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LA RÉGION TRANSFRONTALIÈRE: DES IDÉES DE ROUGEMONT AUX PROCESSUS ACTUELS D'INSTITUTIONNALISATION

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Academic year: 2021

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Submitted on 11 Dec 2020

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ROUGEMONT AUX PROCESSUS ACTUELS D’INSTITUTIONNALISATION

Juan Trillo-Santamaria

To cite this version:

Juan Trillo-Santamaria. LA RÉGION TRANSFRONTALIÈRE: DES IDÉES DE ROUGEMONT AUX PROCESSUS ACTUELS D’INSTITUTIONNALISATION. Mosella : revue du Centre d’études géographiques de Metz, Université de Metz, 2010, Actes du colloque Frontières et aménagement, 32 (1-4). �hal-03053382�

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ROUGEMONT AUX PROCESSUS ACTUELS D'INSTITUTIONNALISATION

Juan Manuel TRILLO Université Carlos III, Madrid, Espagne

RÉSUMÉ

LA RÉGION TRANSFRONTALIÈRE: DES IDÉES DE ROUGEMONT AUX PROCESSUS ACTUELS D'INSTITUTIONNALISATION

La coopération transfrontalière se répand dans toute l’Europe, donnant lieu à un nouveau type de région : la région transfrontalière. L’importance de ce type de coopération va de pair avec un double processus de légitimation. D’une part, il existe un discours institutionnel en Europe (UE et Conseil de l’Europe) arguant que l’intégration européenne a besoin d’expériences comme celles des régions transfrontalières où des citoyens de divers pays coopèrent. Cet avis n’est pas très loin des idées versées par certains fédéralistes intégraux (dont Denis de Rougemont) dans les années soixante et soixante-dix. D’autre part, les propres acteurs transfrontaliers vont diriger des actions menant à l’institutionnalisation des régions transfrontalières, de manière à ce qu’elles puissent être considérées comme des acteurs dans le contexte de gouvernance européenne. Un cas d’étude, celui de l’eurorégion Galice-Nord du Portugal, sera examiné ici.

Mots-clés : région transfrontalière, Denis de Rougemont, fédéralisme intégral, institutionnalisation régionale, Galice, Nord du Portugal.

ABSTRACT

THE CROSS-BORDER REGION: FROM DENIS DE ROUGEMONT’S IDEAS TO INSTITUTIONALIZATION CURRENT PROCESSES

Cross-border cooperation is spreading along Europe, giving place to a new kind of region: the cross-border region. The importance of this cooperation goes hand in hand with, at least, two legitimating process. On the one hand, there exists an institutional discourse in Europe (EU, Council of Europe) contending that European integration needs experiences as those of the cross-border regions where people from different countries meet. This position is not very far from certain ideas defended by Denis de Rougemont and others integral federalists in the sixties and seventies. On the other hand, cross-border actors put into practice different actions in order to institutionalize cross-border regions, so that they could be considered as actors in the context of the European governance. A case study will be presented here, the one of Galice and North of Portugal.

Keywords: cross-border region, Denis de Rougemont, integral federalism, regional institutionalization, Galice, North of Portugal.

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Juan Manuel TRILLO

ZUSAMMENFASSUNG

DIE GRENZÜBERSCHREITENDE REGION : DIE IDEEN ROUGEMONTS IM GEGENWÄRTIGEN INSTITUTIONALISIERUNGSPROZESS

Grenzüberschreitende Kooperation findet in ganz Europa statt und schafft eine neue Raumkategorie : die grenzüberschreitende Region. Die Bedeutung dieser Kooperationsform geht einher mit einem doppelten Legitimationsprozess. Einerseits gibt es in Europa (EU und Europarat) einen institutionellen Diskurs, der argumentiert, dass die europäische Integration Erfahrungen brauche wie die der grenzüberschreitenden Regionen, in denen Bürger verschiedener Länder zusammenarbeiten. Diese Ansicht liegt nicht fern der Ideen gewisser integrativer Föderalisten der 1960er und 1970er Jahre (darunter Denis de Rougemont).

Andererseits tragen die eigentlichen Akteure der grenzüberschreitenden Kooperation selbst zur Institutionalisierung ihrer Regionen dergestalt bei, dass diese als Akteure der europäischen Governance betrachtet werden können. Untersucht wird hier das Fallbeispiel der Euroregion Galizien-Nordportugal.

Schlüsselbegriffe : grenzüberschreitende Region, Denis de Rougemont, integrativer Föderalismus, regionale Institutionalisierung, Galizien, Nordportugal

a coopération transfrontalière en Europe constitue aujourd’hui un vaste champ d’étude. La présente contribution s’intéresse aux moyens que les acteurs transfrontaliers utilisent pour essayer de légitimer leur activité. Il s’agira de prendre ici en compte non seulement les études individuelles ou les projets concrets de coopération transfrontalière, mais aussi d’aller un peu plus loin, en cherchant une compréhension plus large du projet transfrontalier.

L

Cette légitimation passe notamment par certains discours d’une part, et par certaines activités visant à l’institutionnalisation d’autre part. En effet, il existe tout un discours qui défend le rôle que joue la coopération transfrontalière dans le processus d’intégration européenne. L’avis des différentes institutions européennes (celui des propres acteurs transfrontaliers mis à part) n’est pas très loin des idées versées par certains fédéralistes intégraux dans les années soixante et soixante-dix. Le modèle politique ultime n’est pas le même, cela reste clair, mais les similitudes sur quelques aspects permettent de souligner cette ressemblance.

Par ailleurs, en considérant l’ensemble des activités réalisées par des acteurs transfrontaliers dans un espace donné, il est possible d’examiner par quels moyens l’idée d’une certaine appartenance territoriale nouvelle est en cours. Les recherches menées sur les processus d’« institutionnalisation régionale » trouvent toute leur utilité à ce propos.

L’analyse de la notion de région transfrontalière sera donc centrale dans ce travail, et sera menée tant d’un point de vue philosophique et politique, celui du fédéralisme intégral, que d’un point de vue académique, partant d’une réflexion théorique autour de l’idée de frontière. Cette réflexion va de pair avec une nouvelle conception de la géographie régionale, en mettant l’accent dans le cas présent sur les régions transfrontalières.

Pour terminer, l’esquisse d’une étude de cas sera présentée : la région transfrontalière formée par la Galice et le Nord du Portugal. Son développement est continu, jour après jour, et mérite une analyse plus attentive dans le futur1.

