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La pratique et les réseaux savants d'Albrecht von Haller (1708-1777), vecteur du transfert culturel entre les espaces français et germaniques au XVIIIème siècle

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La pratique et les réseaux savants d’Albrecht von Haller (1708-1777), vecteur du transfert culturel entre les espaces français et germaniques au XVIIIème siècle

Florence Catherine

To cite this version:

Florence Catherine. La pratique et les réseaux savants d’Albrecht von Haller (1708-1777), vecteur du transfert culturel entre les espaces français et germaniques au XVIIIème siècle. Histoire. Université Nancy 2, 2009. Français. �NNT : 2009NAN21010�. �tel-01752975�

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AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie.

Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document.

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Contact : ddoc-theses-contact@univ-lorraine.fr

LIENS

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Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php

http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

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UNIVERSITÉ NANCY 2

École doctorale « Langages, Temps, Société »

LA P RATIQUE ET LES RÉ SEAUX S AVANTS D’ALB RECHT VO N HALLER (1708-1777), VECTEURS DU TRANSFERT CULT UREL ENTRE LES ESPACES FRANÇAIS ET GERMANIQUES AU XVIIIe SIÈCLE

Thèse pour le doctorat d’histoire présentée et soutenue publiquement par

Florence Catherine Le 18 septembre 2009

sous la direction de Madame le Professeur Simone Mazauric

JURY :

M. Pierre-Yves Beaurepaire, Professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis (rapporteur) M. Michel Espagne, Professeur à l’Ecole Normale Supérieure (Ulm) (rapporteur)

M. Gerhard Heinzmann, Professeur à l’université de Nancy 2

Mme Simone Mazauric, Professeur à l’université de Nancy 2

Mme Catriona Seth, Professeur à l’université de Nancy 2

M. Hubert Steinke, Privatdozent à l’université de Berne

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Frontispice du premier volume des Elementa physiologiae (1757), gravure de Pierre-François Tardieu.

Bibliothèque de l’Académie nationale de Médecine, Paris.

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Remerciements

Au terme de ce travail, il me reste l’agréable devoir de remercier madame le professeur Simone Mazauric qui, non content d’avoir éveillé mon intérêt pour l’histoire des sciences, a accepté d’encadrer cette thèse. Ses encouragements, ses remarques et ses corrections pertinentes ont été précieux pour la progression de ma réflexion.

Je tiens également à remercier le Dr. Dr. Hubert Steinke pour l’obligeance et la disponibilité avec lesquelles il a répondu à mes questions. Ses suggestions bibliographiques et ses conseils dans le choix des sources se sont révélés très utiles.

L’accueil et les compétences du personnel de la Burgerbibliothek de Berne ont grandement contribué à faciliter mes recherches.

Cette entreprise de longue haleine n’aurait pas été possible sans le soutien affectueux et la patience de ma famille. Que mes parents et mon frère trouvent donc ici l’expression de ma profonde gratitude. Merci à mon époux d’avoir, par la force des choses, goûté à nouveau aux difficultés et aux joies de la rédaction d’une thèse.

Je ne saurais oublier mes amis qui se sont toujours enquis du cours de mes travaux,

acceptant à l’occasion d’en relire des passages et de m’aider pour les traductions du latin.

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Avertissement

Toutes les citations respectent l’orthographe et la ponctuation originales.

Lorsque nous ne le précisons pas, les lettres citées ou auxquelles nous faisons allusion sont conservées à la Burgerbibliothek de Berne dans le Nachlass Albrecht von Haller.

Ce travail n’est pas une biographie de Haller et notre analyse thématique nous a obligé à faire quelques entorses à la chronologie. Pour faciliter la lecture et la compréhension du texte, nous renvoyons à l’annexe 1 qui rappelle les principales dates de la vie et de l’œuvre de Haller.

Liste des abréviations utilisées : BB Bern Burgerbibliothek Bern

GGA Göttingische Zeitungen von Gelehrten Sachen (1739-1752) Göttingische Anzeigen von Gelehrten Sachen (1753-)

HARS Histoire de l’Académie royale des sciences, avec les Mémoires de Mathématiques et de Physique. Tirés des registres de cette Académie.

JMCP Journal de médecine, chirurgie et pharmacie etc.

OeG Oekonomische Gesellschaft Bern

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION GÉNÉRALE... 10

Première partie : UNE RELATION SAVANTE DANS LE PRISME DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES ... 40

Chapitre I : LE TEMPS DES RENCONTRES PERSONNELLES ET INTELLECTUELLES... 40

1- De la connaissance à l’appropriation de l’héritage des maîtres de la formation médicale ... 42

a- L’héritage de Boerhaave, point de convergence entre Haller et les médecins français ... 42

b- Autres rencontres intellectuelles ... 49

2- La formation à Paris... 51

a- La découverte des lieux et des institutions... 53

b- Professeurs et contenus de l’apprentissage ... 56

c- Les prolongements du séjour parisien dans l’œuvre de Haller ... 60

3- La cristallisation des rencontres des cercles savants... 64

a- Voyages et visites savantes ... 65

b- La genèse tardive des correspondances ... 70

c- Typologie des premières lettres ... 73

4- Analyse morphologique de la correspondance ... 79

a- Géographie et rythme épistolaires... 79

b- Patronage et amitié... 83

c- Répartition des correspondants par activité ... 87

5- Les voies du réseau épistolaire, supports de la sociabilité savante... 89

a- Les interconnexions réticulaires... 89

b- Haller, intermédiaire au sein de cercles français ... 95

Chapitre II : LES CURIOSITÉS PARTAGÉES ... 99

1- Le statut de l’expérience et des conditions d’observation ... 100

a- Épistémologie et dispositif méthodologique... 101

b- Les conditions matérielles de l’expérience ... 115

c- Diffusion et réception des résultats expérimentaux ... 124

2- Les sciences utiles... 134

a- Les sciences au service de l’administration ... 135

b- Regards croisés sur l’inoculation ... 141

c- Circulation et appropriation des techniques de production du sel ... 151

d- Haller, figure et intermédiaire de la philanthropie helvète ... 156

Chapitre III : RÉSONANCE ET RÉCEPTION DES TRAVAUX DE HALLER EN FRANCE : MÉCANISMES, PORTÉE ET APPRÉCIATIONS... 161

1- Mécanismes et vecteurs de la diffusion des écrits de Haller ... 162

a- Les correspondances ... 162

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b- Les périodiques et les journaux savants... 170

c- Les traductions ... 187

2- Échos et expressions de la réception française de la pensée de Haller... 194

a- L’érudit aux talents universels ... 194

b- Les marques officielles et privées de sa consécration ... 198

3- L’amorce d’un transfert intellectuel... 202

a- Les répercussions de la diffusion de la pensée de Haller en France ... 202

b- Haller, lecteur de la réception française de ses textes... 208

Conclusion de la première partie... 215

Deuxième partie : LES ENJEUX IDENTITAIRES, POINTS D’ACHOPPEMENT OU MOTEURS DE LA COMMUNICATION SAVANTE ?... 217

Chapitre IV : POLÉMIQUES ET CRITIQUES, LES ROUAGES INDISPENSABLES DE LA DISCUSSION SAVANTE ... 217

1- Réflexions préliminaires : la conception du commerce savant chez Haller ... 218

