• Aucun résultat trouvé

Introduction aux sciences du langage et de la communication. La théorie de Saussure

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Introduction aux sciences du langage et de la communication. La théorie de Saussure"

Copied!
19
0
0

Texte intégral

(1)

Preprint

Reference

Introduction aux sciences du langage et de la communication. La théorie de Saussure

BRONCKART, Jean-Paul

Abstract Notes d'appui (cours de tronc commun)

BRONCKART, Jean-Paul. Introduction aux sciences du langage et de la communication. La théorie de Saussure. , 18

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30776

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Chapitre Saussure

Notes d’appui (provisoires)

1. Projet et objet de la linguistique générale

A.

L’objectif explicite de Saussure était d’élaborer une théorie générale des conditions de fonctionnement des signes verbaux ou langagiers, en tant qu’ils ne sont qu’une part des divers signaux (indices, icônes, symboles, etc.) mis en œuvre par les humains.

La linguistique générale qu’il se proposait d’élaborer était ainsi formellement posée comme une sous-discipline de la sémiologie (science générale des signaux), mais l’auteur hésitait en fait quant à la hiérarchie à établir entre ces deux approches, et a finalement considéré que l’approche linguistique constituait le fondement de toute sémiologie, parce que les signes verbaux seraient premiers, et que la compréhension de leur fonctionnement constituait en conséquence un préalable à l’approche des autres unités sémiologiques.

B.

Elaborer la linguistique générale ainsi conçue impliquait d’abord de faire face à une importante difficulté : l’hétérogénéité et la complexité des « faits de langue ».

- Les multiples langues naturelles se caractérisent par la diversité de leur lexique et de leurs structures ; en outre, au sein d’une même langue, on observe des différences entre caractéristiques des productions écrites et orales, ainsi que des variantes régionales et/ou dialectales.

- Les langues changent considérablement au cours de l’histoire, et ce changement est lié à une diversité de facteurs, dont l’influence de langues voisines.

- Toute langue est en interaction avec les institutions sociales dans le cadre desquelles elle est mise en œuvre, et elle est notamment soumise à des jugements normatifs qui interfèrent de manière complexe avec les usages effectifs.

- Toute langue enfin est « vécue » par des sujets parlants, ce qui pose la question des représentations que s’en fait chaque individu, et la question plus redoutable encore de la nature des interactions entre propriétés de la langue parlée et propriétés des processus de pensée.

C.

Face à cette hétérogénéité de problématiques possibles, quel angle d’attaque adopter et à quel objet s’adresser ? Pour déblayer le terrain et circonscrire son objet, Saussure distingue d’abord trois niveaux de saisie des faits langagiers.

- Le langage, comme capacité d’espèce, en droit universelle et dont le fondement est dès lors bio-psychologique.

(3)

- Les langues naturelles (allemand, chinois, français, swahili, etc.) en tant que modalités sociales particulières de réalisation de la capacité d’espèce (relevant des groupes, de leur histoire et de leur culture).

- La parole, ou le discours, en tant que mise en œuvre concrète d’une langue, par des individus donnés, dans des contextes communicatifs déterminés.

Il considère ensuite que la linguistique doit se centrer sur les langues naturelles, - parce que celles-ci sont les seules manifestations concrètes du langage (ce dernier est un construct théorique, qui ne peut qu’être inféré de l’universalité de l’existence des langues) ;

- parce qu’elles sont identifiées et vécues comme telles par les sujets parlants ;

- parce que la parole ou les discours sont des pratiques présupposant l’existence d’une langue, pratiques par ailleurs co-déterminées par des facteurs individuels (prononciation, style, etc.) ou sociaux (normes, contextes d’activité, etc.) qui ne sont pas d’ordre proprement linguistique.

Il pose enfin que l’objet de la linguistique est LA LANGUE, cette expression désignant ce qui est commun aux structures et au fonctionnement des diverses langues naturelles ; et il pose que cette LANGUE doit être abordée comme un système social, qui est à la fois spécifique et en interaction avec les autres institutions sociales.

D. Remarque complémentaire.

Le système de la langue est plongé dans le fait social, mais l’approche saussurienne de cette dimension, profondément inspirée des écrits initiaux de Durkheim, a pris en compte d’emblée l’interdépendance organique du sociologique et du psychologique : il n’existe de faits sociaux que dès lors que des individus les construisent et les alimentent de leur conduites et de leurs représentations ; et ces conduites et représentations sont pour leur part orientées et éventuellement formatées par les institutions, les représentations et les objets collectifs déjà là, tels qu’ils ont été élaborés par les générations antérieures.

Le rapport de la langue à la société humaine sera donc pensé par Saussure dans cette perspective d’interdépendance, ce qui se traduira notamment par la considération qui suit. Toute langue relève d’un double régime de fonctionnement, ou encore est ancrée à deux niveaux distincts.

- D’un côté, elle est inscrite dans le patrimoine d’une communauté (dans la « masse parlante »), et c’est à ce seul niveau sociologique que l’on peut en appréhender la totalité de ressources.

- D’un autre côté, la langue est inscrite en chacun des membres de cette communauté, à titre de « dépôt » personnel. A ce niveau psychologique, la maîtrise pratique de la langue est toujours partielle, limitée, et varie en outre en fonction du niveau de formation, de la profession, ou de l’appartenance régionale de ces mêmes membres.

Pour prendre l’exemple des ressources lexicales, la langue française contemporaine, en tant que réalité sociale, disposerait de quelque 300.000 mots différents ; mais aucun francophone ne peut évidemment prétendre les connaître tous ; chaque individu maîtrise une sorte de vocabulaire fondamental (10.000 mots ?), auquel vient s’ajouter un corpus de termes plus spécifiques, requis par les sphères d’activités dans lesquelles il évolue.

