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Texte intégral

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

PAROLE DE DEPUTI

PIERRE CANAVAGGIO

« Ce sabre est le plus beau jour de ma vie.

[..Jet si vous me rappelez à la tête de votre phalange, messieurs,

je jure de soutenir, de défendre nos institutions et, au besoin, de les combattre. »

Henri Monnier, Grandeur et décadence de M. Prudhomme

A vec le printemps vient de paraître un Petit recueil édifiant

sur l'art et la manière de se présenter aux électeurs (1). Un

vrai livre de chevet, un peu plus que charmant, présenté par Jean-Louis Debré. On y découvre, curieux et amusé, les pro- fessions de foi d'une quarantaine de députés ayant plus ou moins gouverné la France, des débuts de la III

e

République à nos jours.

Ces textes sont tirés des archives de l'Assemblée nationale, dont Jean-Louis Debré vient d'abandonner la présidence pour celle du

Conseil constitutionnel.

Nous avons choisi, parmi ces textes, ceux qui donnent une

idée juste et diverse de, l'éloquence politique, chantournée et sim-

pliste, émouvante quelquefois, telle que l'ont pratiquée les élus

des XIX

e

et XX

e

siècles. Qu'ils aient été des ténors de la Chambre

ou des obscurs : de Jules Ferry à François Mitterrand, en passant

par Jaurès, l'abbé Lemire, Christophe Thivrier, voire Philibert

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

Parole de député

Besson (1898-1941), député trop humain, qui a, hélas, amusé la galerie à ses dépens.

Sur sa photo officielle, en tenue d'officier de la marine mar- chande, Philibert Besson sourit. L'air dégagé, comme disaient nos grands-mères, un rien poseur, bel homme, si ce n'était sa mousta- che à la Chariot. Sa biographie, sans effets de plume, vaut le détour : « Politiquement inclassable, écrit Jean-Louis Debré, Philibert Besson a séjourné à l'hôpital psychiatrique dans sa jeu- nesse. Maire de sa commune natale de Vorey-sur-Arzon (Haute- Loire), il a été révoqué par le préfet. En 1932, il prend sa revanche : dans un département agricole durement frappé par la crise, son discours musclé trouve un certain écho. À la Chambre, ce débutant de 34 ans proposera une complète réorientation poli- tique [...] Ses emportements lui valent une condamnation qui entraîne la déchéance de son mandat. Le 15 mars 1935, échappant aux policiers, le "député fou" va prendre le maquis dans sa circonscription. » Lorsqu'il a été arrêté par la maréchaussée, le pré- sident de la République a dû le gracier pour cause d'hilarité natio- nale. Le public qui le défendit par jeu venait de découvrir le comique inoffensif des « histoires de fou », et les petites annonces de l'Os à moelle de Pierre Dac.

Philibert Besson et sa folie douce étaient si populaires que Georgius l'a mis en scène dans un couplet du Lycée Papillon, une chanson loufoque :

« C'est en Normandie que coul'la Moselle, Capital'Béziers et chef-lieu Toulon, On y fait l'caviar et la mortadelle, Et c'est là qu'mourut Philibert Besson. »

Ce n'était pas méchant. D'autant que dans le même temps, on fredonnait une autre chanson qui en dit long sur les Français de l'époque :

« Amusons-nous ! Foutons-nous de tout.

La vie passera comme un rêve. •

Un cauchemar à répétition, plutôt : Munich, la Débâcle, juin 1940, l'Armistice. Enfermé à nouveau, mais par Vichy cette

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DEMOCRATIE ?

Parole de député

fois, pour « propos défaitistes », Besson est mort en prison à Riom ; sa fragilité ne résista pas aux avanies de ses gardiens. Il avait

42

ans.

Voici en quels termes il s'était adressé à ses électeurs, en 1932:

« Électeurs,

L'ensemble des campagnes et notamment des chefs-lieux de can- ton m'a accordé une majorité imposante. /..VTous, vous avez jugé qu'il est grand temps de casser les vitres pour mettre fin aux scandales finan- ciers et à la spéculation, qui nous a conduits en sabotant notre agriculture à la base de notre industrie et de notre commerce, devant le gouffre de la crise et de la faillite, du chômage et de famine, dans l'attente de la guerre ou de la révolution.

