• Aucun résultat trouvé

Article. Reference. Le texte hors de lui: le Commentaire. JEANNERET, Michel

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article. Reference. Le texte hors de lui: le Commentaire. JEANNERET, Michel"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le texte hors de lui: le Commentaire

JEANNERET, Michel

JEANNERET, Michel. Le texte hors de lui: le Commentaire. Littérature, 2002, no. 125, p.

25-31

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23341

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

[ Downloaded 17/05/2016 at 14:26:38 ]

1 / 1

(2)

Le texte hors de lui:

le Commentaire

Il y aurait beaucoup à dire en faveur de la clôture de l'œuvre sur elle-même. C'est en tout cas une nécessité pédagogique et un besoin de la lecture auxquels, à Genève, nous n'avons pas renoncé.

Mais nous baignons aujourd'hui dans un environnement intellec- tuel qui nous amène à interroger l'œuvre dans ses débordements, ses prolongements. On pourrait se demander pourquoi c'est l'illi- mitation qui est actuellement au programme et tenter d'identifier les raisons qui nous poussent dans ce sens. Je suis de ceux qui poseront plutôt la question du comment.

Parmi les multiples manières dont l'œuvre sort de ses con- tours, il m'a paru pertinent de proposer quelques réflexions sur la relation du texte avec son commentaire. Celui-ci peut renforcer les limites de l'œuvre ou au contraire les brouiller. Je voudrais définir d'abord ces deux solutions extrêmes.

La première, celle de l'écart maximal et de la clôture de l'œuvre, se ramène à la philolbgie - une invention de la Renais- sance. Que se passe-t-il alors? Les œuvres de l'Antiquité gréco- latine exercent un attrait immense, mais on découvre d'une part que la tradition a corrompu les textes et d'autre part que ceux-ci appartiennent à une culture lointaine, qui n'est plus immédiatement comprise. La conscience de la distance historique - une acquisition de cette période- exige donc des recherches savantes et des éclair- cissements ponctuels sur les difficultés rencontrées dans les œuvres. Ainsi apparaît le commentaire philologique qui, d'entrée, prend soin de distinguer les statuts des textes en présence, que ce soit par la typographie, la mise-en-page ou par la différence des . langues. Le commentaire se présente donc sans ambiguïté comme un métadiscours, il met les ressources de la philologie au service d'une œuvre qu'il explique sans l'altérer ni la concurrencer. Il adopte des méthodes scientifiques et s'organise comme une dis ci- pline indépendante. Simultanément, le texte commenté confirme sa supériorité ou gagne en prestige; il accède à la dignité du classique

25

LITTÉRATURE N° 125 - MARS 2002

(3)

• L'ŒUVRE ILLIMITÉ

et sera traité désormais comme un objet immuable. Il entre dans le canon, ou le musée, des œuvres littéraires, qu'on admire et qu'on commente, mais sans les toucher. La séparation de 1' érudition d'une part, de la «création» d'autre part, est un long processus qui, du

xvre

au

xvrne

siècles, va favoriser la naissance du concept de littérature. Tandis que la philologie se spécialise comme une tech- nique savante mais subordonnée, on crédite l'art d'un statut onto- logiquement supérieur. On en arrivera ainsi à la totale disjonction du

xrxe

siècle, avec, d'un côté, le chef-d'œuvre qu'on vénère comme une valeur irrationnelle, invariable, presque sacrée, et de l'autre, la science académique, qui revendique les qualités exacte- ment inverses d'objectivité, de rigueur, de dépendance. Ce scéna- rio du «superbe créateur et de l'humble serviteur, tous deux nécessaires, chacun à leur place» 1 est, aujourd'hui encore, large- ment reçu dans le monde universitaire.

Cette rigoureuse répartition des tâches satisfait les lecteurs épris de science, mais, à ceux qui attendent de' la lecture autre chose qu'un savoir sans saveur, elle impose de cruels sacrifices.

Car la distanciation historique et l'objectivation des œuvres, figées dans leur intouchable altérité, ne sauraient être des fins en soi. Un texte qu'on se contente de reconstituer comme le vestige d'un passé révolu est une chose morte. La philologie à l'état pur, scien- tifique et indifférente à son objet, asphyxie la littérature - elle l'a assez montré par la suite. Elle censure l'émotion, inhibe le goût et esquive l'interprétation, réduisant ainsi la lecture à une opération impersonnelle.

