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Le trottoir est un jeu de hasard : ou la rencontre entre terrain, théorie et chercheuse : une approche compréhensive de la prostitution de rue

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Master

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Le trottoir est un jeu de hasard : ou la rencontre entre terrain, théorie et chercheuse : une approche compréhensive de la prostitution de

rue

BERCHTOLD MORENO GRANDA, Naida Alexia

Abstract

Comment la prostitution de rue s'inscrit dans les trajectoires de vie de personnes prostituées dans le quartier des Pâquis à Genève, voici ce que ce mémoire cherche à comprendre.

Ancrée dans une démarche compréhensive et dans le respect de la théorie enracinée, la problématique qui émerge n'est pas unique mais double: le rapport actuel entre migration et prostitution est exploré et le vécu de la prostitution comme un stigmate est questionné. Sur le versant terrain, des entretiens compréhensifs permettent l'accès à la parole de personnes prostituées. Sur celui théorique, sur fond de construction sociale et dans une approche pluridisciplinaire, les éclairages proviennent du concept de stigmate et des apports des études genre concernant la réflexion sur la sexualité, le travail et la migration. Le tout mène à une compréhension du contexte prostitutionnel pâquisard et se finalise par la présentation d'une typologie de la prostitution comme stigmate.

BERCHTOLD MORENO GRANDA, Naida Alexia. Le trottoir est un jeu de hasard : ou la rencontre entre terrain, théorie et chercheuse : une approche compréhensive de la prostitution de rue. Master d'études avancées : Univ. Genève, 2013

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:32148

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"Le trottoir est un jeu de hasard"

ou la rencontre entre terrain, théorie et chercheuse:

une approche compréhensive de la prostitution de rue

MEMOIRE  REALISE  EN  VUE  DE  L’OBTENTION  DE LA

MAÎTRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L'EDUCATION - FORMATION DES ADULTES

PAR

Naïda Alexia Berchtold Moreno Granda

DIRECTEUR DU MEMOIRE Maryvonne Charmillot

JURY

Caroline Dayer Marylène Lieber

GENEVE septembre 2013

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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RESUME

Comment la prostitution de rue s'inscrit dans les trajectoires de vie de personnes prostituées dans le quartier des Pâquis à Genève, voici ce que ce mémoire cherche à comprendre.

Ancrée dans une démarche compréhensive et dans le respect de la théorie enracinée, la problématique qui émerge n'est pas unique mais double: le rapport actuel entre migration et prostitution est exploré et le vécu de la prostitution comme un stigmate est questionné. Sur le versant terrain, des entretiens compréhensifs permettent l'accès à la parole de personnes prostituées. Sur celui théorique, sur fond de construction sociale et dans une approche pluridisciplinaire, les éclairages proviennent du concept de stigmate et des apports des études genre concernant la réflexion sur la sexualité, le travail et la migration. Le tout mène à une compréhension du contexte prostitutionnel pâquisard et se finalise par la présentation d'une typologie de la prostitution comme stigmate.

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Errata%:%

p. 10 : Luckmann à la place de Luckman p. 14 : Apel à la place d’Appel

p. 42 et 45 : Pryen, référence au texte de 1999a p. 42 : Toupin texte de 2006 à la place de 2005 p. 43 : Corbin texte de 1978 à la place de 1976

p. 57 et p. 59 : Goffman 1963/1976 à la place de 1963/1975 p. 70 et 77 : Lhomond à la place de Lhommond

p. 79 : Zarifian à la place de Zarfirian p. 86 : Absi à la place de Asbi p. 92 : Jaksic à la place de Janik

p. 93, 94, 104, 112 : Földhàzi à la place de Földházi, Földhâzi et Foldhazi p. 94 : Mathieu texte de 2007 à la place de 2006

p. 94 : Sassen à la place de Sassien

p. 98 et 198 : Thiévent , à la place de Thièvent p. 101 : Pryen textes 1999a et 1999b

p. 110 : Chimienti et Földhàzi texte de 2008 à la place de 2009

Bibliographie%

Ouvrages%(complément)%

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Himno de las trabajadoras sexuales independientes las alegres hijas de la diosa Xōchiquétzal.

No nos van a centavear

No somos brujas, ni somos magas pero tampoco somos sirenas.

Somos mujeres igual que todas somos nosotras y no cualquieras.

Se nos antojan las mismas cosas que a todo el mundo y a los demás.

Ya lo dijo la gran Sor Juana a quién más vamos a culpar....

la que peca por la paga o el que paga por pecar, la que pica por la droga o el que droga por picar, la que todo el día le chinga o el que chinga por chingar,

o la culpa que es culposa y no sabe a quien culpar.

No somos santas, ni somos cosas pero tampoco tan peligrosas.

Somos mujeres de carne y hueso, tenemos esto, tenemos eso.

Tenemos ganas entre otras cosas de mantener nuestra dignidad.

Ya lo dijo la peor de todas a quién más vamos a culpar....

La mujer porque se deja o el que deja a la mujer, la madrota porque explota

o el padrote al explotar.

La moral porque se dobla o el que dobla la moral

o los socios de la sucia mentirosa sociedad.

que nos dejen libremente por las calles circular porque pase lo que pase no nos van a centavear porque de hoy en adelante nos haremos respetar,

¡somos libres y queremos trabajar!

porque todos los derechos nos los van a respetar,

¡y que vivan las mujeres!¡viva nuestra libertad!

Escrito y cantado por la Diosa: Liliana Felipe

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2 Table&des&matières&

CHOIX&DE&LA&THEMATIQUE&ET&RAPPORT&A&L’OBJET& 7!

POSTURE&EPISTEMOLOGIQUE& 10!

PANORAMA!EPISTEMOLOGIQUE!DES!SCIENCES!SOCIALES! 10!

Démarche)explicative) 10!

Démarche)compréhensive) 11!

THEORIE!ENRACINEE! 13!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 14!

CHOIX&METHODOLOGIQUES& 15!

METHODE!DE!PRODUCTION!DES!DONNEES!:!LENTRETIEN!DE!RECHERCHE! 15!

Canevas)d’entretien) 16!

CONTEXTE!DE!PRODUCTION! 17!

Contexte)physique) 18!

Contexte)socio=subjectif):)entre)apprentie)chercheuse)et)vendeuse) 18! LES!INFORMATEUR>TRICE>S!:!CRITERES!ET!PRISE!DE!CONTACT! 20!

ANALYSE!:!CONSIDERATIONS!TECHNIQUES! 22!

A)la)croisée)entre)théorie)enracinée,)induction)analytique)et)analyse)langagière) 22!

Théorie)enracinée)et)induction)analytique) 22!

Conception)du)langage)et)posture)analytique) 24!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 27!

QUESTIONS&ET&PROBLEMATIQUE& 28!

QUESTION(S)!INITIALE(S)! 28!

LA!OU!LES!PROBLEMATIQUES!ET!LES!QUESTIONS!SUIVANTES! 29!

SENSIBILITE&THEORIQUE& 31!

FONDATION!:!CONSTRUCTION!SOCIALE!ET!LANGAGE! 33!