(4)

2. Première méthode : l’examen des mécanismes de changement des langues

Saussure a d’abord abordé le problème du changement des langues, et son approche de cette question peut être résumée par les points suivants.

A. Constat de la permanence du changement des langues.

« Le fleuve de la langue coule sans interruption ». Ce qui signifie que toute langue est inéluctablement soumise au changement,

- même si ce changement est particulièrement lent, ce qui fait que, en un état de langue donné, les locuteurs peuvent ne pas le percevoir ;

- même si certaines forces sociales contestent le changement ou tentent d’y résister (attitudes « normatives » dont le principe est toujours de contester le changement et la variété).

B. Les changements peuvent se produire n’importe où, mais ils sont “réguliers“.

- Exemple de changement :

Le mot « français », qui s’est prononcé successivement “françwais“, “françois“, puis

“français“.

- Exemples de la régularité des changements :

* la loi de mutation germanique (voir Chapitre 1 : Rask, Bopp et Grimm) ;

* la roticisation du s intervocalique en latin : à un moment donné, dans cette langue, les “s“ entre deux voyelles sont devenus des “r“. Exemple : l’accusatif de honos (honneur), qui est honosem, est devenu honorem.

C. Examen des tentatives d’explication de ces changements réguliers (au XIXe).

La linguistique historique et comparée du XIXe s’était centrée sur les effets possibles de facteurs externes à la langue même :

- les modifications de structures sociales ou politiques, - l’évolution des formes d’activité humaine,

- le développement de contacts avec d’autres langues, - les modifications climatiques,

- les modifications de la « psychologie » supposée des peuples.

Saussure démontrera sans trop de peine que si certains de ces facteurs peuvent parfois engendrer des changements, cet effet n’est jamais systématique ou assuré, et il en conclura que les facteurs externes ne jouent un rôle que dans la mesure où les propriétés internes du système de la langue le permettent.

En une première approche, il identifiera la plus évidente de ces propriétés internes : le fait que les signes langagiers, contrairement aux indices ou aux symboles, sont immotivés, c’est-à-dire que leur face « expression » (la séquence sonore représentante) n’entretient aucune relation de dépendance, physique ou idéelle, avec la face du

« contenu représenté », ce dont atteste la diversité des langues et l’infinie variété des termes susceptibles de renvoyer à un même objet référent.

C’est en raison de cette totale absence d’ancrage dans les entités référées que les séquences sonores mobilisées dans un signe se trouvent disponibles pour le changement, et que, comme le montre l’histoire des langues, des modifications de signes peuvent s’y produire n’importe où et n’importe quand : qu’il s’agisse du changement d’une

(5)

entité sonore qui continue de renvoyer à un même référent, ou du changement du référent auquel s’applique un terme donné.

D. Effets de ces changements.

Ces changements phoniques, dus au caractère immotivé de la relation de signe, ont à terme pour effet de faire disparaître des régularités morphologiques (régularités de composition des mots) qui étaient clairement lisibles dans un état de langue antérieur.

Saussure donne ainsi l’exemple du couple decem-undecim du latin, qui rendait lisible le fait que 11 = 10 + 1 ; suite aux modifications successives subies par ces termes lors du passage du latin au français, puis au cours de l’évolution du français même, ce couple est devenu dix-onze, et aucune régularité compositionnelle n’y est désormais lisible.

Les changements phoniques aléatoires de ce type engendrent donc de la déstructuration ou du désordre dans le système de la langue.

E. La réaction au désordre.

La langue réagit à ce mouvement de déstructuration par un mouvement inverse, de création d’autres régularités morphologiques, de telle sorte que se maintienne un certain taux d’équilibre entre ordre et désordre. Ce processus compensatoire est l’analogie, que l’on peut décrire comme suit.

En un état donné de la vie d’une langue, on peut observer que les nouveaux mots sont construits selon des « modèles de composition » réguliers, qui restent néanmoins généralement inaperçus ou inconscients (ils relèveraient en ce sens, selon Saussure, des représentations collectives, ou de l’« inconscient collectif »).

En français contemporain,

- un nouvel adverbe est construit sur le modèle /adjectif + -ment/ (confortable-ment, génial-e-ment, curativ-e-ment*, etc.) ;

- un nouvel adjectif sur le modèle /racine verbale + -able/ (fais-able, atteign-able, appréhend-able*, pren-able*, écout-able*) ;

- un nouveau verbe sur la base /racine nominale ou adjectivale + er/ (informati-s-er, régulari-s-er, sémioti-s-er*, visibili-s-er*, etc.) ;

et l’on pourrait donner bien d’autres exemples encore.

La mise en œuvre effective de ce processus analogique requiert cette interaction entre les deux niveaux d’ancrage de la langue que nous évoquions plus haut :

- En une première étape, un néologisme est proposé par un individu, et il n’a de chance d’être retenu que s’il est conforme au modèle collectif (« la défense de l’adversaire est prenable* »).

- Cette condition est nécessaire, mais elle n’est pour autant pas suffisante : la collectivité peut rejeter cette proposition pour des raisons diverses (notamment esthétiques ou normatives) ; pour que le terme nouveau entre dans la langue, il convient alors qu’opère, en une seconde étape, ce que Saussure qualifie de

« consentement collectif ». La parole propose, la langue dispose.

