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Voyage au mont Saint-Bernard : notes de voyages

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BIBLIOTHEQUE

è

{

C O U V E N T DES U R S U L I N E S

l

C^-3

,-•'rX jfe /

(4)

.

(5)

V O Y A G E

A U M O N T

S A I N TV B E R N A R D

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V O Y A G E

A U M O N T

SAINT-BERNARD

NOTES DE V O Y A G E S

. . . . U T I L E D U L C I . S L I B R A I R I E D E J. L E F O R T I M P R I M E U R É D I T E U R L I L L E r u e C h a r le s d e M u y s s a r t, 24 P A R I S r u e d e e S a i n t s - P f c r e i , 30

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V/TO?

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I N T R O D U C T I O N

L e 1 6 m a rs 1 8 6 8 , M g r M erm illo d p r o ­ nonçait à P a r i s , dans la chapelle de l ’O rato ire, u ne allocution en faveur de la S o c i é t é p o u r

V a m é lio r a tio n e t l ’e n c o u r a g e m e n t d e s p u ­ b lica tio n s p o p u l a i r e s . D an s u n e simple causerie, p o u r employer ses p ro p re s e x p re s­ sions, S a G r a n d e u r s ’est proposé de tra ite r ces deux questions : P e u t-o n am élio rer la

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situation des classes p o p u la ire s? — C om m ent devons-nous travailler à cette a m é lio ra tio n ?

A la p r e m iè r e de ces deux questions,

la rép o n se n ’est pas douteuse p o u r un

c h ré tie n . L a religion a p our tous les temps des rem èd es à nos m isè re s. « D epuis dix-

neu f s iècles, dit l ’évêque de G e n è v e ,

l ’É glise, à chaque institution favorable au g rand n o m b r e , n ’a-t-elle pas accordé sa sanction ? E lle ne d em ande pas a u tr e chose a u jo u r d ’h u i ; d o n n er à toutes les a s p ira ­ tio n s, à tous les avènem ents légitim es, le b a p tê m e c h r é tie n ; éclairer le peuple dans sa m a rc h e , dans ses efforts, dans ses espé­ rances ; continuer ainsi la m ission que lu i

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a confiée J é s u s -C h ris t, telle est son am bition et tel est son devoir. »

S i les aspirations du peuple p eu v en t,

grâce au catholicisme, p r e n d r e une direction qui ne sera funeste à p erso n n e, quel s e ra le moyen de les satisfaire?

P o u r cela, il faut connaître les tendances

du peuple. « Il cherche à s ’i n s t r u i r e , il

demande l'in s tru ctio n à to u t ce qui se

professe et s’i m p r i m e , il lit sa feuille

q u o t i d i e n n e , et dans son besoin de savoir quelque chose, il croit à ce q u ’elle dit ;

il fréquente les é c o l e s , il cherche les

bibliothèques. Ce besoin d ’ap p re n d re et de savoir peut avoir des d a n g e rs , mais il ne

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dép en d de p erso n n e de le faire d isp a ra ître . D onnons à l ’ouv rier de bons l i v r e s , pour effacer le mal que lui ont fait les mauvais ; q u ’il y voie la vérité, q u ’il y tro u v e de l ’in té rê t e t du plaisir, et il je tte r a loin de

lui ces écrits qui sont la p e rte de son

â m e . . . .

» Il faut éclairer le peuple en profitant de ce m ouvem ent de la p re sse , de cette action du livre qui p é n è tre p a r to u t ; car le peu p le lit, et plus il lit, plus il veut lire (1). »

« P u i s q u e les livres sont une p u issa n c e ,

(1 ) Discours de Mgr M erm illod.... cité dans le C o n te m p o r a in du 31 m ars 1868.

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ajoutait M gr M erm illo d , que chacun de vous puisse dire :

M a î t r e , v o ic i m a p l u m e , e l l e v a u t u n e é p é e . »

Loin de moi la p réte n tio n de m ’appliquer

ces p a r o l e s , adressées d’ailleurs à des

a u d ite u rs bien plus com pétents dans la p artie. Toutefois il serait consolant p o u r moi de p en ser que ces notes de voyage ont pu intéresser quelques lecteurs et le u r donner une idée de Y h o sp ice d u S a i n t - B e r n a r d , q u ’un ram ancier anglais a calomnié, et du

can to n v a l a i s a n , qui n ’a su a ttir e r que les

dédains du môme a u te u r.

S i cette lecture peut éclairer s u r ce sujet

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les personnes qui p r e n d r o n t la peine de la faire, je m e croirai suffisamment récom pensé. Ce doit ê tre un b o n h e u r p o u r to u t chrétien de s e n tir q u ’il a p u p ré s e rv e r de l ’e r r e u r des âm es b ien inten tio n n ées, quelque m o­ deste d ’ailleurs que soit le travail q u ’il le ur offre.

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V O Y A G E

AU MO N T

S A I N T - B E R N A R D

I

Le la c de G enève.

Q uand, en se dirigeant de N e u f d iâ te l vers le G r a n d - S a i n t - B e r n a r d , on passe p a r L a u ­ sanne, on aperçoit bientôt les eaux du grand lac L ém an : peu à peu sa forme se dessine, ses rives ap p araissen t plus distinctes, et l'on ne tarde pas à e m b ra sse r du reg ard ce gigan­

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tesque croissant dont le village d ’Ouchy occupe

la b a s e , et dont G enève et V illeneuve

m a r q u e n t les deux e x tré m ité s . Ouchy est le

p o r t de L a u s a n n e ; et p our celui qui ne

connaît pas le g rand lac au x vagues bleues, aucun en d ro it ne sem ble mieux choisi pour jo u i r , dans son ensem ble, de cet in im itable

aspect.

A in si h e u re u s e m e n t placé p our contem pler ce vaste pan o ram a, l ’œil du s p ectateu r cherche d ’ab o rd à m e s u r e r l’étendue de cette petite m e r, longue de dix-huit lieues et large de trois. P e u à peu le re g a rd est a ttiré s u r les nom­ b reu ses cités qui p a re n t ses rivages, et bientôt, à l’étonnem ent qui saisit à la vue d ’un paysage nouveau, succède u n e certaine tristesse qui envahit l’âm e malgré elle. Ce lac inconnu, ces eaux agitées se sont anim és tout à co u p ; une s o m b re mélancolie plane p a r to u t : des sou­ venirs am ers viennent se p re s s e r dans l’e sp rit, et u n deuil indéfinissable sem ble couvrir ces bo rd s en ch an teu rs.

A peine, en effet, vient-on de q u itte r L a u ­ sanne, que l ’on se trouve s u r ces rives que

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tant d’écrivains et de poètes ont célébrées. Ici, c’est la su p e rb e G en èv e, qui se cache d e rrière les sinuosités du lac. Calvin et R o u sseau y ont régné longtemps, et leur empire, déjà bien é b ra n lé , ré siste encore au zèle de son nouvel a p ô tre. P l u s p r è s de nous, c’est Dio dati, où le sceptique B yro n composa son troisièm e chant de C hilcl-H arold, dans lequel il célèbre les m a lh e u rs de B onnivard à Chillon, que nous re v e rro n s to u t à l’h e u re . Du côté de V e v e y , c’est C lä re n s , et vis-à-vis, la M e i l l e r i e , tan t chantée p ar Jean-Jacques. Il n ’est pas enfin j u s q u ’au château de Coppet, a u jo u rd ’hui le dom aine d ’une famille illu stre , et il y a cinquante ans habité par M mc de Staël, qui n ’éveille en nous quelque pénible souvenir.

C ependant, q u a n d l ’im agination a e r r é à travers ce som bre passé, les yeux se re p o r te n t avec satisfaction s u r le C hablais, qui fait face et qui rappelle à des pensées plus consolantes.

L es ruines des A llinges d o m in en t T honon 11

attiren t nos reg ard s s u r cette citadelle, le centre des missions de saint F ra n ç o is de S ales. M ais c’est T h o n o n s u r t o u t qui r e d .t

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aux cœ u rs chrétiens le zèle infatigable de l'a p ô tre de la Savoie, et les voyages pénibles

et périlleux q u ’il fit à cette capitale du

Chablais p o u r l ’a r r a c h e r au p ro testan tism e. É v ia n nous rappelle aussi un h e u r e u x sou­ v enir, celui d ’une famille charitable qui a

donné à la V isita tio n u n e de ses p re m iè re s

s u p é rie u re s , M me de B lonay; R ip aille, enfin, où A m é d é e V I I I fonda l ’o rd re de S a in t- M au rice (auquel se joignit plus ta rd celui de S a i n t - L a z a r e ) , R ip a ille , quoi q u ’en ait dit V o l t a i r e , laisse devant l’histoire u n nom plus respecté que F e r n e y (1).

