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Interactions, discours, significations

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Interactions, discours, significations

BRONCKART, Jean-Paul

BRONCKART, Jean-Paul. Interactions, discours, significations. Langue Française, 1987, no.

74, p. 29-50

DOI : 10.3406/lfr.1987.6434

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:37348

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M. Jean-Paul Bronckart

Interactions, discours, significations

In: Langue française. N°74, 1987. pp. 29-50.

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Bronckart Jean-Paul. Interactions, discours, significations. In: Langue française. N°74, 1987. pp. 29-50.

doi : 10.3406/lfr.1987.6434

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1987_num_74_1_6434

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Jean-Paul Bronckart Université de Genève

INTERACTIONS, DISCOURS, SIGNIFICATIONS

« Pour certaines personnes, la langue, ramenée à son principe essent iel, est une nomenclature, c'est-à-dire une liste de termes corres pondant à autant de choses (...). Cette conception est criticable à bien des égards. Elle suppose des idées toutes faites préexistant aux mots (..et..), elle laisse supposer que le lien qui unit un nom à une chose est une opération toute simple, ce qui est loin d'être vrai »

(CLG, p. 97).

La critique, qu'en son temps F. de Saussure adressait à la conception profane du sens, est certes bien connue; elle a été si fréquemment refor mulée qu'elle en paraît banale : les significations langagières ne procèdent pas d'un rapport simple et direct entre choses et mots, et il y a lieu — à tout le moins — de distinguer un sens premier (littéral ou dénotatif), appréhendable « en langue », d'un sens second ou effectif, lié aux condi tions du fonctionnement extralangagier. C'est cette conception plus complexe de la signification que développent notamment, avec des for tunes diverses, la pragmatique linguistique et différents courants de recherche axés sur renonciation, le contexte et les conditions d'emploi.

Et pourtant! A consulter attentivement certains travaux contemporains, qu'ils émanent de linguistes (cf. Katz & Postal, 1964; Van Dijk, 1983), de psychologues (cf. la plupart des travaux centrés sur la structure de la mémoire), ou encore de spécialistes de l'analyse de contenu, on peut douter que la critique saussurienne ait vraiment été entendue; tout semble se passer en effet comme si les items verbaux constituaient d'abord et essentiellement des « étiquettes » apposées conventionnellement sur des

« faits » ou des « images préexistantes » et, dans la plupart des cas, le rôle des facteurs extralangagiers apparaît comme secondaire, quand il n'est pas simplement nié.

Pour dépasser cette contradiction entre affirmations théoriques sur le sens et pratiques de recherche, nous tenterons de démontrer, dans ce qui suit, que l'analyse du fonctionnement discursif (cf. Bronckart et al.,

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Le fonctionnement des discours — ci-après FdD) constitue l'une des voies d'approche possibles d'une conception de la signification qui intègre l'usage et les facteurs extralangagiers. L'usage est le produit de l'action, et l'usage verbal est plus particulièrement le produit d'interactions lan gagières; ces interactions se concrétisent en discours de divers types, et c'est dans le cadre du fonctionnement de chaque type de discours que se réalise l'articulation subtile entre paramètres de la communie-action et paramètres de la référentialisation dotant chaque unité linguistique de sa signification. Avant de nous essayer à cette formulation des relations entre interactions, discours et significations, il nous paraît indispensable de reprendre l'examen des causes de l'impasse d'une analyse de la signi fication qui ne s'intégrerait pas à une analyse des discours.

I. De l'essence à l'usage : l'impossible sémiotique

Les fondateurs de la pensée occidentale débattaient avec passion du statut des mots et de leur signification; aux essentialistes (Cratyle : il existe une dénomination juste pour chacun des êtres) s'opposaient les conventionnalistes (Démocrite : pour une même réalité, on peut utiliser des mots différents, pour un même événement, des propositions de struc tures différentes); aux partisans de l'intercompréhension (Antisthène : il est impossible de « contre-dire » parce qu'il existe une harmonie prééta blie entre objets et discours portés sur ces objets) ceux de l'incommun icabilité et du scepticisme (Socrate : on ne peut être sûr que du caractère incertain du sens des mots); aux tenants de la diversité, les promoteurs d'une langue idéale, etc. Débats et analyses d'une richesse insoupçonnable, catalyseurs d'enjeux sociaux et politiques décisifs; la position conven- tionnaliste, le scepticisme (et l'ironie qu'ils engendraient) allaient rap idement être ressentis comme dangereux pour l'ordre public naissant

(Parménide : s'il est conventionnel, le langage pourra propager des idées fausses!) et allaient appeler un discours d'ordre, d'unification et de paci fication. Ce fut le « Cratyle », synthèse habile du conventionnalisme (les groupes humains ont des mots qui leur sont propres) et de l'essentialisme (ces mots sont néanmoins choisis parce qu'ils sont adaptés à ce qu'ils désignent), puis la conception aristotélicienne du langage comme image organisée (mots et propositions) d'un réel lui-même ordonné et comme instrument efficace de communication (les mots ont un sens — et un seul

— que chacun peut reconnaître). Relayée et banalisée par la scolastique, périodiquement adaptée aux changements culturels et scientifiques (Port- Royal, Chomsky), cette conception a résisté victorieusement à toutes les formes de scepticisme sémantique, et c'est elle qui est restée en vigueur dans la pensée profane comme dans la pensée scientifique, malgré les contestations et les remises en cause périodiques.

Tout entière consacrée à la reformulation puis au dépassement de cette perspective traditionnelle (que nous qualifierons parfois, à la suite de de Mauro, 1969, d'« aristotélisme linguistique »), l'œuvre de Witt genstein nous servira, tout naturellement, de fil conducteur. Premier (et

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peut-être le seul) philosophe contemporain, Wittgenstein est un bavard qui ne dit rien, qui va, qui vient, revient, se trompe, se contredit, avec une exigence et une lucidité irritantes, et qui, malgré la multitude d'exemples qu'il assène, finit par convaincre par le seul langage de sa propre démarche. Convaincre de ce que les chemins battus et rebattus sont sans issue, et qu'il faut aller chercher ailleurs, autrement. D'une manière inévitablement simpliste et conventionnelle, nous distinguerons trois étapes dans ce parcours qui condense l'essentiel des propositions sémiologiques : la sémiotique de l'image, la sémiotique du système et la sémiotique éclatée.

A. La sémiotique de l'image

« Peut-être est-ce le mérite du Tractatus d'avoir tracé de la façon la plus éclatante, parce que la plus dense et la plus abrupte, ce schéma que (...) nous sommes contraints de suivre dès que nous entreprenons de chercher la Vérité dans (ou du) le langage (pensée) l » (Hottois, 1976, p. 55).

Dans une perspective proche de celle de Saussure (qui désespérait

« d'écrire seulement dix lignes ayant le sens commun en matière de faits du langage »), Wittgenstein se propose, dans son premier ouvrage (le Tractatus, ci-après T.), de définir les conditions nécessaires « à priori » de tout langage. Partant de l'observation des productions concrètes et triviales (le « langage ordinaire »), il tente de définir l'ordre sur lequel elles reposent, malgré leur désordre apparent, leur incomplétude et leur grossièreté. Les thèses qu'il développe peuvent être résumées de la manière suivante.

1. Le monde existe en dehors de la langue, il est le produit d'une combinaison structurée défaits (cf. T., 1.1.), ces faits eux-mêmes étant le résultat d'une combinaison ďobjets.

