons pas plus aVant, et nous néglige- rons les divinitésdune
espèce hai'diment natu- raliste qui président à l'union charnelle.Même
en
les laissantdans
l'ombre,que
de dieux dif-LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
23 férents, etque
d'objets divinsnous
avons déjà rencontrés ! Culte des grands dieux quinous
sontconnus par
la mythologie, Junon, Jupiter, Mars, Cérès ; culte desanimaux,
loup, bœuf, porc, miouton. oiseaux ; culte des plantes, fleurs et fruits, épisde
blé, noyer, pin, aubépine ; culte des choses inanimées, seuilou
porte :toutes les parties
de
la religionromaine
sont représentéesdans
cette cérémonie.Et
cela, d'après les idéesdu
temps, luiimprime une marque
éminente.Un
acte auquel sont asso- ciées toutes les forcesdu monde
divin, acquiertde
ce faitun
prestige tout à fait auguste etune
puissance sanctifiante d'une intensitéincompa-
rable. Plus l'analyse
nous
fait apparaître le ca- ractère composite des rites nuptiaux, plus nouscomprenons
quelle devaiten
être,aux yeux
desRomains,
l'efficacité sacrée.Ajoutons
que
l'Etat les revêtde
son autorité.Dans
la confarreatio, cene
sont pas des prêtres quelconques quiprennent
les auspices, c'est leGrand
Pontife et le Flarainede
Jupiter, c'est- à-dire ceux qui exercentdeux
des sacerdoces publics les plus importants. D'autre part, la de.v-trarum
iunctio, qui traduit le pactede
consen- t'Çment mutuel, a lieu devant dix témoins, qui24
CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
représentent les dix subdivisions
du
patriciat :par
Tenti^emise de ces témoins, c'est la société patricienne entière qui assisteau mariage
dedeux
de ses enfants, l'enregisti'e, le sanctionne.Enfin, si la confarreatio pi'oprement dite s'ac-
complit
au
foyer, qiu estcomme
le templede
la famille, elle est précédée
de
sacrifices qui se célèbrentdans
les templesde
la cité.Le ma-
riage n'est
donc
pas chose strictementdomes-
tique et privée; l'Etat,y
ayantun
intérêt, yprend une
part directe. Ainsi s'accroît encore la « majesté »de
l'union contractéedans
detelles conditions : rien
ne
luimanque
des con- sécrations religieuses ni des investitures so- ciales ; elle a autour d'elle,comme
garants, tous les dieux et tous leshommes.
Il
Cette dignité
éminemment
vénérabledu ma-
riage par confarreatio est la cause de l'espèce d'attrait qu'il exea'ça sur les classes inférieures, et qui se traduisit
par
la création d'autres types conjugaux.La
confarreatio^comme on
l'a vu, était le privilège des patriciens, les seuls qui eussentune
religion domestique,un
cultedu
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
25 foyer et des ancêtres.Les
unions plébéiennesne
pouvaient avoir lemême
caractère sacré.Aussi les patriciens professaient-ils envers elles le dédain le plus superbe ; ce n'étaient, suivant eux,
que
desaccouplements
formésau
hasard,comme
ceux des bêtes, conubia promisciia,more
ferarum.Les
plébéiens acceptaientdu
reste cette opinion insultante :de bonne
foi, ils se croyaient inférieurs sur ce pointcomme
sur tous les au- tres ; les rites dont les nobles gardaient lemo-
nopole et entretenaient lemystère
leur inspi- raientun
respect apeuré.Quand
ilscommen-
cèrent à forcer les portes
de
la cité, ils souf- frirentde
cettedéchéance
; ils voulurent riva- liser avecceux
qui les avaient siinsolemment
méprisés, avoir,eux
aussi, des mariages régu- liers, iustac nuptiae. Ilne
lem' était pas licited'employer la confarreatio : ils eurent
donc
re- cours à des équivalents approximatifs.Ce
qu'ily avait de plus auguste
dans
la vieille société romaine, après les rites religieux, c'était le droitde
propriété, qui d'ailleurs, tout à faitau
début, était placé lui aussi sous la sauvegarde de la religion.On
appliquaau mariage
la pro-cédure
suiviepour
l'acquisition de la propriété,ou
plutôt les pix)cédurer, car ily
en avaitdeux
:26
CONFÉRENCES
AUMUSÉE GUIMET
on
pouvait devenirpropriétaire par achatou
par usage, et demême on
put acquérir la puissance maritale par achatou
par usage.Dans
le pre-mier
cas, celui de la coemptio^ le père de lajeune fille faisait à l'époux
une
vente fictivede
son autorité paternelle, ©t cette vente,comme
celle des biens ordinaires, se
consommait
par les formalités requises, par lamonnaie
et le poids, per aes et librain^ avec l'entremise d'un arbitreou
Ubripens, eten
présencede
témoins ennombre
déterminé.Dans
le second cas, celui (le Vusis, lafemme
devenait la propriété de son mari parun an de
cohabitation.Par
l'unou
l'autre
de
cesdeux moyens,
l'époux acquérait la maniis, qui,dans
la confarreatio^ résultait im-médiatement de
l'acte religieux. Ilpouvaity
avoird'ailleurs, et il y eut effectivement, des mariages sans acquisition
de
lamanus, mais
lesdeux
types cpie je viens de décrire sont intéressants parce qu'ils révèlentun
effortpour
s'approcher de la confarreatio aussi prèsque
cela est pos- siblepour
des non-patriciens,pour
des profanes, (vetle intentiou s'affirme égalementdans
la res-semblance
des cérémonies extérieures.Ceux
qui se marient par cocmptioou
par usus sont obli- gés, cela s'entend, de renoncer à ce qui est laLE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
27 partie essentielle de la confarreatio, lamandu-
cation en
commun du
gâteau d'ép>eautre; mais, à part cela,—
et à partune
diminutiondans
le
nombre
des témoinsi,—
la fête conjugale se déroule suivant lamême
formule. Cesdeux
va- riétésde mariage
ontbeau
être d'origine plé- béienne et laïque,—
laïque en ce sensque
le droit de l'épouxny
résulte pas de l'accomplis-sement dun
rite :— malgré
cela,on met une
sortede
jxjintd'honneur
à les calquer, aussi fidèlement qu'on le peut, sm' lemariage
reli-gieux et patricien.
