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LES AFFAIRES ET L'AMOUR EDITIONS ALBIN MICHEL

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Academic year: 2022

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A F F A I R E S LES

ET L'AMOUR

EDITIONS ALBIN MICHEL

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ALUMINIUM

Prix:

480 F

Éditions Albin Michel

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ALUMINIUM

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PIERRE BERNARD

A L U M I N I U M

ÉDITIONS

ALBIN MICHEL

22, RUE HUYGHENS, 22

PARIS

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Droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays Copyright 1953, by Editions Albin Michel

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A LA MÉMOIRE DE

FRANZ CLEMENT

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En dehors des hommes politiques dont le nom, explicitement indiqué, ap- partient à l'histoire — ou à la légende — les personnages de ce ro- man sont entièrement imaginaires et le choix du cadre — l'Aluminium — tout arbitraire. Toute similitude éven- tuelle résulterait du seul hasard; la volonté de l'auteur n'y aurait aucune part.

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LE SYNDICAT FARINIER

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Peu avant l'ouverture, devant le péristyle que le soleil brûlait déjà, un petit groupe discutait à mi-voix, d'une ardeur contenue, autour du baron Reyffe. Les habitués de la Bourse se seraient volon- tiers arrêtés pour happer quelque bribe de ce conseil de guerre, tenter de peser le souci qui perçait le masque professionnellement impassible du vieux banquier : ils reconnaissaient l'état-major de la Compagnie Française de l'Aluminium, vedette involontaire du jour. Mais l'indiscrétion eût été trop apparente, et l'on se contentait d'observer de loin.

— Je ne comprends pas, disait de la Palombière, ce qui arrive à Farinier : lui d'ordinaire si prudent, presque timoré, se lancer dans cette bataille, sans même avoir tenté de traiter avec nous...

— C'est que Farinier n'est plus qu'une raison sociale, répondait son confrère Périssier. En don- nant la direction de la Financière des Métaux Blancs à Icteau, il s'est inventé un maître. Le Cor-

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saire l'a mis dans sa poche, et s'il a laissé Farinier à la tête du syndicat, c'est parce qu'il faut bien le concours d'une banque. Mais il ne lui permet plus un geste qu'il n'ait d'abord étudié et autorisé.

Icteau a derrière lui les principaux syndicataires, et il faut bien avouer qu'il a une autre classe.

— Dommage, alors, de l'avoir contre nous;

peut-être aurions-nous pu l'utiliser? Qu'en pensez- vous, Reyffe?

— J'y ai songé, la Palombière. Mais j'ai pesé l'homme : il est secret, terriblement personnel, et même chez nous aurait joué contre nous. C'est une force, mais une force mauvaise. Il vaut encore mieux se mesurer avec lui, et l'abattre s'il se peut.

— Le pourrons-nous? Quelle est la masse de manœuvre de Farinier?

— Au plus une dizaine de millions, répondit Reyffe. J'ai fait mon enquête encore ce matin, aussi bien rue de la Vrillière qu'auprès des cour- tiers en banque. En face, nous pouvons mettre sur le tapis quatre fois plus dès maintenant : j'ai mobi- lisé toutes les possibilités des sociétés du groupe.

Du moins en France. Mais voici Juricart : il va nous donner des nouvelles de nos amis étrangers.

Juricart, tout jeune et formé au Quai d'Orsay, était chargé des rapports internationaux. Son dyna- misme, qui l'aurait desservi dans la carrière, lui facilitait les contacts américains; son dandysme l'accréditait à Londres; et les financiers allemands avaient rapidement trouvé le fond sérieux et mé- thodique sous cette enveloppe brillante.

— Les nouvelles sont bonnes : nulle part on ne prend au tragique l'attaque du marché parisien, et il ne se passe à peu près rien sur les autres

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places. A Francfort, le compartiment a débuté un peu faible, mais comme la tendance est ferme, il s'est vite ressaisi et l'on va clôturer aux cours d'hier. Bruxelles vient d'ouvrir sans histoire, Lon- dres ne donne, avant la séance, aucun signe d'éner- vement. Nos associés sont d'accord pour nous ai- der à tenir le choc, et j'ai soixante millions d'ou- vertures. Nous pouvons certainement aller beau- coup plus loin que Farinier.