Langage)et)prostitution) 35!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 35!

PROSTITUTION!/!TRAVAIL!DU!SEXE! 37!

Définition)dans)le)droit) 37!

L’histoire)des)mots) 38!

Du)côté)académique) 41!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 52!

STIGMATE! 55!

Préambule) 55!

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3

De)l’attribut)à)la)relation) 56!

Discrédité)/)discréditable) 57!

Stigmate)et)travail)de)prostitution) 58!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 60!

GENRE! 61!

Panorama):)mouvements)féministes)et)champ)académique) 61!

Genre)et)sexe) 63!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 67!

SEXUALITE! 68!

La)sexualité)comme)système)politique) 68!

Proposition)de)dépassement)de)l’opposition) 74!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 75!

TRAVAIL! 77!

Définition) 77!

Division)sexuelle)du)travail) 79!

Travail)domestique) 82!

La)prostitution)comme)travail) 83!

«)Travail)considéré)comme)féminin)») 86!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 88!

MIGRATION!ET!PROSTITUTION! 90!

«)Traite)»)et)«)trafic)»)des)femmes) 90!

Globalisation,)migration)et)accès)à)l’emploi) 93!

SYNTHESE!INTERMEDIAIRE! 98!

CADRE&CONTEXTUEL& 100!

APPROCHE!HISTORIQUE!DES!RÉGLEMENTATIONS!DE!LA!PROSTITUTION! 100!

En)Suisse)de)nos)jours) 103!

A)Genève) 104!

Travail)social)et)syndicat):)Aspasie,)Sos)Femme) 109!

Syndicat):)innovation) 111!

ANALYSE& 113!

Choix)de)présentation):)le)portrait) 113!

ANDREA! 117!

ANNA! 139!

DILMA! 153!

PRICILIA! 163!

(10)

4

VALERIA! 168!

ZORA! 178!

SYNTHESES&ET&CONCLUSION& 195!

CONFIRMATION! 195!

REFLEXION!!SOUS!LANGLE!DU!GENRE! 202!

INNOVATION! 203!

CONCLUSION! 206!

BIBLIOGRAPHIE& 208!

OUVRAGES! 208!

SITES!INTERNET!CONSULTES! 213!

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6 A Malù, Encore et toujours pour avoir su supporter un parent étudiant et pour sa force

A son autre parent, pour s’en être occupé

A Maryvonne, Pour le support indéfectible, l’art de la critique, les sourires, le phare dans la tempête, ….

Et tant d’autres choses encore

A Betty, Mon sparring-partner dans l’auto-flagellation

A Salette, Pour ce qu’elle est A Caroline Dayer et Marylène Lieber, Pour avoir accepté de poser leur regard critique sur ce mémoire

A Aline, Manon, Natacha, Laura, Pour l’énergie créatrice du 3ème étage et le support précieux

A Kate Bush, Goran Bregovic, Patrick Watson, Beirut, Liliana Felipe et Calexico, Pour la bande son

A Joanna, Olivia, Lysiane et Laurence, OoooMmmm -pour m’avoir maintenu en vie- OoooMmmm

A Andrea, Anna, Dilma, Valeria, Pricilia, Zora et les autres, Pour m’avoir éclairé A Hazard 2nd Hand, pour m’avoir offert le terrain A moi-même, pour l’avoir fait

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Introduction!!

Choix&de&la&thématique&et&rapport&à&l’objet&

D’où!je!parle! !

En tout premier, il y a l’enfance et le côtoiement quotidien de ces dames qui officiaient en bas de l’immeuble où je suis née. Allant à l’école, un cartable sur le dos, elles me saluaient.

Puis il y a l’adolescence, quand ces mêmes dames s’en prenaient à de pauvres malheureux qui avaient eu l’audace d’insister un peu lourdement en me faisant des avances dans la rue. Il y a cette amie dont la mère, dans un autre pays, était prostituée. Il y a eu cette question « tu as déjà vu une prostituée » posée par une collègue à l’uni. Il y a eu le ton de la normalité dans la bouche de ma fille, quand en rentrant de l’école, elle m’a dit : « tu sais que la mère de Céline, elle est prostituée ». Il y a eu la découverte de cette dédicace pour ma mère de la part de Grisélidis Real, signée dans un livre sur les Pâquis, qu’elle lui avait offert. Il y a Almodovar.

Il y a les courtisanes et les putains. Il y a les secrets d’alcôves dévoilés dans l’anonymat. Il y a tout ce dont on ne parle pas ou pas avec les mêmes mots : les gigolos, les escorts boys, les mariées sur commande. Il y a les mythes, les tragédies, les passés cachés, les présents troublants,…

Il y a mon quotidien. Et il y a ce jour où croisant l’une des « filles » je me suis arrêtée avec une question en tête « mais que font-elles quand elles arrêtent ».

Enfin, je suis une femme, blanche, issue d’une famille hors-norme, bac + presque 5 sur le plan des études formelles. Voilà d’où je parle !

Raison!du!choix!de!l’objet!et!présentation!du!mémoire!

Quand le moment de choisir un sujet de mémoire est arrivé, ma certitude était le souhait de travailler sur une thématique controversée, une thématique qui engage le débat. Mon autre désir était de travailler sur un objet qui fasse partie de mon quotidien, afin de m’essayer au dur exercice du changement de regard sur les évidences de l’ordinaire du vécu. Un des dénominateurs communs de ces désirs et souhaits s’est avéré être la prostitution. Ce choix s’est nourri du constat que nombre de personnes semblent savoir de quoi il en retourne quand on parle de prostitution et prostituées, mais que la parole des personnes concernées est

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8 rarement audible. Les conflits émanant de la rencontre entre mes représentations et celles des personnes avec lesquelles je discutais sur cette thématique a également alimenté ce choix.

Dans ce mémoire, il s’agit de découvrir, en laissant une place aux mots des concernées directs, comme autant de juge rendant leur verdict, une pratique que nous pensons connaître, mais qu’au final nous ne vivons pas. Il y a donc le souhait de laisser une place à la parole de l’autre, et pas seulement aux autres sur elles.

N’en déplaise aux plus âpres défenseurs d’UNE science voulue objective, nous verrons dans la partie accordée au pôle épistémologique et méthodologique que je m’inscris dans une démarche épistémologique qui conçoit le chercheur comme faisant partie du monde social et comme contribuant à le construire. Dans cette perspective, les connaissances ne sont apparemment pas neutres. C’est pourquoi j’ai inauguré ce mémoire en précisant d’où je parle.

Ce premier point s’accompagne d’une recommandation faite par Mayer (2011) pour qui choisir la prostitution comme objet de recherche invite à une prise de position de la part du chercheur et à une réflexion sur celle-ci, afin de déjouer et de dévoiler certaines orientations du regard et ses implicites Il me faut ainsi préciser d’office, concernant le débat polarisé (pour ou contre, liberté ou esclavage) qui porte sur la prostitution, ma position initiale. Au début de ce mémoire, j’étais, envers et contre tout, pour. Cette position était nourrie par des représentations et des connaissances construites sur l’image des prostituées de rue des Pâquis des années 80. J’annonce d’office que si je suis toujours pour la prostitution, mon avis s’est nuancé et mon regard s’est teinté de la complexité inhérente à cette thématique.

