• Aucun résultat trouvé

En avant !... : au mont Saint-Bernard ! : la Suisse, la Savoie : excursions d'une caravane écolière = En avant !... au mont Saint-Bernard

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "En avant !... : au mont Saint-Bernard ! : la Suisse, la Savoie : excursions d'une caravane écolière = En avant !... au mont Saint-Bernard"

Copied!
72
0
0

Texte intégral

(1)
(2)
(3)
(4)
(5)

X M X- *

EN AVANT!...

e s A U M O N T S A ] N T - B E RN A R D ! i

X. X «

La Suisse, La Savoie

*

---E X C U R S I O N S D ’U N ---E C A R A V A N ---E ÉCOL1 ÈR---E

ŒUVRE DE SAINT-CHARLES, A GRAMMONT (B e lg iq u e ) « *

(6)

T O U S D R O I T S R E S E R V E S .

A « '« <•-

*? >

5

*

3

(7)

E N A V A N T ! $

z®yN avant!...Au f / f m ? y M o n t S a i n t

5

B er nar d E n S u i s s e ! E n S a ­ voie !... Tel é tait le cri de joie et le m o t d ’o r ­ dre de n o t r e t u r b u ­

lente petite troupe,

a u x premières lueur s du jour, le 24 a oût 1895. N o u s a vio ns prolongé les classes, jugez un peu,

de pu is le 4 d u m ê m e mois,... v i n g t j o u r n é e s in­ terminables... p o u r ob te ni r la gr an d e , l’im m e ns e f aveur de faire ensemble, — t re n te -c in q je u n e s é tu di ant s, g u i d é s par un de nos maîtres, — un voyage en S u i s s e et en Sav oie I

Aussi, quel rem ue -m én age ! quelles bou sculades d a n s les escaliers ! quelles excl am ati ons sauva ge s ! quels cris d ’appel de tous les côtés! Il s ’ag it en effet de ne rien oublier, ni po ur le vêtement, ni pou r le linge, ni p o ur les excursions, rien enfin de ces accessoires, si n o m b r e u x de nos jo u r s, d o n t on ne croit pas pouvoir se passer d a n s un voyage de pl us ie u rs semaines.

N o u s voilà donc en route, après un rapide, mais s u bs ta n tie l déjeuner. E t ce n ’est pas p o ur aller

(8)

visi ter des villes, pou r no us extasier d e v an t des maisons, des cheminées, des m o n u m e n t s , des constructions, quelles q u ’el­

les soient ; non, mais pou r aller voir des m o n t a g n e s et des m o n t a g n e s encore, des vallées et encore des vallées, des solitudes inexplorées et primi tiv es : celle d ’Hé rens, par exemple, où l ’on a dit q u ’on soup er ait chez un cer­ tain président F a v r e ; celle de Z e r m a t t , où l’on doit loger chez M. le curé, et voir des m o n t a g n a r d s j o u e r des tr a­

gédies au pied de leurs ro- L e Grimsei.

chers ; celle du R h ô n e enfin ; puis le Mayenvvand, puis le Grimsel et, au delà, ces douces prairies où I nt er la k e n enserre, sous le t r a n s p a r e n t feuillage

de ses vieux noyers, les plus gracieuses merveilles. Aus si ne vais-je même pas m ’a t t a r d e r à cons ign er

d a n s mes so u ve n ir s le nom des cités, des villages, par lesquels nous av o n s dû pa s­ ser pou r parvenir à cette ré­ gion bien-aimée des m o n ­ tagnes. J e commence au m o ­ m en t où déjà n ous som m es s u r la route du G r a n d Sa in t- Bernard, ce légendaire hos­ pice d o n t nous a vo ns tant rêvé au pe ns io n na t et que nous avon s si l on gte m ps dé­ siré visiter en détail. Certes,

(p. 4.) c’est une rude escalade que

celle q u ’il faut faire p ou r y arriver. D e m amelon en mamelon, nous voilà p a rv e nu s au col du Ferret. T o u t à coup arrive une épaisse nuée qui nous

(9)

enveloppe si s o u d a i n e m e n t et si bien, q u ’en moins de trois secondes no u s n ’e nt re voy on s plus mêm e

de no us ! U n profond et i m m e n s e e n to nn o ir se déploie en d eg rés circulaires. Ce ne so nt de toutes

un beau soleil, et pas plus de Le coi des Roches, (p. 12.) des t r o u p e a u x pa r centaines.

corniche que s u r la g r a n d e route de Babylone !... Chacun respire et remercie Dieu.

Mais quel spectacle neuf, e xt ra or din air e en face

Le sentier, après avoir coupé ob liq u e m en t celle de ces pentes qui est à notre gauche, tro uve un cou­ loir, s ’y déploie en zigzag, et vient a b o u ti r au fond

(10)

de l’entonnoir. C ’est le val F e r r e t . On y entre par le col Ferret. A u - d e s s u s des chalets, q u ’on aperçoit à droite et à gauche, ce so nt de magnifiques p â t u ­ rages ; au -de ss ous c o mm enc ent ces forêts où les Pères du G ra n d S a i n t- B e r n a r d , c o m m u n i e r s de l’endroit, se p o ur vo ien t de bois. C h a q u e jour, d u r a n t les deux ou trois mois d ’été p e n d a n t les­ quels le col de F e n ê tr e est praticable, trente à cinqua nte chevaux vo nt y chercher leur charge, puis, r e m o n t a n t à la file, ils s ’en v i en n e nt dé pos er au couvent ces provisions de la charité. Le dimanche, d a n s les beaux jo urs, et en a u t o m n e qu a n d leur tâche est finie, on rencontre ces chevaux qui pa issent libres su r les pentes du m o n t S a i n t - B e r n a r d ; et en s o n g e a n t quel a été d u r a n t la semaine ou d u r a n t l’été leur ru de et gé nér eux office, on ne peut se défendre de les con sidére r avec un reconn ais san t plaisir. B o n s a n i m a u x ! se dit-on, et l’on s ’avance p ou r caresser leur tête

fière, leur poitrail c h a t o y a n t ; mais, eux, timides, et ne souffrant que l’ap proche de leurs pâtres, ils b o n d i ss e n t et fuient.

A u bas du couloir, et après avoir traversé la rivière su r un pont de bois, nous nous t ro u v o n s mêlés au x vaches qui r e g a g n e n t les chalets. T a n ­ dis que les plus j e u n e s d ’e nt re elles s ’a rr ê t e n t à c haque i n s t a n t p o ur folâtrer, les vieilles s ’a t ­ tarde nt, q u e lq u e s- u n e s boitent ; toutes, t o u r à tour, su s p e n d e n t leur marche po ur n ou s considé­ rer curie use men t, et le m a n a n t qui les acc ompagne nous as su re q u ’il en a « dix-neuf, vi n g t et quinze » sous sa garde. Est- ce ce mana nt, sont-ce ces vaches, qui nous font tr o u v e r si agréable ce bout de chemin ? T o u j o u r s est-il que c’est ici un de ces q u a r t s d ’heure dont, on ne sait pourquoi, le charme se gr av e d a n s le sou ve n ir pour y survivre à celui de bien des plaisirs d o n t il serait plus facile de se rendre compte. Mais c’est l’heure du

(11)

w m m

(12)

soir, le ciel est pur, et no us tou ch o ns au gîte. Mais que ne pe uve nt la nécessité, l’industrie, U n g r a n d g e n d a r m e est s u r le seuil ; g e n d a r m e du pain et du vin ! A peine entrés, déjà t ou t s

’or-valaisan, c’est-à-dire

bon hom me, h o s p i t a ­ lier, et qui se fait d ’e m ­

blée notre ami dé­

voué. « Belle jeunesse,

dit-il, et puis pro­

pre !... E n tre z, M e s ­ sieurs et chers enfants; et faites-vous servir.» N o u s entrons. Rien q u ’une bo nne vieille, un g r a n d atre, des m a r m i t e s et un e é- chelle. P a r cette échel­

le, on nous fait m o n te r j u s q u e d a n s un fenil qui mène à une c h am br ett e sans espace, sans chaises et sans ressources.

ganise. Voici desbancs, voici un tabouret, une hotte ,u n sac, un coffre:

quinze so nt assis.

D e u x se hissent sur le poêle,quatre s u r le lit: to us so n t placés ; on déballe alors,on d is tr i­

bue, on croque ; la

vieille app orte des

po m m e s de terre et du beurre ! le g e n d a r m e apporte des

omelet-Le couvent du Mont S t- B e r n a rd . — omelet-Les Pères . (P. 6.) j-g^- | g g s p e c t a c l e

une incomparable joie s ’ajoute à un appétit in com ­ parable ; et de tous les gîtes où nou s so m m e s entrés, celui-ci est proclamé le pire et le meilleur,

(13)

le plus dénu é et le plus riche, celui, san s contredit, où nou s a v o n s improvisé le plus délectable b a n ­

quet. P o u r co uronner ______________ _________

l’œuvre , âtre et m a r ­ mite s o n t mis en ré­ quisition, et la vieille, qui vient de q ui tte r la c hambrette, y reparaît précédée d ’un punch parfumé, et très cer­ t ai ne m e n t délicieux. Le b a n q u e t fini, on o r gan is e la couchée : v i n g t da n s le fenil, maître et g u id e da n s

la chambre, en corn- Les bâtiments,

pa gn ie d 'u n m o u t a r d d u cru ; le g e n d a r m e et la vieille en bas, a u t o u r de l’âtre, qui envoie j u s q u e d a n s le fenil, j u s q u e d a n s la ch ambrette, ta n t ô t de

rouges lueurs, tant ôt des t ou rbi ll on s de grise fumée, au milieu desquels no us d ispa raisso ns.