2. Le langage est constitué de propositions, ou plus exactement de combinaisons de propositions élémentaires. Chaque proposition élément aire est elle-même une connexion de noms.

3. Le nom constitue l'unité ultime et inanalysable de la langue (c'est un «signe primitif»). Il possède une référence (« Bedeutung »), c'est-à- dire qu'il renvoie à un objet du monde qui est la condition même de son existence. Il ne prend toutefois son sens que dans le cadre de la proposition.

4. La proposition a un sens (« Sinn ») lorsqu'elle est Vintage d'un fait ontologiquement possible. Elle n'a de sens que lorsqu'elle correspond isomorphiquement à un fait préexistant; elle entretient donc une relation essentielle aux faits et au monde (T. 3.21).

5. Le sens de la proposition inclut ses conditions de vérité, et ces conditions de vérité permettent de la comprendre. Vérité et fausseté constituent cependant un problème empirique, indépendant du sens pro-

1. La première partie de cet article s'inspire largement de l'ouvrage de Hottois, « La philosophie du langage de Ludwig Wittgenstein » (1976).

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prement dit; une proposition est vraie si elle est l'image d'un fait réel existant, sinon elle est fausse. Ce qui est essentiel pour la proposition, c'est qu'elle ait un sens, qu'elle corresponde à des faits possibles; ce qui est accessoire c'est que ces faits soient réels ou non, c'est-à-dire que la proposition soit vraie ou fausse. « La proposition montre son sens (T. 4.022) »; elle ne l'exprime pas.

6. Le langage constitue dès lors un Grand Miroir des faits possibles (« de l'espace logique » du monde), et l'élucidation de ses principes d'ordre devra consister d'une part (et d'abord) en une elucidation de la structure de cet espace et d'autre part (ensuite) en une formulation des règles de traduction (de correspondance) entre la forme du monde et la forme des propositions.

Comme le note de Mauro, ces thèses du T. ne constituent à première vue que de savantes (et souvent ennuyeuses) paraphrases des banalités

« dans lesquelles le grand public aime à vivre et à penser. Le monde des choses et des mots qui correspondent aux choses, des faits et des phrases qui correspondent aux faits, des noms qui dénotent les substances, les choses, les personnes ». (...Mais...) ce monde d'habitudes, de bon sens (...) s'évanouit d'un seul coup comme dans un livre de science-fiction quand Wittgenstein tire de lui, de ce que tous pensent de lui, avec un air

d'évidence, « l'ultime conséquence logique » (1969, p. 85-86). C'est qu'en effet la formulation des règles de traduction monde-langage (définissant le langage idéal ou « Begriffsschrift ») prérequiert une connaissance « à priori » de la forme des objets et des faits du monde. Or, comme Witt genstein finit par le reconnaître, cette connaissance directe est inacces sible; nous ne pouvons rien dire de précis des objets et des faits sinon qu'ils existent. Dès lors, opérant une volte-face surprenante, il renonce à la démarche « à priori » pour adopter une méthode banalement empi rique; désormais, c'est par l'analyse des énoncés eux-mêmes (du langage ordinaire) que l'on pourra accéder à la connaissance des propositions élémentaires, des noms et de leurs règles, c'est-à-dire à la connaissance du langage idéal. Ce ralliement à la démarche « à posteriori » allait produire un bien curieux résultat! Comment en effet peut-on faire, en s'en tenant au langage ordinaire, pour comprendre ce que signifie un mot, mélophage par exemple? En indiquant, avec des mots plus simples, ce qu'il désigne : « c'est une sorte de mouche ». Comment faire ensuite pour savoir ce qu'est une mouche? En évoquant une autre phrase faite de mots simples ou complexes (« c'est un petit animal de la catégorie des insectes »), qu'il faudra encore expliquer, c'est-à-dire paraphraser. Et ces paraphrases sont sans fin, comme le note Wittgenstein : « les signifiés des signes primitifs peuvent être éclairés par des illustrations. Ces illustra tions sont des phrases qui contiennent des signes primitifs. Elles ne peuvent évidemment être comprises que si les signifiés de ces signes sont déjà connus » (T. 3.263). En d'autres termes, on ne peut comprendre une phrase que si l'on connaît le sens des mots qui la composent, mais le sens du mot lui-même est relatif à la phrase dans laquelle il se situe (cf. thèse 3), et on ne peut donc l'appréhender que si on a déjà compris la phrase. Bref, nous ne pouvons comprendre un mot que si nous l'avons

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déjà compris; nous n'avons de la sorte aucune espèce de certitude quant au sens des mots, donc quant aux possibilités d'intercompréhension. C'est la solitude, le doute, le solipsisme : « les limites de mon discours dénotent les limites de mon monde » (T. 5-6).

On comprend mieux dès lors le caractère décisif du parcours para doxal que constitue le Tractatus. A vouloir assurer à tout prix les struc tures du langage par les structures du monde, Wittgenstein finit par déstabiliser tout l'édifice. A vouloir pousser jusqu'au bout les thèses de l'aristotélisme linguistique, il en vient à conforter la position contre laquelle celui-ci s'était érigé, à savoir le scepticisme sémantique. Malgré tous ses « défauts », cette œuvre est capitale, parce que son jusqu'au- boutisme logique conduit à une forme de clôture de la pensée occidentale classique, et parce que, plus profondément, elle recense et condense toutes les difficultés et les contradictions que rencontre une approche du langage

« qui ait la prétention d'élaborer une théorie unitaire de l'essence et du fonctionnement de celui-ci et qui veuille reconnaître à la " logique du sens " une univocité et une stabilité immuables » (Hottois, 1976, p. 55).

B. La sémiotique du système

Après cet échec théorique, et un silence de près de dix ans, Witt genstein (qui avait quitté Vienne pour l'Angleterre) entreprit de rédiger un ensemble de commentaires critiques du Tractatus, qu'il ne publia pas, mais qui furent rassemblés après sa mort en deux ouvrages, Remarques philosophiques (1964-1975) et Grammaire philosophique (1969-1980). Ces écrits intermédiaires restent proches du T. quant à leurs objectifs, mais les solutions qui s'y ébauchent annoncent les propositions qui seront formulées dans le dernier Wittgenstein, celui des Investigations philo sophiques (1953-1961). Ils se caractérisent par les idées-force qui suivent.

1. L'objectif primordial reste d'élucider l'essence du langage. Mais Wittgenstein renonce à chercher cette essence dans la structure des faits ontologiquement possibles du monde, pour se centrer sur l'analyse du processus même de traduction entre ordre du monde et ordre du langage, c'est-à-dire sur la fonction de représentation (« Darstellung »).

2. A la méthode de projection unique de T. se substitue une diversité de règles de représentation. Le caractère unaire de la proposition (une relation « sujet-prédicat ») n'est qu'une apparence qui masque la diversité des formes logiques sous-jacentes. Désormais, décrire le langage, ce sera décrire les différentes règles d'une syntaxe de représentation de formes profondes en propositions superficielles. La parenté avec les objectifs de la grammaire generative est ici assez évidente.

3. Aux « propositions élémentaires » du T. font place des systèmes élémentaires de propositions, de types divers, dont l'ensemble constitue une grammaire. Ces systèmes, dont on pourrait fournir une représentation totalement claire (« ubersichtliche Darstellung »), s'appliquent à la réalité comme des « règles graduées »; ils n'ont de sens que dans la mesure ou ils permettent d'étalonner cette dernière. La signification d'un mot cesse,

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dans cette optique, d'être liée à sa capacité denotative; comme dans l'équation signe s -valeur s de Saussure, elle dépend désormais essentie llement de sa place dans le système : « Le signe écrit n'a pas de sens quand manque le système de coordonnées 2 » (RP, p. 77).