1 Cette contribution reprend en grande partie le contenu de deux articles écrits en espagnol, relus et modifiés par rapport au thème du colloque. Ainsi, en ce qui concerne la partie plus théorique, voir Trillo Santamaría, J.M (2007): «De la frontera a Europa, una visión desde la cooperación transfronteriza», Actas XX Congreso de Geógrafos Españoles (La Geografía en la frontera de conocimientos). Pour l’esquisse du cas pratique, Trillo Santamaría, J.M. (2008): «Emergencia de nuevas identidades transfronterizas en la Europa actual», Revista de Historiografía, Instituto de Historiografía Julio

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Juan Manuel TRILLO

1. - QUELLES APPROCHES POUR L’ÉTUDE DES FRONTIÈRES?

Le renouveau récent de l’intérêt pour l’étude des frontières s’explique en partie par les transformations du monde actuel depuis quelques années. Ainsi, la disparition de l’URSS a entraîné un renouvellement massif des frontières étatiques en Europe de l’Est. En outre, le processus européen d’intégration communautaire, impulsé grâce au Traité de Maastricht (1992) et à la réalisation du Marché Commun, réintroduit la question frontalière dans un espace européen dit «sans frontières». Bien sûr, ce processus doit être compris dans un cadre plus large, celui de la mondialisation, où les marchés, les capitaux, l’information et la culture ne trouveraient pas de barrières.

Cela dit, il ne faudrait pas arriver à la conclusion simple que les frontières n’auraient plus d’importance, voire qu’elles n’existeraient plus (Nicol et Townsend-Gault, 2005). Il s’agit plutôt de prendre la mesure des évolutions récentes et changer la manière d’envisager l’étude de frontières (Newman et Paasi, 1998). Deux grands types d’approche peuvent être identifiés pour l’étude des frontières (Newman, 2003, 2006, a). La première peut être qualifiée de traditionnelle, et recoupe les apports de la géopolitique et de la géographie politique : l’étude porte sur les lignes frontières, leur démarcation, les conflits territoriaux compris dans un contexte international, etc. La seconde concerne les approches émergentes qui ne portent pas sur la formation de frontières mais sur leur incidence chez les personnes, ainsi qu’aux processus sociaux qui constituent, développent, reproduisent et modifient les frontières (Paasi, 1999).

Les frontières délimitent des espaces, elles en font des territoires dans une démarche d’inclusion et d’exclusion, d’intérieur et d’extérieur, d’un Nous et les Autres. C’est l’étude de l’impact de ces délimitations spatiales sur les hommes qui est la plus importante pour le chercheur. En outre, les frontières peuvent être présentes à différentes échelles (supra- étatique, étatique, infra-étatique, régionale, locale, etc.) ; elles ne sont pas que physiques, mais mentales: frontières sexuelles, raciales, économiques. La notion de frontière s’élargit, de même que l’éventail des disciplines qui s’attachent à son étude. Ainsi, les ouvrages sur le sujet, généralement collectifs, réunissent tant géographes que sociologues, politologues, historiens, juristes ou anthropologues2. Néanmoins, on pourrait identifier des ouvrages plus liés à la géographie (Newman, 1999; Van der Velde et Van Houtum, 2000; Bucken-Knapp et Schack, 2001; Kaplan et Häkli, 2002; Pavlakovich-Kochi, Morehouse et Wastl-Walter, 2004; Van Houtum, Kramsch et Zierhofer, 2005); aux relations internationales (Albet, Jacobson et Lapid, 2001 ; Brunet-Jailly, 2007) ; aux sciences politiques (Saez, Leresche et Bassand; 1997; Anderson et Bort, 1998 ; Anderson, 2002 ; Perkmann et Sum, 2002;

Anderson, O’Dowd et Wilson, 2003; Migdal, 2005), à l’anthropologie (O’Dowd et Wilson, 1996 ; Wilson et Donnan, 1998); aux sciences juridiques (Levrat et Comte, 2006) ou même aux études culturelles (Dear et Leclerc, 2003; Schimansky et Wolfe, 2007).

Le grand intérêt pour les questions de frontière se traduit non seulement par la publication de nombreux ouvrages mais aussi par des numéros spéciaux dans les revues de sciences sociales3, ainsi que par l’établissement de centres spécialisés dans l’étude de frontières4. Il

Caro Baroja, UC3M. Je voudrais remercier ici Grégory Hamez pour ses commentaires et sa révision de la langue française de cet article, ainsi que pour son invitation à participer dans le séminaire qui a donné lieu à cette publication.

2 Les ouvrages individuels sont normalement le fruit d’une recherche doctorale (Strüver, 2005 ; Fall, 2005;

Lissandrello, 2006; Ehlers, 2007; Prokkola, 2008). Pour un état de lieu de la recherche doctorale sur la frontière dans les universités françaises, voir Medina-Nicolás (2004).

3 Voici quelques exemples récents : Regional Studies, special issue: State borders and border regions, vol. 33, nº 7, 1999; GeoJournal: binational cities and their regions: from diverging cases to a commom research agenda, vol. 54, nº 1, 2001; Space and Polity: Europe and the Spectre of Comparisons: the Geopolitics of Cross-border Co-operation in the European Union, vol. 6, nº 2, 2002; Tijdschrift voor economische en sociale geografie, vol. 93, nº 2, 2002; Focaal:

European journal of anthropology: European States at their Borderlands: Culture of Support and Subversion in Border Regions, vol. 41, 2003; European Studies: An Interdisciplinary Series in European Culture, History and Politics: Culture and Cooperation in Europe’s Borderlands, vol. 19, 2003; Journal of Ethnic and Migration Studies (JEMS) Special issue:

Bordering European Identities, vol. 29, nº 5, 2003; Geopolitics, vol. 10, nº 4, 2005; European Journal of Social Theory, vol.

9, nº 2, 2006; Comparative European politics, vol.4, nº 2/3, 2006; SAIS Review, vol. 1, 2006; Geopolitics: Borderline Contradictions: Neoliberalism, Unauthorised Migration, and Intensifying Immigration Policy, vol. 12, nº 2, 2007; Space and Polity, vol. 12, nº 1, 2008.

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faut ajouter aussi qu’il existe deux réunions annuelles consacrées à la mise en commun des recherches sur les frontières: Congrès Annuelle de l’Association for Borderlands Studies et les journées nommées Border Regions in Transition (BRIT)5.

