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Utilisation croisée des réseaux numériques

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-01969220

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01969220

Submitted on 3 Jan 2019

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To cite this version:

Pierre-Michel Riccio, Isabelle Tricot-Chamard. Utilisation croisée des réseaux numériques. EU-TIC’2014, Université de Lisbonne et Université Bordeaux-Montaigne, Oct 2014, Lisbonne, Portugal. �hal-01969220�

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Centre de recherche LGI2P, Ecole des mines d’Alès, France pierre-michel.riccio@mines-ales.fr

Isabelle TRICOT-CHAMARD

KEDGE Business School, France isabelle.tricotchamard@kedgebs.com

Résumé

Cette étude envisage l’utilisation des réseaux numériques tant à des fins personnelles pendant le temps de travail qu'à des fins professionnelles en dehors du temps de travail. Elle propose d'abord, à partir d'entretiens de personnes ciblées, menés dans une démarche qualitative, une observation des usages et pratiques. Elle identifie ensuite les phénomènes récurrents, basés sur ces usages et pratiques, et leur impact sur les entreprises concernées. Ces constatations feront l'objet d'un approfondissement des liens entre cadre juridique et perception d'une part, et les facteurs contribuant à la porosité entre vie professionnelle et vie personnelle d'autre part.

Mots-clés : réseaux numériques, vie professionnelle, vie privée, temps de travail, droit, loisirs.

Abstract

The study investigates the use of digital networks for personal purposes during working time and for professional purposes outside of working hours. She offers first of all, based on interviews of people targeted in a qualitative approach, the observation of their habits and their practices. And then, identifies the recurrent phenomena based on uses and practices, and their impacts in concerned firms. These findings will be used to deepen the links between the legal framework and its perception on the one hand, and factors contributing to the porosity between work and personal life on the other hand.

Keywords: digital networks, professional life, privacy, working, law, recreation.

Introduction

Cet article vise à rendre compte d’un travail d’investigation sur l’utilisation croisée des réseaux numériques : à des fins personnelles pendant le temps de travail et à des fins professionnelles en dehors de ce temps.

A l’heure où le développement des réseaux numériques favorise la porosité des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, il nous a semblé intéressant de conduire une enquête pour vérifier ce qu’il en est sur le terrain.

De la lime à ongle des sténodactylos aux conversations intimes autour de la machine à café, en passant par les errements d'Antoine Doinel (film « Domicile conjugal » de F. Truffaut, 1970), les clichés des trente glorieuses ne manquent pas d'exemples de temps personnels pris sur le temps de travail. A l'inverse, des « nécessités d'affaires ou opérationnelles » pouvaient venir troubler le repos dominical du cadre ou de l’ouvrier rappelés brusquement à leurs

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obligations professionnelles. Ces actions semblaient toutefois assez limitées en volume, et les champs professionnels et personnels bien délimités.

Depuis, les crises économiques se succèdent, le taux d’automatisation s’est largement accru, la concurrence s’est internationalisée. Bref, le contexte du travail a évolué de façon sensible et le marché du travail s’est considérablement durci (Supiot, 2005).

Aujourd’hui, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont omniprésentes. Elles permettent de travailler à distance, mais offrent aussi aux salariés de nouveaux espaces de loisirs ou d’activités personnelles pendant les heures de travail.

S’il existe de nombreuses études sur l’impact des TIC dans la vie professionnelle comme personnelle, nous proposons une approche originale fondée sur les sciences de l’information et de la communication et les sciences juridiques. Notre objectif est d’appréhender les situations en contextes pour mesurer la perception chez les utilisateurs de ce qui est possible, autorisé, et de ce qui ne l’est pas.