Ce mémoire porte donc sur la prostitution de rue et plus précisément sur celle qui a lieu sur les trottoirs des Pâquis, à Genève, en Suisse. Suite à cette introduction, je préciserai le socle épistémologique, les choix méthodologiques et analytiques qui servent de trame à ma recherche pour ce mémoire. Ces premières précisions apportées, je présenterai mes questions et la problématique de la recherche. Une partie qualifiée, à la suite de Dubar et Demazière (1997), de sensibilité théorique présentera les concepts et théories qui ont participer à ma réflexion, à ma construction de l’objet et à ma compréhension de celui-ci. Suite à cela, en accord avec ma posture épistémologique et avec certaines éléments de compréhension émanant du cadre théorique, je présenterai le contexte dans lequel agissent les personnes qui m’informent, afin de faciliter la compréhension de l’environnement dans lequel prend part l’activité prostitutionnelle présentée dans ce mémoire. Enfin je passerai à la partie analyse et je terminerai par deux synthèses qui feront office de conclusion.

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9 En dernier lieu, il me faut préciser encore deux points. Premièrement, si ce mémoire finalise un master en formation des adultes, je puise autant, pour construit mon objet, dans la sociologie (sur la prostitution et interactionniste), que dans les études genre, ou dans l’anthropologie au niveau méthodologique et théorique. Ce mémoire se trouve donc à la croisée de différentes disciplines, auxquelles je préciserai que je n’ai pas été formée. Cette approche pluridisciplinaire me semble s’accorder avec d’autres choix effectués telles que la démarche épistémologique et l’importance accordée à la dialectique individuel/collectif dans la construction des connaissances (Berger et Luckman, 1966/2008). Deuxièmement, en termes d’écriture, je ne respecte pas le « vous » en vigueur dans les standards du monde de l’écrit universitaire. Deux raisons président ce choix. Le premier est qu’en tant qu’actrice sociale, si ma voix se nourrit des échanges avec le collectif et contribue à la construction de la réalité, elle marque une prise de position qui au final n’implique que moi. Deuxièmement, le

« vous » m’apparaissait comme sonnant faux sous ma plume et il me bloquait dans le processus de rédaction. Voici pourquoi, le texte qui suit, tout comme celui qui précède, est écrit à la première personne du singulier.

!

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Approche!épistémologique!et!choix!méthodologiques!

Posture&épistémologique&

Après un balayage du panorama épistémologique des sciences humaines et sociales, je préciserai dans quelle démarche épistémologique s’inscrit ce mémoire, afin de permettre au lecteur de comprendre les choix effectués et la logique sous-jacente.

Panorama&épistémologique&des&sciences&sociales&

La lecture du monde et les connaissances produites à son sujet ont de tout temps été l’enjeu de pouvoirs divers. Si en Occident durant l’époque des Lumières, le domaine scientifique s’est imposé comme lieu légitime de construction de savoirs, il convient de rappeler qu’il fait suite à l’hégémonie de l’Église Chrétienne. En ce qui concerne plus précisément le domaine des sciences humaines et sociales, je présenterai quelques éléments situant l’émergence de la démarche explicative et permettant de comprendre ses principes généraux, avant de présenter la démarche compréhensive issue des critiques internes à la démarche explicative et les différences en termes de processus de recherche existant entre les deux.

Démarche)explicative)

Schurmans (2006) nous apprend que les sciences humaines et sociales prennent forme dans le sillon des sciences de la nature. C’est dans un contexte social général critique à l’égard de l’obscurantisme que Comte pose les bases du positivisme, sur lequel s’adosse la démarche explicative du projet scientifique. Selon Schurmans :

Un tel projet se voit […] ciblé sur l’étude des relations de causalité, c’est-à-dire l’observation des enchainements de cause à effet. Il repose en ce sens, sur une philosophie de l’ordre : les événements naturels et sociaux n’adviennent pas de façon aléatoire mais sont le produit de déterminations. La perspective déterministe ainsi préconisée permet d’identifier progressivement les lois de fonctionnement de la nature et du social. Et cette connaissance permet à son tour de prévoir, ainsi que d’agir rationnellement sur l’environnement naturel et social afin de l’organiser et d’en contrôler les désordres potentiels. (2006, p.13)

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11 Poursuivant la logique des sciences de la nature, la rupture épistémologique, par la mise à distance de la subjectivité du chercheur, s’impose afin de déjouer toute forme d’interprétation et la validation des connaissances passe par la construction d’objets délimités par des critères observables et mesurables. Dans ce contexte de méfiance à l’égard de l’interprétation et dans lequel la validité scientifique se matérialise sur des critères observables, le sens commun est délégitimé au profit des savoirs scientifiques. Le mot d’ordre est contrôle et les dispositifs de recherche de type expérimental illustrent avec justesse la logique et les principes de cette démarche. Dans une telle perspective, l’individu est considéré comme un agent guidé par des déterminismes qui le dépassent.

Démarche)compréhensive)

Comme dans toute approche, des failles existent. “La controverse apparaît donc avec l’émergence d’un questionnement : les objets des sciences sociales ne seraient-ils pas différents de ceux des sciences de la nature ?” (Schurmans, 2006, p.69). Cette controverse donne naissance à la démarche interprétative (Schurmans, 2006) ou compréhensive. Selon les contestataires du modèle explicatif, la différence entre les sciences sociales et celles de la nature porte sur la part subjective inhérente à l’humain dans la construction du social. Dans une telle perspective, il devient illusoire de penser faire table rase de cette subjectivité et plutôt que de la nier, il s’agit d’en tenir compte. La frontière entre les connaissances de sens commun et celles scientifiques n’est alors plus si étanche. La méfiance à l’égard du caractère aléatoire du langage dans la démarche explicative se voit remise en question au profit d’une valorisation de celui-ci comme médium privilégié d’accès aux significations construites par les personnes. Concernant les objets de recherche, avec ce changement de paradigme s’inaugure tout un nouveau pan de types d’objets de recherche propres à l’expérience humaine tels que les intentions, les motivations, les significations.

Au niveau du processus de recherche, les objets ne sont plus considérés comme détachés de la construction sociale qui en est faite. Il ne s’agit pas de « faits » existant « en l’état » à propos desquels il s’agira de récolter des données permettant d’expliquer les lois qui les gouvernent. Le chercheur fait partie du monde social et donc participe à sa création. Il n’est pas neutre et il s’inscrit dans un paysage historico-social qu’il s’agit de préciser. Notamment, car dans une telle perspective, les connaissances ne sont pas absolues, détachées d’un lieu et d’une époque, mais à réinscrire dans une dynamique de changement et d’adaptation continue.

La rupture épistémologique tant préconisée est remise en question au profit d’une prise en compte pour le chercheur de sa propre subjectivité dans le processus de construction de

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12 l’objet. Au niveau de la validité scientifique, il s’agit d’expliciter les choix faits durant la démarche et dans la construction de l’objet, afin de donner accès à la subjectivité du chercheur.

