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La remise du gain : les temps sont mûrs

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La remise du gain : les temps sont mûrs

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. La remise du gain : les temps sont mûrs. In: Werro, Franz. Quelques questions fondamentales du droit de la responsabilité civile : actualités et

perspectives . Berne : Stämpfli, 2002. p. 51-113

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:11794

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La remise du gain: les temps sont mûrs

La remise du gain: les temps sont mûrs

Christine Chappuis

Professeure à l'Université de Genève

Dans le cadre d'un Colloque consacré à quelques questions fondamentales en matière de responsabilité civile, on peut se demander quel est l'intérêt d'une intervention sur la remise du gain. En effet, qui dit responsabilité civile, dit réparation d'un dommage subi par le lésé1 Or, le dommage n'a rien de commun avec le gain réalisé par le lésant. La remise du gain trouve son fondement à l'art. 423 CO qui vise la gestion d'affaires dite imparfaite (unechte Geschiiftsfiihrung ou Geschaftsanmassung) et figure dans le titre XIV' intitulé "De la gestion d'affaires". La révision du droit de la responsabilité en cours fournit l'occasion rêvée de sortir un moyen - potentiellement explosif - de l'oubli relatif dans lequel la pratique l'a laissé, pour consacrer ce qu'il est en réalité déjà: un complément nécessaire à la réparation du dommage. Le projet de révision actuellement en discussion mérite à mon avis d'être élargi à la remise du gain. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'en faire le thème de ma contribution.

Après avoir indiqué les motifs qui devraient conduire le législateur à in- tervenir (1.), j'examinerai quel est le régime souhaitable de la remise du gain (11.), puis terminerai par quelques questions particulières (III.).

1. Pourquoi intervenir?

La doctrine suisse voit depuis fort longtemps le fondement de la remise du gain à l'art. 423 al. 1 CO' et la jurisprudence en a fait régulièrement men-

Voir la contribution de Guy CHAPPUIS dans le présent

o~ge.

Cf. Elias WOLF, Von der Haftung des Schuldners rur den Schaden eines Dritten, in RDS 46 / 1927 283 ss, 313 ss, 315 n. 29-30; Richard SUTER, Echte und unechte Geschiiftsruhrung ohne Auftrag, thèse, Berne 1933, p. 112 ss, 127 s.; H. BECKER,

"Berner" Kommentar zum Obligationenrecht (art. 184-551 CO), Berne 1934, N 2 ad art. 423 CO; Rudolf MOSER, Die Herausgabe des widerrechtlich erzielten Gewinnes (insbesondere unter dem Gesichtspunkt der eigennützigen Geschiiftsfiihrung ohne

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tion dans le premier quart du 20' siècle'. Après une certaine éclipse, la question est revenue à l'ordre du jour dans les années quatre-vingt. Le législateur (A.), la doctrine (B.), puis la jurisprudence toute récente (C.) ont redonné du poids à la remise du gain en tant que moyen ouvert au lésé à côté de la réparation d'un dommage, faisant ainsi apparaître l'interven- tion du législateur comme hautement souhaitable (D.).

A. Les incitations du législateur

La première pierre a été posée par le nouveau droit de la personnalité in- troduit par la loi du 16 décembre 1983, entrée en vigueur le 1" juillet

1985. L'art. 28a al. 1 et 2 CC énumère les moyens spécifiques dont dispo- se la victime d'une atteinte aux droits de la personnalité et, à l'alinéa 3, réserve "les actions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral, ainsi que la remise du gain selon les dispositions Sur la gestion d'affaires". Cette technique du renvoi a été adoptée en toute conscience du fait qu'à l'époque hien des questions restaient controversées, en particulier la définition de la gestion d'affaires et l'exigence d'une faute, que le légis- lateur n'avait alors pas estimé pouvoir trancher4 En une quinzaine d'années, six autres renvois sont venus s'ajouter à celui de l'art. 28a al. 3 CC', démontrant clairement que ce moyen a la faveur du législateur.

Le but poursui vi par ces multiples renvois est de compléter la réparation du dommage que subit le lésé par. une action en remise du gain réalisé par l'autre partie. Les dispositions sur la gestion d'affaires visées par les ren- vois sont les art. 419 ss CO, spécialement l'art. 423 CO. Comme l'a con-

3

4

Auftrag), thèse, Zunch 1940; H. OSER 1 W. SCHONENBERGER, toZürcher" Kommcntar zum Oblig.tionenrecht (.rt. 419-529 CO), Zurich 1945, N 3 ad art. 423 CO.

A TF 26/1900 Il 32, JdT 1900 1 242 (cf. annexe 1); ATF 34/1908 Il 694 (cf. annexe 2);

4511919 Il 202; 47/1921 Il 195, JdT 1921 1503; ATF 5111925 Il 575, Pro 1511926 N.

34 (les trois premiers arrêts se rHèrent à l'art. 473 aCO. qui correspond à l'actuel art.

423 CO).

FF 198211661 SS, 687.

Art. 9 Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD); art. 55 Loi fédérale sur la protection des marques (LPM); art. 62 Loi fédérale sur le droit d'auteur et les droits voisins (LDA); art. t 5 Loi fédérale sur la protection des données (LPD); art. 10 Loi fédérale sur la protection des topographies de produits semi-conducteurs (LTo); art. 12 Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (LCart).

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staté avec pertinence Jorg SCHMlD6, la gestion d'affaires sans mandat ne constitue pas une institution homogène, étant donné que le Titre XIV' règle au moins deux situations très différentes, soit la gestion altruiste accomplie dans l'intérêt du maître et la gestion égoïste entreprise dans l'intérêt du gérant'. Les dispositions de ce titre valent essentiellement pour la gestion parfaite ( altruiste régulière). La gestion imparfaite, quant à elle, n'est rattachée l'ensemble du titre que par les mots "pas moins le droit"

figurant à l'art. 423 CO, seule disposition spécialement consacrée à l'hy- pothèse de la gestion dans l'intérêt du gérant. Cette insertion minimaliste explique que les conditions de la remise du gain ne soient pas clairement déterminées par la loi et qu'elles aient fait l'objet de controverses par le passé.

Par ailleurs, il ne paraît pas très heureux de complèter la rèparation du dommage, fondée sur les dispositions générales des art. 41 ss CO, par une prétention en remise du gain qui trouve son fondement dans la partie spéciale, à la fin d'un titre consacré à la gestion d'affaires, de nature es- sentiellement altruiste.

Le législateur de ces vingt dernières années a montrè la voie: le moment est venu de clarifier les conditions de la remise du gain et de lui donner une place susceptible d'afflfIller clairement son caractère de complément à la réparation du dommage.