4. Une brève note des RP résume parfaitement ces trois aspects centraux des écrits intermédiaires : « L'essence du langage, elle, est une image de l'essence du monde; et la philosophie, en tant que gérante de la grammaire, peut effectivement saisir l'essence du monde, non sans doute dans des propositions du langage, mais dans des règles de ce langage qui excluent les combinaisons de signes faisant non-sens » (p. 83).

5. Dans GP, Wittgenstein va pousser jusqu'à ses conséquences ultimes cette nouvelle conception de la sémiotique du système : dans la mesure ou est abandonnée l'idée d'une isomorphie foncière entre réel et langage et celle d'un système unique de représentation, il faut admettre la mult iplicité des notations possibles du même fait, et donc le statut conven

tionnel de la représentation. Le langage doit dès lors être conçu comme le produit de Y apprentissage d'un certain usage des signes comme repré sentations de faits ou d'objets.

« Ce que je veux expliquer c'est que la place d'un mot dans la grammaire est sa signification.

Mais je peux dire également : la signification d'un mot est ce qu'ex plique l'explication de la signification.

(Ce que pèse lcm 3 d'eau, on l'a appelé " 1 gramme ". - " Oui, combien pèse-t-il donc "?)

L'explication de la signification explique l'usage du mot.

La grammaire décrit l'usage des mots dans le langage.

Par conséquent, sa relation au langage est semblable à celle de la description d'un jeu, des règles du jeu au jeu lui-même » (GP, p. 68).

C. La sémiotique éclatée

Apprentissage, usage, convention, jeux de langage, autant de concepts nouveaux dont la reprise et le développement vont constituer la substance même des IP, et du recueil « Le Cahier Bleu et le Cahier Brun » (1958- 1965), ouvrages de base du « second Wittgenstein ».

1. Dans la mesure ou il existe toutes soi s de pratiques langagières, la question de /'essence universelle et immuable du langage perd toute pertinence. Wittgenstein rejette désormais l'essentialisme, et, plus la rgement, la normativité des discours théoriques de la philosophie, pour adopter une démarche argumentative fondée sur la pratique de Гехет- plification et orientée vers les différences plutôt que vers les similitudes.

2. Cette pratique fait apparaître « l'irréductible diversité » des jeux de langage et donc de l'usage des signes. « Donner des ordres », « formuler des hypothèses », « plaisanter », etc., constituent autant de sortes de lan- 2. Pour les ouvrages de Wittgenstein, nous utilisons les abréviations suivantes. RP : « Remarques philosophiques »; GP : « Grammaire philosophique »; IP : « Investigations philosophiques »; T : « Trac- tatus logico-philosophique », OC : « On Certainty ».

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gages qui ne reposent sur aucune structure commune et qui peuvent être décrites et classées de plusieurs façons. Ces formes sont innombrables, elles varient et se renouvellent en permanence : « Et cette multiplicité diverse n'est rien de stable ni de donné une fois pour toutes; mais de nouveaux types de langage, de nouveaux jeux de langage naissent, pour rions-nous dire, tandis que d'autres vieillissent et tombent dans l'oubli » (IP 23). Il existe sans aucun doute des relations et des possibilités de passage (de « traduction ») entre les divers jeux, mais il faut renoncer à l'idée d'élaborer un « langage idéal » dans lequel tous pourraient être traduits.

3. Il faut admettre dès lors Г impossibilité de traduire la diversité des pratiques de sens (des usages) en une théorie sémantique unique.

Une telle ambition conduit nécessairement à privilégier un jeu de langage (et l'usage d'un signe dans le cadre de ce jeu) au détriment de tous les autres. La conception des signes comme images de faits ou d'objets qui caractérise la philosophie augustmienne (celle issue de Samt-Augustin, qui est aussi en l'occurrence celle du Tractatus) n'est en réalité que le

résultat d'une pratique intensive du «jeu des définitions ». Or, d'une part, ce jeu n'a pas de statut privilégié par rapport aux autres jeux, et d'autre part, il est le produit d'un apprentissage; un enfant, par exemple, qui pratique le jeu des définitions (« C'est quoi, ce machin? - C'est un briquet design ») en a appris préalablement les règles, c'est-à-dire qu'il a appris

les conditions d'usage des définitions qu'on lui donne.

4. Poursuivant son reniement des positions idéalistes et nomina- listes, Wittgenstein en vient à contester la « dénomination » (ou désignation) comme processus mental unique établissant la connexion entre niveau de l'expression et niveau du sens. Le langage ne procède pas d'actes mentaux de représentation des faits qui produiraient des signes dotés d'un « sens premier »; il consiste au contraire en pratiques diverses accompagnées de processus mentaux divers, parmi lesquels la désignation ne joue pas de rôle particulier. Il ne s'agit donc pas là - comme certains ont voulu le croire - d'une attitude behavior iste radicale de négation des processus mentaux (et donc de la représentation), mais bien plutôt d'une relativisation du rôle du processus particulier de désignation; au cours des pratiques langagières, des processus mentaux sont activés, mais ils n'ont pas une importance décisive et, comme le note Hottois, « ils ne doivent surtout pas devenir prétexte à une tentative d'unification, à la saisie d'une quelconque « essence unique » ou de quelque « mécanisme clé ou universel » où pourrait se lire la vérité unique des diverses pra tiques linguistiques » (1976, p. 131).

5. Restait à défiler la métaphore des «jeux de langage » et à préciser le statut des pratiques qu'elle désigne. Selon les formules désormais célèbres, pour Wittgenstein, « le langage se garde lui-même » et « la pra tique se fonde elle-même ». Ce qui signifie qu'il faut chercher l'ancrage du langage dans les pratiques langagières elles-mêmes, et plus généra lement dans V activité humaine : « c'est notre agir qui se trouve à la base du jeu de langage » (OC 204). C'est parce qu'il y a un agir commun, un accord dans l'action que les règles du langage peuvent apparaître et être

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suivies, et que les significations sont possibles; c'est parce que nous participons à des « formes de vie » communes que l'intercompréhension

est possible.

Le caractère sibyllin des écrits de Wittgenstein, et en particulier des IP, autorisent certes d'autres lectures que celle que nous proposons. A l'issue de ce long parcours, il nous semble toutefois légitime de retenir trois principes qui nous paraissent devoir fonder la poursuite de la

recherche sur le statut de la signification :

a) Les règles à l'œuvre dans le langage sont de l'ordre de la repré sentation, processus actif et complexe, qui ne se réduit en aucun cas à une sorte de « photographie » des faits mondains et de leur organisation

logique.

b) Le langage est un terme commode — et peut-être illégitime — qui renvoie à des pratiques diverses en perpétuel mouvement. C'est une réalité fondamentalement hétérogène, et les tentatives de le décrire comme un système unaire sont vouées à l'échec.

c) Les pratiques langagières s'inscrivent dans le cadre plus général factions organisées, qui définissent l'usage et donc les significations.

Le rôle décisif accordé aux pratiques dans les derniers écrits nous paraît cependant excessif, et ce d'autant plus que, comme Saussure, Witt genstein est orphelin d'une théorie de la société et de l'interaction (cf.

la notion bien vague de « forme de vie »). Le postulat d'une « infinie diversité » des faits de langage qui y affleure parfois apparaît dès lors plus comme une ultime provocation que comme une forme de conclusion.

