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Article pp.55-73 du Vol.39 n°230 (2013)

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Texte intégral

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Dans une période de crise économique et de baisse perçue du pouvoir d’achat, qui se poursuit aujourd’hui avec en toile de fond l’émergence de nouveaux enjeux sociétaux, les consommateurs français changent progressivement leurs comportements d’achat et de consommation. La déconsommation est évoquée comme une solution comportementale des consommateurs dans ce contexte. En se référant à la théorie expérientielle de la valeur et en suivant une démarche exploratoire fondée sur l’analyse d’entretiens semi-directifs menés auprès de consommateurs de produits alimentaires, la présente recherche met en lumière les nombreuses pratiques et motivations de la déconsommation et les relie aux différentes dimensions de la valeur perçue.

GILLES SÉRÉ DE LANAUZE Université Montpellier 2, IAE, Lab MRM BÉATRICE SIADOU-MARTIN Université Montpellier 2, IUT, Lab MRM

Pratiques et motivations de déconsommation

Une approche par la théorie de la valeur

DOI:10.3166/RFG.230.55-73 © 2013 Lavoisier

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C

onfrontés à des remises en cause profondes et des évolutions dras- tiques des modèles socio-écono- miques occidentaux et à un contexte de crise qui les préoccupe, les Français déve- loppent de nouveaux comportements d’achat et de consommation. La crise du pouvoir d’achat est aussi symptomatique d’une crise du « vouloir » d’achat et les consommateurs se montrent experts et cri- tiques face aux pratiques et dérives consu- méristes. En réponse à ces enjeux, moins consommer, mieux consommer, devient aujourd’hui une préoccupation grandissante des individus. Dans le même temps, de tels comportements se trouvent en contradiction avec les tendances naturelles de la plupart des acteurs économiques, industriels, fabri- cants de grandes marques ou distributeurs, dont les objectifs premiers restent la renta- bilité, l’augmentation des parts de marché et du chiffre d’affaires, la réduction des coûts et reposent eux sur un modèle de croissance de la consommation.

Si le principal sujet d’étude du marketing consiste à expliquer les raisons du choix d’un produit et à influencer ce dernier, il est important d’étudier aussi les raisons et les pratiques par lesquelles un consommateur choisit de ne pas consommer certains pro- duits (Zavestoski, 2002). Les phénomènes de déconsommation sont aujourd’hui étu- diés tant d’un point de vue économique que du point de vue de la psychologie du consommateur. Ils commencent également à intéresser le management des marques et des entreprises, en quête de réponses à apporter à de nouveaux profils et de nou- velles attentes des clients (Rumbo, 2002).

La question se pose ainsi du point de vue du consommateur, de sa perception de la notion de déconsommation, des comporte- ments qui y sont associés, et de l’analyse des enjeux auxquels il est confronté, enjeux personnels mais aussi enjeux sociétaux glo- baux qu’il tend à intégrer de plus en plus dans le processus de consommation en fonction de l’information dont il dispose à leur sujet (Wright, 2002) ; comment dès lors la déconsommation apparaît-elle comme une alternative valorisable ?

I – DÉFINIR LE PÉRIMÈTRE DE LA DÉCONSOMMATION

La déconsommation est un terme récem- ment apparu dans l’actualité des médias1 mais aussi dans certains travaux de recherche en marketing (Auger et al., 2009 ; Cova, 1996). Il se trouve généralement asso- cié à différentes problématiques concernant la baisse du pouvoir d’achat, les modes de consommation alternatifs, ou encore le consommateur résistant (Cova, 1996).

Néologisme évocateur, le terme de décon- sommation est construit sur le terme

« consommation » auquel il apporte contra- diction. En termes macro-économiques, la déconsommation pourrait se définir comme la baisse de la consommation des ménages, dans un périmètre donné, secto- riel, national ou international. Cet indica- teur quantitatif global, tout opérationnel qu’il soit, apparaît à la fois réducteur et trompeur pour circonscrire un phénomène complexe dont l’importance et les consé- quences dépassent largement la simple baisse de la demande d’un marché et s’ins-

1. Par exemple, le terme de déconsommation est de plus en plus cité dans la presse : « Les marques face à la décon- sommation », La Tribune, 22 juin 2009.

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crit dans une mutation plus profonde des comportements de consommation.

Du point de vue du consommateur, la décon- sommation peut se définir comme un com- portement de l’individu visant à réduire de façon volontaire sa consommation, à moins consommer. La réduction de la consomma- tion peut prendre alors de multiples aspects : réduction des sommes dépensées, liée à une évolution des contraintes budgétaires et des ressources (baisse du pouvoir d’achat par exemple), diminution des quantités consom- mées, suite à une réduction des besoins de l’individu, par refus du gaspillage, ou dans une démarche de qualité selon le principe du

« consommer mieux, c’est consommer moins », ou encore transfert de la consom- mation de certains produits vers d’autres pré- sentant une meilleure valeur pour le consom- mateur. Entendue en référence à un besoin et à des attentes en évolution, la déconsomma- tion découlerait d’une réévaluation, en termes de bénéfices-coûts, de la réponse, plus ou moins parcimonieuse, apportée par le produit. La réduction de la consommation va s’opérer avant tout sur les produits ou attributs du produit jugés superflus. Elle demeure éminemment liée à l’individu et à la situation dans laquelle s’inscrit son acte de consommation.

Définir la déconsommation nécessite égale- ment de la distinguer et de la positionner par rapport à d’autres notions auxquelles elle se trouve souvent rattachée. Résistance du consommateur, décroissance, anticon- sommation, simplicité volontaire, démarke- ting, consommation socialement respon- sable, consommation experte, créatrice ou alternative, récupération… sont autant d’as- pects de ces nouvelles tendances faisant valoir l’adoption de comportements de déconsommation (tableau 1).

Dans une acception comportementale, la déconsommation peut être reliée à diffé- rentes notions et concepts évoqués par la littérature qui nous permettent d’en délimi- ter le périmètre.

