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Christine Hardy, Laurence Schifrine, Saverio Tomasella. Habiter son corps. La méthode Alexander. Groupe Eyrolles, 2006 ISBN :

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Christine Hardy, Laurence Schifrine, Saverio Tomasella

Habiter son corps

La méthode Alexander

© Groupe Eyrolles, 2006

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© Groupe Eyrolles

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Qu’est-ce que la méthode Frederick Matthias Alexander ?

« Une conscience s’élargissant permet de plus en plus des accomplissements heureux… Elle souligne un processus continu qui amène plaisir et intérêt dans les actes de la vie les plus simples. Les processus psychophysiques fondamentaux conscients n’ont pas de fin ; ils sont continus et connotent donc une évolution et un développement continus. » (F. M. Alexander.)

Un enseignement fondé sur le mouvement

Comment devenir soi-même, bien vivre dans son corps, s’ouvrir aux autres ? Comment mener une existence qui nous ressemble ? Nous nous posons tous de telles questions et cherchons à y répondre…

La méthode Alexander propose une aide importante pour mieux se connaître et évoluer vers une libération. De ce fait, elle partage avec la

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psychanalyse de très nombreux points communs. Ainsi, l’une et l’autre sont non seulement tout à fait compatibles, mais également complé- mentaires. Nous allons comprendre pour quelles raisons et de quelles façons…

« La psychanalyse se situe en ce lieu où deux aires de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute : en psychothérapie, à qui a-t-on affaire ? À deux per- sonnes en train de jouer ensemble. Le corollaire serait que là où le jeu est possible, le travail du thérapeute vise à amener le patient d’un état où il n’est pas capable de jouer à un état où il est capable de le faire1. »

Transposée en méthode Alexander, cette idée se traduit ainsi : le travail Alexander se situe en ce lieu où deux aires de mouvement se chevau- chent, celle de l’élève et celle du professeur. En Alexander, à qui a-t-on affaire ? À deux personnes en train de se mouvoir ensemble. Le corollaire serait que lorsque le mouvement est possible, le travail du professeur vise à amener l’élève d’un état où il n’est pas en mouvement à un état où il est capable de l’être.

La méthode Alexander est l’objet d’un enseignement sur le mouvement, sur le mouvement global de la personne entière. C’est plus par l’expé- rience que par les mots que l’on en trouve le sens.

Cet enseignement repose sur une démarche très concrète. L’idée est simple : le travail est fondé sur une relation dynamique entre la tête et la colonne vertébrale, sur le fonctionnement de la musculature profonde, appelée musculature de l’être. La mise en pratique est plus complexe puisqu’elle concerne l’être dans sa globalité.

1. WINNICOTT D., Jeu et réalité, l’espace potentiel, Gallimard, Paris, 1975.

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Au cours de l’échange que représente une leçon Alexander, l’élève va se percevoir d’une manière nouvelle. L’équilibre, la justesse de l’attitude, la souplesse et la liberté des gestes vont être développés. Ce travail favorise une meilleure coordination de la personne et un recentrage de ses mouvements.

Nous présentons ici les principes fondamentaux du travail Alexander : le contrôle premier ou mouvement premier, la reconnaissance des habitudes, l’inhibi- tion et le non-faire, les directions, et la non-fiabilité des sensations. Nous reviendrons sur ces concepts par la suite.

Le contrôle premier : cette relation essentielle entre la tête et la colonne vertébrale

Frederick Matthias Alexander (1869-1955) est né en Tasmanie. Acteur shakespearien, il a découvert et mis au point sa méthode pour répondre à un problème d’aphonie. Aucun médecin ni professeur de chant n’ayant réussi à l’aider, il décida de trouver lui-même la solution. Contemporain de Sigmund Freud, il pratiqua d’abord à Melbourne, puis à Sydney, pour s’installer finalement en Angleterre en 1904.

Au cours de sa longue et patiente recherche – neuf ans –, il découvrit l’existence d’un mouvement intérieur naturel qu’il appela tout d’abord premier mouvement avant tout acte, puis contrôle premier. Il s’agit de cette relation vivante et dynamique entre la tête et la colonne vertébrale, qui permet une mobilité plus équilibrée et plus harmonieuse de toute la personne.

« Il existe un contrôle premier de l’usage de soi gouvernant le fonctionnement de tous les mécanismes et rendant ainsi le contrôle si complexe de l’organisme humain rela- tivement simple1. »

1. ALEXANDER F. M., The Use of the Self, Orion, 2002.

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1. ALEXANDER F. M., The Universal Constant in Living, Mouritz, Londres, 2000.

Ce premier mouvement est plus ou moins encombré et empêché chez chacun de nous, parce que nous avons tendance à en « faire trop ». C’est par ce trop que nous interférons dans ce mouvement et que nous l’arrêtons.

L’un des buts de la méthode Alexander est donc de défaire ce qui est en trop, d’apprendre à se laisser tranquille. Nous pourrions considérer qu’il devrait être naturel de fonctionner au mieux. Pourtant, nos habitudes, les principes et les idées toutes faites transmises de générations en géné- rations, ainsi que les difficultés que nous rencontrons, perturbent ce fonc- tionnement naturel.

La reconnaissance des habitudes

Pour tenter de « faire moins », nous devons d’abord identifier ces habi- tudes et ces automatismes.

« J’utilise le mot “habitude” dans son sens le plus large, comme l’incarnation de toutes réactions humaines instinctives ou autres, observables dans notre manière de nous utiliser et déterminées par elle comme une influence constante opérant pour ou contre nous dans des circonstances données et à un moment donné1. »

« Amener le non-conscient au conscient », proposait F. M. Alexander : ne plus vivre dans les automatismes et les habitudes. Les habitudes de pensée font partie des habitudes de mouvement. En faisant l’effort de prendre conscience de nos schémas de tensions et de nos comportements répétitifs habituels, nous développons notre présence, ce qui nous évite de nous précipiter dans une réponse « habituelle ». En nous donnant ce temps, cet espace, nous nous offrons la possibilité de choisir notre réponse à telle ou telle sollicitation.

« Revenant à ma définition du subconscient, on verra que je le considère comme une manifestation de l’essence vitale partiellement consciente, fonctionnant de temps en

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1. ALEXANDER F. M., Man Supreme Inheritance, Kessinger Publishing, Whitefish, 2005.

