• Aucun résultat trouvé

La critique d’art contemporaine chinoise

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La critique d’art contemporaine chinoise"

Copied!
871
0
0

Texte intégral

(1)AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ ÉCOLE DOCTORALE ED 354 IrAsia UMR 7306 LESA EA 3274 Thèse présentée pour obtenir le grade universitaire de docteur Langue & littérature chinoises Sciences de lʼart. Anny LAZARUS. La critique dʼart contemporaine chinoise Modèles théoriques et visions de l'histoire : les outils conceptuels des critiques d'art chinois.. 中國大陸當代藝術批評 理論模式和歷史視角——中國藝術批評家的概念方法. Soutenue le 20 mars 2015 devant le jury Itzhak Goldberg# Emmanuel Lincot# Sylvie Coëllier# Noël Dutrait#. Rapporteur, examinateur Rapporteur, examinateur Directrice de thèse Directeur de thèse. No attribué par la bibliothèque.

(2)

(3) À mon père, Pierre Lazarus (1922-2013), qui mʼa transmis le goût dʼapprendre.

(4)

(5) Lʼesprit du chercheur doit toujours faire activement, en lui-même, une place à lʼAutre étranger. Et cette action créatrice dʼouverture à lʼAutre, qui sinon reste étranger et distant, est la dimension la plus importante de la mission du chercheur. Edward W. Said (2003) La théorie nʼest pas ce lieu sérieux quʼon croit. Cʼest Guignol. Lʼesbroufe le dispute à la componction. Personnages. Masques. Entrez entrez, et vous verrez. Saisir comment ils bougent, et même les agiter soimême, voilà le plaisir. La pièce vient seulement de commencer. Où quʼon la prenne, on arrive toujours au commencement. La pièce nʼa pas de fin, bien sûr. Ni de morale. Cʼen est déjà une, peut-être, que de ne pas avoir de fin. Nous en sommes tous en même temps les spectateurs et les acteurs. Henri Meschonnic (1988).

(6)

(7) Sommaire. Introduction". 13. Remarques préliminaires". 13. Motivations de départ# Cadre historique et repères essentiels (1978-2013)# Écueils de lʼ“Import-export intellectuel”# Délimitation du corpus# Étendue de la recherche et champs disciplinaires# Structure de la thèse : du contexte aux textes#. 13 15 16 18 19 21. Des questions à la théorie". 23. Compétences et éthique# Nationalisme et sinéité# Orient/Occident : attirance et défiance# • Engouement pour la French Theory# Pouvoir de nommer# Élaboration de modèles théoriques#. 24 26 27 28 29 30. Précautions dʼusage". 31. Transcription des caractères chinois# Références bibliographiques# Abréviations utilisées#. 1 - Dénomination et cadre de la recherche". 32 32 32. 35. De la critique publique à la critique académique". 35. Lʼétat de la recherche". 40. Les études dans le cadre universitaire# • Recherches anglo-saxonnes# • Recherches francophones# Les éditions scientifiques et les catalogues spécialisés# • Ouvrages anglo-saxons# • Publications en français# La critique dʼart peu considérée# Les lieux pour la recherche# • Les archives de lʼart asiatique# • Le centre de recherche Gao Minglu#. 40 40 51 60 60 65 66 68 68 70. Les personnalités de la critique dʼart chinoise". 71. Li Xianting, le “père fondateur”# Gao Minglu, le “rectificateur des noms”# Wang Lin, le pourfendeur de lʼhégémonie de Pékin#. 72 74 78 7.

(8) Sommaire. Yi Ying, lʼexpert en écrits occidentaux# Wang Nanming, lʼadversaire de la sinéité# Duan Lian, un passeur de concepts# He Guiyan, une vision exigeante de la discipline# Liao Shangfei, la confrontation maître - élève#. Documents de travail, des éditions sous surveillance". 86. Les revues# • Les revues aux mains des critiques#. 88 91. Meishu, la revue qui fait autorité# Meishu yanjiu et Shijie meishu, les éditions de la CAFA# Shijie meishu, une ouverture sur lʼart mondial# Zhongguo meishu bao, la gazette qui dérange# Jiangsu huakan, le soutien des pratiques expérimentales# Meishu sichao, lʼincitation à la réflexion# Wenyi yanjiu, le support de la recherche théorique# Pipingjia, lʼoutil des critiques#. Les anthologies# • La génération des enfants de Mao# • La nouvelle génération# La critique dʼart dans les collections et les catalogues# Les publications non officielles à compte dʼauteur# 2 - Poids de l'idéologie". 8. 81 82 83 84 85. 94 100 101 101 113 115 115 119. 121 121 125 126 127 131. Lʼintellectuel, lʼennemi public". 131. Le contexte politique, lʼengagement des intellectuels# Les années 1980, la décennie de tous les possibles# • Les réformes et la déconstruction de lʼidéologie# • Lʼexemple de Zhou Yang, bourreau puis victime# • Désenchantement et effacement des intellectuels# Les années 1990, la revanche du commerce# Les années 2000, lʼessor du nationalisme# Lʼintellectuel, le lettré moderne# • La figure de l'intellectuel dans lʼœuvre de Yang Fudong# • La figure de lʼintellectuel incarnée par Ai Weiwei#. 133 134 135 138 141 143 145 146 147 151. Le nationalisme et sa répercussion chez les intellectuels". 154. Lʼinfluence contrastée de lʼOccident# La revendication de la sinéité# Le retour de Confucius# • Les Instituts Confucius au sein des universités# • Les enjeux politiques du soft power#. 155 158 167 167 169. Crise de la culture, crise du langage". 171.

(9) Sommaire. La culture anéantie# La tyrannie de la langue# Les œuvres, cibles dʼattaques politiques# La bibliothèque idéale des critiques dʼart chinois# • Fièvre culturelle dans lʼédition# • Âge dʼor des traductions# 3 - La critique dʼart : sortir de lʼaphasie ?". 171 172 180 181 181 182 185. Le mode critique en Chine". 185. Le discours critique dans la Chine classique# • La poésie comme paradigme# • La notion de sincérité# • Classer, c'est critiquer# • Les termes de la critique# • Conscience et positions du critique#. 186 186 187 188 189 192. Le pouvoir du critique#. 195. La pensée esthétique traditionnelle# • Le corpus classique# • Étudier ou juger le beau# Les écrits esthétiques au début du XXe siècle#. 196 198 199 200. Le lourd héritage de la critique dʼart". 205. La tutelle officielle# • Wenlian, Meixie, émanations du Parti# • Un nouveau venu : le mécénat artistique#. 206 206 208. La critique dans la formation universitaire". 210. La transmission des savoirs#. 211. Dépendance ou indépendance des critiques dʼart". 214. Art et pouvoir : le temps de la vigilance#. 216. 4 - Les critiques et le discours historique". 219. Conceptions de lʼhistoire". 222. Retour à Benedetto Croce# Paradigmes du discours historique#. 227 237. La question des critères". 243. Une avant-garde peu avant-gardiste# Légitimer le point de départ# Incarner la mentalité de son époque# Juger lʼartiste, non les œuvres, encore et toujours# La modernité chinoise selon Gao Minglu#. 244 248 251 254 257. 9.

(10) Sommaire. Le modèle de Gao Minglu : une histoire non-linéaire". 258. Le “contemporain” sur les décombres du post-moderne# Redéfinir lʼorigine de lʼart contemporain en Chine# Le récit dʼune histoire spatialisée# Qiang, refonte et limites#. 261 265 268 270. La monumentale histoire de lʼart de Lü Peng". 288. La tentative de vulgarisation de Lu Hong". 294. Le cas de lʼexposition de février 1989". 317. Les principaux responsables et leur statut actuel# Lʼexposition dans les revues de lʼépoque# Les artistes sélectionnés et leur influence aujourdʼhui# 20 ans après, réactiver China/Avant-garde#. 325 330 340 341. Écrire lʼhistoire de lʼart selon He Guiyan". 344. 5 - Analyse de la critique" La critique chinoise entre local et global". 355. Les termes dʼune langue à lʼautre#. 356. Moderne, contemporain, avant-garde# Modernisme et modernité# Postmodernisme / postmodernité# Individualisme vs humanisme# Cuowei – Dislocation# Dualisme/synthèse# Représentation# Regard/gaze# Écoles et formes artistiques# ★ Minimalisme# ★ Art conceptuel# ★ Abstraction# ★ Performance, art performatif#. 10. 355. 357 359 362 363 365 366 368 370 371 371 372 375 380. Débats d'idées et prise de conscience# • Premières interrogations# • Retour au débat# Le temps de la méta-critique# • Un langage métaphorique# • Pi Daojian et lʼévolution de la terminologie# • Duan Jun et les formes dʼénonciation# • Dai Dan : lecture tabulaire et discours linéaire#. 381 382 401 409 409 412 419 421. Dialogue Orient-Occident". 426. Lʼemprunt, faiblesse ou prouesse ?# Comprendre le postmodernisme# Lʼexemple de la French Theory#. 429 433 438.

