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LA CÔTE D’IVOIRE DANS LE PREMIER CONFLIT MONDIAL : TYPOLOGIE DES METHODES DE RECRUTEMENT DE SOLDATS.pp. 123-133.

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Référence de cet article : N’Guessan Mahomed B. La côte d’ivoire dans le premier conflit mondial : typologie des méthodes de recrutement de soldats.

Rev iv hist 2014 ; 23 : 123-133.

LA CÔTE D’IVOIRE DANS LE PREMIER CONFLIT MONDIAL : TYPOLOGIE DES METHODES DE RECRUTEMENT DE SOLDATS.

N’Guessan Mahomed B.

UFR Sciences de l’Homme et de la Société Filière des sciences Historiques

Université F.H.B de Cocody-Abidjan, Côte d’Ivoire Email : drnguessanmaho@yahoo.fr

Cel : (225) 07 81 43 49 / (225) 01 06 94 88 Adresse Postale : 23 BP 69 Abidjan 23

RÉSUMÉ

Durant la Grande Guerre, le recrutement ne se faisait plus par voie d’appel que par enga- gement compte tenu de la peur que suscitait le métier des armes aux yeux des populations.

Pour réussir cette opération importante pour la France, deux approches sont privilégiées.

L’approche humaine ou méthode courtois, s’appuie sur les arguments financiers, la ruse, les promesses et la compassion. L’approche autoritaire ou la contrainte se déroule selon les procédés de la persuasion, la restriction des mouvements des populations, la démonstration de force et même l’usage de la force brutale.

Mots-clés : guerre, recrutement, appel, engagement, colonie

ABSTRACT

During the Great War, the recruitment was no more ensured by the call to colors but by commitment, due to the fear of the profession of arms for people. In order to succeed in this important operation for France, two approaches are prioritized. The human approach or cour- teous approach is based on financial arguments, cunning, promises and compassion. The authoritarian approach or constraint happens according to persuasion processes, restriction of people’s movements, show of strength and even the use of brute force.

Key words : war, recruitment, call to colors, commitment, colony

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INTRODUCTION

« A quoi servent nos colonies ? C’est la question qu’il était de mode de poser avant la guerre, dans certains milieux. Le «Français moyen» s’imagine volontiers que les colonies servent uniquement à faire vivre des fonctionnaires et « coûtent cher»

au budget de la métropole… Et cependant, n’a-t-il pas vu défiler les centaines de milliers d’hommes de toutes les couleurs que nos possessions d’outre-mer ont envoyé à notre secours… n’a-t-il pas assisté au débarquement de millions de tonnes de denrées alimentaires, ou de matières premières qu’elles fournissaient, parfois gratuitement, au ravitaillement de la métropole envahie1

C’est par cette réflexion de Pierre Varet que nous débutons nos propos sur le souvenir de la participation de la Côte d’Ivoire au premier conflit mondial. Bientôt 100 ans que débutait la Grande Guerre, et il n’y a toujours pas suffisamment d’écrits et de rencontres sur la question pour restituer l’effort fait par les Africains en général.

Les Africains à leur corps défendant se sont retrouvés au centre d’un conflit qu’ils n’ont pas suscité et dont ils étaient éloignés par la géographie. Ils vont énormément contribuer à l’effort de guerre de la métropole en vivres et en hommes. Notre réflexion porte sur l’effort de la colonie de Côte d’Ivoire en hommes. C’est le recrutement par engagement volontaire ou par appel.

L’engagement volontaire consiste à donner la liberté aux jeunes gens remplissant les conditions requises2 pour le recrutement militaire de s’inscrire sur les listes sans aucune contrainte. Le métier des armes suscitant une véritable terreur chez les populations locales, la faible mobilisation constatée pour les engagements volon- taires conduit l’Administration coloniale à privilégier le recrutement par appel. C’est un engagement forcé. Selon ces principes, aucune liberté de choix n’est autorisée.

Tous les jeunes gens remplissant les conditions fixées par les autorités militaires sont d’emblée enrôlées de force. En 1918 le vocabulaire de recrutement s’enrichit de nouvelles expressions telles que « par rengagements» «par appels spéciaux» mais tous ces vocables du lexique du recrutement dans la colonie de Côte d’Ivoire durant les six recrutements3 enregistrés renvoient à une seule réalité.

Ces opérations de recrutement s’apparentent à des rafles voir à une « chasse à l’homme4». Une interrogation, fil d’ariane de notre réflexion est la nôtre. Quelles sont les dispositions pratiques arrêtées pour le succès de cette opération ?