IL L'espace des discours

Dans sa démarche initiale, la sémiologie occidentale s'est donc effor cée de fonder le sens par le recours à Yontologie et de définir une forme idéale de langage qui serait le reflet d'un monde logiquement organisé.

Dans une deuxième étape, l'accent s'est déplacé vers l'analyse des pro cessus mêmes qui assurent la correspondance entre ordre du langage et ordre du réel, c'est-à-dire vers l'analyse des processus de représentation.

Les écrits intermédiaires de Wittgenstein comme les travaux que Piaget a consacrés à la fonction symbolique (1946) sont centrés sur l'analyse des mécanismes mentaux par lesquels sont produits des substituts (internes et/ou externes) de certains aspects du monde. La démarche de ce dernier auteur nous paraît caractéristique de ce courant, en ce qu'elle déplace les fondements du langage d'une logique du réel à une logique du fon ctionnement cognitif; ce sont les capacités opératoires du sujet (et leur construction progressive) qui rendent possible l'emploi de substituts figu ratifs et qui leur confèrent un sens : « les signifiés ...(sont)... les schemes de tous les niveaux constituant le schématisme de l'organisme » (1968, p. 13). On pourrait démontrer par ailleurs que le courant de recherche que l'on qualifie parfois de « sémiologie de la signification » constitue lui aussi, en dernière analyse, une étude des capacités de représentation et des structures de substituts qu'elles produisent : tout comportement (le

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match de boxe cher à Barthes), tout objet (le vêtement), toute caracté ristique d'objet peut donner lieu à un travail représentatif, donc prendre le statut de signal, d'indice, ou de symbole, et être étudié comme tel.

Malgré leur indéniable succès idéologique, ces deux courants ont échoué dans l'analyse scientifique effective des caractéristiques spécifiques du langage. Nous avons notamment démontré ailleurs (Bronckart, 1977) que le ré-ancrage piagétien du sens dans la capacité cognitive générale de représentation s'est opéré au prix d'une négation des aspects sociaux, conventionnels et actifs du langage. Cette négligence est générale et elle explique à elle seule l'incapacité de ces courants à élucider le problème de la communication et de l'intercompréhension (cf. la démonstration du Tractatus).

Pour sortir de l'impasse, il convient donc de réintégrer ces aspects et d'analyser le langage comme pratique sociale; c'est le message du dernier Wittgenstein, c'est celui, moins connu, du dernier Saussure 3, et c'est aussi la direction qu'indiquait Vygotsky il y a un demi-siècle (cf. Schneuwly et Bronckart, 1985). Les propos de ces trois auteurs buttent cependant sur la difficulté d'analyse de î'extralangage et des faits sociaux, et restent, pour cette raison, largement programmatiques; aujourd'hui, Priéto (1975) est l'un des rares sémiologues à tenter de jeter les bases d'une théorie des significations centrée sur les pratiques humaines d'at tribution de pertinence. Ses travaux se situent néanmoins dans une pers pective unaire et s'orientent de plus en plus, pour cette raison, vers la constitution d'une théorie de la connaissance par les signes.

Pour dépasser les énoncés programmatiques tout en rendant justice à la diversité des faits langagiers, il convient de trouver un espace inte rmédiaire entre l'infinie diversité des objets et des faits (dont le langage ne serait qu'un reflet) et l'infinie diversité des pratiques et des situations (conditionnant les significations). Cet espace est celui des discours, et de leurs supports sociaux.

A. L'enfer des mots

« Une image nous tenait captifs. Et nous ne pouvions en sortir car elle reposait dans notre langage et celui-ci semblait ne faire rien d'autre que nous la répéter d'une façon inexorable » (Wittgenstein, IP, 115).

Les mots nous tiennent captifs; plutôt que de nous montrer le réel, ils nous empêchent de le voir et nous désorientent. L'usage, ce sont nos habitudes de langage; ce sont aussi les usages des autres, et les unes comme les autres perturbent notre accès au « monde ». Cet ultime retou rnement de la pensée de Wittgenstein, auquel fait écho une certaine 3. « Le système de signes (...) est fait pour la collectivité, comme le vaisseau est fait pour la mer.

C'est pourquoi, contrairement à l'apparence, à aucun moment le phénomène sémiologique ne laisse hors de lui le fait de la collectivité sociale. Cette nature sociale (du signe), c'est un de ses éléments internes et non externes. Nous ne reconnaissons donc comme sémiologique que la partie des phénomènes qui apparaît caractéristiquement comme un produit social » (note du cours 1908-1909, cité par de Mauro, 1969, p. 25-26).

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psychanalyse (« nous sommes parlés par les autres »), trouve son déve loppement et son explication dans la notion bakhtmienne à^ inter discour s.

Aucun discours n'est vierge; même lorsqu'il vise un objet précis, il ne peut qu'utiliser des mots anciens, marqués par les contextes et les formes de discours dans lesquels ils ont été émis : « tout discours concret (énoncé) découvre toujours l'objet de son orientation comme déjà spécifié, contesté, évalué, emmitouflé, si l'on peut dire, d'une brume légère qui l'assombrit, ou au contraire, éclairé par les paroles étrangères à son propos. Il est entortillé, pénétré par les idées générales, les vues, les appréciations, les définitions d'autrui 4 » (Bakhtine, ETR, p. 100). Les mots, c'est les autres, ça vient d'ailleurs et ça nous enferme.

Il n'est pas interdit de penser que c'est à cette réalité première qu'étaient confrontés les « primitifs », et que c'est elle qui explique en partie et leur attribution du « pouvoir signifiant » à la nature et aux dieux, et le cortège de phénomènes magiques qui en résulte. L'effort des pre mières sociétés « historiques » (possédant une écriture) a été de capter ce pouvoir externe des mots, de le régler et de le contrôler, en l'inscrivant dans un cadre institutionnel : institutions religieuses d'abord (Egypte, Inde), puis institutions « démocratiques » dans la Grèce ancienne. La pensée occidentale classique s'est donc constituée en même temps qu'un

« pacte originel » sur le langage, attribuant à un « législateur » (repré sentant symbolique des groupes au pouvoir) la capacité d'instaurer un ordre des mots (les « mots d'ordre ») qui garantirait une façon juste de voir les choses et une façon juste de les dire (cf. plus haut). Ce cadre institutionnel fixé, chaque individu pouvait alors entrer dans le pacte, s'approprier les significations des mots et les maîtriser.

L'anstotélisme linguistique que nous avons analysé plus haut peut dès lors être compris comme un fantastique travail idéologique visant à maintenir les fondements ontologiques du pacte; Bakhtine nous montre par ailleurs que sur le versant de la langue elle-même a été entrepris un travail analogue visant à centraliser (une langue idéale, contre les dialectes), à normaliser (une forme de discours privilégiée), bref à unifier des pratiques langagières fondamentalement diverses : « la victoire d'une seule langue prééminente (dialecte) sur les autres, l'expulsion de certains langages, leur asservissement, l'enseignement par la « vraie parole », la participation des Barbares et des classes sociales inférieures au langage unique de la culture et de la vérité (...), tout cela a déterminé le contenu et la force de la catégorie du langage « un » dans la pensée linguistique et stylistique... » (ETR, p. 96).