Le chalet où nous n o u s efforçons de d o r ­ m ir est situ é au milieu d ’une cité d ’étables et de bercails, en sorte que, d u r a n t t o ut le cours de la nuit, selon q u ’une vache bouge ou q u ’une brebis re­ mue, une, deux clo­ chettes se font e nt e n­ dre c on st am m e n t, de ci, de là, fort loin, to ut

les chiens, (p. 22.) près. Mai s, vers l’aube,

le carillon devient général et au concert des clo­ chettes se mêle celui des bêlements, des m u g is se ­ ments, de tou t timbre, de tou t calibre. O u ’il est

(14)

Tout à l ’he ure , voici le lac. (P. 22.)

ne u f p ou r des cita­ d i n s d e t r e réveillés par ces clameurs des .bestiaux im pa tie nts de paître ; mais en revanche peut-être, po ur le m o n t a g n a r d exilé da n s nosvilles, l’absence de cette m u s i q u e du matin semble ing rate et cruelle !

S ou d a in , no us ap­ pr en o n s que c’est a u j o u r d ’hui la fête des brebis, c’est-à- dire que, d a ns peu d ’heures, de toutes les som m ité s

(15)

voi-sines v o n t a r ­ river d ’i m ­ m en se s t r o u ­ peaux qui e n ­ v a h i r o n t le gai p â tu r a g e ; puis, da n s un espace laissé libre, chaque b r eb i s ,v en a n t se placer à la file d ’une a u ­ tre brebis, re­ cevra une poi­ gnée de sel. Apr ès ce ré­

gal, l’armée

r o m p r a les

(16)

que troupeau, son pâtre en tête, r e g a g n e r a les hauteurs.

Cette d i st r ib u ti o n a lieu u n e fois pa r quinzaine régulièrement, et, chose aussi curieuse q u ’intéres­ sante,les brebis conn ais se nt si bien ce j o u r de leur fête, que, dès l ’a u ro r e de ce jour-là, non seu le m en t elles sautent, elles bon dissent, et d o n n e n t mille m a r q u e s de joie et de gaieté, mais, hâtives et dili­ gentes, au lieu de se faire pre ss er par le be rge r ou pa r les chiens, elles les précèdent a u x chalets, ac­ c o ur a nt à l’envi, s ’ag gl o m éra nt , se p o u s s a n t d a ns leur ardeur, au p oi nt que pl u si eu rs so nt jetées hors du sentier, et que les agnelets, séparés de leurs mères, sui ve n t ép erd us ou s ’a r r ê t e n t incer­ ta in s et plaintifs. Certes, en fait de fête, a ucu ne ne no us p a ra îtr a it plus a tt r a y a n t e à voir que celle- là. Ma is nous av on s à pas se r a u j o u r d ’hui le col de Fenêtre, plus élevé encore que celui des Roches, et la pr ud enc e nous c o m m a n d e de mettre à profit,

p o ur franchir cette sommité, les heures de sérénité que n ou s présage un e aube sa ns nuages.

Le g e n d a r m e et la vieille ont préparé d u r a n t les veilles de la n ui t une soupe primitive, composée de lait, de q u a rt i er s de p o m m e s de terre, et, co mme p o u r les brebis, d ’une poignée de sel. Ce brouet blanc forme notre déjeuner, que no us p ren on s deb o ut a u t o u r de l’âtre, p e n d a n t que la vieille aidée du g e n d a r m e et le g e n d a r m e secouru par la vieille s ’efforcent de d re s se r le compte de notre dépense. A la fin, toute leur a r i t h m é t i q u e mise en co m m u n n ’y po u v a n t suffire, la vieille vient à notre professeur et lui d i t : « F a i t e s vous-même, mon bon Mons ieur, je me fie à vous. » Celui-ci alors place des écus à la suite les u n s des a u tre s j u s ­ q u ’à ce q ue le g e n d a r m e et la vieille, plus s c r u p u ­ leux encore q u ’avides, s ’écrient : «Assez, va bien. » P a r cette m éth o de intuitive le compte est bientôt réglé à la satisfaction de tous. Il ne reste plus q u ’à

(17)
(18)

pr end re congé de nos hôtes, congé aussi de ce fenil, de cet â-

tre, de cette

chaumière en ­ fumée où nou s ve n o ns de p as ­ ser de si char­ m a n t e s heures. Dé jà l’au ror e s ’illumine et t a n d i s que le vallon est en ­ core enveloppé d a n s les fraî­ cheurs d ’un e om b r e limpide, l e s a i g u i l l e s d e B e rg e rs du

la g r a n d e chaîne reflètent les ro u g eu rs du lever. Voici la configuration d u col de Fenêtre. A

p artir des chalets Ferr et, l’on coupe o b l iq u e m e n t des ram pe s de gazon, en s u i ­ v a n t un sentier que le passage si fréquent des c h e v a u x d e l’hospice en tre ­ tient d a ns de bon ne s con di ­ tions de pente et de larg eu r ; puis vi en ne nt les zigzags par lesquels on a t ­

teint rapide-

Vaiais. (P. 12.) m e n t aux a n ­

fractuosités du col. Ici la scène change s o ud a i n e ­ ment. P l u s de pâturages, mais des plat eau x

(19)

sau-vages et désolés, des roches déchirées, bientôt des | riche en beautés alpestres, mais il offre plus

pelouses de Sa in t^ ^ ' un pâtre non^haia^ (p. 6i;) ^ ^ ous " leg" saluonii

R e m y ; partout, à l’horizon, un a m p h i t h é â tr e d ’im- de nos hourras. A u lieu d ’y r ép on dr e, ces p ers onnes po santes sommités. N o n se ulement ce pa ssa ge est i se con ten ten t de se rem ett re en marche, et n o us

(20)

Le r e g a r d plonge s u r le re vers italien du Mont Sain t-B ern ard . (.P. 15.)

les croisons une

de m i- he u re après. Ce so nt sept t ou ris tes anglais; d e l à leur si­ lence un peu fier.

L ’affaire pour ces

étrangers, môme sur

les dernières h a u ­

teurs, ce n ’est point de con templ er la con­ trée, mais que la con­ trée les contemple ; point d 'a d m i r e r la belle n a tu r e ,m a is que la belle n a tu re ait eu l’a v a n t a g e de les pos­ séder qu elq ue s ins­ t a n t s ; et q u a n d une

(21)

av a n t m ê m e d ’a- voir pu ap pré ­ cier leur p re s ­ tance, leur lan­ ce des h o u r r a s d ’expansive cor­ dialité, ils pren ­ n en t cela pour les inco nv en an­ ces d ’une fami­ liarité qui se mé­ prend, pour les cris di sc or dan ts d ’une m u lt i tu d e qui ne voi t pas encore à quelles r e s p e c t a b l es

personnes elle

s ’adresse. Ces

(22)

sept pe rs o nn ag e s donc n ous cou do ient s ans s e u le m en t pa­ raître nous apercevoir. Enfin, vient un gros papa français et sa fille. Ce bon monsieur, occupé q u ’il e st à t em pê te r contre les cailloux qui i n ­ qui ète nt ses ja m b es , s ’inter ­ r o m p t t o u t exprès pour no us faire un amical salut. C h a r ­ més de sa b o n n e grâce, n o u s lui a p p re n o n s en ret o u r que t o ut à l’heure, sorti de cette A r a b ie Pétrée, il n ’a u ra plus q u ’à suivre les faciles con­ t ou rs d ’un sentier parfaite­ m e n t frayé.