Il s’agit pour nous de parcourir et analyser le bréviaire du recrutement. Les Archives Nationales de Côte d’Ivoire (ANCI) offrent assez d’informations dans ses dépôts. La série N traite des affaires militaires. On y trouve de nombreux rapports de Gouverneurs, de commandant de cercles traitant de la question. Notre champ d’étude tel que nous voulons

1 Pierre Varet, Du concours apporté à la France par ses colonies et pays de protectorat au cours de la guerre de 1914, thèse pour le doctorat de Sciences Economiques, Paris, les presses Modernes, 1927, p. 8.

2 Au début de l’opération de recrutement, l’âge requis oscillait entre 20 et 28 ans. Il passe en 1918 de 18 à 35 ans.

3 Ces six recrutements sont : octobre 1914, janvier et avril 1915, mai - juin 1915, novembre 1915 à avril 1916, novembre 1916 à avril 1917 et 30 mars – 20 juin 1918.

4 Danielle. Domergue « La Côte d’Ivoire de 1912 à 1920 influence de la première guerre mondiale sur l’évolution politique économique et sociale» Annale de l’Université d’Abidjan, série I (Histoire), tome 4, 1976, p. 48.

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l’aborder est neuf. A ce jour les écrits sur la question du recrutement se sont contentés de définir les différents modes de recrutement et ses conséquences. Les techniques d’appli- cation du terrain n’ont pas été analysées dans ses détails. Nous pouvons citer entre autres ouvrages, aux origines de la nation ivoirienne 1893-1920 (vol1)5, La Côte d’Ivoire par les textes de l’aube de la colonisation à nos jours6, l’Afrique au temps des blancs (1880-1935)7. Nous distinguons dans notre analyse deux temps forts dans les méthodes d’approche durant le processus du recrutement. Le premier volet traite de l’approche humaine ou méthode courtoise et le second met en exergue la méthode autoritaire ou la contrainte.

I- L’APPROCHE HUMAINE OU MÉTHODE COURTOISE

Le recrutement est du ressort d’une commission mobile qui comprend l’inspecteur des affaires administratives, un officier et un médecin. Ils sont aidés dans leur mission par les responsables administratifs et militaires des cercles ou subdivisions visités. Il y a aussi des commissions permanentes dans les grands centres qui s’occupent du recrutement.

L’approche courtoise combine arguments financiers, ruse, promesse et compassion.

1- Les arguments financiers

Un intéressement financier est accordé à toute recrue qu’elle soit appelée ou enga- gée volontaire. Ainsi une prime de 200 francs est payée sur place par la commission de recrutement aux familles des recrues. Une allocation mensuelle de 15 francs est allouée aux familles des recrues pendant la durée de l’absence de celles-ci. Aux collectivités indigènes, une indemnité proportionnelle au nombre d’hommes fournis sera accordée. Le formulaire de paie comporte la mention sur ordre d’appel8 et la signature de deux témoins mais aussi les empreintes digitales permettant d’identifier la recrue. Les marques particulières à chacun y sont relatées.

Au départ la recrue percevait séance tenante ses indemnités le changement opéré trouve son explication dans ce rapport de Georges Clemenceau, Président du Conseil, Ministre de la guerre au Président de la République française. Nous lisons

« l’expérience a montré, toutefois que le versement intégral de la prime entre les mains de l’engagé appelé à servir à l’extérieur risque de laisser sans ressources les membres de sa famille restés au village ; les autorités locales de certaines colonies ont pour cette raison pris l’initiative de faire remettre aux familles une partie de leurs primes, et les intéressés eux-mêmes en ont souvent abandonné de plein gré jusqu’aux deux tiers à leurs parents, cette mesure a eu pour conséquences de nécessiter le payement de la prime à l’homme le jour même de sa mise en route9

5 René-Pierre Anouma, Aux origines de la nation ivoirienne 1893-1946, conquêtes coloniales et aména- gements territoriaux 1893-1920, vol1, paris, l’Harmattan, pp156-196.

6 Simon Pierre Ekanza et Guy Cangah, la Côte d’Ivoire par les textes de l’aube de la colonisation à nos jours, Abidjan, NEA, 1978, pp. 103-113.

7 Simon Pierre Ekanza, l’Afrique au temps des Blancs (1880-1935), Abidjan, les Editions du CERAP, 2005, pp.93-103.

8 Sur l’ordre d’appel n° s 204 de Boizo Lago du Haut Sassandra on peut lire outre les informations concernant son lieu de naissance, sa résidence, sa filiation, des renseignements tels que cheveux noirs, sourcils noirs, front bombé, yeux noirs, nez épaté, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, etc.