2. ALEXANDER F. M., The Universal Constant in Living, op. cit.

temps de façon très vivante mais dans l’ensemble de façon incomplète. On peut donc en déduire que nous devrions donner un sens à nos comportements pour amé- liorer la conscience de cette essence vitale1. »

L’inhibition

Après avoir identifié nos habitudes et nos automatismes, nous pouvons, en nous servant du « principe d’inhibition », choisir d’être attentifs aux

« moyens par lesquels » nous allons réaliser l’action désirée, de façon à laisser actif le mouvement premier.

L’inhibition préconisée par F. M. Alexander est différente de l’inhibition chez Freud. Elle n’est pas une contrainte ou un frein inconscient. Au contraire, elle permet la libre circulation de l’énergie, pour que celle-ci ne soit pas détournée ou entachée par la volonté. C’est une non-interférence, c’est un souffle, un temps, un espace vivant que la personne s’accorde pour choisir sa réponse à la sollicitation de l’instant. C’est un moyen de ne pas tomber dans ses automatismes.

« L’inhibition est une potentialité de la plus haute valeur dans toute tentative de chan- gements chez l’être humain et mon expérience m’a convaincu que c’est la potentia- lité qui a le plus grand besoin d’être développée2… »

Les directions

Les directions en Alexander sont des « souhaits », des messages envoyés consciemment au cerveau pour l’exécution d’un acte. Pour reprendre une expression propre à F. M. Alexander, elles désignent les « moyens par lesquels » telle ou telle action peut être exécutée de la meilleure façon possible. Les directions ne sont pas de l’ordre du « faire », mais plutôt du « non-faire » et du « laisser-faire ».

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Les premières directions d’Alexander correspondent au mouvement premier. Elles se formulent ainsi : laisser le cou tranquille pour permettre à la tête d’aller vers l’avant et vers le haut, et au dos de s’allonger et de s’élargir…

Les directions sont difficiles à comprendre et à aborder. Au début, elles donnent l’impression de rendre tout très compliqué et d’empêcher la spontanéité : ce n’est qu’une impression. En fait, elles rendent possible l’observation et la favorisent. Le corps a une mémoire. Nous pouvons nous soulager de certaines tensions non nécessaires. Nous retrouvons une agilité et une légèreté avec plaisir, et notre esprit est plus libre. Les directions rendent le changement possible sans laisser la place à une quelconque idée de jugement sur soi-même.

« Toute la difficulté est de “penser en activité”. Pour effectuer un acte aussi simple que de s’avancer sur la chaise, votre cerveau doit continuer à donner le premier message de la tête qui va vers l’avant. Dès que vous commencez à aller vers l’avant, l’ordre ou le message premier du cerveau doit être donné. Il peut y avoir cinq messages néces- saires pour l’exécution du mouvement, et chacun d’entre eux doit être envoyé en continu. Vous verrez alors que pour mieux vous servir de cette merveille, vous permet- tant de faire tout ce que vous voulez, avec comparativement peu de tension musculaire, vous devez remplacer la tension par une meilleure façon d’utiliser votre cerveau1. »

Cette pensée en activité est une conscience et une présence. Elle devient naturelle avec le temps.

La non-fiabilité des sensations

En expérimentant sur lui-même ses découvertes durant ses recherches, F. M. Alexander observa que, souvent, nous ne faisons pas ce que nous pensons faire car nos sensations nous trompent. Il a appelé cela la non-

1. ALEXANDER F. M., Articles and Lectures, Mouritz, Londres, 1995.

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fiabilité des sensations. C’est une idée un peu difficile à accepter, car quand nous faisons quelque chose, nous avons l’impression que nous savons ce que nous faisons. En réalité, ce n’est pas toujours le cas : nous sommes souvent trompés par nos sensations, qui sont elles-mêmes déformées, teintées par nos habitudes et nos automatismes.

« Pratiquement tout homme civilisé a développé un état dans lequel l’appréciation sensorielle est plus ou moins imparfaite et trompeuse. Il en découle que l’on ne peut s’y fier en rééducation, réajustement et coordination, ou dans nos tentatives à corri- ger quelque chose de notre entité psychophysique que nous savons être faussé1. »

Le travail Alexander est un processus, il évolue au fur et à mesure que nous découvrons le « schéma de tensions » dans lequel nous nous sommes installés sans nous en rendre compte. Ces tensions ont été des réponses à des peurs, à des souffrances que nous avons affrontées dans notre vie, parfois à un traumatisme que nous avons subi. Elles sont les manteaux, les masques que nous nous sommes fabriqués et qui partici- pent à la non-fiabilité de nos sensations.

Nos mouvements sont nous-mêmes : « Si nous parlons de l’individualité et du caractère de l’être humain, c’est de la façon dont il s’utilise2. »

Toute notre attitude est concernée : nos pensées sont avec nos tensions, nos tensions sont avec nos pensées. Les blocages, les zones d’ombre et certains automatismes sont souvent le résultat de conflits dus aux inter- dits éducatifs et sociaux : ces il faut, il ne faut pas, ces on doit, on ne doit pas ou encore ces c’est bien, ce n’est pas bien. Ils proviennent aussi des souffrances auxquelles enfants nous tentons d’échapper, en essayant de ne plus sentir.

1. ALEXANDER F. M., Constructive Conscious Control of the Individual, Mouritz, Londres, 2004.

2. F. M. Alexander cité dans CHANCE J., The Technique Alexander, Thorsons Publishers, Londres, 2001.

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« Chaque pensée et chaque émotion se propagent dans le corps. Chacune des sensations ou des fonctions corporelles a sa part dans la détermination de nos per- ceptions, de nos espoirs, de nos peurs, de nos préférences et de nos tendances à mentaliser1. »

Tendre vers cette présence, cette conscience de chaque instant, demande beaucoup de « volonté », mais pas celle que nous connaissons. Il ne s’agit pas de la volonté qui nous pousse à atteindre un but à tout prix – F. M. Alexander appelait cette course au but end gaining –, mais plutôt de la volonté de ne pas interférer avec ce mouvement intérieur naturel.

De cette façon, nous pouvons peu à peu penser à « permettre » plutôt qu’à « faire » : notre attention se porte sur ce « premier mouvement avant tout acte ». Parce que nous choisissons de ne pas aller dans des tensions inutiles ou excessives, notre réponse est plus simple et plus facile, quelles que soient les circonstances, même éprouvantes. C’est une façon d’être vivant, présent, disponible.

