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«Les patrons ont seulement oublié qu il ne faut pas jouer avec le feu autour d un tonneau de poudre. Gare à l explosion!» Pierre Monatte, correcteur

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Academic year: 2022

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« Les patrons ont seulement oublié qu’il ne faut pas jouer avec le feu autour d’un tonneau de poudre.

Gare à l’explosion ! » Pierre Monatte, correcteur d’imprimerie

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lexique

cassetin. C’est l’atelier des correcteurs d’un journal ou d’une maison d’édition. Le terme est aujourd’hui surtout utilisé en presse quotidienne nationale, où sub- sistent encore des services de correction sur site.

lecteur-correcteur. Il assure avant tout la cohé- rence de la structure d’un ouvrage, la véracité des informations qui y sont contenues, l’homogénéité de son style langagier, là où le correcteur, qui intervient ensuite, veille surtout à ce qu’il ne reste aucune faute d’orthographe, de grammaire, de syntaxe, de typo- graphie et chasse les dernières éventuelles incohé- rences du texte et maladresses stylistiques.

morasse. C’est la page maquettée d’un journal, une fois les articles mis en page, les photos calées et la titraille (titres, intertitres, exergues, etc.) rédigée.

On parle aussi d’épreuve. La correction sur ces épreuves s’appelle le « morassage ».

piéton. C’est, en presse, le correcteur en contrat à durée indéterminée « classique », au salaire mensualisé.

prépresse. Terme qui englobe les métiers de la fabrication, qui interviennent après la rédaction et avant l’impression : correction, mise en page, pho- togravure, etc.

photogravure. Ensemble des opérations (repro- duction et fixation des textes et images notamment) qui concourent à la fabrication de la forme impri- mante qui sera utilisée pour l’impression.

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avant-propos

« En relevant les erreurs des autres, vous vous exposez à leur rancune sans qu’il vous revienne le moindre honneur. » Dicton.

La correction est un métier très ancien, qui accompagne l’écriture, et plus précisément sa valeur, en veillant sur le respect d’un certain nombre de règles, de normes et de codes. Quand est-elle vrai- ment née ? Avec l’écriture ? Quand on parle de nais- sance de l’écriture, nos pensées voyagent aussitôt en Afrique ou au Moyen-Orient, à la rencontre des tablettes d’argile et des papyrus. De là à croire que le correcteur est né au bout du calame ? Laissons la réponse aux historiens. En tout cas, la correction est assurément un vieux métier, dont, en Occident, l’on trouve des traces précises dès l’époque médiévale, dans le secret des scriptoria, ces ateliers monacaux où sont produits les manuscrits et où le correcteur côtoie le copiste et l’enlumineur. Une activité alors placée dans les mains des religieux, au sein des abbayes, mais qui, durant le Moyen Âge, se laïcise peu à peu, en réponse à l’augmentation sensible de la demande de livres. Les métiers se précisent alors, les corporations se dessinent. L’arrivée de l’impri- merie en Europe, au milieu du xve siècle, promet un avenir industriel à la fabrication du livre, qui se réglette. Le cadre du service de correction – le

chef correcteur, en quelque sorte.

rouleur. C’est, en presse, le correcteur rémunéré à la tâche, à la journée, au service. Quand il inter- vient régulièrement dans un même journal, on parle de « suiveur ». Depuis le passage sous la convention collective nationale des journalistes, on parle aussi de

« pigistes » ou de « correcteurs rémunérés à la pige ».

secrétaire de rédaction. Il assure la réalisa- tion du journal : préparation des articles, calibrage, titraille, coulage des textes dans la maquette, etc. Il est au carrefour des métiers concourant à la fabrica- tion d’un journal.

service. Une journée de travail en presse. Autrefois fixé à six heures, le service dure aujourd’hui plutôt entre sept et huit heures. On parle aussi de « pige ».

tad. Travailleur à domicile. C’est l’un des statuts sous lesquels s’exerce aujourd’hui le métier de cor- recteur dans l’édition. Il s’agit d’un contrat de travail salarié rémunéré à la tâche.