ANCI 3NN33XIII-17-1 Registre des ordres sous les drapeaux.

9 Journal officiel de la Côte d’Ivoire (JOCI), 1918, p.54.

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Une circulaire du Gouverneur de la colonie du 10 octobre 1915 adressée aux Admi- nistrateurs responsables des recrutements donnent une autre raison. Il est écrit les phrases qui suivent « les hommes reconnus aptes….seront incorporés et les primes qu’ils toucheront… remises intégralement à leur famille afin d’éviter qu’elle ne soit gaspillée…. Il serait évidemment très désirable que les hommes une fois incorporés profitassent de la prime qu’ils ont touchée pour se marier et se créer une famille avant de partir même pour se faire admirer chez eux sous leur nouvel aspect. Mais il est à redouter qu’en leur accordant des permissions de quelques jours dans leurs villages…

certains n’en abusent pour tenter de se soustraire à leurs obligations militaires10

On remarque pour la même décision, deux versions. Nous pensons pour notre part, sans écarter les raisons sus-évoquées que la remise de la prime de la recrue à sa famille obéit à un mobile caché. En faire un « produit», une « marchandise». L’argent devient donc un appât, un moyen qui permet aux autorités coloniales de pénétrer l’intimité des villages. Un moyen qui facilite l’accès à l’information. Pour des raisons financières, un chef ou un notable peut donner la bonne information.

Le deuxième niveau de l’approche courtoise s’appuie sur la ruse.

2- La ruse comme moyen de recrutement

La première étape de cette approche concerne la recrue elle-même. Mettre tout en œuvre pour qu’elle fasse envie que pitié. Le premier souci des membres de la commission est de l’habiller pour faire beau et propre. Sa dotation est constituée d’une demi-couverture, d’un complet kaki, d’une chemise ou tricot marin et d’une ché- chia, l’Administration coloniale tire une fierté à « humaniser» l’indigène qui découvre l’habillement occidental.

Dans le cercle de Tagouana, un rapport sur le recrutement datant de mai 1918, sur un ton railleur traduit cette satisfaction. Nous notons quelques extraits « les tirailleurs ayant été habillés aussitôt après les opérations de la commission spéciale, leur attitude a changé brusquement, le paysan, le colporteur, le tisserand, le forgeron, le potier se sont transformés tout à coup sinon en soldats, du moins en hommes qui se sentaient désormais étrangers à leur ancienne profession et qui en avaient embrassé une nouvelle, le métier militaire11

La beauté de la tenue militaire fait également ces effets sur les recrues à Touba comme nous relève cette note : « Ici comme partout dès qu’ils ont revêtu l’habit militaire ils se sont mis une chéchia sur la tête, les jeunes gens semblent changer de mentalité. Ils se donnent immédiatement des airs d’importance, prennent d’eux- mêmes l’autorité qu’ils croient attachée à tout porteur de chéchia et paraisse oublier que la veille ils venaient presque tous à contre cœur12On remarque que le fait d’habiller la recrue sur place est une stratégie de séduction, un appât. Au début des recrutements les soldats ne recevaient leur dotation en uniforme qu’une fois au centre

10 Archive Nationale de Côte d’Ivoire (ANCI) 3NN12 XIII-34-25/147. Circulaire no340 à Messieurs les Administrateurs au sujet d’une nouvelle levée d’hommes, sans pagination.

11 ANCI-3NN7 Rapport complémentaire no712 du 31 mai 1918 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana, sans pagination.

12 ANCI-3NN7 Rapport sur les opérations de recrutement effectuées à Touba en mars-avril 1918, sans pagination.

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d’instruction. Dans le cercle du Tagouana en 1918, huit jeunes gens se sont portés volontaires à la vue de leurs amis revêtus de l’uniforme13.

Pendant le recrutement des actions de séduction sont entreprises à l’égard de toute la communauté villageoise et singulièrement à l’endroit des familles des recrues. Les autorités militaires et administratives font acheminer des bovins du Soudan vers les zones de recrutement et les distribuent aux populations. C’est le cas dans le cercle de Daloa en janvier 1918. Tout est donc mis en œuvre pour présenter l’opération comme une fête de réjouissance en espérant réduire la crainte qu’inspire celle-ci.