B. Les incitations de la doctrine

La doctrine a, ene aussi, montré un regain d'intérêt pour la remise du gain dès les années quatre-vingt. On songe en particulier aux écrits de Joseph

HOFSTETTER' et de François DESSEMONTET pour le domaine de la pro-

8

Jorg SCHMID, Die Geschiiftsführung ohne Auftrag, in Gauch 1 Schmid (edit.), Die Rechtsentwicklung an der Schwelle zum 21. Jahrhundert, Symposium zum Schwciz-

~rischen Privatrecht, Zurich 2001 (cité: Rechtsentwicktung 2001), 421.

La terminologie reste variable selon les auteurs.

Joseph HOFSTElTER, Der Auftrag und die Geschaftsftihrung ohne Auftrag.

Schweizerisches Privatrecht VIl/2, Bâle, etc. 1979; 2e éd., Bâle 2000 (cité: SP 2000);

Le mandat et la gestion d'affaires sans mandat, Traité de droit privé suisse, vol.

VII/II, l, Fribourg 1994 (cité: TDP).

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priété intellectuelle'. Différentes thèses 'o, puis le commentaire zurichois"

ont suivi. Ces divers ouvrages ont clarifié les conditions de la remise du gain et ainsi préparé les décisions récentes du Tribunal fédéral qui seront examinées plus bas.

Bien des auteurs ont mis en évidence le fait que la gestion d'affaires sans mandat en général et la remise du gain, en particulier, étaient mal placées parmi les contrats spéciaux'2 Accomplie précisément "sans mandat", sa place est plutôt dans la partie générale. Plus récemment, on a pu affirmer que la remise du gain méritait d'être revue par le législateur à l'occasion du processus de révision des art. 41 ss C013

François DESSEMONTET, Les dommages-intérêts dans la propriété intellectuelle, JdT 19791322 ss (cité: JdT 1979); le même, L'enrichissement illégitime dans la propriété intellectuelle, in Mélanges M. Kummer, Berne 1980, 191 ss (cité: Mélanges 1980).

10 Beat WIDMER, Veffilogensrechtliche Anspruche des Inhabers und des Lizensnehmers bei der Verletzung von Immaterialgüterrechten (Neuere Aspekte im Lichte der Praxisanderung in BOE 97 Il 169), Bâle et Francfort-sur-le-Main 1985~ Urs LISCHER, Die Geschaftsffihrung ohne Auftrag im schweizerischen Recht, Bâle 1990; Christine CHAPPUIS, La restitution des profits illégitimes, Le rôle privilégié de la gestion d'affaires sans mandat en droit privé suisse, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1991 (cité:

Restitution); Jorg SCHMlD, Die Geschaftsftihrung ohne Auftrag, Fribourg 1992;

Markus NIETUSPACH, Zur Gewinnherausgabe im schweizerischen Privatrecht, Zugleich cin Beitrag ZUT Lehre von der ungerechtfertigten Bereicherung, Berne 1994.

Il Jorg SCHMID, Die Gescbaftsftihrung ohne Auftrag, Art. 419-424 OR, "Zürcher" Kom- mentar, Zurich 1993.

12 HOFSTETIER, SP 2000, op. cit. n. 8, 237 n. to; Rolf H. WEBER, În Honsell / Vogt / Wiegand, Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Obligationenrecht 1 (art. 1- 529 CO), 2' éd., Bâle et Francfort-sur-le-Main 1996, N 2 ad art. 423 CO (cité: BaK- WEBER); Pierre TERCIER, Les contrats spéciaux, 2c 00., Zurich 1995, N 4518;

CHAPPUlS, op. cil. n. 10,42. Voir aussi, ATF 126/2000 III 382 c. 4b.ee, SI 2001 1 1 \3.

J3 SCHMID, Rechtsentwicklung 2001, op. cil. n. 6, 433; Christine CHAPPUIS, Gestion d'affaires imparfaite (Geschiiftsanmassung): du nouveau!, RSDA 2000 20l 55, 204 (cité: RSDA). Rolf H. WEBER, Gewinnherausgabe - Rechtsfigur zwischen Schaden- ersalZ-, Geschaftsfiihrungs-und Bereicherungsrochl, ROS 111/1992 1 333 ss, 360, voit l'intervention du législateur comme l'un des deux teffiles d'une alternative (l'autre tenne étant la reconnaissance jurisprudentielle générale du principe de la remise du gain).

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La remise du gain: les temps sont mlÎrs

C. Les incitations de la jurisprudence

Quant à la jurisprudence, on peut déceler deux phases principales inter- rompues par une décision de principe. Dans le premier quart du 20' siècle, un certain nombre d'arrêts sont rendus en application de l'art. 423 CO (art. 473 aCO) pour attribuer à une partie le "bénéfice" ou les "Einnahme"

réalisés par l'autre partiel4. La gestion imparfaite subit ensuite une éclipse, jusqu'à l'arrêt Merck contre Leisinger" qui, en 1971, marque un revire- ment salué en ce qui concerne les conséquences financières de la violation d'un brevet. Il convient de préciser ici que le gain réalisé par le l'auteur de la violation constituait l'une des trois manières de calculer 1! indemnité à laquelle pouvait prétendre le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle violé'6. La doctrine avait reconnu que la remise du gain relevait en réalité de l'art. 423 COl?, alors que le Tribunal fédéral n'y voyait qu'un poste du dommage dont la réparation était fondée sur l'art. 41 CO. L'arrêt Merck contre Leisinger vient à point nommé clarifier le débat. Suivant les cri- tiques de la doctrine, il reconnaît que dommage et gain sont deux notions à ne pas confondre: le dommage est la diminution du patrimoine que subit le lésé; le gain réalisé par l'auteur de la violation conduit à un accroisse- ment du patrimoine de ce dernier. La délivrance du gain se fonde depuis lors sur l'art. 423 CO et non plus sur l'art. 41 CO. Elle est due indépen- damment du dommage subi par le lésé qui peut être inférieur au gain, voire inexistant. En obiter dictum, le Tribunal fédéral affirme que cette prétention ne suppose pas la faute du lésant".

Cette clarification bienvenue n'a pas rencontré d'écho immédiat dans la jurisprudence'" Peut-être n'avait-on pas perçu concrètement les avantages

" ATF 2611900 II 32, JdT 19001242 (cf. annexe 1); ATF 34/1908 II 694 (cf. annexe 2);

45/1919 Il 202; 47/1921 II 195, JdT 1921 1503; ATF 5lil925 Il 575, Pr. 15/l926 N.34.

IS ATF 97/1971 Il 169 c. 30. JdT 19711612 (res.), confinné par l'ATF 98/1972 U 332.

