Étude originale
Mise en œuvre et évaluation
d’un programme d’éducation thérapeutique (2000-2001) pour les patients atteints du VIH
à Casablanca (Maroc) *
Claire Marchand 1 Hakima Himmich 2 Abderahmane Maaroufi 3 Nathalie Sohier 4
Jean François Chambon 5 Rémi Gagnayre 1
1
Laboratoire de pédagogie des sciences de la santé,
UFR (SMBH) (Unité Formation Recherche, Science Médecine Biologie Humaine), Université Paris 13,
74, rue Marcel Cachin, 93017 Bobigny cedex France
<c.marchand@smbh.univ-paris13.fr>
<r.gagnayre@smbh.univ-paris13.fr>
2
Service des maladies infectieuses, Hôpital Ibn Rochd,
17, bd Massira al Khadra, Maârif,
Casablanca Maroc
<h.himmich@menara.ma>
3
Laboratoire de biostatisques,
épidémiologie et informatique médicale, Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca,
19, rue tarek Ibn Ziad, Casablanca
Maroc
4
Laboratoire GlaxoSmithKline, Responsable affaire scientifique VIH, 100, route de Versailles,
78163 Marly le Roi cedex France
<Nathalie.X.SOHIER@gsk.com>
5
Fondation GlaxoSmithKline, Laboratoire GlaxoSmithKline, 100, route de Versailles, 78163 Marly le Roi cedex, France
<jean-francois.f.chambon@gsk.com>
Résumé
Pour améliorer la prise en charge des patients atteints de l’infection par le VIH, un programme d’éducation thérapeutique a été implanté en janvier 2000, au sein du service des maladies infectieuses de l’hôpital Ibn Rochd à Casablanca au Maroc. Une démarche raisonnée s’appuyant sur les théories de l’apprentissage et de la psychosociologie de la santé a guidé cette mise en œuvre. Une formation méthodologique à l’éducation thérapeutique a été dispensée aux médecins du service des maladies infectieuses et aux éducateurs de l’Association de lutte contre le sida (ALCS) de Casablanca, parallèlement à une mise à niveau des connaissances sur le VIH/sida. Des séances d’éducation thérapeu- tique ont été dispensées par les éducateurs de l’ALCS auprès de patients mis sous antirétroviraux, à la suite de la consultation médicale. Une salle de l’hôpital de jour et des outils pédagogiques ont été mis à disposition. Les effets du programme ont été appréciés après une année de fonctionnement, en mai 2001. 96 patients ont participé aux séances d’éducation, en moyenne 14 séances par patient et par an. Les résultats sont encourageants à 6 mois et 12 mois : augmentation des CD4, du pourcentage de charges virales indétectables, amélioration de l’observance thérapeutique à 6 et 12 mois, améliora- tion des connaissances à 6 mois. La satisfaction des patients vis-à-vis de leur prise en charge se traduit en partie par l’acquisition d’une plus grande autonomie dans la gestion de leur maladie et du traitement. Les différents acteurs de l’éducation expriment les bénéfices acquis par la mise en œuvre du programme (patients, soignants et éducateurs de l’ALCS). Mais certains résultats sont fragiles à 12 mois et nécessitent que les efforts soient poursuivis, les équipes éducatives soutenues dans la mise en œuvre de ces nouvelles compétences. Cette expérience « pilote » menée au Maroc a permis l’élaboration de recommandations pour la mise en œuvre de programmes d’éducation thérapeutique dans le domaine de l’infection par le VIH/sida dans les pays à ressources limitées.
Mots clés : VIH-sida, formation médicale, éducation thérapeutique, santé publique, Maroc.