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1887. En 1895, il rejoint la Confédération générale du travail (CGT), tout juste créée, du fait de l’affilia- tion de sa fédération, devenue Fédération française des travailleurs du Livre (FFTL). Le correcteur d’imprimerie Pierre Monatte, militant du syndicat, jouera d’ailleurs un rôle primordial dans la construc- tion de cette jeune CGT et dans l’orientation syndi- caliste révolutionnaire qu’elle va épouser au début du xxe siècle, écrivant parmi les plus belles pages de l’histoire du mouvement ouvrier. Car, à partir de 1905, sous l’impulsion du secrétariat d’Albin Villeval et avec l’arrivée de nombreux militants anarchistes, le Syndicat des correcteurs acquiert cette particula- rité de déployer une intense activité syndicale cor- porative tout en s’inscrivant dans une dynamique plus large de la contestation de l’ordre capitaliste, dans la droite ligne du syndicalisme révolutionnaire, qui cultive deux exigences de fond : l’absolue indé- pendance de l’organisation syndicale à l’égard des partis politiques et la double besogne syndicale – la lutte pour les améliorations immédiates de la condi- tion ouvrière et le combat révolutionnaire. Ce trait de caractère, qui lui vaudra plus tard le surnom de

« poil à gratter de la CGT » – car souvent en oppo- sition avec la ligne majoritaire –, se traduit aussi par l’investissement des correcteurs et de leur syndicat dans des luttes aussi diverses que le soutien à la résistance antifranquiste, la solidarité avec les syn- dicalistes polonais de Solidarnosc ou encore, plus récemment, la campagne pour la liberté d’Alexander Koltchenko, militant anarchiste enfermé dans les réalise vraiment au xixe siècle. Artisanat manuel,

l’imprimerie se transforme alors en industrie, où la machine va n’avoir de cesse, dès lors, de bouleverser les procédés de fabrication, les métiers et ceux qui les exercent. Le correcteur devient un ouvrier, un ouvrier du Livre, aux côtés de ses frères de casse, les compositeurs typographes, et des autres métiers que l’imprimerie engendre ou supprime au fil de ses évolutions techniques : teneurs de copie, impri- meurs, clicheurs, rotativistes, photograveurs, photo- compositeurs, relieurs, doreurs, etc. Sans compter les métiers dits « non graphiques », non spécifiques à l’écrit, mais indispensables à l’économie de l’impri- merie : ouvriers de l’expédition et des messageries, auxiliaires, électro-mécaniciens.

À l’instar des compositeurs typographes, les cor- recteurs s’organisent très tôt en corporation. Une Société des correcteurs de Paris est fondée en 1866, mais elle est plus attachée à parler de la langue fran- çaise que des conditions de travail de ses mandants, malgré quelques revendications salariales. C’est sur- tout la Chambre syndicale des correcteurs d’impri- merie, créée en 1881, qui lance l’activité syndicale des correcteurs en France1. Se transformant en Syndicat des correcteurs, elle s’affilie à la Fédération des ouvriers typographes français et des industries similaires en 1883 et à la Bourse du travail de Paris en

1. Pour en savoir davantage sur l’histoire du syndicalisme des cor- recteurs en France, lire Le Syndicat des correcteurs de Paris et de la région parisienne (1881-1973), d’Yves Blondeau, supplément au Bulletin des correcteurs n° 99, 1973, 411 pages.

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1978, son propre organisme de formation, Coforma, rebaptisé Formacom. C’est là que des générations de correcteurs ont été formées jusqu’en 2015. Encore aujourd’hui, les correcteurs de la CGT participent aux réunions paritaires des branches professionnelles dans lesquelles ils interviennent, où ils portent les exigences du métier en matière de formation profes- sionnelle. Dans ce cadre, ils ont joué un rôle détermi- nant dans l’élaboration du certificat de compétences professionnelles de lecteur-correcteur mis en place dans la branche de l’édition, en 2020.

En 1539, François Ier rendait un édit par lequel il obligeait les maîtres imprimeurs à employer des correcteurs1, pour s’assurer de la qualité des textes imprimés. Près de cinq cents ans plus tard, en 2012, un autre François, Hollande celui-là, alors candidat à la présidence de la République, était obligé de sou- lever une évidence, qui visiblement n’en était plus une : « Le besoin de correcteurs, je crois qu’il est réel, on ne va pas corriger simplement par des logi- ciels, il y a ce qui s’appelle tout simplement l’inter- vention humaine, parce que ce n’est pas simplement l’orthographe, c’est la qualité de la langue et la clarté de l’expression, c’est ça votre rôle2. » De fait, depuis des décennies, certains parlent de la proche dispa- rition des correcteurs. Mais ils sont toujours là. Le

1. Rebérioux Madeleine, Les Ouvriers du Livre et leur fédération : un centenaire (1881-1981), Temps actuels, 1981, p. 15.