Ces témoins vivants des m erveilles d ’un a u tre âge nous a rrê te r a ie n t longtem ps, si nous

n’avions à p o u rsu iv re n o tre chem in et à

gagner cette vallée du R h ô n e qui nous p erm et d ’a u tre s souvenirs.

L e chemin de fer et le bateau à vapeur

conduisent également à V illeneuve, à l ’en trée

de la vallée. P l u s poétique et moins pénible, le b ateau a toujours la préférence s u r la voie

(1) Sur Ripaille e t Amédée de S a v o ie , R evue d e s q u e stio n s

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ferrée, et en peu de tem ps, ap rès avoir touché Vevey, si connu p a r la fête des vignerons, et la petite île que couvre en e n tie r le château de Chillon, où Bonnivard a laissé la trace de ses chaînes et de ses p a s , on a borde à Villeneuve, qui ne justifie plus guère le nom q u ’elle p orte.

Ici, il faut dire adieu au lac de Genève, et p é n é tre r dans cette profonde vallée du R h ô n e , dans ce V alais aux m œ u rs antiques, que l ’on ne saurait tr a v e r s e r avec indifférence.

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R i e n ne p eu t donner une plus ju ste idée du pays que p a rc o u rt le R h ô n e que ces so m b res

tranchées dans lesquelles on s ’engage en

chem in de fer, et qui n ’offrent guère aux r eg ard s que le u r sauvage beauté. L e s plus hautes m ontagnes de l ’E u r o p e encaissent dans u n lit rocailleux le fleuve dont les eaux

blanchâtres et capricieuses fertilisent ou

ravagent l'é tro ite vallée. R ic h e , mais malsain, le V a la is, s'il donne à ses h ab ita n ts des resso u rces s u f f is a n te s , ne les p ré se rv e pas

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toujours des maladies qui h a n te n t les climats hum ides.

L o r s q u e l’on re m o n te de V ille n e u v e vers les sources du R h ô n e , on laisse le canton de V a u d s u r la gauche, et l ’on gagne le bas V alais d’a bord, puis le h au t V a la is , où s ’é­ chelonnent, à quelques lieues de distance, les villes de B e x , S a in t-M a u ric e et S io n . Des vallées quelquefois spacieuses, m ais souvent aussi étroites et peu profondes, viennent j e t e r l e u r s eaux glacées dans le R h ô n e , dont elles s o n t les tr ib u ta ir e s . A v a n t de nous engager dans celle qui de M artig n y conduit s u r la droite au S a in t-B e rn a rd , il ne se ra pas in u tile de faire u n e connaissance plus intim e avec le V a la is .

V oyager sans gu id e dans u n pays in connu, est parfois ennu y eu x et so u v en t sans profit. R i e n n ’est donc plus n a tu r e l q u e de se dem ander quelq u e peu ce q u e sont ces contrées que l ’on tra v e rse a u j o u r d ’h u i si ra p id e m e n t, e t de voir s ’a n im e r cette n a tu re aux aspects nouveaux, ces p etites villes do n t l ’histoire ne m a n q u e pas d ’in té rê t.

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G é n é r a l e m e n t , on sait que saint M a u r i c e , avec sa légion th é b é e n n e , a subi le m arty re p rè s de la ville a laquelle il a donné son nom; on se rappelle aussi q u ’il y a eu un cardinal S c h in n e r, dont le nom est re s té populaire dans le V alais ; on n ’ignore pas que N apoléon I er a passé le S a in t- B e r n a r d en 1 8 0 0 et q u ’il a fait u n e belle ro u te au Sim p lo n vers la m êm e époque ; mais à p a r t cela on ignore to u t s u r ce canton suisse, dont l ’histoire est d ’u n e originalité p e u com m une.

Catholique depuis les p re m ie rs siècles de l ’è re ch rétienne, le V alais a eu bien de la peine à conserver d e u x choses qui lu i sont également ch ères, sa religion et sa lib erté. J u s q u ’en 1 7 7 7 o u à peu p rè s ( 1 ) , les évêques, r ésid an t successivement à M a rtig n y , à S ainl- M a u ric e et à S ion, o n t gouverné le V alais,

ta n tô t sous la p rotection des e m p e re u rs

d ’A llem agne, ta n tô t avec l’appui des ducs de Savoie, quelquefois ne dépendant q u e du S ain t-S ièg e. S o u s cette a d m in istra tio n , les

(1) Ce fut en 1777 que fut frappée la dernière m onnaie aux coins réunis de l’évéché e t du p ay s.

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Valaisans ont eu à su b ir les invasions des b a rb a re s , et e n tre a u tre s , la domination des Bourguignons, des F r a n c s , des L o m b a r d s , des S a rra s in s m êm e et des H o n g ro is . L e s désastres du roi S ig is m o n d , vaincu p a r les F ra n c s (5 23), ont tr a it à n o tre h isto ire , et l ’on ne p eu t g u è re ig n o re r q u ’il fut u n des principaux bienfaiteurs de l’abbaye d ’A g a u n e , plus ta rd S a in t-M a u ric e en V alais (1). C h ar­ lemagne, L o u is le D ébonnaire et saint L o u is se m o n tr è r e n t égalem ent g é n é re u x p o u r cette église, appelée, au moyen âge, la rein e des églises des G aules ; J e a n de Clialon voulut môme a s s u r e r aux chanoines de l ’abbaye vingt charges de sel (1 8 q u in ta u x ) payables an n u e l­ lem ent s u r les salines de S alins (2 ).

L e m ouvem ent féodal et après lui le

(1 ) « P arm i les im m enses richesses dont le ro i Sigismond combla le pays d’Agaune, dit B échet dans ses R ech erch es h isto ­

riq u e s s u r S a lin s , on rem arque Salins a v e c le château de Bracon

et le val de Miéges. Salins, a jo u te -t-il plus lo in , d u t ju sq u ’au x ° siècle son indépendance de to u te dom ination féodale à la circonstance d’ap p arten ir au vénéré m onastère d’Agaune. » Dans la suite, le pouvoir de l’abbaye fut quelquefois méconnu ; aujour­ d’h u i il n ’en reste guère d’au tre trace qu’une ru e qui a conservé, bien qu ’un peu altéré, le nom de l’abbaye d’Agaune (A ngonne).

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m o u v e m e n t communal se firent s e n tir dans ce pays, où les p a rtis se liv rè re n t de ru d e s a s s a u ts , et où fu ren t v a in q u e u rs a lte rn a ti­ v e m e n t les nobles avec les de la T o u r , et le p euple avec le farouche G eorges S u p e r s a x o , et cela, le plus souvent, au préju d ice des droits de l ’évêque.

V e r s 1 0 3 7 , la trêve de Dieu fut établie dans u n concile ten u p a r p lu sie u rs p ré la ts , parm i lesquels se trouvait l ’archevêque d e Besançon, t a septièm e et la h u itièm e croisade s u r to u t v ire n t ensuite les V ala isa n s co n trib u e r de leu r

p e rs o n n e et de leu r a rg e n t. P l u s ta rd ,

l’évêque de S i o n , l ’h é ro ïq u e M a tth ie u

S c h in n e r , celui do n t F ra n ç o is I or craignait p lu s la plu m e q u e to u tes les p iq u es des S u isse s, tint à éloigner son pays de toute influence française ; m ais sa ferm eté ir r i t a les m é c h a n ts, et il m o u r u t en exil.

A u x v i e siècle, l ’apparitio n de la réform e à G en èv e et dans le n o rd de la S u isse am ena la célèbre p ro te s ta tio n des cantons q u i, les p r e m ie r s , avaient déjà, du tem p s de Guillaum e T e l l , fait le pacte de G rü tly : les V alaisans

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se jo ig n iren t au x catholiques, sans pouvoir p r e n d r e p a r t à la victoire de Cappel (1 5 3 1 ), mais assez tô t cependant p o u r sauver des outrages des h é ré tiq u e s la statu e m iraculeuse que ceux-ci, dans le u r f u r e u r inconoclaste, appelaient l 'id o le n o ir e d 'E i n s i e d e l n .