Reyffe ne se départait pas de son souci.

— Plus loin que Farinier, certainement. Mais pas que Farinier plus le marché. Et, si les infor- mations de la Cote Métallurgique sont sérieuses, même si nous tenons cette séance et encore une ou deux Bourses, nos affaires se trouvent presque toutes en difficultés. Il faut attendre l'avis de Vulpien pour y voir clair.

— Je le connais peu, releva Hughes Wasserstein qui rentrait d'une longue mission en Amérique du Sud. Il me paraît bien jeune pour une telle respon- sabilité, car en somme, nous allons jouer notre va-tout sur sa seule caution. Il me semble avoir entendu parler de lui voici cinq ans, alors qu'il débutait avec notre vieux Tamareau; il n'avait pas une réputation très encourageante.

Reyffe trouva là une occasion d'oublier un ins- tant sa préoccupation.

— En effet. A sa sortie de l'Ecole de Physique et Chimie, il a fait en quatre ans six places dans trois industries différentes : on aurait juré un raté.

Notre vieux Tamareau s'est heurté à Vulpien alors que celui-ci représentait un de nos fournis- seurs; après s'être fait étriller, il l'a pris en estime.

Il nous l'a imposé : je n'en voulais pas. Mais dans

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le montage de notre usine du Puy, Tamareau était noyé et exigeait un second. Notez que Vul- pien n'était pas directeur technique adjoint, que son rôle était apparemment celui d'un secrétaire. Sur ce, notre bon vieux Tamareau meurt d'une embo- lie, et nous découvrons le pot aux roses : un désor- dre inexprimable dans une gestion pour laquelle nous lui faisions entière confiance. Pas un marché qui n'ait deux ou trois avenants verbaux ou clas- sés à la diable; les liasses de dessins elles-mêmes mélangées, et comme Tamareau ne conservait pas longtemps ses projeteurs, allez reconstituer... A ce moment, Vulpien abat son jeu : il a l'audace de réclamer la direction technique, et les appointe- ments correspondants. Par contre, il se fait fort de mettre en marche l'usine à la date prévue. Il fallait en passer par là; lui seul pouvait s'y retrou- ver dans le fouillis dont nous héritions. J'ai craint qu'il n'exigeât un contrat de longue durée : mais sur ce chapitre, il ne se défendit pas : un an lui suffisait, nous dit-il, pour livrer les premiers pro- filés. Je pensais bien me débarrasser de lui dès ce moment. En fait, l'homme avait eu sa chance, a su la saisir, s'en est servi pour faire ses preuves.

Une semaine avant la date prévue, les premiers produits tombaient des machines. Les devis n'étaient pas dépassés. Les hommes, les papiers et les choses étaient clairement en place. Loin de lui tendre un piège comme je l'avais médité, je tenais à me l'assurer, et je lui offris une prime et une augmentation. Alors qu'il s'était montré très âpre un an avant, il réfléchit avant d'accepter : il ne tenait pas, me dit-il, à ce que je fisse un pareil cadeau à son percepteur. Sur sa demande, la prime

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se transformait en une voiture rapide, qu'il utilise davantage pour nous que pour des distractions dont il ne trouve pas le loisir. Quant à l'augmen- tation, il proposa qu'elle fût, d'ailleurs avec un supplément, transformée en un crédit de docu- mentation dont on ne lui chicanerait pas l'usage.

D'un côté comme de l'autre, nous nous faisions un cadeau à nous-mêmes. Son caractère est à la hauteur de sa technique; il arrive souvent qu'il nous tienne tête, et généralement il a raison, dans l'intérêt de l'affaire. Il fait corps avec elle. D'ail- leurs, aujourd'hui, c'est d'un avis technique que nous avons besoin; aucun de nous ne peut le donner, et sur ce terrain, il est incontesté.