- Parmi les termes-exemples proposés plus haut, certains ont reçu cette consécration collective, mais d’autres (ceux munis d’un astérisque) ne sont que des candidats à

(6)

l’intégration : ils sont attestables(*) dans les pratiques verbales, mais non encore agréés par ces instances représentatives du collectif langagier que sont les dictionnaires (dont celui régissant le logiciel présentement utilisé, qui les condamne immanquablement).

F. La distinction entre synchronie et diachronie.

Les analyses qui précèdent montrent que l’on peut aborder l’étude de la langue sous deux angles distincts.

D’un côté, on peut tenter, rétrospectivement, d’identifier les changements qui se sont produits, par exemple lors du passage du latin au français, ou ensuite au cours de l’évolution de la langue française du IXe à aujourd’hui.

Il s’agit là d’une démarche historique ou diachronique (« au travers du temps »).

Démarche indispensable, en ce qu’elle permet d’identifier les changements réguliers qui se sont produits au cours du temps en raison du caractère immotivé des signes.

Mais démarche qui sera toujours lacunaire, parce que certaines données relatives à une époque sont difficilement reconstructibles a posteriori (par exemple, on arrive, par des moyens indirects, à identifier la manière dont certains mots étaient prononcés au XIIe, mais pour certains autres mots, on ne dispose que d’hypothèses, et pour d’autres encore, on ne sait rien du tout).

D’un autre côté, on peut analyser ce qui se passe à un moment donné de l’évolution d’une langue, en un « état de langue » dont on connaît toute les caractéristiques, notamment parce que l’on est au contact avec les locuteurs de cette langue.

Il s’agit là d’une démarche synchronique (« en un même temps »).

Même si la délimitation d’un état synchronique est toujours théorique ou artificielle (on considère par exemple que le « français contemporain » est l’état de langue qui prévaut depuis la dernière guerre mondiale, mais cette frontière a évidemment quelque chose d’au moins partiellement artificiel), c’est par cette démarche que l’on peut identifier les règles d’analogie évoquées sous 2.E. Ces règles fonctionnent dans la situation contemporaine, mais elles se modifieront inéluctablement, dans le cadre d’un prochain « état de langue ».

Saussure a considéré que les deux démarches étaient nécessaires, mais il a mis l’accent sur l’importance de la démarche synchronique, notamment parce que c’est en synchronie que les propriétés du système de la langue peuvent (le mieux) être mises en évidence (et parce que ses prédécesseurs s’en tenaient à la seule démarche diachronique).

La deuxième méthode, qui suit, s’inscrit dans la démarche synchronique.

(7)

3. Deuxième méthode : l’analyse du fonctionnement des signes A. Etat des lieux avant Saussure.

Les théories antérieures analysaient les signes dans une perspective

« substantialiste » : depuis Aristote, ils étaient définis comme résultant de la mise en rapport immotivée (et donc conventionnelle) entre une suite donnée de sons et, soit un objet ou corps « naturel », soit une « idée » singulière humaine.

Rappel de la définition du caractère immotivé : le fait que le choix d’une suite de sons est indépendant des propriétés du contenu que cette même suite « exprime ».

Schéma initial :

Signe

Expression Contenu

Suites de sons Objets ou idées singulières

Relation immotivée

B. Démonstration de la non-pertinence de cette conception.

D’un côté, ce ne sont pas les sons eux-mêmes, dans leur physicalité, qui constituent les entités fonctionnelles de l’expression.

Un mot comme « conduite » pourra présenter une réalité sonore très différente selon qu’il est prononcé par un parisien, un marseillais ou un liégeois (différence mesurable avec les instruments de la phonétique) ; mais néanmoins tous les francophones reconnaîtront ce mot « conduite » comme constituant, en dépit des variantes de prononciation, une seule et même unité de leur langue.

Inversement, une même réalité sonore (/G-U-T/, dans il goûte, ou dans une goutte) sera perçue par les francophones comme constituant deux mots différents, malgré l’identité physique de leur prononciation.

Ce qui montre que ce qui fonctionne au niveau de l’expression, ce ne sont pas les sons eux-mêmes, mais des classes de sons reconnues comme équivalentes ou différentes ; et ce qui montre par là même que les unités d’expression sont des formes construites sur la matérialité sonore par des jugements émanant des locuteurs.

Constats qui, a posteriori, paraissent bien évidents : si à chaque variation sonore physiquement attestable (pensons aux différences d’accent, individuelles ou régionales) devait correspondre une variation de sens, la communication serait techniquement impossible.

D’un autre côté, ce ne sont pas les objets matériels, ou les idées singulières, qui constituent les véritables entités du « contenu exprimé ».

Le mot chaise ne désigne pas un exemplaire particulier d’objet (cette chaise-là, rouge, à un seul pied et à hauteur réglable), mais une classe d’objets qui, au-delà de leurs évidentes différences matérielles, sont considérés comme équivalents.

(8)

De manière analogue, le mot impudeur ne renvoie pas à la conception particulière que peut avoir de cette propriété tel individu ou tel groupe, mais fédère ces diverses conceptions potentielles en une seule et même classe idéelle.

Comme au plan de l’expression, ce qui fonctionne sur le versant « contenu » du signe, ce sont donc des classes d’objets ou d’idées, c’est-à-dire des formes résultant de jugements d’identité ou de différence ; constat à nouveau a posteriori évident : si à chaque entité physique ou idéelle différenciable devait correspondre un terme différent, les langues devraient disposer d’un nombre de mots tendanciellement infini…

C. La distinction de deux niveaux : substance et forme.

De cette analyse, Saussure conclut que tout signe met en relation, non pas deux substances (les sons et les objets), mais deux formes construites sur ces substances, et que cette unité est donc fondamentalement d’ordre psychique (ce qui le conduira parfois à affirmer que la linguistique « bien faite » ne peut être qu’une

« psychologie »).