Exploration n° 1

Cet exercice est à faire tous les jours et même plusieurs fois par jour si vous le souhaitez.

Allongez-vous par terre, les jambes pliées, les pieds reposant sur le sol et un livre sous la tête de façon à ce que celle-ci soit bien dans le prolongement de votre colonne vertébrale. Les yeux ouverts, conscient de vous-même dans votre environnement, posez-vous tranquillement.

1. FISHER J. M. O, The philosopher’s stone - Diaries of lessons with F. Matthias Alexander, Mouritz, Londres, 1998.

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Mise en pratique de la technique au fur et à mesure des leçons

« Nous considérons que c’est bien d’accomplir, de réussir, de se surpasser, de vaincre, sans comprendre qu’il n’y a rien à vaincre dans la vie en dehors de notre peur de la vie. Plus nous avons peur et plus nous sommes rigides. » (Alexander Loewen.)

L’existence est parsemée d’épreuves plus ou moins graves que nous rencontrons plus ou moins fréquemment. Pour faire face à ces difficultés, quelle que soit leur gravité, nos réactions sont généralement la défense, la protection ou la fuite. Ces réponses diverses et variées ne sont pourtant souvent ni les plus justes, ni les plus efficaces, ni les plus respectueuses de la réalité.

Quelques outils : la parole, la chaise et le tour de table

Hannah est d’origine juive. Ses parents ont été touchés par la Shoah : son père a été prisonnier en Allemagne et sa mère a dû fuir et se cacher avec ses frères à charge. Hannah a vécu toute son enfance dans l’idée qu’il lui fallait cacher sa judéité et qu’elle devait en permanence être prête à partir. Jusqu’en 1980, elle eut même dans son placard une petite valise préparée pour un éventuel départ forcé. En même temps, elle a peur du mouvement, de la nouveauté, elle a peur de prendre le train. Elle se sent figée et a du mal à trouver sa place.

Hannah aimerait changer, mais elle pense que la solution se trouve à l’extérieur d’elle-même. Très aimable, très sociable, elle a une vie sociale importante. Elle a peur de se retrouver seule chez elle. Elle craint aussi le silence de son appar- tement, qu’au fil des années elle ne parvient pas à investir : il reste le moins habité possible, vide des objets familiers qui meublent généralement un intérieur et en font une continuité de la personne qui y vit. Hannah ne se sent pas exister, son appartement n’existe pas pour elle : elle n’a pas de lieu pour vivre.

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Elle a déjà essayé différentes thérapies corporelles comme la gymnastique douce ou la Gestalt1. Les effets de ces pratiques ne lui ayant pas paru suffi- sants pour l’aider à vivre, elle se tourne alors vers la méthode Alexander.

Lors des leçons, au cours des premiers tours de table, elle prend assez vite conscience de certaines tensions dans le cou, dans le bas du dos, et de raideurs dans les jambes. Au fur et à mesure des séances, cette perception s’affine, sans qu’Hannah soit pour autant en mesure de défaire ces tensions.

Pendant un temps, elle sera même tellement pressée de changer qu’elle se fabriquera de nouvelles contractions. Pleine de bonne volonté, elle se situe alors dans le « faire » au lieu de « laisser-faire », c’est-à-dire de se laisser guider par le toucher à travers la voix du professeur.

Un jour où elle est debout devant la chaise, le professeur lui touche le bassin de ses deux mains. Hannah a la sensation d’être contenue. Soudain, tout se passe comme si, en lien avec le reste de son corps, elle s’autorisait un espace dans l’articulation de ses hanches ; ses jambes lâchent, tremblent, se mettent à bouger de façon autonome. Son professeur contient son bassin de ses mains et l’accompagne pendant qu’elle s’assoit.

Pendant les leçons, le professeur utilise et explique les différents « prin- cipes » du travail Alexander. Progressivement, avec l’aide du toucher du professeur, l’élève va les découvrir et les comprendre en les expérimentant lui-même. La parole du professeur guide l’élève, elle constitue un support du toucher tactile. L’explication des actions demandées aide l’élève à les intégrer davantage, à les vivre.

En Alexander, le professeur travaille le plus souvent sur la musculature de l’être, c’est-à-dire sur les muscles profonds qui se trouvent le long de la colonne vertébrale, des muscles « intelligents » dans lesquels s’inscrit

1. Selon Le Petit Larousse, « thérapie ayant pour objet de mobiliser les ressources de l’individu, de manière à rendre conscientes toutes ses contradictions et à lui per- mettre de les réduire lui-même ».

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l’histoire de la personne. À la différence de la musculature de l’agir (les muscles superficiels), les muscles posturaux ne peuvent être touchés par une gymnastique volontaire, mais plutôt par l’intermédiaire d’un processus de « lâcher prise ».

En plus de la parole, différentes formes de travail peuvent être utilisées.

Ce que l’on appelle le tour de table en est une. La personne est allongée agréablement sur une table. Sa tête repose sur un support (un livre par exemple), de façon à ce qu’elle soit dans le prolongement de la colonne vertébrale ; les jambes sont pliées. C’est une position active pour le repos du dos. Ainsi, le professeur touche l’élève principalement au niveau des articulations. Dans cette position, porté par la table, l’élève peut sans effort nécessaire, mais avec l’aide du toucher du professeur, prendre conscience de certaines tensions et favoriser leur relâchement. Le tour de table dans une leçon Alexander est en général un moment très apprécié.

Certains professeurs font peu de tours de table, d’autres en font à la fin de la séance, d’autres encore au milieu ou au début. Pour certains, l’élève peut être trop facilement inerte dans cette position et ce n’est pas le but.

Pour d’autres, le tour de table est un moment important car il favorise non seulement la détente, le fait de « défaire » ce qui est en trop, la légè- reté, mais aussi la confiance : la personne est moins confrontée dans cette position à la peur de mal faire. Dans certains cas, ou à certains moments du parcours, accorder à l’élève un moment de « laisser-aller » peut-être très positif pour la suite de la leçon. L’élève prend ainsi conscience que des changements sont possibles sans effort. Il pourra exploiter cette expérience dans la verticalité ou lors du travail avec une chaise.