Reyffe, en s'animant, avait perdu sa gravité ha- bituelle. Sa haute taille se faisait plus droite, et ses yeux brillaient d'un jeune éclat, contrastant étrangement avec une barbe grise à l'ancienne mode, longue, carrée, soignée. Il s'identifiait vrai- ment avec son groupe d'affaires, vaste et complexe;

son principal actif était, il le savait, cet état-major, minutieusement sélectionné, et dont l'homogénéité amicale était la grande force. Jacques Vulpien était une pièce importante du jeu qu'il menait, et il le sentait soudé comme lui-même à la Fran- çaise de l'Aluminium. La grande différence d'âge avait fait naître un sentiment à demi-paternel, en ce que Vulpien représentait une partie de la conti- nuité de l'affaire, prolongement vers un avenir que Reyffe ne connaîtrait pas, mais dans lequel il sou- haitait que son œuvre prospérât.

Pour atteindre cet avenir, il fallait franchir le présent, surmonter l'orage déclenché par le syndi- cat Farinier — plus précisément, il le sentait

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comme Périssier, par le Corsaire Germain Icteau.

Déjà Bertrand apportait les premières nouvelles de l'ouverture, et elles étaient rudes. Une puissante attaque à la baisse avait été déclenchée par l'ar- ticle de la Cote Métallurgique, en fait sous l'inspi- ration de Farinier, et Bertrand venait demander confirmation des ordres :

— Tenir les cours, quoi qu'il en coûte, répondait Reyffe. Sauf sur les Bauxites, qui ont été un peu gonflées, et où nous pouvons abandonner une di- zaine de points. Pour le reste, si le groupe passe l'orage, le succès de notre émission est assuré. Et si nous devons couler, ne nous attardons pas sur les détails du naufrage. Au moins jusqu'à l'arrivée de Vulpien, pas de changement.

De la Palombière s'inquiétait encore : mais que fait-il donc ? Reyffe expliqua :

— Il eût été presque impossible et très impru- dent de prendre son avis par téléphone. Je lui ai télégraphié d'arriver pour l'ouverture, il n'a en- core que quelques minutes de retard. Et vous savez qu'il conduit comme un professionnel.

— Mieux que la Patronne, en tout cas, sourit Juricart. Elle pilote heureusement mieux ses affaires que sa Bugatti. Un incident venait en effet de les faire sursau- ter. En voulant asseoir sa petite voiture en pleine vitesse au bord du trottoir opposé, une jeune femme avait accroché la bordure de granit, et le pneu avant, sans doute surchauffé par une longue course au soleil de midi, avait éclaté. Les amis de Reyffe avaient déjà identifié Julia Fulton, leur col- lègue au conseil de l'Electrométallurgie des Baux, mais qui n'appartenait pas véritablement au

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groupe. Ses affaires les plus connues gravitaient autour du cuivre; on lui en attribuait de plus discrètes et moins avouables.

La combinaison blanche, d'ailleurs élégante, accentuait le côté masculin de la silhouette, grande et solidement charpentée. Les traits du visage étaient durs, mais réguliers, n'eût été une cicatrice apparente à la tempe, que les cheveux très noirs tirés en arrière découvraient comme par défi. Pour le moment, les yeux gris reflétaient une rage froide, celle de s'être rendue un peu ridicule. Du péristyle, d'ailleurs, on venait à elle, lorsqu'elle eut un mouvement de surprise à l'apparition d'un long cabriolet ponté qu'un coup de frein plus sûr que le sien venait de jeter à côté de la limousine noire de Reyffe. Ce garçon avec lequel, depuis Nevers, elle avait lutté de vitesse, en y mettant quelque imprudence, dont au ravitaillement elle avait admiré la grâce virile, appartenait donc à l'équipe Reyffe? Curieuse, et d'ailleurs fâcheuse aventure!

Elle s'éclipsa.

Jacques Vulpiert, d'autres soucis en tête, ne la voyait pas. Après un bref échange de politesses, Reyffe venait de l'enfourner dans sa limousine, où l'attendait un dossier préparé pour son usage, la clé de cet appel brusqué. Il prit le temps de lire posément, même lorsque les textes — coupures de presse — faisaient appel à des notions familières pour lui. L'intention des auteurs, puis de Reyffe qui avait composé le dossier, comptait autant que le contenu.