D a n s les contrées sa uv ag es on renco nt re des spectacles

Une b lanche ég lise qui é m e r g e de la verd ure

(P. 40.)

d o n t le contraste fai tv iv em en t ressor ti r la riante grâce ou la paisible aménité. Ainsi, au d é to u r d ’une roche, et au m o ­ m e n t même où l’on vient d ’être frappé par l’aspect sai­ s is s an t de ce col stérile et pierreux, le regard to mbe sur une suite de petits lacs c h au ­ d e m e n t encaissés entre des e sc ar pe m en ts san s rudes se ; l’un d ’eux ba ign e une plage basse, d o n t le sable ridé reluit au soleil. Qu e cette onde tranquille, que cette paix ré­ jo uie p ara iss en t ici comme

une fortunée et hospitalière ren c o n t re ! .. . E t puis tou t à coup cette scène change :

(23)

en-core le morne, et à la joie de 1 ame a succédé le frisson du c œ u r : c’est un e nu e qui passe. Au tr e contraste qui n ’est pas moin s subit, ni mo ins vif. S u r ces so m m ité s, en effet, bien a u t r e m e n t que da n s nos plaines, la ph y sio no m ie des sites varie

avec ch aque vi cis sit ud e du

vent, de la nue, d u firmament, et — en mêm e t e m p s que les ch an g ean tes apparences du ciel s ’y reflètent comm e d a n s u n m i­ roir fidèle,— le voyageur à cause de son isol eme nt sa n s doute, à cause a uss i de la sévérité inac­ c o utu m ée des spectacles, s ’y trouve p u i s s a m m e n t im p r e s­ sionné par tou tes les nuan ces

Deux p etite s filles p rien t devant une rustique im ag e de la V ie r g e . (P. 43.)

de ces variations. D u reste, su r le point d ’y arriver, et lorsque, près de s ’e n g ag e r d a n s les a n ­ fractuosités du col, on jette un regard en arrière de soi, l’on jo ui t alors, au delà et par-des su s du col du F e r r et , d ’une vue splendide. C ’est le Mont-Blanc, le Géant, le Jor as se , toute une armée d ’éclatants satellites qui, des h a u te u r s de l’espace, s e m ­ blent à la fois d o m i n e r la terre et br av e r les d e u x . . .

Cet aspect est particulier, peu c o m m un . Rien n ’est plus différent, en effet, q u a n t à l’i m ­ pression q u ’on en reçoit, que cette v ue de la h a u te chaîne ob­ servée d u col de Balme, par

(24)

exemple, ou de toute a ut r e s o m m it é d ’où le regard peut en suivre le m a je s tu e ux profil, des glaces j u s q u ’a u x forêts, du faîte j u s q u ’aux c h a m p s p a r ­

semés d ’habitations, et cette mêm e vue observée par-de ss us des e n t a s s e m e n t s de cimes prochaines qui en m a s q u e n t les flancs boisés et la base ve r­ doyante. C ’est alors le mo nd e merve illeux isolé du m o n d e ordinaire, et l’on dirait, flottante d a n s les plages de l’air, un e cité de d ô m es étincelants, de m in a r e t s em po ur p ré s, ou encore un de ces déserts tels que l ’i m a g in at io n seule peut se les créer, où au sein de l’éternelle stérilité, et comm e sous la malédiction du T r è s - H a u t , de so m p t u eu s es ru in es ici se dr es se n t en p a ns colossaux, en frustes colon­ nades, là repos ent en obélisques couchés et en ch apiteaux gisants. E t p o u r le re g a r d lui-même, seul voy ag eur qui visite ces in ab or da b le s m e r ­ veilles, il lui faut, p ou r y atteindre, p a rc o u r i r ces cimes prochaines, ras er ces v a g u e s de pierre qui

ne p o r t e n t que des débris de f ou d re ; il lui faut escalader des arêtes hérissées de d e nt s et de pics, des parois d ’une roide nudité, en sorte que la riche désolation des approc hes annonce, présage, re­ hausse la su b l i m e s p l e n d e u r des a u g u s t e s déco m­ bres.

Mais c’est assez no us a r r ê t e r s u r ce col. Au plus ha u t po in t du passage, notre g ui de J e a n Payod décharge la m u le et n ou s fait rep re ndr e nos sacs. E n vérité, c’est to ut plaisir, t a n t on se sent fort et agile d a n s ces contrées éthérées, t a n t aussi l’on aime à so u l a g e r le bon anim al ; car cette mule marche in c e s s a m m e n t chargée, le long de sentiers difficiles, et, ce qui est bien plus cruel, au trave rs d ’herbages g r a s où elle voit paître ses co mpagnes sa ns q u ’il lui soit p e rm i s « d ’en to n d r e la large ur de sa l a n g u e . . . » A h ! il m a n q u e que lque chose a u x mules, a ux j u m e n t s , a u x bœufs, a u x ânes, à to us ces ser vi teu rs de m o n t a g n e ou de métairie,

(25)
(26)

c’est de p ouvoir c o m p re n d re ces v raies am itié s ou du m o in s ces sy m p a th ie s q u ’ils font naître,

L a c h a p e lle de T ell. (P. 43.)

ces ch audes reco n n aissan ces q u ’ils in sp ire n t ! D u col de F e n ê tr e j u s q u ’à la g o rg e du S a in

t-B ern ard , n o u s ne faisons q u ’une c o u rs e ; to u t à l’heure voici le lac, et su r la rive opposée les b âtim en ts, les chiens, le seuil. A peine en trés, n o u s n o u s tro u v o n s p e rd u s au m ilieu d ’une foule si­ lencieuse qui encom bre les v a stes co rrid o rs de l’hospice, et les sons de l’o rg u e v ie n n e n t frapper notre oreille. C ’est la fête du couvent. A rriv é d ’hier, l’évêque de S io n officie en p e rso n n e,e t e n v iro n sep t cents fidèles accourus d ’Aoste, du Valais, de F r ib o u r g , p rie n t d e­ bout, éco u ten t agenouillés, ou a s­ sis, p ar rangées, s u r les escaliers, refluant ju s q u e d a n s l’étage su p é­ rieur. Oh ! le pitto resq u e specta­ cle ! D es vieillards, des petits garçons, des je u n e s filles, des mères, to u te s les poses de la dévotion

(27)

naïve, du recu eillem en t craintif, de l’h u m ilité | se figure donc une tro u p e d ’affamés com m e nous sincère et respectueuse.

Ce n ’est q u ’après avoir en qu elq u e sorte a ssisté à l’office que nous g a g n o n s le réfectoire où nous a tte n d u n de ces dî­ ners com m e on n ’en fait q u ’au couvent du g ra n d S a in t- B e r ­ nard, c’est-à-dire sav oureux d a n s leur simplicité, et san s ra p p o rt au cu n avec les so m p ­ tu o sité s so u v e n t frelatées des tables d ’hôte. Ce so n t des po­ tages su ccu len ts et bourgeois to u t ensem ble, de g ro sses vian d es cuites d a n s leur jus,

des p o m m es de terre e x q u ises vevey. (p. 43.)

de q u alité et d ’apprêt, un plat de fru its cuits, et, l’étions, v e n a n t s ’a b a ttre su r des m ets de cette pour dessert, des noisettes et du fromage. Q u ’on sorte 1 S a n s co m p ter que linge, verres, ustensiles,

(28)

to u t est net, propre, en g a­ g e an t, com m e se rait d a n s un j o u r de fête la table d ’un riche ferm ier, sa n s co m p ter le bon Père qui est là p o u r veiller su r votre bien-être, to u t en vo u s e n tr e te n a n t de cho­ ses in té re s sa n te s avec cette sim p licité h o s p ita ­ lière et am icale qui v a u t à elle seule to u te s les ci­ vilités du m onde. Ce bon accueil p ro d ig u é sa n s dis- stin c tio n d e p e rso n n es n ’a pas plus varié au S a in t- B e rn ard depuis des siè­ cles que le roc s u r lequel

cet . hospice est assis. M ontreux. (P. 44.)

A ussi, — et l’on oublie quelquefois de le re m a r­ q u e r ,— m algré le ch an g e­ m en t fréq u en t du p e rso n ­ nel, et q u o iq u e la règle de leur o rd re ne soit pas ri­ gide, il n ’y a pas de reli­ g ieu x au m onde qui jo u is ­ se n t d ’une plus u n iv e r­ selle et plus légitim e con­ sidération. B raves et d i­ g n e s disciples de Jé su s - C hrist, zélés serv iteu rs de to u s !

U n jeune hom m e dîne avec nous. C ’est un com ­ m is-voyageur. Bon catho­ lique, il n ’est point b a­ vard, ne sen t ni le brûlot,

(29)

ni le vaudeville, ni la ro­ mance, ni le calem bour, et il porte a u x o b jets du couvent, n o u v e au x po u r lui, un in té rêt intelligent et sérieux. Bien plus, à S im o n d Michel, qui, à propos de grec, lui dit re­ g r e tte r le tem p s et la peine q u ’il a em ployés à a p p re n d re cette langue, ce je u n e hom m e, ce com ­ mis en toilerie, répond que, p o u r lui, il se loue de l’a v o ir apprise, et que tous les jo u r s il a l’occasion d ’o b serv er q u ’in d ép e n ­

d a m m e n t des a u tre s

a v an tag e s très réels qui

so n t le bénéfice naturel de to u te espèce d ’in stru c ­ tion, les choses de sa p ro ­ fession lui so n t facilitées p ar l’ind irect développe­ m en t d ’intelligence q u ’il d o it a u x exercices d o n t sa co n d itio n an té rie u re d ’é tu d ia n t lui a a ssu ré le p rivilège... N o tre m aître le félicite et S im o n d ne conteste plus ; m ais il c o n tin u e de p c n s e re n lui- m êm e q u ’avec cela le grec n ’est pas au n o m b re des exercices in tellectu els qui o n t ses préférences. D u ­ ra n t cet e n tretien , nous voyons par les croisées

(30)

>> ivxsÿ;

'■MU0 &IC

les g e n s de la m esse qui, au s o rtir de l’église, v o n t | recoins ab rités contre le v e n t et exposés au soleil. Là, les u n s jasen t, les au tre s som m eillent, q u e lq u e s - uns c aressen t les chiens, d ’au tre s r e g a rd e n t faire. C ’est un ta ­ bleau charm ant.