L’article sur la question de H. Van Houtum (2000) s’avère ici utile à notre propos pour poursuivre les approches innovantes dans l’étude de frontières. Ce spécialiste évoque trois types d’approches, liés à trois conceptions de l’homme :

• Approche de flux (homo economicus)

• Approche de coopération transfrontalière (homo cont(r)actis)

• Approche «people» (homo socialis)

Cette troisième approche coïncide plus ou moins avec celle que Newman qualifiait d’émergente6. Il est ici intéressant de mettre en parallèle les approches b) et c), et d’essayer de voir si une coopération transfrontalière à succès arrive ou non à surmonter les préjugés que l’existence de la frontière avait encouragés, autrement dit, si le dedans et le dehors peuvent arriver à se mêler. En effet, les frontières peuvent très bien correspondre à de barrières, de ponts, de ressources ou symboles d’identité : chaque cas est spécifique (O’Dowd, 2003).

Enfin, cette approche n’est pas sans lien avec la « Nouvelle géographie régionale » (García Álvarez, 2006), selon laquelle la région est comprise comme une construction sociale, le produit de processus institutionnalisés, répétés et reproduits socialement, où les narrations, les images et les symboles qui lient la région à une identité propre sont au centre de l’attention du chercheur.

2. - COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE ET INTÉGRATION EUROPÉENNE

L’objectif suivi est de montrer comment a émergé un discours partagé par quelques institutions européennes (et d’autres acteurs) en ce qui concerne l’importance de la coopération transfrontalière par rapport à l’intégration européenne. Selon ce discours, l’Europe unie et intégrée doit partir de la base, du contact entre les Européens et leurs administrations régionales et locales qui sont les plus proches d’eux. Cela s’appelle en argot communautaire le «principe de subsidiarité», mis en relation avec le terme

«gouvernance», dans le cas présent transfrontalière (Kramsch et Hooper, 2004). La création d’institutions de coopération transfrontalière, comme les Communautés de Travail ou les Eurorégions, donnera l’opportunité aux acteurs de mettre en pratique une action extérieure, ce que certains auteurs appellent « régionalisme transnational » (Dupeyron, Kissling et Schall, 1999 ; Scott, 2006).

Ce n’est pas ici le lieu de discuter des fonds Interreg ou d’autres aides communautaires attachées à la coopération transfrontalière7. Ce n’est pas non plus le moment d’étudier le rôle moteur du Conseil de l’Europe en ce qui concerne le côté juridique de la coopération (notamment la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des

4 Quelques uns de ces centres en Europe sont: Centre for International Borders Research, Université de Queen, Belfast, qui coopère avec le Centre for Cross Border Studies, fondé en Septembre 1999, basé à Dublin et Armagh (Irlanda); Danish Institute of Border Region Studies, à Aabenraa (Denmark), crée en 1986; Nijmegen Centre for Border Research, Université de Nijmegen, Pays-Bas, fondée en 1988; International Boundaries Research Unit, Université de Durham (Inglaterre), crée en 1989. Pour une liste des organismes européens et américains spécialisés en la frontière voir Newman, 2006, b et, surtout, visiter le site web du CIBR de l’Université de Queen : www.qub.ac.uk

5 L’Association for Boundaries Studies a été crée en 1976 et publie un Journal de référence dans les études de frontières : Journal of Borderland Studies (pour une information plus large et pour accéder aux contenus de la revue visiter le site web www.absborderlands.org). La première réunion du BRIT a eu lieu en 1994. Dans ce cas, il n’y a pas une structure juridique derrière le BRIT mais un large réseau de chercheurs et universités autour du monde qui se réunissent régulièrement, dont le résultat est très souvent la publication de livres édités.

6 Dans un article plus récent, Van Houtum (2005) fait une distinction entre « boundary studies » (approche classique) et « border studies » (approche émergente)

7 Voir à ce sujet deux œuvres récentes: Harguindéguy, 2007; Dupeyron, 2008.

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collectivités ou autorités territoriales, 1980, et les deux Protocoles additionnels de 1995 et 1998)8. En revanche, plusieurs textes produits dans ces cadres peuvent ici être cités dans la mesure où ils établissent un lien entre la coopération transfrontalière et l’intégration européenne.

Ainsi, dans une Communication aux États membres, la Commission européenne affirme que « le principe général des initiatives Interreg était, et demeure, le suivant : que les frontières nationales ne soient pas un obstacle au développement équilibré et à l’intégration du territoire européen »9. À son tour, le Parlement Européen a élaboré un Rapport sollicitant le renforcement des eurorégions en Europe, parce que selon lui « la coopération transfrontalière revêt une importance fondamentale pour la cohésion et l’intégration européennes »10.

Par ailleurs, tant l’Union Européenne, par la voix de la Commission (1999), que le Conseil de l’Europe (2000), plaident pour un aménagement du territoire qui prenne en compte la réalité de l’espace partagé entre les différents pays du continent, afin de parvenir à des modèles similaires de gestion du territoire dans les espaces frontaliers. L’intégration d’un éventuel peuple européen part, donc, de la propre intégration territoriale de l’espace européen. Ainsi, dans le texte du Conseil de l’Europe, on peut lire que les Principes directeurs « mettent en valeur la dimension territoriale de droits de l’homme et de la démocratie ».

Du reste, ce discours de liaison entre la coopération transfrontalière et l’intégration européenne est aussi défendu par les acteurs qui y travaillent, tels que l’Association de Régions Frontalières Européennes, qui fait figure de référence en Europe en la matière (Perkmann, 2002). Ainsi, la Charte Européenne de Régions Frontalières et Transfrontalières représente une synthèse des bénéfices attendus de la coopération transfrontalière, parmi lesquels « une contribution substantielle à la construction et à l’intégration européenne »11.

Néanmoins, ces arguments favorables à une construction européenne à partir de la frontière rencontrent aussi plusieurs contradictions. En effet, aujourd’hui la plupart de projets transfrontaliers continuent de suivre une logique « top-down », planifiés et gérés pas des élites régionales et locales politiques, économiques ou académiques (Blatter et Clement, 2000). Ainsi, les arguments qui rattachent la coopération transfrontalière à la démocratie et à une participation citoyenne locale réelle, ne sont pas tout à fait justes dans la mesure où généralement, les citoyens ne connaissent pas ces projets, en dépit des différentes initiatives dirigées par les élites (Bucken-Knapp, 2003; Strüver, 2004; Häkli, 2004).

En d’autres termes, les eurorégions et autres structures similaires demeurent des entités technocratiques, éloignées de la mobilisation populaire. L’attitude récurrente de les considérer comme des microlaboratoires de l’intégration européenne est, selon M.