– La recherche d’une allocation optimisée de ses ressources, notamment budgétaires, par un consommateur toujours plus expert d’un environnement marchand dont il maî- trise les ressorts et les techniques dans sa recherche d’une réponse optimisée à ses besoins est une première illustration de la déconsommation.

– La simplicité volontaire qualifie quant à elle un ensemble de comportements qui s’inscrit dans un mode de vie global, fondé sur une réévaluation des besoins du consommateur et un recentrage sur des valeurs essentielles au niveau individuel.

– La consommation socialement respon- sable traduit une prise de responsabilité de l’individu dans ses actes au-delà d’un péri- mètre individuel, et intégrant une prise de conscience élargie des impacts de la consommation à la sphère sociétale.

– Enfin, le recours à d’autres modes d’échange, marchands ou non, par lesquels l’individu donne une deuxième vie à un ensemble d’objets par des mécanismes de revente ou de récupération constitue là encore une forme de déconsommation.

Ces quatre expressions comportementales (tableau 1) traduisent des degrés différents de relation au marché, selon la volonté de l’individu de concilier avec le système mar- chand traditionnel, de se placer en marge de ce dernier, ou de l’influencer par ses propres actions et comportements. Ainsi, la consommation experte se situe dans un cadre de marché accepté que le consomma- teur cherche à exploiter au mieux de ses propres intérêts en développant et utilisant

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Tableau 1 –Définition des concepts et terminologies proches

Définition

Comportement de consommationvisant à optimiser l’allocation des ressources dans la consommation par

une recherche croissante d’information.

Mode de vieconsistant à réduire volontairement sa consommation de biens en vue de mener une vie

davantage centrée sur des valeurs essentielles.

Ensemble des actesvolontaires situés dans la sphère de consommation réalisés suite à la prise de conscience de conséquences négatives de la

consommation sur le monde extérieur.

S’apparente au Consumer to Consumer Ensemble des actionsquotidiennes qui permettent de

donner une seconde vie à des objets déjà utilisés ou de modifier les fonctionnalités de certains objets

pour prolonger leur durée de vie.

État motivationnelqui pousse le consommateur à s’opposer à des pratiques, des logiques ou des

discours marchands jugés dissonants Attitudecaractérisée par un dégoût ou un rejet de

toute consommation.

Mode de gouvernanceproposé par les États, les organisations non gouvernementales et les entreprises transnationales pour promouvoir un

développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité

des générations futures à répondre aux leurs. Pour être qualifié de « durable », le développement doit

concilier équité sociale, préservation de l’environnement et efficacité économique.

Action de l’entreprisevisant à réduire volontairement l’attrait d’un produit pour une cible

donnée.

Théorie économiquebasée sur une réduction de la production de biens et de services afin de préserver

l’environnement et d’améliorer la qualité de vie.

Cadre conceptuel

Comportement du consommateur :

le périmètre de la déconsommation

Attitude du consommateur

Stratégie de l’entreprise

Cadre théorique des acteurs

Notion

Consommation experte

Simplicité volontaire (Zavestosky, 2002)

Consommation socialement responsable (Ozçaglar-

Toulouse, 2009) Créativité quotidienne

(De Certeau, 1980) Consommation par la récupération (Kreziak

et Cova, 2010) Résistance du consommateur

(Roux, 2007) Anticonsommation (Iyer et Muncy, 2009)

Développement durable (Commission

mondiale sur l’environnement et le

développement, Rapport Brundtland,

1987)

« Démarketing »2 (Kotler et Levy,

1971) Décroissance (Georgescu-Roegen,

1971)

2. Voir Stratégies Magazinen° 1405, « Enfin, une bonne méthode pour perdre ses clients », 16 mars 2006.

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une connaissance et une vigilance vis-à-vis des offres établies. Les associations de consommateurs ou encore les comparateurs de prix et de produits constituent des sup- ports d’information précieux dans cette quête de rationalisation de la consomma- tion. La simplicité volontaire exprime une volonté de marginalisation du marché par des recours à des échanges non marchands et un recentrage sur le cœur des besoins, et considère que l’individu doit choisir un style de vie qui doit minimiser sa consom- mation (Leonard-Barton, 1981 ; Craig-Lees et Hill, 2002 ; Shaw et Newholm, 2002 ; Zavestosky, 2002). Des lieux d’échange tels que les coopératives, les vides greniers, les brocantes, le troc… rencontrent actuel- lement l’engouement des consommateurs.

Le commerce C to C(consumer to consu- mer) se développe ainsi dans une nouvelle tendance à des modes d’échanges en marge du marché. Enfin, les comportements de consommation responsable traduisent une position active vis-à-vis du marché et de ses acteurs. Par ses choix de consom - mation, le consommateur responsable signifie ses préoccupations sociales, environnemen tales et économiques et utili - se le pouvoir dont il dispose pour faire évo- luer les offres (Ozçaglar-Toulouse, 2009 ; François-Lecompte et Valette-Florence, 2004). Il adhèrera au boycott de certaines offres et privilégiera celles présentant à ses yeux une plus forte valeur ajoutée (produits du commerce équitable, produits écolo- giques, produits éthiques, etc.).

1. Déconsommation et critique de la consommation

Ces comportements traduisent par ailleurs une certaine prise de distance par rapport

aux stratégies traditionnelles des marques et à un paradigme de marché fondé sur la croissance. Ils découlent, pour partie, d’une position attitudinale critique à l’égard de la société de consommation et des pratiques des entreprises qui se retrouvent en partie dans la « résistance du consommateur » et l’« anti-consommation ».

D’après Roux (2007), la résistance du consommateur se définit comme un « état motivationnel qui pousse le consommateur à s’opposer à des pratiques, des logiques ou des discours marchands jugés dissonants ».