Méthodologie

Consulter son compte sur un réseau social ou commander un produit personnel sur internet pendant les heures de travail est devenu courant. A l'inverse, lire ses messages professionnels sur son smartphone, une tablette ou un ordinateur en dehors des heures de travail est un usage répandu. Les réseaux numériques, accompagnés d’une palette de nouvelles activités professionnelles ou ludiques, se développent rapidement et pour un bon nombre d’entre nous la frontière entre travail et loisirs tend à s’estomper. Certains penseurs, n’hésitent plus à affirmer (Serres, 2012) qu’un processus comparable à celui de la naissance de l’imprimerie, qui va modifier en profondeur notre façon de fonctionner, est engagé.

Mais, quelle est la marge de manœuvre des utilisateurs ? Dans quelle mesure ces usages et pratiques croisés sont autorisés / tolérés en entreprises et à la maison ? Quels sont les impacts de la généralisation des réseaux numériques dans une utilisation croisée (loisirs au bureau et travail à la maison) sur la performance des entreprises, sur le bien être des salariés ?

De nombreuses études sont consacrées au développement des réseaux numériques professionnels en entreprises, comme à l’usage des technologies de l’information à la maison. Certaines, comme l’étude récente réalisée par le Boston Consulting Group (32.000 consommateurs interrogés aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Allemagne et en France), cherchent à cerner des points précis (dans ce cas l’importance du bouche à oreille). Toutefois, considérant que les individus ne disent pas toujours la vérité et que le potentiel d’amélioration peut se situer à l’interface des utilisations, le choix d’une investigation des usages et pratiques croisés dans une démarche de proximité peut apporter sur cette question des éléments importants.

Notre idée de départ était d’interroger un nombre limité de personnes ciblées dans une démarche qualitative, d’observer les usages et pratiques,

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d’étudier la réglementation, de recouper avec soin l’ensemble de ces informations, tout en conduisant dans le même temps une analyse des phénomènes récurrents, pour dégager in fine des éléments transposables.

A ce stade de la réflexion, la tentation était grande de s’appuyer sur un arsenal méthodologique rigoureux pour légitimer la qualité de l’étude expérimentale. Nous avons ainsi commencé à réfléchir sur une définition de catégories d’utilisateurs et sur la représentativité des informateurs clés que nous pourrions interroger.

Nous avons finalement décidé de renoncer à une approche par la méthode des quotas pour privilégier l’interrogation d’un nombre limité de personnes de notre entourage. Cette approche a l’avantage de donner dans un premier temps des résultats assez rapides, nous permettant dans un deuxième temps d’ajuster en compréhension la démarche d’investigation.

Nous avons donc décidé de conduire une série d’entretiens non directifs centrés auprès de trois à quatre personnes « représentatives ». L’enquête est complétée par un travail d’observation et une investigation de la littérature dans le domaine du droit du travail (Ray, 2007). L’ensemble a été réalisé dans une approche qualitative en s’appuyant sur une grille de lecture de type sémio-contextuelle (Riccio, 2013) centrée en particulier sur les contextes identitaires (enjeux) et normatifs (textes et pratiques) (Mucchielli, 2000).

Enquête

Voici la synthèse des trois entretiens conduits au premier semestre 2014.

Agathe

Rapide portrait

Agathe est une jeune femme d’environ 40 ans, diplômée d’une école de commerce et cadre dans un grand groupe de presse. Elle vit en couple avec deux enfants en bas âge, réside dans le centre de Paris et travaille en proche banlieue : 30 à 40 minutes de trajet.

Le travail d’Agathe consiste à coordonner la publicité dans les nombreuses éditions internationales des magazines d’un groupe de presse. Ses « clients » sont les plus grandes marques françaises de luxe et elle est en contact quotidien avec les correspondants du groupe dans différents pays. Son travail se déroule indifféremment en français ou anglais.

Les usages numériques

Agathe utilise un smartphone de l’entreprise doté d’une ligne illimitée (toujours à portée de mains), deux ordinateurs (de l’entreprise au bureau et personnel à la maison) et une tablette numérique (à la maison). Elle ne possède pas de téléphone portable personnel.