Abstract
Implementation and assessment of an HIV treatment training program (2000-2001) for patients in Casablanca (Morocco)
An educational program to improve the management of HIV patients was introduced in the department of infectious diseases of Ibn Rochd hospital, Casablanca, Morocco in January 2000. The project, funded by the GlaxoSmithKline Foundation, began by training ward physicians as well as volunteers from the ALLOCS (Association de lutte contre le sida) in pedagogy and patient education techniques (four-day course). Other sessions reviewed HIV management and treatment. Treatment training sessions were offered to all patients receiving antiretroviral treatment when the program began. All had been taking medication for at least two months and gave their informed consent to participation in the project. Each patient’s sessions took place just after his or her medical consultation, in a
* Cette étude a fait l’objet de deux présentations : l’une lors du treizième congrès méditerranéen de chimiothérapie à Nice, en février 2002 [1], et l’autre au cours de la deuxième conférence sur la pathogenèse et les traitements dans le domaine du VIH, en juillet 2003 [2]
.Tirés à part : C. Marchand
room set aside for this purpose in the hospital. During the first session the educator established an educational diagnosis and defined educational objectives according to the individual patient’s needs. Objectives were related to patients’ knowledge about HIV transmission prevention and treatment management (including problem-solving for mild adverse events, delays, forgetting, vacations etc.). Trainers used several educational tools, including therapeutic planning (planning card with self-adhesive stickers showing the treatment medication); a folder of drawings depicting HIV transmission, prevention, and natural history, as well as the aims of antiretroviral therapy; decks of cards illustrating symptoms and psycho-sociological problems. Each patient had to attend at least 3 educational sessions. The program was evaluated at the end of one year. Patients’
attendance, treatment adherence, laboratory test results (CD4 count, viral load), satisfac- tion about patient-staff relationships and knowledge about HIV disease and treatment were assessed on an on-going basis with various questionnaires and data collection systems. In all, 96 patients attended classes, with a mean of 14 sessions per patient per year. After 6 and 12 months of training, patients’ CD4 cell counts increased, and the proportion with viral loads below the detection level rose, as did adherence scores.
Patients’ knowledge appeared to have improved at 6 months but regressed somewhat at 12 months. This may be explained by program timing: most educational sessions take place during the first 6 months of patient enrolment in the program. Patient satisfaction about the program and their care reveals that they acquired autonomy in managing their disease and treatment. Their satisfaction at 12 months, however, was lower than it was at 6 months. One explanation may be that more educated patients are more demanding, but another is the staff turnover in the program. New staff may have required more support and training than was then available. This pilot program allowed us to draft guidelines for setting up educational programs for HIV patients in relatively poor countries.
Keywords : HIV-AIDS, medical training, patient education, public health, Morocco.
D ans le domaine de l’infection par le VIH, l’utilisation des trithéra- pies antirétrovirales a transformé le pronostic de l’infection et la qualité de vie des patients vivant avec le VIH. De ce fait, les patients et les soignants ont été amenés à réajuster leurs représentations de la maladie et à repenser, pour ces derniers, leurs stratégies thérapeutiques.
De nouvelles problématiques liées au caractère chronique de la maladie sont apparues et notamment celle de la qualité de l’observance thérapeutique par les patients. Dans le domaine du VIH, l’observance des thérapies antirétrovira- les constitue l’un des enjeux majeurs du succès thérapeutique [3]. Dans les pays à ressources limitées, les obstacles à l’observance sont récurrents et dépen- dent encore plus des contextes politique, économique et social. De nombreux fac- teurs influencent le degré d’observance du patient [4-6] : la complexité des traite- ments, les représentations et les connais- sances que le patient possède sur sa maladie, les compétences qu’il déve- loppe pour gérer son traitement de façon autonome, son état psychologique ou sa
manière de faire face à la maladie, la qualité de son environnement social, ses moyens économiques, mais aussi les moyens mis en œuvre par les soignants pour accompagner et aider le patient dans sa prise en charge thérapeutique [7].