2. Phrase prononcée le 2 mars 2012, en réponse à une correctrice qui l’alertait sur l’avenir de la correction alors qu’il visitait une coopérative d’activités et d’emploi.

geôles de Poutine, ou la solidarité avec les travailleurs en grève contre la réélection frauduleuse, en 2020, d’Alexandre Loukachenko, en Biélorussie. Le syn- dicat est aussi une école de la solidarité, une solida- rité entre ses adhérents, mais aussi avec les victimes des répressions politiques et syndicales, le contrôle d’une partie de l’embauche en presse parisienne lui permettant de trouver du travail à des syndicalistes licenciés ou des réfugiés politiques.

Mais le Syndicat des correcteurs est, avant tout, le syndicat d’une corporation, qui accompagne le métier de correcteur depuis presque cent cinquante ans, l’aidant à faire face aux évolutions techniques et technologiques, aux crises économiques et poli- tiques. Si le succès a été certain en presse parisienne pendant plusieurs décennies, permettant des condi- tions de travail et de rémunération excellentes – dont bénéficient toujours les correcteurs des quotidiens nationaux du xxie siècle –, il est bien moindre dans l’édition de livres, qui a pendant longtemps été le parent pauvre du syndicat (qui ne s’y est implanté qu’à partir de 1957), et indéniablement le secteur le plus compliqué, en raison de l’isolement des correcteurs et d’un rapport de force plus faible qu’en presse – quelques heures de grève ont un impact beaucoup plus important sur la production d’un quotidien que sur la fabrication d’un roman.

L’investissement du Syndicat des correcteurs dans la défense du métier s’est aussi traduit par un enga- gement important dans la formation, d’abord en donnant des cours professionnels, puis en créant, en

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s’affichent dans les rues avec les coursiers à vélo ou les VTC, mais qui gangrènent le métier de correc- teur depuis déjà plus d’une décennie. En décrivant la situation des correcteurs, c’est aussi le tableau social de l’édition et de la presse qui se dessine et qui vient considérablement écailler le vernis. Car derrière les discours sur l’éducation, l’émancipation et la culture, il y a une chaîne de production où la précarité s’est durablement installée.

développement de l’informatique n’a pas sonné le glas de la correction et la ruée sur le numérique d’une partie de la presse n’est pas fatalement appelée à se traduire par une suppression des cassetins*. Les correcteurs ne corrigent pas le papier, mais le texte.

Et un texte sur écran n’a, en théorie, pas moins de raisons d’être corrigé que son homologue imprimé.

Le syndicat aussi perdure, malgré, là encore, les pro- phéties bien sombres souvent agitées. Mais il existe sous une autre forme depuis 2017, année où son assemblée générale a voté son intégration dans le Syndicat général du Livre et de la communication écrite CGT, au sein duquel il forme désormais une section de métier, forte de près de deux cents cor- recteurs et correctrices. Il n’y a plus de Syndicat des correcteurs, mais les correcteurs ont toujours leur syndicat dans la CGT et poursuivent l’activité syn- dicale. Et c’est heureux ! Car la correction est atta- quée de toute part en tant que métier, et ceux qui l’exercent voient leurs conditions de travail se préca- riser sans cesse. Et c’est là la vraie menace qui pèse aujourd’hui sur le métier.

L’objectif de ce petit ouvrage est de faire le point sur les réalités du métier de correcteur au xxie siècle, dans la presse et dans l’édition, et sur les enjeux dont l’activité syndicale doit se saisir pour permettre aux correcteurs de faire face et de rebondir. Car, objec- tivement, le métier n’a aucune raison de disparaître, même s’il est depuis longtemps l’un des laboratoires des nouvelles formes de travail qu’impose la res- tructuration capitaliste. De celles qui, aujourd’hui,