16 La jurisprudence du Tribunal fédéral accordait au titulaire d'un brevet la possibilité de réclamer la réparation de son dommage (perte éprouvée ou gain manqué), le paiement d'une redevance raisonnable ou encore la restitution du profit réalisé par l'autre partie:

DESSEMONTET, JdT 1979, op. cil. n. 9, 325; cf. aussi, USCHER, op. cil. n. ID, 1.

17 Rudolf BLUM / Mario PEDRAZZJNI. Das schweizerische Patenlrecht. t. Ill, 2e éd., Berne 1975, 558 ss et réf. cit. 561.

18 ATF9711971 II 169, 177-178c.3a,JdT 1971 1 612 (rés.).

19 Sous réserve de l'ATF 98/1972 II 332 déjà mentionné supra n. 15.

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d'une prétention visant l'augmentation du patrimoine du lésant, sans être limitée par le dommage que subit le lésé. Ce n'est que très récemment que la délivrance du gain a refait surface dans trois décisions de l'année 2000.

La première, rendue en janvier 200020, attribue au bailleur les profits résultant d'une sous-location postérieure à l'extinction du bail, renversant par là une jurisprudence datant de 191521. Un deuxième arrêt, non publié, également de janvier 200022, fonde sur l'art. 423 CO l'obligation pour un représentant post mortem de restituer à la succession les avoirs qu'il avait retirés des comptes bancaires du de cujus. La troisième affaire, tranchée en juillet 2000, concerne une violation de droits d'auteur'3 Le Tribunal fédéral y précise les conditions de la gestion imparfaite et tranche la que- stion de la prescription de la prétention en remise du gain qu'il fonde sur l'art. 60 al. 1 CO. Ces trois arrêts retiennent notamment, à juste titre, que seul le gérant de mauvaise foi est soumis à l'obligation de remettre les profits tirés de la gestion.

La jurisprudence a ainsi éclairci plusieurs des questions laissées ouvertes par le législateur en 1983. On notera d'ailleurs avec intérêt que le Tribunal fédéral24 s'est fait l'écho de l'appel au législateur exprimé par la doctrine.

D. Conclusion

Tout converge. Le législateur, la doctrine et la jurisprudence incitent à revoir la question de la remise des profits. Il s'agit donc de profiter du mouvement de réflexion générale entamé en rapport avec la révision du droit de la responsabilité civile, qui englobe à la fois la responsabilité pour acte illicite et la responsabilité pour violation d'un contrat (art. 42, 46 al. 2 et 99 al. 3 AP). L'essentiel est déjà en place. 11 ne reste qu'un pas à faire.

On peut toutefois se demander si ce pas doit nécessairement prendre la

20 ATF 126/2000 III 69.

21 ATF 3911913 11702, JdT 1915 1 39 (cf. annexe 3).

22 ATF du 12 janvier 2000, SI 2000 1 421 (cf. annexe 4).

23 ATF 126/2000 III 382. SJ 20011 113.

24 ATF 126/2000 III 382 c. 4b.ee, SJ 2001 1 113, 117: "On trouve également dans la doctrine le postulat selon lequel la gestion d'affaires sans mandat imparfaite, en tant que fondement légal d'obligations en cas de contacts viciés (Fehlkontakte), devrait de lega lata [recte: ferenda] être sortie de la partie spécrale du CO et être placée dans la partie générale".

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La r-emise du gain: les temps sont mûrs forme d'une intervention du législateur ou si l'on peut se contenter de la situation actuelle de renvois à l'art. 423 CO.

Plusieurs motifs me donnent à penser que la question de la remise du gain mérite d'être revue par le législateur.

1) Les nombreux renvois des lois spéciales aux règles de la gestion d'af- faires25 démontrent que le législateur entend compléter les actions réparatrices par la remise du gain, conduisant ainsi à concevoir celle-ci comme un véritable complément à la réparation du dommage prévue par les art. 41 ss CO et les art. 97 ss CO.

2) La doctrine, à l'instar de la jurisprudence récente, confirme ce point de vue et a exprimé le souhait que hi question fasse l'objet d'une révision législative26.

3) Un tel complément aux prétentions tirées de la partie générale du CO ne jouit pas, en l'état actuel du droit, d'une visibilité suffisante, dans la mesure où il s'inscrit à la fin d'un titre de la partie spéciale, consacré à un problème différent.

4) Les conditions de la prétention en remise du gain ne sont pas claire- ment définies en raison du rattachement forcé au titre consacré à la gestion d'affaires sans mandat. Elles méritent d'être traitées pour elles- mêmes, de manière à ce que les problèmes particuliers posés par la re- mise du gain soient, dans la mesure du possible, résolus: calcul du gain, exigence subjective, rapport entre la remise du gain et les autres prétentions, fardeau de la preuve, prescription. Etant donné que la re- mise du gain constitue un moyen important de protection de la partie dont les droits ou la position juridiquement protégée ont été atteints, il se justifie d'en clarifier les conditions et les modalités par une nouvelle réglementation.

La réflexion a été suffisamment poussée dans la doctrine et la jurispru- dence pour que le législateur soit, aujourd'hui, en mesure de trancher les questions laissées ouvertes dans les années quatre"vingt". Le processus de révision des art. 41 ss CO en cours foumit une occasion rêvée de légiférer sur la remise du gain.

25 Cf. supra, n. 5.

26 Cf. supra, TI. 13 et n. 24.

27 Cf. supra, n. 4.

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II. Régime souhaitable

Il importe avant tout de mettre en évidence le motif pour lequel le défen- deur peut être contraint de restituer le gain qu'il a tiré de la gestion de l'affaire d'autrui. Le but poursuivi n'est pas de réparer le dommage subi, mais d'éviter qu'un acte réprouvé par l'ordre juridique ne profite à son auteui'. L'ordre juridique ne doit pas permettre que "bien mal acquis pro- fite". Aussi, le profit réalisé au moyen d'une intervention dans le patri- moine d'autrui doit-il revenir au titulaire de ce patrimoine et non à l'auteur de l'acte29.

La lecture des arrêts du Tribunal fédéral montre que la remise du gain peut être une conséquence tant de la violation d'un contrat (contrats de commission3o, de' travail", de bail par une sous-location non-autorisée32)

que d'un acte illicite (violation d'un brever', du droit d'aute~4).

Cela étant, il convient d'examiner successivement le régime souhaitable de cette prétention, en précisant les hypothèses qui justifient la délivrance du gain (A.), les autres conditions auxquelles cette action est soumise (B.) et, pour terminer, la place possible de la remise du gain dans la révision du droit de la responsabilité civile (C.).