En découlent des attitudes de résistance et de rébellion de la part des consommateurs (Austin et al., 2005 ; Cherrier, 2009 ; Peña- loza et Price, 1993). La résistance du consommateur peut être situationnelle ou dispositionnelle. Elle s’appliquera à un pro- duit, une marque, une entreprise, ou plus largement au marché ou système écono- mique dans son ensemble (Iyer et Muncy, 2009) selon les sources de l’insatisfaction, ponctuelle ou structurelle, ressentie. Par ailleurs, les motivations de la résistance du consommateur peuvent être d’ordre indivi- duel (estime et confiance de soi, bénéfices hédoniques, etc.) (Fournier, 1998) mais également d’ordre collectif (préserver la planète pour les générations suivantes, per- mettre au plus grand nombre d’accéder à une consommation, etc.).

Cependant, les sources de la déconsomma- tion ne se situent pas uniquement dans des positions critiques du système marchand et le consommateur peut, à travers ses com- portements, chercher des valorisations purement individuelles. L’éclairage par les attitudes négatives du consommateur face à la consommation peut ainsi se compléter d’une approche par la valeur associée à l’al-

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ternative que représente la déconsommation au sein d’un éventail de choix.

2. Les apports de la théorie de la valeur Originellement, la valeur d’un objet est basée sur la maximisation de l’utilité, résul- tat d’une confrontation entre les bénéfices et les coûts, entre les perceptions de ce qui est reçu et de ce qui est donné (Day, 1990 ; Lai, 1995 ; Zeithaml, 1988). Depuis Hobrook et Hirschman (1982), les dimen- sions subjectives et relatives de la valeur perçue ont considérablement enrichi le concept de valeur et son intérêt en compor- tement du consommateur en prenant en compte de nombreux déterminants d’ordre symbolique et psychologique (Holbrook, 1994). Holbrook (1994) définit ainsi la valeur comme une préférence affective, comparative, personnelle, situationnelle et expérientielle. Dans ce cadre, la valeur n’est pas purement objective, elle contient une dimension affective importante. Elle se construit en comparaison à d’autres objets, elle diffère selon les individus, elle dépend du contexte dans lequel le jugement s’opère ; enfin elle est rapportée à une expérience globale de consommation com- prenant à la fois l’achat (facultatif), l’usage, les services et l’ensemble des bénéfices liés au produit dans une appréciation globale.

La valeur perçue de l’objet de consomma- tion peut être extrinsèque (vision utilitaire de l’objet) ou intrinsèque, c’est-à-dire apportant de la valeur par sa consommation en soi ; d’autre part, le consommateur peut décider par son choix de consommation de considérer la valeur perçue pour soi-même ou pour d’autres, voire pour la collectivité (Aurier et Evrard, 1996 ; Aurier et al., 2004), l’objet participant ainsi à sa propre

perception de soi (Hogg et al., 2008).

Enfin, certains bénéfices s’appréciant plus pertinemment dans une relation que dans une transaction, les approches relation- nelles récentes de la valeur intègrent des dimensions liées au ré-achat et à la relation avec le partenaire (Parasuraman et Grewal, 2000).

La consommation, en tant qu’aboutisse- ment d’un processus de décision, est le résultat d’un arbitrage entre plusieurs options de réponse à l’expression d’un besoin ou d’un désir. Parmi l’ensemble des possibilités, il en est une, particulière, qui peut être également incluse dans l’éven- tail considéré : celle du rejet de l’offre. Les différentes alternatives, y compris celle du rejet, font l’objet d’un processus d’évalua- tion fondé sur la prise en compte d’attri- buts, tangibles ou intangibles, et d’un choix résultant de leur comparaison selon une grille et des règles d’évaluation propres à chacun. La déconsommation pourrait ainsi se comprendre comme découlant d’une uti- lité perçue trop faible du produit au regard des coûts (en argent, en temps, en effort psychologique, etc.) mais aussi comme résultant de la perception d’une valeur de plaisir, sociale ou spirituelle (notamment, environnementale et humanitaire) insuffi- sante procurée par le bien ou service consommé. Le développement de compor- tements de déconsommation trouverait dès lors son explication dans l’évolution des attentes vis-à-vis de l’objet de consomma- tion et une modification correspondante des sources de la valeur globale de ce dernier ou de leur hiérarchie. Relier la déconsom- mation aux sources de la valeur perçue constitue l’objectif de cette recherche.

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II – DE LA DÉCONSOMMATION PERÇUE À CELLE VÉCUE : UNE LECTURE DES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS PAR LA VALEUR Consommer est un acte banal et quotidien dans nos sociétés d’hyperconsommation

(Cova et Cova, 2004) ; déconsommer, réduire sa consommation à l’inverse demande justification. Les consommateurs prennent de plus en plus conscience qu’au- delà de l’acte économique, tout achat a des répercussions sur la société en général. Ils

Méthodologie de recherche

Une étude, à portée exploratoire a été menée à travers 16 entretiens de consommateurs. 10 entretiens semi-directifs menés en 2009 ont permis d’obtenir une saturation sémantique quant aux formes de déconsommation et à leurs motivations. Dans une optique de confirma- tion, 6 entretiens ont été conduits en 2011 et ont validé la saturation sémantique évoquée pré- cédemment. La construction des échantillons s’est faite suivant une stratégie de diversifica- tion maximale (Miles et Huberman, 1994). Nous avons interrogé des individus en charge des achats alimentaires de leur foyer en diversifiant les profils. Au final, l’échantillon global est composé de 9 femmes et de 7 hommes, âgés de 16 à 60 ans, dont le niveau d’étude varie du brevet des collèges au bac + 8. Le revenu mensuel des actifs est compris entre le RMI et 5 milles euros ; l’échantillon compte 5 célibataires, 9 personnes mariées ou en couple, 2 personnes divorcées ou séparées, avec ou sans enfants.