Tous ceux qui n'ont pas été capables de prévoir ni de prévenir la crise actuelle ne sont pas davantage capables de la guérir. [...]]e les accuse par la division qu'ils engendrent de nous avoir conduits à la pagaille.

AUJOURD'HUI, CE SONT ENCORE DES VOLEURS.

DEMAIN, CE SERONT DES CRIMINELS.

ILS PRÉFÉRERONT LA GUERRE À LA RÉVOLUTION.

[...] Si la politique, actionnée par les vautours qui nous exploitent, faisait surgir de nouvelles candidatures pour me barrer le route, vous ne vous laisserez pas dérouter. Bloquez en masse sur Philibert Besson. »

La signature de cette profession de foi (4 pages délirantes et passionnées) est conclue par cette précision : « parle anglais, ita- lien, espagnol, portugais, patois. »

II serait injuste de ne pas citer, ici, Joseph Archer (1882-1957), absent de cette anthologie, parce que, sans doute, il eût doublonné avec Besson : « compère » de Besson, selon Jean-Louis Debré.

Député de la même génération, matheux lui aussi (X, puis les

Mines, fortuné et bon chrétien), natif de la Haute-Loire également,

ingénieux plus qu'ingénieur, Archer avait inventé « un canon de

tranchée » qui le rendit célèbre auprès des états-majors lors de la

Grande Guerre. Il s'associa souvent aux propositions de son collè-

gue et compatriote. Philibert Besson devint ainsi le co-père de

P« europa », l'ancêtre de l'euro ; et, plus ou moins, du « bifteck-stan-

dard pour tous les Français », du « carburant à l'eau », du « trolleybus

individuel ». Ses inconduites diverses envoyèrent Archer en prison à

la Libération. Il s'en évada pour finir dans un asile psychiatrique, un

nouveau cauchemar dont il ne tenta peut-être pas de s'éveiller.

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QUI Â_PEUR Parole de député

C'est en 1881, à l'initiative d'un député, Désiré Barodet (1823-1906), que les professions de foi des candidats élus aux élections législatives ont été collectées pour la première fois, et conservées dans un recueil officiel, devenu avec le temps le

Barodet. « Son propos [était] d'obliger les élus oublieux à ne plus

se montrer trop changeants », explique Jean-Louis Debré. Ce souci, encore d'actualité, n'était pas nouveau.

Déjà en 1839, Alexis de Tocqueville, futur député de Valogne et gentilhomme honnête jusqu'au bout de la plume, avait évoqué ce problème dans une lettre circulaire adressée à ses élec- teurs : « Je n'ai point renfermé /m/es opinions dans des paroles obscures qu'on explique, qu'on rétracte ou qu'on nie suivant le besoin du moment, mais dans des écrits qui restent et qui m'enga- gent aux yeux de mes amis aussi bien qu'à ceux de mes adversai- res. »

Les députés retenus sont présentés dans cet ouvrage par catégories - sept en tout. Ouvrent le ban, les réalistes ; suivent, les idéalistes ; les révolutionnaires ; les protestataires ; les inspirés ; les ultramarins ; les singuliers, enfin. « De droite comme de gauche, emphatiques ou austères, abondants ou lapidaires, sympathiques ou révoltants, ces documents électoraux, du plus haut intérêt pour l'histoire des mentalités politiques, ne sont pas seulement des témoignages ou des curiosités : ils attestent de la diversité du per- sonnel parlementaire et de la richesse de notre vie publique. [...]

La lecture des anciennes professions de foi constitue aussi une belle leçon d'éducation civique. » (Jean-Louis Debré.)