(11) Sommaire. • Le paradigme sémiologique# • Déconstruction et post-colonialisme# Déconstructivisme et Yi : le consensus#. 443 449 450. • Le post-structuralisme à lʼépreuve du yi# • Une lecture chinoise de Foucault#. 456 458. Lʼart abstrait, confrontation de points de vue". 472. Li Xianting et lʼart abstrait# • Processus et méditation, guohua et abstraction# • Chapelet et traits de pinceau, un texte “testament”# Gao Minglu, définir lʼart abstrait# He Guiyan et la marginalisation de lʼart abstrait# • Une lecture critique de Li et de Gao# • La Post-abstraction, lʼavenir de lʼart abstrait#. 473 474 478 490 504 505 508. Quelques modèles théoriques". 514. Lʼanalyse situationnelle appliquée à lʼart# • “Tirer la leçon” de Karl Popper# • “Emprunter les flèches... ”, un problème poppérien# La théorisation chez Gao Minglu# • De la peinture rationnelle au maximalisme chinois# • Le maximalisme, une spécificité de lʼart chinois ?# • Yi pai lun, une théorie contre la représentation# Yi, concept primordial de lʼesthétique classique#. 515 516 521 530 532 539 553 555. Yi ou la fusion des trois concepts classiques li, shi, xing#. 571. Le cadre de légitimation# Les intentions de lʼauteur# La structure du livre, entre profusion et confusion# Yi pai lun : mode dʼemploi# Les œuvres dans lʼexposition#. 580 582 585 605 613. La recension du livre# ★ La sentence de Wang Nanming# ★ Lʼétude de Liao Shangfei# Conclusion : Yi pai lun, un écrit controversé#. 621 624 632 655. Lʼ“art critique” de Wang Nanming# • Parcours singulier dʼun critique “indépendant”# • Lʼart contemporain chinois miné par le post-colonialisme# • La leçon de Peter Bürger et la “méta-avant-garde”# • Art politique et politisation de lʼart# ★ Des œuvres à la théorie, de la théorie aux œuvres# • Lʼartiste “critique” : du lettré à lʼintellectuel# • Lʼart critique, une théorie transdisciplinaire# Conclusion générale". 659 659 665 667 669 671 678 680 687 11.

(12) Sommaire. Annexes". 695. Références bibliographiques". 695. Ouvrages et articles cités# Sites internet cités#. 695 749. Illustrations". 751. Lexique, néologismes et translitérations". 771. • Mouvements# • Vocabulaire artistique et esthétique# • Translitération des noms occidentaux#. 771 772 774. Documents, textes originaux et traductions". 779. Documents et articles des revues présentées# • Histoire - concepts- personnalité# • Lénine et l'école moderniste# • Le défi de Zhu Xinjian# • Association des artistes chinois dʼoutremer# • La peinture traditionnelle est dans une impasse# • Attribuer ou se partager les prix# • Une époque dans lʼattente dʼune grande âme...# Au sujet de lʼexposition China/Avant-garde de 1989# • Artistes participant à China/Avant-garde# • ZGMSB du 13 mars 1989#. 779 779 785 787 789 791 795 798 808 808 809. ★ ★ ★. 12. Chapeau de lʼéditeur# Deux détonations, dernier salut de lʼart moderne !# Analyse des détonations au musée des beaux-arts#. 809 809 812. • Ne pas revenir en arrière# • La roulette et dada# • Aperçu de lʼexposition dʼart moderne chinois# • Interview de Gao Minglu# • Interview de Li Xianting# Polémiques, encore et toujours# • Pourquoi nʼy a-t-il pas Wang Guangyi ?# Au sujet de lʼexposition Yi pai : La pensée du siècle (2009)#. 814 818 820 834 845 853 853 857. Index onomastique". 859. Remerciements". 871.

(13) Introduction. Introduction Remarques préliminaires Représenté en paysan courbé sous une charge trop lourde ou en martyr levant haut une lanterne pour indiquer le chemin, le critique chinois tient une place notable dans lʼœuvre-fresque du sculpteur Li Zhanyang 李占洋, une adaptation ironique de la monumentale sculpture réaliste-socialiste Cour de la collecte du fermage des années 1960 (Ill. 1). Paysans spoliés et propriétaire foncier cupide sont remplacés par les différents acteurs du milieu de lʼart. Artistes célèbres, collectionneurs, commissaires dʼexposition, galeristes se joignent à nos deux critiques Li Xianting 栗宪庭 portant son tribut et Gao Minglu 高名潞, les fers aux pieds, mais éclairant la voie vers la théorie salvatrice. Dans cette pièce réalisée en 2007, exposée à la galerie Urs Meile à Pékin en 2008, Li Zhanyang dresse un portrait pertinent de la scène artistique de son pays : quʼil soit chinois ou occidental, créateur, diffuseur, soutien financier, critique, artiste, chaque personnage campé par Li a contribué en Chine au succès de lʼart contemporain. Motivations de départ Cʼest par la description dʼune œuvre que je débute cette introduction. Pourquoi alors sʼintéresser à la critique plutôt quʼà lʼart ? Les œuvres suscitent une réaction immédiate, elles ne laissent jamais indifférent : lʼamateur peut devant chaque pièce qui lʼinterpelle convoquer ses expériences, établir des relations, engager une réflexion personnelle. Et lʼart contemporain chinois, quʼil soit séduisant, ironique, radical ou sulfureux, nous apprend en outre beaucoup sur la situation dʼun pays en pleine mutation, motivant de nombreuses recherches : une consultation des sujets de thèses dans les différents fichiers accessibles sur internet donne la mesure de lʼattention quʼil suscite dans le milieu universitaire. Filiations, emprunts, portée sociale, contexte politique, mondialisation, ou encore questions plus prosaïques comme le marché de lʼart sont autant de thèmes traités. Moins ostentatoire, plus discrète, la critique ne se laisse pas appréhender directement. Le texte fait écran. Cependant, les critiques chinois ont joué un rôle prépondérant dans lʼessor de lʼart contemporain, comme le précise 13.

(14) Introduction. métaphoriquement lʼun dʼentre eux, He Guiyan 何桂彦 qui sʼinterroge sur lʼindépendance de la discipline : “critiques et artistes étaient unis, compagnons d’armes dans les tranchées”. Dans mon mémoire de master-recherche soutenu en 2008 jʼai défini le cadre dʼémergence de la critique dʼart chinoise après 1979. En mʼappuyant essentiellement sur l'ouvrage de Jia Fangzhou 贾 方舟 Ère de la critique, publié en 2003, je me suis ainsi familiarisée avec de nombreux auteurs, repérant parmi eux les personnalités marquantes tout en relevant les sujets qui suscitent aujourd'hui le plus de débats dans la profession. Ma thèse sʼinscrit dans la suite logique de ce premier travail, passant en quelque sorte du contexte aux textes. Indéniablement ces écrits, rédigés dans un pays totalitaire où lʼexpression reste sous surveillance, gagnent à être mieux connus. Cʼest une des raisons qui a déterminé ma recherche : la volonté de comprendre les choix et les implications des critiques, depuis lʼémergence de nouvelles formes artistiques après la Révolution culturelle, à la prise de conscience dʼune exigence théorique au milieu des années 1980, jusquʼà une distanciation indispensable pour conter à partir des années 2000 des “histoires de lʼart contemporain chinois”. Dʼune manière générale, les thèses consacrées à lʼart contemporain chinois font peu de cas du travail des critiques. Ces derniers apparaissent dans les bibliographies mais leurs textes sont rarement étudiés, quoique parfois certains auteurs nʼhésitent pas à mettre en doute les compétences des uns et des autres, raillant un style jargonneux et creux. Ces allégations très défavorables à lʼencontre des critiques chinois ne mʼont pas dissuadée dans mon projet visant à mettre en évidence leurs apports théoriques. Lʼautre raison dépend dʼune motivation plus profonde qui sʼest clarifiée au cours du travail. En effet, je ne me suis pas lancée dans cette entreprise pour espérer faire carrière, puisque ma vie professionnelle est désormais derrière moi ; le plaisir de la recherche (qui se transforme à certains moments en épreuve) ne suffit pas à expliquer ma résolution. Or ces auteurs, ceux qui sont nés avec la république populaire de Chine sont en fait à peu près de ma génération. En tant quʼintellectuels, ils ont été victimes de la haine tenace de Mao pour cette catégorie sociale qualifiée de “puante”. Ils ont ensuite trouvé lʼénergie de passer les examens pour entrer à lʼuniversité puis ont. 14.