Perkmann, un « mythe rationnel » (2002), parce que leur fonction tend à se réduire à l’implémentation des fonds Interreg, cause réelle de leur existence.

Cela ne doit pas empêcher l’étude des stratégies suivies par les élites visant à regrouper les habitants d’un espace transfrontalier derrière une même appartenance territoriale spécifique, ce qui sera évoqué dans la suite de l’article. Il s’avère ici intéressant de mieux caractériser les justifications théoriques de la région transfrontalière, qui sont bien plus anciennes que les programmes actuels de coopération transfrontalière. On les retrouve

8 Il faut ajouter que le travail du Conseil de l’Europe dans la matière est remarquable. Il comporte un Comité d’experts sur la coopération transfrontalière, organisé sous la direction du Comité directeur de la démocratie locale et régionale. Les rapports et études sur la matière sont riches et nombreux, cf. le site : http://www.coe.in.

9 Communication de la Commission aux États membres du 2 septembre 2004 fixant des orientations pour une initiative communautaire concernant la coopération transfrontalière et destinée à favoriser un développement harmonieux et équilibré du territoire européen INTERREG III (2004/C 226/02).

10 Rapport sur le rôle des « eurorégions » dans le développement de la politique régionale /2004/2257 (INI)).

11La Charte est consultable dans le site web de l’ARFE: www.aebr.com.

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dans les écrits de Rougemont dès les années 1960-70, eux-mêmes inspirés de l’idée du fédéralisme intégral développée dans les années 1930.

3. - L’EUROPE DES RÉGIONS ET LE FÉDÉRALISME INTÉGRAL

Dans les années trente, en France, est né un mouvement intellectuel autour de certaines revues dont L’Ordre Nouveau, Esprit, Plans ou Hic et Nunc en opposition à l’influence du fascisme italien et allemand (Loubet del Bayle, 1987). Le but consistait à repenser l’homme et la société à partir de deux principes : la personne et le fédéralisme intégral (Kinsky, 1998). Le terme « personnalisme » provient d’Alexandre Marc : la suprématie de la personne est proclamée face à l’individualisme du libéralisme et à l’atomisation sociale du communisme. La personne est complexe, modelée en vertu de sa pluri-appartenance sociale : famille, commune, région, etc. (Hein, 1998).

À cause de l’identité multiple de chaque personne, l’organisation sociale la plus adéquate est celle de la fédération, nommée intégrale parce qu’elle embrasse tous les niveaux où la personne se reconnaît. Ces idées ont leur origine dans les textes de Proudhon, qui avait une vision très large du fédéralisme.

Les tenants de cette ligne de pensée ne se sont pas organisés politiquement, mais ont été présents dans les grands congrès européens d’après guerre pour défendre leur position (Herstenstein, 1946; Montreux, 1947; La Haye, 1948). Comme le modèle de l’Europe communautaire piloté par « la méthode Monnet » ne suivait pas leurs principes, ils vont continuer leur revendication pour donner à l’Europe un modèle fédéral personnaliste pendant toute la deuxième partie du siècle précédent (et quelques-uns continuent aujourd’hui). Pour cela, on peut citer deux institutions qui ont rassemblé leurs efforts : le Centre International de Formation Européenne, fondée par Alexandre Marc à Nice en 1954, et le Centre Européen de la Culture, dirigé par Denis de Rougemont dès sa création en 1950 jusqu`à sa mort en 1985. Ces institutions sont à l’origine de deux publications recueillant des textes portant notamment sur le fédéralisme, le régionalisme, le modèle social européen : la revue L’Europe en formation (depuis 1960, toujours existant), et le Bulletin du Centre Européen de la Culture (remplacée en 1976 par la revue Cadmos).

Les différents auteurs de cette ligne de pensée vont discuter d’un modèle fédéral européen qui ait généralement comme base la région, parce qu’ils trouvent que c’est l’échelle la plus adéquate pour la personne, placée entre la commune, trop restreinte, et l’État-nation, trop large. C’est ainsi que sera évoquée une Europe des Régions, dont on continue à parler de nos jours même si le sens n’est pas le même qu’à ses origines (Loughlin, 1997).

Cependant, les auteurs ne vont pas partager une même définition de la région, raison pour laquelle il y a autant de modèles de l’Europe de Régions que de définitions de ce concept.

Ainsi, par exemple, Heraud (1973) ou Lafont (1993) sont connus pour avoir défendu la région comme foyer ethnique. Dans ce travail, je vais faire référence à une conception qui essaie de surmonter ce type de postulats en incorporant des éléments de réflexion provenant de la géographie ou de l’économie, dont la région fonctionnelle, la région nodale ou l’axe de développement. Ces concepts sont importants pour l’analyse des régions transfrontalières, surtout chez Denis de Rougemont (Saint-Ouen, 2003).

4. - DENIS DE ROUGEMONT ET LA RÉGION FONCTIONNELLE TRANSFRONTALIÈRE

Cet auteur prolifique et emblème de la pensée fédéraliste a développé à partir des années soixante une conception fédéraliste pour l’Europe qui plongerait ses racines dans la coopération transfrontalière. Sa position a été très remarquée dans les différentes rencontres et discussions organisées autour de l’Europe des Régions à la fin des années

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Juan Manuel TRILLO

soixante et au début des années soixante-dix, avec une contribution notable du Bulletin du Centre Européen de la Culture à travers la publication de numéros spéciaux12.

L’accent sera mis ici sur les idées de Rougemont qui avaient probablement un retentissement important lors de ces réunions – c’est d’ailleurs Rougemont lui-même qui rédigea les conclusions de la Confrontation de régions frontalières de 197213.

La région selon Rougemont devrait se définir en tenant compte des besoins des habitants d’un espace donné. Ces besoins pourront dépasser les limites imposées par les frontières étatiques, les régions fonctionnelles ne devant plus être nécessairement délimitées par des frontières. Il en arrive à l’idée que les régions transfrontalières sont, par définition, fonctionnelles. De cette manière, la région transfrontalière apparaît comme une solution aux problèmes dont la cause était l’existence de frontières (écologiques, énergétiques, éducatifs, sociaux, culturels) –ces frontières étant le produit de l’expansion du modèle de l’État-nation.