Tandis que la critique traditionnelle défend cette division étanche, d'autres la mettent en question en inscrivant le discours et le métadiscours dans la même mouvance. De Mallarmé à Proust, de Borgès à Blanchot, quantité d'écrivains injectent du commentai- re - ou de l'auto-commentaire - dans leurs œuvres. L'opposition simpliste entre l'imagination créatrice et la raison analytique est ainsi récusée, au profit d'un travail continu sur la profondeur des signes, la duplicité du langage, etc. Cette position est celle de Roland Barthes lorsque, dans Critique et vérité (1966), il défend son Sur Racine, et quelques principes de la Nouvelle critique, con- tre les attaques de Raymond Picard 2. La «crise générale du

26

Commentaire» 3 à laquelle, selon Barthes, on assiste dans les

1. Roland Barthes, Critique et vérité, Paris, Seuil, 1966, p. 47.

LITIÉRATURE 2. Nouvelle critique ou nouvelle imposture, Paris, J.-J. Pauvert, 1965.

N' 125- MARS 2002 3. Critique et vérité, p. 48.

(4)

années soixante, a été induite par les progrès de la réflexion sur le langage, sous l'effet de la linguistique et de la psychanalyse. La pluralité des sens, la profondeur et la liberté des symboles, le mou- vement infini de l'interprétation, ces données constitutives de la littérature - alors nouvellement acquises - entraînent que la mis- sion de la critique doit être radicalement repensée. À l'opposé dé la philologie qui fixe le sens littéral et, n'ayant «aucune prise sur les sens seconds» 4, passe à côté de la littérature, la critique s'inter- roge sur la profondeur et la mobilité des significations. Il en découle que l'écriture de la critique ne saurait être instrumentale, univoque et transparente, comme le voudraient Picard et ses amis, mais qu'elle interroge les symboles dans un langage lui-même symbolique. «La critique n'est pas une traduction, mais une périphrase. ( ... ) Le critique ne peut que continuer :les métaphores de l'œuvre, non les réduire» 5. Le commentateur et l'écrivain tra- vaillent avec le même matériau - le langage - sur le même objet - les signes et leur efflorescence. La critique et l'œuvre, coextensi- ves, relèvent donc à part égale de la littérature.

On peut sans doute rétorquer à Barthes que son Sur Racine n'a pas le même rayonnement que Phèdre, que sa lecture, si péné- trante soit-elle, demeure subordonnée et que la différence des sta- tuts n'est pas entièrement gommée. Il n'en reste pas moins que les symboles de Racine continuent à résonner et à produire du sens dans le commentaire de Barthes. «Nous devons lire comme on écrit» 6, dit-il. Ce qui veut dire que la lecture, mimétique, produit elle-même de l'écriture - l'écriture du critique qui continue celle de 1' œuvre commentée en actualisant son potentiel et en faisant à son tour ce qu'on peut appeler de la littérature. Barthes ne parle pas seulement ici de la Nouvelle critique, mais (sans le dire) de tous les lecteurs qui entretiennent avec le texte commenté une rela- tion d'empathie. Le commentaire qui réunit les meilleures chances de capter la substance de l'œuvre repose sur une communauté de pensée et une fusion des styles. Socrate enseignait déjà que le poète et l'interprète sont solidaires, attachés à la même chaîne de l'inspiration 7.

Le brouillage des niveaux, le rapport de continuité et de sym- biose entre l'œuvre première et l'œuvre seconde sont très actifs

4. Ibid., p. 53.

5. Ibid., p. 72.

6. Ibid., p. 52.

7. Platon, lon 535a-536c.

27

LITTÉRATURE N' 125- MARS 2002

(5)

• L'ŒUVRE ILLIMITÉ

dans la culture de la Renaissance. Je lui emprunte trois exemples, transposables dans d'autres contextes.

Première rencontre: un poète qui en commente un autre.

Rémy Belleau annote les sonnets de la Continuation des Amours · de Ronsard 8. À première vue, il adopte, pour ses explications, une bipartition traditionnelle: l' argumentum, qui résume l'histoire, en précise les circonstances, et l' annotatio, qui livre en vrac des éclaircissements érudits. L'étonnement vient du déséquilibre des parties: la relation de l'événement - une paraphrase - occupe plus de place que les notes savantes, jusqu'à envahir parfois l'espace entier du commentaire. Et s'il suffit par moments de quelques mots pour raconter l'action, il arrive aussi que le résumé s'amplifie au point de dépasser en longueur le poème lui-même.

Le commentateur renonce donc à tenir son rôle d'érudit et s'empare du poème pour narrer, à son tour, un épisode amoureux.