Enfin, mentionnons que les déterminismes sont au cœur de la démarche explicative, avec l’optique pour l’activité scientifique de mise en évidence de lois, et la conception d’humain considéré comme un agent régi par ces déterminismes. À l’inverse, “la démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures, mais des producteurs actifs du social, donc les dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus”

(Kaufmann, 2011, p.24).

Entre déterminisme et auto-détermination, entre agent et acteur, entre objectivité et subjectivité, entre monisme de l’activité scientifique et distinction entre sciences de la nature/

sciences humaines et sociales, une troisième proposition se met en œuvre. Dans le souhait du dépassement de la controverse entre ces deux postures, Schurmans (2006), à la suite de Apel, propose une nouvelle définition de la compréhension, qui est celle que j’adopterai dans ce mémoire. Selon Charmillot et Dayer (2007), “les dimensions principales qui la caractérisent consistent à envisager la personne humaine en tant qu’acteur et à centrer l’analyse sur la dialectique individuel/collectif” (p.132). L’humain est tout autant produit que producteur du social et si des déterminismes l’encadrent, il est également réactif à ceux-ci. Charmillot et Dayer de poursuivre :

cette posture dégage la logique des conduites individuelles et collectives en ce qu’elle se centre sur la mise à jour des significations que chacun d’entre nous attribue à son action (quel veut l’acteur, quels buts veut-il atteindre, quelles sont ses conceptions des attentes des autres…. quelles sont les attentes des autres ?) ; ainsi que sur la mise à jour de la logique collective qu’est l’activité sociale (quelle trame les actions et réactions forment- elles, quel est le réseau de significations qui apparaît sur la base du faisceau croisée des actions singulières ?). (2007, p.132).

Cette perspective envisage le monde social comme résultant d’un processus dynamique continu de construction, déconstruction, reconstruction. La dialectique individuel/collectif est au cœur de ce processus et le langage y est capital. Pour en revenir à l’activité scientifique, celle-ci se voit dotée d’une responsabilité double. L’aura qui encadre les connaissances scientifiques depuis l’avènement du positivisme, invite à une responsabilité accrue du chercheur quant aux connaissances qu’il va restituer. Il ne s’agit pas seulement de comprendre

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13 (dans le sens d’interpréter) le sens que l’agir prend pour les personnes, mais également de faire comprendre.

C’est pourquoi cette démarche s’inscrit dans les sciences critico-reconstructives, dont la définition “repose sur trois éléments clefs. Le premier relève du sujet épistémique […] loin d’être « autarcique et clos sur soi », il doit au contraire inclure nécessairement « l’idée de la communauté communicationnelle comme sujet de la compréhension du sens » (Appel, 2002, p.317). Le deuxième porte sur les conditions de validation : « la possibilité de former des consensus dans une communauté illimitée de communication» […]. Le troisième [est relatif à] […] l’intérêt émancipatoire de la connaissance ” (Schurmans, 2006, p.78).

Théorie&enracinée& &

Cette première précision épistémologique en entraine une autre concernant la place du terrain dans la recherche et dans son déroulement. La Grounded Theory ou Théorie Enracinée, développée par Glaser et Strauss (1967/2010), permet de réfléchir à cette place dans le processus de recherche. Dans la démarche explicative, la méfiance à l’égard du sens commun faite au profit d’une valorisation du savoir scientifique, discrédite les apports du terrain. Celui-ci est perçu comme l’éventuel lieu de vérification d’hypothèses construites sur la base de théories scientifiques. À l’inverse, dans la ou les démarches compréhensives, le terrain retrouve ses lettres de noblesse. La théorie enracinée propose une démarche qui passe par la mise en oeuvre d’un processus continu qualifié de triangulation entre trois pôles : chercheur, théorie, terrain. Les va-et-vient entre les trois complexifient petit à petit la compréhension de l’objet et permettent par une montée en intersubjectivité de mettre à distance les conceptions initiales du chercheur (et donc de sa subjectivité).

En suivant les principes de cette méthode inductive, la théorie est considérée comme émergeant des données du terrain. Elle se construit sur des catégories dites « indigènes » (soit des regroupements de concepts issus du terrain), dont la mise en réseau permettra de comprendre le phénomène social étudié.

Demazière et Dubar (1997) se réfèrent à cette méthode, tout en incluant une critique qui permet de la développer. Si la théorie émerge du terrain et part donc des catégories de pensée de celui-ci, le chercheur passe quand même par ses propres connaissances pour l’interpréter.

Ils invitent à tenir compte des orientations du regard du chercheur, lequel est influencé par une certaine conception du monde. Cette orientation du regard est qualifiée de sensibilité théorique. Le chercheur interprète et nomme les éléments qu’il juge importants. Or, cette catégorisation, si elle s’appuie sur des éléments du terrain, est également influencée par sa

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14 conception à son égard. Dans la proposition de Demazière et Dubar (1997), il s’agit de négocier la définition des catégories et les significations qui s’y rapportent, sans privilégier le pôle théorie ou celui du terrain. La connaissance se développe alors de l’interaction entre les deux. Leur proposition incite également à une analyse ancrée dans les mots constitutifs de l’entretien dépassant une simple analyse de surface.

Dans mon cas, il s’agit de permettre l’émergence de catégories provenant du terrain (ces fameuses catégories « indigènes » inscrites dans le vécu du terrain) et de les mettre en dialogue avec les miennes, issues de théories scientifiques. Cette négociation du sens, issue de la rencontre entre mes catégories d’appréhension du réel et celles de mes interlocutrices, participe à la co-construction de la réalité sociale étudiée.

Synthèse&intermédiaire&&

Suite à cette présentation, il me faut rapporter les éléments retenus et mis en œuvre dans ce mémoire.

De la posture compréhensive choisie, je retiens : l’importance accordée au sens que les personnes donnent à leur agir ; la prise en compte du contexte historico-social dans lequel la recherche s’ancre ; la conception d’un humain qui n’est pas acteur ou agent, mais les deux ; l’importance de la responsabilité du chercheur quant aux connaissances produites et restituées ; la nécessité d’expliciter en détail les choix effectués tout du long du processus de recherche, afin de permettre de valider des connaissances qui ne répondent pas aux canons usuels de jugement scientifiques lesquels sont issus de la démarche explicative; l’importance du langage.

De la théorie enracinée, je garde : l’importance du va-et-vient itératif entre terrain, théorie et chercheur dans le processus de construction de connaissances ; la nécessaire prise en compte de ma sensibilité théorique, laquelle éclaire les données sans les enfermer pour autant ; l’importance de la négociation du sens entre le chercheur et les informateurs pour dépasser l’opposition entre savoirs « indigènes » et savoirs scientifiques.