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les tâcherons de l’écrit

Aujourd’hui, la majorité des correcteurs en activité sont des travailleurs payés à la tâche, à la pièce. Ce tâcheronnage, que d’aucuns pourraient croire d’un autre âge, s’exprime à travers divers statuts ou formes de rémunération, dans le cadre du salariat (statut de travailleur à domicile, rémunération à la pige, contrat de travail à durée déterminée) ou du travail prétendu indépendant (microentrepreneuriat, rémunération en droits d’auteur). Si les conséquences pour les cor- recteurs peuvent quelque peu différer d’une branche à l’autre, d’un statut à l’autre, la précarité est, en revanche, la règle pour tous. Car le paiement à la tâche, c’est d’abord l’assurance d’avoir des revenus qui fluc- tuent d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, sans grande visibilité, les charges de travail prévues pouvant être annulées ou reportées à tout moment. Au-delà des mois difficiles que cela entraîne inévitablement pour beaucoup, cette fluctuation de l’activité implique aussi bien souvent des modes et des rythmes de vie précaires, où l’on s’interdit de prendre des congés par peur de passer à côté d’un « plan travail », où l’on s’impose des journées ou des semaines de travail dépassant large- ment l’horaire maximum légal, parce que plusieurs employeurs donnent du travail en même temps et avec des délais similaires. À cette précarité économique s’ajoute aussi une précarité « administrative », car à une

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ou avec ses enfants à charge au sens fixé par l’article L. 313-3 du Code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire. »

Évoquant la jurisprudence, le Dalloz précise, sous cet article L. 7412-1 : « L’employeur n’a pas l’obligation, sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, de fournir un volume de tra- vail constant au travail à domicile. » Et une grande partie du problème de ce statut est là, dans cette pos- sibilité offerte à l’employeur de distribuer le travail, et la rémunération afférente, à sa guise.

La loi ne fait qu’encadrer des pratiques très anciennes, parfois dans des secteurs économiques d’importance, comme celui du textile et des ouvriers lyonnais, où les canuts n’étaient autres que des façon- niers salariés à domicile, dont l’agencement même du logement répondait aux exigences de leur travail.

Dans l’édition, le statut de TAD est régi, en plus du Code du travail, par une convention collective

« récente » : la convention collective nationale de l’édi- tion, datée du 27 juillet 1954. C’est sa mise à jour du 1er juin 1965 qui indique, à la page 28, que le cor- recteur appartient à la catégorie IX 200 et qu’il est

« apte à la lecture typographique des épreuves avec copie ». C’est Renée Durieux-Magnani qui négocia alors ce texte, au nom du Syndicat des correcteurs.

C’est à cette époque, d’ailleurs, que la syndicalisa- tion des correcteurs dans l’édition progresse signifi- cativement, passant de quinze adhérents en 1963 à soixante en 1967. Il faut attendre le 6 janvier 1994 époque où l’on nous demande partout des garanties

de stabilité financière, de revenus fixes – ici pour louer un logement, là pour obtenir un crédit –, être soumis au paiement à la tâche, ne pouvoir présenter que des fiches de paie où le montant du salaire fait le yo-yo, est un boulet que l’on traîne et qui nous handicape lour- dement au quotidien.

Ce qui frappe, c’est la diversité des formes que prend ce tâcheronnage et qui lui a permis de s’im- poser dans la plupart des secteurs d’intervention du métier de correcteur – édition, presse, commu- nication –, et il est nécessaire de les disséquer pour prendre la mesure de l’ampleur de la précarisation quasi achevée de ce métier séculaire.

le statut de travailleur à domicile

Le statut de travailleur à domicile (TAD*) n’est pas nouveau et, s’il est très présent dans l’édition, nous le retrouvons dans d’autres branches d’activité.

Il est d’ailleurs défini et en partie encadré juridique- ment par le Code du travail, dont l’article L. 7412-1 dispose notamment :

« Est travailleur à domicile toute personne qui : 1° Exécute, moyennant une rémunération forfai- taire, pour le compte d’un ou plusieurs établissements, un travail qui lui est confié soit directement, soit par un intermédiaire ;

2° Travaille soit seule, soit avec son conjoint, par- tenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin

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encore dans quelques grandes maisons, telles que Gallimard ou Le Seuil) et la très grande majorité des correcteurs d’édition travaillent depuis leur domi- cile. Si le paiement en droits d’auteur et, à partir de 2009, l’autoentrepreneuriat (devenu aujourd’hui microentrepreneuriat) ont porté un coup sérieux au statut de TAD, celui-ci est encore très répandu dans la branche de l’édition.