La chaise est un des outils souvent utilisés en Alexander, parce que s’asseoir est une des activités les plus courantes au quotidien. Nous sommes souvent amenés à être assis pour de longues périodes. Cet acte simple traduit en réalité beaucoup : nous pouvons par exemple avoir peur de tomber ou faire trop d’efforts pour nous lever. La chaise est un outil de sédentaires, il est facile d’oublier le mouvement intérieur dans l’assise…

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Des gestes répétés pour des sensations chaque fois nouvelles

Hannah prend conscience que le bas de son dos est tendu depuis qu’elle est toute petite. Pour la première fois, elle se sent posée, calme, tranquille ; elle n’est plus sur le qui-vive. Elle savoure ce moment. À cet instant, lui revient le souvenir d’un psychanalyste qui, plusieurs années auparavant, lui avait fait remarquer à propos de sa « valise toujours prête » que la guerre était finie. Elle l’avait pris pour un fou pendant un an… Puis elle avait pu défaire sa valise. À l’intérieur d’elle-même, elle pose réellement sa valise, elle peut « se laisser vivre ». La guerre est vraiment finie, Hannah apprend à vivre en temps de paix…

Peu après avoir accompli cette étape fondamentale, Hannah prend cons- cience de l’immense besoin qu’elle a des autres pour exister. Elle s’autorise à ressentir de plus en plus sa solitude intérieure. Elle fait l’apprentissage de la rigueur : une façon d’être construite à partir de son intériorité, dans laquelle le mouvement est possible.

Bientôt, Hannah se permet de considérer sa maison comme la continuité d’elle-même. Elle y place des objets qui constitueront des supports à sa cons- truction et à l’expression de son identité.

En se sentant contenue, Hannah a repris contact avec son intériorité. Elle a pu, petit à petit, retrouver des sensations oubliées : se poser, se sentir calme, être

« chez soi ». En revenant à elle-même, elle trouve en même temps une structure à partir de laquelle elle peut se construire et s’ouvrir à l’extérieur, sans se perdre.

La répétition des gestes au fil des séances conduit l’élève à se constituer de l’intérieur, à découvrir la lenteur et la patience. La rigueur ne doit pas être confondue avec la rigidité, elle aide au contraire à se structurer.

La leçon Alexander reste identique dans sa forme. Cependant, la manière dont l’élève et le professeur la vivent change en permanence, parce que l’être est sans cesse en mouvement. En découvrant le mouvement, tout

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1. La haine est une réalité difficile à admettre. De ce fait, elle est souvent niée et mas- quée par des discours lénifiants, y compris par ceux de thérapeutes de tous horizons.

Axelle perçoit, dans le profond malaise de son corps, la réalité des intentions de sa belle-mère ; elle est déstabilisée par les vœux de « meurtre » inconscients de son interlocutrice.

s’ouvre, tout peut arriver… À chaque étape du processus, la personne découvre de nouveaux développements, de nouvelles applications possi- bles dans sa vie.

L’ouverture : une protection possible

Un autre exemple de transformation de l’être, celui d’Axelle, nous aidera à préciser l’importance des principes de la méthode Alexander et de leur mise en œuvre.

Axelle a déjà suivi plusieurs années de méthode Alexander. Cette pratique lui a apporté un mieux-être : au quotidien, elle a acquis une plus grande liberté d’expression dans ses mouvements, ainsi que de meilleures relations avec les autres. Mariée depuis peu, Axelle n’arrive cependant pas à faire face à l’agressivité de sa belle-mère. Elle se sent « engluée » dans ses émo- tions, happée par la volonté dominatrice de la mère de son mari.

Axelle décide alors de reprendre quelques leçons afin de se « recentrer », de se sentir de nouveau plus en mouvement pour faire face à ces difficultés répétées.

Sa professeure l’invite à repérer quelle est la partie de son corps qui

« écoute » sa belle-mère. Par cette observation, Axelle prend conscience qu’elle tend le dos, l’arrondit, et rentre ses épaules vers l’avant. Son cou aussi est très tendu, sa tête légèrement vers le bas. Elle anticipe en se préparant à

« recevoir les coups », en l’occurrence les paroles assassines1 de sa belle- mère… Une amie comédienne lui suggère de parler à sa belle-mère « à partir de son dos », avec sa « qualité d’axe ».

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Axelle pense à ces conseils avant que sa belle-mère arrive. Elle attend, éveillée, présente, dans un mouvement intérieur conscient, les réflexions perfi- des. Pour la première fois, sa belle-mère reste silencieuse. Axelle est profon- dément étonnée de constater que l’ouverture constitue la plus grande des protections. Mieux encore, elle peut rayonner et structurer la communication.

En trouvant une qualité d’axe, c’est-à-dire en étant dans une relation dynamique avec l’ensemble de son corps, la tranquillité du cou va laisser la tête aller vers l’avant et vers le haut. Toute la colonne vertébrale va pouvoir ainsi respirer, et le dos pourra s’allonger et s’élargir. C’est le contrôle premier ou premier mouvement avant tout acte. Les principes de la méthode Alexander sont inséparables les uns des autres. Présents dans chaque leçon, ce sont les guides qui permettent l’éveil, la prise de cons- cience et la mise en mouvement.

L’ouverture n’est pas une volonté, mais une respiration, une fluidité. Axelle a découvert que l’autre ne pouvait rester insensible à un mouvement juste.

Même si cela ne se voit pas à chaque fois sur le moment, en face de soi, l’autre est touché, et une transformation de la relation est alors possible…

Il est très surprenant de voir à quel point notre présence et notre calme intérieur peuvent métamorphoser notre relation aux autres et à la vie : il n’y a pas de triche possible. Cependant, là aussi, les sensations peuvent être trompeuses. Par moments, nous avons l’impression d’être très calmes, mais certains signes nous font part d’une fermeture, d’une dureté, d’une forme d’agressivité. Alors, nous savons que cette sensation de calme n’est pas juste : si c’était vraiment le cas, nos réponses seraient justes. Les enfants sont pour cela de merveilleux « miroirs » : ils renvoient tout de suite à l’adulte l’état dans lequel il se trouve.

Il est nécessaire de se considérer soi-même avec lucidité pour vivre au quotidien le mouvement vital et la respiration. Une telle mise en lumière aide à se réaliser dans son travail et à s’exprimer avec sincérité.