B. Polylinguisme, dialogisme et polyphonie : les thèmes bakhtiniens 1. Dès ses écrits initiaux (notamment « Marxisme et philosophie du langage, 1929-1977), Bakhtine affirme le caractère social des faits lan- 4. Pour les ouvrages de Bakhtine, nous utilisons les abréviations suivantes. MPL : « Marxisme et philosophie du langage »; ECV : « Esthétique de la création verbale »; ETR : « Esthétique et théorie du roman ».

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gagiers : « le centre nerveux de toute énonciation, de toute expression n'est pas intérieur, mais extérieur : il est situé dans le milieu social qui entoure l'individu » (MPL, p. 134). Plus nettement encore que Saussure ou Wittgenstein, il considère en effet que l'énoncé est un produit de Г interaction sociale; il est lié à un acte de parole dans une situation matérielle concrète, ainsi qu'« au contexte plus large que constitue l'e nsemble des conditions de vie d'une communauté linguistique donnée (...) Grâce à ce lien concret avec la situation, (il) s'accompagne toujours d'actes sociaux de caractère non verbal (gestes du travail, actes symboliques composant un rituel, cérémonies, etc.), dont (il) ne constitue souvent que le complément, et au service desquels (il) se trouve » (MPL, p. 134 et 137). Dans cette optique, la signification de chaque mot est elle-même définie comme le produit d'échanges sociaux : « la signification n'est pas dans le mot ni dans l'âme du locuteur, non plus que dans l'âme de l'interlocuteur. La signification est l'effet de l'interaction du locuteur et du récepteur, s'exerçant sur le matériau d'un complexe sonore donné » (MPL, p. 147).

2. Dans son analyse du discours romanesque (cf. ETR, p. 83-233), Bakhtine va insister sur la diversité des actes sociaux émis par les divers groupes, et donc sur la diversité corrélative des productions langagières : langue de travail, langue des anecdotes, argots, proverbes, récits litté raires, styles juridiques, etc., constituent autant de systèmes différents (cf. la multitude des «jeux de langage» chez Wittgenstein), et attestent d'un polylinguisme fondamental. La vie sociale est animée par des « forces centrifuges » qui propagent l'hétérogénéité et la diversité, et auxquelles s'opposent des « forces centripètes » qui tendent (et réussissent généra lement) à instaurer une forme de langage prédominante, garante de l'intercompréhension. Le travail idéologique de standardisation que nous évoquions plus haut s'effectue donc sur (et contre) la réalité de la langue, contre l'enchevêtrement de formes dans lesquelles vivent et se déve loppent les énoncés concrets et les significations.

3. La richesse et la diversité à l'œuvre dans cet univers « polylin- guistique » est infinie (dans la mesure ou « la variété virtuelle de l'activité humaine est inépuisable », ECV, p. 265), mais elle est néanmoins orga nisée; chaque sphère d'utilisation de la langue élabore, selon Bakhtine, des types « relativement stables », c'est-à-dire des genres du discours, qui se caractérisent par leurs contenus et par les moyens linguistiques qu'ils utilisent. Dans le cadre de l'activité, l'adoption d'un genre de discours relève d'un choix, qui « se détermine en fonction de la spécificité d'une sphère donnée de l'échange verbal, des besoins d'une thématique (de l'objet du sens), de l'ensemble constitué des partenaires, etc. » (ECV, p. 284).

Bakhtine propose en outre de distinguer des genres de discours premiers (ou libres), qui sont ceux de la vie quotidienne, et qui entretiennent un rapport immédiat avec les situations dans lesquelles ils sont produits et des genres de discours seconds (ou standardisés), qui « apparaissent dans les circonstances d'un échange culturel (principalement écrit) - artis tique, scientifique, socio-politique - plus complexe et relativement plus

évolué » (ECV, p. 267). Ces discours seconds (roman, théâtre, discours

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scientifique) reposent sur des institutions sociales et tendent à exploiter et à « récupérer » les discours premiers, qui perdent dès lors leur rapport direct au réel pour devenir « littérature » ou « théâtre ». Pour Bakhtine, les genres de discours constituent une sorte d'interface entre le domaine des interactions et celui des productions langagières; ils sont une sorte de « passage obligé » entre l'histoire et la langue : « les genres de discours, ce sont les courroies de transmission qui mènent de l'histoire de la société à l'histoire de la langue. Nul phénomène nouveau (...) ne peut entrer dans le système de la langue sans être longuement passé par la mise à l'épreuve et par la finition du style-genre » (ECV, p. 271).

4. Les genres de discours premiers prennent souvent la forme de dialogues, concrètement orientés vers un interlocuteur, mais en réalité, tous les discours, quelle que soit leur forme externe, sont orientés vers un allocataire, réel ou fictif (auditoire, lecteur potentiel, etc.) ; sous son apparence monologique, un discours scientifique — par exemple — répond généralement à des arguments antérieurs, il prévient des critiques, tente de convaincre, etc. Tout discours est donc fondamentalement dialogique, en ce qu'il est attentif à l'autre et que cette attention laisse des traces linguistiques (des « harmoniques dialogiques »).

5. Dans la mesure où il répond aux autres et anticipe leurs réactions, tout discours se trouve nécessairement en écho d'autres discours; tout énoncé renvoie à d'autres énoncés et en reprend des formes, des mots et des significations. Ce sont précisément ces significations venues d'ailleurs qui obscurcissent notre rapport à l'objet du discours, qui nous dé-routent, qui créent l'enfer-mement : « Le discours rencontre le discours d'autrui sur tous les chemins qui mènent vers son objet, et il ne peut ne pas entrer avec lui en interaction vive et intense. Seul l'Adam mythique, abordant avec le premier discours un monde vierge et encore non dit, le solitaire Adam pouvait vraiment éviter cette réorientation mutuelle par rapport au discours d'autrui, qui se produit sur le chemin de l'objet » (in Todorov, 1981, p. 98, note 4).

III. Actions langagières et types de discours

L'approche de la signification que nous proposons s'intègre à l'él aboration d'une psychologie du langage qui se donne pour objectif de concilier l'analyse (forcément unaire) des capacités psychologiques uni verselles (compétences socio-cognitives) et celle de la diversité et de l'hé térogénéité fondamentales des manifestations langagières. Ce qui implique que soit pris en compte le double statut du langage : ensemble de pratiques actives et système de représentation ; ou encore, dans les termes de Vygotsky (1934-1985), produit d'une « fusion des capacités de représentation et de communication ». Ce qui implique par conséquent que soient véritabl ement intégrés les paramètres sociaux; la psychologie du langage sera sociale (c'est-à-dire qu'elle intégrera les pratiques qui le fonde) ou elle se résoudra à n'être que le paravent (le hochet!) des « neurosciences ».

Les quatre concepts centraux de notre démarche seront dès lors ceux

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ďaction, langagière, de représentation, de décision discursive et de types de discours, qui ont fait l'objet d'une première analyse dans « Le fonc tionnement des discours » (Bronckart et al., 1985).

A. Les actions langagières

Les êtres humains se sont constitués et fonctionnent en groupes;

leurs conduites se développent dans le cadre d'interactions diverses que l'on peut, à la suite de Léontiev (1979), définir comme des réseaux

^activités. Les activités humaines sont des ensembles organisés de conduites, gérées par le groupe, qui orientent les « sujets » (que nous appellerons plutôt « agents actifs ») dans le monde des faits et des objets.