A. Hypothèses

En l'état, la définition de l'acte de gestiD\' doit donner un sens aux termes figurant à l'art. 419 CO ( "gérer l'affaire d'autrui", "sans mandat") et à l'art, 423 al. 1 CO ("la gestion n'a pas été entreprise dans l'intérêt du maître"), vu l'intégration de la remise du gain dans les dispositions sur la

" ATF 126/2000 III 382 c. 4b.ee, SJ 20011113,117; ATF 126/2000 III 69 c. 2b;

97/1971 Il 169 consid. 3a, 178. SCHMIO, Rechtsentwick.lung 200 l, op. cil. n. 6, 427;

WEBER, op. cil. n. 13, 333.

29 ATF 12612000 III 69 c. 2b. CHAPPUIS, Restitution, op. cit. n. 10, 142 s. et réf. cit.

n.300.

30 ATF 2611900 1132, JdT 1900 1 242 (cf. annexe 1).

JI A TF 3411 908 II 694 (cf. annexe 2).

32 ATF 126/200011169.

33 ATF 9711971 II 169, JdT 1971 1612 (rés.).

34 A TF 126/2000 III 382, SJ 2001 1 113.

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La remise du gain: les temps sont mûrs gestion d'affaires sans mandat (art. 419 ss CO). Selon l'une des défini- tions classiques, répétée par le Tribunal fédéral dans ses derniers arrêts, celui qui empiète sur la sphère juridique ou le patrimoine d'autrui dans son propre intérêt, autrement dit celui qui commet un acte d'usurpation ou d'immixtion, gère l'affaire d'autrui au sens de l'art. 423 CO". Deux leçons peuvent être tirées de la jurisprudence récente en ce qui conceme la défi- nition de la gestion d'affaires.

Premièrement, la définition large retenue par le Tribunal fédéral l'emporte sur la définition étroite prônée par certains auteurs, selon laquelle les actes que le maître n'aurait pas pu accomplir lui-même seraient exclus du champ d'application de la gestion imparfaite". Le Tribunal fédéral a ex- pressément rejeté cette conception à propos de la sous-location non autori- sée, parce que le locataire a uniquement le droit d'user de la chose louée dans le respect du contrat, partant, qu'une sous-location non autorisée implique une atteinte à la sphére juridique du bailleur. En sous-louant dans ces conditions, le locataire empiète sur le patrîmoine du bailleur, partant gère l'affaire de ce dernier, ce qui justifie que le profit en revienne au bailleur et non au locataire37.

En second lieu, et contrairement à une partie de l'opinionJ8, l'illicéité n'est pas une condition nécessaire de la gestion d'affaires, ainsi que le Tribunal fédéral l'a implicitement admis dans son arrêt du 12 janvier 200039. La Cour cantonale avait retenu un acte illicite au sens de l'art. 41 CO, ce que l'un des défendeurs avait admis. Le Tribunal fédéral n'étant toutefois lié ni

35 ATF 126/2000 III 382 c. 4b.aa, SJ 20011113; ATF 126/2000 III 69 c. 2a. SCHMlD, op.

cil. n. Il, N 14 ad art. 423 CO; le même, op. cit. n. 6, N 744 ss; Marc-Etienne PACHE, La responsabilité civile de l'initié, thèse de Lausanne, Tolochenaz 1994, 186 ss;

WEBER, op. cil. n. 13, 344.

36 Voir en particulier, HOFSTETTER, TDP, op. cit. n. 8, 262 ss; Patrizia HOLENSTEJN,

Wertersatz oder Gewinnherausgabe ? Vnter den Gesichtspunkten der ungerechtfcr- tigten Bereicherung und der unechten Geschaftsfiihrung ohne Auftrag, Zurich 1983, 161 ss. La même conception avait été retenue dans l'ATF 39/1913 II 702, JdT 1915 1 39. Cf. l'analyse de SCHMID, op. cit. n. 10, N 748 ss, et sa prise de position, N 751 S5.

31 ATF 126/2000 III 69 c. 2b. Cf. SCHMID, Rechtsentwicklung 2001, op. cit. n. 6, 429 5.;

CHAPPUIS, RSDA, op. cit. n. 13, 202.

38 Pierre ENGEL, Contrats de droit suisse, Berne 2000, 569, 574; NIETLlSPACH, op. cit.

n. 10, 105; Walter R. SCHLUEP, Über Eingriffskondiktionen, in Mélanges Piotet, Berne 1990, 173 ss. Cf. l'analyse de SCHMID, op. cil. n. 10, N 745 s., et sa prise de position, N 751 SS, 760.

19 ATF du 12 janvier 2000, SJ 2000 1 421 (cf. annexe 4).

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par les motifs invoqués par les parties (art. 63 al. 1 OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ), il a considéré que les relations entre les parties relevaient de la gestion d'affaires. A juste titre, l'illicéité n'a-t- elle pas été mentionnée comme élément de la définition de celle-ci. L'im- mixtion dans les affaires d'autrui peut être constitutive d'un acte illicite, mais ne l'est pas nécessairement. Les conditions de l'art. 423 al. 1 CO ne doivent pas être confondues avec celles posées à l'art. 41 al. 1 CO.

Tant la commission d'un acte illicite (1.) que la violation d'un contrat (2.) peuvent être considérées comme des actes par lesquels une partie empiète sur la sphère juridique d'autrui40, donc des situations dans lesquelles la remise du gain peut être imposée au lésant. La question est de savoir s'il faut aussi envisager d'autres hypothèses (3.).

1. Commission d'un aCle illicite

Un acte illicite commis au détriment d'autrui constitue un cas d'immixtion dans la sphère juridique de cette personne. Pour que cet acte soit appre- hendé par l'art. 423 al. 1 CO, il faut encore qu'il ait donné lieu à la réalisa-

tion d'un gain. .

On connaît la distinction, aussi contestable que commode, entre la viola- tion d'un droit subjectif absolu et celle d'une règle de comportement ten- dant à protéger les intérêts atteints.

Font partie de la première catégorie, intéressante du point de vue de la gestion d'affaires, tous les droits absolus dont l'exploitation peut avoir une valeur économique, leur violation étant susceptible non seulement de causer un dommage à autrui, mais aussi de rapporter un avantage à son auteur. On mentionnera par exemple: l'atteinte aux droits de la personna- lité, qui souvent n'est pas à l'origine d'un dommage, spécialement si l'atteinte touche la vie privée et non professionnelle de la victime4';

l'atteinte au droit de propriété, notamment en cas de vente de la chose

4Q Par ex., SCHMID, Rechtsentwiçklung 2001, op. cit. n. 6, 425 s.; HOFSTEITER, SP 2000, op. cir. n 8, 247; WEBER, op. cil. n. 12, N 6 ad art. 423 CO.