(15) Introduction. accompagné les réformes et ont participé à la “fièvre culturelle” qui a redonné vie à lʼintelligentsia chinoise. Cʼest une forme dʼempathie qui mʼa ainsi mobilisée en mʼoffrant lʼoccasion de leur rendre hommage à travers cette thèse. Cadre historique et repères essentiels (1978-2013) Les textes que je présente, écrits de 1978 à 2013, sont indissociables du contexte politique, une succession de phases dʼapaisement alternant avec des campagnes de répression, selon le bon vouloir du Parti communiste chinois. La mort du Premier ministre Zhou Enlai le 8 janvier 1976, suivie du premier Printemps de Pékin en avril, marque le début dʼune année décisive dans lʼhistoire de la Chine. Le décès de Mao Zedong le 9 septembre 1976 et lʼarrestation de la Bande des Quatre en octobre, entérinent la fin de la Révolution culturelle (1966-1976). La période stimulante dite dʼOuverture et de réformes Gaige kaifang 改革开放, initiée par Deng Xiaoping (1904-1997), qui orchestre son retour au pouvoir en sʼappuyant sur les intellectuels, débute en 1978. Elle sʼaccompagne dʼun mouvement de libération de la pensée qui favorise une reprise des activités éditoriales, auxquelles participent activement artistes et critiques. Au cours de la décennie des années 1980, la Chine avance dans les réformes économiques mais renonce aux réformes politiques auxquelles aspire lʼintelligentsia. Les revendications de démocratie nʼobtiennent alors comme réponse que la répression (arrestations de plusieurs personnalités). Les événements de 1989 qui agitent le monde communiste atteignent la Chine, mais dans le bras de fer des étudiants avec le régime, lʼoccupation de la place Tianʼanmen en mai et juin 1989 (deuxième Printemps de Pékin) se termine dans un bain de sang et sera suivie de deux longues années de fermeture et de repli. En 1992, Deng Xiaoping relance les réformes et encourage lʼaccueil dʼinvestisseurs étrangers. Sous lʼemprise des règles du capitalisme et du libéralisme, le pays se transforme de manière radicale au cours des années 1990. Les années 2000 sont celles de lʼaccès au statut de grande puissance, une Chine complètement intégrée dans le réseau de la mondialisation, mais qui refuse toujours la liberté dʼexpression en. 15.

(16) Introduction. contrôlant les supports de lʼinformation et les échanges sur Internet. Préservant coûte que coûte lʼautorité du Parti, les dirigeants réfrènent lʼémergence dʼune société civile indispensable à tout débat démocratique. Cʼest dans un tel contexte défavorable que les critiques dʼart sont parvenus à poser les bases de leur discipline. Écueils de lʼ“Import-export intellectuel” Consacrer une étude aux écrits de ces auteurs qui endossent plusieurs fonctions, celles de critique, de commissaire dʼexposition, dʼhistorien dʼart, de théoricien, dʼenseignant, sʼavère indispensable et urgent. Mais étudier la critique dʼart contemporaine chinoise astreint à se confronter à la circulation de textes, dʼune langue à lʼautre, dʼun mode de pensée à lʼautre, dʼune tradition à lʼautre, et souvent à un travail de re-traduction des théories et des concepts occidentaux introduits, explicités par de nombreux auteurs. Pierre Bourdieu, il est vrai, dans le contexte des échanges franco-allemands, lors dʼune allocution intitulée “Les conditions sociales de la circulation internationale des idées”, prononcée en 2002, analyse les difficultés de ce quʼil désigne comme un véritable “import-export intellectuel” : Le fait que les textes circulent sans leur contexte, qu'ils n'importent pas avec eux le champ de production – pour employer mon jargon – dont ils sont le produit et que les récepteurs, étant eux-mêmes insérés dans un champ de production différent, les réinterprètent en fonction de la structure du champ de réception, est générateur de formidables malentendus.. Ces auteurs chinois, qui se posent en découvreurs de théories occidentales, quʼils les prennent comme modèles pour proposer un outil conceptuel – ainsi lʼanalyse situationnelle présentée par Dai Dan 戴丹 à partir des thèses de Karl Popper, ou quʼils les confrontent aux traités classiques, tel Gao Minglu inventant (ou redécouvrant) la théorie de lʼÉcole du yi, une synthèse de notions esthétiques de la Chine classique et dʼemprunts aux philosophes allemands et français passés au travers de la médiation américaine — sont confrontés à cette situation et agissent tous selon un faisceau dʼintérêts, comme le soulève Bourdieu dans la même allocution :. 16.

(17) Introduction. Qui sont les découvreurs et quels intérêts ont-ils à découvrir? Je sais bien que le mot « intérêt » choque. Mais je pense que celui qui s'approprie, en toute bonne foi, un auteur et s'en fait l'introducteur a des profits subjectifs tout à fait sublimés et sublimes, mais qui sont néanmoins déterminants pour comprendre qu'il fasse ce qu'il fait. [...] Ce que j'appelle « intérêt », ce peut être l'effet des affinités liées à l'identité (ou l'homologie) des positions dans des champs différents [...]. Faire publier ce que j'aime, c'est renforcer ma position dans le champ - cela que je le veuille ou non, que je le sache ou non, et même si cet effet n'entre en rien dans le projet de mon action. Il n'y a pas de mal à ça, mais il faut le savoir. [...] On peut comprendre ces échanges comme des alliances, donc dans la logique des rapports de force, comme, par exemple, des manières de donner de la force à une position dominée, menacée.. Le diagnostic de Bourdieu sʼapplique aux écrits de ces auteurs chinois que jʼai choisi dʼétudier qui sont des passeurs entre deux cultures, mais aussi à mon propre travail car jʼintroduis lʼamateur dʼart occidental à la lecture dʼune sélection de critiques dʼart chinois au risque de reprendre ou de commettre des malentendus. Loin de moi le désir de mʼapproprier ces auteurs ou de “renforcer ma position”. Dans cette recherche, je tente dʼéviter les écueils que dénonce Bourdieu dans son avertissement : Et aussi parce que le transfert d'un champ national à un autre se fait à travers une série d'opérations sociales : une opération de sélection (qu'est-ce qu'on traduit? qu'est-ce qu'on publie ? qui traduit ? qui publie ? ; une opération de marquage (d'un produit préalablement « dégriffé ») à travers la maison d'édition, la collection, le traducteur et le préfacier (qui présente l'œuvre en se l'appropriant et en l'annexant à sa propre vision et, en tout cas, à une problématique inscrite dans le champ d'accueil et qui ne fait que très rarement le travail de reconstruction du champ d'origine, d'abord parce que c'est beaucoup trop difficile) ; une opération de lecture enfin, les lecteurs appliquant à l'œuvre des catégories de perception et des problématiques qui sont le produit d'un champ de production différent.. Lʼobjet de ce travail, en présentant le “champ dʼorigine” et le contexte qui colle aux textes, est de répondre à cette question posée par Bourdieu. Elle concerne les enjeux qui mobilisent les intellectuels dans leur démarche théorique, soit la légitimation de leur statut, une rivalité avec les grands théoriciens occidentaux, ou simplement la tentative de donner une rigueur à cette discipline quʼils construisent, en redécouvrant leur propre culture, mise à mal pendant lʼère maoïste, tout en assimilant plus ou moins bien les thèses occidentales. Depuis la fondation de la république populaire de Chine (1949), 17.