Elles se différencient les unes des autres par le domaine du monde auquel elles s'adressent, et par la motivation générale à laquelle elles répondent (activités de nutrition, de reproduction, d'évitement du danger, etc.). La notion d'activité a donc trait aux aspects fonctionnels les plus généraux de l'organisation des conduites, mais celles-ci peuvent en outre être appré hendées à un niveau plus spécifique, qui est celui des actions. Les actions se définissent comme des ensembles de conduites qui sont orientées par des buts précis, et qui sont sous-tendues par les usages réglés du groupe dans un domaine. L'activité de reproduction, par exemple, se réalise par une série d'actions (attirer un partenaire, le mettre en confiance, le séduire) qui peuvent paraître parfois en contradiction avec la motivation effective, dans la mesure précisément où elles se soumettent aux « usages ».

Dans cette optique, le langage doit être conçu comme une « super activité » : il se donne n'importe quel type d'objet (on peut parler de tout) et sa motivation est toujours relative à d'autres motivations (le langage s'insère nécessairement dans un cadre d'activités non langagières). Cette super-activité se réalise sous forme factions langagières diverses, qui se définissent par les modes de coopération sociale dans lesquels elles s'insèrent, et par les buts qu'elles visent. De manière plus précise, les modes de coopération incluent le lieu social (institutions, appareils idéo logiques, espaces des pratiques quotidiennes, etc.), le destinataire (ou public visé par l'action dans ce cadre social) ainsi que Y énonciateur (rôle social attribué à l'agent actif). Les buts, de leur côté, constituent des projections de l'effet de l'action sur les destinataires (convaincre d'agir dans une direction, éclairer un problème, etc.). A titre d'exemple, une action lan gagière pourra être entreprise dans le cadre de l'Université (lieu social), par un agent investi du rôle d'enseignant (énonciateur), à l'intention d'un public d'étudiants (destinataire) pour les convaincre de lire le « Cours de linguistique générale » (but).

Si elles sont socialement orientées, les actions langagières (comme toutes les actions humaines d'ailleurs) constituent aussi des comporte ments observables, ancrés dans une réalité matérielle : elles émanent d'un agent concret, être humain ou machine {producteur ou locuteur), et elles sont émises à un moment et à un lieu donnés (espace-temps de la production), éventuellement en présence d'autres agents potentiels

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(со -producteur s ou interlocuteurs). L'ensemble de ces facteurs définit la situation matérielle d'énonciation, que nous qualifierons plutôt de situa tion de production.

B. Représentation et activité langagière

1. Dans son acception la plus large, la représentation désigne le processus par lequel un organisme élabore la connaissance de son env ironnement (du monde) sous forme de substituts. Il existe en réalité divers processus de représentation, et nous avons proposé ailleurs (Bronckart, 1987) de les organiser en quatre niveaux, en tenant compte de la nature des substituts utilisés et des capacités comportementales qui les attestent.

Nous distinguerons tout d'abord les processus spéculaires, qui activent des substituts internes (les indices — au sens piagétien du terme - éven tuellement organisés en « images mentales »), et les processus associatifs, qui recourent à des substituts externes (objets, gestes, sons). La repré sentation spéculaire peut être objectivée par les seuls comportements passifs d'identification, mais elle peut aussi être attestée par des compor tements actifs d'évocation, ce qui permet d'inférer l'existence de deux niveaux (au moins) de structuration des images mentales. La représen tation associative de son côté utilise soit des substituts motivés (dont le choix est dépendant des caractéristiques de ce à quoi ils se substituent : le symbole de la balance pour représenter la justice, par exemple), soit des substituts immotivés (indépendants de ce à quoi ils se substituent : le signal routier de stationnement interdit, par exemple).

2. Il est trivial d'affirmer que le langage procède par substitution associative immotivée (arbitraire); ce qui l'est peut-être moins, c'est de rappeler que ce processus implique nécessairement une métareprêsen- tation. Employer le mot « cheval » pour évoquer le type d'objet que l'on désigne généralement ainsi, c'est d'une part se faire une représentation spéculaire de cet objet (élaborer la « notion » cognitive /cheval/), c'est d'autre part se faire une représentation spéculaire des séquences sonores utilisées par le groupe à propos de cet objet, c'est enfin utiliser la seconde représentation comme substitut de la première. Produire du langage, c'est donc toujours utiliser des représentations (généralement sonores) au titre de substituts de représentations d'éléments du monde; comme ceux-ci sont infinis et incluent donc nécessairement le langage lui-même, se produit alors le phénomène de « mise en abysse » qui perturbe toutes les démarches d'analyse. Il faut souligner à ce propos que si les deux représentations de base (spéculaires) peuvent être analysées en termes cognitifs, comme le fait Piaget par exemple (1946), leur mise en relation ne peut être expliquée sans faire appel à un structurant externe, et c'est à ce niveau que prennent toute leur pertinence et le couple de notions signifiant-signifié du dernier Saussure (cf. Bronckart, 1977, chap. Ill et 1985, chap. V), et les notions d'usage et de pratiques de Wittgenstein et de Bakhtine.

3. Par les processus que nous venons de décrire, le langage investit

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l'extralangage; il sollicite des représentations d'objets (ou de faits) qui deviennent des « objets de discours » et acquièrent par là même un statut de réfèrent. Mais, dans la mesure où il constitue aussi une activité sociale, il sollicite également des ensembles limités de représentations d'objets (ou de faits) au titre de contexte; ce sont les représentations des para mètres de l'interaction sociale d'une part (modes d'interaction et buts, cf. plus haut) et les représentations des paramètres de l'acte matériel de production d'autre part.

4. Dès lors, l'activité langagière, non seulement oriente les agents actifs dans le monde des objets, mais elle y sollicite en outre des repré sentations du monde qu'elle transforme en représentations verbales.

L'analyse de ces diverses formes de représentation langagière, de leurs modalités de gestion et de leurs interactions fera l'objet du § IV.

C. Les décisions discursives

Comme le démontre notamment l'évolution actuelle de la sociolin- guistique, on n'observe que rarement un effet direct et mécanique des

paramètres du contexte ou du réfèrent sur les productions langagières effectives; dans les mêmes conditions contextuelles, pour un même réfèrent, les discours produits peuvent présenter des caractéristiques notablement différentes. C'est qu'en effet, « entre » l'action langagière et les corpus textuels produits se situe un espace intermédiaire, qui est celui du discours.

L'action doit se couler dans un moule, celui d'un « genre de discours », lui-même sous-tendu par les constructions socio-historiques que sont les

« formations discursives » (cf. Foucault, 1969). Sur le plan synchronique, le passage de l'action langagière au discours se présente comme un pro cessus de décision. A reprendre notre exemple, dans le cadre d'une même action (convaincre de lire le CLG), l'enseignant peut choisir de rédiger un texte théorique, de raconter l'histoire de son propre parcours linguis tique, de persuader ses étudiants dans une conversation libre, etc. ; il peut donc s'engager dans un genre primaire (dialogue interactif) ou dans un genre secondaire (histoire, exposé). Cette décision dépend des formations discursives en usage dans le groupe et d'un calcul de leur pertinence et de leur efficacité par rapport au but de l'action (l'exposé paraît dans notre exemple le genre le plus adapté, mais la conversation peut être jugée ponctuellement plus efficace). Elle se réalisera en une séquence concrète d'énoncés, qui utilisera les formes linguistiques disponibles dans « La Langue », ou plus exactement dans le sous-ensemble (le module) de la langue correspondant à la formation discursive choisie.