Agathe ne fait pas de différence entre utilisation personnelle et professionnelle de ces outils. Elle utilise le smartphone pour les communications vocales, les SMS et les e-mails, et pour prendre des notes (mémos). Son ordinateur de bureau lui sert essentiellement à gérer les e-mails,

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au travail de bureautique et à la consultation de sites web (météo, actualités, newsletters, et sites spécialisés). Elle utilise l'ordinateur de la maison pour consulter des sites web, et la tablette pratique pour lire journaux et magazines.

Enfin, à titre personnel Agathe ne possède pas de compte sur les réseaux sociaux (Facebook, Viadeo, Linkedin, …). Elle n’a pas de télévision, ni de carte bancaire.

L’internet personnel au travail

Pour Agathe, la frontière entre activités numériques personnelles et professionnelles est très poreuse (pour l’ensemble des médias). Elle est très réactive (réponse quasi instantanée aux e-mails et SMS) au travail comme à la maison et n’hésite pas, par exemple, à répondre aux sollicitations (de travail ou de loisir) au cours d’une réunion.

Au bureau, elle utilise volontiers internet pour faire des achats en ligne : Le bon coin (qui lui permet de faire des bonnes affaires et d’avoir des contacts avec les vendeurs lorsqu’elle va chercher un objet) ; La Redoute (elle fait livrer les objets en relais-colis) ; Amazon (pour les livres et les jeux) ; ou encore Monoprix (elle consulte ce site mais n’achète pas). Agathe consulte aussi volontiers les sites spécialisés pour planifier les vacances : échange d’appartements (vacances à un prix raisonnable) ou encore comparateurs (pour trouver les billets d’avion à meilleurs prix). Elle consulte aussi régulièrement les sites d’information : la météo (pour prévoir s’il faut sortir la poussette version pluie ou soleil) ; Google actualité (pour une vision générale des nouvelles) ; Libération (par affinité) ; Le Parisien (car le site est bien fait). Enfin, elle consulte des sites spécialisés : le journal du net ; l’internaute ; le journal des femmes ; littleparis ; kids ; et d’une façon plus générale les sites pour enfants … ou encore AlloCiné pour voir les bandes annonces de films, Picasa pour partager des photos.

Agathe estime que son usage d’internet personnel au travail est inférieur à une heure par jour. Elle n’a jamais eu de remarque de l’employeur sur ce point, qui manifeste une grande tolérance par rapport à la vie privée. De toute façon, c’est compensé par les usages professionnels en dehors des heures de travail et par ailleurs le boulot est fait.

L’internet professionnel en dehors des heures de travail

Agathe pratique l’internet professionnel de façon assidue en dehors des heures de travail : environ une heure par jour dans les transports en commun.

En outre, son contact permanent avec des pays comme la Russie et les Etats-Unis la conduit à travailler régulièrement tôt le matin ou tard le soir et quelques fois le week-end (échanges par e-mails ou SMS).

L’entreprise a mis en place un dispositif permettant de travailler à la maison, mais Agathe ne l’utilise pas.

Enfin, deux fois par an, sur des périodes de deux à trois semaines, l’activité professionnelle en dehors des heures de travail peut atteindre trois heures par jour en raison des décalages horaires.

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Quelques éléments généraux

L’allure d’Agathe est soignée, mais celle-ci revendique de s’habiller à La Redoute ou en soldes. Elle possède suffisamment de points pour aller chercher un smartphone de luxe chez l’opérateur, mais elle n’a pas trouvé de temps pour ce faire. Elle a déjà perdu ses données personnelles et professionnelles ce qui lui a posé problème.

Agathe considère que l’utilisation des réseaux sociaux doit avant tout être professionnelle. Elle consulte régulièrement les comptes Facebook ou Twitter des éditions internationales des magazines du groupe. Tous ses collègues de promotion ont des comptes sur les réseaux sociaux, mais pas elle. Elle trouve difficilement supportable que des stagiaires consultent leurs comptes Facebook ou Twitter personnels pendant les réunions.