(18) Introduction. la critique appartient à un domaine “interdit”, inexploré, celui des sciences humaines. Lʼétude de son émergence est donc indissociable du contexte dans lequel lʼintelligentsia a retrouvé son statut et a assumé un rôle de tout premier plan dans la transformation du pays. Délimitation du corpus Les écrits critiques existent sous plusieurs formes : articles de presse, textes de catalogues dʼexposition, anthologies diverses, histoires de lʼart chinois, ou encore livres plus ambitieux à visée théorique. Pour mʼorienter dans ce foisonnement et circonscrire mon propos, jʼai suivi deux thématiques : dʼune part le propre regard des critiques sur leur pratique et les débats concernant la difficile genèse de cette discipline quʼils ont eux-mêmes fondée, soit des préoccupations qui relèvent de la méta-critique ; dʼautre part lʼabstraction, une question récurrente car assimilée à lʼart occidental et censée être porteuse de valeurs démocratiques. Avec ces contraintes que je me suis imposées, jʼai privilégié au départ les auteurs engagés dans le développement de lʼart chinois mais qui étaient peu ou pas connus en France. Incontournables sont les deux personnalités mises en avant dans lʼœuvre de Li Zhanyang : Li Xianting et Gao Minglu. Leurs écrits, en partie publiés dans des catalogues d'exposition, sont en étroite relation avec les œuvres. Les textes que jʼai réunis se complètent, se répondent ou s'opposent, ils constituent un ensemble que jʼai progressivement enrichi de références proposées par les auteurs. Ce parcours dans la critique chinoise, parfois sinueux et contingent, est resté ouvert aux surprises, tels les travaux de deux étudiantschercheurs, Sun Peng 孙鹏 et Liao Shangfei 廖上飞, qui jugent les critiques dʼart et les textes sur lesquels porte ma propre étude. Un autre heureux hasard, le lancement en 2008, alors que je commençais mes recherches, de la revue Pipingjia 批评家 [Critique ou Art Critic], une publication trimestrielle, entièrement consacrée à la critique, conçue et réalisée par les membres de lʼassociation nationale des critiques dʼart. Au fil des rubriques des différents numéros et des colonnes ouvertes aux jeunes auteurs, jʼai pris la mesure des débats “à chaud” qui ont animé les nombreuses sessions annuelles organisées par lʼassociation. Les thèmes retenus, développés, discutés par. 18.

(19) Introduction. les critiques ont aussi enrichi ma réflexion. Avançant de texte en texte, jʼai ainsi découvert lʼœuvre téméraire et polémique de Wang Nanming 王南溟 qui prend à rebours les idées de Gao Minglu, en défendant un art de nature critique. En rassemblant ce corpus, je ne prétends pas proposer une anthologie de la critique dʼart chinoise, mon ambition est plus modeste : mettre en lumière quelques auteurs que je qualifie, en parodiant la nomenclature chinoise, de moyens-vieux, moyens-jeunes et jeunes, tous engagés dans une réflexion théorique et impliqués, en tant que commissaires dʼexposition, dans lʼessor de lʼart contemporain chinois. Étendue de la recherche et champs disciplinaires Mon travail concerne deux grands domaines – les sciences de l'art et la connaissance de la Chine. La critique contemporaine chinoise offre des passages constants entre les textes d'esthétique classique et ceux de la modernité occidentale, analysée, commentée, évaluée à partir de nombreuses références, essentiellement anglo-saxonnes : les écrits dʼAloïs Riegl, Roger Fry, Clive Bell, Erwin Panofsky, Harold Rosenberg, Thomas Mitchell, Clement Greenberg, Karl Popper, Peter Bürger, Michael Fried, Arthur Danto... Il s'agit pour les auteurs chinois, en particulier Gao Minglu, d'en souligner les failles avec l'ambition de les combler par leurs propres théories. Lors de mes lectures, jʼai découvert en quelque sorte une sinologie inversée, soit une “occidentologie” : la présentation aux lecteurs chinois des textes majeurs de l'esthétique occidentale, de Platon à Danto. Mais contrairement aux sinologues qui portent un regard positif sur les textes qu'ils étudient, les auteurs chinois montrent souvent une défiance vis-à-vis de la pensée occidentale, avec en filigrane, la volonté de démontrer la supériorité de la pensée orientale. Une des questions que je tente de résoudre est de saisir si cette attitude intellectuelle ambiguë est due à l'influence du courant néoconfucianiste ou à l'emprise du nationalisme et sʼil en est ainsi dʼapprécier le degré de compréhension de la modernité occidentale à travers les textes cités. Une autre interrogation porte sur l'impact du structuralisme, du postmodernisme et du post-structuralisme. Michel Foucault ou Jacques Derrida. 19.

(20) Introduction. sont souvent mentionnés, je m'efforce de montrer comment ces auteurs de la French Theory ont nourri, malgré les difficultés de passer dʼune langue à lʼautre, la réflexion des critiques chinois. Ces diverses références à la pensée occidentale mʼont amenée à confronter les versions chinoises des extraits cités avec le texte original ou la traduction en français quand elle existe, afin dʼen apprécier lʼintelligibilité et la pertinence et dʼévaluer dans quelle mesure ce détour par la pensée occidentale sert ou dessert l'argumentation théorique de l'auteur. Les ouvrages de Gao Minglu, auteur prolifique, sont au cœur de mon travail. Sa réflexion théorique depuis le milieu des années 1980 lʼa conduit à restaurer les concepts de la peinture classique, à les appliquer à lʼart contemporain et à les fondre avec les notions poststructuralistes en un tout indivisible et atemporel, le yi 意, car il considère que les concepts occidentaux ne sont pas valides pour analyser et interpréter les œuvres chinoises, il faut donc créer des concepts propres à la Chine. Il propose ainsi une terminologie qui lui a valu le surnom confucéen de “rectificateur des noms”. Gao défend des points de vue parfois contestables, avec une argumentation pas toujours irréfutable dans son ouvrage Théorie de lʼÉcole du yi [Yi pai lun 意派论] paru en 2009, que je présente longuement dans le cinquième chapitre. Malgré des défauts, ce discours théorique est un témoignage édifiant sur cette volonté d'embrasser à la fois l'esthétique, la sémiologie, la linguistique, l'histoire de l'art... tout en revenant aux catégories classiques, notions complexes que les sinologues occidentaux comme Nicole Vandier-Nicolas, Pierre Ryckmans, Yolaine Escande, ou encore François Jullien ont analysées avec rigueur. La traduction constitue le préalable à ma recherche. Au cours de cette étape, je me suis confrontée à la difficulté de cerner ces nombreux néologismes créés ou repris par les auteurs pour désigner les concepts esthétiques de la modernité occidentale. Ce travail lexical me semble fondamental, il est aussi au cœur des préoccupations des critiques, par exemple Duan Lian 段炼, dans un article concernant la réception de Michel Foucault, réexamine la terminologie utilisée par le traducteur et en démontre les insuffisances. Jʼexplicite ainsi plusieurs termes relevés au cours de mes lectures dans le chapitre V et je propose en annexe les bases dʼun outil répertoriant à la fois le. 20.