Premier schéma saussurien :

Signe

Expression Contenu

Substance Sons Objets ou idées

(physique)

Forme Classes de sons Classes d’objets

(travail psychologique)

Relation immotivée

(9)

4. La théorie du signe

Les signes ont trois propriétés : ils sont arbitraires, discrets et linéaires.

4.1. Les signes sont arbitraires A. Question de départ

Comment s’opère, concrètement, ce travail, évoqué sous 3.C., de constitution des classes de sons (du côté de l’expression) et des classes d’objets ou d’idées (du côté du contenu) ?

Pour répondre à cette question, Saussure re-mobilise la méthode comparative pour montrer que, sur les deux versants du signe, ces classes ou formes sont construites et délimitées selon des modalités diverses, propres à chaque langue naturelle.

B. Versant expression : la constitution des classes de sons, aboutissant aux signifiants B.1.

Sur le versant de l’expression, toute langue est dotée d’un nombre limité d’unités sonores de base (une trentaine), qui sont qualifiées de phonèmes. La notion de phonème désigne une classe de sons différents (variantes de prononciation) qui sont néanmoins considérés comme équivalents dans une langue donnée.

Les phonèmes ont une valeur distinctive, c’est-à-dire qu’ils contribuent à l’élaboration du sens, alors que les variantes internes n’affectent pas le sens.

Exemples en français.

- Le phonème /A/ constitue une classe rassemblant des sons physiquement différents (les multiples variantes possibles de sa prononciation), et le phonème /U/

constitue une classe rassemblant des sons physiquement différents (les multiples variantes possibles de sa prononciation).

- Pour le mot matin, quelles que soient les variantes de prononciation du a, le sens reste le même ; idem pour le mot mutin, quelles que soient les variantes de prononciation du u. Mais la substitution d’un phonème par un autre (matin vs mutin) modifie le sens du mot concerné.

B.2.

La délimitation de ces classes de sons varie selon les langues. Exemples.

- En français, si l’on observe des variantes de réalisation du /R/ physiquement très différentes (droit, roulé, grasseyé), le /R/ne constitue néanmoins qu’un seul et même phonème (parce que le passage d’une variante à l’autre n’affecte pas le sens du mot concerné) ; mais en serbo-croate, le passage de la prononciation « droite » du /R/ à la prononciation « roulée » modifie le sens du mot concerné, et il s’agit alors, dans cette langue, non plus de deux variantes d’un même phonème, mais de deux phonèmes distincts.

- En français l’opposition /B/-/V/ a une valeur distinctive alors qu’elle ne l’a pas en espagnol. /B/ et /V/ constituent donc deux phonèmes distincts en français ; ce ne sont que deux variantes d’un même phonème en espagnol.

- Le chinois exploite les différences de ton alors que le français ne le fait pas ; en chinois le changement de ton peut faire passer d’un phonème à un autre ; ce n’est jamais le cas en français.

(10)

Chaque langue construit donc ses phonèmes à sa manière, qui est aléatoire, ou radicalement arbitraire. Toute langue, pour fonctionner, doit constituer une trentaine de classes phonologiques (phonèmes), mais il y a de multiples façons possibles de constituer ces classes ; ces façons de faire n’obéissent à aucun motif particulier, et chaque façon de faire est équivalente du point de vue de l’efficacité communicative.

B.3.

S’ils contribuent au sens, les phonèmes ne sont cependant pas, en eux-mêmes,

« porteurs de sens » (en principe, en français, /B/, /A/, /O/ou /T/ ne signifient rien).

Si les phonèmes étaient porteurs de sens, dans la mesure où une langue n’en comporte qu’une trentaine, il n’y aurait qu’une trentaine d’unités de sens exprimables…

Toute langue combine dès lors ses phonèmes (selon des modalités qui lui sont propres) pour former des monèmes, que l’on peut définir comme les plus petites unités du plan de l’expression qui ont la capacité de « véhiculer du sens » :

- les phonèmes isolés /B/, /A/, /O/ou /T/ ne véhiculent aucun sens ;

- la combinaison de phonèmes /B-A-T-O/ donne un monème porteur de sens.

Les monèmes constituent les signifiants d’une langue : ce sont des regroupements de phonèmes propres à la langue, qui ont la capacité de « porter du sens ».

C. Versant contenu : la constitution des classes d’objets ou d’idées, aboutissant aux signifiés

Le mécanisme à l’œuvre sur ce versant est analogue au précédent.

C.1. Retour sur la constitution des classes d’objets (ou d’idées) Exemple 1 : domaine : BOEUF

- Au niveau de la substance, on peut (doit) admettre qu’il existe un ensemble d’animaux qui se présentent à nous comme vivants, ou comme destinés à la consommation (de la plupart) des humains. Cette réalité constitue ce que l’on appelle un référent, ou un domaine de référence, qui est attestable dans le monde extérieur.

- Au niveau de la forme, on peut (doit) admettre que tout être humain, quelle que soit la langue qu’il pratique, a la capacité de connaître ce référent, c’est-à-dire de se constituer des images mentales à propos du domaine du BŒUF : images qui varieront selon l’expérience que l’on a de ce domaine, et qui seront toujours, pour cette raison, en principe particulières, propres à chaque individu, ou encore idiosyncrasiques.

Exemple 2 : domaine : ETRE HUMAIN DE GENRE MASCULIN

- Au niveau de la substance, on admettra qu’il existe un sous-ensemble d’êtres humains qui ont les propriétés bio-physiologiques et socioculturelles de la masculinité. Cette réalité constitue le domaine de référence ETRE HUMAIN DE GENRE MASCULIN, attestable en tant que réalité biologique et sociale.