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De la "Cote Métallurgique", 23 mai 1935.

« Le seul compartiment un peu faible est celui de l'Aluminium et des métaux blancs, où cepen- dant le volume des échanges est important. Le Progrès Domestique en particulier perd plusieurs points. »

De la " Cote Métallurgique ", 24 mai 1935.

« La tendance qui s'était dessinée hier sur les métaux blancs se précise. Il semble y avoir d'assez importants dégagements. Une interprétation nous a été soumise par une personnalité autorisée : on sait que la Compagnie Française de l'Aluminium prépare une importante augmentation de capital;

les spécialistes du compartiment réaliseraient ac- tuellement pour s'y tailler une part suffisante. Si cette explication est justifiée, elle ne manifeste aucun sentiment défavorable contre la spécialité, bien au contraire. Il y a lieu de noter d'ailleurs que les reculs ont été assez limités, et que certains titres, comme ceux de la Financière des Métaux blancs, restent absolument inentamés. » De " l'Entreprise Minière et Métallurgique ",

28 mai 193 5.

« On a signalé depuis quelques jours une cer- taine animation dans le secteur des métaux légers,

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où des positions à la baisse paraissent prises par d'aucuns, avec peut-être l'espoir d'entraîner le marché. Nous avons voulu faire le point de cette industrie, dont l'importance croît de jour en jour, pour permettre à nos lecteurs, peu sensibles aux remous passagers, mais intéressés par les dévelop- pements à long terme, de former un jugement rai- sonnable.

« Quelle opinion plus autorisée aurions-nous pu recueillir que celle de M. le baron Reyffe? Prési- dent de la Compagnie Française de l'Aluminium, il contrôle à travers cette holding une dizaine d'affaires importantes de la branche : la principale source des matières premières avec les Bauxites réu- nies, à laquelle vient d'ailleurs s'ajouter la produc- tion de la Compagnie des Roches Blanches; la Mi- nière et Métallurgique des Alpes non seulement extrait la bauxite, mais la traite; c'est également à la production du métal que s'intéresse l'impor- tante Electrométallurgie des Baux, dont l'activité s'étend aussi au cuivre; les produits industriels sont préparés par les nombreuses usines de la Société Commerciale de l'Aluminium et pour les alliages par les Fonderies de Bronzes légers; notons encore pour les articles ménagers le Repoussage de Font- du-Cher et pour les sous-produits la Société des Abrasifs et Produits de polissage, qui accessoire- ment exploite aussi ses propres mines. Le groupe de la C.F.A., aux destinées duquel préside le baron Reyffe, dispose ainsi de près de la moitié du poten- tiel français de la spécialité.

« Nous nous sommes intéressés, nous dit le grand industriel, au développement des métaux lé- gers à un moment où ceux-ci paraissaient n'être

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que des curiosités de laboratoire. L'aluminium, bien que très répandu dans la nature, était difficile à isoler et son prix de revient en faisait un métal précieux.

« Voyez où nous en sommes : non seulement dans les produits ménagers, mais encore dans l'in- dustrie mécanique, ce métal, léger mais aussi très peu altérable, remplace progressivement le cuivre, et s'attaque même à l'acier : en construction aéro- nautique, demain dans l'automobile, nous espérons éliminer presque partout le vieux métal. L'avenir nous reste largement ouvert : en mécanique géné- rale, partout où les pièces travaillent à la compres- sion, l'aluminium peut battre l'acier et même la fonte; nos laboratoires travaillent sans arrêt à per- fectionner une métallurgie des alliages qui n'a pas dit son dernier mot.

« C'est d'ailleurs le sens de notre prochaine aug- mentation de capital. Nous entendons développer toujours plus avant une technique qui n'a pas encore atteint sa maturité, et pour cela équiper de nouveaux laboratoires. Le souci national nous guide dans cette question comme les légitimes intérêts des épargnants qui nous ont fait confiance. L'alu- minium est un métal français, non seulement par ses origines historiques, mais parce qu'il traite un minerai, la bauxite, largement disponible dans notre pays, à partir d'une énergie hydro-électrique elle aussi bien française. Le cuivre dépend de mi- nerais étrangers, le fer n'existe que par l'impor- tation de cokes métallurgiques. L'aluminium seul permet notre autonomie.