Les entretiens d’une durée moyenne d’une heure ont été effectués à domicile. Ils ont été enre- gistrés et retranscrits dans leur intégralité. Le guide d’entretien abordait dans un premier temps les pratiques de consommation alimentaire du répondant (produits, lieux d’achats, attitudes et comportements, marques et promotions), puis ses perceptions de la déconsom- mation (définition, manifestations et pratiques, motivations, rôle des marques).

Nous avons volontairement restreint notre questionnement au domaine de l’alimentaire en raison de la quotidienneté et de l’importance de ces achats dans les revenus des ménages3, de la part significative de ce secteur dans l’économie française et des enjeux qu’il représente et qui font débat4. La consommation alimentaire associe par ailleurs le nécessaire (manger pour vivre) à d’autres sources de valeur hédonique, sociale ou spirituelle (manger entre amis, manger pour être en communion)5(Sirieix, 1999).

Les interviews retranscrites ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (Bardin, 2003) et d’une analyse structurale pour identifier les principales motivations à la déconsommation.

3. 136 milliards d’euros en 2003, 139,7 milliards d’euros en 2005, données issues de l’Association nationale de l’industrie alimentaire.

4. Ce secteur connaît des crises (plans sociaux, surproduction, vache folle, OGM, pesticides, transport, etc.) qui pla- cent les acteurs agroalimentaires au cœur des débats actuels concernant les enjeux et les dangers de la surproduction et de la surconsommation

5. Cet aspect a fait l’objet de nombreuses recherches dans d’autres disciplines, notamment la sociologie, l’ethnolo- gie. La spécificité de la consommation alimentaire provient du principe d’incorporation « l’homme devient ce qu’il mange » mis en évidence par Claude Fischler.

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agissent, certes, en tant que consommateurs mais également en tant que citoyens.

« C’est au consommateur d’avoir con - science de son éventuel petit pouvoir » (entretien 7). Sans présumer de l’ampleur du phénomène, l’objet de notre étude, dont la méthodologie est détaillée dans l’encadré précédent, est d’analyser à travers les pra- tiques déclarées de déconsommation, quelle valeur les consommateurs associent à ce comportement ou à cette expérience.

1. La déconsommation du point de vue des consommateurs. Contours

et pratiques

Le phénomène de déconsommation appa- raît, dans les entretiens, comme une notion

familière et intuitivement comprise par les répondants. Ils précisent cependant qu’il ne s’agit pas d’un retour en arrière. Per- sonne ne regrette ou ne souhaite le temps de l’autarcie. Tous soulignent la nécessité de consommer. « On ne peut pas s’arrêter de consommer […] la déconsommation, c’est-à-dire un arrêt total de la consomma- tion, ce n’est pas possible. » (entretien 2).

Toutefois, les pratiques comportementales associées à la notion de déconsommation apparaissent extrêmement variées. L’enca- dré ci-après propose une première grille d’analyse des différentes pratiques évo- quées par les répondants comme des exemples de déconsommation.

PriNciPAleS PrAtiQUeS éVoQUéeS

NE PLUS ACHETER

1) Ne plus acheter du tout un produit

« Oui, je pense à un produit… quand on était petit, on mangeait du lait Nestlé et on n’en mange plus du tout parce que l’on s’est aperçu que c’était du lait concentré sucré et donc pas forcément très bon pour la santé. »

2) Ne plus acheter le produit, l’obtenir gratuitement (ou à coût réduit)

« Le potager n’a pas tellement donné cette année. Donc ça serait tout ce qui est herbes, du romarin, voila, des herbes de la menthe, du thé à la menthe. »

« Boire l’eau du robinet et pas acheter de l’eau en bouteille, alors qu’avant on achetait plein d’eau en bouteilles. »

3) Ne plus acheter un produit mais le faire soi-même

« C’est vrai que j’avais tendance à aller acheter des gâteaux chez certains pâtissiers, et je trouve que ça n’en vaut pas la peine parce que les gâteaux sont devenus très chers et que c’est meilleur quand on les fait soi-même. »

4) Échanger

« Si par exemple, on est un groupe, moi j’ai des mirabelles, ma voisine, elle a des figues, l’autre, elle a des pommes, on tourne : les mirabelles, c’est juillet ; je donne les mirabelles ; en septembre, fin août, on tourne avec les figues ; puis après, les pommes. Ça marche assez bien comme cela… Mais, bon, ce n’est pas tous les fruits. »

« Éventuellement par ma tante, ma maman, je peux avoir des confitures, du miel, des choses comme ça, donc là c’est des cadeaux. De l’huile d’olive parfois je consomme de l’huile d’olive on me la donne. Ou des noix, ou quand c’est la saison des cagettes de pommes des choses comme ça. »

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ACHETER MOINS 1) Réduire les quantités

« J’ai remarqué que j’achète beaucoup moins de fromages qu’avant parce que j’ai remarqué qu’on en mangeait moins. »

2) Réduire la fréquence

« Par exemple on consomme moins de viande. […] on va consommer par rapport à quelques années deux fois moins de viande, au lieu d’en manger quatre fois dans la semaine on va peut être en manger que deux fois. »

3) Moins stocker

« Par exemple stocker, c’est quelque chose que je faisais avant et que je fais beaucoup moins.