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Exploration n° 2

Debout à l’arrêt ou en marchant, observez votre tête : se dirige-t- elle vers le bas, est-elle lourde, légère ? Comment est votre regard : est-il ailleurs ou voyez-vous ce qui se passe autour de vous (le ciel, les passants, les arbres, les immeubles) ? En vous prome- nant, êtes-vous souvent dans vos pensées ou êtes-vous au contraire présent, dans le moment ?

Quelques applications concrètes pour les professions artistiques

« Si l’action n’a quelque splendeur de liberté, elle n’a point de grâce ni d’honneur. » (Montaigne, De la vanité.)

Pour l’instant, en France, le travail d’Alexander est surtout connu dans le milieu artistique. F. M. Alexander était lui-même un acteur. Comme nous l’avons vu, il a mis au point sa technique pour trouver une solution à un problème de voix qu’il rencontrait dans son métier. Suite au succès de son travail sur lui-même, ses premiers élèves furent des collègues ayant besoin d’aide, des personnes qui avaient pour outil de travail leur voix. Les réussites obtenues par sa méthode et l’approfondissement de ses recherches élargirent ensuite le public concerné.

Être au diapason avec soi-même

« Pour être pleinement soi et vivant, l’être humain doit : se centrer sur soi, se décentrer sur l’autre, et se surcentrer sur un plus grand que soi. » (Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir.)

Pour les acteurs, les chanteurs, les danseurs, les grands sportifs, etc., un

« bon usage de soi » a vraiment son importance. La souplesse, la mobilité,

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1. Selon Le Petit Larousse : le taï chi est une « gymnastique chinoise caractérisée par un enchaînement lent de mouvements, selon des schémas précis ».

2. Le qi gong est un art médical chinois fondé sur le travail du souffle et la circulation des énergies, à partir de mouvements simples, dits de « santé », et la pratique de la méditation.

la disponibilité, l’énergie, l’autonomie et la liberté sont des qualités qu’ils peuvent tous pleinement apprécier à chaque instant dans leur vie profes- sionnelle. Les musiciens savent ce que veut dire « accorder un instru- ment », ils ne sont pas forcément accordés eux-mêmes. Bien vivre dans son corps ne va pas de soi.

Joël est pianiste, il donne de nombreux concerts et enseigne dans un conser- vatoire parisien. Le piano fait partie de sa vie. À cinq ans, Joël commence ses premières leçons individuelles de piano. Au fil du temps, il apprend la rigueur, l’attention, l’assiduité, la répétition du geste, la mémorisation, le ques- tionnement permanent. Après la fin de ses études au conservatoire, il accom- pagne quelque temps une classe de danseurs. Leur chorégraphe lui propose de partager avec eux différentes techniques psychocorporelles (yoga, taï chi1, sophrologie, qi gong2…) dont la méthode Alexander qui le touche par- ticulièrement. Il se pose alors beaucoup de questions par rapport à son assise au piano : comment être moins tendu, comment s’économiser… Il rencontre ensuite à Londres un professeur de piano qui inclut dans son enseignement les principes de la méthode Alexander et lui fait observer les habitudes qu’il a prises dans sa façon de jouer, mécanismes dont il n’avait pas conscience.

Sur son conseil, il entame alors un travail suivi en Alexander.

Lors des premières leçons, Joël a l’intuition que le travail proposé correspond à ce qu’il cherche. Quand le professeur lui touche les épaules, il les sent se poser tranquillement sur sa cage thoracique et perçoit un calme intérieur dans tout son corps.

Joël comprend qu’observer ses habitudes et choisir de les supprimer demande beaucoup de courage, car il est nécessaire d’accepter de perdre

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des repères connus, avec tout ce que cela suppose comme peurs et joies mêlées. Il réalise que le véritable changement commence par soi-même et qu’il est le fruit d’un long processus, mais aussi d’une multiplicité de rencontres et d’expérimentations diverses.

Un jour, sa professeure pose la main au bas de son dos lorsqu’il est au piano.

Elle lui demande, avant de commencer à jouer, de se laisser toucher par sa main, « puis par le tabouret, comme si celui-ci était vivant, comme s’il était son allié ». Joël commence à jouer, et à l’aide du toucher de sa professeure, il réalise avec étonnement qu’il joue souvent en apnée. Il se rend alors compte qu’il peut relâcher le dos et se laisser respirer.

En travaillant ainsi sur des gestes concrets, il intègre les principes Alexander dans son quotidien. Il peut éviter certains gestes parasites dont il a pris cons- cience et dont il va se défaire peu à peu. Il est d’autant plus attentif qu’en tant qu’enseignant, il voit ces gestes parasites chez ses élèves : mâchoire crispée, épaules soulevées, mouvements latéraux sur le tabouret, pied sur la pédale sans nécessité… Tous ces mouvements inutiles leur donnent l’illusion d’avoir plus de force dans les bras.

Lors d’une autre leçon, Joël expérimente que sa main et son bras sont reliés à l’ensemble de son dos. Cette ampleur nouvelle lui fait découvrir une sonorité différente, ainsi qu’un plus grand confort, une fluidité intérieure qui augmente son plaisir de jouer.

« Il ne s’agit pas de bouger extérieurement, mais de s’habiter intérieurement.

Certaines personnes pensent que si elles ne bougent pas, leur jeu musical est très froid ; or, en tant qu’interprètes, nous ne sommes que l’outil par lequel la musique devrait passer. Si le public nous oublie, ce n’est pas grave : l’impor- tant, c’est la musique ».

Une autre fois encore, sa professeure lui suggère une direction allant autant vers le haut que vers le bas, circulant de la tête aux pieds. Elle lui demande de penser à ses genoux qui s’éloignent de son bassin et de ses pieds, de bien percevoir ses pieds au sol. Joël est heureux de se rendre compte qu’il relie davantage les différentes parties de lui-même. Il pense à certains élèves

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qui ne se sentent exister que du bassin à la tête et qui, malgré l’utilisation des pédales, semblent « oublier » leurs jambes.

Au fil du processus, Joël prend conscience qu’il ne peut séparer le travail tech- nique, physique, de l’émotion et de la sensibilité. Il réalise qu’il ne s’agit pas de comprendre intellectuellement tous ces principes, mais d’intégrer ce qu’il a perçu dans sa chair.

Il se sent devenir de plus en plus disponible, relié à lui-même, aux autres et à la nature. Il se laisse de moins en moins parasité par ses propres jugements.