D. Les types de discours

Si l'on admet généralement l'existence de grands genres de discours (narration, texte théorique, dialogue interactif, etc.), leur variété interne est elle-même indiscutable; les deux formes de narration que constituent

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par exemple le conte et le récit historique présentent des différences linguistiques évidentes, et Bakhtine lui-même parle parfois d'une « infinie diversité des genres ». Considérant ces différences intra-genres comme au moins aussi importantes que les différences inter-genres, certains auteurs en sont venus à nier, sinon la pertinence, du moins l'opération- nalité de la notion même de « genre » ou de « type » (cf. Maingueneau, 1984). Pour résoudre ce problème, il nous paraît nécessaire de distinguer deux niveaux dans les processus de concrétisation de l'action langagière en discours. Le premier produit les architypes discursifs; le second pro duit les types de discours effectifs.

1. Les architypes discursifs se définissent essentiellement par leur mode d'ancrage dans la situation de production (telle que nous l'avons définie plus haut), c'est-à-dire par la nature des relations qui sont posées entre les paramètres de cette situation et, d'une part les paramètres du réfèrent, d'autre part, les paramètres de l'interaction sociale. Deux pro cédures de décision sont donc impliquées. La première consiste à poser un rapport de conjonction ou de disjonction entre le contenu (ou réfèrent) du discours et la situation de production; les « objets de discours » sont présents ou présentifiés dans l'espace-temps de la production, ou au contraire, ils en sont absents. La seconde consiste à poser un rapport

&1 implication ou à"1 autonomie entre les paramètres de l'interaction sociale et ceux de l'acte de production; soit le but de l'action, son lieu social, son destinataire et son énonciateur « impliquent » le producteur et l'es- pace-temps de production (dans l'exemple proposé plus haut, le produc- teur-énonciateur qu'est l'enseignant interagit avec ses interlocuteurs-des tinataires dans une salle (espace de production) de l'Université (lieu social)); soit les paramètres de l'interaction sociale sont dissociés de ceux de l'acte de production (dans notre exemple, l'enseignant rédige son texte dans un bistrot, loin de l'Université et de son public). En croisant ces deux distinctions (cf. tableau 1), on peut définir les quatre architypes que sont le discours en situation (DS), le récit conversationnel (RC), le discours théorique (DT) et la narration (N).

Rapport à l'interaction sociale

Impliqué Autonome

Rapport au référentiel Conjoint

DS DT

Disjoint RC

N Tableau 1. Les quatre architypes discursifs (d'après

Bronckart & al., 1985).

Dans un ensemble d'études de linguistique quantitative, nous avons montré que les textes concrets produits dans chacun de ces quatre modes

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d'ancrage se caractérisaient par des configurations d'unités linguistiques relativement spécifiques; il existe donc un corrélat empirique à la notion d'architype discursif. Nous pensons par ailleurs que chaque architype se caractérise en outre par un mode spécifique de repérage temporel et par un mode spécifique de planification. Ancrage énonciatif, repérage temporel et planification définissent un ensemble d'opérations que nous avons qualifiées de structuration discursive, et que nous avons décrites en détail dans FdD.

2. D'autres études quantitatives (cf. aussi FdD) confirment cependant l'importance des variations à l'intérieur du même architype et l'existence de divers types intermédiaires présentant des configurations originales d'unités (différentes de celles des architypes, ou en intersection partielle avec elles). Cette variation (que Schneuwly a présentée comme un « écl atement des types » in FdD) s'explique selon nous par l'influence parti culière qu'exerce sur le discours chacun des paramètres de l'interaction sociale. En effet, quand se met en place une action langagière, c'est un but particulier qui est choisi, un destinataire, un énonciateur et un lieu social (cf. plus loin, § IV). C'est donc une valeur spécifique de chacun des paramètres qui est sollicitée, et cette valeur va exercer, elle aussi, une influence observable sur les unités linguistiques en surface des textes;

pour convaincre on utilisera d'autres moyens lexicaux et morphosynt axiques que pour amuser, et pour convaincre dans un editorial d'heb domadaire d'autres moyens que dans un spot publicitaire, etc. Cette influence des valeurs de l'interaction se manifestera en réalité dans le choix des unités plus spécifiquement liées à la textualisation (unités contribuant à la connexion, à la cohésion et à la modalisation), et les types effectifs de textes seront donc aussi sous la dépendance des valeurs de l'interaction sociale.

3. Tout discours se présente dès lors à la fois comme typique et singulier. Typique parce qu'il s'inscrit nécessairement dans un architype, défini par son mode d'ancrage énonciatif, son mode de repérage temporel et son mode de planification, c'est-à-dire par sa structuration discursive.

Singulier parce que la valeur spécifique que prend chacun des paramètres de 1 interaction sociale conditionne l'emploi de certains ensembles d'unités linguistiques liées à la textualisation. L'analyse statistique de la distr ibution des unités dans les textes fait dès lors apparaître et cette unicité et cette diversité. La question du poids respectif de ces deux aspects (structuration discursive et effet d'homogénéité d'une part, textualisation et effet d'hétérogénéité d'autre part) est une question empirique, qui devrait faire l'objet de nouveaux travaux.

IV. La signification, produit du discours

La signification c'est le produit de l'usage verbal. L'usage verbal, ce sont des représentations agies ou encore des actions langagières « repré sentantes ». De manière plus précise, les actions langagières sollicitent des représentations du contexte, à partir desquelles sont structurés des dis-

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cours, et dans le cadre de ces discours, des représentations du monde sont à leur tour activées et organisées. Comprendre le mécanisme de la signi fication, c'est comprendre cette gestion des représentations du monde dans le cadre de discours eux-mêmes gérés par les représentations du contexte.

A. Les représentations du contexte

Production humaine sociale et matérielle, l'action langagière s'ins crit nécessairement dans un contexte social et matériel. Ce contexte n'in tervient cependant pas de manière directe et mécanique; il n'a d'influence que par ce que l'agent actif en connaît. En d'autres termes, il n'a d'effet sur les productions langagières que par le biais des représentations que le sujet s'en fait. Ces représentations sont de deux ordres.

1. La représentation des paramètres de l'interaction sociale

a) Lorsqu'elle se met en place, l'action langagière est insérée dans un heu social défini; à partir d'une position sociale déterminée (énon- ciateur), elle vise un but, c'est-à-dire qu'elle tend à produire un effet spécifique sur un destinataire déterminé. Ce qui implique que l'agent actif se fasse une représentation de chacun de ces quatre paramètres, ou encore, qu'il choisisse une valeur particulière de chaque paramètre.

b) Nous émettrons l'hypothèse que les valeurs que peuvent prendre les paramètres de l'interaction sociale sont en nombre fini; à un moment de Y histoire du groupe seraient identifiables N classes de lieux sociaux, N classes de destinataires, etc., les variations intra-classes ne produisant aucun effet significatif sur les caractéristiques des textes, le passage d'une classe à une autre produisant au contraire de tels effets. Dans FdD (cf. p. 33- 35), nous avons établi les listes des valeurs que nous considérions comme pertinentes pour le français contemporain; cette proposition n'a, bien entendu, qu'un statut heuristique, et seuls des travaux empiriques, construits selon les paradigmes expérimentaux de test d'hypothèses, per mettront d'en assurer la validité.

c) Le processus de construction et de développement, chez un agent particulier, des valeurs de l'interaction sociale est de l'ordre des repré sentations spéculaires (cf. III, B. 1.), mais en raison du caractère même de l'objet auquel celles-ci s'adressent, il convient de les analyser aussi en termes de représentations sociales (Moscovici, 1961), ou encore ď/га- bitus (Bourdieu, 1980); l'histoire de l'insertion spécifique de l'agent dans les rapports sociaux génère des prises de position, des classifications, qui constituent sa « connaissance pratique » du monde social. Nous renvoyons à Doise et Palmonari (1986) pour une étude détaillée de ce type de processus.

d) L'action langagière est donc articulée à son contexte social par l'intermédiaire des représentations que l'agent s'est constituées dans sa pratique des rapports sociaux, c'est-à-dire par la connaissance propre

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qu'il a développée à l'égard des valeurs de chacun des paramètres, dis ponibles dans le groupe à un moment de son histoire.