Je stocke pour avoir un peu, par exemple des paquets de pâtes. Avant j’avais tendance à stoc- ker pour moins aller au supermarché. »

4) Moins jeter

« Jeter moins, consommer la totalité de ce qu’on prend, adapter. »

« Il y a quelque chose que j’essaie de faire… c’est de moins remplir mon frigo. Parce que moi mon frigo, il était débordant. … Donc, je remplis moins mon frigo c’est-à-dire que j’es- saie de faire pour que cela corresponde à ce que l’on a besoin. J’ai eu beaucoup de mal avec la transition, il y a eu des choses que j’ai dû jeter et ça, cela me fendait le cœur, non pas pour l’argent, bien sûr pour l’argent mais pour le gaspillage. Donc, j’ai réduit. Je fais mes courses une fois par semaine. »

« Pour les yaourts, si on achète 8 et qu’on en consomme 4… on jette le reste. […] Je fais attention… […] Mais oui, il faut faire attention au niveau des emballages ou plutôt du sur- emballage qui peut engendrer du négatif pour la planète. Les briques de lait, par exemple, il y en a certaines qui sont vendues en petites caissettes par 6 ou par 12 alors que d’autres sont suremballés par 6. D’où, il y a un coût de traitement de ces déchets à venir mais qui n’ap- porte pas forcément un plus produit. Cela entraîne plutôt la consommation vers le bas. » 5) Recycler, récupérer

« Réutiliser, c.à.d. d’un plat en faire un autre, ça c’est des choses que je fais » « On peut gérer les choses autrement… quand on va chez son boulanger, on peut prendre son sac à pain qu’on lave toutes les semaines, c’est mieux que chaque fois, prendre ou un sachet plastique ou un morceau de papier. »

« En fait, on accommode les produits frais, les produits du jardin en fonction de la saison. Il y a des moments… quand il y a un excédent de production, on fait de la conserve. […] je congèle. »

ACHETER DIFFÉREMMENT 1) Acheter moins cher

« Par exemple chez le boucher quand il propose parfois des promotions sur certains… par exemple des rôtis, ben là je vais en acheter deux et puis après je congèle, oui là je fais atten- tion quand même. »

2) Acheter meilleur

« J’avais tendance à faire des apéritifs élaborés, maintenant je fais moins de choses, parce que j’ai remarqué que les gens mangeaient moins, donc, c’est mieux de faire un

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bon plat, avec des bons produits plutôt que d’en faire trente-six et que les gens les man- gent pas. »

3) Acheter en grosses quantités/stocker

« Oui, j’ai recours à des filières courtes : dans le fromage, dans la viande (je passe par un boucher qui fait du demi-gros voire du gros) donc, j’achète des pièces chez lui, que je débite et que je congèle chez moi... à des prix défiant toute concurrence, bien sûr. »

4) Acheter à moindre niveau de qualité

« Pour l’alimentaire (les yaourts, les trucs comme ça), je vais prendre des marques distributeurs. » 5) Acheter ailleurs moins cher

« Étant donné qu’il y a des discounts qui se sont ouverts […]je vais attendre de revenir du travail par un trajet qui va être différent d’un autre jour, pour m’arrêter à ce magasin et ache- ter ce dont j’ai besoin. »

6) Acheter ailleurs meilleur

« Les fruits qui viennent du producteur et qui ont l’air plus sains, meilleurs du fait de ne pas avoir été transbahutés depuis je ne sais quel autre pays. »

ACHETER AUTRE CHOSE 1) Remplacer le produit

« Ça va plus être de déjeuner avec des tartines avec du beurre et de la confiture. Plutôt que d’acheter des gâteaux, des Petits Princes. »

2) Acheter basique

« C’est ça, plutôt acheter du fromage frais, du fromage blanc, enfin je sais pas, plutôt ajouter de la confiture dans son fromage blanc pourquoi pas. »

3) Remonter du désir au besoin originel

« Je parle en termes de consommation de base. À savoir que dans une famille il faut du lait du pain des œufs enfin des trucs de base, toujours par rapport à une alimentation correcte. »

INFLUENCER LES AUTRES 1) Éduquer, informer

« … donc les pratiques c’est une information du consommateur, si la ménagère demain sait que l’alcool ménager va lui rendre exactement les mêmes services et dix fois moins cher, elle ne va pas hésiter. »

2) Convaincre, militer

« Les mouvements de consommateurs sont relativement en perte de vitesse, bon il y a 60MC et UFC qui se bougent un peu, mais une démarche collective pour le consommateur c’est pas évident… »

3) Réguler, interdire

« À force d’en entendre parler le consommateur devient sensible », « Il faut obliger, le consommateur ».

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Déconsommation ou désachat : valeur d’achat contre valeur d’usage Une première distinction au sein des pra- tiques est directement liée à la compréhen- sion du terme « consommation » à partir duquel celui de « déconsommation » est construit. La consommation peut être enten- due comme destruction d’un objet par le consommateur et prendre alors un sens très large. Mais elle peut être aussi comprise dans un sens plus restrictif qualifiant un sys- tème marchand, comme dans l’expression

« société de consommation », la déconsom- mation s’apparentant alors dans l’esprit du répondant à un « désachat ». Dans le pre- mier cas, la déconsommation consiste à réduire la destruction d’objets matériels en supprimant ou en recentrant certains besoins de l’individu. Dans le deuxième cas, la déconsommation consiste à réduire le recours à la société marchande et à diminuer les achats ou le montant des achats. Les dif- férentes acceptions qui en découlent sont présentées ci-après (tableau 2). Nous retrou- vons ici la distinction traditionnelle entre valeur d’achat et valeur d’usage. Dans le cas d’un arrêt total de la consommation, la valeur d’usage du produit n’est plus recon- nue, soit dans l’absolu, soit en comparaison avec d’autres alternatives ; dans le cas d’un arrêt de l’achat, c’est la valeur marchande perçue des offres proposées par l’espace

marchand qui n’est plus suffisante et qui débouche sur la suppression de sa consom- mation ou son remplacement auprès de sources alternatives non marchandes.

Ainsi, la réduction de la consommation d’un produit peut être comprise comme la suppression pure et simple du produit dans les habitudes alimentaires des répondants et traduire un rejet complet d’un produit inutile ou dangereux. Elle peut corres- pondre également à une diminution des quantités consommées (baisse de fréquence ou des quantités moyennes achetées). Mais, elle est aussi souvent associée à une réduc- tion en valeur des dépenses liées à l’achat du produit et la recherche de prix moins éle- vés, sans baisse de la consommation à pro- prement parler. Enfin, on retrouve parfois, associée à la notion de déconsommation, l’arbitrage entre quantité et qualité propre à l’évaluation de toute offre et la recherche du meilleur rapport qualité-prix, celui-ci se tra- duisant par une recherche de qualité quitte à payer un prix plus élevé (Day, 1990).