Je a n P a y od no u s a parlé des C henalettes. C ’est une cime, en face à peu près du seuil d u couvent, d ’où l’on jo u it, su r la g ra n d e chaîne, d ’une vue analo g u e à celle que n o u s avons ad m irée ce m atin, m ais beaucoup plus étendue. A u s sitô t après dîner, n o u s nous a ch em in o n s po u r faire cette expédition. A h !

A em sigenaip. (p . 44.) m ais c’est ru d e ! et au lieu

(31)

com m e des m urailles, p ar lesquels on s ’élève de ] supplié p ar cinq de ses c o m p a g n o n s les p lu s agi- replat en replat. G are la

p rétan tain e ! A la fin, voici un p rem ier pla­ teau, avec des blocs p o u r s ’y asseoir et de la neige rouge p o u r s’en faire des g ranites.

D e ce plateau l’on voit la cime : les pères d u couvent y o n t élevé

u n e pyramide. M ais

on voit aussi l’escarpe­ m en t par lequel il faut y p arvenir, et, à ce spec­ tacle, notre professeur

renonce d ’em blée a u x Un roulier pesamment chargé‘ (P' 42<)

C h e n a le tte s .ta n t p o u r lui que po u r to u t son m onde. les et les p lu s ag u erris, il se laisse aller a a utoriseï A la fin p o u rta n t, persu ad é par Je a n P ayod, et l’expédition, m ais seu lem en t po u r ceux-ci, et en

(32)

se réservant, p o u r p lu s de sûreté, d ’en faire lui- m êm e partie. O n part. Ce so n t d ’a b o rd des éboulis de g ra n d e s roches feuilletées qui b ascu len t sous les pas, ou qui, une fois votre p erso n n e dessus, se m e tte n t à d escendre le plus vite q u ’elles peuvent. Ce so n t en su ite des ram p es n u es qui plo n g en t d ro it d a n s la neige rouge, puis un p rem ier g ra n d couloir... D ès ici on flageole, et l’on crie: A u diable les C h en alettes ! A lo rs n o tre m aître ré tro g ra d e ; m ais v o y a n t ses cinq com p ag n o n s parfaitem en t en train et J e a n P ayod sa n s in quiétude, il les laisse p oursuivre, p o u r s ’occuper san s délai de reg a g n er le plateau, en év ita n t toutefois d ’y a rriv er tro p v ite p ar la voie des roches feuilletées. S u r le p lateau to u t v a bien. L ’on dresse la lunette, et p e n d a n t que chacun à son to u r su it avec anxiété les p ro g rès de l’expédition, arrive, seul et boiteux, u n A n g la is. A peine cet A n g la is a-t-il eu le tem p s de co m p ren d re ce d o n t il s ’agit, que le voilà qui

s ’ach em in e to u t seul p o u r la Chenalette. N o tre

professeur qui en revient n'en revient p a s !

A près q u ’on les a p e rd u s de vue d u r a n t une dem i-heure, nos gens rep a raissen t : six petites quilles qui défilent su r le bord d ’un précipice. P e n d a n t q u ’ils s ’e n t r a i d e n t p o u r descendre avec précaution ce q u ’ils o n t g ravi avec ardeur, l’A n ­ glais seul et boiteux rep araît aussi. T o u t tr a n q u il­ lem en t il zigzague, il glisse, il saute, il rampe, ta n t et ta n t q u ’il arriv e en bas san s mal ni d o u ­ leur par sa route à lui, et au m êm e in s ta n t que les au tres, qui so n t bien éto n n és de le revoir en vie. E n effet, arrivé su r la C henalette, ce sin g u lier h o m m e y a fait d ev an t eux des im p ru d e n ce s à rem p lir d ’effroi Je a n P ayod lui-même. Voici : de cette cime étroite qui se dresse a u -d e ssu s d ’un précipice épouvantable, il s ’est h asardé à passer d ’une en jam b ée su r u n e arête to u te voisine et un peu inférieure ; p u is de là, p o san t un pied s u r des

(33)
(34)

rocailles en saillie, se c ra m p o n n a n t des m a in s à | penché su r l’a b îm e... A lo rs Jean Payod et ses co m p a g n o n s se so n t fâchés to u t rouge, puis, n ’y p o u v an t rien, ils o n t p ris le p arti d ’a ­ b a n d o n n e r à sa d e stin ée cet éq u ilib riste obstiné. T o u s e n ­ sem ble n o u s red escen d o n s au couvent.

P a r un beau tem ps, le pla­ teau où est situé le couvent p araît plus ria n t encore que sauvage, s u r to u t à l’h eure du soir, q u a n d le soleil couchant dore de ses paisibles feux ces m êm es roches qui, d a n s les j o u r s nuageux, a ttr is te n t le regard par la froide c ru d ité Le < soleil sauvage ». ( p . 4L) de leur tein te verdâtre. P e n ­

(35)

p lu p art des pèlerins o n t repris le chem in de leurs | ce tem ple disp aru , de ces débris, de ces briques,

vallées, en so rte que, au m ou ve- ■ ________ _______________—3^ ==^=^

m en t d'il y a q u e lq u e s h e u re s a succédé ce calm e qui se m arie si

bien a u x douces im p ressio n s

d ’une belle soirée : aussi m et­ to n s-n o u s à profit les in s ta n ts p o u r aller visiter, à l’a u tre e x tré ­ m ité du lac, la place où s ’élevait n aguère un tem ple de Ju p iter. Le sol, en cet e n d ro it seulem ent, est to u t parsem é de briques, et les Pères, au moyen de quelq u es fouilles q u ’ils y o n t p ratiquées, en o n t ex trait u n e q u a n tité assez considérable d ’ex-voto, de s ta ­

tu e tte s de m édailles qui réu n is Q uels jolis v a p e u rs fendent l ’eau com m e des h iro n d e lle s! (P. 45;)

au couvent, y fo rm en t un in té re s sa n t p etit musée. voici un de nos c am arad es qui d éterre une broche E t com m e n o u s so m m es à n o u s e n tre te n ir de en bronze, un a u tre qui ram a sse une m o n n aie

mit jwl? -r w ■ R PR . I ISBEæi m.

I

m œerjr*. ■ 'ôZj~JeTi

(36)

-ro m ain e... A l’œ u v re alors, et chacun de fouiller. N o u s y b riso n s nos piques,

m ais n o u s ne tro u v o n s plus rien.

A u re to u r de cette p ro ­ m enade, nous so m m es bien é to n n és de re n c o n tre r d a n s ces p a ra g e s un to u riste baigneur. O ui ! deu x A n ­ g lais qui v ie n n e n t d ’arriv er de S a in t-R e m y , to u t tre m ­ pés de sueur, v o y a n t le lac, s ’y so n t vite p longés com ­ m e deu x c an a rd s polaires q u ’ils s o n t.D a n s ce m o m e n t ils g a g n e n t l’hospice, où à

peine en tré s l ’un d ’eux G ietsch.

to m b e à la renverse, roide comm e u n e b arre et froid com m e un glaçon. V ite les P ères l’en to u re n t,

on le relève, on le porte d a n s un lit, on le réchauffe et il s ’en tire, m ais à g ran d ’- peine,et parce q u ’il a trouvé à tem p s les soins les plus em pressés et les m ieux en ­ tendus. Q ue ce canard-là eût fait son plongeon d a n s u n lac solitaire, à deu x ou tro is lieues de to u t chalet, à six ou h u it lieues de toute m aison bien p o u rv u e de lits, de comestibles, d ’u ste n ­ siles, et, su rp ris loin de to u t secours p ar cette m ortelle atteinte, il serait parti p o u r l’a u tre monde. E n vérité,

(P. 44.) l’on y va p o u r m oins que

cela. L es P ères nous o n t conté que, de loin en loin et en plein été, ils tro u v e n t m o rt a u p rè s de quelque

(37)

source voisine q u elque vieillard m isérable, q u e l­ que m e n d ia n t crétin. Ces

m alheureux, déjà épuisés par la m aladie ou affaiblis p ar la m au v aise n o u rritu re , m o n te n t péniblem ent, a t­ te ig n e n t à cette fontaine d ’eau glacée, y boiv en t san s retenue, s ’assey en t au p rès et ne se relèvent plus.