Il est vrai que le passage des vers à la prose imprime au récit une allure différente: le lyrique verse dans le narratif et, la première personne étant remplacée par la troisième, 1' intensité du discours passionnel se perd. L'amant pleurait, implorait, se réjouissait, confessait; sa parole était une action, elle simulait le jaillissement instantané. Tout cela, rapporté à un tiers, se trouve maintenant objectivé, distancié, soumis à une logique et une chronologie con- formes aux lois du récit. Le projet narratif ne s'arrête d'ailleurs pas là. Lorsque l'occasion s'en présente, Belleau complète sa para- phrase en imaginant les conditions qui auraient accompagné la naissance du poème. Il précise dans quelle circonstance Ronsard a pris la parole et à quelle fin, il identifie éventuellement le destina- taire, construisant ainsi une scène pour situer le discours poétique au cœur de la vie ordinaire. La tendance romanesque est évidente:

Belleau crée des effets de réel, il confond auteur, poète et amant, comme si, oubliant qu'il commente des fictions et des faits littérai- res, il voulait contribuer à une biographie légendaire de Ronsard.

Un autre commentateur, Marc-Antoine Muret, avait déjà annoté le premier livre des Amours de Ronsard 9 et, assumant plei- nement, quant à lui, le rôle du philologue, s'était situé résolument au niveau du métadiscours. Le projet de Belleau est différent:

l'original lui fournit le prétexte d'un beau récit. Si le poème fait

28

allusion à un mythe, il saisit l'occasion, là encore, de compléter

LITTÉRATURE 8. Rémy Belleau, Commentaires au second livre des Amours de Ronsard, Genève, Droz, 1986.

125 -MARs 2002 9. Marc-Antoine Muret, Commentaires au premier livre des Amours de Ronsard, Genève, Droz, 1985.

(6)

l'histoire et d'illustrer son habileté de conteur. Sans fausse modes- tie, il prend sa place dans la chaîne de la création. Ronsard a raconté un événement et voilà que lui, à son tour, raconte ce que Ronsard a raconté. Version en vers et version en prose se succè- dent comme dans un prosimètre. Deux styles alternent, deux auteurs se font écho, dans un rapport de ressemblance ou de rivali- té qui n'a pas grand chose à voir avec la hiérarchie du commenté et du commentant.

J'emprunte mon deuxième exemple aux Essais de Montaigne, dans lesquels le flottement dans la démarcation du primaire et du secondaire se radicalise. La structure du commentaire y est omni- présente, mais si étroitement intégrée au tissu de l'œuvre que la distinction des niveaux devient imperceptible.

À l'origine des Essais et tout au long de leur production, il y a la lecture des Anciens. Selon un geste commun parmi les huma- nistes, Montaigne feuillette les livres de sa bibliothèque, les discu- te, les commente et les compare. Il relève des passages intéressants, prend des notes et, sur telle action, telle pensée ou tel tour de style, seforge une opinion. À partir de là, l'avènement de l'œuvre personnelle n'est qu'une question de degré. Ce qui aurait pu rester un simple divertissement d'amateur - la confection d'une anthologie et l'adjonction de remarques marginales - devient la matière même dès Essais. Dans cette «marquetterie mal jointe» 10,

comme dit Montaigne, les emprunts aux classiques sont partout, et sous des formes extrêmement diverses, de la citation exacte à l'allusion vague, en passant par la traduction, la paraphrase, le résumé. Si l'auteur invoqué est parfois nommé, il rèste le plus sou- vent tacite, et la référence, à peine reconnaissable. Il en résulte un entrelacement constant de matériaux étrangers et d'interventions personnelles, ce qui complique bien sûr la distinction .du texte et de l'intertexte, mais aussi celle du discours et du métadiscours.

Car Montaigne se soucie peu de respect philologique et de distan- ce historique. Les textes qu'il allègue ne l'intéressent que dans la mesure où ils participent au projet fondamental de son livre:

l'introspection. Son but n'est pas d'expliquer l'auteur qu'il cite, mais de s'observer lui-même comme un lecteur qui, stimulé par la confrontation, réagit et, de la sorte, se découvre à lui-même. Il approuve ou il réfute ce qu'il lit, ille critique et cherche éventuel- lement une solution alternative; du coup, il consolide son juge-

10. Montaigne, Les Essais, éd. P. Villey, Paris, PUF, l965, p. 964.

29

LITIÉRA TURE , N° !25 -MARS 2002

(7)

30

LmÉRATURE

• L'ŒUVRE ILLIMITÉ

ment, se construit une pensée et surtout se regarde en train de réfléchir. À la dissémination des références classiques dans la tex- ture des Essais répond donc la propagation du commentaire - mais un commentaire étrange, il faut le reconnaître, puisqu'il est totale- ment fondu dans le paysage et qu'il a pris une allure résolument subjective et réflexive. Grâce au miroir que lui tendent les livres d'autrui, le commentateur se regarde lui-même et, par là, il aiguise la conscience de soi, il se constitue une personnalité.