Les réalistes

Jules Ferry (1832-1893)

C'est le père de l'école primaire laïque, gratuite et obligatoire,

de la liberté de la presse aussi, instituée par la loi fameuse du

29 juillet 1881. Jean-Louis Debré considère sa profession de foi

comme « un modèle du genre : un engagement moral, un bilan de

l'activité passée, un programme d'action pour l'avenir ». Avocat, puis

journaliste, Jules Ferry fut un des chefs de l'opposition au Second

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

Parole de député

Empire. Il fut aussi, ensuite, un grand ministre de l'Instruction publique et son second ministère (1883-1885) fut un des plus longs de III

e

République. Opposé à Mac-Mahon, à Clemenceau et à Déroulède, ce conservateur marqua la France de son époque. En 1881, il sollicita les voix de ses compatriotes des Vosges :

« Mes chers Concitoyens,

Vous m'avez confié, il y a quatre ans, un mandat dont je vous dois compte. Comme député, comme ministre de l'Instruction publique, comme président du Conseil, j'ai engagé ma responsabilité dans les principaux actes de cette majorité libérale et courageuse, qui a abattu le pouvoir personnel, et dont la politique est soumise, à cette heure, au jugement du suffrage universel.

[...] La Chambre que vous allez élire aura pour mission de poursui- vre dans l'ordre scolaire, administratif, économique et financier, les pro- grès réalisés ou abordés par sa devancière, en s'inspirant du même esprit de fermeté et de sagesse [...] C'est par la sagesse des républicains, par leur cordiale union, que la République s'est établie ; le pays n'est pas près de déserter la politique qui l'a si bien servi ; les élections du 21 août seront, n'en doutez pas, des élections de sagesse et de concorde. »

Réaliste aussi, Aristide Briand (1862-1932)

Improvisateur-né, il n'aimait pas s'exprimer par écrit : en 1902, c'est sur un texte bref, qui ne comporte pas le moindre engagement précis, qu'il a été élu - sous l'étiquette socialiste, après trois échecs. Vingt-cinq fois ministre et onze fois chef du gouvernement (un record jamais battu de longévité ministérielle), Aristide Briand est né à Nantes de parents cabaretiers. Avocat un peu bohème, il est resté député durant trente ans. Il s'est fait remarquer, dans 1'entre-deux-guerres, comme l'apôtre du rappro- chement franco-allemand et des États-Unis d'Europe, si bien que sa carrière fut couronnée par le prix Nobel de la paix en 1926.

« Citoyens,

À l'heure où toutes les forces coalisées de la réaction cléricale font rage contre la République, le devoir des amis de la liberté, à quelque nuance de l'opinion républicaine qu'ils appartiennent, est tout tracé.

[...] Le péril n'est pas à gauche, il est à droite.

Aussi tous les hommes de progrès, tous les défenseurs des institu- tions républicaines doivent-ils se grouper étroitement pour faire bloc contre les candidats de la réaction. /...]

1120

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QUIAPEURpLASOÇIÂLiDÉMOÇRÂIIL

Parole de député

Citoyens, tous aux urnes, le 27 avril, pour assurer par l'élection du citoyen Aristide Briand, le triomphe de la République et de la liberté. »

Réaliste encore, François Mitterrand (1916-1996) La profession de foi, inattendue, de ce jeune candidat aux élections législatives de 1946, élevé à droite et soutenu par elle à l'époque, n'a été retrouvée qu'après 1981. Elle s'ouvre sur un his- torique.

• Citoyens et Citoyennes de la Nièvre, dans votre département, la discipline républicaine a triomphé. Une seule liste d'opposition a été constituée [...], composée d'hommes qui, chacun dans leur domaine, se sont toujours faits les défenseurs des libertés publiques : liberté de pen- sée et d'expression contre les fanatismes ; liberté du commerce et de l'agriculture contre les contrôles excessifs, les règlements abusifs ; liberté d'enseignement contre le monopole d'État ; indépendance du pouvoir judiciaire par la séparation des pouvoirs.

/.../ Vous répondrez à la manœuvre MRP /.../ qui prétend que voter pour lui, c'est en faire le premier parti de France, alors qu'il l'est déjà depuis six mois et que cela n'a servi qu'à donner à Maurice Thorez [...]

plus de moyens encore pour noyauter nos administrations et préparer la bolchevisation de la France.