Il fait mieux face à son trac, il l’accepte comme « faisant partie de son humanité ». Heureux d’être vivant, il se sent privilégié de faire le métier qu’il a choisi. Au piano, il est conscient de l’espace au-dessus et autour de lui.

Conscient du public, il est tout entier dans le désir de le faire entrer dans son monde, de lui faire partager son univers.

Dans de nombreux pays, dont l’Australie d’où F. M. Alexander est origi- naire, l’Angleterre où il a vécu et développé sa technique, les États-Unis où il est allé plusieurs fois, mais aussi d’autres pays d’Europe, le travail Alexander a une place importante dans les professions artistiques. Il fait partie du cursus de nombreuses écoles de musique, de théâtre et de danse.

Dans leur travail, les chanteurs vont souvent penser leur relation au sol comme un enracinement, ce qui a tendance à les « fixer ». La crispation des pieds et des genoux qui en découle parfois va empêcher la relation au sol. Ils vont alors compenser en allant chercher un support ailleurs, par exemple dans le bassin, les épaules ou les mains.

D’autres, pour « lâcher », vont plier les genoux en basculant le bassin : leur bassin manquera alors de tonicité. Certains d’entre eux sont souvent très en avant et oublient leur dos, ce qui créé un déséquilibre. D’autres encore ont des gestes parasites avec le (ou les) bras, la main, le pied ou même l’orteil, qui bat la mesure par exemple.

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Enfin, pour aller dans les aigus, certains vont monter sur la pointe des pieds, alors qu’il s’agit au contraire de se laisser toucher par la terre : aller vers le bas permet d’aller vers le haut, c’est la terre qui donne le support.

Être pleinement présent sur scène

Les artistes qui montent sur scène imaginent facilement avec le trac que ceux qui viennent les voir ou les entendre leur sont hostiles1. Il est pour- tant tellement plus porteur et rassurant de considérer que le public est bienveillant. S’allonger sur le sol avant le spectacle comme indiqué dans l’exercice 1 peut aider à se préparer avant d’entrer en scène. Lorsque ce n’est pas possible, il peut être profitable de simplement revenir à soi en pensant à sa verticalité et à son calme intérieur.

Les conditions dans lesquelles se déroule la représentation peuvent ne pas être conformes à l’attente des artistes. Leur travail consistera alors à inviter le public à entrer dans leur univers, à le partager avec eux, à le leur faire expérimenter.

Le regard est aussi très important : il peut être lointain ou trop intérieur, pas du tout relié au public. Il peut également servir à se protéger : c’est le cas du regard « absent », du regard « vide », du regard qui traverse ou qui ne voit pas.

Certains vont « accomplir » ce qu’ils ont à faire d’une façon « extérieure », sans mouvement intérieur. Tout semble correct, grâce à leur mémoire et à leur professionnalisme, mais ils sentent que leur âme n’était pas dans ce qu’ils ont offert. Ils peuvent alors ressentir leur prestation comme un échec.

1. Cf. les recherches de Joyce McDougall sur la créativité.

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1. De la même façon, Jean-Laurent Cochet, professeur d’art dramatique et metteur en scène, demande à ses comédiens de prendre le temps de « se rassembler » avant d’entrer en scène…

Le trac, en coupant les jambes et la respiration, fait « monter » encore plus dans les épaules et la nuque. Il est fondamental de bien différencier la « concentration », qui est une fermeture, et l’attention, qui est une présence à soi, à l’environnement et aux autres1.

Les danseurs peuvent ainsi être très occupés par le bon déroulement de la chorégraphie et par leur relation aux autres sur scène, et moins par l’expression. Ils sont souvent gênés par trop de tensions, par une musculature trop imposante ou par la trop grande importance accordée aux jambes. L’excès de mouvement extérieur empêche le mouvement intérieur. Dans ce cas, l’expression n’est pas portée par les ressentis per- sonnels.

Soucieux de leur jeu et de leurs partenaires, certains acteurs ne pensent pas assez à profiter de l’espace et à le remplir de leur présence. La mémo- risation du texte et des indications du metteur en scène, et leur recherche sur l’expression des émotions du personnage les préoccupent.

Les efforts qu’ils fournissent les amènent souvent « à l’extérieur » : ils ne sont plus présents à eux-mêmes ni en contact avec le sol. Ils compensent alors en cherchant un support dans le haut du corps, ce qui entrave l’expression de leurs émotions.

Les chanteurs peuvent se mettre dans une position pour « faire » du chant au lieu de se laisser chanter. En voulant trop écouter leur voix chantée, ils en oublient leur globalité, leur désir de transmettre la beauté de ce qu’ils chantent au public. Le chant part vraiment de la sensation et certains ne « sentent » pas, et ils en ont honte…

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À l’opposé, il est aussi possible de s’oublier en étant trop dans l’émotion.

Ainsi, certains chanteurs sont parfois exagérément accrochés aux sensa- tions et les recherchent, les utilisant comme guides : ils ont l’impression de « ne pas faire ce qu’il faut » s’ils n’ont pas certaines sensations. Ce besoin de refaire, de revivre une sensation est courant. Au cours d’une leçon, lorsque le professeur touche l’élève et que celui-ci a une expé- rience agréable accompagnée d’une certaine sensation, il tente de

« reproduire » la même expérience en recherchant la sensation qui l’avait accompagnée la première fois. Les sensations font partie du mouvement, elles sont différentes en fonction du moment : en cherchant à les reproduire, nous arrêtons le mouvement.

Quelquefois, certains veulent à tout prix exprimer un sentiment qui est incompatible avec leur vécu personnel. Si un jour où tout va mal, on leur demande de jouer un personnage heureux, ils risquent de donner au spectateur une impression de fausseté en se coulant dans une image de bonheur pour interpréter leur personnage. Là aussi, il s’agit de jouer à partir de soi, en partant de l’état dans lequel on est au moment où l’on joue.

Exploration n° 3

Assis sur une chaise, mettez une main sous vos fesses ou les deux.

Prenez contact avec les ischions (pointes des os du bassin sur les- quelles nous sommes assis). Balancez-vous d’une fesse à l’autre et d’avant en arrière, puis enlevez vos mains. Comment êtes-vous assis : plutôt vers l’avant, plutôt vers l’arrière, plus sur une fesse que sur l’autre ? Pensez à répartir votre poids équitablement.