« Voilà l'avenir, et il ne peut être que brillant.

Quelques incidents spéculatifs, qui d'ailleurs, vous

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avez pu le noter, ne touchent presque pas les socié- tés de notre groupe, ne sauraient ébranler la con- fiance que nous avons dans nos perspectives. » De la " Cote Métallurgique ", 28 mai 1935.

« Les métaux blancs restent lourds. Il est main- tenant apparent qu'un groupe s'est mis à la baisse sur cette spécialité. Le fait que la mauvaise humeur ait gagné le comptant semble laisser prévoir une évolution assez rapide. Nous poursuivons une en- quête pour informer nos lecteurs des raisons de ce mouvement devant lequel la plus expresse ré- serve s'impose. »

De " l'Entreprise Minière et Métallurgique ", 29 mai 1935.

« Une véritable attaque est menée contre le com- partiment des métaux légers. Le groupe Reyffe réagit avec philosophie en rachetant les titres offerts par un marché dont la susceptibilité se ras- surera bientôt. Il est notable que les quelques affaires de métaux blancs dont le service est fait par la banque Farinier sont beaucoup moins offertes : les raisons techniques n'étant pas très apparentes, nous laissons nos lecteurs en tirer leurs conclusions quant à l'origine du mouvement spécu- latif. »

De la " Cote Métallurgique 30 mai 1935.

« Nous avions promis à nos lecteurs une infor- mation objective sur les remous des métaux lé- gers. Les conclusions de notre enquête menée très rapidement mais efficacement seront particulière-

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ment goûtées par eux : elles leur permettront de prendre position, étant mieux informés que leurs concurrents, plus vite et par conséquent fructueu- sement. Car il y a, derrière cette pression à la- quelle a été soumise le marché depuis plus d'une semaine, une bouleversante nouveauté technique, qui fait le plus grand honneur au génie français.

Il va de soi que si nos lecteurs sont ainsi les pre- miers informés, quelques initiés ont pu les devan- cer un peu, mais il est encore temps de prendre rang dès l'ouverture de la Bourse.

« Aujourd'hui, en effet, le professeur Alain Le- bert, qui a bien voulu nous en donner la primeur, fera une communication de la plus haute impor- tance à l'Académie des Sciences, où il représente avec éclat la tradition plus que centenaire de la chimie minérale française. « — L'aluminium, a-t-il bien voulu nous con- f fier, est dans la nature le plus répandu des métaux utilisables en construction mécanique : sait-on assez qu'il est un des principaux constituants de l'argile, que l'on trouve presque partout au niveau du sol?

Voyez quel intérêt il y aurait à extraire l'alumi- nium de l'argile, à se libérer ainsi de tout mono- pole, à remplacer par des carrières très ordinaires les exploitations minières profondes, leurs galeries et leurs machines d'extraction?

« On a certes depuis longtemps songé à utiliser l'argile. Jusqu'ici, les travaux menés essentiellement par les savants allemands — car l'Allemagne n'a pas de bauxite — avaient échoué. J'ai pu parvenir à mettre au point cette nouvelle métallurgie, en dépensant tout juste l'énergie nécessaire à la rup- ture d'une combinaison très stable. Le procédé est

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économique, plus même que l'utilisation actuelle de la bauxite, et je pense que le prix de l'alumi- nium pourra être abaissé de 25 %. C'est donc, au moment où la source de matières premières se trouve considérablement élargie, une extension pos- sible des emplois du métal léger qui serait permise par la diminution de son prix de vente. Mais je ne m'aventurerai pas dans ce domaine qui n'est pas le mien; ma contribution se borne à un nou- veau procédé d'obtention de l'aluminium à partir de l'argile : c'est d'ailleurs le titre de ma commu- nication à l'Académie.

« — Pourrions-nous, monsieur le Professeur, obtenir quelques détails sur votre procédé?