Le second souci de la commission de recrutement est d’empêcher que les soldats démobilisés soient en contact avec les éventuels candidats au recrutement. Surtout éviter que les mutilés de guerre ne regagnent leurs cercles d’origine pour ne pas y créer l’émoi, la peur et la désolation. En 1916, dans le cercle de Kong, à l’approche d’un recrutement, l’Administrateur de cercle avait souhaité la suspension de tout retour dans leur foyer de blessés et mutilés de guerre sans succès. La vue de blessés et mutilés a entrainé un effet déplorable sur la population14.

Le troisième niveau de cette approche est basé sur le mensonge et la propagande.

Il faut rassurer la recrue que la fin de la guerre est pour bientôt pour mieux fixer les esprits. Entre douze et dix huit mois. Les opérations de propagande constituent une approche importante pour les autorités de la colonie. Ces propagandistes sont des soldats permissionnaires ayant reçu une préparation morale spéciale et dirigés tous vers les chefs-lieux de circonscription dont dépendent leurs villages d’origine. Le contenu de leur propagande dépend de l’Administrateur de chaque cercle comme en atteste cette circulaire du Gouverneur datant du 26 mars 1918 « les Administrateurs intéressés donneront toutes instructions utiles sur le rôle qu’ils auront à jouer vis-à- vis des populations de leur groupe et sur la propagande qu’ils auront à exercer dans leur famille et auprès de leurs amis15

Après avoir passé quelques jours dans leur village, ils retournent rendre compte au chef-lieu du cercle ou de la subdivision des résultats obtenus et au besoin recevoir de nouvelles instructions. Ils servent également d’agents de renseignements auprès des commandants de cercle.

Une fois les opérations terminées, les permissionnaires propagandistes accom- pagnent les incorporés au camp d’instruction. Ils contribuent à initier les jeunes recrues à la vie militaire et aux obligations nouvelles qu’elle impose. Pour cette mis- sion ils perçoivent une allocation de 1 Franc par jour pendant tout le séjour dans le cercle et d’une prime qui ne saurait dépasser 5 francs par tirailleur engagé sur leur intervention directe16.

13 ANCI-3NN7 Rapport no643 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana contingent incorporé en mai 1918, sans pagination.

14 ANCI-3NN6-XIII-2-151/1157 Correspondance no158 du 22 février 1918, de l’Administrateur de Kong à Mr le Gouverneur de la Côte d’Ivoire, sans pagination.

15 ANCI 3NN6 XIII-2-151/1157 circulaire (tous cercles sauf Assinie) 02 B.M. du 26 mars 1918. Sans pagination

16 Ibidem.

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Une note d’Antonetti17 au commandant militaire magnifie le travail excellent de deux propagandistes. Il écrit : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que parmi les tirailleurs permissionnaires mis à notre disposition comme agents auxiliaires du recrutement deux… ont rempli avec beaucoup de zèle la mission qui leur a été confiée dans les cercles. Ce sont le caporal Sarban Touré qui a visité la subdivision de Darakolondougou dont il est originaire et plusieurs villages dioulas de la région de Dabakala… l’Adjudant Ségou Koné qui a opéré à Abidjan et dans les villages Ebriés de la lagune…. J’ai tenu à vous signaler ces deux gradés afin de les recommander à votre bienveillance et le cas échéant de les récompenser par les moyens que vous jugerez convenables18

A titre d’illustration, le contenu de la propagande de Sarban Touré a consisté à donner les nouvelles des jeunes gens incorporés précédemment, à faire la descrip- tion de la belle vie en France et à expliquer les avantages accordés aux tirailleurs.

Habitués à voir venir depuis la fin de l’année 1915 que des soldats blessés, mutilés ou licenciés pour maladie, un tel discours exerce une forte impression. Les autori- tés administratives et militaires du Tagouna établissent un lien entre cette nouvelle approche et les résultats obtenus cette année. En effet, sur 891 jeunes gens convo- qués seulement deux absences sont enregistrées19.

La dernière étape de la méthode de la ruse est la recherche de l’honneur pour les chefs locaux. L’accent est mis sur la décoration des chefs. L’Administrateur du cercle de Kong attire à ce propos l’attention de ses supérieurs sur l’oubli dans lequel se trouve le cercle en matière de décoration. Pour lui, des récompenses honorifiques attribuées aux notables produiraient un grand effet sur eux et faciliteraient les recrutements. Il note fort à propos que dans tout le cercle en 1918, il n’y a qu’un chevalier du Mérite Agricole. Parcourons quelques uns de ces arguments : « Je me suis permis…. de suggérer l’excellent effet que produirait la remise… des récompenses honorifiques…

ces propositions concernaient justement les notables dont l’action pour un recrutement serait le plus utile. La qualité de l’ordre ne présente aucune importance, toute distinc- tion serait bonne quelle qu’elle soit, il s’agit simplement d’une question de ruban…

une distribution dans les circonstances présentes serait efficace, plus même puis-je dire que des cadeaux en argent en raison de la qualité des bénéficiaires20.» L’ultime procédé de la méthode pacifique est la promesse d’une vie meilleure.