Cet in cid en t,e n re ta rd a n t l ’h eu re d u souper, ne nous ren d que plus féroces à l’e n d ro it du po tag e et des g ro sses v ia n d e s.O n to rd ,o n croque, à qui m ieux mieux,

et d ’a u ta n t p lu s q u e voici ch au x -d

e-des a rriv a n ts qui, non m o in s affam és que nous, a t­ ten d e n t p o u r p o u v o ir se m ettre à table que nous

en soyons sortis. On leur cède la place, et le g ro s de n o tre arm ée s ’en va d o r­ m ir ; m ais le v aillan t p ro ­ fesseur et le guide, m oins su jets à ces a p p e sa n tis se ­ m e n ts de pau p ière qui exi­ g e n t une p ro m p te et im m é­ diate retraite, d e m e u ren t d a n s la salle. N ’est-il pas bien vrai que ch aq u e âge a ses plaisirs, et que ceux du p rem ier âge v alen t parfois ceux de l’âge m ûr? Ce n ’est p o u rta n t pas l’avis de no ­ tre m aître directeur, d ’après q ui d o rm ir est délicieux

Fonds, (p. 44.) sa n s do u te; m ais, la jo u rn ée

finie, veiller en s ’e n tre te n a n t, p ro lon g er la soirée au coin du feu, et cela à l’hospice du g r a n d S a in

(38)

t-B ernard, à l’h eure où de m o m e n ts en m o m en ts- | veille agréable, récréative, utile et bien remplie. A u couvent, s o rtir d u ^ lit n ’est pas a m u s a n t. M urailles, planchers, tables, u stensiles, to u t est froid com m e une roche à l’ombre. D e plus, au lieu des sérénités rad ieu ses de la veille, la pluie fouette les vitres des croisées, et le v e n t balaye le col. Quel d o m m a g e ! M ais il ne se rt à rien de s ’apitoyer s u r le m au v a is tem ps. Le plus pressé, c’est de déjeu n er bien vite, car deux, trois, q u a tre caravanes a tte n d e n t que n o u s ay o n s li­

ce port de Nyon, (p. 44). béré la table p o u r pouvoir

a rriv e n t des caravanes de touristes, est préférable encore. N u l som m eil, estim e-t-il, ne v a u t une

e n tre r d a n s la salle et d é jeu n er à leur tour. V e rs neuf heures, le te m p s s ’éclaircit. N o u s en

(39)

profitons p o u r p re n d re congé des Pères et po u r | d ’e n tre p re n d re ici une prom enade, no us l’a tte n - nous m ettre en route. M ais

une fois en g ag é s d a n s cette a n tiq u e voie ro m ain e qui serp en te d a n s la g o rg e su p é rieu re d u S a in t- B e r ­ nard, la pluie recom m ence de plus belle, et, au lieu des d iap h a n es clartés de to u t à l’heure, ce ne so n t a u to u r de no u s que g rises nuées ou tris te s noirceurs. C ependant, d errière nous, un b ru it de pas se fait en ten d re. C ’est un v ieux de roche, trapu, cam ­ bré, l’œ il franc, la figure ou ­

verte, et qui, m a rc h a n t à la L es G rands M ulets. (P. 44.)

bonne, fait re te n tir sous ses souliers ferrés les d o n s pour lui a d re sser quelq u es q u e stio n s su r la d alles de la chaussée. D ésireu x que n o u s so m m es route : « Je ne la sais pas m ieux que vous, nous

(40)

répond-il, mais, en m o n tag n e, il n ’y en a pas deux, c’est où le chem in passe. » A u sens et au to u r de cette réplique, n o tre p ro fesseu r s ’approche de lui et p o u r co n tin u er l’en tre tie n : « Ces m o n tag n es, reprend-il, s o n t bien pauvres; cep en d an t ne pensez- v o u s pas que les g e n s s o n t h eu reu x ici a u ta n t q u ’ailleu rs ? — P o u rq u o i non ? E n ce qui est du c o n te n te m e n t de vivre, le bon D ieu n ’a pas deux m esures, u n e p o u r la plaine, une p o u r les h a u ­ teurs. » P u is s ’a rr ê ta n t : « Tel que v o u s me voyez, je suis T o b ie Morel, d ’en d e ssu s de R o m o n t. E n l’an de misère, l’an 1870, j ’allai tre n te lieues p lu s bas que P a ris p o u r y recueillir la succession de m on aîné, d ’où je revins en d o n n a n t le to u r p ar les cam p ag n e s et p ar les villes. E n ai-je v u là du nouveau, et puis du nouveau !... E h bien 1 rien ne v a u t le natal p o p r y vivre et encore m ieux p o u r y finir !... E t tenez, q u an d , d ’aisé que j ’étais, cette succession m ’e u t fait riche, je p o u v ais m ’aller

é la rg ir à F rib o u rg , à P aris, quoi !... M ais on n ’em ­ porte pas son natal, m ’ai-je dit, et j ’y suis resté. — E t avez-vous des e n fa n ts ? — U n e fille, sa n s plus. — E t v o u s venez du co uvent ? — Bien sûr. J ’avais to u jo u rs eu l’envie d ’y v e n ir prier, si bien que, chaque année, j ’en ren d a is tém o ig n ag e au Père qui fait la quête. L ’a u tre n u it donc, a y an t le rein pris, com m e vo u s savez que la m arche rem et, j ’ai d it en m oi-m êm e : T obie, il te faut profiter d ’y aller. A lo rs m ’é ta n t levé s u r six heures, j ’ai dit à la femme, sach an t q u ’elle serait mal contente: P a s de raisons, c’est résolu, je vas au co uvent : a v a n t cinq j o u r s je serai de retour. S u r quoi je suis parti, et m e voilà. L à -h a u t, ils m ’o n t fourni d ’im ages, et je leu r ai d it : A la q u ête prochaine, si vo u s allez d escen d re chez Je a n M orel et pas chez moi, j ’en aurai rancune. Le q u ê te u r m ’a prom is de v e n ir me voir, et bien s û r que je lui v erserai de m on m eille u r ! J e le lui dois bien ! »

(41)
(42)

ww

Tel est le d isc o u rs de T o b ie Morel, non pas inventé, non pas changé, m ais recueilli tex tu ellem en t et su r le che­ m in lui-m ê­

me, car peut- on d ire m ieux q u e T o b ie M o - rel, et allier à a u ta n td e clar­ té plus de na­ turel ! E t au lieu q u ’on se lasse so u v e n t de l’entretien

d ’un beau par- Lcs Moulins de

leur qui revêt des idées m êm e h eu reu ses de formes

c o n v en tio n n ellem en t irréprochables, peut-on s ’e n ­ n u y er d a n s la co m p a g n i e d ’u n paysan qui présente les siennes, même com ­ m unes, so u s des formes frustes et in- apprises, m ais expressives et bien trouvées, de telle sorte que sa parole n ’est p resque plus q u e du

la Morl' 11 " 441 « sens, » m ais

(43)

que p a rt cette in g én u ité respectable, qui, toute b ienveillante, to u t hos­ pitalière q u ’elle soit, ignore n é a n m o in s l’a rt de se taire p o u r flatter, et n ’a g a rd e d ’im a g in er q u ’on p u isse déplaire à un ho m m e sensé en lui d isa n t ce q u ’il doit sa­ voir. P e n d a n t que nous

so m m es à table, a rriv e n t d a n s L id d e s les deu x to u riste s b a ig n e u rs d ’hier. T o u t m ouillés et con­ ten ts comm e des poissons d a n s l’eau, ceux-ci po u rsu iv e n t leur route. U n autre, qui descend de char, fait retra ite sous un a u v e n t d ’où il considère bien tr is te m e n t la pluie qui tom be, qui ruisselle, qui délaye, qui a tra n sfo rm é en étable la g ran d e rue de L iddes. C ’est q u ’il ne v e u t ni affronter ce

Une vieille a u b e rg e à A em sig en aip . (P . 44.) L es É chelles de la Mort.

P lu s ou m o in s rincés, no u s a rriv o n s à L iddes, où l’on n o u s sert u n e buvette. L ’h ôtesse no u s reco n n aît bien. « C h e r m o n sieu r, dit-elle au p ro ­ fesseur, d ep u is l’a u tre fois v o u s n ’êtes pas rajeuni! H élas ! c’est ainsi que moi : la vieillesse n ’est pas

loin, et to u s nous

m arch o n s c o n tre ... » E n c o re u n e fois, d an s quelle ville de F ra n ce vous d irait-o n avec a u ta n t de ju s te s s e des c ru d ité s si crues, et une h ôtesse encore ? M ais dites toujours, b o n n e vieille, dites com m e le reg ard vous dicte et com m e la d ro itu re v o u s con­ seille. C o

(44)

nservezquel-I !

déluge d a n s un char mal couvert, ni com ­

p ro m e ttre le petit

tra in -tra in de sa di­

gestion en p ren a n t

q u e lq u e chose à l’hô­ tel, ni p a rle r à qui que ce soit a v a n t la fin du jour. P o u r nous, une fois repus, sauve qui peut ! N o u s galo p o n s s u r Orsières, en ne né­ g lig e a n t pas toutefois d ’e x am in er ce qui se présente de joli et de curieux s u r la route : ici, une blanche église qui ém erge de la verdure, là un p o n t bi­ zarre et qui inspire l’effroi, et bien d ’a u tre s sin ­ g ularités.

