Médecine
& enfance
janvier-février 2017 page 24
J O U R N É E D U G R O U P E F R A N C O P H O N E D ’ H É P A T O - G A S T R O E N T É R O L O G IE E T N U T R IT IO N P É D IA T R IQ U E S
Isidore, sept ans, a mal au ventre. Son bi- lan est normal, comment gérer la douleur ? En reprenant l’anamnèse, il apparaît qu’Isidore se plaint de douleurs abdomi- nales à type de crampes depuis neuf se- maines. Ces douleurs sont situées au ni- veau péri-ombilical et sont parfois ac- compagnées de céphalées. Tout a com- mencé après quelques jours de diarrhée et de vomissements.
Il n’y a pas de fièvre, pas de perte de poids, les selles sont normales (Bris- tol 4, 1/j). L’examen clinique trouve une sensibilité diffuse dans tout l’abdo- men. Le bilan biologique et l’échogra- phie abdominale sont dans les limites de la normale.
LES QUESTIONS À POSER
L’interrogatoire doit être ouvert, sans jugement, à l’écoute de l’enfant et de sa famille. Les questions doivent permettre de préciser les caractéristiques des dou- leurs et le contexte psychosocial du jeu- ne patient.
Où se situent les douleurs ? Ont-elles toujours la même localisation ? Quand apparaissent-elles ? Combien de temps dure chaque épisode douloureux ? Les douleurs sont-elles accompagnées d’autres symptômes, notamment des troubles du transit, de la fatigue, des troubles du sommeil ou un absentéisme scolaire ? Sont-elles augmentées dans certaines circonstances spécifiques ? Sont-elles améliorées par la chaleur ou par la distraction ?
Quel est le mode de vie de l’enfant, sa situation familiale ? Des événements particuliers sont-ils survenus récem- ment ? Comment se passe la scolarité ? Isidore est-il sous pression, en compéti-
tion, en difficulté ? A-t-il des camarades ? Subit-il des conflits, voire un harcèlement ?…
LES SIGNES D’ALERTE
Devant des douleurs abdominales chro- niques, les signes d’alerte à rechercher sont les suivants :
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perte de poids ;
첸retard de croissance ;
첸retard pubertaire ;
첸vomissements ;
첸diarrhées excessives ;
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perte de sang gastro-intestinal ;
첸fièvre d’origine indéterminée ;
첸rash cutané ;
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arthrite ;
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histoire familiale de maladies inflam- matoires ;
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douleur loin du nombril au niveau du quadrant droit supérieur ou droit in- férieur ;
첸
hépato- et/ou splénomégalie ;
첸ulcérations orales ;
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fissures ou fistules péri-anales.
En l’absence de signes d’alerte, compte tenu de la normalité du bilan et de l’examen clinique, le diagnostic le plus probable est un trouble fonctionnel in- testinal (TFI), actuellement décrit com- me une maladie de l’interaction entre le cerveau et le système gastro-intestinal.
Les TFI constituent, selon les critères de Rome IV [1] , un groupe de maladies du système digestif dont la classification est fondée sur les symptômes. Plusieurs mécanismes physiopathologiques sont en cause : des troubles de la motilité, une hypersensibilité viscérale, une mauvaise interaction entre le cerveau et le système gastro-intestinal, un chan- gement de la fonction muqueuse et du
Troubles fonctionnels digestifs : des maladies de l’interaction entre le cerveau et le système digestif
D’après la présentation de T. Mahler, service de gastroentérologie pédiatrique et nutrition, hôpital universitaire des Enfants Reine Fabiola et UZ Brussel, Bruxelles
Compte rendu du 2
econgrès ECHANGE (Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire en Nutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisé par le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP) en novembre 2016 Rédaction : M. Joras
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
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janvier-février 2017 page 25 système immunitaire, une modification
du microbiote.
CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE
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Mettre en question la douleur ou son intensité.
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Dire qu’il faut vivre avec.