3- les promesses

Les promesses d’une vie meilleure sont contenues dans les dispositions du décret du 14 janvier 1918 concernant les avantages octroyés aux indigènes originaires des colonies françaises. Ainsi sont exemptés de l’impôt personnel et des prestations en nature les indigènes originaires des colonies de l’Afrique occidentale française (AOF) qui accomplissent leur service pendant la durée de la guerre21. L’impôt personnel

17 Antonetti est Gouverneur titulaire de la Côte d’Ivoire de 09 octobre 1917 au 06 décembre 1924.

18 ANCI-AEE 12 colonie de la Côte d’Ivoire. 2è bureau Affaires politiques, télégramme no3164, tirailleurs propagandistes adressée au commandant militaire. 1er juillet 1918.

19 ANCI-3NN7 Rapport no643 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana contingent incorporé en mai 1918, sans pagination.

20 ANCI-3NN6-XIII-2-151/1157 correspondance no158 op.cit., sans pagination.

21 JOCI, Janvier 1918, p.55.

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ou impôt de capitation fait partie des structures de l’exploitation économique de la colonie. Ce régime fiscal s’appuie essentiellement sur la population autochtone. Cet impôt frappe tout habitant âgé de dix ans et plus22.

Les prestations auxquelles sont soumises tous les indigènes de sexe masculin adultes (à l’exception des gardes de cercles, gardes forestiers, préposés de douane) consistent en journées de travail gratuit d’une durée de douze jours23. C’est à juste titre que, le Professeur Jean Noël Loucou24, estime que « dans la pratique, ce maxi- mum est un minimum et les prestataires employés à la construction et à l’entretien des routes et des pistes sont requis jusqu’à la fin des travaux25

Tous ces avantages sont étendus au père, à la mère du soldat appelé sous les drapeaux ainsi qu’à sa ou ses femmes et ses enfants26. La possibilité d’acquérir la nationalité française est offerte à tout soldat ayant servi pendant la guerre et ayant obtenu à la fois la Médaille militaire et la Croix de guerre. A la demande du chef de famille, femmes et enfants peuvent accéder à ce privilège. Tout est donc réuni pour que le soldat soit vaillant sur la ligne de front car accéder à cette époque à la citoyenneté française était synonyme de souffrance en moins.

4- La compassion

La compassion est la forme la plus achevée de la dimension humaine du recru- tement. Elle permet de montrer le visage humain du Blanc, surtout de démontrer aux indigènes que le recrutement n’est pas une chasse à l’homme mais un devoir, défendre la patrie en danger. La compassion n’est ni une initiative de la métropole, ni des autorités de Dakar encore moins de celles de la colonie. Elle est une initiative locale, au niveau du cercle. Outre les directives reçues avant le recrutement, une marge de manœuvre est laissée aux commandants de cercle pour apprécier selon les particularités locales.

Certes rare, la compassion s’applique dans le cercle d’Odienné en 1918. Le commandant de cercle a pris sur lui l’initiative de créer une sorte de conseil de révi- sion de second degré dont le but est de rattraper les éventuels cas d’injustice lors du recrutement effectué par la commission statutaire. Ce conseil a pour Président, le Président du tribunal de subdivision et pour assesseurs, deux tirailleurs, retraités, médaillés militaire. Trois missions sont assignées à ce conseil : analyser l’aptitude physique de la recrue reconnue apte devant la commission de recrutement, statuer sur le cas des dispenses, informer les recrues des avantages liés à leur nouvelle fonction, avantages pécuniaires, primes, allocations, etc…

On retient qu’après sa mission une dizaine de lépreux en période de maladie très précoce, de demi-déments et épileptique ont été retirés de la liste. Six jeunes gens physiquement aptes mais seuls mâles et soutiens de leur famille ont été également

22 Jean-Noël Loucou, La Côte d’Ivoire coloniale, Abidjan, Les éditions du CERAP et Félix Houphouët- Boigny, 2012, 365p ; p.117.

