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La plaine de Nullarbor et son karst
SESIANO, Jean
Abstract
La plateforme calcaire de Nullarbor, dans le sud de l'Australie, est présentée. De nombreux phénomènes karstiques l'affectent. Quelques observations sont exposées, une analyse d'eau a été effectuée dans une grotte et une concrétion de calcite noire a été datée par paléomagnétisme. Elle est plus vieille que la dernière inversion du champ terrestre, soit 780.000 ans.
SESIANO, Jean. La plaine de Nullarbor et son karst. Le Globe , 1995, vol. 135, p. 121-129
DOI : 10.3406/globe.1995.1345
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41186
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tzl
LA PLAINE DE NULLARBOR ET
SONKARST
Jean Sesiano Département de Minéralogie
Université de Genève
1. Introduction
Situee le long de la côæ sud de fAustratie, entre
29
et 33o de latitude su4 la plaine de Nullarbor recouwe une superficie equivalente à cinq fois celle de la Suisse, soit environ 200.000 lsn2. C'est une plateforme rectangulaire formee de dépôts calcaires datant du Tertiaire, c'est-àdire d'âges compris entre 40 st 20 millions d'annees (Eoc€ne à Miocène). Elle est inclinee très légèrement en direction de locéan, et son altitude mildmale, 240 m, se trouve dans I'angleNW.
Le contact entre la côte et I'océan indien (ou "southern ocean" comme l,appellent les Australiens) est très brusque puisqu'il consiste en une falaise de 50;
100 m de puissance sur un front de près de 800km.
Mais, sur la moitié de son extension" cett€ falaise est fossile puisqu'elle peut se trouver jusqu'à 50 lan du rivage, une plaine côtière basse et souvent sablonneuse I'isolant alors de I'océan" Ony
observe des dunes actives, mais également certaines autres, stabilisees par la végétation.Iæ climat de
cett€partie de
l'Australie est semi-arideà
aride. Dans la classification climatique de Kôppen, on parlerait d'un climat chaud serni-aride au voisinage de l'océan(tlpe
Bsh) et d'un désert chaud (Bwh) dâns la partie septentrionale dela
znne. I-es precipitations annuelles atteignent 25 cm surla
côte, mais moinsde 15 cm à
l'interieur.Au
sud, elles sont surtout hivernales (uillet-août), detlpe
frontal, mais plutôt estivales et orageuses plus au nord (anvier-fewier). De plus, de fortes rosées affect€ntla
côæ à cause des contrastes thermiques jour-nuit très marqués. Juillet est le mois le ptusfroid
avec des minima moyens journaliers allant de4 à
7o selon la proximiæ de la mer. Des gels peuvent survenir à I'occasion. En janvier, lest"-.t"rr
moyens journatiers vont de 24 à 35o, de nouveau selon où I'on se trouve"Ce climat assez rude se traduit par une végétaûon relativement reduiæ du type steppe
à
buissons. Cependant,à
proximite dela
côte,le
nom même de Nuliarbor (dulatin:
aucun arbre) perd toute signification puisqu'on y observe une végétation arbustive où I'acacia gt I'eucalyptus dominent, avec des zonesLE
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135 - 1995plus buissonneuses ou herbeuses. Ceue végétation est implantee dans un sol très peu épais surmontant direcûement le calcaire, sauf à l'ouest de
la
znne"Parfois, la roche affleure, limitant alors drastiquement toute forme végétale.
Cela peut être le résultat de la déflation car les vents à renverseme,nt journalier peuvent soufler violemment
Un réseau hydrographique organisé est inexistant: lors de foræs mais brèves
pluies, I'eau
qui
n'a pas ét€ évapotranspiree peut se rassembler dans des depressions avant de disparaître rapidement en profondeur. Seuls quelques chenaux fossiles temoignent d'un écoulement ancien" peut€tre endoréiique,puisqu'il senrble n'avoirjamais pu atteindre le rivage.