Elle sait que des textes régissent les usages d'Internet personnels au travail et professionnels dans la sphère privée, mais elle ne les connaît pas. Elle est convaincue que tant qu’elle pourra arguer du fait qu’elle passe plus de temps à travailler sur Internet en dehors de ses heures de travail qu’elle ne consulte Internet à titre personnel au bureau, elle n’aura ni remarque, ni souci. Elle n’a en outre pas d’appréhension sur un éventuel contrôle de ses contenus privés par l’employeur.

Enfin, Agathe est très dynamique et semble heureuse d’un point de vue professionnel comme personnel.

Jean-Marc

Rapide portrait

Agé d'environ 40 ans, Jean-Marc vit dans Paris avec sa compagne et leurs deux fils adolescents. Il est diplômé d’une école d'ingénieur et cadre dans un groupe qui offre des services destinés à favoriser le bien-être tant pour les entreprises que pour les particuliers (outils de gestion de frais professionnels, chèques-garderie, tickets-restaurants, etc).

Jean-Marc travaille dans la filiale corporate du groupe (siège), qui compte environ 200 salariés. Il est chef de projet à la Direction des Systèmes d'Information. Son activité consiste par exemple à fournir des applications aux différentes filiales du groupe.

Les usages numériques

Jean-Marc utilise un smartphone personnel et son ordinateur portable professionnel. Bien que la famille ait deux tablettes et deux ordinateurs (un fixe et un portable), il préfère utiliser l’ordinateur professionnel (les ordinateurs de la maison étant souvent pris par les autres membres de la famille et les tablettes offrant un confort de navigation moindre).

Dans son entreprise, il a en effet opté pour un ordinateur portable plutôt qu’un fixe – les tablettes sont réservées au « top management » – qu’il peut librement emporter chez lui. Il l’utilise pour les activités professionnelles comme personnelles.

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Il a en revanche rendu son téléphone portable professionnel il y a quelques années, pour mieux séparer ses activités professionnelles et sa vie personnelle. Bien que la majorité de ses collègues ait aujourd'hui un smartphone professionnel, Jean-Marc considère toujours qu'un tel outil ne lui est pas utile et qu'il peut ainsi conserver une distance plus nette entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Il observe en effet que les sollicitations professionnelles en dehors du temps de travail sont plus nombreuses chez ses collègues.

Jean-Marc utilise si besoin son smartphone personnel pour les communications vocales ou les e-mails professionnels.

L’internet personnel au travail

Au bureau, Jean-Marc utilise Internet essentiellement pour consulter sa messagerie personnelle et lire la presse. Il ne se connecte pas sur des blogs ni sur des réseaux sociaux - qu'il utilise très rarement d'ailleurs. Il consulte parfois des sites de voyages pour préparer ses vacances, fait quelques commandes et des démarches administratives en ligne. Son temps de connexion à des fins privées se situe entre 15 et 30 minutes par jour en moyenne.

Dans son entreprise, un système de pare-feu bloque l'accès à certains sites (sites de jeux, Youtube, sites pornographiques, réseaux sociaux, etc.), mais il est levé à certaines heures (à la pause-déjeuner et le soir). Bien que ce dispositif soit facilement contournable, Jean-Marc préfère, comme certains collègues, employer systématiquement un autre accès Internet (via une freebox) pour les navigations personnelles, sauf pour la presse en ligne. Il pourrait utiliser son smartphone mais ne le fait pas par confort de navigation.

Jean-Marc n'a pas la sensation que l'employeur contrôle les sites ni les durées de connexions personnelles : des collègues qui utilisent beaucoup Internet à des fins privées ne sont pas inquiétés. S'il sait que tous les accès sont historicisés, il pense qu'une surveillance nominative ne serait pas légale, sauf suspicion particulière. Pour sa part, il range dans un dossier « personnel » ses documents n'ayant pas de lien avec le travail. Il considère qu'ainsi, ces fichiers ne peuvent être consultés par personne sauf problème grave.