- Au niveau de la forme, tout être humain, quelle que soit la langue qu’il pratique, se constitue des images mentales à propos de ce domaine ETRE HUMAIN DE GENRE MASCULIN: images qui varieront selon bien des facteurs, et qui seront toujours en principe propres à chaque individu, ou encore idiosyncrasiques.

(11)

Exemple 3 : domaine : COULEUR

- Au niveau de la substance, on peut (doit) admettre qu’il existe un continuum de longueurs d’ondes qui sont perceptibles par le système visuel humain, et organisables par ce même système en nuances colorées différentes. Cette réalité constitue le domaine de référence COULEUR, attestable en tant que réalité physique.

- Au niveau de la forme, tout être humain, quelle que soit la langue qu’il pratique, se constitue des images mentales à propos de ce domaine de la COULEUR : images qui varieront selon l’expérience ou le métier, et qui seront toujours en principe propres à chaque individu, ou encore idiosyncrasiques.

Exemple 4 : domaine : JUGEMENTS NORMATIFS DE PUDEUR

- Au niveau de la substance, on peut admettre qu’il existe des mécanismes sociaux d’évaluation des comportements humains qui, dans notre exemple, situent ces comportements sur un axe de conformité aux règles (normatives) de pudeur en usage dans un groupe donné. Cette réalité constitue le domaine de référence PUDEUR, attestable en tant que réalité sociale.

- Au niveau de la forme, tout être humain, quelle que soit la langue qu’il pratique, se constitue des images mentales à propos de ce domaine de la PUDEUR : images qui varieront selon son acculturation, ses positions personnelles, etc., et qui seront toujours en principe propres à chaque individu, ou encore idiosyncrasiques.

La communication par le moyen d’une langue naturelle ne peut s’effectuer par transmission directe d’une image mentale particulière à un individu, à une autre image mentale particulière à un autre individu ; notamment parce que ces images sont idiosyncrasiques et donc en principe différentes.

La communication s’effectue par le biais (ou par l’intermédiaire) des mots, ou plus précisément des monèmes ou des signifiants, ces derniers étant propres à chaque langue naturelle.

C.2. Les paradigmes de signifiants, et la notion de signifié.

En fonction de son histoire propre, et de la multitude des changements qui l’ont caractérisée, chaque langue dispose, en un état synchronique donné, d’un ensemble de signifiants qui ont la capacité de « renvoyer » à un référent ou à un domaine de référence donné. Cet ensemble de signifiants valides pour un domaine de référence donné est appelé un paradigme.

Pour l’exemple 2, on peut constituer le paradigme du français qui est valide pour le domaine ETRE HUMAIN DE GENRE MASCULIN : homme, monsieur, garçon, type, mec, gus, gars, monseigneur, etc.

Pour l’exemple 4, on peut constituer le paradigme valide pour le domaine PUDEUR : pudique, impudique, décent, indécent, convenable, osé, etc.

Etc.

La composition et l’organisation des paradigmes varient selon les langues.

Exemple 1.

Le paradigme du français relatif à ce domaine propose un seul signifiant, bœuf. Ce signifiant a dès lors la capacité d’absorber, d’exprimer ou de traduire toutes les images mentales élaborées à propos de l’animal concerné, qu’il soit sur pied ou

(12)

débité dans votre assiette ; mais en anglais, le signifiant ox ne peut désigner que l’animal sur pied, alors que le signifiant beef renvoie à la viande consommable.

La notion de signifié désigne alors la configuration des images mentales qui sont exprimables par un signifiant, dans le cadre d’une langue donnée.

Le signifiant bœuf du français a donc comme signifié l’ensemble des images ou des représentations que l’on peut se faire à propos de l’animal concerné.

Les signifiants ox et beef de l’anglais ont chacun comme signifié l’un des deux sous- ensembles de représentations possibles (BŒUF sur pied ou BŒUF à consommer).

Dit autrement, le signifié de bœuf en français est égal à la somme des signifiés de ox et de beef en anglais.

Exemple 3.

Pour ce domaine COULEUR, le paradigme standard du français propose une structure de sept signifiants (logique de l’arc-en-ciel) : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Chacun de ces signifiants renvoie à des ensembles d’images mentales construites à propos d’un ensemble de longueurs d’onde déterminées. A titre d’exemple fictif, le terme rouge serait valide pour toutes les images construites à propos des longueurs d’onde allant de 1 à 100 ; le terme orange serait valide pour toutes les images construites à propos des longueurs d’onde allant 101 à 200 ; etc. Ces ensembles d’images constituent respectivement les signifiés des signifiants rouge et orange.

Dans les langues amérindiennes (en Hopi notamment), il existe un paradigme standard qui comporte un nombre équivalent de signifiants, mais l’organisation des images mentales correspondant à chacun de ces signifiants est différente. De manière encore fictive, le terme kat renverrait aux images construites à propos des longueurs d’onde allant de 1 à 150 ; le terme bitok renverrait aux images construites à propos des longueurs d’onde allant 151 à 240 ; etc.

L’organisation des signifiés dans ces deux paradigmes est donc différente ; le signifié de kat en Hopi serait équivalent à celui de rouge français, plus une partie de celui d’orange ; le signifié de bitok serait équivalent à une partie de celui d’orange en français, plus une partie de celui de jaune, etc.

Les signifiés dépendent donc de la composition et de l’organisation des paradigmes de signifiants disponibles dans une langue.