Selon Rougemont, comme selon la plupart de fédéralistes intégraux, pour édifier une Europe réellement unie il faut dépasser le modèle de l’État-nation. Celui-ci était trop grand pour la réalisation de certaines activités, notamment locales, et trop petit pour d’autres, dont les affaires de l’économie mondiale. En plus, l’État-nation était considéré comme un appareil artificiel qui a provoqué le renfermement dans ses frontières de la diversité culturelle européenne. D’ailleurs, les États, acteurs principaux de la construction européenne, n’avançaient pas ni dans la direction ni avec la vitesse souhaitée par les fédéralistes ; ils devaient donc être remplacés par d’autres types d’organisations plus proches des citoyens: les régions.

La région à laquelle songe Rougemont est la région transfrontalière, une invention du XXème siècle14. Cette région est la réponse à deux types de besoins. D’une part, elle se rallie à une conception fonctionnelle de la région, précédemment évoquée. D’autre part, elle constitue l’espace idéal pour la participation civique du citoyen, au plus proche des problèmes qui le préoccupent, de sorte qu’il puisse leur donner une solution grâce à sa propre action sur le terrain15. La région est ainsi une construction qui ne doit pas s’attacher à des découpages administratifs imposés, notamment les frontières nationales. Elle doit remplir trois critères : petitesse (pour bien gérer ses affaires), autonomie (pour s’impliquer directement et avec pouvoir de décision dans ses affaires), et géométrie variable (périmètres différents selon les communes qu’y adhérent, en fonction de leurs besoins spécifiques).

En outre, Rougemont propose un modèle de fédération européenne à partir des régions transfrontalières, même s’il n’est pas très développé. Dans ce modèle, les régions transfrontalières devraient regrouper des syndicats communaux dans le but de gérer une fonction donnée. Chaque commune pourrait, à son tour, faire partie d’autant de régions fonctionnelles qu’elle estime nécessaire pour gérer ses affaires. Les régions transfrontalières, ensuite, se regrouperaient en Associations régionales, et celles-ci en Agences européennes (une par matière). De représentants issus de ces Agences formeraient le Conseil de l’Europe (Rougemont: 1970, 1974, 1977).

12 Ce sont cinq les numéros spéciaux consacrés à l’Europe des Régions. Le premier s’intitule Naissance de l’Europe des Régions (1968, nº 1/2), et recueille des textes portant sur les régions, de même que le quatrième numéro spécial (1974, nº 1). Le deuxième et cinquième sont issus de rencontres organisées par l’Association d’Instituts d’Études Européennes (1969, nº 5/6 ; 1975, nº 1/2). Le troisième (1972, nº 6) reprend les travaux de la Confrontation européenne des régions frontalières, colloque tenu à Strasbourg sous le patronage conjoint de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe et de la Conférence européenne de pouvoirs locaux.

13 En plus, la Déclaration finale embrasse quelques idées chères à l’auteur.

14 « Ce ne sont pas les “provinces” de l’Ancien Régime, effacées, encore moins les départements découpés par Napoléon, ni les “Länder” allemands, trop grands, ni les cantons suisses, trop petits, ni les nationalités de la Double- Monarchie d’antan ou de l’URSS d’aujourd’hui, ni les “States” de l’Amérique du Nord. Ce sont vraiment des créations de notre temps […] » (Rougemont, 1968: 43).

15 « Les régions fonctionnelles, d’aires diverses –chacune ayant pour extension le territoire de sa réalité – ne naîtront pas de nos modèles, mais bien de la nécessité de recréer des milieux de participation où des citoyens puissent enfin prendre en main leurs affaires communes- qu’il s’agisse de réalités culturelles ou énergétiques, écologiques et sociales » (Rougemont, 1975: 17).

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Juan Manuel TRILLO

En résumé, le modèle de Rougemont a quelque chose de transcendant dans la mesure où il considère que l’intégration européenne est une tâche de tous les Européens, de leur action, comprise au sein de la région fonctionnelle transfrontalière. C’est sur cette dernière que l’Europe doit se construire – avec l’idée que cette région n’est pas définie sur des critères ethniques comme cela a pu être le cas par le passé, mais sur des critères économiques et fonctionnels. Ce raisonnement peut être à l’origine du discours précédemment évoqué, qui consiste à rattacher l’intégration européenne à la coopération transfrontalière16.

Ce modèle fédéral pour l’Europe, d’ailleurs, exige tout un projet de régionalisation de la vie économique, social, politique, etc. Pour s’en faire une idée, on peut récupérer les propositions exprimées lors de la Confrontation de régions frontalières de 1972, dont les Conclusions ont été rédigés par Denis de Rougemont (1972, b). D’abord, la définition de région fonctionnelle transfrontalière est celle de Rougemont :

« La réponse unanime des rapporteurs est que l’aire d’une région fonctionnelle sera simplement celle de l’ensemble des communes pour lesquelles un problème fonctionnel se posera, et qui choisiront d’adhérer au syndicat intercommunal capable d’y faire face. Bien entendu, dans la plupart des cas, ce syndicat sera suprafrontalier, comme le problème qui l’aura suscité. Il va de soi, également, à mes yeux tout au moins, qu’une commune pourra se rattacher à autant de syndicats différents par l’étendue et la mission qu’il y aura de fonctions différents à assumer » (Ibid.: 87).

Dans la déclaration finale, on trouve des mesures, comprenant (Bulletin du Centre Européen de la Culture, 1972) :

• la régionalisation au degré primaire et secondaire de l’enseignement de la géographie, de l’histoire, de l’écologie et, « partant des réalités proches et visibles, aboutir à une prise de conscience de la communauté de culture des Européens, ouverte sur le monde » (Ibid.: 81)17.

• l’enseignement des réalités économiques, sociales et écologiques les plus propres à faire comprendre la nécessité de la coopération régionale transfrontalière.

• l’enseignement de différentes langues de la région.

• la mobilité dans le cadre des régions transfrontalières des élèves et des enseignants

• l’amélioration de la mobilité de personnes.

• les réalisations communes en matière de sport et tourisme.

• l’accent sur les moyens de communication transfrontaliers.

• l’appui aux instituts de recherche et d’information sur les problèmes régionaux transfrontaliers.

• la réalisation de plans d’aménagement du territoire conjoints, grâce à des commissions régionales suprafrontalières, avec la participation des élus locaux et régionaux.

• le besoin d’études systématiques et comparatives pour connaître la situation des régions transfrontalières.