2- La controverse... 225

a- Les règles de courtoisie, gages de l’harmonie de la République des Lettres... 225

b- les fonctions de la controverse... 231

c- Les instances de la controverse ... 243

3- Les recensions savantes ... 253

a- Les fins et l’ethos de la recension savante ... 253

b- Instrumentalisation de la recension par Haller... 257

Chapitre V : LES FRONTIÈRES GÉOGRAPHIQUES GARANTES DE L’IDENTITÉ MORALE ET PATRIOTIQUE ?... 266

1- Les enjeux renouvelés de l’historiographie ... 267

2- La projection idéalisée de la Suisse ... 271

a- Dans les correspondances ... 272

b- La diffusion d’une image stéréotypée parmi les élites françaises... 280

3- Les accents patriotiques au sein de la communication savante ... 284

a- L’Helvétisme... 284

b- Le choix d’un idiome savant... 287

c- Des traditions intellectuelles différenciées... 293

4- L’émancipation de la tutelle française ... 297

a- Une émancipation culturelle ... 297

b- Les rapports de force politiques et diplomatiques ... 307

Chapitre VI : RELIGION ET PHILOSOPHIE, DEUX CLEFS DE L’ÉQUIVOQUE INTELLIGIBILITÉ DES LUMIÈRES ... 319

1- La place de la religion dans la pensée de Haller... 321

a- Religion et œuvre de science... 322

b- Le thème de la religion dans les correspondances françaises ... 329

2- Défendre la religion et la vertu protestantes ... 334

a- Contre l’Église catholique... 334

(10)

b- Contre la libre-pensée ... 338

3- La « cabale Philosophique » ... 348

a- Du bon usage de la philosophie ... 348

b- Le cas Voltaire ... 358

Conclusion de la seconde partie ... 369

Troisième partie : LA FIGURE DU SAVANT ET SON ŒUVRE : UN COMMERCE INTELLECTUEL PLURIDIMENSIONNEL... 371

Chapitre VII : UNE COMMUNICATION ÉLECTIVE ET MAÎTRISÉE ... 371

1- Le choix des interlocuteurs et les caractères du public français ... 372

a- Les procédés électifs ... 372

b- Homologie des interlocuteurs ... 376

c- Les cercles discriminés ... 378

2- Contiguïté et superposition des réseaux : de l’espace rêvé à l’espace vécu ... 385

a- La notion de réseau en question ... 385

b- Synapses et intermédiaires... 388

c- Les contraintes de la contiguïté des réseaux ... 391

d- Résonances interréticulaires... 397

3- Résoudre les tensions : la maîtrise des vecteurs de communication... 402

a- La variabilité des registres selon les destinataires... 402

b- Les réseaux au service de la sociabilité savante ... 408

c- Les réseaux, instruments des desseins personnels ... 416

d- Réseaux « disciplinaires » et complémentarité des pôles de savoir... 420

Chapitre VIII : DU PARTAGE AUX EMPRUNTS DES SAVOIRS ... 428

1- Haller, médiateur des savoirs français ... 430

a- L’acquisition raisonnée des ouvrages français... 430

b- Typologie des informations savantes venant de France ... 436

c- Jugement et sélection des savoirs français ... 442

d- La concrétisation des emprunts intellectuels ... 446

2- Emprunts et acculturation de l’œuvre et des compétences de Haller en France... 452

a- La consultation du médecin, du botaniste et de l’érudit... 453

b- L’indispensable décloisonnement des savoirs ... 460

c- Appropriation, réorientation et instrumentalisation du savoir ... 467

3- Penser les emprunts de savoirs ... 475

a- Mettre à profit et améliorer les conditions des échanges ... 475

b- Discours réflexif sur les processus d’échanges... 480

c- Un climat d’échanges concurrentiel... 485

Chapitre IX : LA LANTERNE MAGIQUE DE LA POSTÉRITÉ... 490

1- Les traces immédiates d’une postérité consensuelle... 492

a- Mise en exergue de la figure du savant dans la pensée de Haller ... 493

b- L’annonce du décès de Haller dans les périodiques savants... 498

2- Écritures et enjeux des éloges académiques ... 501

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a- La fabrique commune de l’image d’un savant des Lumières ... 501

b- Les éloges, vecteurs d’un discours épistémologique ... 508

c- L’œuvre de Haller mise au service des ambitions particulières de chaque académie ... 512

d- Les contraintes du genre de l’éloge ... 521

3- Les sources du XIXe siècle : regards croisés autour d’une figure historicisée... 524

a- Les filiations intellectuelles... 526

b- Le savant et sa pratique, objets d’histoire... 533

Conclusion de la troisième partie ... 541

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 543

SOURCES ET TRAVAUX ... 563

ANNEXES ... 604

Annexe 1 : Chronologie ... 605

Annexe 2 : Répartition spatiale du réseau épistolaire de Haller (1724-1777)... 612

Annexe 3 : Liste des correspondants français d’Albrecht von Haller... 613

Annexe 4 : Distribution chronologique de la genèse des correspondances françaises (1734-1777)... 616

Annexe 5 : Nombre de lettres par correspondant... 616

Annexe 6 : Répartition par activité des correspondants français de Haller... 617

Annexe 7 : Rythme de la correspondance de F. Thiery (octobre 1751-octobre 1777) ... 618

Annexe 8 : Lettre du comte d’Argenson à Haller, le 25 août 1754... 619

Annexe 9 : Lettre de Haller à Malesherbes, le 1

ier

mai 1762 ... 620

Annexe 10 : Lettre de Chomel à Haller, le 17 janvier 1752... 621

Annexe 11 : Dédicaces et approbation d’ouvrages scientifiques... 622

Annexe 12 : La communauté des botanistes ... 625

Annexe 13 : La bibliothèque de Haller (1777)... 627

Annexe 14 : Résonances du travail de Haller dans l’Encyclopédie ... 628

Annexe 15 : Recension de la Bibliothèque d’un homme de goût de Louis Mayeul Chaudon ... 630

Annexe 16 : L’image de la Suisse dans les lettres de François Thiery : une projection idéalisée... 632

Annexe 17 : Mise en abyme du jugement de Haller sur Diderot dans une lettre de Thiery ... 633

Annexe 18 : Querelle de priorité entre Albrecht von Haller et Exupère-Joseph

Bertin... 634

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Notre siècle et le précédent sont bien les témoins à la fois de la richesse et des heurts occasionnés par la multiplication des rencontres et des collisions interculturelles. Les maillages transnationaux se sont resserrés en même temps que s’est répandu l’usage de notions plus ou moins bien définies et assimilées telles que la mondialisation des échanges.

Au milieu des débats, l’historien doit d’une part montrer que la construction des phénomènes d’échanges culturels à l’échelle de l’œkoumène est une pratique ancienne, et d’autre part, rappeler que la singularité de chaque époque interdit les comparaisons faciles. Si le XVIIIe siècle marque bien un temps fort dans la construction des pratiques d’échanges intellectuels de l’époque moderne, la notion d’espace culturel européen au siècle des Lumières est aujourd’hui étudiée dans toute la complexité de ses dimensions et il semble nécessaire de lui consacrer à nouveau un travail de réflexion.

A la suite d’un travail de maîtrise qui comparait la fondation de l’Académie des sciences de Paris et celle des académies scientifiques allemandes au XVIIIe siècle

1

, nous avons été amenés à nous interroger sur le sens de l’idée de transfert culturel entre les lieux de savoir officiels qu’étaient les académies françaises et allemandes à l’époque des Lumières

2

. En raison de l’étendue de la tâche, nous nous sommes concentrés sur une analyse prosopographique des académiciens pour essayer de comprendre les logiques de choix et de nomination des savants étrangers au sein des académies. L’Académie des sciences de Göttingen avait alors particulièrement retenu notre attention en raison de son lien spécifique avec l’université de la ville

3

et de son nombre non négligeable de correspondants français après la Révolution. Cette fréquence de nominations de savants français contrastait avec leur quasi-absence lors des premières décennies de l’institution

4

, notamment lors de la période durant laquelle elle fut dirigée par son premier et illustre président Albrecht von Haller, bien que celui-ci posséda un très vaste réseau de relations à travers toute l’Europe. C’eût été une

1 Les modèles de fondation de la Societät der Wissenschaften à Berlin (1700) et de la Kurbayerische Akademie der Wissenschaften à Munich (1759), mémoire de maîtrise rédigé sous la direction de madame Simone Mazauric, Université de Rouen, 1998-1999.