P e n d a n t que le V alais se distinguait si bien en S u isse , u n e compagnie valaisane faisait p a rtie de celte chaleureuse garde suisse qui, à M e a u x , sauvait C h a rle s I X des m ain s des p ro te s ta n ts ( 1 5 6 7 ) ; deux cents ans a p rè s, on les a vus défendre avec moins de succès, au 1 0 août, l ’in fo rtu n é L ouis X V I ; ils avaient alo rs p o u r a u m ô n ie r un courageux V a la isa n , le P . L o r e n t a n , capucin. De tels soldats étaient dignes de voir leur pays échapper à l ’h érésie. T outefois, avant de vaincre définiti­ vem ent le parti p ro te s ta n t, qui faisait de grands p ro g rès, les h a b ita n ts du V a la is e u re n t à lu tte r bien des fois ; mais la diète de 1 6 0 3 sauve le u rs droits m enacés : les Jésu ites m êm e sont reçus chez eux à p lu sieu rs re p ris e s , et quand ils en s e ro n t définitivement chassés, le V alais a u ra p e r d u sa lib erté.

(26)

Ici, et a u grand déplaisir des S u is s e s , le V alais m êle in tim e m e n t son h isto ire à la n ô tre . E n 1 8 1 0 , ce pays forma le d é p artem en t d u S im p lo n ; au p a ra v a n t, il d u t pa sse r p a r des crises qui fu ren t tro p violentes p o u r n ’en pas dire un mot (1 ).

Il re s te e n c o r e , à l ’h e u r e q u ’il e st, des

passionnés a d m ir a te u r s de la R é v o lu tio n

française, p our qui cette phase de nos annales est le com m encem ent de nos lib ertés. Q u ’ils me p e rm e tte n t de le u r conseiller la le ctu re de l'histoire du V a la is à cette époque, et leur adm iration p o u r r a bien en re v e n ir moins a rd e n te . J e ne rappellerai pas les sanglants reproches q u ’on y a d re sse à la F r a n c e , je me contenterai de dire ce qui les au to rise. L ’a r b r e de la lib erté s u r to u t est d e m e u ré en exécration chez le bon V a l a i s a n , car il y a vu l ’avant- co u re u r des plus gran d es calam ités. S ans p a r le r de la constitution rép u b licain e q u ’on voulait im poser à la confédération s u i s s e , com m ent, p a r exem ple, justifier l ’enlèvem ent

(1 ) Q uelques-uns des détails qui su ivent sont tirés de V H isto ire

(27)

des fonds publics dans p lusieurs cantons, au profit et au nom de la F r a n c e , sous le spécieux pré te x te d 'u tilité p u b liq u e . L a S u is s e , ajoute l ’a u te u r à qui ces détails sont e m p ru n té s , a eu son V e r r è s , il se n o m m ait R a p i n a i ; et si l ’on veut savoir com m ent la F r a n c e d ’alors arriv ait à im poser son systèm e p r o te c te u r, il faut lire les atrocités de 1 7 9 8 , atrocités telles q u ’elles ré v o lta ie n t le pouvoir exécutif du V a la is, qui réclam ait en faveur des m a lh e u re u x

e n t a s s é s dans la p rison de Chillon.

S a n s doute le nom de N apoléon I er n ’y fut pas sans g lo ire ; mais avouons que les V alaisans n ’ont vu tout d ’a bord en lui et dans le général T h u r r e a u que les successeurs de R a p in a i.

« E n g ard an t le débouché de toutes les vallées des A lp e s, on garde to u te la fron tière.» ce m o t est de N ap o léo n I er l u i - m ê m e , et rien ne sa u ra it m ieu x faire co m p re n d re sa m anière d ’agir avec le V a la is . R é p u b liq u e d is tin c te , dès son o rig in e , m ais alliée de la C onfédération suisse, le V a la is lu tta toujours contre l’idée française, qui voulait en S u isse

(28)

l ’unité républicaine comme plus favorable à ses vues. B o n a p a rte essaya de concilier les réclamations des V ala isa n s et les in térêts de la F r a n c e . Il ten ait à occuper tous les passages des A l p e s ; u n m o m en t m êm e il reconnu le V a la is comme r é p u b liq u e isolée : des inscriptions à l ’hospice du S a i n t - B e r n a r d et a u Sim p lo n ra p p ellen t assez le c h a le u re u x accueil que l ’on fit à cette faveur. M ais c’était u n l e u r r e , e t b ien tô t la petite r é p u b liq u e était d é p a r te m e n t français. A u m ilieu de ces

é vénem ents, le célèbre passage d u S ain t-

B e r n a r d laissait p e u d ’agréables souvenirs chez les V a la isa n s. L a ro u te du S im p lo n se commençait la m êm e année e t r e s ta it u n m o n u m e n t à la gloire d e celui qui l ’a e n tr e ­ p ris e ; mais les V a la is a n s profitaient p e u de to u tes ces choses, et l ’abdication du 11 avril 1 8 1 4 le u r p a r u t d ’un bon a u g u re . L e 1 2 sep ­ te m b r e de la m êm e a n n é e , ils é ta ie n t re ç u s , à Z u r i c h , comme vingtième canton de la C onfédération suisse : ils r e s p ir a ie n t enfin', mais c’était p o u r p e r d r e b ien tô t le u rs fran­

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N o m m e r le S onderbuiid ( 1 ) , c’est ra p p e le r la lutte du fort contre le faible, des radicaux contre les catholiques; c’est dire en un mot, com m ent la S u isse s ’est, en 1 8 4 5 , violem m ent divisée, et aussi de quelle m anière l ’association catholique, traitée de s é p a r a t i s t e p ar le p a rti p ro testan t, a été écrasée à F r ib o u rg , à L u c e rn e et dans le V a la is. L a S u isse , comme de nos jours les E ta ts -U n is , quoique p our des causes bien différentes, a vu sa scission d é tr u ite ; mais depuis la réu n io n des c a n t o n s , le parti catholique a p e rd u ses libertés. S a n s e n tre r dans le récit de cette g u e r r e , il ne sera pas superflu de citer une ligne q u ’un écrivain du tem ps écrivait à cette époque de tro u b les : « C ette g u e rre et le ré su lta t qui la term ine r e s te r o n t comme une tache dans les annales d u radicalism e, lesquelles, du r e s te , ne b r i l ­ laient pas déjà d ’une grande p u r e té . »

(1) On sait q ue S o n d e r b u n d en allem and v eu t dire lig u e

(30)

I l l

L 'ascen sion du S a in t-B e r n a r d

L a ro u te de V illen eu v e à l ’hospice du S a in t-B e rn a rd est p récisém ent celle q u ’a suivie N apoléon I er. U n court récit de ce m é m o ­ ra b le passage ne p e u t q u ’in té re sse r le lec­ te u r.

L e 1 6 mai 1 8 0 0 , l ’avant-garde de l ’a rm é e française se m it en m ouvem ent de S a in t- P ie r r e p o u r m o n te r le S a i n t - B e r n a r d . E n m êm e te m ps le général B é t h e n c o u r t , qui avait r e ­ m onté le V a la is avec u n e petite colonne, p as­ sait le Sim p lo n . L e général C h a b r a n , avec

(31)

environ 4 , 0 0 0 h o m m e s , passait le P e t i t - S a i n t - B e r n a r d , au haut de la vallée d ’A o ste . L e général T h u r r e a u , avec 5 , 0 0 0 hom m es

ré u n is dans les dép artem en ts voisins des

A lp e s , s ’avançail vers le m ont Cenis.

L e passage du G r a n d - S a in t- B e r n a rd offrait des difficultés qui paraissaient in su rm o n tab les au p re m ie r coup d ’œil. P e n d a n t plusieurs

lieues , le chemin , ou plutôt le sentier,

r é d u it souvent à la largeur d’un dem i-

m è tre , circule p éniblem ent dans des rochers

sauvages e n tre des cimes d ’une h a u te u r

effrayante, couvertes de n eig es, et d ’où des­ cendent de fortes avalanches, et des précipices à pic d’u n e p ro fo n d e u r qui éblouit l ’œ il des plus h a rd is. A chaque in stan t on court le danger d ’ê tre en tra în é dans l’abîm e p a r un faux p a s , ou d ’y être précipité p a r u n e avalanche. L e tra n s p o rt des voitures d ’a rtil­ leries, p ar des ro u te s dont le to u rn a n t rapide, le peu de larg eu r et l ’escarpem ent étaient a u ta n t d ’obstacles inv in cib les, ne pouvait avoir lieu que p a r des moyens e x trao rd in aires : on les avait p r é p a ré s d ’avance. U n grand

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n o m b re de m ulets se trouva ré u n i au pied de la m ontagne, ainsi q u ’une grande quantité de p e tite s caisses destinées à contenir les cartouches d ’infanterie et les m unitions des pièces. L e s unes et les a u tr e s , les forges de cam pagne, les affûts et les trains des caissons

devaient ê tre portés p ar les m u le ts. L e

tr a n s p o r t des pièces sem blait devoir offrir de plus grandes difficultés. M ais on avait p ré p a ré d’avance un n o m b re suffisant de troncs d’a rb r e s creusés de m an ière à les recevoir ainsi que les corps des caissons.