16 Cela même si Rougemont n’est pas directement cité. Ainsi, dans le Manuel de la coopération transfrontalière du Conseil de l’Europe, dirigé par Charles Ricq, Rougemont est mentionné dans la version de 1996 mais ne le sera plus dans les versions de 2000 et 2006, bien que cette idée reste présente (RICQ, 1996, 2000, 2006). Ricq faisait partie des intervenants dans les rencontres des années soixante et soixante-dix. Il a écrit deux textes sur la région transfrontalière dans les années quatre-vingt où il reprend en partie les idées des fédéralistes intégraux (Ricq, 1982, a, b). Dans d’autres cas, comme dans la Charte Européenne des Régions Frontalières et Transfrontalières l’esprit de Rougemont est présent (il faut dire, en plus, que Victor von Malchus, un de fondateurs de l’ARFE, avait présenté un Rapport de base sus la coopération transfrontalière à l’occasion de la Confrontation de régions frontalières de 1972).

17 Ce type de mesures coïncide avec celles exprimées par Rougemont dans sa contribution au volume (Rougemont, 1972, a). Pour lui, la culture européenne est un exemple fidèle du principe fédéraliste d’unité dans la diversité: «La vérité, c’est que la culture de tous nos peuples est une, quoique tissée de contradictions dans sa genèse même ; qu’elle s’est formée à partir d’influences indo-européennes, gréco-latines, celtes et germaniques, arabes et slaves […]. Toutes les grandes écoles d’art, d’architecture, de musique, de philosophie, de littérature et de doctrine sociologique ou politique, ont été paneuropéennes, et non pas nationales» (Ibid.: 74).

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• la mise en place d’un organe européen pour le contrôle de l’aménagement du territoire créé auprès de la Conférence des ministres de l’aménagement du territoire du Conseil de l’Europe. En plus, il est souhaité qu’un Comité des Régions frontalières soit établi au sein de la Conférence européenne de pouvoir local, pour que les pouvoirs régionaux et locaux puissent y participer.

• la possibilité octroyée aux autorités locales de signer des accords avec leurs voisins.

Voici quelques propositions qui appuieraient la réalisation d’une Europe conçue d’après la frontière. Il est vrai que certaines ont été mises en application au cours des dernières années, notamment les textes sur l’aménagement du territoire de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe précédemment évoqués. C’est aussi le cas des mesures concernant la culture transfrontalière, qui feront l’objet de l’analyse qui suit.

En guise de conclusion sur cette large section, on peut se référer à la réflexion développée par F. Saint-Ouen dans son ouvrage intitulé Le fédéralisme (2005)18. L’auteur estime qu’il aurait pu intituler son livre « Multilevel governance », ce qui est, à son avis en vérité, une manière à la mode de parler de fédéralisme, c’est-à-dire de coopération et collaboration entre tous les niveaux de pouvoirs territoriaux, sociaux, économiques, etc.19.Selon lui, l’Europe ne serait-elle pas un système fédéral sans le dire ? Peut-on admettre comme des concepts similaires la gouvernance multiniveau, tant citée, et le fédéralisme (intégral) ? Ces questions restent ouvertes, impossibles à résoudre dans ce petit article.

5. - CONSTRUIRE (INSTITUTIONNALISER) UNE RÉGION TRANSFRONTALIÈRE

Si la coopération transfrontalière peut se légitimer à travers certaines considérations théoriques présidant à l’intégration européenne, elle se légitime également très concrètement sur le terrain, dans différents espaces, à travers une institutionnalisation régionale – dont le marketing territorial constitue la face émergée.

Autour des nouveaux espaces de coopération transfrontalière émergent des discours qui veulent légitimer leur existence. Par exemple, seront édités des atlas de l’eurorégion (Gip- Reclus, 1995) ou des études historiques (Daumas et Tissot, 2004), souvent diffusés via des sites web d’information sur les activités développées par les structures transfrontalières.

Tout cela concourt à améliorer la visibilité de cet espace transfrontalier, afin de lui attribuer d’une certaine manière une identité propre, une « conscience transfrontalière ».

Le Conseil de l’Europe lui-même a posé comme principe de base pour la réalisation d’une coopération transfrontalière à succès l’existence d’une certaine « conscience transfrontalière ». Une Recommandation de l’année 2000 où la culture joue un rôle principal met l’accent sur ce sujet20. Les collectivités frontalières devraient travailler dans différents domaines :

• l’éducation et la recherche : échanges d´étudiants, excursions transfrontalières, programmes scolaires transfrontaliers, mobilité universitaire, groupes de recherche conjoints, étude de la langue et de la culture voisines, reconnaissance de diplômes de l’autre système scolaire et, last but not least, établir un système de crédits transfrontalier.

18 François Saint-Ouen est le Secrétaire général de la Fondation Denis de Rougemont. C’est lui, dans son texte déjà cité (2003), qui a inspiré ma recherche sur les régions transfrontalières et leur connexion avec un modèle fédéral pour l’Europe.

19 La Commission européenne estime que la coopération entre les différents pouvoirs territoriaux est indispensable pour aboutir au but de cohésion territoriale et d’intégration territoriale. Ainsi, dans les programmes financés par la politique régionale, la concertation entre la Commission, les États et les pouvoirs infranationaux est obligatoire. Le texte de référence sur la matière date de 2001 (Commission Européenne, 2001).

20 Recommandation N° R (2000) 1 du Comité des Ministres aux États membres sur la promotion de la coopération transfrontalière entre collectivités ou autorités territoriales dans le domaine culturel. Cette importance de la culture pour une coopération transfrontalière fructueuse nous rappelle les positions défendues par Denis de Rougemont (1972).

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• les activités culturelles : brochures d’information sur des activités culturelles conjointes, festivals transfrontaliers, coopération au sein d’organisations culturelles, etc.

• le patrimoine culturel commun : études historiques et ethnographiques de l’aire, promotion d’itinéraires transfrontaliers, gestion conjointe de parcs naturels, promotion du tourisme, publication de livres, guides, atlas de l’espace de coopération.

• la jeunesse et le sport : organiser des événements sportifs.

• les médias : coopération entre de médias locaux (télévision, presse, radio), élaboration de programmes et de publication conjointes avec des contenus d’intérêt pour tous les habitants de l’espace transfrontalier, en assurant toujours leur caractère bilingue ou plurilingue.

Néanmoins, ce côté culturel n’est que l’un des quatre volets requis pour institutionnaliser une région, selon A. Paasi. On se référera ici à l’approche dite émergente pour analyser comment une région peut se « construire », notamment transfrontalière en ce qui nous concerne21. Selon A. Paasi, l’étude des régions (dont l’échelle est largement variable) doit partir de l’idée que ces espaces sont des constructions sociales, changeant avec le temps.