2 Le transfert culturel dans les académies scientifiques en France et en Allemagne (1700-1815), mémoire de DEA rédigé sous la direction de madame S. Mazauric, Université de Nancy, 1999-2000.

3 Ceci nous rappelle qu’au XVIIIe siècle, dans l’espace germanique les universités restent les principaux lieux de savoir, à la différence des universités françaises.

4 L’Académie des sciences de Göttingen a été fondée sous la tutelle du ministre Gerlach Adolph von Münchhausen et l’influence d’A. von Haller en 1751.

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gageure d’espérer continuer à travailler sur le transfert culturel à l’échelle des académies françaises et allemandes, tant le sujet est vaste. Nous avons donc choisi d’infléchir notre perspective et d’étudier de façon approfondie le cas d’un homme de science à l’envergure européenne dont les aspirations et les contradictions offrent un champ de réflexion particulièrement stimulant. Sélectionner un physiologiste permettait d’insister sur le rôle tenu par les sciences médicales dans l’univers intellectuel des Lumières. Nombre de savants du XVIIIe siècle ont d’ailleurs reçu une formation de médecin et même lorsqu’ils se sont détournés de cette première vocation, comme le botaniste Antoine Jussieu, le goût de la médecine leur est souvent resté.

Pour toutes les raisons énoncées précédemment nous nous sommes arrêtés sur le choix d’Albrecht von Haller. Né à Berne en 1708 où son père est juriste, Haller étudie la médecine à Tübingen en 1723, puis à Leyde, où il coiffe le bonnet de docteur en 1727, Londres et Paris

5

. Après un séjour à Bâle, à l’occasion duquel il suit les cours de mathématiques de Jean Bernoulli, Haller entreprend un voyage dans les Alpes en 1728. Cette excursion se révèle déterminante pour ses études botaniques comme pour l’inspiration de son poème Les Alpes (1729), à l’origine de sa réputation littéraire. De retour à Berne, Haller exerce son activité de médecin mais ne parvenant à obtenir ni la charge de médecin de la ville, ni la chaire d’éloquence qu’il convoite, il accepte le poste de bibliothécaire de la ville en 1735. Quelque peu déçu, le savant cède en 1736 à l’appel du baron de Münchhausen

6

, qui lui propose d’occuper les chaires de botanique, d’anatomie et de chirurgie de l’université de Göttingen. Les dix-sept années que compte le séjour de Haller dans la ville se révèlent être très fécondes tant pour le savant, qui assoit sa réputation grâce à d’ambitieux travaux de physiologie, que pour la gloire intellectuelle de Göttingen. En effet, outre la fondation d’un institut d’anatomie et d’un jardin botanique, le protégé de Münchhausen influence la création de l’Akademie der Wissenschaften (1751) dont on lui confie la présidence et oriente profondément la ligne directrice de la rédaction des Göttingische Gelehrte Anzeigen (GGA)

7

. Ces succès n’empêchent pas Haller de caresser l’ambition d’une carrière politique à Berne et de souffrir du Heimweh, mal si courant parmi les Suisses exilés. Après son départ du Hanovre

5 L’annexe 1 présente une chronologie plus détaillée de la vie et du cours des travaux de Haller.

6 Ministre et conseiller au service des souverains d’Angleterre et du Hanovre, le baron Gerlach Adolph von Münchhausen (1688-1770) est l’un des principaux inspirateurs de la fondation de l’université de Göttingen en 1734. Curateur de l’institution jusqu’à sa mort, il met tout en œuvre pour y attirer Haller et après le retour à Berne de celui-ci, il s’emploie à le convaincre de revenir.

7 Créées en 1739, les Göttingische Zeitungen von Gelehrten Sachen forment le plus ancien organe de recension en langue allemande encore existant. Haller en prend la direction en 1747, et à partir de 1753, le périodique, qui s’intitule désormais les Göttingische Gelehrte Anzeigen, devient l’organe de publication de l’Akademie der Wissenschaften de Göttingen.

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en 1753, Haller est nommé Rathausamman, c’est-à-dire administrateur de l’Hôtel de ville de Berne, puis directeur des salines à Roche de 1758 à 1764, et vice-gouverneur d’Aigle en 1762-1763. En revanche, malgré ses efforts réitérés, il ne parvient jamais à entrer dans le Petit Conseil, organe décisionnel fondamental dans la vie politique du canton. Esprit éclairé, Haller multiplie les actions tendant à réformer le système scolaire et sanitaire, créant un orphelinat et présidant la florissante Société Économique de Berne. L’acquisition de la seigneurie de Goumens-le-Jux en 1764 lui permet de prendre le nom de Haller de Goumoëns, titre auquel il est manifestement très attaché puisqu’il signe les articles qu’il rédige pour les Suppléments de l’Encyclopédie

8

des initiales « H.D.G. ».

Le choix de travailler sur Albrecht von Haller offre l’opportunité de combler une lacune de l’historiographie française. En effet, en raison de son implication très forte dans la vie intellectuelle de son époque, Haller a été l’objet de très nombreuses études mais celles-ci sont principalement le fait d’auteurs suisses, allemands et italiens

9

. Les travaux sur Haller ont été très longtemps issus du milieu germanophone et la première biographie de ce savant en langue française est celle d’Herminie Chavannes publiée en 1840

10

. Un des travaux pionniers sur la relation et la réception de l’œuvre littéraire de Haller en France est la thèse de Gabriel Cunche soutenue au début du XXe siècle

11

. Mais alors que les historiens suisses ont souligné l’incroyable densité du réseau épistolaire de Haller et sa signification dans l’ensemble de l’œuvre du savant, les historiens français n’ont pas encore exploré cette piste de recherche dans son intégralité. Deux travaux sont toutefois à signaler : celui d’Odile Hamon portant sur les échanges épistolaires d’Haller et le médecin parisien François Thiery

12

, et plus récemment

8 Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, par une société de gens de lettre;

mis en ordre et publ. par [Denis] Diderot ...17 vol. et planches, Paris-Neufchâtel, 1751-1765. Supplément, 4 vol., 1776-1777.

9 Nous renvoyons à la bibliographie de ce travail mais pour une vision plus exhaustive, il convient de consulter la Bibliographia Halleriana. Verzeichnis der Schriften von und über Albrecht von Haller, heraugegeben von Hubert Steinke und Claudia Profos, unter Mitarbeit von Pia Burkhalter, Basel, Schwabe, 2004.

10 Herminie Chavannes, Albert de Haller : Biographie, par l’auteur des Soirées de familles, Lausanne, Imprimerie et librairie de Marc Ducloux, 1840.

11 La Renommée de A. de Haller en France ; influence du poème des Alpes sur la littérature descriptive du XVIIIe siècle, thèse pour le doctorat présentée à la Faculté des lettres de l'Université de Caen par Gabriel Cunche, 1918.

12 Odile Hamon, Contribution à l’étude des correspondants de Haller et en particulier de Thierry, thèse pour le doctorat en médecine, soutenue devant l’université de Rennes, 1970. Le Lorrain François Thierry (ou Thiery) (1719-1793) étudie la médecine à Pont-à-Mousson avant d’obtenir son doctorat à la Faculté de Paris. Il exerce son art dans la capitale et obtient le titre de médecin du roi. Un voyage de deux années en Espagne (1753-1755) lui permet d’approfondir ses recherches sur le rapport entre la climatologie et les épidémies. A la veille de la Révolution, Thiery publie ses réflexions sur l’amélioration des études de médecine sous le titre : Voeux d'un patriote sur la médecine en France, où l'on expose les moyens de fournir d'habiles médecins au royaume, de perfectionner la médecine et de faire l'histoire naturelle de la France (1789).