Il y a environ dix ans, les salariés de son entreprise ont dû signer une charte des bonnes pratiques d'Internet au bureau, réservant les connexions à un usage exclusivement professionnel même si des tolérances étaient signalées. Comme ses collègues, Jean-Marc a eu des réticences à signer ce document alors qu'ils avaient auparavant une grande liberté (par exemple, l'engagement de ne pas utiliser sa boite mail personnelle au bureau lui a paru gênant).

Ces dernières années, la charte est davantage mise en avant par la direction des ressources humaines (en ligne sur l’Intranet et probablement remise à tout nouveau collaborateur). Pour autant, Jean-Marc pense qu’elle est essentiellement destinée à faire prendre conscience qu'il existe des limites aux connexions personnelles au bureau et à modérer celles-ci, mais n'a pas vocation à être invoquée contre un salarié sauf grave abus (longues connexions sur Facebook par exemple).

En conclusion, Jean-Marc considère que son utilisation d'internet à des fins personnelles est modeste pendant le temps de travail. S'il pense que son

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entreprise n'exerce pas de surveillance personnelle des salariés et qu'une certaine souplesse est admise, il préfère rester prudent en abritant ses navigations personnelles sous une connexion externe. De toute façon, ce temps personnel pris au bureau est compensé par le travail fait à la maison et ne pose pas de problème en raison de la grande liberté dont il dispose dans l'organisation de son travail.

L’internet professionnel en dehors des heures de travail

Jean-Marc ne ressent aucune pression pour travailler à la maison ; seuls les salariés qui le souhaitent poursuivent leur activité professionnelle chez eux.

Par ailleurs, l'entreprise met en place des facilités d’organisation notamment par le télétravail sur la base d’un jour par semaine. Ce genre d’aménagement (qui concerne environ 20% du personnel) aurait pu convenir à Jean-Marc quand les enfants étaient petits mais n’était pas proposé. Aujourd’hui, il n’est pas intéressé car il estime qu'il serait moins productif et sa vie personnelle pourrait être perturbée, les horaires de travail devenant plus élastiques.

Il arrive néanmoins régulièrement que Jean-Marc travaille à la maison. L'entreprise a mis en place un dispositif d'accès à distance aux serveurs pour consulter l'intranet et des fichiers. Grâce à la grande liberté dont il dispose dans l'organisation de son travail, Jean-Marc utilise quelquefois cette possibilité pour partir du bureau plus tôt et terminer son travail dans la soirée. Il s'en sert également le week-end, une à deux fois par mois pendant une à deux heures en moyenne, soit en période de surcharge, soit lorsqu'il doit mener un travail de réflexion qui nécessite de s'isoler. Un week-end par an, il consacre également l'équivalent d'une journée à terminer un projet dans les délais.

Enfin, pendant ses congés, Jean-Marc consulte régulièrement sa boîte-mail professionnelle et laisse un numéro de téléphone auquel il peut être joint. Il répond aux courriels en cas de grande opération ou sur des sujets importants. Quelques éléments généraux

Jean-Marc tient à marquer une séparation entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Il semble épanoui professionnellement, son ambiance de travail s'étant détendue depuis quelques années.

Au plan personnel, il aime la convivialité, pratique assidument le tennis et joue régulièrement au poker avec des amis. Les enfants utilisent les ordinateurs familiaux pour jouer et surfer, ils se servent peu des tablettes.

Anne

Rapide portrait

Anne est une jeune femme de 35 ans, vivant en couple et mère de deux jeunes enfants. Elle est cadre dans une grande ONG internationale et gère une équipe chargée de déterminer et mettre en œuvre la stratégie de son organisation dans certains secteurs. Ses horaires de travail, a priori classiques (9h-18h), sont en réalité très variables en raison de la forte dimension internationale de son activité et de ses importants liens avec l'actualité.