23 Ibidem, p.112.

24 Jean Noël Loucou est un historien ivoirien auteur de plusieurs publications.

25 Jean-Noël Loucou, op.cit ;, p.113.

26 La désignation du ou des membres de sa famille appelés à bénéficier de cette exemption sera effectuée par l’autorité Administrative locale en tenant compte des coutumes du lieu.

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rayés de la liste. Les recrues sont conduites devant cette commission accompagnées de leur chef de village et chef de canton27.

Dans le même cercle, ordre est donné par le commandant de cercle de ne pas recruter les jeunes au dessus de 28 ans, mariés, chef de case ou de famille, alors que le décret du 14 janvier 1918 stipule que « peuvent être appelés les hommes de 18 à 35 ans ». Au lieu donc d’appliquer ce décret, il applique plutôt celui de 1912 qui fixe l’âge maximum de recrutement à 28 ans. Il s’en explique : « le noir bien que la chose paraisse surprenante se marie tard, très tard. A vrai dire c’est dans ce pays entre 28 et 35 ans qu’il peut contre paiement d’une dote se procurer une femme et fonder une famille. Or dans tous les recrutements que j’ai faits j’ai posé en principe de ne point prendre autant que possible et quelque fût leur âge des indigènes mariés28

Il estime que cette politique est à la base de la franche collaboration de la popu- lation lors du recrutement d’avril 1918. Il est convaincu que l’application stricte du décret de 1918 aurait entrainé une haine des populations. Il conclut qu’entre la haine des populations et la sauvegarde de la famille, il fait le second choix29. Dans le cercle des Gouros dans le centre-ouest de la colonie, l’Administrateur dudit cercle conseille fortement aux agents recruteurs de ne prendre dans une famille de deux enfants en âge d’aller sous les drapeaux et en bonne condition qu’un seul. Il faut éviter dit-il de faire des malheureux. Pour mieux appliquer ces recommandations la collaboration des chefs est exigée. Ils sont chargés de désigner les candidats au recrutement.

L’appel sous les drapeaux inspirant une véritable terreur aux populations de la colonie de Côte d’Ivoire, les autorités métropolitaines expérimentent une autre méthode, la contrainte.

II- L’APPROCHE AUTORITAIRE OU PAR CONTRAINTE

L’opération de recrutement par contrainte se décline en quatre étapes que sont la persuasion, la démonstration de force, la restriction des mouvements et l’emploi de la force.

1- La persuasion

La persuasion est une méthode autoritaire que de coercition réelle. D’une façon géné- rale les chefs indigènes des cercles et des subdivisions qui le composent sont convoqués par l’Administrateur lors d’une palabre sur le service militaire obligatoire et les avantages.

Ensuite des listes numériques par village proportionnelles au nombre des habitants sont établis. Notification est faite aux chefs qui font des listes nominatives. Ordre est ainsi donné aux chefs de convoquer les conscrits et de rechercher les insoumis.

La menace consiste à dire aux chefs et à ses administrés qu’il est impossible d’échapper à l’ordre formel donné aux jeunes gens nominativement désignés de se présenter devant la commission de recrutement. Par crainte, le village se décide à livrer à l’autorité les appelés récalcitrants et les insoumis se rendent car ne pouvant vivre cachés dans la forêt puisque privés de la complicité des leurs.

27 ANCI-3NN7 Rapport confidentiel no 164 du 10 mai 1918 sur le recrutement d’avril 1918 dans le cercle d’Odienné.

28 ANCI- 3NN7 Rapport confidentiel n°164 du 10 mai 1918 sur le recrutement d’avril 1918 dans le cercle d’Odienné, sans pagination.

29 Idem.

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Une correspondance de l’Administrateur du cercle de l’indénié au Gouverneur de la colonie en date du 11 avril 1918 donne le résultat de cette méthode dans son cercle

« Quelques jeunes gens d’Agnibilékrou que je vous ai signalé comme devenu complè- tement insoumis : village déserté population refusant de sortir des campements…. J’ai renoncé à briser cette résistance par l’envoi de gardes du peloton de l’Indénié… mais j’ai envoyé chercher les 14 prestataires manquants par un interprète et un notable du village puis j’ai choisi les plus aptes d’entre eux et les ai gardé comme recrues30

2- La démonstration de force

Le but de la démonstration de force est d’impressionner les populations. La pré- sence des troupes doit produire une profonde impression sur l’esprit de la population.