Concrètement, cela me conduira :

• à choisir une méthode de co-construction des données qui permettent l’émergence des significations que les personnes portent sur leur agir ;

• à inclure une description du contexte, tant de la recherche (par l’explicitation de mon rapport au terrain et du cadre de celle-ci) que du terrain ;

• à tenter d’expliciter au maximum mes choix méthodologiques et théoriques ;

• à négocier (et non pas imposer) la problématique avec les acteurs sur le terrain.

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15

Choix&méthodologiques&

Méthode&de&production&des&données&:&l’entretien&de&recherche&

Par le biais de ma recherche, je m’intéresse au regard porté par les personnes prostituées sur leur expérience de la prostitution et il s’avère que “l’entretien est la méthode par excellence pour saisir les expériences vécues des membres de telle ou telle collectivité”

(Demazière, 2008, p.15). Parmi le panel de méthodes existant dans une visée de construction des données, l’entretien de recherche est ainsi retenu. Hormis la raison susmentionnée, deux autres incitent au choix de cette méthode : l’importance accordée au langage ; le souhait de ne pas imposer la définition d’un objet de recherche, mais qu’il émerge d’une négociation avec le terrain.

Olivier de Sardan (1995) distingue le guide d’entretien du canevas d’entretien. Selon cet auteur :

le guide d’entretien organise à l’avance les « questions qu’on pose », et peut dériver vers le questionnaire ou l’interrogatoire. Le canevas d’entretien, lui, relève du « pense-bête » personnel, qui permet, tout en respectant la dynamique propre d’une discussion, de ne pas oublier les thèmes importants. Il en reste aux « questions qu’on se pose », en laissant qu’on pose ». (1995, p. 78)

Cette distinction me plait, car elle permet d’introduire la complexité qui se cache derrière l’appellation « entretien de recherche ». Il y a entretien et entretien, et mentionner ce choix mérite quelques approfondissements.

Dans la famille « entretien », à un extrême se situe l’entretien non-directif qui est amorcé par une simple consigne et durant lequel l’interviewer tente d’imposer le moins possible ses significations. A l’autre extrême se trouve l’entretien directif qui avec rigueur verra s’enchainer les questions dans un ordre et une formulation précis auxquels l’interviewer ne dérogera sous aucun prétexte, faisant fi de l’interaction propre à la particularité de la situation.

Entre les deux se trouve l’entretien semi-directif qui est celui que je choisis. Accompagné par un canevas d’entretien (dans le sens entendu par Olivier de Sardan), une fois énoncée l’amorce de la consigne d’ouverture, si j’ai une série de questions en rapport avec des thématiques qui me semblent importantes, je laisserai une place à l’imprévu afin de respecter la dynamique propre à chaque entretien. La formulation des questions pourra ainsi sensiblement différer d’un entretien à l’autre, l’ordre des thématiques dépendra de chaque interaction et une place sera laissée à d’éventuelles thématiques émergeant à l’initiative de mes interviewées.

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16 Concernant la place du terrain et donc l’utilisation du matériau, dans le respect de la démarche compréhensive et en accord avec la théorie enracinée, “le terrain n’est plus une instance de vérification d’une problématique préétablie mais le point de départ de cette problématisation” (Kaufman, 2011,p.22). C’est pourquoi, afin de respecter ce principe et ne pas imposer la définition de l’objet aux individus concernés, j’utilise cette méthode dans une perspective de démarche négociée de construction de l’objet et de la problématique. Cette démarche de co-construction est à envisager selon différentes temporalités. Durant le déroulement de chaque entretien, je tente de formuler des questions ouvertes et de rester attentive à laisser une place pour d’éventuelles nouvelles thématiques. Puis entre chaque entretien, j’effectue une retranscription complète et une microanalyse (Strauss et Corbin, 2003 ; 2004). Celle-ci me permet de relever les thématiques émergentes, les étonnements de mes interlocutrices face à mes questions et elle constitue ainsi une source de remise en question concernant mes propres évidences. Le tout contribue à la construction de ma problématique.

Canevas)d’entretien) )

La remarque susmentionnée de Olivier de Sardan (1995) introduit la distinction entre canevas et grille d’entretien et inaugure l’importance de cet outil dans la construction des données. L’option canevas est choisie car invitant à plus d’espace de liberté dans le déroulement de l’entretien. Mais comment constituer une trame de questions, ou plus simplement choisir des thématiques quand l’objet n’est pas délimité en amont de son entrée sur le terrain ?

La construction du canevas respecte le déroulement de la théorie enracinée, soit la construction progressive de la problématique dans le mouvement itératif entre terrain et théorie. Je me suis référée à une série de thématiques que j’imaginais pertinentes avec ma question de départ. Ce flou de départ ne pourrait pas s’appliquer dans le cadre d’une démarche explicative, mais il ne me semble pas poser de problème dans la posture endossée.

Ce n’est pas un canevas construit en deux phases. Une première durant laquelle il est testé avec une ou deux personnes. Puis une seconde phase qui, après remaniement, emploie cette version finale pour le reste des entretiens. Une attention particulière a quand même été amenée concernant le choix et la formulation de la consigne de départ, laquelle est :

« Si tu dois me raconter ton expérience de la prostitution qu’est-ce qui te vient spontanément ? De quoi as-tu envie de parler ? »

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17 Au gré des entretiens, le cœur des thématiques est resté le même, bien qu’à tout moment j’ai été prête à le modifier en fonction de l’avancement de mon questionnement. Au final, dans le courant des entretiens, la formulation des questions et les thématiques abordées sont dans l’ensemble restées les mêmes.

Je préciserai qu’à l’issue des trois premiers entretiens, de leur codage ouvert et de lectures scientifiques tant méthodologiques, que théoriques, j’ai eu l’impression que mon objet était de plus en plus vague. L’ouverture des possibles en amont de la recherche est un choix que j’estime cohérent dans la posture épistémologique adoptée. Pourtant, suite aux premiers entretiens, cette même ouverture s’avère problématique, en raison de la faisabilité de ma recherche : manque de temps, cadre d’un mémoire, manque d’expérience. “Très vite il est indispensable de réfléchir aux limites, car le premier danger de la recherche est de partir dans tous les sens, de se perdre dans les sables, de rendre impossible toute construction d’objet.”

(Kaufman, 2011, p.33). Si les problématiques potentielles que je vois émerger dans mes entretiens apparaissent toutes passionnantes, il y a une sensation d’éclatement qui m’empêche de voir un fil conducteur permettant de rassembler tous ces éléments sous une même bannière.

Je mentionne ces doutes, car ils ont eu une conséquence dans la suite de ma recherche au niveau de la conduite des entretiens.

Au tréfonds de ces errements, j’ai repris les microanalyses des trois premiers entretiens.

Une thématique particulièrement saillante s’est confirmée : la conscience du stigmate. Celle- ci, également mise en évidence dans la littérature scientifique sur la prostitution, m’avait déjà questionnée. Pour les trois entretiens suivants, la consigne initiale était la même, puis le déroulement de l’entretien était sous-tendu par deux phases. La première phase visait à constater si des indications concernant un éventuel vécu du stigmate apparaissait spontanément et, le cas échéant, sous quelle forme. L’indication était une mise à distance de la sphère concernant l’activité prostitutionnelle avec d’autres, le partage des informations, le sentiment de honte, la mention du jugement du regard des autres. La deuxième partie servait à explorer, le cas échéant, le stigmate, son ressenti, ses effets, les préjugés auxquels il se rapporte, bref le stigmate tel que vécu par les personnes. Comme nous le verrons dans la partie analyse, ce choix ne fut pas sans conséquence.