Deux moyens de communication traversent le Nullarbor: une voie de chemin de fer au nord, et la route Eyte, proche de la côte, roliant Aclelaide à Perth.
Le trafic
y
est faible, quelques véhicules par heure, surtout des camions"A
part cela" des pisæs.Sur les cartes au
l:
250.000, les grottes, dont nous parlerons plus loin" ont eté preciséme,nt reportées, visibles qu'elles étaient sur les photos aerie,nnes. Mais pratiquement pour savoir si nous étions sur la bonne piste ou à l'entree de lacaviæ
prerrue,nous
avons abondammentutilisé un
instmment GPS (positionnement par satelliæs), puisqu'aucune indication n'est disponible sur leterrain. De plus, à part quelques habitations le long de la route Eyte, tous les
100
lon
envirorqla
presence humaine,tant
aborigène que blanche, est inexistanæ; ceci tient à I'absence d'eau potable(il y
a de I'eau en profondeur, mais elle est saumâtre).LE
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2" Les formes karstiques
Même
si
la végétation est peu développee et les précipitations très faibles, paradoxalement de nombreuses formes karstiques sont observables dans la plaine de Nullarbor.Il
y a d'abord des formes de surface: des lapiés, peu développes, des cuvettes et des rigoles presentes au voisinage de dolines assez régulières, de plus ou moins grandes dimensions,tant
horizontalement que verticalement.Irurs
pourtours, souvent surplombants, dominent frequemmentdes îlots
devégetation qui se sont établis dans ce microclimat favorable: abri contre le vent, amplitude thermique reduiæ et humidit€ residuelle. Ensuiæ,
il y
a des depressions qui sont de toute évidence dues à I'effondrement de la voûæ delarges
galeries. Il
est souvent possibled'y
descendre puis de suiwe cestunnels
sur
plusieurs centainesde
metres.L€s
dimensions peuveirt être impressionnantes: 25m
de hauteur,40 m
de largeur.un
exemple en est donné par la grotte d'Abrakurie, 220 km à l'ouest du hameau de Nullarbor.En d'autres endroits, ce sont des cavites plus ou moins circulaires, creusées
par la
corrosionà
une certaine profondeurau
depart" puisqui
se sont dweloppeesvers le haut pour
finalement afieindrela surâce
après effondrement de la voûte. Elles se présentent alors sous la forme d'une enetre de quelques mètres de diametre s'ouvrant surun
chaos de blocs, parfois cyclopeens. De telles cavites,à
I'entree exigûe, pzuvent êfiele
siège de courants d'air aspirant ou soufflant (d'où Ie qualificatif local de "blow-hole,') selon lheure oula
saison. Par exemple, lors de notre visite en août 1995(hiver austral!) à lgh à la grotte d'Iny, S
hn
au NW des quelques bâtisses deNullarbor, le courant d'air dirigé vers I'exûerieur éûait assez violent pour faire claquer une chemise verticalement audessus de l'orifice; I'air qui s échappait
de la cavite avait une odeur
"pharmaceutique"due
probablement à l'arnmoniac libérépar
les déjections des chauves-sourisqui y
avaient élu domicile.Un simple calcul nous montre qu'avec une vitesse nuximum de
l0
lffn/h et un orifice deI
m2, ce sont 3 m3 qui sont expirés chaque seconde par la grotûe aq plus fort du phenomène. Ce régime se maintenant durant une à deux heures en croissant puis en decroissant, ce sont plusieun milliers de m3 d,air qui transitent dans un sens ou dans I'autre. Les dimensions de la cavite, 60 m sur40 sur 20,
avec eir plusun
second volume probablement plus grand, lui inaccessible, car compris e,lrtre les blocs ébouleset
dans les fissures desparois,
tout
cela est compatible avecle
calculqui vient
d'êtrefait.
IÆ lendemairq un faible courant, aspirant cette fois, etait juste perceptible" On aLE GLOBE. TOME
135 - 1995donc affaire à une véritable n'respiration"
de la grotûe due à Ia diftrence de densiæ entre I'air extérieur froid et I'air interieur chaud, en hiver du moins.