Ces d is p o s itio n s , dirigées s u r to u t p a r le général G assen d i, fu ren t faites p a r l ’a rtille rie avec ta n t d’intelligence et de célérité que la m a rc h e des troupes ne fut pas r e ta r d é e . L e s tro u p e s elles-mêmes se p iq u è re n t d ’honneur et, p o u r ne pas laisser l ’artillerie en a r ­ riè re , la tr a în è r e n t à b ra s en m o n tan t. Cent

hom m es à la prolonge tra în a ie n t chaque

bouche à feu ou caisson ; leu rs cam arades doublaient l’attelage dans les pas difficiles ; la m u siq u e accompagnait le u r m arche, et le pas de charge anim ait les soldats à re d o u b ler

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leu rs efforts lorsqu’il le fallait. L ’arm ée enleva son artillerie au so m m et du S a i n t - B e r n a r d , et la redescendit du côté de l ’Italie avec des difficultés et des dangers encore plus g rands, mais avec u n e adresse qui ne p e rm it q u ’un bien petit n o m b re d ’accidents. L ’en­ th ousiasm e était tel q u ’une division aim a mieux bivouaquer dans les neiges au som m et de la m ontagne que de se s é p a re r de ses p i è c e s , p o u r chercher un a b ri moins r u d e dans la plaine. 1 , 0 0 0 francs de récom pense avaient été p ro m is p o u r le passage de chaque

pièce avec son caisson ; mais la cupidité

n ’était pas ce qui avait guidé les efforts des soldats fra n ç a is; ils r e fu s è re n t l ’argent.

A u som m et de la m ontagne, à l’hospice qui s ’y trouve, toutes les tro u p e s firent une halte en passan t et y re ç u r e n t qu elq u es r a ­ fraîchissem ents p ré se n té s p a r les relig ie u x . P l u s pacifique et moins soucieux de la gloire, le to u riste s ’engage dans la vallée, profitant de la voie ferrée qui le conduira à M artig n y en trois petites h e u re s ; te m ps bien c o u rt lo rsq u ’on voit p o u r la p r e m iè r e fois ce

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pays si pitto resq u e. B e » , S a in t-M a u ric e et M arlig n y sont les seules villes que l ’on y renco n tre. — Bex ap p a rtie n t au canton de V a u d , avec le pays de la rive droite du R h ô n e ju sq u 'a u x environs de S a in t- M a u r ic e . C ette ville n ’a de bien c u rieu x que ses salines qui fournissent plus de 4 0 , 0 0 0 quintaux ’de sel chaque année. — S a in t - M a u r i c e , l ’a n ­ cienne A g au n e (du grec ago n , com bat), nous a r r ê t e r a un peu plus longtemps et avec r a i ­ son. L a position de cette ville ne m anque pas d ’originalité. D e u x m ontagnes élevées, la D e n t de M o r d e s ( 2 , 9 7 4 m .) e l l a D e n t du M idi ( 3 , 2 8 5 m .), sem blent l ’enfouir dans la vallée. S es environs ne sont pas sans charm es ; la ville elle-m êm e, quoique, petite, excite la curiosité du voyageur, qui se rap p elle l 'i n é ­ bran lab le fidélité des soldats m a rty rs et de le u r h éro ïq u e chef.

L ’abbaye et le tré s o r p résen ten t un grand in té rê t. F o n d é e avant 391 par l ’évêque T h é o ­ dore, cet abbaye est connu p a r la pénitence q u ’y fit le ro i Sigism ond, afin de se p u n ir de s a tro p g ra n d e crédulité p our son épouse ;

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crédulité qui le p o u s s a , su r de simples so u p ­ çons, à faire p é rir son fils Chilpéric. S es lib éralités étaient prodigieuses : l’abbaye ne comptait pas moins de 5 0 0 m o in e s. De nos j o u r s , les chanoines ré g u lie rs de S ain t-A u - gustin habitent le c o u v e n t , où ils tien n e n t u n sém inaire. L e tré s o r renferm e des objets fort précieux : on y voit en tre a u tre s u n e épine de la sainte cou ro n n e, donnée p a r saint L o u is ; la m itre et la crosse d ’A m ê d é e V I I I (Fé­ lix V ) ; le re liq u a ire de saint B e r n a r d de

M e n t h o n , re n fe rm a n t u n b ra s du saint ;

les vases précieux offerts p a r C harlem ag n e, dont l ’un avait été donné p a r H a ro u n -a l- R asch id .

On r e m a rq u e , dans les environs de S ain t- M au rice, la chapelle de N o tre-D am e du S cex , erm itage élevé de 2 0 0 m è tre s au -d e ssu s du R h ô n e , dans le flanc de la D e n t du M id i, et qui étonne p ar la h ardiesse de sa construc­ tion : de loin, on ne p eu t soupçonner com m ent on p eu t y p arv en ir. — N o n loin de là et au pied de la D e n t du M i d i , se trouve u n e

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grottes d ’Osselle en F r a n c h e - C o m t é , mais

plus riche en légendes. U n e in téressan te

notice s u r cette grotte se vend à S a i n t - M a u - rice, au profit d 'u n o rp h elin at placé sous la direction de M . le chanoine G a rd .

L e lieu du m a r ty r de S a in t-M a u ric e et de sa légion se trouve à vingt m in u tes de la ville : u n e C h a p e lle d es M a r t y r s en occupe l'e m ­ p lacem ent. M . J o a n n e , dans son G u id e, ne craint pas de dire que la légende de ce m a r ­ ty re est contestée.

P o u r nous, le fait est inattaq u ab le à tous les points de vue. L à , en 3 0 2 , sous M a x i­ mien (1 ), plus de 6 , 0 0 0 soldats chrétiens qui composaient cette légion, levée à T h è b e s en E g y p t e , souffriren t le m a r ty r e avec le u r chef M a u ric e : ils avaient refusé de p articip er à u n sacrifice o rdonné p o u r o b te n ir de la divinité u n h e u r e u x passage du m o n t J o u x , et le u r fidélité à la foi chrétienne fut punie p a r ce m assacre, re s té a jam ais célèbre dans ces c o n tré e s et dans to u t le m onde catholique.

( I ) Maximien allait du R hin, où il contenait les b a rb ares, vers l’Italie, afin d’y arrê te r les ravages des M aures.

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L o r s q u ’on a quitté S a i n t - M a u r i c e p o u r gagner M artig n y , on laisse s u r la droite une pitto resq u e cascade de 6 4 m è tre s , que l ’on ose à peine n o m m e r (Pissevache) puis on dé­ passe la belle vallée de T r i e n t , et on se trouve bientôt au pied d u col S a in t- B e r n a r d . M a r ­ tigny, quelque tem ps la résidence des évêques du V alais, a eu sa large p a r t dans les g u erres de ce pays. On sait aussi que N apoléon y

atte n d it que to u te son arm ée fut engagée

dans les m ontagnes, p o u r tra v e rse r ce col, q u ’il a r e n d u célèbre. U n fait p e u t - ê t r e plus ignoré, c’est le passage de la tante du m al­ h e u re u x duc d 'E n g h ie n , la princesse L o u ise de Condé, que la révolution chassa encore plus loin. « Quel spectacle, dit à ce sujet un écrivain, q u e cette vie ballottée d ’un b o u t de l ’E u r o p e à l ’a u t r e à la re ch erch e d ’un couvent, p e n d a n t que les princes de la mêm e famille e rra ie n t à la re ch erch e d ’un

t r ô n e l . . . Enfin elle vint s ’e n ferm er au

tem ple, sous le règne de L o u is X V I I I , et

cette d e rn iè re étape ne donne-t-elle pas

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p riè re , elle est bien plus l’ange de l ’e x ­ piation ( 1 ) . »