O rsières, c ’est le b o u rg où a b o u tit le val Ferret. H ie r m atin, si no u s av io n s co n tin u é de descendre,

tu n n el de V (P . 45.)

n o u s y serions arriv és en tro is heu res de tem ps. Ce b o u rg est considérable, florissant, en voie de progrès, a in si que to u te cette vallée. M ais quel tris te pro g rès ! Grâce à lui, au lieu de ces tra n ­ quilles h a m e a u x où le

v o y a g e u r cherche laquelle de ces étables est l ’h ô tel­ lerie, des au b erg es v o n t se construire, des relais s ’é­ tab lir de distan ce en d is­ tance, des p ostillons ju rer, des g relo ts retentir, des fouets claquer, et la poé­ sie s ’e n fu ir éperdue. Ce

couvent, ces Pères, ces

chiens, ces avalanches, ces

frimas, ces périls vo n t

perdre leur auréole de

g ra n d e u r, de solitude, de

tunnel Spycke (P. 45.)

(45)

mystère, j u s q u ’à ce que d ’in d u strie u x tra v a u x et de m ercenai­ res offices, a y an t d ésar­ mé la n a tu re puis rem p la ­ cé le dévoue­ ment, cette pu re flamme de la charité, allum ée là- h a u t il y a dix siècles par le héros de M enthon, com m e su r

un sublim e C ette délicieuse

et inaccessible autel, ait cessé pour to u jo u rs de réchauffer ces vallées et de resp len d ir au loin !...

A S a in t-B ra n ch ie r, n o u s re tro u v o n s I obie Morel qui, retiré d a n s une cuisine, y p ren d t r a n ­ q u ille m e n t le dîner... « L e rein v a déjà m ie u x ,o u i,le rein v a bien, nous dit-il, et voici le so­ leil qui sé­ chera le reste. A votre sa n ­ té, m essieurs, nappe d 'e a u . (P . 44.) C t b O U V O y U

-ge ! » L à-d e ssu s T obie Morel s’a d m in is tre un coup de blanc, puis il se rem et à sa pitance, m an g e an t

(46)

m o d érém en t, san s hâte, par petits q u a rtie rs pro­ prem ent équarris, le g ra s à l’angle et du sel au coin. So b riété friande d o n t les p aysans seuls sav en t le secret, qui, p o u r l’hom m e de sueurs, p o u r le vieil­ lard des cham ps, p o u r le philosophe ru stiq u e, est chose à la fois de tr a d i­ tion et d ’habitude.

Il y a un m arché d a n s les environs, car, au delà de S a in t-B ra n c h ie r, sous le col de Forclaz, nous croisons des bestiaux, des familles, des attelag es qui

rem o n ten t, des m ules Le Saut-du-D oubs. (P. 45.)

m ontées p ar des enfants, parfois un roulier pe­ sa m m e n t chargé. S u r la route, nous ren co n tro n s un g ro u p e de jeu n e s vil­

lageois, m usiciens en

herbe, qui se so n t assis contre une barrière, ont mis bas leur chapeau et s ’égosillent à chanter. A q u elq u es pas d ’eux, des m a rm o u se ts s ’e ssa y en t à l’exercice m ilitaire, avec de longs bâtons, à la fa­ çon des pe tits A lle m a n d s de D a n tz ig ou de F r a n c ­ fort. P lu s loin, d a n s un bois que n o u s trav erso n s, n o u s voyons une jeu n e

(47)

fille arrêtée p ar un g ard e- chasse, qui fouille d a n s ses deu x paniers et retire de l’un d ’eux un petit la­ pin sauvage, pris au piège la n u it précédente. A il­

leurs, c’est une a u tre

je u n e paysanne, envelop­ pée d a n s un g ra n d m a n ­ teau et qui p ara ît s ’ef­ frayer du b ru it in usité que cause le passag e de notre caravane; elle glisse lestem ent hors des taillis. P lu s loin encore, deux petites filles, orphelines san s doute, p rien t dev an t une r u stiq u e im age de la sa in te Vierge. Ce sont,

43

de m o m e n t en m om ent, de nouvelles scènes qui ég aien t le paysage et four­ n issent une in ta rissa b le m atière à nos co n v ersa­ tions.

J e ne p u is m a lh e u re u ­ sem en t rep ro d u ire ici que le c o m m en c em e n t et la fin de m es souvenirs, car ils rem p liraien t un g ro s volume. Toutefois, je vais noter, en passant, qu el­ q u es n o m s p a rm i ceux qui occupent le p lu s de place d a n s m es p e tits ca­ hiers : le pays et la cha­ pelle de G u illa u m e Tell,

(48)

K ru ssn a ch t, T e u fe ls m u n s te r, W itz n a u et sa vaste

Vue de Chillon. (P. 44.)

gare, le golfe de C lärens, L a T reib , C hillon et sa prison d ’É ta t, R eichenau, où L o u is -P h ilip p e fut

quelques m ois professeur, le R utli, A lpnach, A x en b erg .L ü tze la u .G letsc h

et le g lacier d u Rhône, M o n tre u x et sa gracieuse église, N y o n et son port, les G ra n d s M ulets, le S i m ­ plon avec ses curiosités, n o ta m m e n t le « soleil s a u ­ vage », le Col des Roches, la D e n t de J a m a n ; C h au x - d e -F o n d s , A lp n a ec h t.A em - sig en alp et sa vieille a u ­ berge, les É ch e lle s et les M o u lin s de la M ort, etc., etc. J ’allais oublier de m e n ­ tio n n e r les jo lis lacs, qui sont u n e des g ra n d e s « a t ­ trac tio n s » de la S u isse, d ep u is celui des Q u atre- C a n to n s, j u s q u ’à cette délicieuse nappe d ’eau qui

(49)

S j. 'S p V ’J M A ;

précède le S a u t-d u -D o u b s . E t s u r les lacs, quels jo lis v a p e u rs fen d en t les

eau x com m e u n e h ir o n ­ delle ! N o u s a v o n s m êm e vu un vélocipède nautique, chose a s s u ré m e n t fort rare. Q u el spectacle m erveilleux é g alem en t que celui d ’une écluse d a n s la m o n ta g n e, ou d ’une lo n g u e file de w a­ g o n s g ra v is s a n t u n e côte, ou des effrayants tu n n els de l’E sc h , de S p y c k e r et du S im p lo n !

D e cette d élicieu seS u isse où l’on v o u d r a it p ouvoir p a sse r to u te sa vie, n o u s

d escen d îm es co m m e p ar e n c h a n te m e n t j u s q u ’en Savoie. A iguebelle et son gentil lac d ’A

iguebe-lette e u re n t n o tre prem ière visite, et certes le lac

Le golfe de C lärens. (P. 44.)

m érite bien q u ’on fasse ce voyage p o u r le v o ir ! De là no u s filâmes s u r Challes, jolie p etite sta tio n

(50)

th erm ale que cinq k ilo m ètres se u lem en t sép aren t d e C h am b éry . N o u s en fîmes le tra je t par le tram w ay. Les eaux de Challes, très sulfureuses, so n t souveraines, au dire des m édecins, co n tre les m aladies de la peau. E n p e tits g o u r m a n d s que n o u s étions, nous v o u lû m e s les goûter, chose facile, car il y avait des

g obelets à la portée des p ro m en eu rs. Pouah! q uel­ le médecine ! C h acu n de n o u s la cra­ cha avec h o r­ reur. D e C h al­ les, n o u s ne fîmes q u ’un

sa u t j u s q u ’au château de C h ig n in , d o n t les restes so n t encore g ran d io ses et m érite n t bien une visite. E n p o u rs u iv a n t notre route, n o u s tra v e rsâ m e s les ab îm es de M yans, contrée d o n t les formes b izarrem en t to u rm e n té e s co n serv e n t les traces d ’un cataclysm e épo u v an tab le. E n 1248 un é b o u le m e n t précipita d a n s la vallée to u te u n e p artie d u M o n t G ranier, e n sev elissan t so u s ses frag m en ts la ville de

S u r le b ateau au L ac des 4 C antons.

(P . 44.)

(51)

S a in t- A n d r é et seize v illages des environs. C in q mille p erso n n es p ériren t d a n s la catastro p h e. U n e sta tu e de la sain te V ierg e est vénérée à M yans, et attire, le 8 septem bre, de n o m b reu x pèlerinages de to u s les p o in ts de la France.

C e p e n d a n t p lu sieu rs d ’e n tre n o u s faisaient m alicieusem ent observer que la S av o ie ne v alait pas la S u i s s e , q u ’on ne leur m o n tra it p lu s rien qui a p p ro c h ât du M o n t Rose, du B revent, d u Pi- late et de tous ces g ra n d io se s spectacles que le pays de G u il­ laum e T ell leur

avait offerts. P o u r d o n n e r satisfaction à leur a rd e n te curiosité, il fut décidé q u ’on re m o n te ra it la vallée j u s q u ’au tunnel du M o n t Cenis. L o n g u e de 75 k ilo m ètres à peine, cette vallée, encaissée e n tre les A lpes C o ttie n n es et les A lpes G recques, est l’un des coins les plus p itto resq u es de la France. P a r une belle m atinée, le train de M odane dép o sait toute notre caravane à S a in t-P ie rre d ’A lbigny. Au prem ier

V ue de C halles-les-B ains. (P. 45.)

Le col de F orclaz. (P. 42.)

(52)

article du p ro g ram m e figurait u n e visite au châ­ teau de M iolans.

