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10 octobre 2018
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la réelle utilité de cette technique (dans la mesure où la grande majorité des femmes pourront avoir des enfants par des mé
thodes naturelles) ; de l’absence de garantie de résultat pour celles qui y auraient finale
ment recours (puisque son taux de réussite ne dépasse pas 60%) ; de la limite temporelle à l’utilisation des ovocytes ; du devenir des ovocytes non utilisés ; de ses coûts médi
caux, techniques, médicamenteux, et finan
ciers non négligeables et de leur prise en charge par la collectivité.
Le CCNE estime aujourd’hui que la technique pourrait être autorisée pour des femmes qui n’auraient pas eu l’opportunité
1 Avis du CCNE du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP).
2 Contribution du Comité consultatif national d’éthique français à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019, 25 septembre 2018.
de réaliser leur désir d’enfant plus tôt, et ce à un âge (3035 ans) où leur fertilité est encore optimale – le tout associé à une limite de conservation et un âge maximal de conservation pour la réalisation de l’ICSI avec ces ovocytes autoconservés.
« Il sera cependant nécessaire, si elle est adoptée, d’évaluer cette mesure, notam
ment en termes de personnes concernées, de leurs motivations et de nombre d’ovo
cytes recueillis, conclut le CCNE. Par cette mesure, les femmes exercent aussi leur autonomie et leur liberté (vouloir ou ne pas vouloir), qui se manifestera aussi bien dans les choix altruistes qu’elles peuvent
faire (lorsqu’elles décident de procéder à un don) que dans les choix relatifs à leur propre fécondité, ce choix s’effectuant en toute connaissance des difficultés de la procédure médicale. »
Où l’on voit que la réflexion bioéthique ne doit pas, surtout pas, être gravée trop profondément dans le marbre de la loi.
MALADE POUR SURVIVRE
J’ai été une nouvelle fois impres- sionnée, il y a peu, de remarquer combien un trouble psychiatrique peut se présenter comme un mouvement d’ajustement fonc- tionnel à une situation elle-même porteuse de telles difficultés que quiconque d’entre nous aurait bien de la peine à l’affronter « s ainement ». Cette idée m’est venue avec force à l’écoute du récit d’un enseignant, fin et sensible, aujourd’hui bien ancré dans la vie et dans la société, mais dont l’histoire de vie aurait pu prendre une tournure plus tragique. Enfant de parents engagés dans la coopé- ration internationale, il grandit dans une région en conflit du Proche-Orient. Il se trouve pério- diquement exposé à l’horreur du meurtre, à l’ambiance de la terreur qui rôde, à la violence autour de lui et sur lui-même. Ses parents semblent ne pas réaliser ce qu’il vit, malgré ses symptômes anxieux et l’une ou l’autre prise de risque parasuicidaire. Il se sent invisible
pour eux, absorbés qu’ils sont dans leurs propres préoccupations et engagements. La famille n’habite comme pas le même monde.
La peur tenaille le jeune garçon qui, régulièrement, se réfugie des heures durant dans l’armoire de sa chambre, qui semble l’accueillir dans les bras les plus généreux qu’il puisse trouver. Il redoute de circuler dans la ville, marquée par les stigmates de la guerre – cadavres au bord des routes, tâches de sang… – et de s’éloigner de ses parents qui, dans leur cœur et leur esprit, lui apparaissent déjà si éloignés de lui. Se rendre à l’école est un calvaire et, en pleurs, souffrant de maux de ventre, il refuse plus d’une fois d’y aller. Le pédiatre consulté ne trouve rien de préoccupant. Appréhendant l’échec scolaire, les parents mettent en place un suivi psycho- logique, qui améliore un peu la situation.
Le jeune garçon met tout son c ourage pour retourner en classe, auprès de ses camarades. Un jour où il y réussit, il s’apprête à partager avec sa mère sa joyeuse fierté d’avoir pu mobiliser ses forces pour surmonter ses peurs. De retour à la maison, il marche dans le couloir à la rencontre de sa maman, les yeux rivés sur son visage – lointain, comme absent – et d’un seul coup, change de cap : il s’effondre en pleurs dans ses bras, à nouveau impuissant et envahi par une angoisse qui, plus forte que jamais, le tiendra au corps durant des mois encore…
Qu’a-t-il lu dans le visage de sa mère qui a, à ce point, bouleversé son âme et sa résolution, qui a
renversé d’un coup son position- nement de garçon débrouillard et vaillant en une dépendance anxieuse et dévalorisée ? S’est-il accordé, par empathie, au fond de détresse de sa mère ? Celle-ci, maltraitée et abusée dans son histoire précoce, n’était que très peu à l’écoute de ses propres besoins – hormis par le biais de symptômes somatiques imposant en quelque sorte d’eux-mêmes des solutions ou des issues de secours (comme ce fut le cas pour la décision de revenir finalement en Suisse, « légitimée » par les maladies). Sent-il qu’il s’expose à un risque de rejet s’il s’affirme dans une position plus virile, fût-ce du haut de ses dix petites années ? Difficile à identifier avec certitude, mais quelque chose s’est passé dans cette rencontre fulgurante – qui a en quelque sorte poussé l’enfant à choisir la voie de la pathologie anxio-dépressive
comme la plus adaptée pour survivre dans ce contexte marqué socialement par la guerre et, familialement, par une grande difficulté des parents à apporter soin, attention et amour à leur enfant hors symptômes bruyants.
En présentant son trouble anxieux caractérisé, accompagné de symp- tômes physiques apparemment fonctionnels, l’enfant a peut-être même contribué à réparer un tant soit peu la compétence – elle-même atteinte et blessée – des parents à exercer leur rôle. La charge de souffrance, de solitude, d’insécurité à long terme est certes restée considérable. Mais il importe sans doute, dans notre recherche de vérité comme dans le mouvement de réhabilitation de nos patients, d’interroger tout le « génie » du symptôme – face cachée mais non réductible du « pathologique ».
CARTE BLANCHE
Michèle Gennart
Dr Phil. psychologue- psychothérapeute FSP Avenue Druey 1 – 1018 Lausanne gennart@bluewin.ch
D.R.