H ÉLIE
Mécanique appliquée. Reflexions sur l’usage de l’éprouvette, dans l’artillerie, pour apprécier la force de la poudre
Annales de Mathématiques pures et appliquées, tome 13 (1822-1823), p. 249-257
<http://www.numdam.org/item?id=AMPA_1822-1823__13__249_0>
© Annales de Mathématiques pures et appliquées, 1822-1823, tous droits réservés.
L’accès aux archives de la revue « Annales de Mathématiques pures et appliquées » implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www.numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou impression systématique est constitutive d’une infraction pénale.
Toute copie ou impression de ce fichier doit contenir la présente mention de copyright.
Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques
http://www.numdam.org/
249
MÉCANIQUE APPLIQUÉE.
Reflexions
surl’usage de l’éprouvette, dans l’artillerie ,
pour apprécier la force de la poudre;
Par M. HÉLIE , lieutenant d’artillerie.
RÉFLEXIONS
SURLES ÉPROUVETTES.
ON donne ,
dansl’artillerie ,
le nomd’éprouvettes
aux instrumensdestinés à estimer la force relative des
poudres
de diversesqualités.
Ce n’est
qu’en
examinant les effetsproduits par la poudre qu’on peut
se former une idée de cequ’on
doit entendre par sa force.Lorsqu’une
certaine masse depoudre s’enflamme
, les gaz quse forment et se
développent ayant
unetrès-grande
forceélastique
tendent à se dilater en tous sens. S’ils rencontrent
quelque
corpsmobile dont la
présence gène
cettedilatation,
cecorps éprouve
de
leurpart,
unepression qui
le met en mouvement. La vitessequ’il acquiert,
d’abord infinimentpetite,
s’accroît continuellement par l’effet de lapression ;
mais cettepression
devant nécessaire-ment
diminuer d’intensité à mesure que la vitesse du mobile tend à devenirégale
à celle du gaz , ilarrive
enfin un terme où elle devient tout-à-faitnulle,
et oùconséquemment
le mobile n’aplus
d’autre cause de son mouvement que la vitesse
qui
lui a été anté-.
rieurement
communiquée. Pendaut
tout letemps
de la durée d’el’impulsion ,
le mobile a reçu àchaque
instant unequantité
demouvement infiniment
petite ;
et onjuge
de la force de lapoudre
par la somme des
quantités
de mouvement ainsiacquises , c’est-
Tom. XIII, n.° VIII, I.er février I823.
35250
R É F L E X I O N S
à-dire,
par laquantité
totale de mouvementacquIse par
cemobile.
La
quantité
de mouvement infinimentpetite communiquée
aumobile à
chaque
instantdépend, à
lafois ,
des valeursqu’ont,
àcet
instant ,
la forceélastique
des gaz, lavitesse
de cemobile
etles résistances
qui peuvent gêner
son mouvement. Une foule de circonstancesétrangères
à laqualité
de lapoudre peuvent d’ailleurs
influer sur sa forceélastique ;
et tels sont parexemple
le volumeet la
figure
del’espace qui
lacontient,
l’état deplus
ou moinsgrande compression
où elles’y trouve , l’endroit
et la manière dontle feu y est
appliqué ,
etc , etc.Nous ne nous occuperons
uniquement
ici que de cequi
concerneles effets de la
poudre
dans les bouches à feu.Supposons
donc unecharge
depoudre placée
au fond de l’âmecylindrique
d’un canon et surmontée d’unprojectile.
Au moment oùl’inflamulation cominence, les gaz
qui
se forment etqui
cherchentà se dilater dans tous les sens
poussent
à la fois leprojectile
etle canon, dans des directions contraires.
Pour examiner dtabord le cas le
plus simple,
supposons l’axede
lapièce horizontal,
les centres degravité
du canon et duboulet
placés
sur cet axe , leboulet sphérique
oucylindrique
etle vent nul.
Imaginons
encore que le canon soitposé
sur unplan horizontal,
surlequel
ilpuisse glisser librement, sans qu’aucun obstacle s’y
oppose. Faisons enfin abstraction de touterésistance,
et
négligeons
en outre la circonstance du gazqui s’échappe par le
canal de la lumière. Chacun des deux corps ne recevra ainsi de la
poudre qu’une Impulsion rectiligne
et horizontale.L’opinion généralement adoptée
est que lesquantités
de mouve-ment
communiquées pendant
le mêmetemps
au boulet et au canonsont
égales
entre elles.Je n’en citerai
qu’un exemple.