(21) Introduction. vocabulaire technique et notionnel, les dénominations de mouvements artistiques apparus tout au long du XXe siècle ainsi que les translitérations de nombreux noms d'artistes et dʼauteurs occidentaux. Cet outil complète le Dictionnaire des beaux-arts anglais-chinois de Zhang Rongsheng 张荣生 et Wu Dazhi 吴达志 publié en 2011 aux éditions Renmin meishu de Pékin et pourrait s'avérer utile à d'autres chercheurs concernés par le domaine de l'art. Structure de la thèse : du contexte aux textes Lʼorganisation de ma thèse me semblait au départ assez simple, présenter par génération les auteurs retenus, commenter et donner des extraits de leurs textes, en repérer les principaux paradigmes. Or je me suis vite aperçue que cette structure ne rendait pas compte de la complexité de la situation chinoise. Trop de questions mʻavaient accaparée dans mon travail de lecture et de traduction, la situation des revues et leurs liens avec le pouvoir, les problèmes de traduction, lʼaccès aux textes occidentaux et leur compréhension... Jʼen suis venue à traiter ces différents points au risque de repousser mon sujet central - les textes théoriques - en proposant un parcours plus sinueux, à travers cinq parties dédiées à la critique, aux acteurs et aux conditions de la recherche, au contexte et aux outils, pour les trois premières, puis aux textes pour les deux dernières. Dans lʼannexe jʼai regroupé la bibliographie, les illustrations, un choix de traductions et un index. Si parmi les différents chapitres, seul les deux derniers répondent réellement à mon projet initial, les précédents – un détour qui mʼest apparu nécessaire – concernent bien la critique dʼart et les critiques en Chine, car jʼai veillé à prendre en compte autant que possible les témoignages de ces derniers. Dans le premier chapitre, tout en délimitant le champ de ma recherche, je rappelle que la critique dʼart en Chine sʼest construite sur les ruines de la critique publique, un “sport national” dans la Chine maoïste, le terme chinois piping 批评 est directement issu de cette critique publique, qui a laissé de sinistres traces. Puis je présente les principales personnalités ainsi que la variété des formes de publications, officielles ou non. Parmi ces supports, les revues spécialisées – le principal outil du chercheur – méritent une attention 21.

(22) Introduction. particulière. Elles reflètent directement – à chaud – le contexte de lʼépoque et le système régissant artistes et critiques. Je propose ainsi une histoire de la critique et de lʼart à travers les choix éditoriaux de ces revues qui insistent sur certains événements et en passent dʼautres sous silence. Dans la mesure où les modalités intrinsèques de la critique sont indissociables dʼun cadre démocratique garantissant une liberté dʼexpression, les tiraillements entre rigueur intellectuelle et propagande nationaliste chez les critiques chinois mʼont poussée à étudier le contexte idéologique dans le deuxième chapitre : je dresse un portrait de ces intellectuels dʼune curiosité insatiable en retraçant leur parcours. Je rends compte aussi de lʼétat de leur outil de travail, la langue, profondément contaminée par les slogans maoïstes. Leurs très nombreuses références – auteurs occidentaux, contemporains ou fondateurs de la pensée occidentale, mêlés aux auteurs chinois traversant aussi toute lʼhistoire de la Chine – des Royaumes combattants jusquʼau début du XXe siècle – mʼont incitée à décrire dans ce même chapitre cette situation dʼimport-export culturel. Le troisième chapitre est consacré à lʼétat de la critique, je me réfère à des articles dénonçant son “aphasie”, ses défaillances et sa soumission au marché. Jʼy décris aussi lʼorganisation officielle dʼune critique sous tutelle. Jʼouvre ce chapitre en rappelant le mode critique de la Chine classique, en prise avec le politique à travers la fonction du lettré-mandarin. Ces “théories esthétiques”, remontant aux premières dynasties de lʼAntiquité, privilégient lʼattitude morale et attirent en ce début du XXIe siècle lʼattention de plusieurs auteurs, cʼest pourquoi jʼen précise les différents concepts, et je mets en évidence les critères qui restent encore valides dans les textes contemporains. Dans ce chapitre apparaît en filigrane une forme dʼhistoire de la critique chinoise. Pour rappeler lʼhistoire récente de la Chine et de lʼart contemporain, mais sans répéter les chronologies publiées dans de nombreuses thèses ou catalogues, tout en restant concentrée sur mon objectif, jʼai choisi dʼune part de retracer dans le deuxième chapitre lʼhistoire des revues dʼart et des éditions, dans lesquelles jʼai puisé une grande quantité de matériaux, puis de présenter dans le quatrième chapitre plusieurs “histoires de lʼart contemporain chinois”, écrites. 22.

(23) Introduction. par les critiques chinois (Gao Minglu, Lü Peng 吕澎 et Lu Hong 鲁虹). En abordant le discours historique, je mets en avant deux types de positions théoriques chez les auteurs : rendre compte soit de lʼinfluence du modèle sociologique qui suit les événements historiques et politiques, soit dʼune préoccupation philosophique, cherchant à éviter une “histoire linéaire”, en intégrant les concepts structuralistes et post-structuralistes ou encore postcolonialistes. Ainsi pour introduire leurs “histoires de lʼart chinois” la plupart des auteurs convoquent le philosophe italien Benedetto Croce. Dans ce chapitre, je traite également en détail les différents articles annonçant puis dénonçant lʼexposition China/Avant-garde de février 1989, événement marquant qui a “échappé” à ses organisateurs. Sa portée historique sʼest révélée après coup – expression empruntée à Hal Foster – en raison de la présence dʼartistes qui nʼont pas hésité à braver lʼinterdiction institutionnelle de pratiquer dans lʼenceinte du musée certaines formes artistiques. Par la voix des critiques, ce chapitre offre au lecteur un historique du développement de lʼart contemporain chinois et fait ainsi office de chronologie. Le dernier chapitre débute avec la nécessaire clarification de la terminologie en raison des difficultés de traduction. Jʼai privilégié un ensemble de textes axés sur lʼart abstrait puis des écrits affichant une ambition théorique afin de témoigner du travail considérable mené par les critiques chinois depuis trois décennies. Pour chaque ouvrage, je tiens compte de leur accueil par la profession et résume les principales remarques ou attaques des détracteurs. Au cours du travail de rédaction de ces cinq chapitres, jʼai veillé à faire une distinction claire entre les résumés que je construis à partir de mes traductions ou de mes notes de lecture, mes commentaires et remarques agrémentés parfois dʼavis positifs ou négatifs quand cela mʼa semblé indispensable, et les extraits cités qui illustrent un style, un raisonnement et une prise de position. Des questions à la théorie Les critiques que jʼai choisis appartiennent à trois générations : ceux nés avec la république populaire de Chine (1949) (les “enfants de Mao”) et qui ont donc en tant que “jeunes instruits” subi la rééducation à la campagne, nʼentrant à lʼuniversité quʼaprès la Révolution culturelle (Li Xianting, Gao Minglu, Wang. 23.

(24) Introduction. Lin ou Yi Ying...) ; ceux qui ont pu suivre une scolarité normale, (nés au début des années 1960 et pendant la Révolution culturelle) (Duan Lian, Wang Nanming, He Guiyan...) et la nouvelle génération, née avec la Chine de Deng Xiaoping ouverte sur lʼextérieur (de la fin de la Révolution culturelle au début des années 1990) (Bao Dong 鲍栋, Dai Dan, Liao Shangfei, Sun Peng...). Ces derniers ont attiré mon attention car ils entreprennent des recherches sur les textes de leurs aînés. Compétences et éthique Jia Fangzhou décrit très bien la situation de la critique en fonction du contexte politique : ayant pris en main dans les années 1980 les rédactions des organes de presse, les critiques de la première génération sont véritablement les “chefs spirituels” de la nouvelle vague ou “mouvement de 1985”, qui marque les débuts de lʼart contemporain chinois. La censure qui sévit après les incidents de Tianʼanmen de juin 1989 contraint ceux restés en Chine à changer de rôle et à assumer la tâche de commissaires dʼexposition, renforçant ainsi leur position. Mais la relance de la politique dʼouverture économique en 1992, facilitant les investissements étrangers, et par conséquent, le développement du marché de lʼart et lʼapparition de nombreuses galeries, fragilise leur indépendance et leur intégrité. Ils perdent aussi leur position hégémonique et incontournable, car les artistes qui se sont considérablement enrichis nʼont plus besoin de leur soutien pour atteindre la notoriété. Lʼabondance des articles appartenant à la catégorie de la “méta-critique” témoigne dʼun regard introspectif sur la discipline. Éthique, rhétorique, critères, pertinence, indépendance sont les principaux sujets abordés. Les textes choisis permettent de décrire le constat sans concession que font les critiques de la première génération sur une critique “littéraire” dont les bases théoriques font défaut. À cette époque – le milieu des années 1980 – tous les regards étaient tournés vers lʼOccident, lʼontologie bentilun 本体论 de la critique est au cœur des débats, il est urgent dʼassimiler les écrits de Venturi, Gombrich, Panofsky pour sortir du simple commentaire. Une autre question récurrente toujours présente dans les textes récents est. 24.