Aujourd’hui, la très grande majorité des correc- teurs TAD sont des correctrices et travaillent à temps partiel. D’après l’étude de l’Ires de 2015, les TAD sont pour 81,2 % d’entre eux des femmes et 66,7 % ne travaillent pas à temps plein. En outre, 53,3 % affirmaient alors gagner moins de 15 000 euros par an. Un métier féminin, très précaire et peu rémuné- rateur : c’est la définition la plus exacte du métier de correcteur d’édition.

Mais qu’est réellement ce statut de TAD et pour- quoi génère-t-il autant de précarité ? Le TAD est un salarié et sa relation de travail est, comme on l’a vu, encadrée par le Code du travail, la convention col- lective et les accords des entreprises pour lesquelles il travaille. Il y a donc un lien de subordination et sa rémunération est un salaire, sujet à cotisations. Il peut travailler sous contrat de travail à durée indé- terminée (CDI) ou sous contrat de travail à durée déterminée (CDD) – d’après l’étude de l’Ires, ils étaient, en 2015, une majorité à travailler en CDI (58,6 %). Dans les deux cas, ils sont payés à la tâche et l’employeur n’a aucune obligation à leur fournir un minimum de travail d’un mois à l’autre. Les mois pour que le travail à domicile soit évoqué, à la faveur

d’une redéfinition de la convention, qui l’étend à tous les salariés à partir de « l’annexe IV (correcteurs à domicile) ». Il faut néanmoins attendre 2006 pour qu’un accord de branche (révisé le 19 décembre 20181) précise les choses : s’il concerne essentiel- lement les lecteurs-correcteurs* et les correcteurs, le statut de TAD se retrouve dans d’autres métiers de l’édition, notamment ceux de maquettiste, typo- graphe, iconographe, lecteur2.

Si les TAD existent depuis longtemps dans l’édition, la nature du recours des employeurs à ce statut a, semble-t-il, sensiblement évolué. Dans les années 1980, la plupart des grosses maisons d’édi- tion françaises possédaient encore un cassetin dans leurs locaux, occupé par des correcteurs à plein- temps. Les correcteurs à domicile existaient, bien sûr, mais ils étaient surtout appelés en cas de surcharge de travail, en renfort ou en remplacement. Nombre d’entreprises d’édition passaient d’ailleurs par la permanence du Syndicat des correcteurs CGT pour trouver sur le pouce ces TAD, dont beaucoup étaient alors syndiqués. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de correcteurs qui travaillent dans les locaux des maisons d’édition ; les cassetins ont presque tous dis- paru dans le courant des années 1990 (il en existe

1. La CGT n’a jamais été signataire de cette annexe IV.

2. D’après une étude menée par l’Institut de recherche écono- mique et sociale (Ires) en 2015, à la demande de la CGT et de FO, 82,20 % des TAD sont lecteurs-correcteurs ou correcteurs, 0,7 % sont maquettistes et 17,8 % exercent un autre métier.

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La mobilisation des TAD, soutenus par d’autres acteurs de la profession – des auteurs du jury Goncourt aux ouvriers des imprimeries –, a néanmoins permis d’arracher quelques acquis et d’améliorer à la marge le texte de 2006. Parmi ces améliorations, la mise en place d’une timide indemnisation de la fluctuation de la charge de travail des TAD avec l’instauration d’une clause évaluative d’activité. Établie tous les ans entre l’employeur et le TAD, elle consiste à s’entendre sur un volume d’activité prévisionnelle : l’employeur s’engage à fournir ce volume d’activité et le correcteur, lui, s’en- gage à être disponible à sa hauteur. Si le volume de tra- vail fourni se révèle inférieur à celui établi par la clause évaluative, le TAD peut espérer une indemnisation, dont le fonctionnement relève un peu de l’usine à gaz :

– pour une baisse de 15 %, le TAD n’a droit à rien, l’annexe IV estimant que cette baisse est inhé- rente au fonctionnement du secteur de l’édition (mais pas de là à l’appliquer au directeur des res- sources humaines, cela dit…) ;

– entre 15 % et 30 % de baisse, le TAD est en droit de réclamer une compensation correspondant soit à une indemnisation équivalant à la part de baisse comprise entre 15 % et 30 %, soit à un report des heures non effectuées sur l’année suivante ;