A u so rtir de M a rtig n y , où l ’hospitalité est si g én é re u se m en t exercée p a r les chanoines du c o u v e n t , on q u itte la vallée du R h ô n e p o u r re m o n te r la D ra n s e j u s q u ’à l’hospice. Il faut u n e jo u rn é e p o u r ce tra je t qui se fait en v o itu re j u s q u ’à S a i n t - P i e r r e , ou à m ulet j u s ­ q u ’au m onastère. L e val d ’E n t r e m o n t s , que l ’on traverse dans sa longueur, a une bonne ro u te j u s q u ’au village de S a i n t - P i e r r e , et si elle n ’offre aucun danger j u s q u ’à O rsiè re , on n ’en p o u rra it pas dire a u t a n t de son pro lo n ­ gem ent j u s q u ’aux C a n t i n e s . P e u v a r i é e , cette gorge, p a r endroits fertile, n ’offre de re m a rq u a b le q u ’un p e tit tu n n e l avant d ’a r ­ r iv e r à S a i n t- B r a n c h ie r , et e n c o r e , dans chaque ham eau , des granges en b o is q u i , élevées u n peu a u-dessus du sol h um ide, s em b len t m ontées s u r des q uilles. A v a n t d ’a tte in d re L id d e s , on côtoie un d an g ereu x

p r é c ip ic e , et comme l’h e u r e du dîner

ap p ro ch e, on se hâte d ’a tte in d r e ce village

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pour s ’y r e s t a u r e r et s ’y rep o ser un in stan t. A L id d e s , les voyageurs, s u r to u t si la j o u r ­ née est belle, s ’y tro u v en t déjà n o m b re u x : quelques groupes se form ent, et comme ce se ro n t des botes de l ’hospice, on commence à s ’observer et à p a rle r du m o n a stè re . L e groupe dont je faisais p a rtie n ’était pas considérable ; je n ’avais que deux compagnons de voyage, un ami et u n jeu n e A n g lais. U n second groupe se composait d’une famille anglaise, à laquelle, s ’il faut en croire n o tre jeu n e i n t e r ­

p r e t e r , nous n ’avons pas inspiré beaucoup

d ’in té rê t. Il y avait enfin u n troisièm e groupe de deux p e r s o n n e s , un F r a n ç a i s et une

F r a n ç a i s e , qui ne nous ont point p a ru ap­

p rouver beaucoup n o tre m a i g r e c h è r e (c’était un samedi). D ’a u tre s groupes e s s a i m a i e n t — comme dirait M . Dickens — dans u n e salle v o is in e , e t , en p a r t a n t , nous com­ prîm es que nous a u rio n s au S a i n t - B e r n a r d

u ne société assez v a r i é e , p eut-être m êm e

aussi différente d ’opinion que de langage. L a journée avait commencé p a r u n beau s o l e i l , et nous n ’avions souffert que d ’un

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peu de fatigue et du b ru is s e m e n t de la D ra n s e . S u r le soir, la pluie nous s u r p r i t , mais ce ne fut pas p o u r longtemps, et, depuis, nous n ’eûm es rien à essuyer de m alencon­ t r e u x .

A p r è s le b ourg de S a in t- P ie r r e , la végé­ tation cesse ; de là j u s q u ’au so m m et du col, nous n ’avons découvert que quelques ché­ tives p â q u e re tte s , et, à n o tre grand chagrin, nous n ’avons ap e rç u aucun r h o d o d e n d r o n . L e s c a n t i n e s que l’on trouve en chemin n ’a rr ê te n t gu ère que les guides ; une d ’elles, c e p e n d a n t, se souvient encore du passage de B o n a p a rte . A p a r tir de là, on ne ren co n tre plus que la chapelle des m o r t s , où l ’on dé­ pose les cadavres des voyageurs s u r p r is p ar

le froid ou les avalanches ; puis enfin

quelques tro u s pleins de neige qui ali­

m e n te n t la D r a n s e . E n som m e , la r o u t e , sans être plus dangereuse, devient monotone, e t l ’on finirait p ar trouver le te m ps u n peu long si, vers la fin du jo u r , l ’hospice n ’appa­ raissait.

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L’h o sp ice du G r a n d -S a in t-B e r n a r d .

« L ’hospice du S a in t-B e rn a rd , d i t M . Jo a n n e , l ’habitation la plus élevée des A lp e s ( 2 , 6 2 0 m . ) , fut fondée en 9 6 2 p a r B e rn a rd de M e n t h o n ___ Quelques écrivains a ttr ib u e n t la fondation de cet u tile établissem ent à L o u is le D é b o n n aire, et d ’a u tre s à C harlem agne. Il est habité toute l ’année p a r dix ou douze religieux de l ’o rd re de S a in t- A u g u s tin , do n t les fo n d io n s con­ sistent à loger et à n o u r r i r g ra tu item en t toutes les personnes qui trav ersen t ce passage fré­ q uenté ; ils doivent, de p lu s, p e n d an t les sept

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ou hu it mois les plus dangereux de l’a n n é e , p a rc o u rir jo u rn e lle m e n t les chemins — le 17 décem bre 1 8 2 5 , le frère V ic to r a été enlevé p a r u n e avalanche, et en 1 8 4 5 , le P . F ra n z C a r t , de S a lla n g e s, a eu le m êm e s o rt — accompagnés de d om estiques appelés m a r ­

r o n n i e r s et d e gros chiens dressés à cet effet,

p o r te r aux voyageurs qui sont en danger les secours dont ils ont b e s o i n , les sauver et les ga rd e r dans l’hospice j u s q u ’à le u r ré ta b lis s e ­ m e n t , le to u t sans leur d em an d er aucune r é trib u tio n . M ais les voyageurs aisés trouve­ r o n t dans l ’église un tro n c destiné à recevoir le u rs offrandes. »

A ces détails, nous en ajoutons qu elq u es a u t r e s , principalem ent s u r l ’origine de cet hospice ( 1 ).

D e to u t t e m p s , ce passage a été trè s fré­ qu e n té p o u r aller d’Italie en V alais et réci­ p ro q u e m e n t. S ’il faut en croire P olybe, A n n i - bal l’a u r a it t r a v e r s é , et bien péniblem ent. César, disent quelques a u t e u r s , l ’a u r a it passé

(1) Ce qui suit e st tiré d’une V ie d e s a in t B e r n a r d d e

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après en avoir conquis les abords. E n 7 7 3 , C h a rle m a g n e , dans sa p re m iè re expédition d’Italie, divisa son arm ée à G enève, en envoya u n e partie p a r le m o n t J o u x ( S a in t-B e rn a rd ), et se dirigea avec l ’a u tre vers le m ont Cenis. E n 107G , l ’e m p e re u r d ’A lle m a g n e , le trop fam eux H e n r i I V , franchit le col du S a i n t - B e r n a r d en allant à C anossa, et, comme on p e u t le lire dans la Vie de s a i n t G r é g o i r e V I I , de V o ig t, ce passage ne se fit pas sans danger. E n 1 4 7 6 , pendant que C h arles le T é m é r a ir e se faisait b a ttre p ar les S u isse s, 4 , 0 0 0 I t a ­ lie n s , envoyés par le duc de M ilan au duc de Bourgogne, tr a v e r s è r e n t la m êm e montagne dont les V a la is a n s v o u lu re n t le u r fe rm e r les sen tiers. E nfin , en 1 8 0 0 , le p re m ie r consul effe c tu a , avec 4 0 , 0 0 0 h o m m e s , ce célèbre passage.

C ’est a s s u ré m e n t bien assez p o u r pouvoir affirmer que ce col est de tous ceux des Alpes- P en n in es celui qui a été, de tem p s im m ém o­ r i a l , le plus fréquenté ; la chose s ’explique d ’elle-m êm e. E n effet, J u l e s C ésar et après lui A u g u s t e , m aîtres de ce col p ra tic a b le , y

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avaient élevé u n tem ple à J u p i t e r P e n n in et bâti u n refuge ( m a n s i o ) . L a montagne fut appelée depuis m ont J o u x (J o v is ). P l u s ta rd , lo rsq u e les e m p e re u rs e u x - m ê m e s e u re n t e m b ra ssé le ch ristia n ism e , la m aison de r e ­ fuge fut convertie en u n hospice e n tre te n u au x frais de l ’É t a t . D es hospices sem blables fu r e n t élevés en p lu sie u rs endroits de la vallée, et l ’adm in istratio n de ces maisons con­ fiée à des ecclésiastiques. M a lh e u re u s e m e n t s u r v in r e n t alors les luttes e n tre les Carlovin- giens, au sujet de la possession de l’Italie ; luttes bien fu n e ste s, pu isq u e l ’ambition de quelques princes po u ssa c e u x -c i à a b a n ­ d onner à des gens sans a v e u , H o n g ro is et m êm e S a r r a s i n s , les défilés de ces m o n ­ tagnes : ce lieu devint b ie n tô t le re p a ire de n o m b reu x b rigands e t , si l ’on en croit une tradition des plus re s p e c ta b le s , l ’asile des sorciers qui re n d a ie n t ce passage im p ra ti­ cable.

Ce n ’était pas trop d’un saint p o u r faire ces­ se r un tel é ta t de choses. B e r n a r d de M en thon (S avoie), archidiacre d ’A o s te , après une je u ­

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nesse édifiante, se décida, non toutefois sans y avoir m û re m e n t réfléchi, à faire d isp a ra ître ce foyer de crim es et de scandales ; et ce p ro jet, inspiré p a r sa foi, fut couronné du plus grand succès : le san c tu a ire du crim e fut re n v e rs é , et les p rofanateurs ne p u r e n t ré s is te r au zèle du saint.