[...] Vous voterez en bloc pour la liste d'action et d'unité républi- caine dont le premier candidat [lui] fut aux côtés du général de Gaulle, au moment de la Libération, le plus jeune Français à participer aux Conseils du gouvernement depuis 1875, dont tous les candidats ont lutté avec honneur contre l'oppresseur allemand et continueront à lutter pour la régénération totale du pays. »

Réaliste aussi, Georges Pompidou (1911-1974)

Nommé Premier ministre par le général de Gaulle en 1962, le « normalien qui sait écrire » n'avait jamais sollicité jus- qu'alors de mandat électoral. Élu dans le Cantal en 1967, il démissionna dès que le chef de l'État l'eût confirmé dans ses fonctions à Matignon. La dissolution de l'Assemblée qui suivit la crise de Mai 68 lui donna l'occasion d'exposer non seulement sa vision politique des • événements »' à ses électeurs, mais aussi de leur rappeler ses promesses tenues dans sa circonscrip- tion du Cantal.

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QUI A PEUR DE LA SQÇIAL^EMOÇRAIIE ?

Parole de député

« Électrices, électeurs,

En 1967, vous m'avez fait l'honneur de m'élire comme député de la deuxième circonscription du Cantal. Je viens à nouveau solliciter vos suffrages et ceci pour deux raisons. D'abord par fidélité au département du Cantal et plus particulièrement à la circonscription de Saint-Flour- Murat-Mauriac

[,..] Mais aujourd'hui c'est plus encore par devoir national que je sollicite le renouvellement du mandat que vous m'avez confié en 1967. Il s'agit de barrer la route au communisme totalitaire et d'empêcher l'anar- chie. Il s'agit de défendre la République, de conserver à la France ses institutions démocratiques, ses libertés, la paix entre les citoyens. Je veux, dans ma circonscription, poursuivre le combat que j'ai mené à l'échelon national durant les semaines tragiques [...]

Que tous ceux qui ne veulent connaître que le drapeau tricolore, que tous ceux qui veulent l'indépendance, le progrès et la paix dans la légalité et dans la liberté, m'apportent leurs suffrages. Ils'peuvent compter sur moi.

Vive le Cantal ! Vive la République ! Vive la France ! »

À la fin de cette adresse suit la liste détaillée des opérations locales à mettre à son crédit, à ne pas oublier au moment de mettre son bulletin dans l'urne.

Les i d é a l i s t e s

Frédéric Passy (1822-1912)

Économiste de formation et pacifiste de conviction, il a co- fondé en 1869 la Ligue internationale de la paix. Élu député du VIIIe arrondissement de Paris en 1881, il se voulut et fut un homme de cœur appartenant « à la gauche libérale, favorable aux institutions républicaines mais hostile à toute forme d'action violente ». En 1901, pour avoir passé trente ans à garantir la paix par l'arbitrage international, il a partagé le premier prix Nobel de la paix avec le Suisse Henri Dunant, le fondateur de la Croix- Rouge.

« Chers Concitoyens,

Le Comité républicain, dont vous avez lu le manifeste, me fait l'honneur de me recommander à vos suffrages. J'accepte cet honneur.

Homme de liberté et homme d'ordre en même temps (car il n'y a pas

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QUI A PEJJJLBELA SQÇIALiDÉMOÇRÂÎlE 1 Parole de député

pour moi de liberté sans ordre, ni d'ordre sans liberté), je veux [...] la République ouverte à tous, mais la République respectée de tous.

Homme de progrès et non de bouleversement, je veux la réalisation gra- duelle, et par conséquent durable, de toutes les réformes possibles et jus- tes. [...] Homme de travail, de concorde et de paix, je veux une France instruite, laborieuse et forte ; assez sûre d'elle-même pour ne redouter personne ; assez sage pour ne menacer personne.

Si une vie déjà longue, /.../ dans laquelle on ne relèvera, j'ose le dire, ni une défaillance ni une violence, est à vos yeux une garantie de quelque valeur, vous ratifierez le choix qui vous est proposé et vous m'enverrez à la Chambre des députés. »

Idéaliste encore : Jean Jaurès (1859-1914)

Jean Jaurès avait 25 ans lorsqu'il fut élu pour la première fois député du Tarn, sur une liste républicaine « opportuniste », mais pas collectiviste. C'est le conflit social des mineurs de Carmaux qui a fait évoluer ce normalien, agrégé de philosophie puis docteur d'État, vers la gauche. La politique lui doit d'avoir inscrit le socialisme démocratique dans la continuité du combat républicain.

