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Le jeûne, l'un des propres de l'homme

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XXII - n° 1-2 - janvier-février 2018 6

A p a r t é

Le jeûne, l’un des propres de l’homme

Bertrand Evelin, Oblat de Marie Immaculée (OMI)

C urieux ! Les animaux ne jeûnent pas. Il leur arrive de devoir affronter de rudes périodes de disette, et plus souvent qu’à leur tour, la nature n’étant pas toujours très tendre avec eux, mais ils ne jeûnent pas. Ainsi, alors que, au cours du XX

e

siècle, les travaux de l’éthologie moderne n’ont eu de cesse de rendre de plus en plus poreuse la frontière qui nous séparait du monde animal (l’outil, le langage, la reconnaissance de soi et l’éthique ne sont plus l’apanage de l’homme), le fait de jeûner, c’est-à-dire de s’abstenir volontairement, et pour une période donnée, d’aliments et de boissons, semble bien constituer l’un des propres de l’homme.

C’est déjà là-dessus que, dans son roman philosophique Les animaux dénaturés, publié en 1952, Vercors faisait porter la distinction : “Ont-ils des gris-gris ?”, demande le juge anglais chargé de déterminer si les “Tropis” récem- ment découverts sont des humains ou des animaux.

Autrement dit, pratiquent-ils l’interdit ? Réponse : pas plus de gris-gris autour du cou que de perruque sur la tête des singes (la scène se passe dans un tribunal anglais, et l’exemple de gri-gri retenu pour la démons- tration est... la perruque du juge). Ainsi donc, dans la même veine, pas de jeûne à l’horizon du monde animal ! Sachant que cette pratique est au contraire partagée par une grande partie des cultures humaines, il peut dès lors être intéressant d’en faire une porte d’entrée : qu’est-ce que cette constante anthropologique nous donne à connaître, et surtout à contempler, de notre humanité dans son unicité et son génie ?

Tout d’abord, reconnaissons que, par cette pratique, l’être humain témoigne d’une étonnante capacité à transcender l’immédiateté du réel. Nous ne sommes pas enchassés dans l’“ici” et le “maintenant”. Nous avons le pouvoir de les transcender. Cette force de conviction est telle que nous n’hésitons pas à entreprendre ce travail sur le corps que constitue la pratique du jeûne, pour mieux forcer le passage : beau témoignage rendu à notre faculté de penser, d’imaginer, de rêver et de nous dépla- cer au-delà des limites du sensible. C’est sans doute le chamanisme qui en présente le plus bel exemple.

Postulant l’existence de mondes parallèles, il offre au chamane les postures et techniques – dont le jeûne – qui permettront à ce dernier de franchir efficacement

les frontières métaphysiques afin d’œuvrer, là-bas, à la restauration d’un équilibre cosmique mis à mal ici. Dans le cas de la quête de visions menée par les “hommes- médecine” des cultures des Indiens des plaines aux États-Unis, c’est à une rude mise à l’épreuve des corps que l’on assiste alors. Étonnante force de conviction ! Le jeûne, tel que pratiqué dans les cultures et religions traditionnelles, témoigne également de la relation ambiguë que nous entretenons avec le calendrier, ainsi que du besoin de points de repère dont nous ne cessons de faire preuve. Les théories de la fête déve- loppées au cours du XX

e

siècle ont bien montré que les humains aimaient structurer le réel, notamment le rapport au temps, en le séparant en catégories dis- tinctes, voire opposées, aisément repérables : “sacré” et