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La méthode Alexander au quotidien

« L’autonomie est un état d’intégration dans lequel l’individu vit en pleine harmonie avec ses sentiments et ses besoins. » (Arno Gruen.)

S’il a été pensé à l’origine pour des artistes, le travail Alexander s’adresse en réalité à un public très large. Il concerne toutes les activités quoti- diennes, quelles qu’elles soient, familiales ou professionnelles. Il est facile et fréquent de s’oublier et d’en faire trop : en pratiquant un sport, en voulant aller trop vite dans ses obligations quotidiennes… D’ailleurs, sont-elles toutes des obligations ? Il est également facile de s’oublier complètement en effectuant des gestes professionnels répétitifs ou en travaillant sur ordinateur.

Apprendre à vivre les yeux ouverts

Le quotidien était très important pour F. M. Alexander. Pour lui, c’est au quotidien que peuvent être trouvées des améliorations, puisque c’est là qu’elles sont nécessaires avant tout.

Dans les leçons, il est demandé de garder les yeux ouverts, car on ne vit pas les yeux fermés. Pour faire face à une situation difficile ou conflic- tuelle, nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux ou de nous retirer à l’intérieur de nous-mêmes. Même si certaines personnes croient qu’en fermant les yeux, elles « sentent » mieux, ce n’est qu’une illusion dans laquelle intervient la « non-fiabilité des sensations ». En raison des habitudes, les sensations ne correspondent souvent plus à la réalité. Par exemple, en n’ayant pas conscience de notre bassin basculé vers l’avant et de notre tête penchée vers le bas, nous ne sentons pas notre déséquilibre.

La méthode Alexander n’est pas une thérapie, c’est un enseignement.

Tout le monde peut en tirer un bénéfice, car un « meilleur usage de soi » évite bien des tracas. Les tensions excessives peuvent à la longue se trans-

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former en douleurs chroniques. Les déséquilibres amenés par la précipi- tation, le non-respect de soi, le stress dont il est tant question, mais aussi un excès d’application ou de « concentration », peuvent à force induire de la fatigue, des états dépressifs ou des maladies diverses.

Une disponibilité qui enrichit

Le travail Alexander propose une détente active, une présence, une cons- cience de soi dans son environnement à chaque instant, grâce à des moyens très simples et très concrets. En aidant à trouver plus de dispo- nibilité au quotidien, il donne un autre sens à la vie, un autre regard sur le monde. Les moments agréables, les plaisirs simples prennent une autre dimension. Nous sommes plus disponibles pour nos proches, pour apprécier une belle promenade, une exposition ou un spectacle, lorsque nous sommes tranquilles et en accord avec nous-mêmes.

En toutes circonstances, le fait de prendre le temps favorise la disponibi- lité et l’écoute. En refusant de nous laisser envahir par les demandes ou les contraintes extérieures et de nous oublier dans quelque contexte que ce soit, nous évitons de nous faire submerger. L’attitude qui consiste à rester conscient ici et maintenant laisse moins de place à la peur, à l’angoisse ou au stress. La vie quotidienne devient plus simple et plus agréable.

Notre activité professionnelle en bénéficie également : les relations avec les collègues sont plus aisées et le travail semble plus facile. Dans la recherche d’un emploi, être plus « ouvert » facilite les entretiens d’embauche. La présence à soi-même – dans le sens d’une verticalité consciente – offre une meilleure gestion des éventuelles déstabilisations dues à l’angoisse. Cela ne veut pas dire que l’angoisse ne surgit pas lors de moments impressionnants, mais que la personne est plus à même de ne pas se laisser envahir par sa peur.

Toutes les notions d’Alexander peuvent aider se rendre plus disponible au quotidien. Le matin, pourquoi ne pas prendre le temps de vous

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retrouver avant de vous lever ? Ne bondissez pas dès que le réveil sonne, mais percevez-vous plutôt dans le lit et prenez contact avec vous-même.

Pensez ensuite à la manière dont vous allez vous lever du lit, prenez le temps de vous asseoir avant de vous mettre debout. Sentez-vous dispo- nible pour accueillir l’autre, pour accueillir la journée. Pensez chaque matin, pendant ce temps de réveil, à ce qui est fondamental pour vous.

Prenez le temps pour le petit-déjeuner : ne l’avalez pas en vitesse sans faire attention à ce que vous mangez, goûtez, savourez… Décidez de ne pas vous mettre dans l’obligation de courir dès le matin, quitte à vous lever un peu plus tôt. En quelques mots, prenez le temps de l’éveil.

Ces quelques minutes que vous vous accordez le matin peuvent trans- former toute votre journée. Accepter et se donner les moyens de ne pas se presser, c’est peu de chose et c’est beaucoup. De même, penser au sourire intérieur aide à se donner ce temps.

Approfondir la connaissance de soi-même

Les applications de la méthode Alexander dans la vie quotidienne ont une action préventive, elles peuvent éviter bien des maux. Retrouver un meilleur équilibre, entre pesanteur et légèreté, a des répercussions à tous les niveaux : le cœur est plus léger tandis que le corps souffre moins, c’est toute la personne qui respire.

En nous sentant capables de donner des réponses plus justes et, là aussi, plus en accord avec nous-mêmes, nous chassons le doute de notre esprit.

Cette assurance nous apporte la confiance, antidote de la peur. Il est d’ailleurs fréquent que des élèves ayant besoin d’une médication pour faire face à leur anxiété ou à leurs difficultés à trouver le sommeil, arri- vent à s’en défaire après une pratique régulière.

« La confiance naît du succès, non de l’échec. Il est souhaitable que nos processus d’éducation et d’art de vivre se fondent sur des principes qui nous rendront capables

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1. ALEXANDER F. M, Constructive Conscious Control of the Individual, Mouritz, Londres, 2004.

2. Selon Le Petit Larousse, le shiatsu est une méthode thérapeutique consistant à appli- quer les doigts par pression sur certains points du corps.