Considéré comme le « tribun de la paix », il a été assassiné, le 31 juillet 1914, par un nationaliste exalté. Entouré des membres de la Ligue des patriotes, Maurice Barrés a tenu à participer à ses obsèques. Pour Jean-Louis Debré, « son ultime profession de foi, particulièrement émouvante, peut aussi se lire comme un testa- ment politique. » C'est celle-là qu'il a retenue.

« Citoyens,

Je vous prie de me continuer mon mandat que j'ai conscience d'avoir fidèlement et activement rempli. [...] Une des plus grandes joies de ma vie, c'est d'avoir contribué à améliorer la retraite des ouvriers mineurs. /.../ Je me suis efforcé aussi d'améliorer la loi générale des retraites ouvrières et paysannes, et par l'abaissement à soixante ans de l'âge de la retraite que j'ai énergiquement demandé, nous avons en partie réussi.

C'est dans l'organisation vraiment démocratique de la nation armée que la France trouvera la garantie de son indépendance, de sa juste et humaine fierté. [...] Si elle organise l'éducation physique de l'adoles- cence et de la jeunesse à la commune et au canton, si elle institue le recrutement sur place et peut ainsi éduquer fortement ses immenses réserves sans troubler gravement la vie civile et sans éloigner les

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

Parole de député

citoyens-soldats de leur domicile, si de Paris à la frontière elle crée une force solide de couverture en assurant la mobilisation rapide des unités de ces régions denses et riches, elle pourra non seulement abolir la loi de trois ans, mais descendre bien au-dessous de deux ans, sans compro- mettre sa sécurité. [...]

Nous veillerons à ménager les prolétaires ouvriers et paysans, les petits propriétaires cultivateurs, les modestes patentés. Par l'impôt géné- ral et progressif sur le revenu, le capital et la plus-value des grands capi- taux, nous imposerons aux classes riches le fardeau auquel leur égoïsme cherche trop à les dérober. Ces sacrifices demandés aux riches seraient mieux employés à des œuvres de civilisation et de solidarité sociale. [...]

Donnez-moi mandat, vous tous travailleurs, vous tous républicains sincè- res, de continuer au Parlement la lutte pour la République, pour le progrès social, pour le développement de l'enseignement laïque et de la raison, pour le travail et pour la paix. »

Les révolutionnaires

Christophe Thivrier (1841-1895)

Mineur devenu boulanger puis marchand de vin, autodi- dacte converti au socialisme, Christophe Thivrier a conquis la mairie de Commentry en 1881, ce qui a fait de lui le premier maire de France marxiste. Élu député en 1889, il a tenu au moins une de ses promesses faites à ses électeurs en se rendant au Palais-Bourbon dans sa biaude, une blouse bleue de tra- vailleur qui l'a rendu célèbre du jour au lendemain. Réélu en 1893, il a été exclu pour avoir crié : « Vive la Commune ! » dans l'Hémicycle.

« Électeurs,

Désigné par le parti des travailleurs pour être le porte-drapeau des revendications ouvrières et le défenseur de la République compromise par les opportunistes, j'accepte sans aucune réserve le mandat qui m'a été confié et le programme élaboré par le parti ouvrier :

Dix-neuf années de réaction et d'opportunisme, de gaspillage, de prévarications, de guerres lointaines et d'oppression des travailleurs maintenus dans la même misère, sous le même servage que par l'empire et la royauté, ont soulevé contre un régime qui usurpe traîtreusement le nom de république, le mécontentement universel et ranimé les espéran- ces liberticides des monarchistes.

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

Parole de député

Les grands industriels et les financiers exploitent la mine et l'atelier avec une telle rapacité que l'ouvrier n'a pas le strict nécessaire à l'exis- tence de sa famille. Les travailleurs des champs ne sont pas plus favorisés que les ouvriers des villes. [...]

Le droit à l'existence, à la liberté, que la République doit nous donner, nous le revendiquons. [...] Debout les travailleurs des villes et des champs, les petits industriels et les petits commerçants, pour la défense de la République. La République est la forme politique nécessaire de l'affran- chissement prolétarien. À tout prix elle doit être conservée. [...]