– au-delà de 30 % de baisse, le TAD a deux possi- bilités : refuser cette baisse d’activité et engager une procédure de rupture du contrat de travail (licencie- ment, donc) ou l’accepter, obtenir l’indemnisation correspondant et revoir à la baisse son volume de travail pour l’année suivante…

où ils n’ont pas de travail, l’employeur n’est pas tenu de leur verser un salaire et, comme ils restent néanmoins sous contrat avec l’entreprise, ils ne peuvent prétendre aux allocations chômage de Pôle emploi. Résultat ? Les mois sans travail, les TAD ne perçoivent aucun revenu. Seul « avantage » de ces contrats payés à la tâche brandi par le patronat de l’édition : les TAD peuvent travailler pour plusieurs employeurs. Et, de fait, la plupart d’entre eux sont multi-employeurs, moins par choix que pour maxi- miser leurs chances d’avoir un minimum de revenus.

En 2017 et 2018, une mobilisation des correc- teurs, principalement articulée autour de l’action conjuguée du collectif Correcteurs précaires et du Syndicat général du Livre et de la communication écrite CGT, a permis d’ouvrir les discussions au niveau de la branche de l’édition pour tenter une refonte de l’annexe IV, dans l’espoir de sécuriser davantage les TAD et d’aller vers l’égalité de traite- ment parfaite entre eux et les salariés sur site. Des dizaines de réunions paritaires, plusieurs rassem- blements, un envahissement du salon Livre Paris en 2017 et des communications dans la presse n’auront, hélas, pas suffi pour aboutir à un accord satisfaisant.

L’annexe IV a bel et bien été révisée, mais la nouvelle mouture est encore très largement insuffisante et la

« déprécarisation » annoncée par le Syndicat national de l’édition (SNE, organisation patronale de la branche) n’a pas eu lieu. La CGT ne l’a d’ailleurs pas signée, mais les signatures des autres organisa- tions syndicales ont suffi pour la valider.

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un an dans l’entreprise, pas plus qu’au paiement des jours fériés. Il s’agissait donc de faire reconnaître par le Conseil constitutionnel ces trois articles comme discriminatoires et, allant, les rendre caduques.

Seulement, pour que l’action aboutisse, il aurait fallu qu’un TAD saisisse un conseil de prud’hommes et que, dans le cadre de la procédure, il s’adresse au Conseil constitutionnel à propos des discriminations induites par ces articles1. Aucun TAD n’a souhaité saisir la justice prud’homale à ce sujet – ce qui s’en- tend, tant une procédure devant les prud’hommes peut exposer un salarié.

Payés à la tâche, discriminés, les TAD sont-ils, aussi, mal rémunérés ? La réponse est oui, mais elle ne tient pas au seul fait qu’ils soient TAD. La grille des salaires minima conventionnels de la branche de l’édition est, en effet, particulièrement peu géné- reuse et les négociations avec le SNE ont toujours été très compliquées à ce sujet. À tel point d’ail- leurs que, depuis quelques années, la commission paritaire de l’édition est placée sous la tutelle de l’État, qui impose la présence d’un représentant du ministère du Travail à chacune de ses réunions, pré- sence censée débloquer les discussions et faciliter la conclusion d’un accord…

Pour les classifications et les salaires, il faut dis- tinguer le lecteur-correcteur et le correcteur. D’après l’annexe IV de la convention collective nationale

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être posée dans le cadre d’un litige devant des juridictions judiciaires ou administratives.

En résumé, si la nouvelle annexe IV1 permet de ne pas déresponsabiliser complètement l’employeur vis-à-vis de la fluctuation de l’activité, elle sécurise à la marge le TAD, lui offrant au mieux une maigre indemnisation, au pire le licenciement. Pis, la nou- velle annexe IV entérine même l’inégalité de traite- ment entre les TAD et les autres salariés dépendant de la convention collective nationale de l’édition.

Ainsi, par exemple, en cas de licenciement, les TAD au statut cadre ont-ils droit à des indemnités de licen- ciement inférieures à celles que prévoit la convention collective pour les cadres non TAD ! Pour quelles rai- sons objectives ? Ni le Syndicat national de l’édition ni les organisations syndicales signataires de l’accord de branche n’ont pu le justifier. De fait, les discri- minations ne sauraient avoir de justification valable.