“profane”, temps “festif” et “férial”, “ordre” et “désordre”,

“pur” et “impur”. Le passage de l’une à l’autre de ces étapes se fait alors par des rites qui marquent la fron- tière, et par des procédés d’inversion qui visualisent la différence de régime : c’est ainsi que, dans bon nombre de sociétés traditionnelles, le temps de la fête, généra- lement annuelle – la “fête des récoltes” dans le cas des peuples agriculteurs –, est marqué par l’excès, la loi du gaspillage, la licence. Or, pour en rendre la dynamique plus efficace, ce temps est précédé de son opposé, une période de jeûne caractérisée par le régime de l’économie et de la restriction : les animaux sont atta- chés, les déplacements sont limités, les bruits sont interdits, l’alimentation est restreinte. C’est le principe du moteur à explosion appliqué au régime de la fête : pas de déchaînement festif qui ne soit précédé d’une période de compression ! Le jeûne est alors vécu sous l’horizon et l’attente de lendemains qui chanteront ! Du côté des mystiques hindous, la pratique du jeûne est associée à l’idée de purification, et donc de com- bat contre soi-même : “Il ne faut nullement renoncer aux actes de sacrifice, d’offrande et d’ascèse ; il faut les accomplir car ils purifient le sage”, lit-on dans la Bhagavad-Gita, comme une invitation à dompter un corps toujours prêt à nous appesantir dans l’épaisseur du charnel. Là encore, c’est bien vers un au-delà, plus exactement un en deçà, du tangible, à la racine même du soi, que le sage mystique est invité à trouver la vérité spirituelle de son être.

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Aparté

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Dans l’ensemble, le bouddhisme a rompu avec cette logique. Après avoir longtemps prospecté du côté d’une ascèse rigoureuse, voire exacerbée – “Quand je voulais tâter mon ventre, ma main rencontrait ma colonne verté- brale” –, Siddharta Gautama, le futur Bouddha, a plutôt prôné la voie du milieu. Dès lors, la quête de la sagesse bouddhiste réside davantage dans la mesure, même si telle ou telle école pratique le jeûne.

Du côté des monothéismes bibliques, bien que par- ticipant du même fonds anthropologique, les raisons qui justifient la pratique du jeûne apportent quelques précisions. Ainsi, en posant une équivalence entre le jeûne et l’exigence de justice, les prophètes ouvrent de nouvelles perspectives marquées au sceau de la démarche critique : le travail sur soi que constitue l’as- cèse du jeûne débouche sur un vide vertigineux s’il n’est accompagné de cet autre travail sur soi qu’est la prise en compte de la figure de l’autre, dont l’étranger, la veuve et l’orphelin sont les emblèmes. L’un ne va désormais pas sans l’autre. Or, cette mise en stéréo offre la possi- bilité d’un intéressant renversement qui renouvelle en profondeur l’intelligence du regard que nous posons sur nous-mêmes : “Je” est un autre que la pratique du jeûne m’amène à découvrir, disent les mystiques. Soit, répondent les prophètes ! Mais cet autre demande à être traité avec la même déférence que l’étranger, la veuve et l’orphelin. Le jeûne ne relève plus du combat mais de la bienveillance : “Aime ton prochain comme toi-même”, reprendra en écho le Nouveau Testament.

Dès lors, le christianisme inscrit résolument le carême au registre de la solidarité et du partage, y compris pour ce qui est de la pratique du jeûne. Il est ainsi courant d’offrir le prix du repas pour des actes de solidarité ou de développement, ce “nouveau nom de la paix”

1

. L’islam reprend la même idée. La pratique du jeûne est associée à un travail sur soi-même afin de grandir dans la conscience de la souffrance des plus pauvres et de se mettre à leur service pendant le mois du ramadan : “La meilleure charité est celle accomplie pendant Ramadan”, dit le Prophète.

La pratique du jeûne est universellement partagée, et les raisons qui la motivent ne manquent pas. Il reste qu’une meilleure connaissance de soi-même passe par un travail sur soi et une ouverture aux autres. Dès lors, il n’est pas surprenant que, dans les sociétés de consommation comme les nôtres, qui visent à réduire autant que possible l’écart entre l’expression du désir et sa réalisation, la pratique du jeûne revienne tant à la mode, comme acte de résistance et d’affirmation de la grandeur humaine. Théodore Monod, qui jeûnait tous les vendredis, disait qu’il s’agissait là d’“une petite victoire, un petit signe que l’esprit est encore le patron à

l’intérieur de l’organisme”.

1 Paul VI, Lettre encyclique Populorum progressio n° 76.

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