3. L’eutonie (Gerda Alexander) est une technique qui vise à retrouver un maximum de tonus corporel et nerveux.

4. La méthode Feldenkraïs est une gymnastique destinée à améliorer la conscience du corps, l’attitude, la vision et l’imagination. Elle a pour but de favoriser de meilleurs réflexes et habitudes corporels.

d’assurer un but en trouvant les “moyens par lesquels” satisfaisants, et, ainsi, d’obtenir un grand nombre de ces expériences satisfaisantes qui développent la confiance1. »

Parfois, une personne vient prendre des leçons Alexander pour dépasser une difficulté précise et elle se rend compte par la suite que les raisons de sa venue sont plus profondes. Il arrive aussi qu’une fois dans le processus et la découverte, elle oublie ses motivations premières et veuille approfondir sa connaissance d’elle-même. Voici une illustration parmi d’autres de la manière dont une crispation causée par un handicap a pu disparaître au profit d’une conscience de soi plus globale.

À quarante ans, Hélène est enseignante. Depuis très longtemps, elle aime le mouvement : elle a pratiqué la danse et le taï chi. À trente ans, elle commence une psychanalyse qu’elle continue aujourd’hui. Il y a cinq ans, un grave pro- blème de vision qui évoluait depuis l’enfance lui fait perdre totalement la vue.

En raison de sa cécité, ses autres sens se sont de plus en plus aiguisés : elle perçoit par exemple la raideur ou la souplesse de la personne qui la guide.

Elle est très à l’écoute de ses sensations : à chaque instant, elle peut sentir ses jambes, ses cuisses, certains mouvements intérieurs… Cette écoute presque exacerbée peut l’amener parfois à se couper des autres. Dans la rue, très foca- lisée sur sa marche, elle se sent crispée et insécurisée.

Hélène s’est intéressée à de nombreuses techniques psychocorporelles : mas- sages, shiatsu2, eutonie3, Feldenkraïs4… Elle est depuis longtemps à la recher-

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che d’un mieux-être. C’est avec un certain scepticisme que, sur le conseil d’une amie, elle aborde la méthode Alexander. La fin de la première séance est pour elle décisive. Elle sent que le professeur lui touche délicatement et respectueusement la tête. L’orientation proposée (vers l’avant, vers le haut) la surprend. Elle comprend que sa tête peut guider son corps dans des mouve- ments très simples.

Hélène avait conscience de ses tensions dans le cou, de sa difficulté à laisser aller sa tête en dansant. Elle savait que, dans un effort continu pour mieux voir, elle avait tendance à pencher sa tête en avant et vers le bas du corps. Elle a alors le sentiment de pouvoir « prendre le problème par le bon bout… ».

Sa peur de perdre l’équilibre, due à la cécité, amène Hélène à être constam- ment attentive à son bassin, à ses jambes et à ses pieds. Pour la première fois, Hélène expérimente que sa tête peut guider son mouvement et s’y intégrer : « Je m’aperçois que ma tête fait partie de mon corps ». En sortant de la séance, lui revient soudain l’image de sa grand-mère qui se tenait très cambrée. Elle se dit qu’elle reproduit en partie cette posture, bien plus qu’elle ne l’aurait pensé. Cette prise de conscience la surprend, comme cela se produit souvent en technique Alexander. Cet étonnement suscite un chan- gement de regard sur elle-même, qui constituera une puissante motivation pour évoluer.

Hélène comprend petit à petit qu’elle s’est focalisée jusqu’ici sur la force de gravité, tout son poids portant sur ses membres inférieurs. Elle oubliait ainsi le haut de son corps, de la taille à la tête. Elle découvre alors qu’elle peut être reliée au sol en répartissant mieux ses forces. Elle expérimente l’équilibre : une dynamique entre le haut et le bas.

La profondeur et la douceur du travail l’amènent à habiter son corps de façon différente. Son compagnon lui fait part de son émerveillement face à son évo- lution, à sa plus grande liberté de mouvement, à son ouverture nouvelle, à sa sensualité et à sa sexualité plus épanouies.

Parallèlement, Hélène poursuit sa psychanalyse, et la complémentarité entre les deux approches porte ses fruits. De certaines séances d’Alexander, elle

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retire des bouleversements émotionnels, ainsi qu’un vécu parfois difficilement communicable. Librement évoqués avec son psychanalyste, ils constituent un précieux matériau de travail. Hélène trouve doucement plus de légèreté ; sa relation à l’espace change. Elle s’aperçoit avec bonheur qu’elle peut se mouvoir en sécurité, et qu’à partir de cette verticalité, elle est plus attentive à ce qui l’entoure. Elle trouve aussi sa place dans la vie : « Je fais partie du monde et le monde fait partie de moi. » Elle sent en elle une énergie plus forte, qui la conduit à reprendre des études de psychologie, puis à quitter l’enseignement pour devenir psychothérapeute.

L’acceptation de son handicap aura représenté un très long chemin. Hélène avait l’habitude de réprimer ses émotions, elle ne voulait pas s’y attarder. Le

« lâcher prise » lui permet de s’alléger, de s’épanouir. Avec le temps, elle prend du recul face aux réalités qui lui sont propres.

Exploration n° 4

Choisissez une action simple, quotidienne et décidez de l’observer, puis de la changer. Par exemple, soyez conscient de votre « rituel » lorsque vous rentrez chez vous le soir. Changez votre façon d’ouvrir ou de fermer une porte, etc.

Lorsque nous nous offrons du temps pour vivre « consciemment », nous pouvons regarder les petits détails d’une journée auxquels nous ne prêtons pas attention habituellement, même si ce n’est qu’un instant.

Les feuilles qui tombent, l’eau qui ruisselle après la pluie, le soleil sur les toits, les oiseaux qui volent : nous pouvons être présents à tout ce qui est vivant… Alors, nous devenons capables de regarder l’autre avec un regard bienveillant, en accueillant ses différences et en acceptant l’échange à naître avec lui, sans que la crainte de l’inconnu nous freine.

De même, cette disponibilité intérieure développée pas à pas facilite la réalisation de vrais choix : nous pouvons affirmer clairement nos Oui et nos Non.

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Enfin, comme nous le verrons dans les chapitres à venir, il devient envi- sageable de s’accepter soi-même comme un être entier dans toute la palette de ses émotions : qu’elles soient heureuses ou qu’il s’agisse de tristesse, de peine, de chagrin, de déception, de découragement…

Invitation n° 1

Goûtez le plaisir et la joie de vous retrouver avec des amis proches, de déguster un bon crumble aux fruits encore chaud, avec un léger thé fumé ou parfumé, en vous rappelant des souvenirs heureux ou en imaginant de prochaines vacances…

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