(15)

celui de Christophe Vetter qui a cherché les caractéristiques du milieu strasbougeois des Lumières à travers les lettres adressées par l’un de ses représentants, l’apothicaire Reinbold Spielmann, au Bernois

13

. Mais si O. Hamon a retranscrit les lettres de Thiery adressées à Haller, la fin de son travail n’impliquait pas l’analyse de ces lettres et nous avons donc repris cette tâche à notre compte. En outre, malgré la requête de quelques chercheurs français qui rappelaient en 1971 les bénéfices qui résulteraient d’une étude portant sur les correspondants français de l’Helvète, une telle analyse n’a jusqu’alors pas été réalisée

14

.

L’universalité de l’œuvre de Haller implique l’hétérogénéité disciplinaire des études qui lui sont consacrées. Il convient de mentionner que l’historiographie germanophone s’est d’abord attachée aux œuvres littéraires du savant, à ses poèmes et à ses romans politiques.

L’abondance de ces travaux s’explique par l’histoire de la langue allemande et par la quête d’unité culturelle qu’elle sous-entend. Haller, contemporain de Johann Christoph Gottsched (1700-1766) et de Johann Gottfried von Herder (1744-1803), est considéré comme l’un des premiers écrivains germanophones à avoir cherché à unifier l’idiome allemand et à l’avoir défendu systématiquement dans la production littéraire. Notre réflexion a intégré les résultats de travaux portant sur l’activité littéraire de l’Helvète mais il est vrai que nous nous sommes également concentrés sur les écrits relevant de l’histoire des sciences. Notons que ce domaine d’étude a été longtemps le fief de médecins et de philosophes des sciences.

L’immense réseau épistolaire et la dimension européenne de l’œuvre de Haller constituent aujourd’hui un axe de recherche majeur pour la connaissance du médecin bernois.

Outre les projets propres à l’institut d’histoire de la médecine de l’université de Berne, les relations de Haller avec le monde savant et médical italien ont déjà été étudiées par Maria Teresa Monti et Renato G. Mazzolini. En revanche, alors que la Bibliothèque Nationale de France conserve les traités médicaux et les œuvres littéraires de Haller, ces matériaux n’ont suscité que peu d’écho chez les historiens français. On trouve des articles dans les revues médicales concernant les recherches de Haller sur la physiologie et les débuts de la neurologie

15

. D’autres articles dispersés traitent du rôle tenu par Haller dans la rédaction des

13 Christophe Vetter, Strasbourg et l’Europe des Lumières : lettres de Jacques Reinbold Spielmann à Albrecht von Haller (1753-1777), 3 tomes, thèse pour le doctorat, soutenue devant l’université de Strasbourg, 1989.

14 « Les correspondants français de Albrecht von Haller ». Note de MM. Pierre Huard, Yves Laissus, Georgette Legée, Jean-François Leroy et Jean Théodoridès, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, 8 novembre 1971, Paris, Série D, t. 273, p. 1655-1656.

En recensant la thèse d’O. Hamon, Pierre Huard écrit : « On doit (…) souhaiter que ce premier essai consacré aux correspondants français de Haller soit suivi de beaucoup d’autres », Revue d’Histoire des Sciences, 1973, vol. 26, n°3, p. 281-282.

15 Gerhard Rudolf, « L’irritabilité hallérienne, point de départ de la neurophysiologie », Actualité neurophysiologique, VII, 1967, p. 295-319. Suzanne Delorme, « L’Académie Royale des Sciences : ses correspondants en Suisse. », Revue d’Histoire des Sciences, 1951, t. IV, p. 159-170.

(16)

Suppléments de l’Encyclopédie. Bien sûr, les historiens des sciences et les épistémologues qui travaillent sur la science des Lumières ont effectué des analyses plus fouillées sur les théories halleriennes mais ces dernières sont insérées dans des ouvrages plus généraux. Dans l’histoire du vitalisme de Roselyne Rey

16

ou dans celle de la physiologie des Lumières de François Duchesneau

17

, plusieurs chapitres sont consacrés à Haller mais celui-ci n’est pas l’unique objet de ces ouvrages. C’est ainsi qu’à notre connaissance, aucune étude française d’une certaine ampleur n’a encore été consacrée à Albrecht von Haller. Or, une analyse des relations savantes entretenues par le médecin bernois avec ses contemporains français semble d’autant plus pertinente que leurs échanges et querelles contribuent à éclairer les traits communs et la diversité des scènes intellectuelles de la France et de la Suisse des Lumières.

La notion de transfert culturel, en raison des nombreuses perspectives qu’elle déploie, nous a paru la plus propre à expliquer les relations entre Haller et les lettrés français.

Fruit des réflexions d’historiens et de germanistes à la fin des années 1980, l’idée de transfert culturel a été féconde en textes méthodologiques

18

. La recherche sur les transferts culturels a d’ailleurs évolué, elle s’est diversifiée et a intégré de nouvelles problématiques

19

: Hans- Jürgen Lüsebrink et Matthias Middell en ont récemment récapitulé les enjeux en les confrontant avec ceux de l’histoire des médias ou de l’histoire globale

20

. L’idée de transfert sollicite une perspective interculturelle et se distingue des orientations traditionnelles de l’histoire comparée, sans toutefois nier intégralement les apports de cette dernière. Le premier apport de la notion de transfert culturel a été de prendre en considération la culture et les productions intellectuelles comme des biens qui seraient les objets des processus d’échange.

Le transfert s’opère en trois temps distinctifs qui scandent la démarche analytique : la sélection, la transmission et l’intégration - ou acculturation - d’un bien culturel dans l’espace de réception. Ces trois phases, jointes à l’identification des mouvements de personnes,

16 Roselyne Rey, Naissance et développement du vitalisme en France de la deuxième moitié du 18e siècle à la fin du premier Empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.

17 François Duchesneau, La physiologie des Lumières, Empirisme, modèles et théories, The Hague ; Boston ; London, Martinus Nijhoff Publishers, 1982.

18 Pour une réflexion portant sur les différents paramètres - à savoir le segment chronologique, la délimitation de l’espace et le choix d’étudier une personne ou un groupe social - à définir pour une analyse en termes de transfert culturel, voir Michael Werner, « Maßstab und Untersuchungsebene », dans Nationale Grenzen und internationaler Austausch, Studien zum Kultur- und Wissenschaftsransfer in Europa, hrsg. von Lothar Jordan und Bernd Kortländer, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1995, p. 21-33.

19 Elle a été également mise en question par l’histoire croisée. De la comparaison à l’histoire croisée, sous la direction de Michael Werner et de Bénédicte Zimmermann, Paris, Le Seuil, 2004.

20 Hans-Jürgen Lüsebrink, Interkulturelle Kommunikation. Interaktion, Fremdwahrnehmung, Kulturtransfer, Stuttgart, Metzler, 2008 (2., aktualisierte und erw. Auflage). Kulturtransfer und Vergleich, herausgegeben von Matthias Middell, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2000.

(17)

d’objets, d’idées, de techniques, constituent donc la trame des interrogations qui structurent la présente enquête.

Les travaux sur le contenu et les processus d’échanges culturels entre les pays se sont affinés dans le sens où l’on ne s’attache plus à observer uniquement, comme ce fut longtemps le cas, les grandes écoles de pensée et les œuvres des écrivains et philosophes de renom de chaque pays. On s’intéresse au contraire aux interdépendances entre les courants intellectuels tels qu’entre les sciences historiques, la philosophie allemande et française du XIXe et du XXe siècles

21

. L’examen du transfert culturel porte désormais sur des analyses de catégories sociales précises, pensons aux libraires ou aux Juifs, ou sur des cas singuliers

22

. Ainsi des chercheurs reconstruisent-ils des destinées familiales qui ont joué un rôle primordial dans l’apport d’éléments culturels étrangers à un niveau local

23

. La prosopographie est donc reconnue comme un outil fondamental des recherches actuelles et futures dans ce domaine

24

. Il est donc souhaitable qu’un phénomène aussi complexe et multistratifié que le transfert soit étudié en réunissant et en confrontant les différents travaux particuliers de spécialistes. Un travail récent sur la lecture de Germaine de Staël en Allemagne témoigne que les études de cas ne sont en rien négligées

25

.