2. Une analyse par la valeur de la déconsommation

Il apparaît nettement tout au long des entre- tiens que les répondants évaluent et valorisent la déconsommation ; à la suite d’une modifi- cation de leurs processus d’évaluation, des attributs considérés ou de leurs propres règles de décision, ils orientent leurs choix vers des

Tableau 2 –Contours de la déconsommation

Arrêt de la consommation Poursuite de la consommation

Arrêt Suppression Auto-production

des achats « Supprimer les barres chocolatées » « Faire son pain »

Poursuite Remplacement Réduction

des achats « Manger des tartines plutôt que des gâteaux » « Manger moins de viande »

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solutions de déconsommation, comme étant la réponse optimale à un besoin donné. La déconsommation résulte alors d’une compa- raison des coûts induits par différentes pos - sibilités et du choix de la solution présentant les moindres. Dans un premier temps, elle cor- respondrait à une recherche évoquée de pro- duits moins chers, le prix restant un indicateur majeur des coûts consentis. Cette approche

par la réduction des dépenses illustre une décon sommation subie induite par une préoc- cupation économique et une réallocation des ressources individuelles qui en découle. Tou- tefois, et en cohérence avec les acquis théo- riques concernant la valeur, on constate que les coûts considérés par les répondants dépas- sent largement la seule valeur faciale du pro- duit concerné (tableau 3).

Tableau 3 –Coûts évalués dans la propension à déconsommer

Exemples de verbatims

« On regarde de plus en plus au niveau du prix »

« Je regarde les prix au kilo. Je regarde les promotions dans les gratuits qu’on reçoit à la maison »

« C’est aussi tous ces cartons qu’on jette en revenant des courses. C’est cette évidence, comme ça, on sent bien que y a un abus là-dedans, tous ces sacs, ces… tout cet amas-là, qui fait que comme un peu l’artichaut, on a l’impression d’avoir plein de choses, plein de pelures, quand on vide son frigo, les packs de yaourts, les… toutes ces enveloppes inutiles. »

« Il y a une question de temps, de déplacement, mais c’est vrai que je n’aime pas en plus les gros hypermarchés, parce que je trouve qu’on perd beaucoup de temps dans les hypermarchés. »

« Les grands temples de la consommation c’est pas toujours adapté. »

« Cette profusion de choses m’étouffe. »

« La promotion c’est surtout une promotion de la marge de la grande surface la plupart du temps donc j’y suis pas sensible. […]. On peut trouver en tête de gondole à un prix et dans le rayon un produit identique, alors erreur ou pas, mais qui est moins cher qu’en TG. »

« Plutôt consommer un produit qui est à côté que d’aller consommer de l’essence pour acheter un produit qu’on va me ramener à moi. La tomate d’Espagne elle a consommé du pétrole pour les amener jusqu’à moi, beaucoup plus que les tomates du village d’à côté. »

« Et puisqu’en Espagne par exemple, l’utilisation d’hormones, je crois, dans la viande est autorisée. Bon ben je préfère éviter d’en manger donc j’achèterai pas de viande espagnole. »

« On ne fait pas intervenir le même nombre de personnes. »

« Les marques subissent un effet négatif… comme Danone à cause des mouvements sociaux. »

Processus de fabrication et commercialisationProcessus de fabrication et commercialisationProduit lui-même

Coûts

Prix

Emballage/

conditionnement

Perte de temps

Service inutile/

variété inutile

Pratiques de la distribution

Transport/

éloignement

Éthique de fabrication

Coût social

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L’un des enseignements ressortant des entretiens est ainsi la propension des répondants à considérer un ensemble élargi d’inputs entrant dans les processus de fabrication et de commercialisation des produits. Trois types de coûts ressortent ainsi des analyses. Ils peuvent être directe- ment portés par les produits (le prix, l’em- ballage, etc.), mais aussi découler des conditions de l’achat et de la consomma- tion (perte de temps, service inutile, pra- tiques douteuses de la distribution, etc.) ou plus indirectement encore, dépendre de la connaissance et des perceptions des modes de fabrication et de commercialisation du produit et des coûts indirects qu’ils indui- sent (en termes de transport, d’éloigne- ment, de gaspillage de ressources rares, de

risques sanitaires, de pollution, de coûts sociaux ou éthiques, etc.).

Deux notions corollaires émergent alors : d’une part, la volonté d’intégrer ces élé- ments dans la grille d’évaluation qu’ils met- tent en place lors du processus de décision, et qui nécessite la prise en compte d’une vision élargie de l’objet de consommation, et d’autre part, la conscience d’une certaine difficulté à avoir une vision exhaustive de l’ensemble des inputs et processus, et de leurs implications, qui rend les calculs des arbitrages plus complexes et plus incertains.

Conformément à la littérature sur la valeur, la déconsommation peut s’appréhender comme une alternative dotée d’une valeur perçue glo- bale supérieure. Les discours des répondants laissent clairement apparaître comment la

Tableau 4 –Typologie des formes de la valeur recherchée au travers des pratiques de déconsommation

Intrinsèque

Lié aux process de fabrication/

commercialisation

Valeur hédonique Redonner de la valeur de plaisir à l’objet, considéré

comme porteur de valeur individuelle par sa production

et son utilisation

Faire soi-même Valeur spirituelle Redonner de la valeur environnementale, éthique, voire politique, à l’objet, en tenant compte de l’ensemble

des implications Acheter équitable, éduquer,

militer Extrinsèque

Lié au produit lui-même

Valeur utilitaire Redonner de la valeur utilitaire à l’objet, considéré

comme un moyen pour satisfaire un besoin individuel

Acheter moins, moins cher, meilleur

Valeur sociale Redonner de la valeur sociale à l’objet, considéré comme porteur en lui-même d’un bénéfice pour la santé

et la société Acheter bio, plus sain Type de valeur recherchée

Démarche du

« déconsommateur » Exemple de pratiques

Orientée vers soi

Orientée vers les autres

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déconsommation est associée par eux à des sources de valeur ajoutée différentes (tableau 4), et l’on retrouve ainsi les dimen- sions identifiées par Aurier et al.(2004).