2. La représentation des paramètres de l'acte de production

II semble bien que le processus requis à ce niveau soit de l'ordre de la seule représentation spéculaire. L'agent producteur s'identifie lui- même comme tel, et identifie ses coproducteurs éventuels; il doit éga lement se représenter l'espace-temps de son activité de production. Ces processus paraissent simples et triviaux (et ils le sont dans une certaine mesure), mais ils constituent néanmoins la pierre angulaire du fonc tionnement langagier; comme nous l'avons montré plus haut, c'est par rapport à ces représentations de l'acte de production que se prend la décision discursive essentielle (choix de l'architype discursif).

3. Les mécanismes de décision discursive

a) L'agent actif sollicite donc un certain nombre de représentations (valeurs) au titre de contexte social et matériel de son action langagière.

Nous devons postuler en outre qu'il dispose également d'une connaissance des formations discursives en usage dans le groupe, ainsi que de leurs conditions d'emploi. Il s'agit là d'un autre aspect des représentations sociales; l'agent se trouve doté d'une connaissance pratique de la perti nence et de l'efficacité des diverses formations discursives (et des genres de discours auxquels elles correspondent). En même temps que sont fixées les valeurs de l'interaction sociale, est effectué un calcul de la pertinence du choix d'un genre de discours, eu égard à ces valeurs mêmes que prennent le but, le lieu social, le destinataire et l'énonciateur : comme nous le notions plus haut, pour le même ensemble de valeurs (un ensei gnant tentant de convaincre un étudiant de lire le CLG), plusieurs genres sont possibles, et la décision d'en adopter un plutôt qu'un autre est orientée par la connaissance pratique qu'a l'agent de l'usage des fo

rmations discursives dans de telles situations d'interaction.

b) Ainsi que nous l'avons proposé plus haut (cf. III С & D), le choix discursif se réalise alors concrètement par l'adoption d'une structuration discursive de base : inscription dans un des quatre architypes discursifs, constitution d'un système de repérage temporel et adoption d'un plan de

texte.

B. Les représentations du réfèrent

Au moment où s'initie une action langagière, l'agent actif met en œuvre certaines de ses « connaissances », c'est-à-dire certaines de ses représentations du monde. Ces éléments constituent donc des préconst ruits (au sens de Culioli, 1976) de formes différentes, qui sont organisés dans la « mémoire » de l'agent.

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1. Les formes de représentation du réfèrent

a) L'agent disposerait tout d'abord de représentations spêculaires (appelées habituellement « non verbales » ou « cognitives », cf. Bramaud du Boucheron, 1981). Celles-ci seraient issues de son expérience pratique ou logique du monde, et n'auraient été associées à aucune expression langagière (à aucun mot) ; elles fourniraient dès lors des images mentales simples, c'est-à-dire de « purs objets de pensée », au statut essentiellement individuel.

b) L'agent disposerait surtout de diverses formes de représentations verbales, qui constituent le produit de ses interactions langagières anté rieures, et dont le statut est donc nécessairement social (ce sont des éléments de La Langue, « trésor déposé par la pratique de la parole dans les sujets appartenant à une même communauté », CLG, p. 30). Ces repré sentations, que nous qualifierons par commodité ^expressions verbales, sont bifaces (un pôle-signifiant et un pôle-signifié), et, à la suite de Vygotsky (cf. Wertsch, 1985), nous les répartirons en deux types : les expressions contextualisées et les expressions décontextualisées. Proches des pratiques langagières dont elles émanent, les premières en conservent les caractéristiques, à la fois sur le plan du signifiant (qui garde des traits phonétiques et morphosyntaxiques spécifiques) et sur celui du signif ié (doté de sèmes particuliers). Les secondes constituent un produit du développement ontogénétique des premières; la multiplication des pra tiques et leur intériorisation annulant progressivement les caractères spécifiques du signifiant et du signifié, et aboutissant aux « pures signi fications » du langage intérieur.

2. Les modes d'organisation des représentations du réfèrent

II semble acquis aujourd'hui que l'on ne peut postuler aucune orga nisation à priori, stable et logique, des représentations du réfèrent (cf. Quasthoff, 1985; Apothéloz, 1985). En nous inspirant de ce dernier auteur, et, plus largement, des travaux de l'école de Grize, nous consi dérerons que celles-ci se présentent comme des « agrégats » partiellement structurés et plus ou moins délimités. Dans les agrégats d'« objets de pensée », nous distinguerons des notions, des relations et des schémas, dotés de propriétés telles que l'agentivité, la transitivité et la perfectivité

(cf. FdD, p. 28-30). Les agrégats d'expressions verbales, contextualisées ou décontextualisées, seraient organisés quant à eux autour de « noyaux de cohérence » (cf. Apothéloz, 1985).

С La constitution des significations

Dans le cadre d'une action langagière déterminée, la constitution des significations s'opère par V activation de certaines représentations du

réfèrent d'une part, par Vorganisation de ces représentations dans la structure discursive d'autre part.

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1. L'activation se réalise sous le contrôle des valeurs de l'interaction sociale. Elle consiste d'une part à solliciter les objets de pensée qui sont pertinents par rapport au but de l'action engagée; elle consiste d'autre part à leur associer les expressions langagières qui sont légitimes eu égard au mode de coopération sociale en cours (mode défini par la valeur du lieu social, du destinataire et de l'énonciateur). La pertinence et la légi timité font l'objet d'une connaissance, qui est précisément celle que confère l'usage ou encore l'expérience des pratiques langagières. Le pro duit de l'activation est constitué par un ensemble d'expressions verbales faiblement structurées (macrostructure sémantique?).

2. L'organisation s'effectue dans le cadre des opérations de struc turation discursive (cf. plus haut, ainsi que FdD, p. 43-54). Pour un architype déterminé et le système de repérage temporel y afférent, un plan de discours est constitué, qui intègre les diverses expressions verbales (par le jeu d'opérations plus syntaxiques que nous ne pourrons évoquer ici; cf. FdD, p. 50-53), et qui les dote des effets de co-textualisation. Les architypes disjoints (récit conversationnel et narration) organisent les expressions en superstructures (cf. Adam, 1984) au caractère plus ou moins conventionnel; les architypes conjoints organisent les expressions en schématisations (cf. Grize, 1981), qui sont polygérées dans le discours

en situation et monogérées dans le discours théorique.

La signification d'une unité du discours peut dès lors être définie comme une représentation verbale du monde, pertinente et légitime, qui a été activée sous le contrôle des valeurs de l'interaction sociale, et qui a subi les effets de son insertion dans un architype discursif, à une position déterminée du plan de texte.

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Références

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