Les patrouilles sont organisées le long de fleuve Comoé au niveau des gués, lieu de passage privilégié des fugitifs en direction de la Gold Coast. Les habitants du cercle de l’Agnéby étant très hostiles à la présence française et au recrutement des soldats, en avril 1918, l’Administrateur de l’Agneby a fait venir en provenance de Bouaké des tirailleurs pour surveiller les points de passage du fleuve. La surveillance se fait également le long de la frontière avec la Gold Coast dans les cercles de l’Indénié de Bondoukou et du N’Zi-Comoé.

3- La restriction des mouvements

En dépit de toutes les mesures prises pour réussir les recrutements militaires par appel, certaines personnes arrivaient toujours à se soustraire du contrôle. La restric- tion des déplacements se présentait comme la parade. Par un arrêté du 27 février 1918, obligation est faite aux populations de la colonie soumises au recrutement de faire une déclaration de changement de résidence. Avant tout déplacement, les commandants de cercle et les chefs de subdivision devront délivrer un laissez-passer à présenter à toute réquisition et visé par l’autorité locale du nouveau domicile. Toute infraction à cette nouvelle disposition est passible d’une peine de 15 jours de prison et de 100 francs d’amende ou l’une de ces deux peines seulement31. La coopération des services des douanes est exigée, ordre est donné aux personnels européens et indigènes d’exercer une surveillance étroite lors de la traversée des frontières sur les jeunes de 18 à 35 ans.

4- La force

Elle demeure l’ultime recours mais tous les Administrateurs dans leurs différents rapports sont conscients des limites de son usage. Elle créerait une grande frayeur chez les populations locales qui saisiraient la moindre occasion favorable pour s’en fuir. Il est même déconseillé aux Administrateurs des cercles frontaliers d’en faire usage ou d’en abuser.

Appliquant la manière forte, les chefs des tribus Attobrans et Annépés, consi- dérés comme principaux meneurs de la résistance orchestrée dans la subdivision

30 ANCI- 3NN6 XIII-2-151/1157 correspondance du 11 avril 1918 de l’Administrateur du cercle de l’Indenié à Monsieur le Gouverneur, sans pagination.

31 ANCI 3NN6 XIII-2-151/1157 correspondance du 6 mars 1918 du Lieutenant de la Côte d’Ivoire à Mon- sieur le Gouverneur général de l’AOF, sans pagination.

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d’Adzopé lors du recrutement d’Avril 1918 sont arrêtés et incarcérés. Pour punir les ressortissants de ces tribus les autorités ont décidé de recruter un nombre d’hommes supérieur à celui qui était demandé à l’origine32.

Souvent, l’usage de la force va au-delà de l’arrestation et de l’incarcération. Au recrutement de 1918 dans le cercle de Lahou il y a eu mort d’homme. Un garde a ouvert le feu sur un jeune qui opposait une résistance. Le rapport de l’Administra- teur Gondon donne les détails de l’évènement en ses termes : « Je me transportai à Fresco où la situation était inquiétante… 19 gardes furent envoyés à Kotrou le 18, ils avaient ordre d’arrêter le plus grand nombre possible de jeunes gens et notables, et, des menaces ayant été proférées, de faire s’ils étaient attaqués, usage de leur arme. Au village de Dassiako, le nommé Prangné, fils d’un notable sur le point d’être arrêté par un garde lui lança une sagaie qu’il lui frôla l’épaule ; le garde riposta d’un coup de fusil, Prangné fut tué. La situation changea immédiatement, et trois villages dont Dassiako amenèrent des recrues à Fresco33

CONCLUSION

La munitie qui a entouré toutes les six opérations de recrutement en Côte d’Ivoire démontre l’intérêt que la France en guerre accorde à la contribution de ses colonies en hommes. Le recrutement par engagement volontaire, ayant eu moins de succès l’accent a été mis sur le recrutement par appel suivant une démarche rigoureuse.

Selon le Professeur Domergue dans un article datant de 1976 paru dans les annales de l’Université d’Abidjan « la proportion des recrues levées a été de 5,2 pour 1000, ce qui est bien supérieur au maximum de 2,8 pour 1000 conseillé par le décret de 191234.» La méthode utilisée peut être avancée comme une des raisons de ce fort taux .Cette méthode alterne la carotte et le bâton ou les deux. Elle est résumée dans cette correspondance saisissante de l’Administrateur du cercle du Baoulé datant de mai 1918 et adressée au Gouverneur de la Colonie. Il écrit : « nous sommes les plus forts, c’est notre force, la seule devant laquelle le Baoulé s’incline bon gré mal gré.