(25) Introduction. lʼéthique des critiques, mise à mal par leur système de rémunération et les enjeux financiers dʼune reconnaissance internationale, le pessimisme est palpable chez certains auteurs comme He Guiyan. La compétence de ces critiques est aussi mise en doute : des défaillances théoriques, un manque de curiosité, une méconnaissance des textes classiques et occidentaux et une formation insuffisante et inadaptée dont je détaille dans le chapitre III les cursus au sein des instituts des beaux-arts. Liao Shangfei, jeune diplômé, souligne aussi une situation défavorable au débat dʼidées. Il déplore les rivalités professionnelles et stigmatise les réticences à reconnaître entre pairs la pertinence des idées avancées à travers lʼexemple de Wang Nanming. Lʼesprit de dialogue perceptible lors des entretiens publiés en pleine effervescence culturelle, dont je rends compte dans le chapitre V, est remplacé par des attaques, pamphlets ou satires comme lʼillustrent les réactions au dossier célébrant lʼart contemporain chinois publié par lʼhebdomadaire Xin zhou kan 新周刊 en 2011 ou lʼabsence totale dʼéchanges constructifs entre Gao Minglu et ses détracteurs. La rhétorique est aussi étudiée : Pi Daojian 皮道坚 montre comment et pourquoi la terminologie a évolué entre 1980 et les années récentes. Les supports de la critique sont les matériaux même de mon travail. Toutes les revues, officielles comme Meishu 美术, [Beaux-arts] ou “électrons libres” comme Zhongguo meishu bao 中国美术报 [Beaux-arts de Chine], ont accueilli les textes défendant les nouvelles pratiques artistiques. Évacuant rapidement le langage stéréotypé de la période maoïste, elles ouvrent largement leurs colonnes aux artistes qui peuvent ainsi défendre eux-mêmes leur démarche. Véritables outils de formation, elles rendent compte de la curiosité sans limites des critiques chinois et de leurs lecteurs. Ainsi en 1986, Meishu publie une traduction dʼécrits de quatre artistes conceptuels américains : Sol LeWitt, Joseph Kosuth, Robert Irwin, Agnes Denes, les deux derniers étant pratiquement inconnus en France à cette époque. Les revues en prise avec lʼactualité politique et artistique sont animées par des discussions intenses. La polémique la plus retentissante étant celle provoquée par lʼarticle dʼun jeune doctorant de Nankin, Li Xiaoshan 李小山, publié en juillet 1985 dans Jiangsu. 25.

(26) Introduction. Huakan 江苏画刊 [Peintures du Jiangsu] 1 . Li remettait en cause non seulement la qualité de la peinture traditionnelle chinoise, mais aussi lʼéthique des peintres, dénonçant les défaillances des plus célèbres dʼentre eux. Un an après cette publication, reprise par dʼautres revues, dont certaines avaient carrément réservé une “rubrique spéciale” à cette querelle, les “réponses” fustigeant le jeune auteur ou au contraire le félicitant, paraissaient toujours. Li Xiaoshan a provoqué un réexamen complet de la peinture traditionnelle chinoise, appelée généralement “peinture nationale” guohua 国画. Son article a contribué à approfondir les exigences de qualité de la critique dʼart ainsi quʼà poser les premiers questionnements théoriques. Nationalisme et sinéité On croit souvent que la vie intellectuelle est spontanément internationale. Rien n'est plus faux. La vie intellectuelle est le lieu, comme tous les autres espaces sociaux, de nationalismes et d'impérialismes, et les intellectuels véhiculent, presque autant que les autres, des préjugés, des stéréotypes, des idées reçues, des représentations très sommaires, très élémentaires, qui se nourrissent des accidents de la vie quotidienne, des incompréhensions, des malentendus, des blessures (celles par exemple que peut infliger au narcissisme le fait d'être inconnu dans un pays étranger). (Bourdieu 2002). La Chine reste un pays dirigé par un parti unique qui a exercé un contrôle idéologique absolu sur lʼart et la littérature, interdisant ou imposant styles et sujets. Pour illustrer dans le deuxième chapitre – Le poids de lʼidéologie – les retournements politiques qui malmènent les intellectuels, tantôt ennemis publics, tantôt artisans des réformes, jʼai choisi de dresser un portrait de Zhou Yang, ancien “chien de garde” de la culture au début de la République populaire, devenu lʼun des principaux réformateurs au lendemain de la Révolution culturelle. Les années quatre-vingt sont une décennie de “tous les possibles”, mais après lʼavortement des réformes politiques suite aux événements de Tianʼanmen, lʼenthousiasme fait place au désenchantement au cours des années quatre-vingt-dix, celles de la revanche du commerce, puis la montée du nationalisme marque les années 2000. Ce “poids de lʼidéologie”. 1. Li Xiaoshan, étudiant en maîtrise de peinture chinoise traditionnelle de l'institut des beauxarts de Nankin, publie en juillet 1985 "Mon avis sur la penture chinoise contemporaine" dans le numéro 7 de Jiangsu huakan. (JIA, 2003, 1, 406) (cf. texte et traduction p. 791-794). 26.

(27) Introduction. est dénoncé par plusieurs critiques qui distinguent le nationalisme culturel quʼils auraient tendance à approuver dʼun nationalisme “étroit” quʼils condamnent. Ils appellent à la vigilance et réagissent parfois avec ironie à la campagne confucéenne qui affiche à tout va le concept dʼharmonie en visant la société chinoise en son entier. Lʼidéologie plus subtile sʼincarnant dorénavant dans le nationalisme a comme arme de séduction le soft power qui concerne la culture et affecte le travail des critiques, dont la préoccupation sʼoriente de plus en plus vers la culture classique afin de revendiquer leur sinéité. Les auteurs occidentaux – y compris Platon et Aristote – sont alors décriés pour mettre en avant la quintessence de la pensée chinoise, un changement radical par rapport aux années quatre-vingt. Mais à lʼinverse, un auteur comme Wang Nanming sʼélève contre lʼaffichage ostentatoire dʼune identité chinoise, prenant pour cible Gao Minglu, en quête dʼune théorie propre à la Chine pour interpréter lʼart contemporain chinois, et les artistes qui manipulent à lʼinfini les “symboles de la culture chinoise”. Face à cette sinéité qui fait office de bannière, que Gao Minglu défend comme un concept spéculatif, porteur de la modernité chinoise, Wang oppose une attitude critique, interventionniste, sondant ce quʼil nomme la “situation problématique chinoise”, au risque de passer pour “traître à la patrie”. Pour lui lʼartiste et le critique doivent revendiquer un statut dʼintellectuel, une posture critique et indépendante. Il distingue cet intellectuel idéal du fonctionnaire-lettré classique, trop proche du pouvoir. Lʼart et la critique que défend Wang Nanming ne peuvent sʼépanouir que dans une société libérale et démocratique. Lʼanalyse de cette critique de la critique montre que les conditions de travail restent affectées par lʼemprise de la politique. Orient/Occident : attirance et défiance Comment qualifier les relations dʼéchanges réciproques entre Orient et Occident ? Faut-il retenir la leçon de Baxandall qui condamne le terme dʼ« influence », selon lui “lʼun des fléaux de la critique dʼart” ? En progressant dans ma recherche, le terme « dialogue » sʼest peu à peu imposé à moi. Cependant, le nationalisme exacerbé, encouragé par le sommet de lʼÉtat – le 27.