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Anne se déplace à l'étranger une à deux fois par mois pour des séjours de 2 à 3 jours. Son activité suppose une grande réactivité à l'actualité et des contacts fréquents avec les médias, aussi elle doit assurer une veille permanente et être disponible parfois 24h sur 24 sur évènement.

Des améliorations sont en cours aujourd'hui dans son entreprise pour proposer des contreparties et des gratifications au temps consacré par les salariés à une activité professionnelle parfois très chronophage. Il existe déjà des systèmes de récupération et des valorisations mais les éléments pris en compte ne sont pas jugés satisfaisants par tous. Une réflexion sur le bien-être au travail est également menée par l’organisation.

Les usages numériques

En sus de son ordinateur personnel, dont elle se sert peu, Anne dispose d'un ordinateur et d'un smartphone professionnels, outils essentiels tant pour les utilisations personnelles que professionnelles. Son forfait téléphonique professionnel est illimité sauf pour les SMS car l'entreprise dispose d'un système de tchat sécurisé.

Anne se sert de l'ordinateur pour gérer ses e-mails, accéder à des moteurs de recherche, se connecter à des réseaux sociaux, participer à des tchats (notamment le tchat interne à l'organisation qui est couplé à l'agenda de l’ensemble des salariés) et des vidéoconférences (sur Skype ou via la plateforme de l'entreprise). Elle utilise son smartphone pour les communications vocales et les vidéoconférences, les e-mails et l'accès aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc).

Le système de partage d'informations entre collaborateurs est très sécurisé et ils doivent utiliser une application également sécurisée pour leurs échanges. Les nombreux mots de passe requis pour se connecter à ces dispositifs doivent être changés toutes les trois semaines et ne peuvent être réutilisés à des fins privées, afin de garantir la confidentialité des communications.

L’internet personnel au travail

Au bureau, Anne travaille en « open space », énormément sur internet ou au téléphone. Elle peut s'isoler dans des « quiet rooms » (mises en place depuis trois ans) mais aussi n'importe où en dehors de son lieu de travail. Son organisation fait preuve d'une grande souplesse sur la présence dans ses locaux. La relation de travail repose sur une grande confiance, qui se traduit par une absence de contrôle du temps de présence et des activités personnelles au bureau.

Anne consacre beaucoup de temps à son travail ; dans certaines opérations elle doit rester totalement injoignable pendant plus de 24 heures, aucun outil de communication n'étant autorisé pour des raisons de sécurité.

En contrepartie, Anne s'octroie beaucoup de libertés pour ses activités personnelles au bureau. Elle essaie, de préférence en débuts de matinée et en fins de soirée, d'y faire sur internet tout ce qu'elle peut s'éviter à la maison : paiement de factures, courses en ligne, organisation des activités des enfants ou des sorties personnelles, démarches auprès d'organismes publics (CAF,

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bibliothèque, mairie, etc.) et connexion à sa messagerie personnelle. Cependant, elle utilise presque exclusivement sa boite e-mail professionnelle pour toutes les correspondances, y compris avec ses amis ou relations. Son usage privé d'Internet n'est pas régulier mais correspond à environ une demi-heure à une demi-heure par jour.

Anne n'a jamais eu aucune remarque de sa hiérarchie sur ses utilisations personnelles d'Internet. Dès lors que les résultats sont satisfaisants au plan qualitatif et quantitatif, il n'y a aucun problème. Si des salariés sont inquiétés pour le temps qu'ils passent sur Internet à des fins personnelles, c'est que le travail n'est pas fait.

L’internet professionnel en dehors des heures de travail

En dehors du bureau, Anne est connectée en permanence via son smartphone ; elle doit être joignable 24h sur 24 et réagir immédiatement en cas d'évènement lié à ses secteurs d'intervention, en semaine comme le week-end. Elle vérifie donc constamment ses e-mails mais ne répond qu'en cas d'urgence. Si Anne travaille fréquemment à la maison, c'est presque toujours à partir de son smartphone – l'ordinateur restant réservé à des cas d'urgence absolue, y compris pour des raisons personnelles. Tôt le matin ou tard le soir, le week-end, elle envoie des e-mails, se connecte sur des réseaux sociaux et fait des interviews en cas d'actualité brulante. Malgré ces contraintes, elle cherche à préserver le plus possible sa vie privée.