L’étude du transfert culturel entre deux pays ne peut s’arrêter à une simple observation des influences mutuelles qu’ils exercent entre eux ; il s’avère nécessaire de tenir compte des conditions d’accueil qui caractérisent chacun des pays récepteurs. Il apparaît alors que le transfert culturel est un processus créatif et qu’il « (…) sous-entend une transformation en profondeur liée à la conjoncture changeante de la culture d’accueil

26

». En fonction de cette conjoncture, par définition instable et différente de celle du pays d’origine du bien culturel transféré, la culture d’accueil va se servir de celui-ci afin de renforcer, ou de subvertir, certaines valeurs ou théories dominantes. Tout travail sur les échanges culturels oblige donc à

21 Michel Espagne, « Kulturtransfer und Fachgeschichte der Geisteswissenschaften », dans Kulturtransfer und Vergleich, op. cit., p. 42-61.

22 Deutsche in Frankreich, Franzosen in Deutschland 1715-1789 : Institutionelle Verbindungen, soziale Gruppen, Stätten des Austausches. Allemands en France, Français en Allemagne 1715-1789 : Contacts institutionnels, groupes sociaux, lieux d’échanges, hrsg. von / publiés par Jean Mondot, Jean-Marie Valentin, Jürgen Voss, Sigmaringen, J. Thorbecke, 1992.

23 Nous nous référons par exemple, à l’étude des négociants allemands à Bordeaux par Michel Espagne, « Les Allemands de Bordeaux au XVIIIe siècle », dans Deutsche in Frankreich, Franzosen in Deutschland…, op. cit., p. 297-312 .

24 Bernd Kortländer, « Begrenzung-Entgrenzung. Kultur und Wissenschaftstransfer in Europa », dans Nationale Grenzen und internationaler Austausch..., op. cit.

25 Gerhard R. Kaiser (Hrsg.), Germaine de Staël und ihr erstes deutsches Publikum. Literaturpolitik und Kulturtransfer um 1800, Heidelberg, Winter, 2008.

26 Michel Espagne et Michael Werner, « Deutsch - französischer Kulturtransfer als Forschungsgegenstand. Ein Problemskizze », dans Transferts. Les relations interculturelles dans l´espace franco-allemand (XVIIIe et XIXe siècle), textes réunis et présentés par Michel Espagne et Michael Werner, Paris, Editions Recherches sur les Civilisations, Paris, 1988, p. 21.

(18)

une connaissance précise des conditions politiques, sociologiques et culturelles de chaque pays impliqué dans la relation

27

; il faut alors se détacher des typologies classiques fondées sur les ressemblances et les différences car « c’est (…) la mise en relation de deux systèmes autonomes et asymétriques qu’implique la notion de transfert culturel

28

».

L’autonomie du système de pensée de Haller par rapport au système de pensée français se révèle d’autant plus significative qu’ils s’insèrent chacun dans une aire culturelle différente. L’intérêt pour nous d’observer le transfert intellectuel entre la France et les pays germaniques se comprend donc en partie, par le fait que ces régions sont tournés historiquement et géographiquement vers des espaces européens différenciés et complémentaires. A l’échelle des sociétés savantes du XVIIIe siècle, il apparaît en effet que les académiciens et savants de l’Empire ont notamment entretenu de nombreux liens avec l’Europe orientale et les pays scandinaves. Quant aux membres des académies françaises, si l’on s’en tient à eux, ils se sont souvent retrouvés dans la longue tradition italienne, quand bien même ils la jugent alors quelque peu caduque, ainsi que dans les rapports concurrentiels avec l’Angleterre. La question se pose alors de savoir dans quelle mesure la culture savante recoupe les orientations d’un pays en matière d’échanges politiques, économiques et diplomatiques et comment peut-on retrouver les traces de l’ouverture privilégiée d’un pays vers un autre.

Ceci recoupe les problématiques de l’historiographie actuelle des Lumières qui tendent à mettre en lumière l’hétérogénéité spatio-temporelle de ce mouvement

29

; il reste à déterminer le rôle du modèle français des Lumières que les historiens ont longtemps présenté comme hégémonique avant de prendre en compte les contestations auxquelles il se heurte.

Aujourd’hui la vision d’un monde des Lumières unifié par des valeurs et des pratiques communes est fortement remise en question

30

. Dès lors, nous souscrivons aux propos de

27 Hans-Jürgen Lüsebrink und Rolf Reichardt (Hrsg.), Kulturtransfer im Epochenumbruch. Frankreich / Deutschland 1770-1815, 2 Bände, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 1997.

28 Ibid., p. 4.

29 Dictionnaire européen des Lumières, sous la direction de Michel Delon, Paris, P.U.F., 1997.

The Enlightenment in Europe/ Les Lumières en Europe/ Aufklärung in Europa - Unity and Diversity/ Unité et Diversité/ Einheit und Vielfalt, hrsg. von Werner Schneiders, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2003.

Jenseits der Diskurse. Aufklärungspraxis und Institutionenwelt in europäische komparativer Perspektive, hrsg.

von Hans Erich Bödeker und Martin Gierl, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2007.

Pierre-Yves Beaurepaire, Le mythe de l’Europe française au XVIIIe siècle : diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, Paris, éd. Autrement, 2007.

30 Vincenzo Ferrone, « Science », dans Le monde des Lumières, Vincenzo Ferrone et Daniel Roche (sous la direction de), Paris, Fayard, 1999, p. 331-339, p. 331 : « En réalité, c’est peut-être la profondeur et l’étendue même de ses grandes querelles de la fin du XVIIIe siècle qui auraient dû donner à réfléchir. Si les Lumières ont été un grand processus historique et culturel fondé sur l’usage critique et public de la raison humaine dans tous les domaines en vue de l’émancipation de l’homme par l’homme, alors les discours et les représentations élaborés par ce système culturel complexe offrent aux yeux de l’historien un caractère hétérogène et elles

(19)

Michel Espagne qui appelle à travailler sur les procédés mutuels d’échange et à ne pas s’arrêter à une observation mettant en parallèle les Lumières et l’Aufklärung

31

. La figure de Haller, qui se situe au cœur d’un très dense système de communication, permet de voir l’imbrication et les interactions entre les mouvements intellectuels. Le choix de la personne de Haller nous semble être un moyen de rassembler et de faire écho à ces différentes interrogations car derrière l’image de l’érudit helvète, figure symbolique de la République des Lettres, se cachent de nombreuses ambiguïtés.

Le Bernois Albrecht von Haller est un des représentants les plus marquants du mouvement des Lumières helvétiques. Or la Suisse, terre d’accueil des Lumières françaises en exil, est étonnamment absente des recherches des historiens français alors que leurs collègues helvètes tendent aujourd’hui à en montrer la singularité

32

. Elle est par ailleurs assez peu présente parmi les publications allemandes. Pourtant à maints égards, la terre de Berne appartient bien à l’espace germanique même si le mouvement des Lumières de ce dernier n’est pas davantage un processus unifié

33

. L’historiographie suisse revendique les villes de Berne, Zürich et Bâle comme de véritables centres des mouvements intellectuels éclairés germaniques de l’époque

34

. L’espace des cantons helvétiques nous intéresse par l’hétérogénéité de ses relations avec l’Europe de l’Ouest. Les cantons suisses sont d’une part perméables aux courants de pensée novateurs

35

mais d’autre part, ils revendiquent leur identité propre, elle-même fortement marquée par l’originalité de leurs institutions politiques.

La singularité de la production intellectuelle helvète semble telle que l’on s’est posé la question de savoir si la Suisse a généré un mouvement des Lumières spécifiques, qui s’écarterait fortement de l’ensemble des Lumières européennes

36

. D’aucuns ont souligné les réactions des auteurs suisses face aux Lumières françaises en forgeant pour les désigner la

présentent une richesse et une variété de positions qui s’accordent mal avec l’idée selon laquelle les Lumières se réduisent à la raison scientifique (…) . »

31 Michel Espagne, « Kulturtransfer und Fachgeschichte... », art. cit., p. 58. On ne peut parvenir à définir les mécanismes de l’histoire littéraire franco-allemande tant que l’on raisonne en établissant un simple parallèle entre les Lumières et l’Aufklärung.