Pour aider le patient à gérer au quotidien son traitement, l’aider à tendre vers un état d’observance, l’Organisation mon- diale de la santé (OMS) [8] a proposé de développer des programmes d’éducation thérapeutique. L’éducation thérapeutique est définie comme un ensemble d’activi- tés d’information, de conseil et d’appren- tissage permettant au patient de mobiliser des compétences et des attitudes dans le but qu’il vive le mieux possible sa vie avec sa maladie et son traitement. L’action d’éducation thérapeutique transforme et améliore les relations soignants-soignés par la modification des rôles qu’elle induit : le patient devient un partenaire actif et compétent pour sa prise en charge ; le soignant revêt le rôle d’accom- pagnateur, il facilite son apprentissage et potentialise les compétences du patient [9, 10].
Actuellement au Maroc, la prévalence de l’infection reste inférieure à 1 % 1 . La prise en charge de l’infection par le VIH et l’accès aux antirétroviraux se sont pro- gressivement améliorés. Le service de maladies infectieuses du Centre hospitalo-universitaire Ibn Rochd de Casablanca a été désigné par le ministère de la Santé comme un pôle d’excellence pouvant prendre en charge des patients atteints de l’infection par le VIH et pres- crire des antirétroviraux. Dès le début de ce programme, le service des maladies infectieuses, en association avec l’Asso- ciation de lutte contre le sida (ALCS), avait mis en place des actions devant contribuer à l’amélioration de l’obser- vance thérapeutique. Devant la com- plexité de cette démarche, et suite à des expériences menées en France dans le même domaine [11], il s’est avéré utile et possible, grâce à la Fondation GlaxoSmi- thKline, d’introduire l’éducation théra- peutique dans la prise en charge des patients atteints de l’infection par le VIH à
1
Données UNAIDS, site consulté en mars 2005.
Casablanca. Cet article a pour objectif de décrire la mise en place du programme d’éducation thérapeutique et de présen- ter les premiers résultats obtenus au cours cette expérience « pilote ».
Caractéristiques du Programme d’éducation thérapeutique mis en œuvre à Casablanca
Cadre de référence de la démarche
d’éducation thérapeutique
Les modèles théoriques qui tentent d’expliquer comment on adopte un com- portement de santé ainsi que les théories de l’apprentissage permettent d’initier une réflexion sur des modèles d’interven- tion efficients. L’ensemble de ces théories et principes nous a conduits à élaborer une démarche raisonnée et pragmatique s’appuyant sur une approche systémique adaptée à l’éducation thérapeutique [12].
• La première étape de la démarche d’éducation thérapeutique consiste à réa- liser un diagnostic d’éducation. Il s’agit d’entrer en relation avec le patient pour mieux comprendre ce qu’il comprend, mieux le connaître, mieux le situer dans son quotidien et s’assurer qu’il sera possi- ble de le solliciter dans la prise en charge de sa maladie et de son traitement. Dans cette étude, il faut entendre par « patient » la personne porteuse de l’infection par le VIH ainsi que toute personne de son entourage impliquée dans sa prise en charge thérapeutique (aidant naturel). En effet, dans notre choix théorique, l’éduca- tion n’aura d’intérêt que si le patient perçoit qu’il a la possibilité d’avoir un certain contrôle sur sa maladie (Locus of control) [13], et dès lors que l’on pourra travailler avec lui sa perception de ses propres capacités en tenant compte d’une réalité sociale [14].
• La finalité de l’éducation thérapeutique est l’acquisition de compétences par le patient, qui soient mobilisables dans son quotidien et sa culture. Dans le domaine de l’éducation, ces dernières sont définies en objectifs pédagogiques négociés avec le patient. L’atteinte des objectifs suppose
un choix de stratégies pédagogiques per- tinentes et une évaluation faite avec des outils valides [15].