On observe également que le processus d’évaluation se trouve modéré par l’infor- mation, le risque et l’incertitude. Dans l’évaluation globale de l’objet, les coûts considérés sont liés à des attributs perçus toujours plus larges, informels ou fonction- nels, du produit. Le problème, clairement exprimé par les répondants, réside alors dans la difficulté qu’ils rencontrent à éva- luer de façon claire et sûre ces attributs, en raison d’une information souvent insuffi- sante ou peu fiable. Les réponses adoptées sont alors de deux ordres : soit les béné- fices/coûts restent relativement faciles à identifier et à évaluer et les consommateurs tendent à les intégrer facilement comme raisons de déconsommer (c’est le cas des emballages inutiles ou des promotions trompeuses). Soit l’information sur les risques et les coûts potentiels est insuffi- sante ou insuffisamment crédible (dimen- sion bio, provenance des ingrédients, modes de fabrication) et dans ce cas, les répondants assument généralement leur poursuite d’une consommation sur laquelle plane un doute et qui ne les satisfait donc pas pleinement, mais restent dans l’attente (ou la demande) d’une information plus complète. La déconsommation apparaîtrait ainsi comme une fonction croissante du risque associé à la consommation du pro- duit et de l’information disponible pour le consommateur. Toutefois, dans ce dernier cas, un modérateur important apparaît, lié à

la présence d’une raison d’ordre supérieur, proche d’une posture militante, qui inter- vient et conduit le consommateur en situa- tion d’information incomplète à réduire sa consommation du produit… dans le doute.

La déconsommation découlera ainsi d’un processus psychologique et conatif qui s’inscrit dans le temps. Il nécessite une recherche d’information préalable et une réflexion de la part du consommateur qui débouche sur une adaptation progressive de ses pratiques et comportements.

III – DES MOTIVATIONS DICTÉES PAR LA RECHERCHE DE VALEUR Les motivations évoquées par les répondants pour expliquer leurs pratiques de déconsom- mation sont multiples. L’analyse structurale6 présentée ci-après (figure 1) montre par ailleurs qu’elles sont souvent imbriquées les unes avec les autres et que les cheminements de pensée rattachent de façon variable cer- taines évocations à des motivations sous- jacentes. Par exemple, le recours à une consommation directe auprès des petits pro- ducteurs peut être motivé selon les discours par des prix moins chers du fait de la sup- pression des intermédiaires, l’attrait d’un retour à un approvisionnement traditionnel et sentimental (la ferme), le désir de produits bruts, essentiels ou encore la volonté d’aider les artisans et entreprises d’un secteur en dif- ficulté. Les quatre sources de valorisation mises en évidence dans la partie précédente (utilitaire, sociale, hédonique, spirituelle) se retrouvent naturellement dans les motiva- tions déclarées des répondants.

6. L’analyse structurale a été menée par identification dans le corpus des différentes motivations exprimées par les répondants (signifiants évoqués) et compilation sous les principaux thèmes motivationnels.

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1. Une recherche

de valeur ajoutée utilitaire : économiser, recentrer sur l’essentiel Un premier type de motivation regroupe les raisons économiques et financières, liées à une volonté d’optimiser un budget global et de maintenir le pouvoir d’achat disponible.

Déconsommer revient alors à consommer soit moins, soit moins cher, grâce à la recherche de promotions ou de bonnes affaires, au choix de produits sans marques, ou encore au recours à d’autres circuits de distribution (discount, direct du producteur).

Nombreux sont les répondants qui évoquent l’inutilité de certains produits, attributs ou configurations. La valeur utilitaire perçue est

renforcée dans le cadre d’un recentrage sur le cœur du besoin, sur le produit lui-même : préférence pour des produits essentiels, des produits sains, des produits épurés. La sophistication et l’inutilité des démarches et artifices marketing (besoins créés de toutes pièces, pléthore des gammes, inutilité des emballages, etc.) sont pleinement visées. La critique du marketing des produits des entre- prises marchandes est sous-jacente.

2. Une recherche de valeur ajoutée hédonique : se faire plaisir

Certains répondants conçoivent la déconsom- mation comme une opportunité pour retrou- ver le vrai sens des produits, sains, faits à la Figure 1 –Analyse structurale des motivations sous-tendues par les principales évocations

liées à la déconsommation

GOÛT Cuisine

Faire soi- même

Risque alimentaire Pouvoir

d’achat

Éducation

Emballage Gaspillage Internet

Discount

Producteur

Diététique

Équitable

Militant Planète Bio

Praticité Jardin

PLAISIR

ÉCONOMIES

ÉCOLOGIE

POLITIQUE TRADITION

ESSENTIEL

SANTÉ

SOCIAL

AVENIR

MAJUSCULES : motivations Minuscules : signifiants évoqués

: liens explicites entre différents thèmes motivationnels dans le discours des répondants

--- : associations, relient les signifiants évoqués et les thèmes décryptés dans le discours des répondants.

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maison. Au lieu d’acheter des produits tout préparés, et au-delà de l’intérêt économique qui peut aussi être en jeu, ils prennent plaisir à confectionner eux-mêmes certains produits.

Cette motivation à caractère hédonique concerne à la fois le plaisir expérientiel lié à la fabrication du produit lui-même et la qua- lité finale du produit obtenu. « C’est une satisfaction personnelle de savoir et de dire :

“c’est moi qui l’ai fait” ».