M. Petit(Annales
dechimie ,
tonieVIII,
page296)
veut avoirl’expression
de la force vive que la pou-dre
communique
dans sonexplosion;
force vivequi
estreprésentée
par MVa+mv2,
M et mdésignant
les massesrespectives
du canonSUR
LES ÉPROUVETTES.
25Iet
du boulet,
V et v leurs vitessesacquises,
Il observe qne, leboulet et le canon étant soumis à la méme
force,
doiventacquérir la
mêmequantité
de mouvement dans le mêmetemps.
En consé- quence, il posel’équation MV=mv,
etchange
ainsil’expression
précédente
en celle-ci:mv2(I+ m M).
Mais ce
principe
ne soutient pasl’épreuve
de l’analise.M et m
désignant toujours
les masses du canon et duboulet soient,
à un instantquelconque V
la vitesse dupremier,
celledu
second, h
lahauteur
de colonne d’eau àlaquelle
feraitéquilibre
l’elasticité du
mélange
gazeux.Désignons
par g lagravité,
par 03B4 la densité dumélange
gazeux, celle de l’eau étantprise
pour unité. Pour faciliter leraisonnement y
supposons le
boulet cylindrique,
en sorte que la face de ce corpsexposée
à l’action de lapoudre
soitplane
etperpendiculaire
àl’axe de la
pièce.
Si le boulet et le canon devenaient tout à coup
immobiles ,
lefluide exercerait sur l’unité de surface de chacun de ces corps une
pression égale
àgh.
Ainsi bdésignant
la section transversale ducanon,
ghb exprimerait
lapression
totalequ’éprouveraient
le fonddu canon et le boulet.
Si,
aucontraire ,
le boulet et le fond du canon étaient subite-ment
enlevés,
lefluide s’échapperait,
depart
etd’autre,
avecune vitesse
à 2g h 03B4 .
Dans l’état réel des
choses,
le boulet a unevitesse v;
le fluidequi
le presse a donc aussi cettevitesse ;
celle que ce dernierprendrait
s’il étaitlibre étant,
comme nous venonsde
ledire,
2g h 03B4,
cellequ’il perd ,
parrinterposition du boulet,
est donc2g h 03B4
-v.Le boulet éprouve donc la même pression que s’il
étaitimmobile
252
RÉFLEXIONS
et
presse
par unfluide
d’unedensité 03B4 ,
tendant às’échapper
aveuune vitesse
2g h 03B4-v.
Soit hl la hauteur de la colonne d’eau àlaquelle
feraitéquilibre
l’élasticité de cefluide,
il est clairqu’on
aurar2g T
=2g h 03B4
-v ; parconséquent,
lapression
exercéesur le
boulet ,
etqui
estreprésentée
pargbh’,
aura pour valeurb03B4 2{2g h 03B4-v}2.
La
quantité
de mouvement infinimentpetite que
cettepression communique
au boulet estdl étant
l’élément
dutemps.
Ontrouverait,
par unraisonnement
analogue , pour
laquantité
de mouvementcommuniquée
au canonComme
lavaleur de
V est très-différente de celle de v, on nepeut
pas supposer lesquantités MdV
et mdvégales
entre elles. Lapremière
MdV
esttoujours
laplus grande,
à causeque V
estplus petit
que P.
Donc, à chaque instant,
le canonreçoit
de l’action de lapoudre
une
quantité
de mouvementplus grande
que celle quereçoit
leboulet.
(*)
(*) M. Petit, à
l’exemple
de tous ceuxqui
ont traité la mêmequestion
avant lui, n’a pas fait attention à la diminution que la vitessedéjà acquise
par chacun des deux corpsapporte à
lapression
que ces corpséprouvent.
Il aégalement négligé
cettequantité
en s’occupant de laquestion
suivante :(voyez
le mémoiredéjà
cité. )Soit un
cylindre fixe , horizontal et fermé
par un de ses bouts. Unfluide
SUR
LESEPROUVETTES.
253Dans la
pratique
, la différence est encoreplus grande, à
causedu vent du
boulet
, de la résistance del’air,
etc, etc.Si l’on considère les
quantités
de mouvement totalesacquises
parélastique
estplacé
entre le fond de cecylindre
et unpiston.
Il exerce surce dernier une
pression qui
le met en mouvement. Ils’agit
de trouver la forcepifle acquise par le
piston?