32 Plusieurs numéros des Annales Benjamin Constant, publication de l’université de Lausanne, sont notamment consacrés à la singularité des terres suisses francophones dans l’Europe des Lumières.

33 Grete Klingenstein, « Monde allemand », dans Le monde des Lumières, op. cit., p. 433 : « Compte tenu de [sa]

variété géographique, il est difficile de concevoir les Lumières germaniques comme un phénomène homogène ».

34 Simone Zurbuchen, « Die Schweizer Aufklärung », dans The Enlightement in Europe..., op. cit., p. 71.

35 G. Klingenstein, « Monde allemand », art. cit., p. 434 : « A bien des égards, en raison de sa situation géographique, l’Europe centrale continuait de servir de passage pour les idées, les technologies et les modes de comportement qui, au XVIIIe siècle, passèrent surtout de l’ouest à l’est et au sud du continent (…). »

36 Reconceptualizing Science, Nature and Aesthetics. Contribution à une nouvelle approche des Lumières helvétiques, edited by Patrick Coleman, Anne Hofmann et Simone Zurbuchen, Genève, Slatkine ; Paris, Honoré Champion (diffusion France), 1998.

(20)

notion de « Lumières conservatrices » aujourd’hui contestée, la réalité des contacts semblant passer non par l’exacerbation des discussions entre les noms les plus connus, tenants des positions les plus extrêmes, mais par la multiplication des échanges au sein de groupes plus représentatifs tels les Républicains des Lettres, les imprimeurs ou les colporteurs.

La position de carrefour de l’Helvétie au sein de l’Europe n’est pas négligeable pour comprendre la réception des flux intellectuels venant de France, d’Allemagne ou d’Italie, comme le rappelle l’image de l’Helvetia mediatrix, mais les théoriciens suisses du XVIIIe siècle n’omettent jamais de rappeler le bien-fondé de leur singularité et les vertus propres à leurs concitoyens

37

. Les Suisses ont été des intermédiaires privilégiés entre les espaces germaniques et français, même si leur rôle au sein des Lumières ne se réduit pas à celui d’intermédiaires et qu’ils ont développé des traits culturels particuliers

38

. Les terres helvètes sont prises dès le XVIIIe siècle en étau entre leur identité composite qui fait d’elles de réels passeurs culturels et leur souci d’indépendance par rapport à la France, l’Italie et l’Empire germanique. Les deux bornes politico-religieuses par lesquelles on a coutume de cironscrire le XVIIIe siècle helvète sont éminemment révélatrices de ces tensions qui traversent le siècle

39

. La première est celle de la guerre de Villmergen, conflit à fort motif religieux, qui s’est achevé en 1712 par la paix d’Aarau qui consacre la prédominance des cantons réformés, Zurich et Berne sur l’ensemble de la Confédération. La seconde marquant la fin de cette période se matérialise par la présence française et la fondation de la République helvétique en 1798.

Le parcours de Haller est abordé dans ce travail comme une étude de cas permettant d’analyser ces relations multiples, ambivalentes et contradictoires qu’entretiennent les espaces helvétiques avec le royaume de France, leur grand voisin frontalier

40

. Sans nier la singularité de son esprit et de sa personnalité scientifique, les échanges de Haller avec la France semblent bien significatifs d’une part de l’attitude ambiguë des Républicains bernois face à la

37 Idem, p. 73 : « Im Hinblick auf den besonderen Charakter der Aufklärung in der Schweiz ist Hirzels Hinweis auf die Gemeinsamkeit der eidgenössischen Staaten wesentlich: Sie sind Freistaaten oder Republiken, wodurch sie sich von den monarchisch verfassten Staaten Europas unterscheiden. » ; « En regard avec le caractère particulier de l’Aufklärung suisse, la remarque de Hirzel sur le caratère commun des Etats confédérés est essentiel : ils sont des Etats libres ou des Républiques, ce qui les distingue des Etats monarchiques de l’Europe. »

38 Helmut Holzhey und Simone Zurbuchen, « Die Schweiz zwischen deutscher und französischer Aufklärung », Aufklärung als Mission - La mission des Lumières. Akzeptanzprobleme und Kommunikationsdefizite - Accueil réciproque et difficultés de communication, hrsg. von Werner Schneiders, Marburg, Hitzeroth, 1993, p. 303-318.

39 Jean-Marie Roulin, « Suisse », dans Dictionnaire européen des Lumières, op. cit., p. 1020-1024.

40 Le chevalier de Jaucourt, auteur de l’article « France » dans l’Encyclopédie, écrit que la France est un « grand royaume de l’Europe, borné au nord par les Pays-Bas, à l’est par l’Allemagne, les Suisses et la Savoie, au sud par la mer Méditerranée et par les Pyrénées, à l’ouest par l’Océan. » Il semble donc qu’en raison de sa position géographique et de la place qu’elle occupe dans les courants intellectuels européens, la France est un interlocuteur obligé des espaces helvétiques.

(21)

monarchie française avec laquelle ils sont toutefois obligés de composer

41

, et d’autre part de l’attraction mêlée de méfiance que ressentent les esprits de l’Aufklärung face à la liberté de ton des penseurs français.

Par ailleurs, une lecture chronologique de la vie intellectuelle de Haller a conforté le choix de sa personnalité. Les historiens allemands ont coutume d’articuler le mouvement de l’Aufklärung en trois moments. La première phase est celle de la Frühaufklärung qui s’étend de la fin du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle, puis viennent celles de l’Aufklärung à proprement parler, et de la Spätaufklärung qui part des années 1780 pour aboutir au début du XIXe siècle

42

. Bien sûr, il n’est guère possible de fondre intégralement la chronologie des Lumières suisses, dont la nature et la portée sont encore discutées, dans le découpage de l’Aufklärung allemande. Toutefois les longues années passées par Haller à Göttingen et l’interpénétration de sa pensée avec l’environnement intellectuel des espaces germaniques justifient à nos yeux ce rappel chronologique. Il apparaît que la vie intellectuelle de Haller traverse la phase principale du mouvement de l’Aufklärung, tout en gardant des liens et des influences avec les deux autres puisque une partie de son apprentissage se fait autour des idées du XVIIe siècle en aval de sa pensée et que la médecine du tournant des XVIIIe et XIXe siècles doit gérer l’héritage hallérien.

Par comparaison avec les espaces germaniques, le temps des Lumières françaises paraît être une époque plus homogène qui s’étend de 1715 à la veille de la Révolution française même si, comme le souligne Michel Delon, les années de publication de l’Encyclopédie marquent le début de la période des secondes Lumières, période au cours de laquelle les acteurs du courant éclairé sont pleinement conscients de leurs desseins

43

. Croiser les trames chronologiques divergentes des mouvements des Lumières françaises et germaniques pose déjà une limite à la fréquente représentation d’une Europe des Lumières cosmopolite, partageant les valeurs de tolérance et de fraternité

44

et dont nos sociétés

41 Les relations diplomatiques entre les cantons suisses et la France interfèrent également dans l’opinion que Haller se fait du peuple français. Elles appartiennent à notre propos puisque certaines périodes de sa correspondance avec Charles Bonnet sont le miroir de l’évolution des tractations des ambassadeurs.

42 G. Klingenstein, « Monde allemand », art. cit., p. 434-440.

43 Selon Michel Delon, cette période des secondes Lumières s’étend entre 1750 et 1772 et elle se poursuit avec la parution des Suppléments et de l’Encyclopédie méthodique.