3. Une recherche de valeur ajoutée sociale : se préoccuper de la santé Une autre motivation importante, évoquée par la totalité des répondants, concerne la santé. Sous l’influence des nombreux dis- cours actuels sur les risques et bénéfices des aliments, cette préoccupation déborde large- ment le cadre individuel pour prendre une dimension sociale, orientée vers les proches et, au-delà, vers l’ensemble des conditions de bien-être de la collectivité. De nombreux sec- teurs alimentaires souffrent, en effet, d’une mauvaise image liée aux conséquences néga- tives qu’ils ont ou pourraient avoir sur la santé. On cesse ou on réduit dès lors leur consommation par mesure d’hygiène, de dié- tétique ou de prophylaxie. Cette motivation touche, même si à des degrés divers, l’en- semble des différents secteurs alimentaires.

Certaines catégories de produits sont recon- nues unanimement comme néfastes ; l’al- cool, les produits trop sucrés, les produits trop gras. D’autres produits souffrent d’une présomption de risque, souvent liée à des crises conjoncturelles ; la viande (bœuf, pou- let) a subi par exemple les contrecoups de crises sanitaires récentes. Mais on remarque que l’ensemble des produits peut être soup- çonné d’effets néfastes, en raison de leurs ingrédients (huile de palme, gluten, colo- rants, conservateurs, OGM), de leurs proces-

sus de production (pesticides) ou de leur pro- venance (hormones de croissance autorisées dans certains pays). Même les produits dits

« bio » n’échappent pas à ces soupçons. L’in- certitude et l’incomplétude de l’information quant aux conséquences à long terme de la consommation du produit apparaissent comme des éléments modérateurs potentiels des comportements de déconsommation, de même que les profils psychologiques des individus. Dans le doute, certains suspen- dront leurs achats tandis que d’autres atten- dront une confirmation formelle de la noci- vité d’un produit. Enfin, les arguments sanitaires mis en avant par les marques ne suffisent pas toujours à emporter l’adhésion du consommateur. L’exemple d’Actimel de Danone, marketé comme alicament, est symptomatique d’un effet de source qui sus- cite des résistances. Autre exemple, la publi- cation d’études récentes, indépendantes et officielles sur la qualité de l’eau du robinet conduit de nombreux consommateurs à se détourner des arguments sanitaires des fabri- cants d’eaux minérales.

4. Une recherche de valeur ajoutée spirituelle : considérer l’avenir

Une prise de conscience croissante des liens entre consommation et enjeux environne- mentaux dans un contexte de mondialisation de l’économie, constitue un autre type de motivations fréquemment évoqué par les répondants. Ces derniers sont sensibles aux effets pervers de la globalisation et de la libé- ralisation des processus de production des produits alimentaires, transformés ou non.

Les coûts sociétaux et environnementaux (pollution, déclin des ressources rares) liés à la sophistication des produits et la valeur ajoutée sur des attributs secondaires, moti- vée par un souci de différenciation des entre-

(17)

prises et des marques, entrent de plus en plus dans le calcul de l’utilité des produits.

Enfin, les comportements de déconsomma- tion, s’ils ne s’y réduisent pas, s’inscrivent souvent dans le cadre plus large des théo- ries de la décroissance et des attitudes d’an- ticonsommation dans les évocations des répondants. La notion de décroissance ren- voie ainsi spontanément à des questionne- ments sur le modèle économique, sa légiti- mité perçue et l’adhésion du consommateur à ce modèle. Au-delà des préoccupations économiques et budgétaires individuelles, la déconsommation découle alors d’une réflexion portant sur une vision macro-éco- nomique des échanges, intégrant l’intérêt collectif et un calcul de coûts global, voire mondialisé. Les références aux débats actuels sur les problématiques du partage des richesses et de la préservation des res- sources, relayés par les médias, les hommes politiques et les experts scientifiques et économiques, sont citées en toile de fond des actions que mènent certains consomma- teurs à leur niveau.

CONCLUSION

Un premier apport de ce travail est de mon- trer que la déconsommation peut être abor- dée du point de vue de la valeur et consti- tuer une alternative valorisante pour le consommateur qui en ressort des bénéfices tant matériels qu’immatériels. Déconsom- mer est un comportement volontaire de réduction de la consommation qui, au-delà des économies monétaires, du plaisir de faire soi-même au bien-être des générations futures, est basé sur un calcul de la valeur de consommation élargi à de multiples

composantes. La mise en évidence des dif- férents grands pôles motivationnels et des liens qui les relient dans les évocations des consommateurs est un autre apport de cette recherche. Enfin, de la traduction de ces motivations en attentes spécifiquement orientées vers les marques découlera pour ces dernières l’importance et le bien fondé d’un recours à une vision expérientielle de l’échange, y compris dans le champ des produits agroalimentaires.

D’un point de vue managérial, l’un des apports majeurs est la mise en lumière du rôle sociétal de la marque et des leviers par elle utilisables dans une relation enrichie avec ses consommateurs. Ce rôle doit se redessiner sous de multiples aspects : res- pect et justice vis-à-vis des consommateurs, éthique et parcimonie dans les modes de fabrication et de commercialisation en par- tenariat avec les autres acteurs de la filière et notamment les distributeurs, attention por- tée à l’information et participation aux débats qui intéressent le consommateur certes, mais aussi le citoyen et l’homme. Les consommateurs interrogés proposent des pistes concrètes : travailler la proximité de la marque, assurer la qualité et l’authenticité des produits, renforcer son capital-marque, adopter un comportement citoyen et respon- sable afin que les marques qui le souhaitent s’intègrent positivement dans ce processus de déconsommation. À ce stade cependant, le pouvoir prédictif des motivations à décon- sommer ici identifiées n’est ni confirmé ni mesuré. Ainsi, il reste à valider la portée d’un discours des consommateurs globale- ment très favorable à l’égard des notions de déconsommation et la traduction effective de ces intentions en actes et comportements.

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