A treize lieues de là dans les A lp e s -G ré e s , u n col était aussi infesté p a r l’e r r e u r . B e r n a r d de M e n th o n en chassa encore u n so rcier, com m e il l’avait fait s u r le m o n t J o u x , et b ie n tô t, dans ce d e rn ie r passage comme dans le p r e m ie r , s'é le v è re n t des hospices a u x q u e ls est d e m e u ré attaché le nom de sain t B e r­ nard (1 ). E c o u to n s à ce sujet saint F ra n ç o is de S ales :

« A l l e r s u r les advenues des chemins p our se m o n d re (les voyageurs) comme faisoit A b r a ­ h a m , c’est u n degré (de perfection) plus h a u t ; et encore plus de se loger ès lieux périlleux p o u r r e t i r e r , aid er et s e rv ir les p a s s a n t s , en

(1 ) L’hospice est gardé, dans les deux passages, p ar des ch a­ noines réguliers de Saint-A ugustin, affiliés à la congrégation de Saint-Jean-de-L atran. — Nous leu r donnerons, com m e c’e st la c o utum e, le nom de religieux du Saint-Bernard.

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quoi excelle ce g ra n d saint B e r n a r d de M e n - ilion, le q u e l, étan t issu d ’une maison fort i l l u s t r e , habita p lu sie u rs années e n tre les jougs et cimes des A lp e s , y assem bla p lusieurs compagnons p o u r a t t e n d r e , loger, s e c o u r i r , d élivrer des dan g ers de la to u rm e n te les voyageurs et p a s s a n t s , qui souvent seroient m o rts e n tre les orages et les fro id e u rs , sans les h ô p itau x que cet ami de Dieu e sta b lit et fonda ès deux m onts qui p o u r cela sont appe­ lés de son nom : grand S a in t- B e r n a r d du diocèse de S io n , et petit S a i n t- B e r n a r d en celui de T a re n ta is e . » ( T h é o t i m e , livre n , ch. 9 .)

A p r e s u n témoignage aussi fo rm e l, il ne re s te plus q u ’à ra p p e le r l ’a p probation que le pape J e a n X V I I I donna de ces fondations en les p r e n a n t d irectem en t sous sa p r o t e c t i o n , approbation que vient encore confirmer le nom de saint q u ’on donnait déjà p a rto u t à B e r n a r d , et que l'É g lise ratifia solennellem ent quelques années a p rès (en 1 1 2 3 , et plus t a r d , sous A le x a n d r e I I I ) . Il serait tro p long de citer les miracles qui sont venus s ’ajouter à tous ces

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g lo rieu x témoignages ; disons seu le m e n t q u ’en 1 8 5 7 , la com m une d ’E tro u b le s (près d ’A o ste ), d u t à la p rotection de sain t B e r n a r d d ’être d é b arrassée d ’une nuée de s au terelles m a l­ faisantes (1).

E s t-il bien étonnant, a p rès to u s ces té m o i­ gnages, q u ’on lise dans la Vie de s a i n t B e r ­

n a r d : « A u x i i c et au x m ° siècle, le nom de saint B e r n a r d et l'h ospice du M o n t - J o u x étaien t devenus célèbres dans to u tes les con­ tré e s de l ’E u r o p e . D e n o m b re u se s d ép en ­ d a n c e s, cédées lib é ra le m e n t et en divers e n ­ droits au x chanoines h o s p ita lie rs , tém oi­ g n è re n t le bon vouloir de tous envers un établissem ent qui tro u v a dans ces resso u rces son point de plus h a u te p ro s p é rité . » E t plus loin : « L a vue d ’un pareil établissem ent s u r u n e si h a u te m ontagne et l’ingénieuse charité du fo ndateur cau sèren t u n e si vive émotion su r l ’esp rit du noble é tra n g e r (gentilhom m e anglais du nom de R ic h e lin u s) q u ’il fit à l ’instant cession au m onastère-hôpital du d i a ­

ti) Jusqu’ici on n ’a encore pu assigner aucune cause n aturelle d ’une destruction si soudaine. ( L 'in d é p e n d a n c e d ’A o s te d u 11 septem bre 1 8 5 7 .)

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te a u Connut avec ses dépendances, q u ’il pos­ sédait à L o n d r e s . » E n f i n , p o u r ne p arler que de donations que la F r a n c e fit à l ’hos­ pice, l ’h isto ire nous a p p ren d que le P a p e lui confirm a la possession de quatre-vingts b é n é ­ fices. L a F ra n c h e -C o m té e u t le sien à S alins. « C ’était, dit R o u s s e l dans son D ic tio n ­

n a i r e g é o g r a p h i q u e , u n hôpital desservi (dans le B o u rg -D esso u s) p a r des chanoines rég u liers de l ’o r d r e de S a i n t - A u g u s t i n , sous la direction d 'u n r e c te u r in titulé p a r le prévôt du G r a n d - S a i n t - B e r n a r d . » C ette donation su b it dans la suite q u e lq u e s m o ­ difications, m ais elle ne fut su p p rim é e q u ’en 1 7 9 2 .

A u j o u r d ’h u i , faut-il le d i r e , le m o n a stè re est p a u v r e , et cependant il su b siste comme p a r le passé. L e s donations de l’A n g le te rre on t d isp aru p e n d an t le règne d ’H e n r i V I I I . Celles de la F r a n c e ont été p e rd u e s p e n d an t la R é v o lu tio n , et les biens que le m onas­ tè r e possédait en V alais ont s e r v i , a p rès la g u e r r e du S o n d e r b u n d , à payer les dettes cantonnales. A u j o u r d ’h u i , les faibles su b

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-ventions de la F r a n c e , de l ’Italie et de la S u i s s e , jo intes au x aum ônes des v o y a g e u rs, e n tre tie n n e n t cet hospice, où nous allons enfin e n t r e r .

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Laqorem ière chose qui frappe à la vue de l’h o s p ic e , c’est la solidité de sa c onstruction. É ta b li de m an ière à r é s is te r a u x avalanches qui se détachent des som m ets dom inant le pas­ sag e, le b â tim e n t principal n ’a rie n à l’e x té ­ r i e u r de bien r e m a rq u a b le ; mais q u an d on en a franchi le seuil, l ’im p ressio n défavorable que l’on é prouve à l ’aspect de ces m u r s épais e t de ces c o rrid o rs s o m b re s, d is p a ra ît bientôt à l’a pparition de Y h ô t e l i e r , dont l ’affabilité prévient tout d ’abo rd en faveur des habitants de l’hospice.

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A peine a rriv é s, nous nous m îm es à visiter le couvent et ses a le n to u rs . A l’in té r ie u r , l ’é g l i s e , la bibliothèque et le salon en sont les pièces principales. P e t i t e , mais bien o rn é e , l ’église renferm e une assez gran d e q u an tité de reliques de saint B e r n a r d et quelques tableaux estim és ; on voit a u s s i , vers la p o rte d’e n ­ tré e , u n m o n u m e n t élevé p ar N apoléon I or à la m ém oire du gén éral D esaix, m o r t, comme on le s a i t , à M a re n g o . L a bibliothèque est trè s convenable et s u r to u t trè s fréq u en tée. — A côté de l'hospice se trouve un b âtim en t neuf qui s e rt de dépôt p o u r les m archandises, et u n e m orgue où l ’on dépose les cadavres trouvés dans la m ontagne ; p u is, s u r la ro u te d’Italie, u n petit lac q u ’on ne s ’atte n d pas à tro u v e r si h a u t ; la ro u te d ’A o s te le côtoie j u s q u ’à ce q u ’elle se p e rd e dans la vallée de S a in t- R e m y . L e s environs p a rc o u ru s, la nu it et une bise forte et trè s froide nous r a m e n è r e n t au couvent ; c’était l ’h e u r e du re p a s.

L a plus belle salle de l ’hospice e s t , sans c o n tr e d it, le s a l o n , vaste pièce ornée avec goût et mieux éclairée q u e le re s te de la

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m aison. U n e longue table faisant l ’é q u e r r e en occupe u n e partie ; dans Vautre se tro u v e un p ia n o , d o n n e , d i t - o n , p a r u n t o u r i s t e ; c’est dans cette salle que nous avons passe agréa­ b le m e n t la so irée du 2 5 août.