« — Sur le plan scientifique, il va de soi que j'entends conserver la primeur intégrale à mes col- lègues de l'Institut. Mais je pense que c'est l'angle économique qui vous intéresse surtout. Je passe par un colombo-tantalate de colombium et d'alu- minium; le colombium étant un métal relativement cher, j'ai particulièrement traité le problème de la récupération de cet intermédiaire, et j'arrive à un rendement de 99,98 % sur ce corps précieux : seu- lement deux pour dix mille de la quantité mise en jeu sont perdus, soit dans les déchets, soit en al- liage avec l'aluminium dont, à cette teneur, il ne modifie pas les propriétés. L'énergie utilisée est de 1,3 kilowatt-heure par kilogramme de métal pro- duit. Enfin, les argiles les plus vulgaires peuvent être utilisées, sans altérer la qualité du produit. Je n'évalue pas la main-d'œuvre de traitement à plus de vingt minutes par kilogramme : encore n'ai- je pas la possibilité de m'intéresser à cet aspect, uniquement industriel, du problème. Il me faut

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ajouter cependant que les installations ne sont ni complexes, ni coûteuses, ni délicates.

« — Encore une question, monsieur le Profes- seur. La position privilégiée de la France, déten- trice des plus beaux gisements de bauxite, ne ris- que-t-elle pas d'être battue en brèche par l'utili- sation des argiles?

« — Mais bien entendu, avant toute communi- cation, j'ai pris les brevets nécessaires. Je ne suis pas un homme d'affaires, vous le savez, et j'ai con- fié l' exploitation de mon procédé à la Société Fi- nancière des Métaux blancs dont je suis depuis longtemps le conseil. C'est donc bien une société française qui exploitera le nouveau mode de pro- duction, et l'économie nationale en tirera au con- traire une source supplémentaire de richesses.

« Nous exprimons à M. le professeur Lebert nos félicitations pour ses beaux travaux, et aussi les sentiments de reconnaissance que lui doivent tous ceux que passionne le sort de l'industrie fran- çaise de l'aluminium. »

3

Une véritable tornade balayait les marches et le péristyle — la plupart des valeurs du groupe se négociant en coulisse — et ses remous se faisaient sentir à la corbeille, non seulement sur les quel- ques titres mis en cause, dont ceux de la Française de l'Aluminium, mais même sur la tendance géné-

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rale. Les vieux habitués rappelaient la tourmente du platine, autrefois. Des paquets énormes chan- geaient de mains en un instant. Dès l'ouverture, l'article de la Cote Métallurgique manifestait ses effets dévastateurs, et les premiers ordres des spé- culateurs parisiens avaient été renforcés par une vague de fond surgie de la province.

Trois orientations se distinguèrent assez vite.

D'une part, contrairement au pronostic de jeunes teneurs de carnet, les cours de la Financière des Métaux blancs n'avaient nullement enregistré de boom, en dépit de l'avance technique dont son exploitation pouvait se targuer : la tendance géné- rale baissière du compartiment avait très nette- ment freiné son mouvement propre. De l'autre, le groupe Reyffe tenait désespérément ses cours, achetant massivement les offerts en ouverture;

cette résistance avait impressionné les profession- nels, et bientôt les hommes de la Française de l'Aluminium n'eurent plus à faire face qu'aux offres provinciales, mal informées de l'évolution en cours de séance. L'assaut se concentrait sur les va- leurs indépendantes. La Société Industrielle Dar- melin, vieille affaire pourtant, mais dont l'activité était centrée sur la bauxite et son traitement, per- dait plus d'un tiers dès l'ouverture; les Mines et Minières de Longuesaigues, uniquement consacrées à l'extraction et dont les derniers bilans avaient été peu favorables, étaient plus profondément atteintes encore. Le Progrès Domestique avait donné le premier signal du fléchissement (on disait que, même sans ce bouleversement, il eût été en difficulté, son outillage vieilli étant manié par une direction peu prévoyante) et se négociait à des

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cours dignes du marché hors cote, des « pieds hu- mides ». Un fait curieux pour un observateur sans passion était que des sociétés de transformation du métal fussent emportées dans le mouvement géné- ral : elles n'avaient pourtant rien à craindre d'un progrès de la métallurgie proprement dite, et bien au contraire pouvaient-elles espérer qu'un prix plus bas du métal augmentât leur activité. Mais dans un tel orage, les hommes ne raisonnent pas froi- dement, et la Société des Moulages sous pression comme l'Expansion métallurgique — cette der- nière affaire, spécialisée dans l'exportation, devant être au premier chef bénéficiaire — abandonnaient vingt ou trente points. D'autres encore fléchis- saient le genou.