Des variations rapides de la pression aûnosphérique peuvent mener au mêmo résultat. Insensible serait donc le courant dans une grotûe à large ouverhrre.
Tout autre est
le
phenomene observé en quelques eirdroits seulement: la presence d'eau saumâtre, 60à
120m
sousla
surface du plateau. Elle se prése,nte sous forme de vastes lacs se poursuivant par des galeries noyees.Stagnanæ
au
premierabor4 elle est
cependant animeed'un très
lent mouvement versla mer.
Elle æmoigne du niveau phreatiquelocal. A
laTable
I,
on trouvera I'analyse d'un échantllon d'eau prélevéle 1l
août 1995 dans le vasûe lac de la grotûe Weebubbie, 200 km à I'ouest de Nullarbor.Température:
Turbidité:
Conductibilité:
pH à 25o:
Dureté totale TH:
Dureté permanente:
Azote nitrique:
Oxydabilité:
Calcium:
Magnésium (dosage):
Magnésium (calculé):
Sodium:
Potassium:
Fer total:
Cuivre:
Chlorures:
Sulfates:
1g"c 0, 18
22.0ffi p
S/cm 6,82350,6 0f 342,7 0f 51,18 mg/l 55 mg/l KMnO+
414
mgll
520
mgll
560,7 mg/l 4195 mg/l 72
mgll
0,680 mg/l 0,059 mg/l 7500 mg/l 776
mgfl
Table l" Analyse d'eau de la grotte Weebubbie (Aushalie)
On y remarque la prepondérance des chlorures, des sulfates et des carbonates.
Les deux prenriers anions pourraient témoigner d'une communication avec la mer (chlorure de sodium et sulfaæ de calcium), et le demier de la dissolution du calcaire (carbonate de calcium) dans lequel se développe la cavite. Nous rwiendrons sur ce point. Dans certaines grotûes, on constate la prese,nce de concrétions, stalactites, stal4gmites, coulées, parfois fortemelrt teintées en brun-rouge par des o)'qfdes de fer ou de la matière organique. EUes att€sûent d'une phase climatique plus chaude et plus humide que I'actuelle, puisque le
LE
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suintement est maint€rumt pratiquement nul et
la
végétation peu abondante, ces deux facteurs etant prepondérants dans la precipitation du calcaire.Finalement, on peut encore relever que certaines de ces caviæs fonctionne,nt
en véritables pièges
à faune.
C'estle
caspar
o(emple dela
grotûe deKoomooloobooka dont les 5 fenêtres de
I
à 2 m de diamètre donne,lrt sur une vaste salle,6 à 8 m plus bas. Lors
des rares pluies, quelques cuvetûes rocheuses autour des fenêtres peuve,nt se remplir d'eaude
ruissellemengattirant ainsi les animaux. Durant la nuit, de
nombreuses chutes seproduisent. C'est ainsi qu'à I'aplomb des fenêtres se développent des charniers
où l'on
trouvedu lièwe, du
dingo (chien sauvage), des rongeursst
du kangourou. Ces animaux sont en général fués sur le coup ou, s'ils survivent àla
chute,ils
peuvent s'aventurerplus
profondément dânsla
caviæ pour finalementy É.it.
Prochesou
éloignésdu point de
chute,ils
sontfrequemment momifiés par la sécheresse de I'air.
Rwenons à la presence de ces galeries de grandes dime,nsions, descendantes
ou
horizontales, envahiespar l'eau.