• La mise en œuvre de l’éducation théra- peutique s’appuie sur des stratégies et des techniques pédagogiques se référant aux principes de l’apprentissage qui, dans notre démarche, s’inscrivent dans les cou- rants cognitiviste et socio-cognitiviste [16, 17]. Elles incitent à identifier les connais- sances antérieures des apprenants à partir desquelles ceux-ci vont intégrer de nou- velles connaissances. Même si dans le domaine du VIH la possibilité d’un apprentissage en groupe est difficile dans certains contextes (problème de secret médical, de stigmatisation), les stratégies d’éducation devraient laisser une part importante à ce type d’apprentissage que l’on sait efficace, par l’utilisation de tech- niques de production et de dynamique de groupe. Enfin, l’entourage social du patient doit être sollicité autant que possi- ble pour son influence majeure dans la mise en œuvre des compétences du patient [18, 19].
– Enfin comme le préconise l’OMS [8], l’éducation thérapeutique doit être éva- luée. Pour ne pas représenter un simple contrôle médical complémentaire, le patient doit pouvoir participer à cette évaluation et aux prises de décisions qui en découlent. Dans le domaine de l’édu- cation thérapeutique, l’évaluation peut témoigner de transformations multiples dont il importe de rendre compte [20].
Ces transformations concernent le patient et son entourage, la structure d’éducation et les éducateurs impliqués, ou encore le système de soins en général. C’est au moment de l’implantation du programme que doit se réfléchir et se préparer l’éva- luation.
Mise en œuvre du programme
d’éducation thérapeutique
Le programme d’éducation thérapeutique pour les patients atteints de l’infection par le VIH à Casablanca a débuté en jan- vier 2000 grâce au soutien de la Fonda- tion GlaxoSmithKline. L’équipe d’éduca- teurs était composée des médecins du service des maladies infectieuses de l’hôpital Ibn Rochd, dont l’un d’entre eux a été le premier coordinateur du pro- gramme, et de membres de l’Association de lutte contre le sida (ALCS). Cette équipe de soignants-éducateurs a préala- blement suivi une formation méthodolo- gique à l’éducation thérapeutique dispen-
sée par un organisme spécialisé dans la pédagogie de la santé 2 . Cette formation de 4 jours a permis aux éducateurs de planifier et mettre en œuvre des séances d’éducation [8]. Elle a été l’occasion d’une actualisation des connaissances sur la maladie et les traitements antirétroviraux.
Une seconde formation initiale portant sur la méthodologie de l’éducation théra- peutique a permis de faire face à l’inévita- ble mouvement des éducateurs, qu’ils soient professionnels de santé ou mem- bres de l’ALCS. Au total, une vingtaine de soignants éducateurs ont été formés.
Les séances d’éducation thérapeutique se sont déroulées le matin, à la suite d’une consultation médicale, sur le mode indivi- duel dans un premier temps. Un diagnos- tic d’éducation a été posé et des objectifs d’apprentissage définis en fonction des besoins de chacun des patients. Au cours de sa prise en charge, le patient a suivi le même circuit (figure 1) : consultation médicale, séance d’éducation thérapeuti- que, dispensation des médicaments.
Cependant, les séances d’éducation ont été progressivement adaptées aux besoins du patient (par exemple : conduite à tenir devant une situation par- ticulière concernant la maladie et la vie sociale du patient).
Les éducateurs ont utilisé des outils d’aide à l’apprentissage 3 tels que :
– un planning thérapeutique pour per- mettre de planifier avec le patient la prise de son traitement par rapport à ses activi- tés quotidiennes ;
– un classeur imagier support d’éduca- tion pour la transmission de connaissan- ces concernant la maladie, son évolution, le traitement, mais aussi les modes de contamination et de prévention, et - des cartes de symptômes et de situations psy- chosociales supports de discussion pour travailler la prise de décisions chez les patients.
Des supports permettant le suivi éducatif individuel et le bilan des activités d’édu- cation du service ont été élaborés.
Des réunions hebdomadaires ont été organisées entre les personnels soignants et les éducateurs de l’ALCS pour discuter des séances d’éducation, des difficultés rencontrées, et pour planifier les séances suivantes.
2
Format Santé, association pour le développe- ment de l’éducation et la formation en santé.
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