Françoise DAVIET-TAYLOR
« La personne, le corps, la mort », G. Jacquin (dir.), Le Récit de la mort, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 155-163.
Résumé
Cette contribution s’attache à interroger les conditions de possibilité du
« récit de la mort », étant donné l’unicité de l’événement qu’est « mourir ».
Cette unicité entraîne un traitement particulier dans la langue dont la prise en charge ne peut être faite qu’à la troisième personne : « quelqu’un est mort », « il est mort », « il y a eu de nombreux morts », « es hat gestorben ».
Cette restriction rend compte à elle seule de la nature essentiellement
« impersonnelle » du « mourir ».
Le caractère impersonnel du « mourir » se révèle pleinement dans la syntaxe et tout particulièrement, dès lors qu’il s’agit de rapporter le nombre de morts lors d’une épidémie : la mort comme phénomène « impersonnel » l’emporte sur le pluriel des morts « particulières ». La construction impersonnelle survient, qui rend compte de la mort comme « phénomène », traité comme un phénomène « météorologique » (il meurt chaque jour tant d’enfants dans le monde / il pleut beaucoup en Bretagne).
Le paramètre du temps (la mort au passé) corrobore ce traitement impersonnel de la mort « sans nombre » que rapporte une chronique médiévale allemande : es hat gestorben, litt. *il a mouru. La structure
« personnelle », avec être, encore possible quand on peut « compter » les morts (2327 personnes sont mortes, sind 2327 personen gestorben) est balayée quand la mort est devenue « innombrable ».
Convoquant le témoignage de Robert Anthelme, l’étude analyse le dire de l’impossible mort, dans les camps d’extermination nazis, pour les survivants, les corps-cadavre : « Ici, pas de dernier souffle. Pas de respiration de la mort.
Pas de vie expirant. »