41 SCHMID, op. cil. n. Il, N 43 ss ad art. 423 CO. A noter toutefois que, selon Ivan

CHERPILLOD, Information et protection des intérêts personnels: les publications des médias, in ROS 118/1999 II 87 55,167 ss, l'action en délivrance du gain se heurte à des difficultés pratiques quant à la détennination du gain réalisé au moyen des publications de médias et devrait, pour cette raison, demeurer d'application exceptionnelle.

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La remise du gain: les temps sont mûrs

d'autrui"; la violation d'un droit de propriété intellectuelle ou industrielle (brevet, marque, dessin ou modèle, droit d'auteur, droit à la raison sociale) que l'auteur utilise à son profit sans en avoir acquis le droit sur la base d'un contrat de licence ou autre43.

La violation d'une norme de comportement peut également, selon les cir- constances, donner lieu à la réalisation d'un gain par celui qui agit. De telles normes peuvent être déduites de l'ensemble de l'ordre juridique (droit écrit ou non écrit, privé ou public, fédéral ou cantonal)44. Ainsi par exemple, le délit d'initié, ou plus exactement "l'exploitation de la connais- sance de faits confidentiels", est réprimé par l'art. 161 CPS depuis le 1"

juillet 1988. Cette disposition constitue une base importante pour l'établissement de normes de comportement destinées à protéger les inve- stisseurs45. Un autre exemple peut être construit à partir de l'arrêt Autobus Lausannois contre Société des Tramways Lausannois46 La Société des Tramways Lausannois était au bénéfice d'une concession pour le transport de voyageurs à Lausanne et environs. Pendant la durée du Comptoir suisse de 1946, les Autobus Lausannois assurèrent un service empruntant l'un des parcours faisant l'objet de la concession de la Société des Tramways.

Bien que la Société des Tramways ne rut pas au bénéfice d'un droit sub- jectif absolu, le Tribunal fédéral admit que la violation de la concession fondée sur la loi fédérale sur le service des postes constituait un acte illi- cite, parce que la concession était également destinée à protéger le bénéfi- ciaire contre la concurrence. La difficulté de déterminer le dommage ap- paraît dans les termes utilisés par l'arrêt qui mentionne un "dommage qui n'est pas inférieur à 10'000 fr.,,47. Il s'agit d'un cas dans lequel il aurait été indiqué de tenir compte du bénéfice réalisé par les Autobus Lausannois au moyen de la violation de la concession du fait du transport concurrent non autorisé pendant la durée du Comptoir suisse, plutôt que du dommage subi par la société bénéficiaire de la concession.

<12 SCHMlD, op. cit. n. Il, N 38 55 ad art. 423 CO.

<13 SCHMID, op. cil. n. Il, N 4755 ad art. 423 CO.

44 Roland BREHM, Berner Kommentar zum Obligalionenrecht, AlIgemeine Be5timmun- gen (art. 41·6 t CO), 2' éd., Berne 1998, N 33 ad art. 41 CO.

4S PACHE, op. cil. n. 35, 84 5S.

" ATF 75/1949 11204.

47 A TF 75/1949 Il 204 c. 5, 216.

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2. Violation d'une obligation

La violation d'un contrat ou, de manière plus générale, d'une obligation envers aurrui constitue également un acte d'immixtion dans la sphère juri- dique de cette personne. L'application de l'art. 423 CO est dès lors justi- fiée, que cette violation représeRte simultanément un acte illicite'· ou non49.

La loi elle-même prévoit que le chef de la maison peut, en cas de violation de la prohibition de concurrence dont le fondé de procuration ou le man- dataire commercial sont tenus envers lui, "prendre à son compte les opé- rations ainsi faites" (art. 464 al. 2 CO); cette prétention vise, quant à son contenu, la délivrance du gain résultant des opérations interdites'o. Une seconde prétention légale en remise du gain est prévue à l'art. 540 al. 2 CO. Selon cette disposition, lorsqu'un associé agit pour le compte de la société simple sans posséder le droit d'administrer, ou lorsqu'un associé gérant outrepasse ses pouvoirs, il y a lieu d'appliquer les règles de la ges- tion d'affaires. Ce renvoi s'étend à l'art. 423 CO, donc à la remise du gain.

La mêlne règle vaut pour les associés dtune société en nom collectif ou t:n commandite par le renvoi des art. 557 al. 2 et 598 al. 2 CO.

La jurisprudence, quant à elle, fournit aussi différents exemples de remise du gain suite à la violation d'un contrat. Il en va ainsi du commissionnaire, chargé de vendre des titres, qui, sans en avoir le droit, les acquiert, puis les vend à un tiers (art. 444 aCO); la vente au tiers constitue à la fois une violation contractuelle et un acte illicite; le commettant ne subit aucun dommage, mais se voit accorder la différence entre le prix de vente et le prix pour lequel le commissionnaire s'est porté acquéreur à titre de gain'I.

Dans une autre affaire, un employé chargé de l'exploitation d'un dépôt de bière utilise les chevaux et voitures appartenant à son employeur afin d'exécuter des transports pour des tiers à son propre profit". Par ailleurs, la sous-location non autorisée constitue une violation du contrat de bail

48 SCHMID, op. cit. D. Il, N 69 ss ad art. 423 CO.

49 SCHMID, op. cit. n. Il, N 73 ss ad art. 423 CO.

50 Georg GAUTSCHl, Berner Kommentar zum Obligationenrecht, Besondere Auftrags- und GeschaftsfUhrungsverhaltnisse sowie Hinterlegung, (art. 425-491 CO), 2e éd., Berne 1962, N 7 ad art. 423 CO.

51 ATF 26/1900 1132 c. 5, JdT 19001242 (cf. annexe 1).

51 ATF 34/1908 II 694 (cf. annexe 2).

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La remise du gain: les temps sont mûrs dont:le profit doit être restitué au bailleur53Ces deux dernières affaires représentent des cas de violation pure du contrat (reine Vertragsverlet- zung)54. La jurisprudence admet encore que "celui qui utilise dans son propre intérêt une prestation d'autrui qui ne lui était pas destinée ou qui ne lui a pas été fournie dans ce but-là" est soumis aux règles de l'art. 423 CO". Un tel comportement est également contraire à l'art. 5 let. a LCD dont les sanctions, prévues à l'art. 9 al. 3 LCD, comprennent la remise du gam.

D'autres violations d'une obligation sont susceptibles de conduire à un gain: la violation d'un secret56 (par exemple de fabrication), d'une clause d'exclusivité (contenue dans un contrat de distribution exclusive), d'une clause de prohibition de concurrence57. De manière générale, rien ne s'op- pose à ce que la violation pure d'un contrat (reine Vertragsverletzung) soit soumise à l'art. 423 CO", car le fait de violer un devoir dont on est tenu envers autrui constitue une manière de d'empiéter sur la sphère juridique de cette personne.