À propos des discriminations dont les TAD sont victimes, le Syndicat des correcteurs CGT avait tra- vaillé, en 2013, sur une question prioritaire de consti- tutionnalité en vue de contester la constitutionnalité des articles L. 3242-1, L. 3133-3 et L. 1226-1 du Code du travail2. Ces trois articles disposent que les TAD n’ont pas droit au salaire venant compléter les indemnités journalières de la Sécurité sociale après

1. Pour un explicatif détaillé de la nouvelle annexe IV, lire la bro- chure éditée, en 2019, par la section des correcteurs du Syndicat général du Livre et de la communication écrite CGT : Le Statut des travailleurs à domicile de l’édition, disponible en ligne sur www.

correcteurs-cgt.fr.

2. Pour plus d’information à ce sujet, lire l’article « Question prio- ritaire de constitutionnalité », dans Cantonade, n° 224, avril 2013, p. 37-39.

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les correcteurs rémunérés à la pige

Dans la presse, la situation des correcteurs est assez différente de celle de leurs confrères de l’édi- tion, et dans la presse elle-même la situation diffère selon que l’on travaille dans la presse quotidienne ou dans la presse hebdomadaire et magazine, même si, partout, l’on retrouve le paiement à la tâche. Si les conditions de travail et de rémunération des cor- recteurs sont globalement meilleures dans la presse que dans l’édition, le métier de correcteur en tant que tel s’y porte moins bien. Les cassetins de presse, qui accompagnaient chaque titre de presse au siècle dernier, ont été réduits à portion congrue, voire sup- primés. Une situation absurde, alors même que les directions des journaux imposent à leurs journalistes des cadences toujours plus importantes, laissant d’autant moins de place à une écriture soignée et à une vérification poussée des informations avancées.

Dans la presse quotidienne régionale, les correc- teurs ont disparu, la correction étant reléguée aux secrétaires de rédaction* – qui ne sont pas forcément formés au métier et qui, dans tous les cas, corrigent moins bien à devoir assurer avant tout le secrétariat de rédaction –, voire, dans certains titres, éliminée.

Seul Le Parisien, si tant est que l’on considère qu’il relève plus de la presse quotidienne régionale que de la presse quotidienne nationale (il se décline natio- nalement avec Aujourd’hui en France), a conservé un vrai cassetin de correcteurs. En presse quotidienne nationale, à l’exception notable de Libération, qui a de l’édition, le lecteur-correcteur, qui effectue la

préparation de copie, est rémunéré en fonction du nombre d’heures qu’il déclare en conscience ; il est censé avoir un statut de cadre. Le correcteur, lui, qui corrige les épreuves, est rémunéré sur la base de 12 000 signes (espaces comprises) à l’heure dans le cadre d’une relecture avec copie et de 15 000 signes à l’heure dans le cadre d’une relecture sans copie, toujours selon l’annexe IV ; il a un statut d’employé.

En guise de prime de précarité, les TAD ont droit à un supplément de traitement qui vient majorer leur rémunération de 8,33 % ; une majoration de 7 % vient également couvrir une partie de leurs frais d’atelier, frais issus de la sujétion particulière d’occuper son domicile à des fins professionnelles.

Il est à noter également que si les TAD sont censés travailler à domicile, comme leur nom l’indique, et non dans l’entreprise, beaucoup d’employeurs imposent néanmoins à leurs correcteurs d’être pari- siens. Non contentes de les avoir externalisés, nombre de grandes maisons d’édition parisiennes exigent effectivement de leurs TAD qu’ils viennent eux- mêmes chercher le travail et le rapportent ensuite, au prétexte de pouvoir discuter avec eux. En réalité, c’est davantage un moyen d’économiser les frais des envois postaux, car, lorsqu’ils rapportent leur travail, il est rare que les TAD aient l’occasion d’échanger sur les problèmes rencontrés, se voyant souvent accueillis par un simple : « Posez ça là, je regarderai plus tard, on vous rappelle », ce que beaucoup disent vivre comme une humiliation. Une de plus.

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ils n’ont de journalistes que la convention collec- tive. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’au Journal officiel que les correcteurs ont le statut d’ouvrier du Livre (parce qu’une imprimerie fait toujours partie de l’entreprise), partout ailleurs ils sont passés à celui de journaliste. En presse quotidienne, les correcteurs du Parisien, salariés de l’imprimerie Sicavic jusqu’en 2016, ont été les derniers à subir cette conversion.