Ce ch âteau se d resse au so m m et d ’u n rocher à pic, à plus de 250 m ètres de h auteur. A u -d e ss u s s ’é ta g e n t les m o n ta g n e s de l’A rclu zas ; en face, de l ’a u tre côté de l’Isère, les m assifs du M o n t Cenis.

V a illam m en t, nos cam arad es se m ire n t à g ra v ir la ru d e montée.

L es c o n stru ctio n s qui s u b s is te n t du château, privées de to its et en partie effondrées, suffisent encore à té m o ig n e r de son an cien n e splendeur. Les ru in e s so n t considérables, m ais a u cu n e pièce n ’est intacte, à l’exception des prisons.

A la descente de la m o n ta g n e, on re g a g n a la gare. U n e su rp rise n o u s y a tten d a it, car n o u s n ’avions pas encore vu les c o stu m e s si p itto re sq u e s des p a y san n e s de ces contrées- D e u x je u n e s filles, des e n v iro n s de Conflans, habillées à la m ode du pays, p ren aien t leur ticket.

L e u r coiffure s u r to u t a ttira it les regards. F o r ­ mée d ’une espèce de serre-tête en étoffe doublée de carton, elle se term in e en pointe s u r le front; cette pointe est g arn ie de larges g a lo n s d ’or qui r e sso rte n t su r une ruche de couleur assez foncée.

N o u s n o u s rap p elâm es alors la bizarre variété des c o stu m e s des fem m es de la Suisse, n o ta m ­ m en t à F r i b o u r g et à Genève.

Le chem in de fer no u s c o n d u isit à Conflans, a u jo u r d ’hui A lbertville, et de là à Aiguebelle, b o u rg de douze cents h a b ita n ts, qui tire sa seule im p o rtan c e des m ines de fer et de cuivre q u ’on tro u v e d a n s ses environs.

L ’aspect du village, assis au m ilieu d ’une vallée cultivée et e n to u rée d ’un cirque de m o n ­ ta g n e s d o n t q u elq u es-u n es très élevées, e st très pittoresque.

B ien tô t après, on fut d e v an t Pontam afrey. A cet endroit, le paysage est ad m irable. L a rivière

(53)
(54)

de l’A rc c o u rt en b o u illo n n a n t s u r un fond de rochers. Le village, resserré e n tre la m o n ­ ta g n e et cette rivière, s ’étend le lo n g de celle-ci, et derrière s’é ta g en t des rochers a b ru p ts. D a n s le fond, les ru in es du c h âteau de T igny.

S u r l’a u tre rive, en face du village, un éno rm e bloc dé­ taché des flancs de la m o n ­ ta g n e barre en partie le lit de l’Arc.

U n peu p lu s loin, la vallée s ’ouvre p o u r se rétrécir en ­ core. A certains en d ro its, les rochers des deux rives se m ­ b len t v o u lo ir se rejoindre, et ne laissen t en tre eux q u ’une

L a D ent de Jam an. (P . 44.)

gorge é tro ite que l ’élévation à pic de leu r g r a n it fait p a ra ître p lu s étro ite encore.

S a in t- J e a n de M aurienne, où n o u s p arv în m es ensuite, est une des plus anciennes villes de la Savoie. L a vallée rian te et fertile au m ilieu de laquelle elle est assise con­ tra s te avec les g o rg es s a u ­ vages de P o n ta m a fre y qui y conduisent.

L a ville conserve de très rem a rq u ab les m o n u m en ts- M ais n o u s fûmes, ici encore, plus frappés par la sin g u la rité des co stu m es des h a b ita n ts que p ar la sp le n d eu r des édifices. Il fau t p o u rta n t citer la cathédrale, où n o u s a d m irâ m e s les m agnifiques boiseries qui o rn e n t le choeur et

(55)

qui so n t j/œ uvre de Mochet, célèbre a rtiste genevois. D e chaque côté se d ressen t v in g t-d e u x stalles, offrant chacune au dos un sa in t sculpté en relief. Le to u t est s u rm o n té d ’une galerie travaillée à jo u r, v éritable dentelle de bois. E n h a u t des stalles, à gauche, le siège épiscopal est aussi en bois sculpté.

A u -d e ssu s de S a in t- J e a n de M au - rienne, la vallée p ren d un aspect de plus en p lu s sauvage. A certain s e n d ro its le spectacle est v é ritab le­ m ent g ran d io se. L es roches s ’éta­ g e n t su r la rive d ro ite en m asses énorm es, crevassées, déchiquetées, to u rm en tées, et p a r-d e ssu s se d res­ sen t les pics n u s et g ig a n te s q u e s des E n co m b res. L a cime de la C roix

des T êtes, qui est la plus élevée, n ’a pas m o in s de 2337 m ètres d ’altitude.

L a co n stru ctio n de la voie ferrée d a n s ces parag es a été une en tre p rise difficile. E lle est livrée à l’exploitation d ep u is 1862, m ais plus d ’une fois le service a dû être in te rro m p u , p ar su ite d ’accidents d u s soit a u x in o n d atio n s de l’Arc, qui en lev aien t les ou v rag es d ’art, soit a u x é b o u le m e n ts qui ve­ naient o b s tr u e r la voie.

U n peu a v a n t d ’a rriv e r à S a in t-Michel, le train s ’e n g ag e d a n s un défilé très étroit, appelé le P a s du Roc. A d ro ite et à g a u ch e de la voie, les ro ch ers se d re s se n t à pic, laissant, e n tre leu rs parois, ju s te l’espace nécessaire au torrent, à la route et au chem in de fer.

A u s o rtir d u défilé, on entre

, Deux jeunes filles des environs de Conflans. (P . 48.)

(56)

d a n s la plaine S aint-M ichel. C ’é ta it jo u r de marché. L a place du vieux village, su r la h au teu r, éta it rem plie de p a y san s v e n u s des cantons voisins p o u r y ven d re leurs p ro d u its. A u m ilieu de la foule, les p a y san n e s de Val- loires, d o n t la vallée a b o u tit à S a in t-M ich el, se d is tin ­ g u a ie n t p a r leur co stu m e p it­ toresque, en m êm e tem p s que sobre et élégant : robe de d rap noir, m ouchoir de soie rouge s u r les épaules, tab lier de soie noire à la taille et croix d ’or su r la poitrine. U n b o n n et de linge, g a rn i d ’ailes im m en ses en dentelle, achève de d o n n e r

à ce costum e un cachet to u t particulier.

E n p a rta n t de S a in t-M i­ chel, no u s tra v e rsâ m e s de n o m b reu ses e x p lo itatio n s houillères et a rriv â m e s à la Praz. L a P ra z est un petit b o u rg sans im portance, m ais to u t près de là se tro u v e la cascade de la Bissorte, jolie chute d ’eau que forme le ru is­ seau de la Bissorte, en sor­ ta n t d ’un ravin encaissé su r les p en tes du m o n t T h ab o r.

Le soir du m êm e j o u r nous étions à M odane, b o u rg de deux mille h a b ita n ts, où l’on voit q u elq u es fab riq u es de laine et de drap. S o n im

(57)

Défilé du P a s du Roc. (P . 51.)

tance ne serait pas g ran d e, n ’éta it sa situ a tio n à l’en trée d u g ra n d tu n n e l d u M o n t Cenis.

L a ro u te d u M o n t C enis a été de to u t tem p s u n e des voies de co m m u n ica tio n e n tre la F ra n c e et l’Italie. C ’est N apoléon I er qui fit o u v rir en 1805 la ro u te carrossable qui, j u s q u ’en 1868, se rv ait encore exclusivem ent au tra n s p o rt des v o y ag eu rs et des m a r­ chandises. E lle a été su p p la n ­ tée p ar le chem in de fer.

D ouze an n ées fu ren t néces­ saires p o u r la c o n stru ctio n d u tu n n el qui devait p e rm e t­

tre de trav e rser d é so rm ais facilem ent la m ontagne.

C ’est à M odane que le che­ min de fer en tre d a n s celle ci ; c’est à B ardonèche, d u côté de l’Italie, q u ’il en sort.

L a dépense totale fut de soixante-quinze m illions de francs ; deu x mille o u v riers furent occupés c o n sta m m e n t au x travaux.

L ’in a u g u ra tio n solennelle de ce tunnel, d o n t l’exécution com pte parm i les p lu s g ra n d s tra v a u x du X I X e siècle, eut lieu le 15 sep tem b re 1871.

P o u r c o u ro n n er d ig n em en t l’excursion, on avait décidé de no u s faire trav e rser le M o n t C enis en voiture, en su iv a n t la ro u te de T h e rm ig n o n , L a n s le b o u rg et Suse.

(58)

A près le déjeuner donc, nous n o u s in stallâm es d a n s un char à bancs, assez inco m m o d e à la vérité, m ais qui, o u v ert de to u s les côtés, p e rm e tta it au x v o y a g eu rs de jo u ir à l’aise du paysage.

— A u moins, s ’écria trio m p h a le ­ m en t un espiègle de la bande, n o u s ne tra v e rse ro n s pas le M o n t C enis com m e des tau p es ; nous le fran ­ chirons com m e A n n ib ai et N a p o ­ léon !