53 ATF 126/2000 1lI 69, renversant l'ATF 39/1913 Il 702, JdT 1915 1 39 (cf. annexe 3).

SCHMTD, Rechtsentwicklung 2001, op. cil. n. 6, 429 S.; le même, op. cit. n. 11, N 78 s.

ad art. 423 CO.

54 On peut admettre, pour les deux situations, que le propriétaire n'est pas restreint dans son pouvoir juridique, ni dans son pouvoir de fait sur les chevaux et voitures, comme sur l'objet du baiL Il n'y a par conséquent pas de trouble de la propriété (sur cette notion, cf. Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, 1. 1er, 3e éd., Berne 1997, N 1033 s.), lequel pourrait constituer un acte illicite.

" ATF 119/1993 II 40 c. 2b,43.

56 L'art. 2.16 des Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, Rome 1994, prévoit la délivrance du gain réalisé dans un cas précis, celui de la violation d'un devoir de confidentialité: "Qu'il y ait ou non conclusion du contrat, la partie qui, au cours des négociations, reçoit une information donnée à titre confidentiel par l'autre partie, est tenue de ne pas la divulguer ni l'utiliser de façon indue à des fins personnelles. Le manquement à ce devoir est susceptible de donner lieu à une indemnité comprenant, le cas échéant, le bénéfice qu'en aura retiré l'autre partie". En revanche, panni les remèdes généraux en cas de contravention au contrat, aucune disposition ne prévoit une telle conséquence (cf. les art. 7 A.l ss Principes UNIDROlT).

57 Cf. SCHMID, op. CÎt. n. Il, N 81 s. ad art. 423 CO, qui réserve l'application de l'art.

340b al. 1 et 2 CO lorsque la prohibition de concurrence est fondée sur un contrat de travail.

58 SCHMID, Rechtsentwicklung 2001, op. cit. op.cit. n. 6, 431; le même, op. cit. n. Il, N 77 ad art. 423 CO.

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3. Autres hypothèses?

La définition large de l'immixtion dans les affaires d'autrui n'est pas nécessairement limitée aux actes accomplis en violation d'un contrat ou d'une norme de comportement imposée par l'ordre juridique. Sans doute est-il possible de porter atteinte à la sphère juridique d'autrui autrement que par un acte illicite ou la violation d'un contrat. Mais si l'on veut éviter une trop grande ouverture dans la définition, il paraît raisonnable de limi- ter la restitution du gain aux hypothèses de l'acte illicite (art. 41 CO) et de la violation du contrat, voire d'une obligation (art. 97 CO), en y ajoutant les comportements qui portent atteinte à une position juridiquement protégée par des lois spéciales, comme la LCD ou la LCart59On peut par conséquent laisser à l'appréciation du législateur le soin de déterminer les hypothèses, le cas échéant non couvertes par l'illicéité ou la violation d'une obligation, qui appellent la remise du gain.

B. Conditions de la remise du gain

Les conditions de la remise du gain par l'art. 423 al. 1 CO sont, mutatis mutandis, semblables à celles exigées par les art. 41 et 97 CO. La remise du gain est ainsi soumise à l'existence d'une hypothèse visée (1.), dont résulte (3.) un gain (2.), réalisé par une personne agissant de mauvaise foi (4.).

J. Une hypothèse visée

Les interventions du législateur et de la jurisprudence, qui s'appuient sur les réflexions de la doctrine, convergent vers la reconnaissance toute générale d'une action en délivrance du gain complémentaire à l'obligation de réparer le dommage incombant à l'auteur d'un acte illicite ou de la vio- lation d'une obligation60, ou d'un comportement prohibé par une loi

59 Pour une énumération complète des lois Spéciales concernées, cf. supra, n. 5, Voir SCHMID, op. cil. n. Il, N 58 55 ad art. 423 CO; sur la remise du gain en cas de restriction illicite

a

la concurrence, cf. Hubert ST(JCKLI, Ansprüche aus Wettbewerbsbehinderung, Ein Beitrag

zum

KarceHzivilrecht, Fribourg 1999, N 1131 55.

60 SCHMID, Rechtsentwicklung 2001, op. cu. op. cit. n. 6, 433; WEBER, op. cit. n. 13,360

S., 362; CHAPPUIS, Restitution, op. cit. n. 10, 142 s.

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La remise du gain: les temps .'iont mûrs

spéciale. Cela signifie que les états de fait dans lesquels la remise du gain peut être envisagée sont au nombre de trois. Il s'agit de la commission d'un acte illicite, de la violation d'une obligation ou d'autre comportement prohibé par une loi spéciale (supra A.).

2. Un gain

Le gain se mesure à l'accroissement du patrimoine de l'auteur de l'acte réprouvé, à l'inverse du dommage qui correspond à la diminution du pa- trimoine du lésé. Il peut se réaliser sous forme d'un gain éprouvé ou d'une perte non réalisée, en particulier par l'économie d'une dépense qui aurait normalement dû être faite'l.

Alors que l'art. 423 al. 1 CO utilise le terme de "profits", les renvois des lois spéciales mentionnent celui de "gain". On peut voir là une indication du fait que le législateur a suivi les auteurs définissant les profits au sens de l'art. 423 al. 1 CO comme le gain net réalisé par l'immixtion dans les affaires d'autrui, soit le profit brut plus les intérêts moins les frais6'.

Si cette définition peut être approuvée quant à son résultat, elle n'est pourtant pas entièrement correcte, car elle ne tient pas compte de l'art. 423 al. 2 CO". C'est en effet au gérant qu'il appartient de faire valoir une con- tre-prétention en remboursement de ses impenses sur la base de cette dis- position (comp. art. 402 al. 1 CO)", laquelle peut être compensée avec la prétention du maître en délivrance des profits (art. 120 ss CO). En ce qui concerne la répartition du fardeau de .Ia r,reuve, il appartient au maître d'établir les profits réalisés par le gérant " à ce dernier de prouver ses impenses. En revanche, une prétention en remise du gain net laisse l'en-

61 SCHMID, op. cie. n. 6, N 103 ss ad art. 423 CO. Pour une analyse concrète des gains pouvant résulter d'une violation de la LCart, cf. STOCKLI, op. cil. n. 59, N 116255.

62 SCHMlD, Rechtsentwicklung 2001, op. cit. op. cit. n. 6, 427; Bak-WEBER, op. cil. n. 12, N t4adart. 423 CO; STOCKLI,Op. cil. n. 59, NI t81.

63 Ce que semble reconnaître STOCKLl, op. cil. n. 59, N 1150, qui retient pourtant ailleurs la définition dominante "Bruttogewinn plus Zinsen minus Aufivendungen" (N ) 181).