Contexte&de&production&&

Bronckart (1996) explique que “le contexte de production peut être défini comme l’ensemble des paramètres susceptible d’exercer une influence sur la manière dont le texte est

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18 organisé” (p.95). Dans celui-ci, ce même auteur distingue un contexte « physique », d’un autre socio-subjectif. Rappelons que dans la posture épistémologique choisie, la négociation de sens occupe une place centrale tant dans la définition de la problématique que durant la co- production des données, or cette négociation s’inscrit dans un cadre social qui dépasse l’entretien même. C’est pourquoi je vais préciser quelques éléments de ce contexte qui m’ont semblé importants dans la production des données.

Contexte)physique)

Quatre paramètres peuvent être utilisés pour définir le contexte physique : le lieu de production ; le moment de production ; l’émetteur ; le récepteur (ou interlocuteur dans le cas d’un échange oral) (Bronckart, 1996).

Concernant les deux premiers paramètres, le choix du lieu a été laissé libre et dans cinq des cas, l’entretien s’est déroulé dans des tea-rooms qui bordent les rues dédiées à la prostitution. Le sixième s’est passé dans un bar (à champagne), le lieu où est stationnée la personne dans l’exercice de ses fonctions. Leur durée a oscillé entre 45 minutes et 90 minutes.

Concernant la temporalité de construction du corpus, les entretiens se sont échelonnés sur une durée de huit mois, entre octobre 2012 et mai 2013. Je rappelle qu’entre chacun une retranscription et une microanalyse ont été effectuées.

Contexte)socio9subjectif):)entre)apprentie)chercheuse)et)vendeuse)

Le contexte socio-subjetif est composé : lieu social ; la position sociale de l’émetteur et du récepteur ; du but (Bronckart, 1996). Le lieu social n’est pas important dans mon cas. Par contre la position sociale a été source de réflexion et de remise en question.

Il convient d’office d’annoncer l’ambigüité de mon statut dans le cadre de ce mémoire.

Alors qu’à l’université j’y suis connue comme étudiante de master, aux Pâquis pour mes interlocutrices, c’est en tant que vendeuse, personne du quartier. Cette position de vendeuse a été un inconvénient et un avantage. Si je mentionne ce fait, c’est pour deux raisons. La première, c’est que ce rôle de vendeuse m’a, malgré tout, été d’une grande aide dans ma prise de contact avec le terrain. La seconde, dans l’interaction même des entretiens, j’ai eu du mal à me situer face à l’autre et à endosser le rôle de chercheur, comme si la légitimité de ma recherche était entachée par mon rôle de vendeuse.

Olivier de Sardan (1995) évoque l’imprégnation du terrain. Cette imprégnation qui permet au chercheur de petit à petit se familiariser avec la culture locale, mais aussi se faire connaître et gagner la confiance qui facilitera peut-être le déliement les langues. Mon imprégnation avec mon terrain est antérieure au choix même de ma thématique, étant donné

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19 que celle-ci nait de la familiarité due à la fréquentation de ce terrain, par lien de voisinage.

Pourtant dès ce choix effectué, j’ai été plus attentive à ce que j’observais et à ce que j’entendais. Tout du long de ce mémoire, des discussions informelles ont nourri ma réflexion et quand bien même leur contenu ne peut avoir le statut de « donnés » à proprement parlé, je ne peux pas non plus les nier.

Au fur et à mesure de mon avancée dans ce processus de recherche, j’ai questionné et investigué afin de confronter l’évolution de mes réflexions avec les points de vue de ces femmes prostituées côtoyées dans la boutique. Quand je ne trouvais pas d’informations de type formel, telle que l’annonce à la police, c’est auprès de ces femmes que je retirais mes informations. Il en va de même quand je questionnais les nouvelles en provenance d’Espagne sur leur possibilité de séjour en Suisse. Bref, si l’entretien est la méthode de construction des données du corpus, omettre de mentionner toutes ces conversations informelles et ces moments d’observation (qui influencent aussi ma pensée) me paraîtrait ne pas respecter la démarche que je me suis proposée d’adopter.

Lors des trois premiers entretiens, j’ai éprouvé une réelle difficulté à endosser le rôle de chercheuse et j’ai eu l’impression d’être une impostrice. Réussir à m’imposer dans ce rôle de chercheur est une première difficulté. L’autre différence est relative à mes représentations de la posture compréhensive, dans laquelle j’imagine que je ne dois en aucun cas imposer de problématique. Bertaux (2010), par sa réflexion sur le filtre de l’objet, m’a ouvert une porte qui m’a permise de sortir de cette impasse. A propos du récit de vie comme méthode, il explique que dans celui-ci, ce n’est au final pas tant la vie de l’individu qui est au centre, mais l’objet sur lequel porte la recherche. Un déclic s’est produit. Dans ma tête, au centre de l’interaction, ne se trouvait plus la relation, mais l’objet qui reprenait ses lettres de noblesse.

C’est alors que ce qui m’est apparu en premier lieu comme un handicap s’est transformé en force dans la relation à l’autre. Une certaine confiance était déjà établie par ma présence sur le terrain et le statut de chercheuse m’a permis d’oser m’aventurer dans des lieux inédits pour permettre à l’autre de parler. Chaque entretien est une rencontre. La facilité à se livrer ne m’est que partiellement attribuable. L’ampleur et le type d’informations partagées dépendent beaucoup de la personne et de son rapport à l’objet. Dans l’ensemble, je mentionnerai qu’à l’exception d’une personne, dans les entretiens, le premier tiers « tourne » autour du sujet, avant de sentir la personne se relaxer et parler avec plus de liberté et moins de contrôle.

Au niveau du but, des problèmes de compréhension sont parfois apparus, lesquels ne sont pas sans rapport avec ma position sociale ambiguë. A deux reprises, quelques temps après

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20 l’entretien, des interlocutrices m’ont interrogée sur mon reportage journalistique. Puis, pour une de mes interlocutrices, ayant un diplôme universitaire, ce sont les sciences de l’éducation, et plus précisément la formation d’adultes, qui ont été source d’incompréhension. Dans l’entretien, elle se réfère à mes études en psychologie. Pourtant, dans la présentation de ma requête, tant dans au niveau de la prise de contact, qu’en guise de rappel et de cadrage en début de chaque entretien, l’explicitation de ma position et de l’enjeu de notre rencontre me semblait claire.

Enfin, je dois avouer que la présence de mon magnifique canevas et d’un tout aussi somptueux enregistreur ne sont pas à négliger. En situation, l’enregistreur et ce bout de papier posé à ses côté m’apparaitront comme une clochette au cou d’un chat. Toujours là pour rappeler que ce n’est pas pour la beauté du geste que nous sommes là, mais bel et bien pour la beauté de la connaissance !