Comme les paradigmes de signifiants sont des produits de l’histoire particulière de chaque langue, leur organisation est variable, aléatoire, et aucune n’est meilleure qu’une autre.

Dès lors, en fonction de la structure des paradigmes de signifiants, chaque signifié organise les images mentales des locuteurs d’une langue d’une manière elle aussi aléatoire, ou radicalement arbitraire.

D. Définition de l’arbitraire

Le terme d’arbitraire a deux sens différents.

- D’un côté, ce terme équivaut à celui d’immotivé déjà fréquemment utilisé. Il désigne le fait que les signifiants construits dans une langue (phonèmes spécifiques organisés en monèmes) sont choisis de manière aléatoire, et indépendamment des propriétés

(13)

des objets ou des idées auxquels ce signifiant peut renvoyer : d’ou la variété du lexique des langues pour renvoyer au même référent CHEVAL : cheval, horse, Pferd, etc.

On parlera dans ce cas d’arbitraire banal (strictement équivalent à immotivé).

(relation de la flèche en gras horizontale dans le schéma ci-dessous).

- D’un autre côté, ce terme désigne le fait que chaque langue construit, d’une part les classes de sons constitutives de ses signifiants, d’autre part les classes d’images mentales constitutives de ses signifiés, d’une manière qui lui est propre, qui est aléatoire, et qui est d’efficacité équivalente.

On parlera dans ce cas d’arbitraire radical.

(relation des deux flèches en gras verticales dans le schéma ci-dessous).

E. Définition finale et schéma complet du signe.

Le signe se définit donc comme l’association d’un signifiant, en tant que forme représentative résultant du travail de délimitation et d’organisation des sons propre à une langue, avec un signifié, en tant que forme représentative appliquée au contenu référé, dont l’empan et l’organisation sont également propres à la langue.

Schéma saussurien définitif :

Signe

Expression Contenu

Relation immotivée

Substance

physique Sons Objets ou idées

Niveau psychologique Classes de sons Classes d’objets (général, de principe)

Forme Arbitraire radical

Niveau linguistique Signifiant Signifié (propre à la langue)

Signe

(14)

F. Le signifié d’un signe comme valeur relative au paradigme dans lequel il s’insère Comme nous l’avons vu, pour exprimer un même domaine de référence une langue dispose généralement, en un état synchronique donné, de plusieurs signifiants possibles, organisés en un paradigme.

Chacun de ces signifiants a un signifié, qui peut être considéré comme une valeur, dans la mesure où la part des images mentales relatives au domaine qu’il est susceptible d’exprimer, dépend de la part qui est prise par les autres signifiants du paradigme.

Saussure précisant que cette valeur est en quelque sorte négative : un signifiant ne peut qu’absorber, subsumer ou exprimer que les images mentales que les termes voisins ne subsument pas, et ce dans un contexte de « compétition » entre termes pour s’assurer l’empan désignatif spécifique qui est la condition de leur survie.

Exemple 1. Domaine BŒUF

- La langue française dispose d’un seul signifiant, bœuf. Le signifié de ce signe absorbe donc toutes les images mentales possibles relative à ce domaine ; il a de ce fait une valeur générale.

La langue anglaise dispose de deux signifiants, ox et beef. Ceux-ci ont des valeurs plus spécifiques. La valeur du signifié de ox, est celle des images mentales qui ne sont pas exprimées par beef, et réciproquement.

Exemple 5. Domaine du NON-ORDINAIRE

Pour ce domaine, la langue française dispose d’un paradigme important, comportant notamment les signifiants étonnant, étrange, bizarre, fantastique, pharamineux, phénoménal, mirobolant, etc.

Chacun de ces signifiants doit avoir un signifié ou une valeur spécifique (sinon il ne survivrait pas). La valeur spécifique de étonnant est constituée des images mentales qui ne sont pas désignables par les autres signifiants du paradigme ; c’est en quelque sorte « la valeur qui lui reste » étant donné celles prises par les autres signifiants du paradigme.

Les paradigmes, et donc la valeur des signifiants qu’ils comportent, se modifient avec le temps.

Reprenons l’exemple du domaine du NON-ORDINAIRE.

Le paradigme vraisemblable du Moyen français comportait les termes étrange, bizarre et étonnant, et le signifié d’étonnant à cette époque était de l’ordre d’un « effet équivalent à celui produit par le tonnerre ». Au cours du temps, d’autres termes sont venus s’intégrer au paradigme (fantastique, pharamineux, mirobolant, etc.) et la force expressive du terme étonnant s’est en conséquence progressivement réduite (personne aujourd’hui n’utilise cet adjectif pour qualifier un effet équivalent à celui du tonnerre) ; et il en a été de même de la force relative de termes comme fantastique, progressivement atténuée sous l’effet de l’entrée d’autres termes « forts » dans le paradigme, en un processus que l’on pourrait qualifier d’inflation sémantique.

(15)

G. Quelques conséquences de l’arbitraire du signe.

G.1. Les problèmes de traduction

Comme l’indique le dicton traduttore, traditore, il est souvent difficile, voire impossible, surtout pour des langues de familles éloignées, d’identifier, dans la langue de traduction, un terme dont le signifié (ou la valeur) correspondrait exactement à celui du terme de la langue à traduire.

G.2. Un cadre de réflexion pour le problème des relations pensée-langage Thèse 1 : les signes sont la condition même de la constitution des unités de pensée.

En amont ou indépendamment des signes verbaux, les humains élaborent certes des

« images mentales » d’aspects du monde avec lesquels ils sont en interaction, mais ces images primaires sont nécessairement idiosyncrasiques, mouvantes et sans frontières nettes.