A p rès M odane, le p aysage ac­ q u iert un caractère de g r a n d e u r q u ’il ne sa u ra it avoir en M aurienne, où l’horizon est resserré com m e e n tre des m urailles. L a route m onte in se n sib le m en t s u r le. flanc de la m o n tag n e, côtoyant des ab îm es et

''[offrant à l’œil e n ch an té mille ta- Ibleaux to u jo u rs plus p itto resq u es let plus g ran d io ses.

I

A droite, se d resse n t le glacier de la T ête N o ire et la cime du .G ra n d V allo n ; à gauche, les g la­

ciers du Bouchet, de C havières et de Peclet. D a n s le bas, au contraire, de g ras p â tu ra g e s et les terres cul­ tivées du village de Villarodin. Le village lui-m êm e, collé au flanc de la m o n ta g n e presque à pic, échappe aux regards.

B ien tô t le fort de l’E sse illo n se m ontre. Je té s u r un rocher qui s u r ­ plom be p resque v erticalem en t la vallée de l’Arc, q u ’on en te n d bouil­ lonner au fond de l’abîm e, le fort d o m in e la vallée ainsi que les routes

(59)
(60)

d u M o n t Cenis. S u r la rive d ro ite, tro is forts encore se d r e s s e n t s u r des rochers p o u r g a rd e r les a u tre s défilés. A cet en d ro it, le site est d ’une b eau té sa u v ag e v ra im e n t sai­ sissante. D errière le fort, des glaciers im m u a b le s d resse n t leurs cim es b lan ch es ; au- dessous, un to r r e n t se préci­ pite d u h a u t des rochers et g ro n d e avec furie d a n s le fond de l’abîm e où il va se briser.

O n se se n ta it ém u au m i­ lieu de ces h o rre u rs de la n a ­ ture, auxquelles l ’h o m m e a voulu, semble-t-il, a jo u te r en y év o q u an t l’im age de la g u e rre et de la mort. Le m a rc h é de^St-M ichel. CP. 52.1

L ’E sse illo n dépassé, la

ro u te trav erse une plaine

d ’aspect riant, qui contraste avec la n a tu re to u rm e n té e des paysages que n o u s v e n o n s de

traverser. N o tre équipage

laisse le village de B rasnam , d o n t l’église très jolie s ’élève à deu x pas de la route, p u is trav erse le V e rn a y et b ien tô t Sollières. L a vue, en cet en ­ droit, est m agnifique. L ’ho­ rizon élargi n ’est borné que p ar de lo in tain es m o n ta g n es, d o n t les cimes s ’é ta g e n t en g rad in s. U n e p a rtie de la val­ lée, q u ’on ne p ouvait aperce­ v oir à cause de l’escarpem ent de la route, se découvre a u x

(61)

reg ard s, et to u t au fond ém erge le petit village de S o rd iè res d a n s un site e x trê m e m e n t pittoresque.

B ien tô t n o u s a tte ig n o n s T h e rm ig n o n , g ro s b o u rg de 1.500 hab itan ts, d o n t la m oitié v ien t su r la porte n o u s reg ard er passer. D e chaque m aison un affectueux b o n jo u r n o u s est adressé, et n o u s p ren o n s p laisir à salu er au ssi ces braves gens. D e p u is le percem en t d u tunnel, T h e r m ig n o n n ’a p lu s g uère l’occasion de vo ir des étrangers. E n d eh o rs de q uel­ qu es to u ris te s intrépides, to u s les v o y a g eu rs o n t a b a n d o n n é l’ancienne route, et cet a b a n d o n a p o rté u n coup terrible

a u x p etites in d u s tr ie s d u village qui s ’a lim e n ta ie n t du roulage. Ainsi, ce qui enrichit les u n s ru in e les autres.

U n peu après, la v o itu re descend une ram p e au b o u t de laquelle est L an sle b o u rg , où, s u iv a n t le p ro g ram m e, la cara­ v an e do it loger. D es d e u x côtés de la route, la m o n tag n e, à chaque pas plus haute, se d resse p resque à pic, creusée, dé­ coupée, fouillée d ’une m anière fantastique.

Le g îte ne fut pas trè s confortable d a n s ce p au v re L a n sle ­ bourg, m ais d u m o ins fut-il re n d u agréable p ar l’accueil

N otre-D am e de M yans et le Mont G ra n ie r (P. 46.) Les to u rs de C h ig n in . (P . 46.)

(62)

ch aleu reu x de nos hôtes. N o u s d în â ­ m es de ce q u ’on tro u v a d a n s l’a u ­ berge, et, grâce à un a p p étit form i­ dable, to u t n o u s

sem b la délicieux.

Le soir venu, san s a tte n d re q u ’il se fît tard , chacun g a g n a sa couchette, car il s ’a g issa it le lendem ain d ’être s u r pied de bon m atin.

L a route, au d é p art de L an sle b o u rg , m o n te len­ te m e n t s u r une côte g a ­ zon née d u p lu s ria n t aspect. A m esu re q u ’on s ’élève, l’horizon s ’élargit, et b ientôt l’on jo u it

L ’A rc c o u rt en b ouillo n n an t. (P- 50.)

d ’une v u e sp len d id e : la D e n t P arrach ée et les glaciers de l’A rp o n a p p a ra is se n t au p rem ier plan ; derrière s ’é ta y en t les c o n trefo rts de la T u r ra , et plu s loin encore les cim es d u G ra n d V allon et du G ra n d Roc Noir.

L es p rairies que trav erse la route ne ressem ­ blent p o in t à celles que

l’on voit p a rto u t ; on d ira it un tapis de fleurs. L a flore de cette partie des A lpes est des plus riches.

— D es c h ry s a n th è ­ mes ! s ’écrie l’un de nous.

— E t là, des v éro n i­ ques, des rh o d o d e n ­ d ro n s ! rép o n d un a u ­ tre. T o u t cela pousse à

(63)

l’a v en tu re au m ilieu des herbes folles : c’est m erveilleux 1

L à -d e ssu s n o u s voilà to u s sa u té s à bas du char à bancs, a rd e n ts à fo u rrag e r d a n s la prairie, et c’est chargés d ’énor­ m es g erb es que n o u s reg a­ g n o n s la voiture. C ’est alors un n o uveau p laisir de chercher à classer les fleurs à l’aide de nos co n n aissan ces en botanique.

E n fin la v o itu re a tte in t le plateau, et c’est un cri général d ’ém erveillem ent. A u milieu d ’un cirque de rochers d o n t la base est envahie p ar de m a ­ gnifiques p âtu rag es, s ’étend u n lac d o n t les profondes eaux b leu âtres reflètent les rocs

dé-chiquetés qui, à certains en ­ droits, s ’a v ancen t j u s q u ’à ses bords. Çà et là des chalets et, au milieu, les én o rm es b â ti­ m e n ts d ’un couvent h o sp ita ­ lier, d o n t la fondation rem o n te à C h arlem ag n e. L ’accueil q u ’on no u s fait est des plus bienveil­ lants. S a n s m êm e n o u s de­ m a n d e r qui n o u s som m es, un Père nous c o n d u it au réfec­ toire, où l’on nous sert un dé­ je u n e r frugal m ais su b stan tiel,

et que l’a p p é tit n o u s fait tro u ­ ver délicieux.

E n q u i tt a n t le couvent, une descente rapide n o u s m ène à Su se. Le paysage q u ’on tr a ­ verse est très pittoresque, il

Références

Documents relatifs

Le jeudi suivant, il renvoie son valet à Aoste avec mission de ramener le mulet au prieuré de Séez et d'apporter des lettres au prévôt, à ses confrères et autres personnes,

Au Mont Saint-Michel on peut : - se promener dans le village - visiter une abbaye.. - se promener sur

Saint Bernard lecteur des Écritures : expérience et exégèse Table ronde animée par Dominique Poirel, IRHT, avec P. Patrice Sicard, Faculté Notre-Dame - IRHT, et Gilbert

Voila tout ce que nous favons de bien pofitif fur cette époque: fi nous cherchons à pénétrer dans Pobfcuri- té des premiers tems , nous .n'y trouvons plus que des conjectures,

A l'occasion de ces fêtes, Nous, en vertu de notre pleine Autorité Apostolique, pour augmenter encore le culte d'un si grand saint, ré- pandu dès 1 origine au milieu des

Grâce à l'archéologie, nous avons pu donner une idée assez complète du temple et de l'état du Mont-Joux durant la période romaine ; mais nous sommes bien moins

Nous nous sommes réjoui de cet heureux événement à plusieurs titres, et d'abord à cause de l'amitié que nous portons au lauréat depuis le temps où il fut notre élève, et

1RWDPPHQW OD SURSRUWLRQ LPSRUWDQWH GDQV OD ]RQH UDGLFDOH GH J\SVH FDU JQHXOHV H[J\SVHXVHV HW DXWUHV URFKHV WULDVLTXHV WUqV JOLVVDQWHV FDOFDLUHV GRORPL WLTXHV VFKLVWHX[ HW