Les&informateurCtriceCs&:&critères&et&prise&de&contact&

Comment définir les critères de celles et ceux dont l’expérience trouvera grâce avec l’objet de la recherche ? Comment cibler les personnes à interviewer ? Comment entrer en contact ? Autant de questions communes à quiconque souhaite entreprendre une recherche.

Un premier choix est à préciser concernant mon accès au terrain. Pour deux raisons, j’ai décidé de ne pas me tourner vers des associations actives auprès des prostitué-e-s / travailleur- se-s du sexe, du type d’Aspasie à Genève. Premièrement, bien que je sois admirative du travail de ces associations, mon intérêt porte sur les significations de personnes prostituées.

En cohérence avec cet intérêt, ce sont ces personnes qu’il me fallait contacter. Deuxièmement, les mémoires ou les thèses sur la prostitution que j’ai eu l’occasion de consulter, rapportent des chercheur-se-s qui ont sollicité ce type d’associations pour leur rencontre avec le terrain.

Si cette démarche me semble intéressante et pertinente, j’ai d’autres moyens d’accéder aux personnes du terrain (comme mentionné dans mon introduction). En dehors de cette facilité d’accès, j’ai remarqué que dans le cadre des mémoires ayant sollicité Aspasie comme intermédiaire, le profil des informateurs semblent souvent se rapporter aux mêmes personnes.

J’ai pensé qu’il serait intéressant d’avoir accès à d’autres informateurs pour éventuellement varier les points de vue.

Afin de ne pas poser des critères distinctifs en amont même de la recherche le dénominateur commun « avoir fait l’expérience de la prostitution» statue sur celles et ceux

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21 qui « en sont » des autres. A ce critère d’éligibilité se joignent deux critères restrictifs découlant d’une limite de faisabilité : les langues et le territoire géographique d’exercice.

Concernant le premier critère, face à un public international, le filtre du français et de l’espagnol est de mise et il restreint l’accès aux seules personnes parlant l’une ou l’autre de ces langues. Si l’accès à des personnes de France, Suisse, Espagne, Amérique Latine ou d’Afrique francophone est possible, il devient impossible d’entrer en contact avec celles originaires d’Asie ou d’Europe de l’Est.

A propos du contexte géographique, le quartier des Pâquis est privilégié en raison d’une facilité d’accès et d’un travail d’imprégnation de longue date avec ses occupant-e-s. Pour rappel, le choix de la thématique du mémoire n’est pas sans lien avec mon propre vécu. En ce qui concerne la prise de contact, mon premier vivier de contacts potentiels passe par la boutique qui m’emploie depuis de nombreuses années. Mon second est une personne rencontrée dans la boutique, laquelle au fil des années est devenue plus proche et qui se charge de demander à ses connaissances si elles acceptent de se prêter à un entretien. Dans les deux cas, les Pâquis sont au centre. Malgré la multitude de pratiques hébergées par ce quartier, mes contacts ne rencontrent pas cette variété et je me rends compte que la majorité des personnes côtoyées officient en tant qu’indépendantes.

Ces premiers jalons posés, il reste à définir qui a fait l’expérience. Or, la prostitution n’est pas une marque visible au tout venant et même les stéréotypes vestimentaires s’avèrent insuffisants. Sus au cliché mini-jupe, bas résilles, décolleté pigeonnant, talons vertigineux et moue avenante… Un tour des trottoirs du quartier en hiver dévoile son lot de belles de jour en jeans, doudoune, bottes... Bref des tenues pour le moins non ostentatoires. Les nuisettes et autres tenues affriolantes sont réservées à l’intérieur ou aux vitrines qui nouvellement

« égaient » les rues. La nécessité de trouver un autre moyen pour définir les potentielles personnes à interviewer s’est imposée. Dans cette optique, la théorie de l’étiquetage, telle que Becker (1963/1985) la présente, a servi de support réflexif. Il me fallait donc trouver des personnes qui se reconnaissaient comme prostituées. C’est pourquoi les personnes sollicitées ont toutes fait référence à leur activité prostitutionnelle devant moi (mais pas toujours à moi !) dans le cadre de la boutique où je travaille. Cette technique m’a permis d’aborder 10 personnes. Si dans un premier temps toutes ces personnes ont répondu positivement à ma requête, au final trois entretiens résulteront de ces sollicitations spontanées. A chaque personne interviewée, il sera demandé si elle connaît une autre personne qui accepterait de livrer son expérience dans le cadre d’un entretien. Cependant cette voie restera sans issue. Sur ces 10 entretiens, sept se verront empêchés pour des raisons qui ne sont pas sans importance

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22 dans la suite de mon exposée. Effectivement, il s’agit pour ces cas empêchés d’un changement géographique de lieu d’activité temporaire ou définitif1. Concernant les contacts de mon intermédiaire, sur six entretiens prévus, trois seront refusés à la dernière minute.

Après enquête sur les raisons de ces refus de dernière minute, la peur du regard des autres sera le motif principal.

Analyse&:&considérations&techniques&

A)la)croisée)entre)théorie)enracinée,)induction)analytique)et)analyse)langagière)

Offrir son travail à la critique passe également par une explicitation des principes qui ont guidé l’analyse. Dans mon cas, je m’inspire de trois démarches : théorie enracinée, induction analytique et posture analytique à l’égard du langage. Les deux premières sont des repères pour le déroulement de l’analyse et pour la logique sous-jacente à la construction des hypothèses. La troisième est utilisée comme ressources dans l’appréhension des données langagières. Elle est à relier avec la valorisation du langage et avec la conception de données co-construites dans une situation d’entretien.

Théorie)enracinée)et)induction)analytique) )

Dans la théorie enracinée, Strauss et Corbin (2003 ; 2004) expliquent que l’analyse commence dès les premières données construites. Effectivement dans cette méthode,

“l’analyse est mise en branle dès le départ parce qu’elle est utilisée pour orienter les observations et les entretiens à venir” (p.366). De la sorte, l’objet de la recherche s’ancre dans le terrain et il évolue au fur et mesure, se développant au gré des découvertes et des interrogations. Au niveau des opérations plus concrètes d’analyse, ces auteurs présentes trois formes successives de codage, dont j’ai principalement utilisée la première :

• Le codage ouvert correspond à une phase de lecture attentive du matériau, avec annotation spontanée des éléments et questions qui émergent. C’est une première phase d’émergence de catégories et des dimensions qui les composent.

• Le codage axial durant lequel “des catégories continuent à être découvertes, ainsi que leurs propriétés et leurs dimensions, mais ce sont les relations entre elles qui sont avant tout explorées, ainsi que leur pertinence en regard des données” (Strauss &

Corbin, 2003, p. 374).

1 Voir dans le cadre théorique, la partie accordée à la migration.

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23

• “Le codage sélectif est le processus par lequel toutes les catégories sont unifiées autour de « catégories centrales » (core), tandis que les catégories qui requièrent davantage d’explicitation sont étoffées de détails descriptifs” (Strauss & Corbin, 2003, p.375).