Ce n’est que sous l’effet de la production de signifiants que ces images s’organisent en unités relativement stables et délimitées (ou en signifiés), unités qui sont elles- mêmes la condition du déploiement des opérations de pensée : on ne peut opérer (associer, soustraire, combiner, etc.) que si l’on dispose d’unités stables auxquels appliquer ces opérations.

Thèse 2 : Dès lors que les unités de pensée sont formatées par les signifiants des langues, et que la relation de ces derniers à leurs signifiés est immotivée et donc sociale-conventionnelle, les unités de pensée sont primairement sociales.

Les signes sont, comme l’affirmait Sapir (1953), des enveloppes sociales intégrant et réorganisant les images mentales individuelles.

C’est aussi la thèse que soutient le psychologue Vygotski et le courant interactionniste social qui en est issu en psychologie.

MAIS

Si, en raison de leurs conditions d’émergence, les premières unités de pensée sont donc ainsi socio-sémantiques, cela n’empêche pas que par la suite, au cours du développement psychologique, elles puissent se dégager de ces contraintes.

Thèse 3 : En raison de la mise en œuvre des mécanismes psychologiques d’abstraction et de généralisation que Piaget a mis en évidence, ces unités de pensée peuvent s’épurer, se dégager des déterminismes des paradigmes de la langue naturelle concernée, et prendre ainsi une valeur « cognitive » tendanciellement universelle. La pensée se caractérise donc d’abord par un fonctionnement socio- sémantique ; ensuite, se construit secondairement un fonctionnement cognitif- universel, et ces deux modes de fonctionnement co-existent en chaque humain adulte.

Thèse 4 : La pensée se développe en une personne (structure psychologique d’un organisme humain). Or chaque personne se construit sous l’effet d’une histoire d’apprentissages qui est toujours singulière. Donc les significations sociales issues de la langue pratiquée se réorganisent de manière particulière en chaque personne, et il n’y a donc jamais déterminisme complet du social sur l’individuel.

(16)

4.2. Les signes sont discrets et linéaires A. Les signes sont discrets

Ce terme indique simplement que les signes (sous leur versant signifiant et leur versant signifié) constituent des unités délimitées et séparées les unes des autres.

Ceci peut paraître constituer un constat très banal, mais...

- Physiquement, lors d’une production verbale (une conférence ou un cours, par exemple), les signes sont produits sous la forme d’une onde sonore continue. Celle-ci peut certes comporter des pauses, mais personne ne parle en séparant nettement chaque mot du suivant : ce serait « inaudible » ou « insupportable ». Donc ce caractère discret des signes n’est pas directement inférable de l’examen de leur substance ou de leur réalité physique.

- Pendant longtemps, pour des raisons économiques, l’écriture a pris la forme d’une

« scripta continua », c’est-à-dire que les mots n’y étaient pas séparés par des espaces blancs, comme c’est le cas aujourd’hui.

Le caractère discret d’un signe n’est donc pas toujours évident dans la production verbale. Mais il tient au fait que la langue choisit, pour un signifié donné et délimité, une association donnée de phonèmes (ou signifiant). Et c’est dans la mesure où un locuteur connaît les paradigmes de sa langue qu’il peut alors « reconnaître » des signes délimités ou discrets, malgré le caractère continu de l’onde sonore de la parole.

B. Les signes sont linéaires

Cela signifie simplement que, dans les pratiques langagières effectives, les signes ne sont pas (en principe) produits isolément, mais sont produits les uns après les autres en une chaîne linéaire. Et c’est sur cet axe de la successivité (appelé aussi axe syntagmatique) qu’ils s’organisent en phrases ou en textes-discours.

B.1.

Ce caractère linéaire tient d’abord aux propriétés de l’appareil phonatoire humain (techniquement bien rudimentaire). Nous ne pouvons pas émettre en polyphonie, mais seulement en produisant les sons (et donc les signifiants) les uns après les autres.

Ce qui implique que lorsque nous parlons ou écrivons, il y a toujours passage d’une organisation simultanée à une organisation dans le successif. Si nous voulons évoquer un thème donné, nous disposons, en simultané, d’un ensemble d’informations stockés en notre mémoire ; mais la production verbale nous contraint à réorganiser ces informations selon un ordre linéaire donné (ou à choisir un plan de production verbale, ce qui n’est pas toujours simple, comme on le sait).

B.2. Les règles de la syntaxe

L’organisation des signifiants dans le successif obéit à un ensemble de règles, qui sont les règles de la syntagmatique ou de la syntaxe.

(17)

L’analyse détaillée et technique de ces règles constituera l’objet central du prochain chapitre, mais on peut néanmoins déjà en examiner sommairement quelques-unes, concernant la langue française.

Soit la phrase :

(1) « Dès le matin, la petite marchande avait remarqué le sombre jeune homme »

- Cette phrase comporte des sous-ensembles de signifiants qui sont interdépendants : a) « la petite marchande » : le nom marchande requiert un déterminant la, qui s’accorde en genre et nombre avec lui, et petite s’accorde également en genre et nombre avec le nom marchande.

b) « le sombre jeune homme » : le nom homme requiert un déterminant le, qui s’accorde en genre et nombre avec lui ; sombre et jeune s’accordent également en genre et nombre avec homme.

c) « avait remarqué » : le participe passé remarqué exige un auxiliaire (en l‘occurrence avait), et les deux forment cette unité qualifiée de verbe conjugué.

d) « dès le matin » : la préposition dès doit être suivie d’un groupe (ici, groupe nominal), qu’elle régit (le matin est dépendant de dès).