Travailleurs,

Vous devez déclarer par votre vote que, prêts à tout pour la défense de la République, vous ne la laisserez pas davantage compromettre ni perdre. Vous déclarerez que vous êtes résolus à poursuivre de toute votre énergie la fin de vos misères et de la réaction, l'émancipation de votre classe, la victoire de la République sociale !

Place au peuple ! À bas les voleurs ! Vive le parti ouvrier ! Vive la République sociale ! »

Les protestataires

Armand de Baudry d'Asson (1836-1915)

Quand il a établi son dossier de député, à la question pro- fession, ce grand propriétaire, éleveur de chevaux, a répondu :

« Sportsman distingué ». Royaliste, commandeur de l'ordre pontifi- cal de Saint-Grégoire-le-Grand, député de Vendée, de 1876 à 1914, il a eu la gloire, en 1880, d'être saisi dans l'Hémicycle par les gar- des républicains, sur ordre de Gambetta, président de la Chambre.

Ce dernier lui a fait passer la nuit au « petit local », la cellule de dégrisement du Palais-Bourbon.

Sa profession de foi date des élections de 1906, quelques mois après la séparation des Églises et de l'État.

« Messieurs et chers Électeurs,

Dieu sauve la France ! C'est mon premier mot. C'est le cri de foi et d'espérance, qui malgré les angoisses de l'heure présente monte du cœur aux lèvres de tous les Français qui ont l'intelligence des périls de la reli- gion et de la patrie ! Oui, l'Église et la France sont en danger !,

Électeurs,

Dans des heures aussi tragiques, devant l'assaut sacrilège des loges maçonniques, contre tout ce qu'un chrétien a de plus cher et de

psi

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QUI A PEURfiE LA

Parole de député

plus sacré... Devant la formidable poussée de l'anarchie socialiste contre le patronat et la propriété... Devant le déchaînement des apaches de l'Internationale et du drapeau rouge [...] Chacun de nous, messieurs, a le devoir strict de conjurer - selon ses moyens - les horreurs qui s'appro- chent [...] Vous me connaissez, - depuis trente ans que je suis à votre ser- vice - comme député, comme ami ; et, à quelque parti que vous puissiez appartenir, vous savez que, tous, vous pouvez compter sur moi.

Agriculteurs, vous me rendrez volontiers ce témoignage que je n'ai rien négligé jusqu'ici : ni temps, ni argent, ni santé, pour défendre vos intérêts. Aussi, je le redis bien haut, il est absolument nécessaire de dimi- nuer les impôts et les charges de toute nature, au lieu de les augmenter chaque jour. Je m'efforcerai toujours de faire maintenir les soutiens de famille.

Notre élevage, nos courses de chevaux, qui m'ont toujours tenu tant à cœur, - vous ne l'avez pas oublié - nos foires, nos marchés, nos routes, nos chemins et les écours [?] feront l'objet de mes constantes pré- occupations.

Ouvriers, j'ai voté sans hésiter toutes les mesures proposées au Parlement pour améliorer votre sort si intéressant et, chaque année, j'ai protesté contre toutes les charges publiques qui tombent toujours si lour- dement sur les déshérités de la fortune. J'ai voté à la Chambre des dépu- tés les retraites ouvrières, qui ont pour but de vous donner sur vos vieux jours une amélioration pour un repos si bien gagné.

Marins, des primes importantes à la construction et à l'armement ont été votées au profit des navires à voiles et à vapeur ; il est juste que des primes à la construction et à l'armement des barques de pêche soient également appliquées.

Je soutiendrai toujours, par ma parole et par mon vote, la cause de Dieu, de la famille et de la patrie ! Et plus que jamais je crie bien haut :

Vive la religion catholique ! Vive la liberté ! Vive la marine ! Vive la France aux Français ! »

Les inspirés

L ' a b b é L e m i r e (1853-1928)

« Derrière ma soutane de prêtre, il y a le fils et le frère de travailleurs comme vous ; il y a votre ami, votre compatriote, qui gagne son pain depuis vingt ans en instruisant vos enfants et en prêchant la fraternité de l'Évangile, seule vraie loi du monde. » Né et mort dans le Nord, l'abbé Lemire l'a représenté

11261

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QULA PMEp| LAJOÇIAL^ÉMQÇRAm.