Q u e lq u e s groupes de voyageurs s ’étaient déjà trouvés ré u n is , et chacun fit h o n n e u r au re p a s m aigre q u ’on n ous servit : c’était bien n a t u r e l , car il était des plus appétissants ; n ous nous croyions dans un des m e ille u rs hôtels de la S u is s e . L a conversation languit u n peu p e n d an t le d în e r ; m ais lorsque l ’hôte n o u s eu t engagés à nous r é u n i r a u to u r du foyer (bien q u ’on fût au mois d ’a o û t), la p r e ­ m iè re g l a c e se fondit, et la conversation com ­ m e n çait à s’an im e r qu an d u n e douzaine de voyageurs v in re n t à l’im proviste p r e n d r e les places que nous venions de q u itte r .

L o r s q u e ces t a r d - v e n u s e u re n t q u itté la table p our venir a g ran d ir le cercle que nous formions a u to u r du foyer, le personnel flo tta n t de la salle des étra n g e rs se tro u v a au complet. N o u s avions déjà reco n n u les groupes que nous avions re n c o n tré s à L id d e s ; mais cette

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f o i s , les visages étaient u n peu d é r i d é s , e t , p our p a rle r à la m a n iè re d ’un certain écrivain, le fluide sym pathique sem blait vouloir se m e ttre q uelque peu en campagne.

L a société, cependant, ôtait bien diverse­ m e n t composée : P a r is ie n s élégants et riches P ro v e n ç a u x , A nglais de L o n d r e s et de B irm in ­ gham , A m é ric a in s m ê m e , et nous m odestes F r a n c - C o m t o i s , c’était là to u t le p erso n n el. — Il est inutile de r é p é t e r que nous différions encore plus d ’idées que de langage ; néanm oins la bonté et la grâce parfaite de n o tie h ô te avaient déjà donné u n certain en tra in . N o u s - m êm es, grâce à n o tre j e u n e A nglais qui ne ta rissa it pas avec ses c o m p a t r i o t e s , nous eûm es l’avantage de lier conversation avec p lu sie u rs voyageurs.

M a is , se dem andait-on, aurions-nous q uelque p eu de m u s i q u e ? D éjà, p e n d an t le re p a s des

t a r d - v e n u s , le piano avait été o u v e r t , et la

m odestie de quelques to u riste s avait découragé le jeu n e religieux, dont les offres n ’avaient pas été acceptées; les visages commençaient môme à s ’a s s o m b rir, qu an d u n e dame de P a r i s , de

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la d e rn iè re caravane, avec une bonne volonté dont chacun lui s u t g r é , se m it au piano et y chanta au x applaudissem ents de to u t le m onde, le Noël d ’A d a m et quelques au tres m orceaux ap p ro p rié s à la circonstance. N o u s n ’étions pas encore re v e n u s de cette agréable s u rp ris e q u ’on serv it un th é chinois des plus succu­ lents ; et qu an d le carillon de l ’hospice eut annoncé l ’approche du d i m a n c h e , quelques voyageurs allè re n t se p ro m e n e r et rê v e r à u n b e a u clair de lu n e , p e n d an t que d’a u t r e s ,

p lu s fatigués, se dirigeaient vers leurs

c h a m b re s , se dem andant sans doute si jam ais ils avaient passé u n e soirée plus agréable.

O u i, il faut l’avouer, nous ne nous a t t e n ­ dions pas n o u s-m ê m e s à cette c h a rm a n te s o i r é e , et n o u s n ’avons pas été les seuls. L e p etit groupe que nous avons égayé à nos

dépens à L i d d e s , ce v o y a g e u r et cette

v o y a g e u s e , n ’était pas aussi caustique ; et

lo rsq u e le lendem ain, avant de q u itte r l ’hos­ pice, l ’un et l ’a u tr e v o u lu ren t s e r r e r la main du bon hôte qui nous avait fait p a s s e r à tous des h e u r e s si a g ré a b le s , u n e émotion visible

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se tra h issa it s u r le u r visage. J e pensais alors à ce m o t d ’un savant converti (1) : « On a beaucoup o b t e n u , d it- il, p o u r r é u n i r les esp rits quand on a rap p ro ch é les cœ u rs. »

A p r è s une soirée comme celle -là , on com­ p re n d q u ’il en coûte de q u itte r le S a in t- B e r ­ n a r d , et nous n ’é to n n e ro n s p erso n n e en disant que l'h ô te a semblé nous a d re s s e r du reg ard u n léger reproche q u a n d , a p rès la m esse et a p rè s avoir visité plus en détail la m a i s o n , voire m êm e le chenil des ro b u ste s chiens de la m ontagne, nous avons dû nous éloigner, de bo n n e h e u re e n c o r e , mais bien à r e g r e t , de l ’hospice. Ce qui n o u s re s te à dire, ce n ’est pas la su ite de nos excursions, cela dép asserait les b o rn e s que nous nous som m es p r e s c rite s ; p e r ­ m e tto n s-n o u s u n e petite digression.

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La p e tite D orrit e t l'o ise a u du bon D ieu .

« L ’h o m m e , dit quelque p a r t Donoso C o rtés, est, p a r sa n a tu r e , relig ie u x , intelli­ g ent et libre. Q u an d ces trois caractères se développent h a rm o n ie u s e m e n t en lu i, l ’hom m e a tte in t son plus h a u t deg ré de perfection et de b o n h e u r . Q u a n d ces trois élém ents ne se développent pas h arm o n ie u se m e n t en lu i, u n e p e r t u r b a tio n fébrile l ’afflige, et u n m a l-ê tre indéfinissable le to u rm e n te . »

O u i , p o u r que l’hom m e soit h e u r e u x dès ici-bas, il faut que ses facultés soient h a r m o ­

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n i s é e s en lui : il faut qu'il ait to u te sa liberté

(je ne dis pas l ’indépendance); il faut de plus que son esp rit et son c œ u r, sans ê tre étouffés, soient dirigés vers le vrai et le bien . C ’est à ces conditions seulem ent q u ’il p o u r r a vivre en paix , c’est-à-dire vivre h e u r e u x . M a is l’hom m e souffre : q u i ne le sait pas ? L e s souffrances sont m êm e parfois bien vives, et cependant il est peu d ’âm es qui songent à les soulager. Bien au c o n t r a i r e , n ’y a-t-il pas trop de ces mal­ h e u r e u x qui, au lieu de c h e rc h e r à a m élio rer la situation m o rale des m a s s e s , ne songent tro p souvent q u ’à rav iv er leu rs b le s s u r e s ? « E u g è n e S u e , dit M . N e t t e m e n t , ir r i t a les plaies des classes p o p u l a i r e s , et r e n d it leu rs souffrances plus i n t o l é r a b l e s , en faisant luire devant leu rs reg ard s les horizons fuyants d 'u n e

irréalisable u to p ie. »

E t de nos jo u rs encore, cette d e rn iè re b le s­ su re que M . V ic to r H u g o vient de faire à ses sem blables en to u rm e n ta n t des plaies doulou­ r e u s e s que le ch ristian ism e seul p eu t g u é rir, ses T r a v a i l l e u r s de la m e r , ainsi que nom bre d ’a u tre s écrits moins connus, ne so n t-ils pas de

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n a t u r e à tro u b le r l’h a rm o n ie d o n tilé ta itq u e s tio n to u t à l’h e u r e , en poussant les masses à l ’indé­ pendance, à la jouissance et à l’e r r e u r , au lieu de les g u id er, qu an d elles en a u ra ie n t si b e s o in ?

C om m e le disait naguère une voix plus a u to ­ risée que la m i e n n e , l’a r t est une puissance et une puissance d a n g e r e u s e , et nulle part m ie u x q u ’en F r a n c e on n ’est à m êm e d ’en ju g er. L e vent est au rom an : nous avons des ro m an s p o litiq u es, philosophiques, so c ia u x , scientifiques, r e lig ie u x , e t c . . . . L e rom an a u ­ jo u r d ’hui est m étam o rp h o sé en une chaire où to utes les causes et tous les systèmes tro u v e n t des i n te rp rè te s et des avocats ( 1 ). M ais le m au­ vais ro m a n est si connu en com paraison du r o m a n h o n n ête, q u ’on se ra it ten té de p r e n d re pour une utopie ces m ots de la B r u y è r e : « Il se m b le , d i t - i l , que le rom an et la comédie p o u r r a ie n t ê tre aussi utiles q u ’ils sont n u i­ sibles. » M a lh e u re u s e m e n t la F r a n c e a donné le b ra n le à ce m ouvem ent dangereux ; et un a u t e u r anglais n ’a-t-il pas eu raison de d i r e , dans u n r o m a n où le mal est combattu avec

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au ta n t de p ru d e n c e que d ’é n e r g ie , « que le poison q u i v i e n t de F r a n c e e s t de to u s le

p l u s à c r a i n d r e ? »

L a source du mal a été indiquée si é n e r ­ giq u em en t dans la chaire de N o tre -D a m e , q u ’il e st p re sq u e inutile de la signaler ici. L ’a r t qui fait j o u i r , qui donne des ém otions, du p laisir, le réalism e en u n m o t, voilà l’écueil du jo u r, et il est bien tris te p o u r la F r a n c e que l ’A n ­ g le te rre lu i donne sous ce ra p p o r t plus d ’une leçon. S o u s u n e apparence r é a l i s t e , ses r o ­ m an ciers savent cacher u n idéal, e t, selon le p récepte d ’H o ra c e , m ê le r l ’utile à l ’agréable,

u t i l e d u l c i . J e ne citerai que deux nom s, lady

G eorgiana F u lle r to n et C h arles D ick en s. J e commence p ar l ’écrivain catholique p o u r p a rle r p lu s a u long du second, parce q u ’il a plus de r a p p o rt avec le S a i n t - B e r n a r d , au q u el nous allons re v e n ir.