Dans une situation comme celle-là, nous avons deux cas d'œuvre illimitée. D'abord en amont: le texte classique est rouvert et, ranimé par le commentaire, redistribué dans un environnement nouveau, il sort de son cadre et subit une transformation. Mais le brouillage des limites affecte aussi, en aval, le texte des Essais.

Car si Montaigne glose d'autres auteurs, il se glose aussi lui- même. À tout moment, il interrompt le mouvement de son exposé pour s'expliquer et s'auto-commenter. Le curieux usage des adjonctions est bien connu: Montaigne se relit et, dans les marges du texte publié, il introduit des remarques, des compléments, des corrections, qui seront incorporés à l'édition suivante, dans laquel- le les deux niveaux deviendront indistincts. Revenant sur ses anciens propos, il adopte donc l'attitude du commentateur qui, sur ce qui a été écrit, trouve toujours à redire. Mais le réflexe d'auto- commentaire est si profond qu'il ne se limite pas aux interventions a posteriori, décalées dans le temps. Même dans le cours de la rédaction primitive, à n'importe quel point de n'importe quel déve- loppement, Montaigne a l'habitude d'interrompre le fil de son dis- cours pour glisser un commentaire et faire l'exégèse de ce qu'il vient d'écrire. Qu'il attire l'attention sur la pensée ou sur le style, qu'il glose le choix de ses matériaux ou le cheminement de son exposé, il tient simultanément le rÔle de l'écrivain et celui de l'interprète. Si son livre «parle de soy» et «se renverse en soy» 11 ,

c'est qu'il n'en finit pas de s'autogénérer en se commentant lui- même. Si jamais auteur a eu conscience qu'il était embarqué dans un processus sans fin et que son œuvre débordait ses limites, c'est bien lui.

Je pensais développer un troisième exemple, mais, comme le temps manque, j'y fais référence pour esquisser une conclusion. Il s'agit d'une pratique profondément ancrée dans la spiritualité chré- tienne, la méditation- un exercice que l'on peut définir comme le

N' 125 -MARS 2002 11. Ibid., chap. III, 13; p. 1069.

(8)

commentaire libre et l'amplification personnelle d'un passage biblique. Le lecteur commence par s'imprégner du texte, il se l'approprie, l'ingère et l'interroge inlassablement, afin d'en déga- ger toutes les puissances signifiantes. Que la méditation soit un travail purement mental ou qu'elle recoure à l'écriture pour donner forme à ses intuitions, elle entrelace la parole du fidèle et la parole de Dieu, elle est mimétique et osmotique.

Ce modèle de la méditation spirituelle appartient sans doute, pour beaucoup d'entre nous, à un autre monde. Mais la lecture d'appropriation et d'identification peut adopter d'autres objets que la Bible. Et là, elle nous concerne tous. Bien sûr, le commentaire savant et distancié, selon la formule philologique, est une nécessité de l'enseignement et de la recherche. Mais c'est une autre tâche de 1' enseignement que d'encourager le risque interprétatif, 1' engage- ment du lecteur, et de montrer que l'œuvre littéraire fait partie intégrante de notre expérience. Le commentaire doit aller et venir entre la glose érudite et la symbiose. Si nous ne continuons pas l'œuvre en la faisant nôtre, elle demeure lettre morte. Pour le dire autrement: si les œuvres n'étaient pas illimitées, notre métier ne vaudrait pas une heure de peine.

31

LITTÉRATURE N' 125 - MARS 2002

Références

Documents relatifs

Tout comme l’explication de texte, le commentaire composé exige la description du texte littéraire dans une situation supposant connaissances culturelles et outillage.. Cet

1- Système d’ambivalence : impressionner pour convaincre 2- L’alchimie du verbe.. Axe 1 : Système d’ambivalence : impressionner pour

« sans rien changer au sens du texte » : voilà assurément une gageure 4 … Mais c’est finalement là une façon de parler qu’il est facile mais inutile de contester. Le

Des mesures seront prises, chaque fois que ce sera possible, pour encourager l’étude de tous les types de filarioses en organisant des réunions régionales, et pour

Le commentaire de textes historiques se compose de trois parties: l'introduction (ou la présentation), le commentaire proprement dit (ou l'explication) et la

Alain BESANÇON, C'était à Washington, au bar d'un grand hôteL.... Enzo BETTIZA, En mai

Jean PISANI-FERRY, La Chine, l'économie mondiale et l'Europe.. Michel CICUREL, La Chine à la quête

Émile PERREAU-SAUSSINE Jean-Robert PITIE Philippe RAYNAUD Antoine SCHNAPPER Jean SÉRISÉ Éric THIERS Jean roUZOT Michèle TRIBALAT Alberto VELASCO. Antoinette WEBER-CAFLISCH