(28) Introduction. président Hu Jintao, avant de céder sa place à son successeur Xi Jinping, préconisait de “résister aux forces hostiles qui tentent d'occidentaliser notre culture”, et dʼ“exporter la culture chinoise” – a pour revers la tendance à systématiquement opposer Orient et Occident, bien que les emprunts se soient faits dans les deux sens, selon lʼadage que “lʼancien de lʼun est toujours le nouveau de lʼautre”. Une telle vision antagoniste réduit la portée du travail des critiques qui, à lʼinstar de Gao Minglu, tente de faire émerger des corrélations entre les modes de pensée occidentaux et chinois. Tout en préconisant lʼemprunt-appropriation, Gao offre au lecteur un résumé trop rudimentaire de lʼart occidental qui sert en fait son ambition théorique, montrer la supériorité de la pensée chinoise, au risque dʼêtre raillé par la jeune génération : “Gao lève son concept yi comme une arme pour défier toute la culture occidentale, mais cette arme reste dérisoire”. Et lʼart contemporain occidental expliqué aux Chinois par Gao – hanté par la dichotomie, miné par la mimesis – est bien différent de celui qui mʼest familier. Engouement pour la French Theory Lʼune des questions que je mʼefforce de résoudre dans ma thèse est lʼimmense curiosité des critiques chinois pour la “théorie française”, cʼest-à-dire les écrits de philosophes français, essentiellement de la mouvance structuraliste, mais passés par la médiation américaine, soit la “French Theory”. Une mode qui sʼest développée sur les campus américains en même temps que les cultural studies et les subalterne studies. Ce brassage dʼidées répondait aux préoccupations des critiques chinois – en particulier ceux qui poursuivaient leurs études aux ÉtatsUnis – et qui réfléchissaient à la situation de lʼart chinois dans la nouvelle configuration mondiale. Pour tenter de retracer lʼitinéraire quʼont suivi les textes occidentaux jusquʼen Chine, jʼai esquissé ce que jʼai appelé “la bibliothèque idéale des critiques”, cʼest-à-dire lister quelques uns de ces ouvrages occidentaux traduits en chinois et cités dans les textes étudiés. Certains auteurs comme Fredric Jameson, spécialiste américain du post-modernisme, ou Peter Bürger, théoricien allemand de lʼavant-garde, ont été traduits en chinois près de deux décennies avant dʼêtre édités en français. Lʼimpact de la French Theory est surtout illustré par la démarche de Gao Minglu, qui a préparé sa thèse à Harvard sous la direction de Norman Bryson, 28.

(29) Introduction. disciple de Derrida. Dans Théorie de lʼÉcole du yi, Gao légitime son paradigme avec le déconstructivisme derridien, dans lequel il voit une connivence avec les concepts classiques. De même il rapproche, voire intègre les notions-clés de Heidegger à son modèle. En faisant correspondre les concepts occidentaux de la modernité avec les concepts chinois classiques, il sʼattire les sarcasmes de ses pairs, toutes générations confondues, de Wang Nanming à Liao Shangfei, tous réfutent son raisonnement. Chez Foucault, le texte le plus discuté est « Les suivantes », le premier chapitre de Les mots et les choses dans lequel lʼauteur définit le concept de représentation. Les critiques chinois sont partagés sur cette notion totalement “étrangère” à la Chine. Gao Minglu se propose de la subvertir avec Théorie de lʼÉcole du yi. Mais pour dʼautres, qui reconnaissent la valeur de la modernité et prennent en charge son héritage, le but de lʼart a toujours consisté à explorer et remettre en cause ce concept, même dans sa période réaliste. Pouvoir de nommer Pop politique, art cynique, art criard, maximalisme, peinture rationnelle, art dʼappartement, art de chevalet, art sans chevalet, art critique, méta-avantgarde, post-abstraction... autant dʼappellations proposées par Li Xianting, Gao Minglu ou encore Wang Nanming. La classification des artistes, fixée par des étiquettes attachées à un courant, est une des tâches des critiques qui selon Georges Roque dans Quʼest-ce que lʼart abstrait ? (213), “ont un rôle décisif en regroupant des artistes en fonction de leur propre sensibilité, et en sʼefforçant ensuite de les défendre, en inventant de nouvelles étiquettes”. Rassembler un choix dʼœuvres dans une exposition, lui donner un titre qui deviendra ensuite une sorte de label (Maximalisme, yi pai, post-abstrait...), rédiger un texte à visée théorique pour justifier ce regroupement, nécessite dʼavoir la double fonction de critique et de commissaire, situation courante chez les critiques étudiés. Nommer cʼest aussi inscrire un mouvement dans lʼhistoire qui restera rattaché à son propre nom et le critique “démiurge” ou “rectificateur de noms” peut sʼapproprier inconsciemment les succès de lʼart contemporain. Les textes de Li Xianting, He Guiyan, Gao Minglu consacrés à lʼart abstrait illustrent cette situation, et permettent à chaque auteur de. 29.

(30) Introduction. consolider sa position dans ce jeu dʼinfluences. Gao Minglu récuse même tous les termes occidentaux comme surréaliste, symboliste, abstrait, sériel... et les remplace par des expressions chinoises (peinture rationnelle, maximalisme, yi pai...). Cependant, une terminologie plus familière semble tout à fait appropriée au lecteur occidental pour apprécier les œuvres décrites. Élaboration de modèles théoriques Les divergences entre ces auteurs concernent leur parti pris autour des oppositions Orient/Occident et ancien/nouveau. Dai Dan nʼhésite pas à “emprunter” le modèle de Popper, Wang Nanming revendique sa dette aux philosophes de lʼÉcole de Francfort mais Gao Minglu cherche les éléments de sa théorie dans les textes de lʼAntiquité en remontant au Livre des Mutations, tout en se tournant vers différents domaines développés par les structuralistes, essentiellement la linguistique et la sémiologie ; Li Xianting, qui est considéré comme le père fondateur de lʼart contemporain en Chine, sʼapplique à puiser dans la tradition chinoise (artisanat, religion, philosophie...) les gestes et les processus qui sont au plus près du travail des artistes. Cette dernière attitude est plus attentive à rendre compte des œuvres quʼà fonder un modèle théorique. Ainsi la comparaison des textes de Gao Minglu et ceux de Li Xianting concernant des œuvres très semblables, répétitives et abstraites, sʼavère féconde, et He Guiyan sʼadonne aussi à cet exercice. Son apport complète mon analyse. Deux démarches sʼopposent également, soit partir des œuvres pour construire un discours critique (chez Li Xianting ou Wang Nanming) ou au contraire, construire ou emprunter un modèle théorique que lʼon appliquera aux œuvres (chez Dai Dan ou Gao Minglu). La plupart se réfèrent essentiellement aux auteurs américains mais citent à foison les philosophes français dont la lecture passe par le filtre américain. Lʼapproche de lʼhistoire de lʼart est également sous influence occidentale : américaine, et plus particulièrement celle de lʼéquipe du magazine October (Rosalind Krauss, Hal Foster ou Yve-Alain Bois) ou italienne du fait de lʼintérêt que suscitent les écrits de Benedetto Croce. Cependant lʼauteur le plus cité est Clement Greenberg. Pourtant, dans les textes lus, jʼai rarement retrouvé un style qui. 30.

(31) Introduction. aurait pu mʼévoquer les critiques de Greenberg sur les premières peintures de Pollock, faisant part de ses doutes et portant des jugements quʼil accepte de remettre en cause de texte en texte. Peut-être Li Xianting ou Wang Nanming sʼen rapprochent-ils, car ils sont capables en dépassant une description précise de lʼœuvre, dʼen transmettre jusquʼà lʼaspect tactile. Le modèle proposé par Gao Minglu, Théorie de lʼÉcole du yi, est construit avec des formules tirées des textes classiques dont il est parfois malaisé de saisir le sens précis. Concernant la réflexion théorique de cette époque ancienne, Anne Cheng dans Histoire de la pensée chinoise (136) note que les penseurs chinois, en particulier ceux qui, à lʼépoque des Royaumes Combattants (IVe-IIIe siècle. av. J.-C.) ont été fascinés par la question du langage, avaient peu “dʼintérêt pour la définition comme porteuse de signification et moyen dʼaccès à la réalité des choses. [...] lʼimportant nʼétant pas la signification théorique que lʼon peut donner à une notion, mais la manière dont celle-ci doit être utilisée et, surtout, vécue”. Li Xianting dans Chapelet et traits de pinceau (14) concède quʼ“un chinois en général a l'habitude de parler en abordant les questions de biais” et que le dicton chinois “avoir les boyaux en zigzag” signifie “avoir de grandes idées”. [Zhe ren de changzi shi wanwanrao de 这人的肠子是弯弯绕的]. Ainsi, avec un choix de textes parfois “tortueux”, “alambiqués”, “nébuleux”, je me propose dans le cadre de ce travail dʼintroduire le lecteur occidental à la critique dʼart chinoise contemporaine. Précautions dʼusage Sauf mention contraire, jʼai traduit les extraits des textes chinois cités, ainsi que les articles rassemblés en annexe. Je me suis reportée aux éditions originales, néanmoins lorsque certaines données sont également accessibles en ligne, jʼen donne le lien. Afin de faciliter lʼutilisation de la bibliographie, jʼai choisi de regrouper les références par nom dʼauteurs indépendamment de la langue utilisée et du support de publication. Seuls les sites internet sont traités à part. Un index permet de retrouver facilement la plupart des personnes citées ou des événements mentionnés.. 31.