Il n’est donc pas possible de les analyser sans prendre en compte les narrations et discours tenus lors de leur mise en place et de leur développement. Les processus et pratiques qui expliquent leur apparition méritent toute l’attention du chercheur (Paasi, 1986, 2003).

Dans ces processus, certains acteurs ont en charge la production de réseaux de relations et la signification de l’espace politique (politiciens, hommes d’affaires, professeurs, chercheurs), d’autres se posent davantage en consommateurs (Paasi, 2001)22. Le produit final, résultat d’un triple processus de configuration régionale dont on parlera ensuite, sera communiqué au public, en l’occurrence à la population. L’étape suivante serait d’analyser son éventuelle intériorisation par les habitants de l’espace donné. Comme dit A. Paasi, il faudrait examiner si ces régions arrivent à se consolider comme des espaces de pratiques sociales ou pas, si elles ont une incidence réelle chez les habitants ou pas23.

Ainsi, le chercheur vise à analyser le processus d’institutionnalisation, en ce qui nous concerne, dans les nouvelles régions transfrontalières (Perkmann et Sum, 2002; Scott, 2000; Perkmann, 2007). Selon A. Paasi, il y a trois volets à prendre en compte, plus un quatrième à long terme (Paasi, 1986):

• Configuration territoriale : toute région a besoin d’un espace propre, qui peut être défini par des frontières plus ou moins floues. Dans le cas des régions transfrontalières, le territoire est défini sur la base des communes participantes.

De cette manière, même si le but de la coopération est de surpasser la frontière étatique, on établit en même temps un autre type de frontière ou de limite entre ceux qui font partie de la coopération et les autres.

• Configuration symbolique : on revient ici à l’aspect culturel précédemment traité. Il est nécessaire de doter la région d’une identité, d’une image, d’un nom, d’une histoire, d’une conscience collective. Seront utilisées des cartes, des livres (historiques, géographiques, patrimoniaux) sur la région ; seront organisés des activités culturelles, des rencontres, des échanges ; des sites web présenteront où trouver toute l’information qui concerne la région.

21 Cet auteur a, entre autre, incorporé l’approche dite moderne, provenant de la sociologie et l’histoire dans les études de la nation et le nationalisme, aux analyses géographiques. Cette approche essaie d’expliquer comment des éléments du passé sont récupérés et intégrés dans un discours identitaire, celui de la nation (Hobsbawn et Ranger, 1983).

Le lien existant entre le territoire et l’identité (nationale ou autres) est un champ d’étude cher aux géographes (Herb et Kaplan, 1999; Nogué, 2001; García Álvarez, 2002; Di Meo, 2002 ; White, 2007).

22 M. Keating appellerait cette élite “development coalition” (2003)

23 «Current cross-border regions are often units that have emerged rapidly from the desks of planners, politicians and business coalitions […] not from long historical regionalization processes and the daily struggles of citizens» (Paasi, 2003: 480); «These have all initially been ‘regions on paper’, but they may one day turn into ‘regions as social practice’ that may have very concrete effects on people’s daily life» (Paasi, 2001: 14).

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• Configuration institutionnelle proprement dite : pour le bon fonctionnement de la région, des organismes stables sont requis, notamment des institutions. Dans le cas de la région transfrontalière, ce type de structures serait représenté par des Eurorégions, des Communautés de Travail ou d’autres structures similaires.

• Reproduction de la région comme partie stable d’un système et conscience régionale : ce quatrième volet est le résultat du succès de l’institutionnalisation régionale et de l’intériorisation de son existence chez les habitants.

6. - MARKETING TERRITORIAL, VENTE D’UN PRODUIT: LE TERRITOIRE Le marketing territorial vise à adopter les techniques classiques du marketing à un produit très concret, le territoire. Cela nécessite un traitement spécifique parce qu’il ne peut pas être comparé à un produit de marché quelconque (Texier, 1993). Ainsi, l’objectif de vente d’une ville n’est pas de ruiner une autre, parce qu’il devrait exister entre elles un certain type de solidarité territoriale (Noisette, 1996). La ville est le référent le plus étudié d’après cette perspective, raison pour laquelle on peut parler aussi de « marketing urbain ». La technique de création d’un produit, à savoir une ville ou une région, ne devrait pas selon certains auteurs se limiter à l’image du produit, mais comprendre une dimension plus large, dont la planification à long terme de services publics, l’aménagement du territoire, etc.

(Sperling, 1995; Noisette, 1996).

Néanmoins, l’usage le plus commun de « marketing territorial » va de pair avec la stratégie de configuration d’une image (publicitaire) d’un territoire, dont le but est de le « vendre », à un public tant intérieur (les habitants), qu’extérieur (personnes provenant d’ailleurs, attirés par le tourisme, pour le commerce, etc.). L’approche du marketing territorial rend visibles les techniques de configuration symbolique dans le processus d’institutionnalisation régionale. Le cas Galice-Nord du Portugal en est un exemple.

7. - LE CAS GALICE-NORD DU PORTUGAL

Une application de cette institutionnalisation sera présentée à travers un cas de coopération transfrontalière dans le contexte ibérique, celui de la Communauté Autonome de la Galice et la région Nord du Portugal24.

Dans le contexte du Nord de Portugal, la Communauté Autonome de la Galice développe une stratégie d’action extérieure basée dans la Communauté de Travail Galice-Nord du Portugal, fondée en 199125. À l’intérieur, d’autres structures de coopération de dimension locale son intégrées, dont l’Association Eixo Atlántico (Axe Atlantique). Cette association de droit privé est formée par trente-quatre villes principales et leurs municipalités de part et d’autre de la frontière. Elle est définie comme un lobby doté d’une structure stable dont le but est de devenir le moteur de développement d’un « espace régional caractérisé par certaines relations socioéconomiques et culturelles similaires »26.

La Communauté de Travail s’érige comme l’institution principale dans cet espace transfrontalier. Ainsi, elle représente la configuration institutionnelle nécessaire pour

24 Espace de 50.000 km2 environ, et six millions d’habitants.

25 Dans un document récent publié par le gouvernement régional de la Galice, intitulé Stratégie d’action extérieure de la Galice (Xunta de Galicia, 2007), il est clairement affirmé que l’objectif central de l’action extérieure de la Communauté Autonome sera le Nord du Portugal. En ce qui concerne la Communauté de Travail, elle a été créée en vertu du Protocole de Collaboration signé par la Xunta de Galicia (gouvernement régional) et la Commission de Coordination Nord du Portugal (organe déconcentré du gouvernement portugais central). Elle fut la première Communauté de Travail sur la frontière hispano-portugaise. Très récemment a été conclu par la Communauté de Travail le Plan Stratégique de Coopération Galice-Nord du Portugal 2007-2013. Enfin, un Groupement européen de coopération territoriale (GECT) a été lancé en Septembre 2008.

