TRIBUNE
6 | La Lettre du Gynécologue • N° 403-404 - juillet-octobre 2016
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t c’est reparti pour les journaux… un “nouveau scandale sanitaire”, l’acide valproïque (VPA) [Dépakine®, mais aussi Dépakote®, Dépamide®] !Prescrit par nos collègues neurologues dans le traitement de l’épilepsie,
le VPA est responsable non seulement de malformations (9 à 15 %) – cardiopathies, spina bifida (2 à 3 % versus 0,05 %), fentes labiales et/ou palatines, hypospadias
avec cryptorchidie, malformations rénales, craniosténoses (trigonocéphalie), anomalies réductionnelles de membres, pré-axiales, arachnodactylie – mais surtout de la
dysmorphie faciale caractéristique, décrite depuis les années 1980… puis dans une mise au point de J. Clayton-Smith (1), il y a donc plus de 20 ans.
L’acide folique est inefficace pour leur prévention, mais doit rester prescrit chez toutes les femmes…
Toutefois, c’est surtout la mise en évidence par K.J. Meador (2, 3), C. Cummings (4) et J. Christensen (5) d’une association entre VPA et retard psychomoteur (en moyenne 10 points de moins de QI), avec une relation dose-effet, qui a relancé la polémique.
Les effets du VPA sont retardés, et c’est bien là le problème, avec la découverte de troubles envahissants du développement (autisme ou spectre autistique)
à l’âge de 6 ans. Si l’on compare les enfants exposés au VPA à des témoins, on observe : – monothérapie (n = 50) : aOR = 6,05 (IC95 : 1,65-24,53 ; p = 0,007) ;
– polythérapie (n = 20) : aOR = 9,97 (IC95 : 1,82-49,4 ; p = 0,005).
Le sex-ratio est de 3,3 pour les garçons.
On ne retrouve pas de rôle de l’âge maternel, du QI maternel, du nombre de crises convulsives, du terme de naissance ni d’autres paramètres.
L’Agence européenne du médicament a mené pendant 7 ans (2007-2014) une étude qui a confirmé ces données, disponibles sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (http://ansm.sante.fr/Dossiers/Valproate-et-derives/Valproate-et-derives).
Paradoxe, le VPA est un médicament antiépileptique efficace
(d’un intérêt majeur, selon l’Organisation mondiale de la santé) ; dans certains cas, il est indispensable et irremplaçable pour éviter la survenue de complications parfois gravissimes, y compris pendant la grossesse.
Alors, que faire dans le monde idéal de l’information ?… Informer encore et encore, communiquer entre spécialistes.
Comme pour toute grossesse en cas de pathologie chronique, l’idéal est de la programmer 3 mois avant, et c’est 1 an dans la vie d’une femme…
Remplacer chaque fois que possible le VPA par la lamotrigine et, si c’est impossible, border, autant que faire se peut, une grossesse menée sous VPA.
Et surtout ne pas remuer la plaie autour du couteau, ne pas jouer les Saint-Just de la médecine fœtale.
P.-S. Un immense merci au Dr Élisabeth Elefant (6) qui, par son action et son centre de recherche sur les agents tératogènes (CRAT) [www.lecrat.org], assure une veille documentaire hors pair.
T. Harvey déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
1. Clayton-Smith J, Donnai D.
Fetal valproate syndrome.
J Med Genet 1995;32(9):724-7.
2. Meador KJ, Baker GA, Browning N et al.
Fetal antiepileptic drug exposure and cognitive outcomes at age 6 years (NEAD study): a prospec- tive observational study.
Lancet Neurol 2013;12(3):244-52.
3. Meador KJ. Valproic acid:
reducing the risks of prenatal exposure. Lancet Neurol 2016;15:132-3.
4. Cummings C, Stewart M, Stevenson M et al. Neurodevelop- ment of children exposed in utero to lamotrigine, sodium valproate and carbamazepine. Arch Dis Child 2011;96(7):643-7.
5. Christensen J, Grønborg TK, Sørensen MJ et al. Prenatal valproate exposure and risk of autism spectrum disorders and childhood autism. JAMA 2013;309(16):1696-703.
6. Elefant E, Assari F, Cournot M, Vauzelle Gardier C.
Antiépileptiques et grossesse.
31es Journées du CNGOF 2007;XXXI:73-93.
Dépakine® : à l’impossible nul n’est tenu…
Dr Thierry Harvey
Maternité des Diaconesses, Paris.
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