(32) Introduction. Transcription des caractères chinois Dans lʼensemble jʼai suivi la transcription pinyin utilisée en république populaire de Chine. Pour transcrire les noms des personnes vivant à lʼétranger (souvent originaires de Hong Kong, de Canton ou de Taiwan), jʼai respecté lʼusage habituel ainsi que pour quelques personnalités connues par des transcriptions différentes (Tchang Kai-chek ou Sun Yat-sen par exemple). De même dans la bibliographie, jʼai respecté la transcription utilisée par lʼéditeur (Mao Tsé-toung par exemple pour Mao Zedong), ainsi que lʼusage chinois du nom propre précédant le prénom. Dans lʼensemble, les caractères des termes ou des noms chinois sont donnés à la première occurrence puis sont repris dans la bibliographie et dans lʼindex. Lorsque les éditions sont de Taiwan ou de Hong Kong, jʼai conservé les caractères non simplifiés. Références bibliographiques Afin de réduire le nombre de notes, jʼai choisi de mentionner de préférence les références bibliographiques dans le corps du texte. Pour la première occurrence, je donne entre parenthèses le nom de lʼauteur, le titre du livre et le numéro de la page (ou du paragraphe pour les textes en ligne). Pour les occurrences suivantes, je signale le numéro de la page entre parenthèses, et si nécessaire, je rappelle le nom de lʼauteur et lʼannée de publication. Les références complètes (éditions, collection...) sont reportées dans la bibliographie, ainsi que les URL des ressources en ligne. Abréviations utilisées AAA : Asia Art Archive, structure basée à Hong Kong. AICA : Association internationale des critiques dʼart. CAFA : Académie centrale des beaux-arts, située à Pékin. CCAA, CCAA Critic Award : Chinese Contemporary Art Award, Chinese Contemporary Art Award Critic Award, deux récompenses fondées par Uli Sigg. CCAF : China Contemporary Art Forum. CCPPC : Conférence consultative politique du peuple chinois.. 32.

(33) Introduction. Centre Gao : Gao Minglu xiandai yishu yanjiu zhongxin 高名潞现当代艺术研究 中心, Centre de recherche sur lʼart moderne et contemporain Gao Minglu, situé à Pékin. CFLAC : (Chinese Federation of Literary and Art Circles) ou Wenlian 文联 : Zhongguo wenxue yishu jielian hehui 中国文学艺术界联合会, en abrégé Zhongguo wenlian 中国文联 [Fédération des cercles littéraires et artistiques de Chine]. CNAA : Zhongguo yishu yanjiuyuan 中国艺术研究院, Institut national de recherche en arts (le sigle vient de son intitulé en anglais : Chinese National Academy of Arts, soit en français académie nationale des arts de Chine. (À ne confondre ni avec la CAFA, académie centrale des beaux-arts, ni avec lʼacadémie nationale des beaux-arts, située à Hangzhou). Grand Ricci : Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise, édité en 2001. GRN : Le Grand Ricci numérique. Meixie 美协 : Zhongguo meishujia xiehui 中国美术家协会 [Association des artistes de Chine]. (Initialement Zhonghua quanguo meishu gongzuozhe xiehui, 中 华 全 国 美 术 工 作 者 协 会 [Association nationale chinoise des travailleurs de l'art]. NAMOC : Musée national des beaux-arts, anciennement Galerie nationale des beaux-arts, situé à Pékin (National Art Museum of China). SFAI : institut des beaux-arts du Sichuan (Sichuan Fine Arts Institut). Wenlian 文联 : Zhongguo wenxue yishu jielian hehui 中国文学艺术界联合会, ou Zhongguo wenlian 中国文联 [Fédération des cercles littéraires et artistiques de Chine] ou CFLAC. ZGMSB : Zhongguo meishu bao, 中国美术报 [Journal des beaux-arts de Chine] (publié entre 1985 et 1989).. 33.

(34)

(35) 1 - Dénomination et cadre de la recherche. 1 - Dénomination et cadre de la recherche Apprécier pin 品, commenter lun 论, juger pan 判, critiquer pi 批, évaluer ping 评 sont les principaux termes le plus souvent utilisés en Chine, selon les époques, pour approuver ou désapprouver indistinctement la qualité des œuvres artistiques ou littéraires et lʼattitude de leurs auteurs. Les radicaux de ces caractères – soit la bouche [kou 口], la parole [yan 讠(言)], la main [shou 扌(手)], le couteau [dao 刂(刀)] – recensent les différents procédés du jugement esthétique, comme “goûter”, “discuter”, “débattre”, “distinguer”, “discerner” ou encore “condamner”. Leur combinaison en dissyllabiques, une ressource féconde du chinois moderne, crée une abondance de nuances subtiles. Depuis la fin des années 1970, piping 批评 sʼest progressivement imposé dans les textes des critiques dʼart. De la critique publique à la critique académique Ainsi les critiques d'art utilisent le plus souvent le terme pipingjia 批评家 pour se désigner. Dʼaprès le Grand dictionnaire des beaux-arts chinois (2002) [Zhongguo meishu da cidian 中国美术大辞], dirigé par Shao Luoyang 邵洛羊, lʻexpression yishu piping 艺术批评 [la critique dʼart] traduit la notion dʼorigine grecque [Kritike], synonyme de pingjia 评价 soit évaluer le prix, critiquer apprécier, juger. Piping se compose de deux caractères : le premier pi 批, dont le radical est celui de la main et a pour sens “frapper avec la main, coup”, puis “porter un jugement critique”, que lʼon retrouve dans le célèbre slogan de la Révolution culturelle “À bas Lin Piao, à bas Confucius”, abrégé en pi Lin pi Kong 批林批孔 ; le second, ping 评, avec la parole comme radical, signifie apprécier ; évaluer ; discuter ; critiquer. La définition donnée par le Xinhua Cidian 新华词典 [Dictionnaire Chine nouvelle] (première édition 1980) est la suivante : entreprendre une analyse des points forts et des points faibles, spécialement : mentionner un avis sur un point faible ou une erreur, opposé à “éloge”, définition pratiquement similaire à celle que propose le Xiandai hanyu cidian 現代漢語詞典 [Dictionnaire du chinois moderne], édité à Hong Kong en 1977. Le terme piping n'est pas répertorié dans lʼédition de 2006 du Ciyuan, 辭源 [Dictionnaire de la langue chinoise], un dictionnaire dʼétymologie publié la première fois en 1915), ce qui. 35.

Références

Documents relatifs

Latency-associated nuclear antigen encoded by Kaposi's sarcoma-associated herpesvirus interacts with Tat and activates the long terminal repeat of human

Selon le tableau statistique, la différence entre les niveaux I et W est hautement significative, alors que celle des niveaux II et III ne l’est pas... Ce qui nous permet de

L’Empire States

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

Deux expériences de nutrition minérale révèlent le rôle primordial du chlore dans l'apparition du stem-bleeding mais les facteurs climatiques jouent également un rôle dans

keywords: Polynomial curves, Stieltjes series, Pad´e approximant, torus knots..

Comparaison de la résistance de deux races ovines vis-à-vis des Nématodes parasites.. L Gruner, C Boulard C, J Cabaret, H Hoste, D Kerbœuf, P Yvoré, F Lantier, J Bouix, J Vu Tien,

Ate-iron(lI) species such as [Ar3Fe"]- (Ar = aryl) are key intermediates in Fe-catalyzed cross-coupling reactions between aryl Grignard reagents (ArMgX) and organic