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Rester avec une incertitude sur le dia- gnostic : en cas de doute une consulta- tion spécialisée s’impose.
CE QU’IL FAUT FAIRE
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Etablir un diagnostic précis en se ba- sant sur les critères de Rome IV, qui dis- tinguent les maladies abdominales fonctionnelles douloureuses, la dyspep- sie fonctionnelle (syndrome de malaise postprandial ou syndrome de la douleur épigastrique), le côlon irritable, la mi- graine abdominale et la douleur abdo- minale fonctionnelle [1] .
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Impliquer et éduquer l’enfant pour une prise en charge optimale : l’enfant est l’acteur principal, c’est l’expert de son corps, il a ses propres ressources, il n’est jamais trop jeune pour recevoir des explications, il faut donc établir avec lui une relation de confiance.
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Rassurer l’enfant et sa famille.
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Rechercher les « stresseurs » qui dé- clenchent la douleur et stimuler les res- sources propres de l’enfant.
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Favoriser des distractions qui éloi- gnent l’enfant de ses sensations doulou- reuses : activités ludiques, musique, lec- ture, tablette…
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Proposer des méthodes douces, no- tamment une aide thermique et des massages.
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Mettre en place des mesures hygiéno- diététiques : un régime équilibré, des activités physiques. L’intérêt du régime FODMAP peut être discuté dans cer- taines situations, mais, s’il est indiqué, l’enfant doit être confié à un gastroenté- rologue pédiatrique et à une diététicien- ne pour assurer des apports adaptés.
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En cas d’absentéisme scolaire, faire appel à une équipe multidisciplinaire.
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Parfois, proposer un traitement médi- camenteux. Les médicaments dispo- nibles agissent surtout par un effet pla-
cebo. Quelques études suggèrent néan- moins l’intérêt de Lactobacillus rham- nosus GG et Lactobacillus reuteri et de l’extrait de menthe. Plusieurs molécules sont en cours d’évaluation dans le syn- drome de l’intestin irritable [2] .
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Mettre en œuvre des méthodes spéci- fiques (voir ci-dessous).
LES MÉTHODES SPÉCIFIQUES
Pleine conscience. La pleine conscience est un état mental consistant à porter in- tentionnellement l’attention aux expé- riences internes (sensations, émotions, pensées, état d’esprit) ou externes du moment présent sans porter de jugement de valeur [3] . Cette méthode permet d’in- duire une non-réactivité envers les émo- tions et les sensations physiologiques (ce qui entraîne une diminution de l’hyper- sensibilité viscérale), de diminuer l’atti- tude catastrophiste et d’améliorer la qua- lité de vie. Dans le syndrome de l’intestin irritable, la pleine conscience, en per- mettant de réinterpréter les sensations
douloureuses a montré son efficacité avec une réduction significative de la sé- vérité des symptômes [4] . La pleine conscience diminue spécifiquement et si- gnificativement l’activité cérébrale qui module et facilite l’information nocicep- tive. Elle provoque en outre une activa- tion des régions responsables des proces- sus sensoriels entraînant des méca- nismes de réévaluation cognitive.
Hypnose médicale. C’est un état naturel de concentration qui s’accompagne d’une relative suspension de la conscien- ce périphérique. L’hypnothérapie a fait la preuve de son efficacité dans les dou- leurs fonctionnelles abdominales et dans le syndrome de l’intestin irritable chez l’enfant [5, 6] .
La thérapie comportementale cognitive et la psychothérapie peuvent également être proposées.
LES QUESTIONS DE LA SALLE
Quel bilan de base faut-il prescrire chez u n j e u n e p a t i e n t a t t e i n t d e d o u l e u r s Douleurs abdominales chroniques : arbre décisionnel
Douleur abdominale ≥ 2 mois
Signes à rechercher :
perte de poids, retard de croissance, retard pubertaire , vomissements, diarrhées excessives, perte de sang gastro-intestinal, fièvre d’origine indéterminée, rash cutané, arthrite, histoire familiale de maladies inflammatoires, douleur loin du nombril au niveau du quadrant
droit supérieur ou inférieur, hépato- et/ou splénomégalie, douleurs costo-vertébrales, ulcérations orales, fissures ou fistules péri-anales.