Parole de député

dès 1893 à la Chambre. Le 9 décembre de la même année, il a été parmi les blessés par l'explosion de la bombe lancée dans l'Hémicycle par l'anarchiste Auguste Vaillant. Se définissant comme « socialiste chrétien », il a consacré sa vie à l'action sociale pour que, notamment, chaque famille, ouvrière ou pay- sanne, possède un bien inaliénable. Ce prêtre député qui militait à gauche a dû affronter sa hiérarchie. En janvier 1914, l'évêque de Lille l'a sommé de renoncer à son journal, le Cri des Flandres, et de ne pas se représenter aux élections de 1914. En signe de protestation, ses collègues l'ont élu vice-président de la Chambre. À la fin de la guerre, il a été réintégré dans ses fonc- tions sacrées par le pape Benoît XV, qui venait d'être élu. L'abbé Lemire a conservé son siège de député jusqu'à la fin de ses jours. « Sa profession de foi de 1914 est celle d'un écorché vif. » (Jean-Louis Debré.) La voici :

• Mes chers Citoyens,

Depuis vingt et un ans, je fais avec vous une politique de patrio- tisme, de liberté et de progrès. Cette politique s'inspire de l'amour de la République et du dévouement au peuple. [...] En 1910, elle a été attaquée ouvertement pour la première fois.

Aujourd'hui, le combat recommence, combat de la réaction et des privilèges contre la volonté unanime du pays et contre les intérêts du tra- vail. Mais cette fois, pour m'atteindre, on a recours à d'autres moyens

On a condamné mon journal, flétri mes amis, poursuivi mes parti- sans jusqu'au pied des autels. On m'a dépouillé de droits et d'honneurs qui ne pouvaient m'être légitimement enlevés que si je manquais à mes devoirs de prêtre. Je n'y ai pas manqué : mon évêque l'a dit.

Tout cela n'avait qu'un but : me séparer de vous, me faire aban- donner le drapeau que vous m'avez confié. Je ne lâche point le drapeau.

Je ne vous quitte pas. Je remets le sort de la bataille entre vos mains.

Vous savez ce que j'ai fait, ce que j'ai été. En me nommant vice- président, mes collègues de la Chambre m'ont fait un honneur inoublia- ble. À vous de le ratifier.

Un mot seulement. Je ne suis pas révolté. Je suis une liberté : votre liberté à vous, votre liberté politique, votre liberté sociale, et même votre liberté religieuse.

On continuera de me présenter comme un prêtre indigne.

Non. Je suis un prêtre qui souffre, et beaucoup d'entre vous, catholiques souffrent comme moi, parce que nous croyons que la reli- gion n'est pas faite pour l'exploitation et la tyrannie, qu'elle est faite pour l'émancipation, la justice et la bonté.

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QUI A PEUR DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ?

Parole de député

Très fier de vos suffrages passés, je déclare que vous pouvez sans crainte me continuer vos suffrages aujourd'hui. Restons donc unis, mes chers concitoyens. Ensemble nous sauverons le pays du joug le plus into- lérable qui l'ait jamais menacé.

Vive la Flandre ! Vive la République ! »

Paroles de sages

En manière de conclusion, une réflexion finale de Jean- Louis Debré - elle clôt son Petit recueil :

« Quel que soit leur rapport au passé, tous les candidats savent qu'une bonne profession de foi doit aboutir à ce résultat que recherchait explicitement un certain Cerf Lurie, dans l'Hérault : "Conclure que lorsque l'on m'approche, on ne peut que m'estimer." »

1. Jean-Louis Debré, Paroles de député. Petit recueil édifiant sur l'art et la manière de se présenter aux électeurs, Ramsay.

• Pierre Canavaggio est journaliste littéraire (le Quotidien de Paris, France Culture, le Point et la Revue des Deux Mondes) ; il est par ailleurs auteur d'essais sur les croyances populaires, dont un Dictionnaire des superstitions et des croyances (Pocket, 2001) et un Guide des superstitions qui vient de paraître aux Presses du Châtelet.

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