Soit a la
longueur
ducylindre primitivement occupé
par lefluide ;
soit xcelle
qu’il
occupe actuellement. Soient h la hauteur de la colonne d’eaua laquelle
son élasticité
pouvait faire équilibre quaud
iloccupait l’espace
a, m la massedu
piston, v
sa vitesseactuelle, h
la section transversale ducylindre ;
etprenons la densité de l’eau
’pour
unité.L’élasticité du fluide s’est réduite à
ha x.
Lapression qu’il
exerce sur lefond du
cylindre
estgb ha x.
M. Petit suppose que cette valeur est aussi celle de la pression exercée sur le piston. En conséquence , il écrit mdv dt=gbha x
oumvdv dt=gha x. Intégrant
ensuite cetteéquation ,
il obtient ainsi la valeur demv2.
Mais, à
cause que le piston a une vitesseacquise v,
lapression
exercée sursa base est
nécessairement
moindre que celle que supporte le fond ducylindre.
Soit ô la densité du fluide,
lorsqu’il occupait l’espace a;
sa densité actuelle devra êtreexprimée
para03B4 x.
La vitessequ’il prendrait
si l’on enlevaitsubi-
tement le
piston
seraitag. ha x o03B4 x =2g-h 03B4. donc, la vitesse qu’il perd,
par
l’interposition
dupiston ,
est2g h03B4
-v. Soit h’ la hauteur de la colonne d’eau àlaquelle
feraitéquilibre
l’élasticitégénératrice
de cettevitesse ;
on aurad’où
254 REFLEX-IONS
les deùx
corps
on voitqu’elles
doivent différer encoredavantage.
En
effet, dès
lespremiers
instans del’explosion ,
leboulet, chassé
hors du canon,
n’éprouve
bientôtplus,
de lapart
de lapoudre,
qu’une
action à peuprès nulle ;
tandis qne cellequi
est exercéesur le canon est encore
considérable.
1 Il est donc bien
prouvé
quel’explosion
de lapoudre
commu-nique
au canon unequantité
de mouvementplus grande
quecelle
qu’elle communique
auboulet.
La
relationqu’ont
entre elles cesdeux quantités de mouvement dépend d’ailleurs
de la loi dedéveloppement
des gaz dans lacharge de poudre
que l’onconsidère. Ainsi,
cette loi venant àvarier , la
relation varieraaussi. Donc
cette dernièredépend
de lanature de la
poudre.
Une
de
cesquantités de mouvement
détermine le recul de lapièce , l’autre
Jadistance
àlaquelle
estporté
le boulet ou laportée. Ainsi,
la relation entrele
recul et laportée dépend ,
engénéral ,
del’espéce
depoudre
que l’onemploie.
De
là il résulte.qu’il peut arriver
que,de deux charges égales de poudres
dequalité différente ,
l’unedonne
unpetit
recul etûne grande portée,
etqu’au contrairé
l’autre donne ungrand
reculet
unepetite portée.
donc la
pression bgh’qwéprouve
lèpiston
a pour valeurdonc enfin
formule bien différente de la
précédente.
Je ferai encore observer
que RODIRs ,
dans sesNouveaux principes d’artillerie ,
a commis la même inadvertance.
255
SUR
LES ÉPROUVETTES.
En effet
laquantité
de mouvement que reçoit le boulet nedépend guère,
du moins dans lespièces
de peu delongueur,
que de cequi
se passe dans lespremiers
instans del’inflammation ;
celle que
reçoit
le canondépend ,
aucontraire ,
des circonstances de la durée totale del’explosion. Or,
il estaisé , d’après cela ,
d’imaginer
deux lois dedéveloppement
des gaz dont l’une soit telle que le boulet n’obtiennequ’une très-petite quantité
de mouvement ,pendant
que le canon en recevra unetrès-grande ,
tandisque ,
suivantl’autre,
le boulet acquerra unegrande vitesse,
tandis que la quan- tité de mouvement du canon,quoique toujours supérieure
à celledu
boulet ,
soitcependant
bien moindre que dans l’autre cas.Ainsi,
engénéral,
lespoudres qui
donnent lesplus grands
re-culs diffèrent de nature de celles
qui
donnent lesplus grandes portées.
Au reste, ce n’est pas
toujours
la mêmepoudre qui
donne laplus grande portée
ou leplus grand recul.
En
effet ,
c’est un fait bien reconnu que la loi de l’inflammationvarie ,
engénéral,
non seulement avecl’espèce
depoudre ,
maisencore avec la masse sur
laquelle
onopère.