44 Marc Belissa, Fraternité universelle et intérêt national, 1713-1795. Les cosmopolitismes du droit des gens, Paris, éditions Kimé, 1998 : « Le cosmopolitisme fait partie de l’imagerie d’Epinal du XVIIIe siècle. (…) Mais le siècle des Lumières est aussi celui dans lequel l’amour de la patrie devient la vertu suprême de tous ceux qui se prononcent pour un changement en profondeur de la société. (…) Comment concilier l’amour de l’humanité et celui de la patrie? » Cité dans Pierre-Yves Beaurepaire, L’Autre et le Frère, l’étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 17.

(22)

démocratiques seraient les héritières. L’historiographie du XVIIIe siècle tend aujourd’hui à éclairer davantage les nuances et les ombres de cet espace-temps. Si à la suite de Jonathan Israel, nous pensons que les controverses philosophiques des secondes Lumières sont le prolongement de débats plus anciens dont la période la plus virulente serait bien antérieure à 1750

45

, il n’en reste pas moins, qu’au sein du champ des recherches médicales, le second XVIIIe siècle voit éclore des polémiques spécifiques et d’envergure.

Bien que notre cadre chronologique ne comporte pas de bornes précises, il s’en dégage toutefois plusieurs temps forts. Il s’agit de coupes chronologiques plus serrées autour de périodes représentatives d’un débat ou d’un moment charnière dans les échanges de Haller avec la France. Il en est ainsi du temps de ses études parisiennes ou du temps des transactions passées avec les imprimeurs de l’Encyclopédie. A l’inverse, certains champs de discussion traversent la vie et l’œuvre de Haller, ce qui explique que nous n’ayons pas choisi de dates précises pour articuler les parties de ce travail et que l’approche thématique prime sur une approche strictement chronologique, calquée sur des phases biographiques.

Pour entreprendre ce travail, il nous a fallu en premier lieu orienter notre perspective à la croisée des chemins de l’histoire générale, de l’épistémologie et de l’histoire des sciences

46

. La définition des usages croisés des disciplines est au cœur d’une discussion déjà ancienne qui reste d’actualité

47

. Des philosophes de formation comme Hélène Metzger

48

ou Georges Canguilhem se sont efforcés de mener leurs travaux dans une perspective large, à l’intersection de l’épistémologie et de l’histoire des sciences. Récemment Abdelkader Bachta rappellait que le sens que l’on donne à l’épistémologie est tributaire de la tradition nationale et qu’il n’est pas si aisé de démêler le lien entre épistémologie et histoire des sciences

49

. Il ne

45 Jonathan I. Israel, Les Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650- 1750), Paris, Éditions Amsterdam, 2005.

46 Jacques Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française au XVIIIe siècle, Albin Michel, Paris, 1963 (rééd. 1993), p. XX : « L’histoire des sciences est pratiquée par des scientifiques, par des philosophes et par des historiens, dans leurs départements respectifs. Elle n’a pas de place clairement définie dans la division traditionnelle des disciplines universitaires. »

47 Michel Blay, « Peut-on comprendre la science sans l’histoire ? », conférence prononcée le 10 juin 2006 à l’E.N.S., à l’occasion du Colloque « Fractures et recompositions ». Après avoir défini l’objet de la science comme la recherche de la vérité, rappelant ainsi le rôle théorique de l’intuition scientifique, donnant ainsi une orientation philosophique à l’histoire des sciences, M. Blay considère que les résultats de l’analyse historique doivent être à leur tour les fondements des réflexions des épistémologues.

48 Hélène Metzger, La méthode philosophique en histoire des sciences : textes 1914-1939, réunis par Gad Freudenthal, Paris, Fayard, 1987. A plusieurs reprises, Hélène Metzger dresse une liste d’arguments et de contre- arguments qui montre les profits et les limites du raisonnement historique appliqué à la compréhension de la pensée scientifique du XVIIIe siècle.

49 Abdelkader Bachta, L’épistémologie scientifique des Lumières, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 14 :

« L’épistémologie est donc une philosophie des sciences et se distingue difficilement de l’histoire des sciences car dans les deux cas, la recherche concerne l’origine et les principes de la science. »

(23)

s’agit pas pour nous de faire un choix entre les disciplines mais plutôt de sélectionner certaines pratiques et certaines problématiques de chacune d’entre elles.

La tâche de tout épistémologue est donc de dégager les principes qui guident la pensée étudiée, d’en analyser l’architecture intellectuelle, et non d’en évaluer la pertinence et de lui octroyer une place dans le cours d’une histoire des sciences orientée vers le progrès. Ici, il convient bien évidemment d’analyser les relations qu’entretient Haller avec les systèmes opposés à ses convictions mais nous nous garderons de formuler un jugement sur l’issue de leur concurrence. Cependant, dans le cadre d’une approche transdisciplinaire nous croiserons ce regard épistémologique avec une réflexion plus historique, tant il est vrai que l’on ne peut être sensible à la genèse d’une œuvre en la coupant de son contexte social et institutionnel.

L’évolution d’un concept s’insère dans une membrane intellectuelle nourrie d’impressions et d’opinions sociales, politiques et religieuses. Elle est subordonnée à un niveau technique et à une atmosphère propre de son milieu social et intellectuel, soit qu’elle en reste tributaire, soit qu’elle cherche à s’en détacher.

Il est certain que tout comme l’historien n’a pas vocation à juger le passé, l’historien des sciences doit s’abstenir de statuer sur la pertinence et la validité des pratiques et des théories scientifiques qu’il étudie. La tâche de l’historien des sciences qui s’applique à suivre le parcours intellectuel d’un savant, est retrouver l’historicité de sa pensée en l’insérant dans l’épaisseur de son contexte

50

. C’est ainsi que dans la préface de la dernier édition de l’ouvrage de J. Roger, Les Sciences de la Vie dans la pensée française au XVIIIe siècle, Claire Salomon- Bayet présente ce dernier comme un historien des sciences et non comme un épistémologue en rappelant que son travail fut d’: « identifier et analyser tous les facteurs qui, à un moment donné de l’histoire, interviennent dans le choix rationnel opéré par le savant

51

».

Poser un regard d’historien sur la science d’une époque oblige à définir des précautions méthodologiques. Tout d’abord, il faut se faire le contemporain de son objet d’étude pour comprendre la place et les pratiques du domaine scientifique à l’époque considérée. En nous intéressant au XVIIIe siècle, il est nécessaire de prendre en considération l’appréciation que les Lumières et la société profane portent sur leurs savants, et plus particulièrement sur leurs médecins. Il faut donc se garder de tout anachronisme si l’on veut

50 Pour y parvenir, les présupposés méthodologiques peuvent diverger selon les auteurs. « Il reste deux types d’approches historiques. Les unes sont caractérisées par un présupposé d’objectivisme sociologique : on étudie une machine institutionnelle et les régularités que présentent les cohortes d’académiciens. Les autres concluent dans le registre du subjectivisme sociologique : il s’agit alors de caractériser des traits propres à la culture et aux systèmes de représentation intériorisés par les savants. », Histoire et mémoire de l’Académie des sciences. Guide de recherches, sous la direction d’Eric Brian et de Christiane Demeulenaeve-Douyère, Paris, Technique et Documentation, 1996, p. 29.

51 J. Roger, Les sciences de la vie…, op. cit., p. XII, note 16.

(24)

se représenter les difficultés auxquelles se heurte Haller dans ses recherches. Les formes de la recherche scientifique et de la pratique médicale, celles des méthodes expérimentales et de la validation de la preuve, la rhétorique des échanges savants que nous avons à examiner sont caractéristiques du XVIIIe siècle. Ces précautions nous enracinent, par leur évidence même, dans l’intime de l’activité de l’historien.