Ces sous-ensembles de signifiants interdépendants sont appelés des groupes ou des syntagmes : pour a) et b), il s’agit de syntagmes nominaux ; pour c), d’un syntagme verbal ; pour d) d’un syntagme prépositionnel.

- L’ordre des syntagmes fournit, en français, une indication de la fonction grammaticale qu’ils assurent.

Le syntagme nominal avant le syntagme verbal a la fonction de sujet ; le syntagme nominal après le syntagme verbal a la fonction de complément du verbe.

- Le groupe verbal s’accorde en genre et en nombre avec le groupe nominal sujet.

Etc.

Ces quelques indications sont partielles et provisoires, mais elles suffisent à fournir une indication sur ce que sont les règles de la syntaxe.

Les règles d’organisation syntaxique varient avec les langues.

- Dans certaines langues, les fonctions de sujet et de complément du verbe ne sont pas indiquées par la position des groupes nominaux, mais par des terminaisons spécifiques accolées aux noms (les cas nominatif, accusatif, datif, etc. ; voir le latin, le grec ou l’allemand).

- Certaines langues ne comportent pas de prépositions (la fonction que remplissent ces dernières en français étant aussi assurées par des cas).

- Certaines langues n’accordent pas les adjectifs avec les noms ; d’autres n’accordent pas le verbe avec son sujet,

Etc.

Cette réalité bien connue témoigne de l’existence de ce que l’on pourrait appeler un arbitraire syntagmatique. Chaque langue ne peut fonctionner qu’avec un ensemble de règles d’organisation syntaxique ; mais ces règles sont variables, et tous les systèmes de règles se valent en efficacité communicative.

(18)

B3. Les valeurs des signes peuvent dépendre de l’axe syntagmatique Soit les phrases :

(2) « Le ministre était coiffé d’une superbe banane »

(3) « Le ministre du culte était coiffé d’une superbe banane » (4) « Le petit singe dévorait une banane »

Dans la phrase (2), le signifié attribué au signifiant ministre sera sans doute celui de

« membre du gouvernement », pour autant que les phrases qui précèdent ou suivent le confirment. Mais dans la phrase (3), l’existence du syntagme le ministre du culte fera en sorte qu’on attribuera à cet ensemble un autre signifié, plus ou moins équivalent à officiant, pasteur, etc.

Dans les phrases (2) et (3), la co-présence du verbe coiffer fait en sorte que l’on attribue à banane un signifié ayant trait à un certain type de coiffure. Mais dans la phrase (4), la co-présence de singe et de dévorer fait en sorte que l’on attribue à banane son signifié standard.

Ceci montre que ce qui précède ou suit un signe sur l’axe syntagmatique peut influer sur la valeur précise attribuable à un signifiant.

5. Le système de la langue

Le système de la langue est organisé selon deux axes : l’axe paradigmatique et l’axe syntagmatique.

Exemple :

(5) « Cet individu particulièrement ignorant adorait la musique tonitruante » Axe paradigmatique.

Chaque signifiant est puisé dans un paradigme de la langue, c’est-à-dire parmi l’ensemble des signifiants qui pourraient renvoyer au même référent.

Au plan des méthodes d’analyse de la langue, on peut alors s’interroger sur la nature de ce paradigme, et sur les conditions du choix d’un signifiant plutôt que d’un autre.

- Cet pourrait être remplacé par le, un, tel, etc. Ces mots forment donc un paradigme, que l’on qualifiera des déterminants de genre masculin.

- Individu pourrait être remplacé par homme, mec, type, etc. Il s’agit là d’un paradigme de noms renvoyant au même référent.

- Particulièrement pourrait être remplacé par très, fortement, etc. : nouveau paradigme, d’adverbes d’intensité.

Etc.

Axe syntagmatique

Chaque signifiant s’insère dans des phrases qui sont organisées selon des règles déterminées, et son environnement dans la phrase peut influer sur sa fonction et/ou sur son signifié.

Au plan des méthodes d’analyse de la langue, on peut alors s’interroger sur les multiples effets de l’insertion des signifiants dans les règles d’organisation syntaxique.

(19)

Après Saussure, la linguistique que l’on qualifie de « moderne » a exploité ces deux démarches (analyse des paradigmes et analyse des dépendances syntagmatiques), ce qui a donné naissance aux principes et notions des « grammaires modernes » qui seront étudiées au prochain chapitre.

Références

Documents relatifs

Inversement, ce qui n’est pas marqué, réflexif dans un contexte, une approche, un point de vue (par exemple un certain cadre de l’image, une certaine lumière dans l’image)

Aujourd’hui, les outils mathématiques algébriques de théorie des groupes ou géométriques sont encore utilisés pour la musique, avec des adaptations aux nouveaux styles musicaux, de

Il convoque sa lecture de Saussure dans le parallèle de l’économie et de la langue comme « système de valeurs » et ajoute à la notion de valeur, jugée fondamentale, la

Il existe une base hilbertienne de H formée exclusivement de vecteurs propres de T , l’ensemble de ces vecteurs associés à une valeur propre non nulle de T étant au plus

atmospheric ion escape rate dependence on solar wind and solar EUV conditions: 1. Seven years of

Nous ferons nôtre la proposition de Jean-Paul Narcy- Combes : « La thèse sera vécue comme le voyage initiatique d’un compagnon qui parcourt les théories et rencontre le monde

Retenons de l'analyse de Beidelman la prise en comp- te de la sexualité animale dans les faits de classement et d'identité, mais pour noter aussitôt qu'en

C'est un danger, en linguistique, de mêler les décompositions faites à différents points de vue avec celles faites par la langue ; mais il est bon d'en faire le parallèle