Bertrand vint rendre compte à Reyffe du vo- lume déjà engagé : plus du quart du disponible, et la séance en était à peine à sa vingtième mi- nute. Après un coup d'œil à la voiture dans laquelle Vulpien, sa lecture terminée, compulsait la Cote et jetait quelques chiffres sur le papier, le banquier confirma ses ordres précédents, tout en réclamant une liaison plus fréquente. Mais il ne voulait pas s'éloigner. Vulpien, maintenant, réflé- chissait, quelque étonnement sur le visage. Il allait sortir de la limousine, rendre sa réponse... mais non, il se ravisa et recommença de méditer. Pour l'entourage de Reyffe, la scène était angoissante, étrange aussi un peu. Dans l'orage qui se déchaî- nait alentour, ce petit espace était le seul havre calme, et c'était pourtant là, à leur sentiment, que le véritable drame se jouait. Bertrand était déjà revenu, annonçait de nouveaux engagements fai- sant une large brèche dans la masse de manœuvre,

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et Vulpien ne bougeait toujours pas. Il avait refait quelques calculs, puis rejeté les papiers et fermé les yeux.

Cette fois, Bertrand apportait une information curieuse :

— Je ne sais pas si les cours ont trouvé leur nouvel étiage, mais l'attaque paraît faiblir. Le fait frappant est qu'il y a maintenant d'assez gros ordres d'achat, dont le plus clair passe par Patèse.

Cela méritait en effet attention. Les financiers groupés autour de la limousine n'ignoraient pas que Patèse faisait souvent les opérations de contre- partie de Farinier. Celui-ci estimait-il que l'opéra- tion allait se dénouer en une seule Bourse, et fai- sait-il ainsi, porté par le flot qu'il avait déclenché et qui continuait à recevoir de nouveaux aliments de province, racheter à cours plus bas les titres vendus à découvert avant la tourmente? Les hommes de la Française de l'Aluminium n'eurent pas loisir de discuter cette information : Vulpien bondissait hors de la voiture :

— C'est un énorme bluff, vous pouvez y aller!

Juricart lui-même ne conserva pas intégralement son calme : il s'empara de la main de Vulpien et la serra vigoureusement. En une minute, le plan d'opérations était remanié. Vulpien devait résumer en quelques mots :

— Tous les calculs sont exacts; on peut produire l'aluminium au prix indiqué. Mais à condition de se limiter à quelques tonnes par an... Un rende- ment de 99,98 %, cela représente tout de même deux pour dix mille de la matière perdue à chaque opération : à ce train, les ressources mondiales de colombium seront vite épuisées.

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— Juricart, dit Reyffe, vous allez appeler aus- sitôt le docteur Schwartzhoff à Dresde, lui expli- quer clairement de quoi il s'agit, et lui faire don- ner cette information aux agences. Arrangez-vous pour repasser le fil pendant que vous aurez Schwartzhoff, il faut gagner du temps; le contrage doit venir de l'étranger pour qu'on lui accorde créance. Wasserstein, la Palombière, vous ne serez pas de trop avec Bertrand pour reprendre le groupe en mains. Je reste ici.

Il souhaitait en effet des informations complé- mentaires, que Vulpien, repris par sa jeunesse en- thousiaste, trop souvent comprimée dans ses fonc- tions, lui donnait en style d'étudiant.

— Rien à dire, le calcul était juste. C'est la première chose qui m'ait frappé, ce gadouilleur de Lebert capable de calculer un prix de revient sans même oublier de zéro! Cela ne lui ressemble pas. Et puis, même si le procédé ne vaut rien in- dustriellement — le sait-il, seulement, ce vieux crabe — la réussite scientifique reste, et bien au- dessus des capacités de M. le Membre de l'Institut.