Diagnostic de
maladie fonctionnelle gastro-intestinale
Gastroentérologue Si absentéisme scolaire
relaxation/massage - thérapie cognitive - pleine conscience - hypnothérapie - psychothérapie
Mise au point extensive Biologie, échographie abdominale…
oui non
+
+ – –
Equipe multidisciplinaire Rassurer, conduite de vie et éducation
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janvier-février 2017 page 26 abdominales chroniques comme Isidore ?
Une échographie abdominale et un bi- lan biologique avec tests inflamma- toires, sérologie de la maladie cœliaque et calprotectine sur les selles. Dans cer- tains cas de dyspepsie (douleur épigas- trique ou diarrhées), une gastroscopie et/ou une coloscopie peuvent être né- cessaires pour vérifier son caractère fonctionnel.
Quelles sont les indications et les modali- tés du régime sans FODMAP ? On peut es- sayer un régime de ce type, mais il faut le faire avec prudence en raison du risque de développement d’une néopho- bie alimentaire d’une part et d’une perte de poids d’autre part. Si un tel régime est mis en place, il doit être encadré par une diététicienne, et son efficacité doit être évaluée rapidement, après deux se- maines environ. En cas d’amélioration des symptômes, le régime pourra être
prolongé sous surveillance pendant six à huit semaines, après lesquelles la réin- troduction des différents aliments se fe- ra progressivement. Mais, dans la majo- rité des cas, un régime équilibré, sans trop de sucres rapides et avec assez de fibres, suffit à améliorer la situation.
Quelle est la place des antidépresseurs dans ces douleurs chroniques persis- tantes ? Quelques molécules ont fait la preuve d’une certaine efficacité dans les TFI, mais leurs indications sont limi- tées. Les antidépresseurs ne doivent être envisagés qu’en dernier recours, sous la responsabilité d’un pédopsy- chiatre et dans le cadre d’une prise en charge globale.
La psychomotricité peut-elle aider ? Dans la mesure où ce type de rééducation permet de mieux connaître son corps et ses sensations, elle peut apporter une certaine aide.
C o m m e n t p r e s c r i r e d e l ’ e x t r a i t d e menthe ? En Belgique, sous forme de gé- lules à administrer avant les repas 3 fois par jour (Tempocol
®), mais cette spé- cialité n’est pas disponible en France. 첸
Références
[1] HYAMS J.S., DI LORENZO C., SAPS M. et al. : «Functional di- sorders: children and adolescents», Gastroenterology,2016 ; 150 :1456-68.
[2] TACK J., VANUYTSEL T., CORSETTI M. : « Modern manage- ment of irritable bowel syndrome : more than motility », Dig.
Dis.,2016 ; 34 :566-73.
[3] KABAT-ZINN J., LIPWORTH L., BURNEY R. : « The clinical use of mindfulness meditation for the self-regulation of chronic pain », J. Behav. Med.,1985 ; 8 :163-90.
[4] GARLAND E.L., GAYLORD S.A., PALSSON O. et al. : « Thera- peutic mechanisms of a mindfulness-based treatment for IBS : effects on visceral sensitivity, catastrophizing, and affective pro- cessing of pain sensations », J. Behav. Med.,2012 ; 35 :591-602.
[5] VLIEGER A.M., MENKO-FRANKENHUIS C., WOLFKAMP S.C.
et al. : « Hypnotherapy for children with functional abdominal pain or irritable bowel syndrome : a randomized controlled trial », Gastroenterology,2007 ; 133 :1430-6.
[6] MAHLER T. : « Education and hypnosis for treatment of Func- tional Gastrointestinal Disorders (FGIDs) in pediatrics », Am. J.
Clin. Hypn.,2015 ; 58 :115-28.