Depuis plusieurs décennies, les approches des historiens des sciences se sont profondément renouvelées. En France, Georges Canguilhem a été un des pionniers des réflexions portant sur l’histoire des sciences car outre qu’il a travaillé à distinguer l’objet de l’histoire des sciences et l’objet de la science

52

, en définissant la science comme une pratique sociale, il s’est interrogé sur la production et l’institutionnalisation des connaissances scientifiques. Puis, les perspectives de l’histoire des sciences se sont à la fois élargies et affinées. Élargies, car elles se sont enrichies des méthodes et du vocabulaire d’autres disciplines, notamment des sciences sociales et de la sociologie avec les travaux de Bruno Latour. Affinées, car la rencontre de l’histoire des sciences avec ces disciplines connexes a été une incitation à définir avec précision ses sujets d’étude. Les chercheurs anglo-saxons ont été très actifs dans le renouvellement des objectifs et des pratiques de l’histoire des sciences. A partir des années mille neuf cent soixante-dix, à la suite des interrogations soulevées par Thomas S. Kuhn dans son ouvrage La structure des révolutions scientifiques

53

, des universitaires venus de divers champs disciplinaires engagèrent de nombreuses discussions théoriques et méthodologiques pour définir la nature de l’histoire des sciences. Jugées stériles, les analyses de l’épistémologie classique qui cherchaient surtout à retrouver la voie prise par les théories scientifiques reconnues comme vraies, furent délaissées. Il fut établi que la finalité de l’histoire des sciences devait être l’examen de la construction des savoirs, une construction appréhendée dans sa globalité, c’est-à-dire à travers le comportement de ses acteurs, les détails de leurs controverses et l’acceptation d’un compromis sanctionnant la fin de celles-ci.

Dans un article de synthèse très stimulant, Dominique Pestre, s’est donc employé à définir les champs d’étude et les moyens d’investigation de la « nouvelle histoire des sciences »

54

.

L’architecture méthodologique de l’histoire des sciences a été étayée par de nouveaux concepts. Grâce au « principe de symétrie » défini par David Bloor, les théories invalidées sont autant prises en compte par l’historien que les théories couronnées de succès.

52 Georges Canguilhem, « L’objet de l’histoire des sciences », dans Georges Canguilhem, Etudes d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1975, p. 9-23.

53 Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 (rééd.),

54 Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales HSS, mai-juin 1995, n°3, p. 487-522.

(25)

L’énoncé de ce principe de symétrie a soulevé des objections mais la fertilité des travaux qu’il a engendré montre que l’histoire des sciences ne peut plus en faire abstraction. Nous le garderons donc à l’esprit dans notre étude car pour analyser la teneur de la communication entre Haller et ses contemporains français, il nous importe de saisir l’intégralité des arguments et des théories échangés. Nous avons orienté l’analyse de la communication et des controverses entre Haller et ses contemporains en termes de circulation des savoirs et de transfert culturel. Dès lors, l’idée des négociations entre les savants s’impose comme primordiale. Nous tâcherons de cerner outre le fond argumentaire, la forme des discours et les motivations des acteurs de ces négociations et le passage de la discussion à un éventuel compromis. Cette observation doit se faire dans un réel souci d’agnosticisme quant à l’issue des débats. Nous montrerons comment lors de ces négociations avec les Français, Haller mobilise ses différents cercles relationnels quelle que soit l’aire géographique qu’ils circonscrivent.

Par ailleurs, les travaux de Kuhn, dont la ligne directrice est l’analyse des conditions qui précèdent les révolutions scientifiques, ont contribué à déplacer la voie de la réflexion sur le statut de la discontinuité et de la rupture dans l’histoire de la recherche scientifique. Le cadre spatio-temporel assez souple que nous avons choisi n’est pas le prélude à une révolution scientifique comme la révolution newtonienne du XVIIe siècle. Mirko D. Grmek a d’ailleurs contesté la pertinence de l’utilisation du concept de révolution scientifique dans l’histoire des sciences médicales. La spécificité de la progression du savoir médical limite l’importation de concepts issus d’autres domaines de recherche

55

. L’apport des connaissances des générations précédentes est tellement essentiel dans la construction du savoir médical, qu’il serait réducteur d’analyser celle-ci dans une vision purement continuiste ou discontinuiste

56

. La recherche scientifique des Lumières, particulièrement dans le champ de la médecine, est marquée par la juxtaposition de plusieurs courants de pensée qui tout en explorant des thèmes identiques, élaborent des théories contradictoires. Cette confrontation des philosophies et des théories peut amener à discerner des ruptures chronologiques, des passages vers l’élaboration d’un nouveau modèle explicatif

57

qui toutefois n’ont pas la dimension d’une révolution comme celles qui s’opèrent dans le champ de la physique ou des mathématiques. Malgré tout,

55 Mirko D. Grmek, La première révolution biologique, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 1990. L’auteur parle même à ce propos de « mythe méthodologique ».

56 Jean-Louis Fischer, « Les révolutions scientifiques : continuité ou discontinuité? », Histoire des sciences médicales, 2004, tome XXXVIII, n°4, p. 403-410.

57 Ceci étant dit, la fin du XVIIIe siècle ouvre une nouvelle ère des soins cliniques et de la recherche médicale, notamment dans le domaine des maladies mentales, pensons à la naissance de la neurophysiologie.

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au cours de la période qui nous occupe, nombreux sont les heurts entre les communautés et les réseaux scientifiques qui cohabitent au sein des espaces des Lumières. Néanmoins, cette concurrence engendre dialogues, négociations et parfois compromis entre les réseaux savants.

La constitution et l’autonomisation de la science du vivant au XVIIIe siècle, et plus spécifiquement de la physiologie, génèrent de profondes réflexions sur les notions et les pratiques qui vont les caractériser.

Mais la réflexion sur la discontinuité touche également l’idée de discontinuité thématique. Dans la préface de l’un des ouvrages les plus fondamentaux d’épistémologie de la médecine du XVIIIe siècle, François Duchesneau expose son attachement à l’intention archéologique de Michel Foucault

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. Celui-ci envisage l’étude de l’épistémé « comme un corps de principes, qui sont à l’œuvre simultanément dans plusieurs disciplines

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». L’idée de reconstituer l’essence intellectuelle d’une époque par l’emboîtement de plusieurs champs disciplinaires est d’autant plus pertinente ici que nous tenterons de percevoir la pensée de Haller sous l’angle de son unité méthodologique. Pour garder une cohérence dans la nature de nos sources, nous avions de prime abord choisi de travailler sur les domaines scientifiques traités par le Bernois, plutôt que sur ses œuvres littéraires ou morales. Il est toutefois rapidement apparu que le jugement de Haller sur les scientifiques français ne pouvait se couper du socle de ses conceptions littéraires tant celles-ci ont marqué l’espace germanophone de son époque. L’hétérogénéité des matières abordées n’en garantit pas moins une cohérence des principes de base que l’on retrouve tant dans ses études botaniques, que dans ses remarques de physiologie.

Un autre pan de notre réflexion épistémologique consiste d’une part dans la recherche des racines du questionnement savant au sein du contexte socio-mental dont il est issu, et d’autre part dans l’analyse de l’impact du progrès de la connaissance scientifique sur la connaissance commune. Dans le travail de Haller, il est parfois aisé de déceler l’impulsion sociale qui est à l’origine de ses travaux. Ses fonctions politiques officielles à Berne et à Roche

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l’amènent à s’enquérir des progrès de l’inoculation, de la science vétérinaire ou de la conservation du sel. Steven Shapin a bien mis en évidence l’importance des conditions extérieures de la production su savoir, notamment celle de l’activité sociale du savant

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.

58 François Duchesneau, La physiologie des Lumières..., op. cit.

59 Hervé Barreau, L’épistémologie, Paris, P.U.F., 1990 (rééd. 2005), p.3.

60 Au cours des années qui suivent son retour à Berne, Haller effectue plusieurs voyages destinés à inspecter les salines d’Aigle avant d’être nommé en 1758 directeur des salines de Roche.

61 Steven Shapin, La révolution scientifique, Paris, Flammarion, 1998, p. 12 : « Que faisaient les gens quand ils effectuaient ou confirmaient des observations, quand ils prouvaient un théorème ou quand ils réalisaient une expérience ? »

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