Onconçoit
donc que lapoudre qui ,
sous unecharge donnée , produit
laplus grande portée
ou leplus grand recul , peut
fort bien ne pas conserver cetavantage , lorsque
lepoids
de lacharge
viendra à varier.Les obstacles que les gaz rencontrent ,
én cherchant à
se dé- gager , influent aussisingulièrement
sur la manière dont ils se forment et ledegré
d’élasticitéqu’ils acquièrent.
Leprojectile s’oppose
d’autant
plus
à leurdéveloppement
quel’angle
souslequel
on tireest
plus
considérable.Ainsi,
lapoudre qui
donne laplus grande portée peut ,
toutes choseségales d’ailleurs ,
varier avecl’angle
deprojection.
La
grandeur
du vent , laposition
de lalumière ,
ledegré
d’échauffement de la
pièce,
etc., sont encore autant de circons-tances
qui
influent sur la loi dedéveloppement
des gaz.256 RÉFLEXIONS
D’après cela ,
onconçoit
aisément que les effets despoudres
doivent varier avec
l’espèce
des bouches à feu.. Il résulte de tout ce
qui précède
que la mêmepoudre qui , dans
de certainescirconstances , produit
detrès-grande effets , peut,
dans des circonstancesdifférentes,
n’enproduire
que de très-faibles.(*) Et,
commeon juge
de la force de lapoudre
par les effetsqu’elle produit,
on voit que la mêmepoudre peut
se montrerforte
dans un cas et faible dans un autre.Ainsi,
parexemple ,
on a vuque
la mêmepoudre pourrait
enmême temps
donner ungrand xecul
et unepetite portée.
Si donc l’on a seulementégard
à cetteportée,
lapoudre
seraréputée faible, tandis que si,
au con-traire,
on neconsidère uniquement que
lerecul,
elle seraréputée
forte.
Par
conséquent
la mêmepoudre
n’est paségalement propre à produire
tous les effetspossibles.
Les épreuves qu’on
fait subir auxpoudres
seréduisent ordinai- rement à
essayer leur effet ’dans un casparticulier.
Cèllequi
pro- duit l’effet leplus considérable
estréputée supérieure
à toutesles
autres.Mais
la supériorité
de cettepoudre
n’est constatée que dans lecas
particulier
où elle a étéessayée ;
et il esttrès-possible quelle
se mntre , dans d’antres
circonstances ,
fort inférieure à celles surlesquelles
on luiaura..don.né.
lapréférence.
De
làrésulte-
quela même poudre peut
se montrertrès-faible
dans
uneéprouvette
et très-forte dansune
autre.On peut diviser
leséprouvettes
en deux sortesprincipales;
dans.les
unes on mesuresoit la quantité
de mouvementimprimée
au(*) Au nombre de ces circonstances, on ne compte
point
ici cellesqui changent
a nature
de
lapoudre,
comme les variationshygrométriques.
Lapoudre
estsupposée toujours
dans 1emême
état. Laquanté employée
et les effets aproduire
varientseuls.
projectile
SUR LES É P R O U V E T T E S 257
projectile
soit la distance àlaquelle
il estporté :
dans les autreson observe le recul du canon
qui
renferme lapoudre.
Le
mortier-éprouvette ,
dont on se sert enFrance, appartient à
la
première
classe :l’éprouvette hydrostatique
de M.Reynier
appar- tient à laseconde. Voyez
sadescription
dansl’Aide-mémoire
dugénéral
GASSENDI).
Dans le
premier cas, la poudre qui
donne laplus grande portée
est
réputée
lameilleure ;
dans lesecond ,
c’est cellequi
donnele
plus grand
recul.Ainsi ,
de deuxpoudres
dont l’uneporte
Jeglobe
del’éprou-
vette - mortier à 200 mètres et autre a 220, la
première
estregardée
commesupérieure ;
mais sasupériorité peut
très - bien n’exister que dansl’éprouvette ;
et il estpossible
que , dans d’au-tres bouches àfeu ,
la seconde donne uneplus grande portée.
L’éprouvette-mortier
etl’éprouvette hydrostatique
doivent souventdonner des résultats
contradictoires ;
lapoudre s’y
trouve , eneffet,
dans des circonstances fort différentes. Dans lapremière ,
la
charge
est de trois onces ; elle n’est que de trois grammes seu- lement dans la secondequi,
en outre , n’apoint
deprojectile.
De-plus ,
les effets observés ne sont pas du même genre.Toutes ces réflexions se trouvent , au
surplus, complètement
confirmées par