Même confusion chez SC~IMIO, op. cil. n. 6, N 102, 114, 137 ad art. 423 CO.

64 CHAPPUIS, Restitution, op. cit. n. 10, 50 S.

65 La prétention (accessoire) en reddition de comptes et en renseignements admise par la doctrine en faveur du maître (cf. HOFSTETTER, SP 2000, op. cil. n 8, 275 n. 32;

SCHMID, op_ cit. n. 6, N 123 ss ad art. 423 CO), dans te cadre de l'art. 423 CO, est de nature à faciliter la tâche du maître.

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semble de la charge probatoire au maître. L'application par analogie de l'art. 42 al. 2 CO", largement admise par la doctriné7, pennet de minimi- ser l'enjeu du débat.

Le Tribunal fédéral suit la tendance majoritaire dans l'affaire de la sous- location68. Il retient que les profits correspondent au produit de la sous- location, soit les sous-loyers encaissés pendant la période considérée et alloue ce montant au bailleur "sous déduction des 42 mensualités" que le locataire a versées pendant la même période au bailleur69Le gain net équivaut donc au bénéfice de la sous-location, que le bailleur n'aurait pas réussi à obtenir sur la base d'une prétention en dommages-intérêts délictu- elle ou contractuelle. En effet, ce montant ne représente pas un dommage du bailleur, mais uniquement un accroissement du patrimoine du locataire.

Une telle manière de détenniner le gain net se rapproche davantage du calcul du dommage que de la liquidation des prétentions réciproques du mandant et du mandataire. En effet, le principe de la compensatio [ucri cum damno pennet de tenir compte, lors du calcul du dommage, des avantages dont bénéficie le lésé, qui sont portés cn déduction de son dommage (art. 42 CO)70. En revanche, dans le cadre du contrat de mandat, qui devrait constituer le modèle de référence de l'art. 423 CO, on ne voit pas que le mandant fasse valoir une prétention en restitution fondée sur l'art. 400 al. 1 CO (actio mandati directa) directement diminuée des im- penses consenties par le mandataire (art. 402 al. 1 CO, actio mandati contraria). Il s'agit de deux prétentions distinctes que chaque partie peut faire valoir au moyen d'une action en justice, respectivement d'une de- mande reconventionnelle, la charge de la preuve suivant la titularité de la créance. Le raccourci du raisonnement, consistant à porter directement les impenses en déduction du gain dont le maître peut demander la délivran- ce, montre que cette prétention a, en réalité, perdu ses attaches avec la gestion d'affaires sans mandat, se transfonnant en une prétention de nature générale, complémentaire à la réparation du dommage.

66 Comp. art. 56d de l'Avant-Projet.

6J SrOcKLI, op. cit. n. 59, N 1151; SCHMlD. op. cit. n. 6, N 127 ad art. 423 CO; Bak- WEBER, op. cil. ll. 12, N 15 ad art. 423 CO; CHAPPUIS, Restitution, op. cil. ll. 10,51.

68 ATF 12612000 III 69 e. 2e et 2e.

69 ATF 126/2000 III 69 e. 2e, 73.

70 BREHM, op. cil. ll. 44, N 27 ss ad art. 42 CO.

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La remise du gain: les temps sont mûrs

3. Résultant d'une hypothèse visée

Seul le gain en rapport de causalité·avec l'acte réprouvé (acte illicite, vio- lation d'une obligation ou acte interdit par une loi spéciale) est soumis à délivrance, exigence qui permet de poser des limites àlaremise du gain71.

On peut renvoyer, sur ce point, à l'examen correspondant en matière de responsabilité civile et, le cas échéant, à la notion de causalité "juridi- que" figurant dans l'Avant-Projet (art. 47 et 56d AP), plus souple que l'actuelle causalité naturelle et adéquate qui aboutit en principe à un juge- ment blanc ou noir (le rapport de causalité existe ou n'existe pas).

4. Faute ou mauvaise foi du gérant

L'art. 423 al. 1 CO ne pose a priori aucune exigence subjective, ce qui ne signifie cependant pas nécessairement que le gérant de bonne foi puisse se voir obligé de délivrer les profits de la gestion. Le sort de cette question a subi une évolution jurisprudentielle assez chaotique. Traité initialement comme un poste du dommage, le gain n'était sujet à délivrance qu'en cas de faute, conformément à l'art. 41 CO. Rattachée ensuite à l'art. 423 CO, la remise du gain.est libérée de' l'exigence de la faute72. Puis, après des années de controverses doctrinales73, l'arrêt relatif à la sous-location men- tionne qu"'I1 est généralement admis que l'art. 423 al. 1 CO s'applique à la gestion d'affaires imparfaite de mauvaise foi,,74. La constatation est heu- reuse, même si elle est un peu rapide. Elle est d'autant plus intéressante qu'il s'agissait de l'une des questions dont le législateur, en 1982, avait

11 SrOcKLI. op. di. n. 59, N 1152; SCHMID, op. cil. n. 6. N 128 ad art. 423 CO.

n ATF97 Il 169c.3a, 178.

73 Ne posent pas l'exigence de la mauvaise foi du gérant, notamment: STÔCKLI, op. cil.

n. 59, N 1153, 1159; ENGEL, op. cil. n. 38, 574; Roland v. BÜREN / David LUCAS, Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. J/2, le éd., Bâle et Francfort-sur-le-Main 1998, 120; WIDMER, op. cil. n. 10, 84 ss, 91; DESSEMONTET.

Mélanges 1980, op. cil. n. 9,191 ss, 200 $S, 202.

Exigent la mauvaise foi, en particulier: HOFSTETTER, SP 2000, op. cit. n. 8, 271 ss;

Ingeborg SCH\VENZER, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 2e éd., Berne 2000, N 59.17; TERCIER, op. cil. n. 12, N 4525; BaK-WEBER, op. cit. n. 12, N 8 ad art. 423 CO; ScHMID, op. cil. n. 6, N 21 ss, 31 ad art. 423 CO; NIETLISPACH, op.

cit. n. 10, 119 S5, 123; LISCHER, op. cil. n. 10,45 SS, 51; CHAPPUIS. op. cil. n. 10, 18 ss, 28 (exigence de la conscience que l'affaire est celle d'autrui).

74 ATF t26/2000 III 69 c. 2a, p. 72. Cf. également, ATF du 12 janvier 2000, SI 2000 1 421 c. 6aa et 6bb (cf. annexe 4); ATF 126/2000 III 382 c. 4b.aa, SI 2001 1 113.

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admis qu'elle n'était pas mûre pour être tranchée autrement que par un renvoi aux règles sur la gestion d'affaires".