Cette première méthode est accompagnée d’une seconde qui, selon Kaufman (2011), lui est similaire sur bien des points : l’induction analytique. Becker (1998/2002) explique avec plus de clarté que je ne saurais le faire le déroulement et le principe de cette méthode. C’est pourquoi j’emprunte ses mots pour la présenter :

Lorsque vous faites de l’induction analytique, vous élaborez votre théorie cas après cas.

Dès que vous avez collecté des données sur votre premier cas, vous formulez une explication qui s’y applique. Puis lorsque vous avez des données sur votre deuxième cas, vous lui appliquez votre théorie. Si elle explique ce deuxième cas de manière satisfaisante, pas de problème, votre théorie est momentanément confirmée et vous pouvez passer à votre troisième cas. Lorsque vous tombez sur un « cas négatif », c’est-à- dire sur un cas que votre théorie échoue à appliquer, vous modifiez votre explication en y incorporant tous les éléments nouveaux que ce cas embarrassant vous suggère […].

(Becker, 1998/2002, p.302)

Pourquoi donc expliquer que je m’inspire de ces deux méthodes si au final elles se ressemblent ? Kaufmann présente une différence relevée par Katz (2001), “dans une logique absolue du respect du terrain, la Grounded theory cherche à accumuler une grande quantité de données et à connecter entre eux de nombreuse variables. Alors que l’induction analytique se veut plus offensive et dynamique dans la production théorique, en sélectionnant un petit nombre de variables-clefs, et en les travaillant fortement par l’utilisation des cas négatifs ” (Kaufmann, 2011, p.89). Ma recherche s’inscrit dans le cadre d’un mémoire, elle est donc restreinte par les possibles de celui-ci. Or ce principe de petit nombre de variables et d’utilisation de cas négatifs se prête à cette restriction. Précisons également que c’est l’apparition d’un cas négatif qui a remis en question mes interrogations et plutôt que de l’omettre, ma recherche a pris une tournure autre.

Enfin, des comparaisons intra et inter entretiens sont faites afin de relever les convergences et les divergences, ceci afin de complexifier l’appréhension de l’objet, et dans ce but, j’ai relevé les oppositions présentes dans les entretiens.

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24 Conception)du)langage)et)posture)analytique)

Selon Bardin (2007) si la linguistique et l’analyse de contenu ont pour objet le langage, leur distinction porte sur le fait que la première s’intéresse à la langue, alors que la parole est au centre de l’intérêt de la seconde. De leur côté, Demazière et Dubar (1997) nous apprennent que :

Les entretiens ne nous livrent jamais des faits mais des mots. Ces mots expriment ce que le sujet vit ou a vécu, son point de vue sur « le monde » qui est « son monde » et qu’il définit à sa manière, en même temps qu’il l’apprécie et qu’il tente de convaincre son interlocuteur de sa validité. C’est à la découverte de ces « mondes » que sont destinés les entretiens de recherche centrés sur les sujets qui ont accepté le dialogue. (p.7)

Ces auteurs m’amènent à rappeler que cette parole est située dans une interaction spécifique : l’entretien de recherche, comme je l’ai déjà précisé dans la partie accordée au contexte de production des données.

La prise en compte des conditions de production des données dans cette situation d’entretien a été effectuée à deux moments. Directement à la fin de chaque entretien, le contexte de production « à chaud » est répertorié afin d’en tenir compte quant à son influence dans la production des données. Au niveau de l’analyse du contenu thématique de l’entretien, j’ai mis en évidence d’éventuelles références portant sur l’interaction en cours, comme par exemple dans les deux extraits suivant en gras.

« N : Et là tu faisais quoi du coup?

Z : Et là j’étais cheffe, non je suis partie dans le même job, mais à mon compte. Petite parce que c’était un job d’exploitation de machines à sous et de machines à jeux donc tu prenais, n’importe qui pouvait le faire. Et je te passe les détails de l’histoire de Paris et autres. » (Zora, p. 1- ligne 31-34)

« N : Tout à fait. Tu me disais aussi que tu regardes. Le regard sur la société. Au début tu m’as dit ça aussi.

A : Ah ! nous on regarde la société d’une autre façon. Ok. Mmm Disons que nous, moi je te dis ça à titre personnel. Mettons qu’il y a beaucoup de gens qui sont très hypocrites, qu’ils font semblant d’être une chose, ils cachent beaucoup de ce qu’ils font véritablement. » (Anna, p. 2- ligne 36-41)

(31)

25 Ces auteurs m’incitent également à préciser quelle est ma posture face aux données langagières. Demazière et Dubar (1997) présentent trois postures : illustrative ; restitutive ; analytique.

La posture illustrative s’inscrit plus facilement dans une démarche explicative, l’usage des entretiens servant à vérifier des hypothèses créées en amont du terrain, leur contenu devenant le réceptacle de catégories créées a priori. Jugée trop déductive, cette posture renvoie à une objectivité dans l’appréhension du réel qui semble ne pas pouvoir s’accorder avec la conception du langage présentée par ailleurs et l’adhésion à une réalité construite socialement dans une perpétuelle dialectique entre individu et collectif.

Sur le versant opposé, la posture restitutive invite à considérer les entretiens comme pouvant suffire à comprendre l’expérience rapportée sans qu’il n’y ait besoin de les traiter, les interviewés étant seuls à même de pouvoir rendre compte de leur subjectivité. A l’inverse, l’extrême subjectivité rattachée à cette dernière posture et le caractère profondément inductif qui s’y rattache ne paraissent pas correspondre à l’approche choisie, notamment car ne facilitant pas le processus dialectique souhaité. Entre induction et déduction, entre objectivité et subjectivité, entre individuel et collectif, entre théorie et terrain, la posture analytique semble correspondre à l’intention de ce mémoire. Cette posture part du présupposé “qu’un propos tenu par quelqu’un en situation d’entretien de recherche « ne parle pas de lui-même »”

(Demazière et Dubar, 1997, p.34). Ces mêmes auteurs précisent que :

comprendre le sens de ce qui est dit, ce n’est pas seulement être attentif, écouter et « faire siennes » les paroles entendues, c’est aussi analyser les mécanismes de production du sens, comparer les paroles différentes, mettre à nu les oppositions et corrélations les plus structurantes. (p.7)

En accord avec la posture épistémologique et avec la conception du rôle du langage présentée dans la partie théorique, c’est la dernière posture qui est mobilisée dans le cadre de cette recherche. Effectivement, la connaissance que nous avons du monde passe et est construite par le langage. C’est donc sur celui-ci que j’ai centré mon analyse pour tenter de comprendre l’interprétation faite par la personne. J’appuierai en partie mon analyse sur des marqueurs langagiers objectifs afin d’accéder à la subjectivité de chacun de mes interlocuteurs, et ainsi comprendre leur conception. Je précise le « en partie », car je ne suis pas linguiste, d’une part. C’est la parole qui m’intéresse, d’autre part. Enfin, je travaille sur des entretiens en espagnol et en français. Or concernant ce dernier point, en accord avec la

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