26 Article 2.3 des Statuts. Ils peuvent être consultés sur le site web www.eixoatlantico.com. Pour une présentation des activités de l’Eixo Atlántico encadrée dans la gouvernance multiniveau européenne, voir Domínguez Castro (2006). Et aussi l’ouvrage collectif édité par l’Association, Varela, Rojo Salgado, Rio Fernandez et Sa Marques (2006).

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l’instauration d’une région. L’Eixo Atlántico lui-même est un acteur clé pour l’institutionnalisation de la région transfrontalière, bien qu’il fasse partie de la Communauté de Travail27. C’est pour cette raison que l’analyse sera centrée sur les activités, projets et études coordonnés par l’Eixo Atlántico28.

Cette rapide présentation des structures organisées dans cet espace transfrontalier renvoient à ce que Paasi appelle la configuration institutionnelle. Trois volets doivent encore être abordés. Commençons par celui des symboles, qui nous amènera à la représentation du territoire.

Si l’on veut instaurer une coopération régionale stable, il est nécessaire d’élaborer des études conjointes. De la même manière que la Communauté de Travail Galice-Nord du Portugal élabore un Plan Stratégique, l’Eixo Atlántico a déjà élaboré deux Études Stratégiques de l’Eixo Atlántico, l’une en 1995 et l’autre en 200529. En plus, elle édite une revue propre, Eixo Atlántico : Revista da Eurorrexión Galicia-Norte de Portugal, où elle offre des études sur différents champs tels que la protection civile, la citoyenneté, l’éducation, le travail ou l’administration30. Son objectif est de devenir le lieu de communication par excellence où les affaires de la région transfrontalières seront débattues.

D’ailleurs, le travail éditorial recouvre aussi un large spectre thématique en forme de monographies : art rupestre, musées, tourisme, infrastructures, etc.31.Parmi ceux-ci, deux ouvrages sont d’un intérêt particulier par rapport à la configuration symbolique: Historia no Eixo Atlántico (Histoire de l’Eixo Atlántico) et Xeografía do Eixo Atlántico (Géographie de L’Eixo Atlántico)32. Ils représentent un effort coordonné par le professeur X. M. Souto González pour élaborer ce qu’on pourrait appeler deux manuels d’Histoire et Géographie d’un espace commun, celui qui reprendrait l’ancienne Gallaecia romaine33.

27 À l’échelle locale il faut prendre en compte un accord signé en 2006 entre la Députation de Pontevedra (pouvoir provincial) et la Communauté Interprovinciale du Vallée du Minho, appelé UNIMINHO-Association du Vallée du Minho Transfrontalier. Dans ce cadre a été élaboré un Plan de Developpement Stratégique pour la Vallée du Minho Transfrontalier 2007-2013 (www.uniminho.eu). Il est nécessaire de rappeler que la frontière entre la Galice et le Nord du Portugal peut être divisée en deux grands espaces: ce qu’on appelle la raia humeda (raie humide), où le fleuve Miño sépare les deux régions (et, donc, l’Espagne et le Portugal); et la raia seca (raie sèche), où il n’y a pas de fleuve (sur la majeure partie de la frontière).

28 En réalité, les quelques activités mentionnées ici seront surtout celles attachées à la création de l’image de l’eurorégion. Pour une information plus large de toutes les activités de l’Eixo Atlántico voir le site web:

www.eixoatlantico.com. S’y trouvent des documents et textes en ligne, des nouvelles très actualisées de son activité, et même des sections spécialisées : tourisme (avec un guide touristique de l’eurorégion), éducation, sports, environnement (Agenda 21), culture, jeunesse, intermodalité (avec le projet SIUTEA- Système d’Information Urbaine de l’Eixo Atlántico, qui cherche à devenir l’outil informatique commun de tout l’espace pour réaliser des études et faire de projets), innovation, planification, formation.

29 Comme c’est le cas dans la plupart des études de l’Eixo Atlántico, l’espace analysé ne se limite pas à celui des villes membres, mais comprend toute la région de la Galice et du Nord du Portugal. Pour un résumé des contenus des Études Stratégiques 2005, voir Souto González (2005). Comme résultat de ces études et de l’expérience accumulée, avec une vision d’avenir pour l’eurorégion, le 16 juillet 2007 a été présenté le document: «Sete ideas para sete anos decisivos.

Axenda estratégica do Eixo Atlántico » («Sept idées pour sept années décisives. Agenda Stratégique du Eixo Atlántico»).

Les sept volets principaux d’action sont les suivants : un modèle territorial équilibré ; un système urbain soutenable ; des villes à caractère plus central ; gouvernance ; société de la connaissance et de l’innovation ; un développement durable qui crée de l’emploi ; un espace culturel commun (Domínguez et Pardelas, 2007).

30 Ainsi nommée à partir du numéro 9 (2006). Avant, elle se nommait la Revista de Pensamento do Eixo Atlántico.

Les articles peuvent apparaître en portugais, galicien ou castillan, pour un public constitué davantage d’acteurs locaux que de citoyens.

31 Ils sont disponibles en version électronique sur le site web : Arte rupestre prehistórico do Eixo Atlántico (2005), Rutas arqueológicas do Eixo Atlántico (2005), Museos do Eixo Atlántico (2004), Sistema aeroportuario do Eixo Atlántico (2006).

32 Les ouvrages sont cités dans leur version électronique, qui n’a pas de pages numérotées mais des chapitres.

L’indication en bibliographie porte donc sur le chapitre.

33 « Les deux manuels aident à créer l’image de cette nouvelle identité territoriale et à l’intérioriser dans le subconscient collectif de la population de part et d’autre de la frontière politique, pas tant parce que l’existence des flux et de relations est démontrée, qui sont déjà des pratiques habituelles et qui constituent les bases pour la création de l’eurorégion, mais, surtout, parce que ces connections s’encadrent dans une explication historique […] Il s’agit de faire en sorte que le savoir populaire, quotidien, produit d’une expérience vécue à travers les multiples visites effectuées pour des raisons diverses dans le pays voisin, acquière un fondement scientifique-social, pour ainsi construire les idéaux

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