Iæs selsqui
rendent I'eau saumâtre peuvent avoir éte amenés de I'extérieur par les ruissellements occasionnels:par exemple, des sels marins, rest€s d'embruns évaporés puis transportes à I'interieur par les brises de mer, ou issus de lacs endoréiiçes, la plupart du tcmps salés, et s'asséchant en étn. Ils peuvent aussi provenir directement de l'océan si la caviæ est en communication avec la mer. Mais le point le plus étonnant est sans conteste
le
volume de ces enormes galeries proches du niveau de base.Il
a fallu un écoulement important etduàble
pour atûeindre de telles dimensions. En admettant un environneme,!il tectonique stable, ce qui est assez raisonnable en Australie où les séismes ne sont pas très frfruents, c'est-àdire une altitude de la plateforme pratiquement sans changements, on doit faire alors appel à des variations eustatiques.Il
y a environ 20.000 atrs, durant la dernière periode glaciaire, le niveau marin a ûÉ deprimé d'environ 120m.
Avec un tel abaissement du niveau de base,avec de plus une geographie régionale très
diftrente
de l'actuelle(la
merd'Arafur4 la mei de Timor et le golfe de
Carpenterie n'existant plus, I'Australie etart reliee à la Nouvelle4uinée), gt des courant marins aux trajets autres que ceux que I'on observe actuellemen! le climat dela
côæ sud deI'Australie était probablement
plus humide.
Durant une telle phase, des réseaux preexistants, puisque ces variations climatiques n'ont pas éte uniques,ont
pu à
chaque fois être agrandispar
des eaux courantes,et
non ssmi- stagnant€s comme c'est le cas actuellemen! puisque le gradient était devenuLE
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135 - 1995plus important. Du
concretionnementa
alorspu
sedéposer. De
rares datations basees sur les coupleslJN,
UÆh et Th/Th nous donnent des âges en général supérieurs à 400.000 ans (Goede et al., 1990)"Ensuite, avec
la
dernière et récente remontée du niveau nurin, on assiste à un ennoiement des galeries, à une péjoræion climatique dans le sens d,une aridité plus marquee età
une sorte de mise en veilleuse de l'évolution karstique, habituellement caracteriseepar
une dynamiquerapide.
C'est pourquoi la sifuation actuelle est figee, momentanement sans doute. Nous avonsfait
un prélèvemeirtd9
calcite stalagmitiquele
12 août 1995 dansla
grotûe deKoomooloobooka.
Il
n'était pas en place, mais son orientationi pu
êtreestimee par I'environnement de I'echantillon. Sa couleur foncee attestait d,une grande abondance
en
oxydesde fer.
Une det€rmination paleomagnetique (direction et intensite du champ geomagnetique au moment de Ia formation de l!échantillon) a etÉ tffitæ au Laboratoire de Petrophysique du Département de Minératogie de I'Universiæ de Genève.Il
s'avère qu"t"
direction du champ, mémorisépar Ia
calciæ, etaità
c€tt€ époque inversede la
configuratiônastuelle.
Iæ re,nversement s'étant produit entre les époques Mafuyu* ,t
Brunhes,
il
y a 780.000 ans, I'echantillon doit donc êtraplusvieux.
D'autres prélèvements devraient confirmer ce chiffie.3. Conclusions
La plaine de Nullarbor, region semi-aride du sud de I'Australie, présenk des phénomènes karstiques interessants, mais
qui ne
semblent-p1.r, évoluer présentement. Ils sont hérites de périodes ciimatiquement plus favorables par I'abôndance des precipitations et par une vegétation plus développee. I-es macroformes karstiques d'écoulement semblent rncompatibles avec
la
faible altitude de la plateforme carbonatê du Nullarbor. Cependant,il
faut prendre en compte lefait
qu'à de nombreuses reprises le niveau-"""
s'est àbaissésubstantiellement lors des périodes glaciaires, tandis qu'un climat différent se
mettait en place. Cett€ clépression du niveau de base a exacerbé le creusement permettant à des volumes considérables d'être excavés. Le paysage que nous considérons aujourdhui, statique à notre echelle humaine d,,
É-ps,
n'"rt q.r*I'héritage d'un passé dynamique, très proche à I'echeiie geologique.
Bibliographie
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LE
GLOBE - TOME135.
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LE
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Remerciements
,J'exprime ma gratitude au Laboratoire de I'Eau des Services Industriels de Genève, et plus particulièrement