Assez vite, d'ailleurs, cette répartition des di- vers types
matrimoniaux
entre les diverses classes sociales cessede
subsister :non
pasque
les plébéiens soient
admis
à la confarreatio (cela seraitun
sacrilège),mais
ce sont les patriciens qui recourent à la cocmptio et à Vusus.La
confarreatio reste patricienne de nature : seu-
lement
elle n'existe plus ; elle devientchaque
jour plus rare ; àlepoquc
classique, ce n'est guèrequ un vague
souvenir.Lorsque
le patri- ciat perd son vieil esprit conservateur et reli- gieux, ilrenonce
à ce rite,que
ses voisins lui1. Cinq témoins dans la cocmptio au lieu de dix dans la confarreatio.
28 CONFÉRENCES
AUMUSEE GUIMET
enviaient
comme un
honneur, et qui lui pèse, à lui,comme une
charge. C'estque
la confar- reatio,malgré
tout, se distingueun peu
des au- tres formes conjugales ; elle s'en distingue par des traits qui la rendent plus gênante : elle est plus solennelle, plus compliquée, et surtout elleproduit des effets plus dui^ables,
presque
indé- lébiles.— Nous
touchons ici à la questiondu
divorce,
une
de celles sur lesquelles les histo^-riens
de Rome
ont émis le plus d'opinions di- vergentes.On
a souvent répété, surla foi d'untexte assez obscur d'Aulu-Gelle,que
lepremier
divorce avait été celuide
Sp. Garvilius Ruga, vers l'an 230 avant notre ère.Rien
n'estmoins
cer- tain : ilsemble
qu'en réalité GarviliusRuga
soit
simplement
lepremier
qui ait réussi à di-vorcer sans rendre la dot, ce qui fait
honneur
à son ingéniosité,mais
ce quine
tranche pas la question. Cioéron citeune
dispositionde
la Loi des XII Tables relativeau
divorce.Avec
Plutai-que,
nous remontons
encore plushaut
:à l'en cix)ire,
une
loide Romulus
aurait auto- risé lemari
à répudier safemme dans
des cas déterminés, etbeaucoup
d'historiensen
ont concluque
la législation primitive, celleque
LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
29 symbolisepour nous
lenom dn
fabuleux Ro- mulus, admettait le divorce lorsque lafemme
s'était
rendue
coupal^lede
certaines fautes.Cest
peut-être discutable, et voici quime met
en dé- fiance.Dans
le droitque nous
connaissons, leFlamine
de Jupiter, qui doit être issu d'unma-
riage par confàrreatio,ne
peut pas répudier sonépouse
: n'est-ce pasune
survivance restreinte d'une prohibition jadis plus générale ?Quoi
qu'il en soit, si, à l'époque primitive, le
mariage
religieux n'a pas été indissoluble,du moins
a-t-il été très difficile à dissoudre.
Non
seule-ment
il fallaitque
lafemme
eûtcommis
des délits caractérisés,non
seulement il fallaitque
lemari
eût p>our lui l'approbationdu
tribunal do- mestique,mais
ily
avait,pour
sortir de cette unioncomme
p>om'y
entrer,une cérémonie
obli- gatoire, la diffarrcatio.En
quoi consistait-elle?nous
l'ignorons ; leterme
indique quelle était l'inversedu
rite nuptial, et nous savons quelle étaitaccompagnée de
fonnules liturgiques « ef- frayantes, éti'anges, et odieuses »,d une
sorte d'imprécationou
d'anathème.Pour
des imagi- nations naïves,un moyen
aussi impressionnant devait paraître trèsdangereux
à utiliser, et l'on ne devaity
recourir qu'en cas de nécessité30 CONFÉRENCES
AUMUSÉE GUIMET
extrême.