Son entreprise cherche à limiter au maximum le travail de ses collaborateurs le week-end, mais la nature de son activité et les fonctions d'Anne impliquent des interventions à des moments non-maîtrisables.

Quelques éléments généraux

Anne est à la fois très engagée dans son activité professionnelle et dans sa vie de famille. Elle partage les valeurs prônées par son organisation et accepte les restrictions à d'éventuels engagements personnels qu'implique son travail. A ses yeux, ces limites à la liberté permettent de garantir l'indépendance de l'organisation et sont commandées par le rôle de représentation de chaque salarié dans l'espace public, y compris à travers des engagements personnels.

Malgré les incidences de son travail sur sa vie personnelle et familiale, Anne semble en assumer pleinement les contraintes. Elle souligne que l'organisation veille au respect de la vie familiale et en assure une bonne intégration pour les managers, sachant que les personnes ne sont pas interchangeables et que le choix d'un tel employeur nécessite d'adhérer au projet. Elle a pu modifier certaines de ses habitudes de travail (déplacements à l'étranger moins fréquents et moins longs, diminution de ses activités le week-end) depuis la naissance des enfants. Elle est par ailleurs épaulée par son conjoint et des proches qui comprennent les spécificités de son métier.

En conclusion, Anne semble très épanouie tant dans sa vie personnelle que professionnelle.

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Discussion

Sans développer une analyse détaillée, nous nous attacherons ici à faire surgir des éléments récurrents : première étape avant une étude approfondie :

 Les trois personnes interrogées, deux femmes et un homme, sont dans la même tranche d’âge (35-40 ans), vivent en couple et ont deux enfants. Diplômés (bac+5), ils sont aujourd’hui cadres dans des entreprises d’audience nationale et internationale.

 Bien que leurs métiers et entreprises soient très différents, ils utilisent les réseaux numériques : à des fins personnelles au travail, et professionnelles à la maison. Agathe et Anne utilisent le smartphone de l’entreprise, Jean-Marc son smartphone personnel. Les trois utilisent au travail et à la maison l’ordinateur portable de l’entreprise.

 Tous estiment que leurs pratiques d’Internet à des fins personnelles pendant les heures de travail est au plus d’une heure par jour. Il s’agit toujours d’une utilisation pratique (achats en ligne, administration, loisirs) et informationnelle.

 Tous les trois considèrent que la durée des connexions personnelles au bureau est largement compensée par le travail réalisé sur le temps de vie personnelle, que ce soit dans les transports en commun (Agathe), dans les déplacements (Anne) ou à la maison (Jean-Marc). Ils se rendent « disponibles » pour travailler à la maison en période d’activité intense, ce qui est possible grâce aux réseaux numériques.

 Autre caractéristique commune à ces trois personnes, qui ne se connaissent pas : leur volonté de se protéger et de protéger leur vie privée (Tricot-Chamard, 2004). Aucun des trois ne possède de compte personnel sur les réseaux sociaux et ne revendique d’activité dans ce sens. Agathe n’a pas de carte bancaire. Jean-Marc a décliné la possibilité d’utiliser un smartphone de l’entreprise (ses collègues qui en ont un sont plus souvent sollicités en dehors des heures de travail). Anne ne répond qu’en cas d’urgence lorsqu’elle n’est pas au bureau.

 Par ailleurs, aucun des trois ne connait avec précision les textes (lois, règlements, chartes, etc.) qui régissent l’utilisation des réseaux numériques à des fins personnelles dans l’entreprise ou à des fins professionnelles hors de l’entreprise. Jean-Marc a, comme tous ses collègues, signé la charte de l’entreprise, mais à son avis celle-ci a surtout pour objet de limiter les abus. Pour Anne, l’essentiel est que le travail soit fait et les échanges professionnels sécurisés. Enfin, pour Agathe c’est surtout la performance des salariés qui est attendue.