Entre les palabres, les conseils et les encouragements que nous leur prodiguons sans nous lasser et la punition qu’ils peuvent craindre d’une désobéissance à nos lois, c’est cette dernière considération qui seule encore aujourd’hui et pendant longtemps les fera marcher dans la voie que nous leur indiquerons35.» Nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que c’est cet esprit qui a prévalu lors de tous les recrutements dans la colonie durant la première guerre mondiale.

32 ANCI- 3NN6-XIII-2-151/1157 télégramme. Lettre no 88 du 13 avril 1918 de l’Inspecteur des Affaires Administratives au Lieutenant. Gouverneur de la Côte d’Ivoire, sans pagination.

33 ANCI-3NN7Rapport n°582 sur le recrutement de 1918 dans le cercle de Lahou, sans pagination.

34 Domergue « La Côte d’Ivoire de 1912 à 1920 influence de la première guerre mondiale sur l’évolution politique économique et sociale» op.cit., p.48.

35 ANCI- 3NN6-XIII-2-151/1157 correspondance de l’Administrateur du Baoulé adressé au Gouverneur de la Colonie, sans pagination.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1- Ouvrages généraux

ANOUMA (R.P), Aux origines de la nation ivoirienne 1893-1946, conquêtes coloniales et aménagements territoriaux 1893-1920, vol1, paris, l’Harmattan, 275 p.

EKANZA (S.P.), l’Afrique au temps des Blancs (1880-1935), Abidjan, les Editions du CERAP, 2005, 188 p.

LOUCOU (J.N.), La Côte d’Ivoire coloniale, Abidjan, Les éditions du CERAP et Félix Hou- phouët-Boigny, 2012, 365p ; p. 117.

VARET (P.), Du concours apporté à la France par ses colonies et pays de protectorat au cours de la guerre de 1914, thèse pour le doctorat de Sciences Economiques Paris, les presses Modernes, 1927, 126p.

2- Les sources JOCI, 1918, p.54 JOCI, Janvier 1918, p.55

ANCI 3NN12 XIII-34-25/147. Circulaire no340 à Messieurs les Administrateurs au sujet d’une nouvelle levée d’hommes, sans pagination.

ANCI-3NN7 Rapport complémentaire no 712 du 31 mai 1918 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana, sans pagination.

ANCI-3NN7 Rapport sur les opérations de recrutement effectuées à Touba en mars-avril 1918, sans pagination.

ANCI-3NN7 Rapport no643 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana contingent incor- poré en mai 1918, sans pagination.

ANCI-3NN6-XIII-2-151/1157 Correspondance no158 du 22 février 1918 de l’Administrateur de Kong à Mr le Gouverneur de la Côte d’Ivoire, sans pagination.

ANCI 3NN6 XIII-2-151/1157 circulaire (tous cercles sauf Assinie) 02 B.M. du 26 mars 1918.

Sans pagination

ANCI-AEE 12 colonie de la Côte d’Ivoire. 2è bureau Affaires politiques, télégramme no3164, tirailleurs propagandistes adressée au commandant militaire. 1er juillet 1918.

ANCI-3NN7 Rapport no643 sur le recrutement dans le cercle des Tagouana contingent incor- poré en mai 1918, sans pagination.

ANCI-3NN7 Rapport confidentiel no164 du 10 mai 1918 sur le recrutement d’avril 1918 dans le cercle d’Odienné.

ANCI- 3NN7 Rapport confidentiel n°164 du 10 mai 1918 sur le recrutement d’avril 1918 dans le cercle d’Odienné, sans pagination.

ANCI- 3NN6 XIII-2-151/1157 correspondance du 11 avril 1918 de l’Administrateur du cercle de l’Indenié à Monsieur le Gouverneur, sans pagination.

ANCI-3NN6 XIII-2-151/1157 correspondance du 6 mars 1918 du Lieutenant de la Côte d’Ivoire à Monsieur le Gouverneur général de l’AOF, sans pagination.

ANCI- 3NN6-XIII-2-151/1157 télégramme. Lettre no88 du 13 avril 1918 de l’Inspecteur des Affaires Administratives au Lieutenant. Gouverneur de la Côte d’Ivoire, sans pagination ANCI-3NN7Rapport n°582 sur le recrutement de 1918 dans le cercle de Lahou, sans pagination.

3- Article

DOMERGUE (D.) « La Côte d’Ivoire de 1912 à 1920 influence de la première guerre mondiale sur l’évolution politique économique et sociale» « Annale de l’Université d’Abidjan, série I (Histoire), tome 4, 1976,pp.15-59.

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