L 'O is e a u d u bon D ieu de lady F u l l e r t o n est

u n rom an chrétien dont l ’h éro ïn e ré siste à de g randes douleurs p ar le fécond labeur du sacri­ fice et de la résignation. Ce n ’est pas, com m e on p o u rra it le croire, u n r om an fade et vulgaire,

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no n , et ceux qui l’ont lu nous c o m p re n d ro n t; c’est le récit des d ouleurs d’u n e âm e vive et p a s s io n n é e , qui se b ris e contre d’inévitables écueils, et qui, m e u rtrie , b royée, survit à son m a lh e u r p a r la générosité d ’u n sacrifice et la protectio n d ’une m è re qui n ’est p lu s, m ais qui veille encore s u r elle. Q ue ce dénouem ent est différent de celui de tan t de ro m an s qui n ’ap­ p r e n n e n t à ceux qui les lisent q u ’une faiblesse et un scandale de plus !

L a P e t i t e D o r r i t d e M . D ickens, ce r o m a n ­

cier caricaturiste dont la réputation est si bien m é r ité e , la P e t i t e D o r r i t est un rom an d ’un to u t a u tr e g e n re . L ’héroïne est ce q u ’il y a de plus d o u x , de plus p u r , de plus angélique, au m ilieu d ’une société de d issip ateu rs, d ’a r ­ tistes sans foi, de p a re n ts r u i n é s , enrichis et r u i n é s e n c o re , et enfin de braves gens dont elle finit p a r faire le b o n h e u r. N o n , ce n ’est pas u n type vulgaire que la petite D o r r i t , c’est u n ange dont on p eu t dire avec Corneille :

E l l e a t r o p d e v e r t u s p o u r n ’ê t r e p a s c h r é t i e n n e .

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et u n idéal aussi p u r doit avoir été conçu p ar u n c œ u r où habite la charité ch rétienne. D ans u n tem p s où l’A n g le te r r e est si profondém ent r e m u é e p a r les idées catholiques, ne faut-il pas e s p é re r que les préjugés qui sé p a re n t de nous les anglicans to m b e ro n t bientôt p our r e n d r e à l ’A n g l e t e r r e son ancien nom d ’î l e des s a in ts ?

J ’ai dit que des préjugés nous sé p a re n t en­ core, et ces p réjugés, je les re tro u v e dans ce r o m a n , à u n certain chapitre où il est question d u S a in t-B e rn a rd . L ’im partialité avec laquelle M . D ickens vient d’ê tre jugé m ’a u to rise ra bien à re le v e r quelques p h ra s e s où la vérité est sin­ g u liè re m e n t m éco n n u e : c’est là d ’ailleurs, et po u r le dire en p assan t, la p rin c ip a le raiso n qu m ’a déterm in é à p u b lier ces notes de voyage.

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\

Un ch a p itr e de la p e t it e D orrit.

T o u t d ’a b o r d , il est bon d ’établir q u e les lazzi lancés çà et là dans ce chapitre viennent moins de l ’a u te u r q u e des personnages q u ’il m e t en scène ; encore ne sont-ce point ces types de prédilection q u ’il fait p a rle r, m ais u n che­ valier d ’i n d u s t r i e , u n a rtis te dissip ateu r, u n vieillard à qui la p r i s o n p o u r d e t t e s fait voir des priso n s p a rto u t. C e p e n d a n t, en f a i s a n t , comme on d i t , la p a r t des c h o s e s , il est dif­ ficile de croire que ces préju g és n ’aient pas quelq u e peu d é t e i n t s u r son e s p rit. Quoi q u ’il

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en soit, ils ont q uelque chose de trop ré v o lta n t p o u r ne pas les e x am in er ici b rièv em en t.

C ’est un voyage qui donne à M . Dickens l ’occasion de dire ce q u ’il pen se du S a in t- B e r n a r d . P l u s habile que nous, il trav erse le V a la is à la hâte p ar u n jo u r de vendange; e t au milieu d ’une description s u i g e n e r i s , il ne trouve rie n de plus p r o p r e à a t t i r e r l ’attention que le crétin valaisan « qui chauffe au soleil son énorm e g oitre, to u t en m a n ­ g ean t du r a is in . » P u i s , arrivé à l ’hospice, ce sont des nuages et des nuages encore, ce qui in té re sse bien moins u n F ra n ç a is q u ’un h a ­ bitu é d es b ro u illa rd s de L o n d r e s . L e dîner

est se rv i, l ’hôte est parfait : rien de plus

poli, rie n de plus d istin g u é ; m a lh e u re u se ­ m e n t les gais to u ristes se m etten t en cam­ pagne, et, tout en faisant h o n n e u r au d îner,

ils lancent qu elq u es pointes acérées au x

c h ie n s de c o n v e n t i o n du S a in t- B e r n a r d , qui

n ’e x iste n t q u ’en g ravures ou dans les livres ; a u x religieux dont le vêtem ent les m et en verve et dont la vie, d isent-ils, « se passe doucem ent à vivoter à l’aise dans un ex­

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cellent réfectoire ; » à la coutum e enfin de ne pas p ré s e n te r la note au x v isite u rs, « laissant à leu r conscience le soin de faire l’addition. » E t p o u r t e rm in e r to u tes ces s o t t i s e s , on veut bien r e m a r q u e r que les m oines qui vivent là-haut sont tous jeunes et se résig n en t à cette vie q u ’ils su b issen t sous la d u re loi de la nécessité!

E t j e sera is le s e u l q u i n e p o u r r a is r i e n d i r e ; O n s e r a r i d i c u l e , e t j e n ’o s e r a i r i r e !

On a vu si le V a la is n ’était q u ’un pays de crétin s et de g o i t r e u x , et je ne m ’a r r ê te r a i pas davantage s u r ce p re m ie r chef. P o u r ce qui est des chiens, il est p ro b ab le que le jo y e u x to u ris te n ’a pas m êm e lu son G u id e

J o a n n e , qui lui a u r a it ap p ris que ces chiens

sont bons à q uelque chose : il ne s’a tten d ait a s s u ré m e n t pas à tro u v e r des chiens choyés et adm is à la table du m a ître comme le cheval de Caligula. — L a petite b ande blanche ou le r o c h e t que p o rte continuellem ent les re li­ g i e u x , re s s e m b le a sse z , d i t - i l , à des b r e ­ telles : m ais de quel d ro it un grave h ab itan t

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iJe L o n d r e s y trouverait-il ridicule ce rochet au sens m ystique, quand s u rto u t, de l ’a u tre côté de la M anche, on attache ta n t de p rix à

cet o rd re d ’une origine si d o u t e u s e , la

J a r r e t i è r e ? — O ù ensuite a - t - o n vu les

religieux vivoter à l ’aise dans u n excellent réfectoire, qu an d l’hôte seul tient compagnie aux visiteurs et que souvent sa charge devient p a r m om ents la plus fatiguante de la m a iso n ? — Il n ’y a que de jeunes religieux au cou­ vent : c’est vrai ; et quand ils y ont passé quatorze ou quinze ans, et c’est p e u t-ê tre

beaucoup p o u r l ’âp reté du clim a t, on les

envoie dans la vallée où ils e x ercen t les

fonctions p asto ra le s. — E n f i n , ils ne sont pas libres : c’est encore v r a i , si l ’on veut d ire q u ’ils ne vivent pas à le u r guise ; m ais il ne faut avoir aucune idée de la vie commune ou religieuse p o u r dire que l ’on perd sa lib erté en vivant sous u n e règle. E ’indépen- dance, qui sourit ta n t aux hom m es qui ne savent pas se conduire, est ce qui plaît le m oins au relig ieu x , au p r ê t r e séculier, à tout c h rétien m ê m e , qui n ’enchaînent to us le u r

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