Il arrondissait le geste avec une emphase comi- que. Reyffe, tout prêt à plaisanter lui aussi après la rude tension de l'heure précédente, le ramena cependant à un ton moins irrévérencieux.

— Enfin, l'Académie des Sciences n'est pas une collection de portraits. Vous paraissez en vouloir à Lebert. Que vous a-t-il fait, d'où sort-il, que vaut-il?

— Cela fait trois questions, Président. Procédons par ordre. Que vaut-il? Rien. Que m'a-t-il fait?

Personnellement rien, mais c'est le prototype d'une espèce dangereuse pour nous autres ingénieurs :

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des enseignants, payés par l'Etat (par nous, s'il vous plaît), qui utilisent non seulement le temps ainsi rémunéré, mais surtout le matériel scienti- fique, le personnel d'exécution et les chercheurs en quête d'un titre, pour des travaux industriels qui leur rapportent d'autre part. C'est une con- currence contre laquelle les ingénieurs ne peuvent guère lutter. Et même si ces travaux ne valent pas toujours ce qu'on les paye, faute de contact avec les réalités de la production, la signature publici- taire fait passer la marchandise : exemple aujour- d'hui.

— Mais enfin, vous m'avez dit que Lebert ne valait rien. C'est un jugement sévère, hasardeux si vous êtes seul à le prononcer.

— Tout le monde le sait. Lebert a un mérite, celui d'avoir inventé une sixième façon de se pous- ser dans l'Université. Vous ne connaissez pas le vieux dicton? Il y a trois instruments : la tête, les épaules et... le reste, et deux modes : utiliser le sien ou celui des autres — mais on complète en ajoutant qu'un procédé est exclu, l'utilisation de sa propre tête. Donc, délaissant les cinq voies clas- siques, Lebert a inventé celle du vide. Il a choisi le moment où la vieille et brillante continuité de la chimie minérale française, après avoir donné les plus grands noms au siècle dernier, s'éteignait. Il a préparé sa thèse dans un laboratoire allemand.

Revenu en France pour la présenter, il a eu la chance de trouver un patron qui, tout organicien qu'il fût comme tout le monde, n'y mettait pas de chauvinisme. Et je te présente des notes, et je te rédige des articles. Cela ne valait pas grand- chose, mais les rubriques de chimie minérale étant

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vides, on se contentait de ce que l'on avait. Per- sonne ne disputait la place, elle existait toujours dans les sommaires, et les chaires aussi. Lebert a passé sans combat, sans même marcher sur les pieds des collègues : il n'en avait pas. Et voilà comme on fait un grand homme. Personne ne s'y trompe, mais posez la question vous avez toujours en réponse : par qui voulez-vous le remplacer?

La Palombière vint les interrompre. La commu- nication du docteur Schwartzhoff n'était pas en- core connue, et cependant la résistance se faisait plus sérieuse. Les achats de Patèse déjà n'avaient pas passé inaperçus, et certains emboîtaient le pas.

Comme d'autre part le groupe Reyffe avait mon- tré un optimisme inattaquable, qu'il inspirait davantage confiance que les sociétés indépendantes, c'est surtout aux ordres de vente hasardés de loin sur la C.F.A. et ses alliés que répondait la réaction des professionnels. Ainsi, au moment même où, rassurés par Vulpien, les hommes de Reyffe étaient disposés à racheter tout ce qui s'offrait, un nou- veau problème se posait à l'état-major : le reflux risquait au contraire de faire monter leurs valeurs.

Reyffe décida que le succès de l'émission exigeait une stabilité de roc, contre tous les courants. On revendrait s'il le fallait les titres achetés à l'ouver- ture. Et cela ne ferait pas de mal non plus qu'il y ait encore des remous sur les francs-tireurs. Ai- der à leur redressement, maintenant assuré, pro- curerait certes des gains spéculatifs, mais Reyffe ne glanait pas. Il voyait plus loin.

Tout au moins, il le croyait.

Enfin, l'opération dont avait été chargé Juricart aboutit, un peu avant la clôture : par chance,

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