 Pour terminer, les trois personnes interrogées déclarent de façon explicite être heureuses dans leur travail. Elles semblent l’être aussi dans leur vie personnelle.

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Bien entendu, l’enquête possède quelques biais. Interroger un nombre limité de personnes de notre entourage fait émerger une similarité de profils. La tranche d’âge, le niveau d’études ou la position sociale de ces personnes sont proches des nôtres… Toutefois ce début d’enquête apporte à notre sens des éléments déjà significatifs.

Ces individus savent que des règles régissent, dans leurs entreprises, les usages croisés des réseaux numériques (à des fins personnelles au travail et professionnelles hors de l’entreprise), mais ils n'éprouvent pas le besoin d'en connaitre le contenu. Ils s’appuient avant tout sur leur perception de ce qui est possible ou non. Ils veillent également, dans une recherche d’équilibre (qui à notre sens est ici plutôt en faveur des entreprises), à préserver leur vie privée. Ils disposent d’une certaine liberté d'organisation et sont heureux dans leur travail, ce qui favorise cet équilibre (Colombier, 2007). Leurs entreprises sont manifestement aussi satisfaites car aucune n’a fait de remarques contraires aux trois utilisateurs.

Conclusion

L’étude menée fait émerger plusieurs points intéressants que nous allons chercher à approfondir dans une partie à suivre. Ainsi, à l'heure où les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se doter de textes propres visant à encadrer les utilisations des réseaux numériques, nous souhaitons dégager des pistes d'analyse quant à l'utilité des outils juridiques dans ce domaine. La faible connaissance/curiosité qu'en ont les cadres interrogés va nous conduire à approfondir la façon dont ces outils sont perçus (simples préconisations, documents d'information à finalité préventive, guides, etc.). Existe-t-il des divergences entre leur perception et leurs contenus ? Quels risques de telles divergences peuvent-elles présenter pour les protagonistes de la relation de travail ?

Nous souhaitons également approfondir la question de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle. Quels sont les facteurs de sa porosité constatée ? Les entretiens menés nous ont permis d'identifier une corrélation entre les usages numériques croisés et la liberté d'organisation du travail d'une part, la satisfaction donnée à l'entreprise et le bien-être des salariés dans leur activité professionnelle d'autre part. Dans quelle mesure ces facteurs sont-ils transposables ? D'autres sont-ils également à l'œuvre ?

Pour l’étude à venir, il nous semble pertinent de mener de nouveaux entretiens auprès de personnes ayant des profils proches de ceux des individus déjà interrogés : des cadres ayant des enfants à charge. Les fonctions d'encadrement constituent un terrain d'étude intéressant en ce qu'elles impliquent souvent un rôle hiérarchique dans l'application des règles en vigueur. Quant à la présence d'enfants au foyer, elle est généralement source de contraintes temporelles qui appellent une plus grande vigilance sur la place qu'il convient de préserver pour la vie personnelle.

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BIBLIOGRAPHIE

Colombier N., Martin L. et Pénard T., 2007, « Usage des TIC, conditions de travail et satisfaction des salariés », Réseaux, n° 143, pp. 115-147.

Mucchielli A., 2000, La nouvelle communication, Armand Colin, Paris. Ray J.-E., 2007, L'employeur, le salarié et les TIC, Liaisons sociales, Paris. Riccio P.M., 2013, Technologies et organisations, Presses des Mines, Paris. Serres M., 2012, Petite poucette, Collection Manifeste, Editions Le Pommier.

Supiot A., 2005, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit, collection « Points », Editions du Seuil, Paris.

Tricot-Chamard I., 2004, Contribution à l’étude des droits de la personnalité, Presses Universitaires de Marseille.

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