Malgré certaines oppositions, la tendance actuelle majoritaire semble fa- vorable à une exigence subjective'6. Un tel élément subjectif résulte nécessairement de l'insertion de la gestion imparfaite dans les règles de la gestion d'affaires sans mandat, comme cela a été démontré ailleurs". Il se justifie d'autant plus dans l'optique d'une remise du gain conçue comme un complément à la réparation du dommage fondée sur un acte illicite (art.

41 al. 1 CO) ou sur la violation d'une obligation (art. 97 al. 1 CO), étant donné que ces deux dispositions posent l'exigence de la faute.

Par ailleurs, si la remise du gain est subordonnée à la mauvaise foi du gérant, il devient possible d'éviter l'application par analogie de l'art. 64 CO, que sont contraints de prévoir les auteurs soutenant une conception purement objective de la gestion imparfaite78

Les quatre conditions, exposées ci-dessus, auxquelles est subordonnée la remise du gain sont parallèles aux conditions des art. 41 et 97 CO. Elles manifestent le caractère complémentaire de la remise du gain par rapport aux prétentions réparatrices.

C. La remise du gain et la révision du droit de la responsabilité civile

Si l'on admet que la remise du gain doit être réglée dans la partie générale du Code des obligations, vu son caractère de complément aux prétentions réparatrices, reste à déterminer quelle devrait être la place des nouvelles dispositions. Intégrer celles-ci à l'intérieur du Chapitre II relatif aux obli- gations résultant d'actes illicites (faits dommageables selon l'Avant- Projet) ne serait pas une bonne méthode, étant donné le risque d'entretenir la confusion - appartenant au passé" - entre réparation d'un dommage et remise du gain. Une solution envisageable serait de prévoir un nouveau Chapitre IIbis qui s'appliquerait aussi bien aux chefs de responsabilité

Jj FF 1982 II 661 S5, 687 n. 71.

76 Cf. les références citées supra, n. 73.

77 CHAPPUIS, op. cit. n. ID, 18 ss, 28.

78 Par exemple, STOCKLI, op. cit. n. 59, N 1183.

79 Cf. supra, n. 15.

68

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La remise du gain: les temps SOllt mûrs

extracontractuelle (art. 41 ss CO) qu'à la responsabilité pour violation d'une obligation (art. 97 ss CO).

Quant à leur contenu, les nouvelles dispositions devraient énoncer toutes les conditions de la remise du gain, conformément à ce qui a été exposé ci-dessus80, en prévoyant un renvoi aux art. 41 ss CO pour ce qui est no- tamment de la preuve du dommage (art. 52 et 56d AP), du lien de causa- lité (art. 47 et 56d AP), de la solidarité (art. 53b et 53c AP), etc. Elles devraient également régler les rapports entre la remise du gain et les pré- tentions réparatrices, de même que la prescription'l

Une précision s'impose en ce qui conceme le champ d'application du nou- veau chapitre. Dans la mesure où le fondement de la remise du gain s'émancipe de l'art. 423 CO, la définition actuellement donnée de la gestion d'affaires imparfaite" peut être abandonnée. La rétlexion est parvenue à un point où il paraît acquis que la remise du gain est une conséquence complémentaire à la réparation du dommage, en cas d'acte illicite ou de violation d'une obligation. Il n'est par conséquent pas nécessaire de définir de manière autonome la condition première de la remise du gain. Il suffit de réunir, dans un seul état de fait, les hypothèses mentionnées plus haut83, soit celles de la commission d'un acte illicite (art. 41 ss CO), de la viola- tion d'une obligation (art. 97 ss CO) et de l'atteinte à une position spécia- lement protégée (par exemple, LCart ou LCD). La formulation suivante pourrait ainsi être proposée: celui qui commet un acte illicite, viole une obligation ou porte atteinte à une position spécialement protégée est tenu à la remise du gain qui en résulte, pour autant que sa responsabilité soit par ailleurs engagée".

Le nouveau chapitre pourrait s'intituler: "Obligations résultant d'un gain réalisé sans droit" et viendrait s'intercaler entre le Chapitre Il "Des otiliga-

80 Cf. supra, II.A. et B.

" Cf. infra, Ill.

82 Cf. supra, II.A el n. 35.

8J Cf supra, II.A.

84 Cette formulatÎon rend manifeste l'émancipation de la remise du gain que je défends ici (camp. avec la proposition plus traditionnelle in RSDA, op. cil. n. 13, 204: "Celui qui réalise un gain résultant de la gestion d'une affaire dont il sait ou doit savoir qu'elle est celle d'autrui est tenu à restitution")

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tions résultant d'actes illicites,,85 et le Chapitre III "Des obligations résul- tant d'un enrichissement illégitime" du Titre Premier, "De la formation des obligations" .

III. Questions diverses

J'examinerai pour terminer deux des problèmes liés à la remise du gain, qui subsistent: le rapport entre les prétentions (A.) et la prescription de l'action en remise du gain (B.).

A. Rapports avec la réparation du dommage et l'enrichissement illégitime

En vue d'ordonner les prétentions entre elles, il convient de rappeler le but poursuivi par chacune d'elles. La responsabilité extracontractuelle (art. 41 ss CO) et la responsabilité pour violation d'une obligation (art. 97 ss CO) tendent à réparer le dommage subi par le lésé, que le responsable ait commis une faute ou qu'il réponde de manière objective. L'action en enri- chissement illégitime (art. 62 ss CO) vise à corriger un déplacement de patrimoine intervenu sans cause; l'état de fait est ici purement objectif. Il se justifie de combler l'appauvrissement d'une partie en raison, et dans la mesure, de l'enrichissement de l'autre86Quant à la remise du gain, actu- ellement fondée sur l'art. 423 CO, elle permet d'éviter qu'il ne soit rentable de commettre un acte illicite, de violer une obligation ou de porter atteinte à une position spécialement protégée, en contraignant l'usurpateur à la remise du gain ainsi réalisé87.

Il convient de mentionner, sans s'y arrêter, la tendance doctrinale qui cherche à soumettre la restitution du gain aux art. 62 ss CO, en s'appuyant sur la notion de EingrijJskondiktionenen88 inspirée du droit allemand.

Cette conception suppose une nouvelle interprétation de l'art. 62 al. 1 CO

85 Dans PAvant-Projet, le Chapitre Il s'intitule Des obligations résultant de faits dommageables.

86 CHAPPUIS, op. cil. n. 10, 114 S., 116 s.

87 Cf. supra, n. 28, 29.

88 Par exemple, SCHLUEP, op. cit. n. 38,180 SS, 187 ss; Peter C. SCHAUFELBERGER, Berei- cherung durch unerlaubte Handlung, Zurich 1981, 158 S., 159 SS.

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