Les
facilitésde
rupture sont bien plus grandesdans
la coemptîo et Vusus.Le mari
qui a acheté fictivement safemme
n'a qu'à la revendre fictivement, sans mettreen
jeu l'ap- pareilimposant
et terriblede
la religion.Dans
Vusus, c'est encore plus simple :
pour peu que
lacohabitation ait été
interrompue pendant
trois nuitspar
an, lafemme ne tombe
pas «dans
la
main
»de
son mari, etpar
conséquent ilest aisé
de
lui rendreune
liberté qu'elle n'a pasmême
perdue.On comprend que
des patri- ciens chez lesquels s'est affaibli le sensde
la tradition familiale, quine subordonnent
pluscomme
autrefois leurs goûts personnels à l'in- térêt de leur maison, soient tentésde
préférer ces formesde mariage
pluscommodes, moins menaçantes pour
leur indépendance.Autre différence.
Dans
les premierstemps de
rhistoire romaine, si quelques textesnous
par- lent de la facultéde
répudiationpour
le mari, rienne nous
ditque
lafemme
ait possédé lemême
droit. Cela secomprend.
L'acte religieux l'aà la fois associée etsubordonnée
à sonmari
:les droits
que
cet acte apu
lui conférer ne sau- raient être invoquéspar
elle contre l'union qui on est résultée. Elle est légitimement fondée,LE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
31 tant qu'ellene
s'est pas exposée à ladéchéance par
sapropre
faute, à réclamer la persistancedu mariage
: rienne
l'autorise à endemander
la dissolution.
— Dans
la coemptio, au contraire, le père qui a «vendu
» sa fille peut pour- suivre la rescissionde
la vente ; etpar
analo- gie, si lafemme
est sortie de tutelle avant son mariage, lamême
faculté lui est reconnue.Dans
Vusiis, le bénéficedu
trinoctium. peut être exploité aussi bienpar
lafemme que par
le mari.En
fait, à partirdu moment où
cesdeux
espècesde mariage
prévalent sur l'antique con- farrcalio, les divorces se multiplient,mais
li- nitiativesemble
venir surtout desfemmes. Les
maris,même
ceux ([ui se plaignent le plusde
la vie conjugiile,comme
ceuxque
nousvoyons dans
lescomédies de
Plaute, aiment en- coremieux
garder leurfemme pour
garder la dot. Lesfemmes, par
contre, ont sans cesse à labouche
lemot
de divorce : dès qu'on résiste à leurs caprices, elles songent à ceremède
de-venu
si banal ; et tantôt,par une
sorte de chan- tage, elles terrorisent et asservissent leursma-
ris ; tantôt elles passent des pai-oles
aux
actes, et les unions se défont aussi aisément qu'elles se sont faitas.A
la finde
l'époque républicaine,32
CONFÉRENCES AU MUSÉE GUIMET
on
divorce à volonté,pom*
n'importe quelmo-
tif. Autant le vieux
mariage
religieux s'étaitmontré, sinon indestructible
au
sens strictdu
mot,du moins
solide et résistant dans la plu- part des circonstances, autant lesformes
nou- velles quien
ont bien conservé l'apparence ex- térieure,mais non
le principe essentiel et lacroyance
fondamentale, s'avouent impuissantes à arrêter le flotde
la fantaisie individuelle etde
la sensualité débordante.Il est superflu
de
rappeler ici les plaintes et les sarcasmes qu'a fait naître cette épidémiede
divorces.Tout
lemonde
aentendu
citer lesexemples
typiquesde
la fillede
Cicéron etde
celle d'Auguste, trois fois mariées l'une etl'autre.
Tout
lemonde
se souvient des versde
Juvénal contre lesfemmes
qui trouvent lemoyen
d'avoir huitépoux
en cinq ans,de
la boutadeoù Sénèque
prétendque
lesfemmes
désormaiscomptent
les annéesnon
pluspar
lesnoms
des consuls,mais par ceux de
leurs maris.Je
me demande même
sitout celanest
pas trop connu.A
répétercomplaisamment
ces bonsmots
et ces anecdotes amusantes, ne risquons-nous
pasde prendre une
idée inexactede
la sociétéromaine
? Ily
avait certainement, àLE
MARIAGE
RELIGIEUX AROME
33 l'époquede
César, d'Auguste et de Tibère,beaucoup
d"hommes
etdefemmes, —
defemmes
surtout,
—
qui usaientdu
divorce àcœur
joie.Mais
ily
avait ausside
bons mai-ls etde bonnes
épouses. Seulement, ceux-là,nous
les ignorons, etnous ne pouvons
pasne
pas les ignorer.Les
historiens nenous
parlent des faitsde
la vie privéeque
lorsqu'ils fontun
bruit exceptionnel;ils n'interrompraient pas leui* récit
pour nous
parler deménages
tranquilles et réguliers.Les
avocats nenous
entretiennent,par
définition,que
des gens qui ne s'accordent pas entreeux
et qui se reprochent