Le changement de convention collective n’est pas anodin, il constitue l’aboutissement de plusieurs plans sociaux de départs en préretraite visant spécialement le prépresse*. Dans les rédactions, le rapport de force syndical n’est pas le même que dans les imprimeries et, en passant chez les journalistes, les correcteurs ont pu perdre une partie de leur force de frappe syndicale, celle de la CGT du Livre parisien – dont le Syndicat des correcteurs était l’une des composantes –, moins implantée dans les rédactions que dans les imprime- ries – en raison, notamment, de la désyndicalisation et de la division syndicale. Si la majorité des correc- teurs syndiqués sont toujours à la CGT du Livre, il est indéniable qu’ils ont perdu de leur superbe et de leurs poids dans les négociations collectives.

Aujourd’hui, les cassetins de presse sont, comme autrefois, composés de piétons et de rouleurs*. Les pié- tons, c’est le nom donné aux correcteurs en CDI ; les rouleurs, c’est celui donné aux correcteurs rémunérés à la pige (les fameux « pigistes postés »), en CDD ou, plus rares désormais, en CDD d’usage. Mais là où, il y a quelques années, il y avait plus de piétons que de rouleurs, la donne a changé, désormais, et les services eu bien du mal à embaucher des correcteurs mais

aucun à s’en débarrasser en 2007, tous les titres disposent encore d’un service de correction – avec réglette*, pour la plupart –, le plus important étant celui du Monde, qui possède même deux cassetins, un pour le quotidien papier et un pour son site Internet, Lemonde.fr, corrigé de 6 h 30 à 23 heures.

Même les journaux les plus en difficulté et les plus fragiles économiquement, comme L’Humanité, ont préservé le métier de correcteur, conscients que son apport était une plus-value non négligeable et même un atout pour se distinguer parmi les innombrables supports de l’information. En presse hebdomadaire et magazine, les réalités sont assez différentes d’un titre à l’autre : certains n’ont plus de correcteurs ou ont ajouté la correction au cahier des charges des secrétaires de rédaction, d’autres – et ils sont assez nombreux –, comme Paris-Match, Jeune Afrique ou Le Point par exemple, emploient toujours des cor- recteurs professionnels, qui, chaque semaine, veillent sur les textes des journalistes.

Dans la presse quotidienne, l’une des grandes transformations que le métier a connues a été le passage du statut d’ouvrier du Livre à celui de journaliste, dans les années 2000. Jusque-là sala- riés des imprimeries de presse, les correcteurs sont devenus partie intégrante des rédactions, basculant sous la convention collective nationale des journa- listes et prenant officiellement le nom de « rédac- teurs-réviseurs » – quand bien même continue-t-on, et c’est normal, de les appeler « correcteurs », tant

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de contrat de travail écrit, la relation de travail est considérée comme étant en CDI à temps plein. Le salarié rémunéré à la pige ne signant jamais rien, il est présumé être en CDI à temps plein. Mais encore faut-il qu’il puisse le réclamer sans subir le retour de bâton patronal et qu’il ait le courage de porter l’affaire devant un conseil de prud’hommes, car se contenter de dire la loi à un DRH suffit rarement à ce qu’il l’applique.

Dans les faits, dans le meilleur des cas, le correc- teur rémunéré à la pige est effectivement considéré comme un salarié en CDI, mais un CDI payé à la tâche – comme, en somme, ses confrères TAD de l’édition. Pour les correcteurs, le montant de la pige ne correspond pas à un nombre de signes corrigés mais à un nombre d’heures de travail ; une pige cor- respond ainsi à une journée de travail de sept ou huit heures. Pour ces salariés à la pige un peu particuliers, l’on a d’ailleurs l’habitude de parler de « pigistes postés » pour les distinguer des « pigistes rému- nérés au feuillet », à savoir les journalistes rédacteurs – preuve, s’il en fallait encore, que le passage à la convention collective des journalistes ne recouvrait aucune cohérence.

Payés à la tâche, les correcteurs rémunérés à la pige ont néanmoins un avantage sur leurs confrères TAD de l’édition : ils peuvent faire valoir leurs droits au chômage et bénéficier de l’allocation pour laquelle ils ont cotisé (ARE) dès lors qu’ils ont travaillé cent trente jours ou neuf cent dix heures dans les vingt- quatre derniers mois. En outre, ils peuvent continuer de correction reposent, pour la plupart, sur des viviers

de « pigistes », appelés pour combler le sous-effectif ou remplacer les piétons absents. Dans certains jour- naux, le cassetin est parfois tenu uniquement par des rouleurs ! La précarité s’est installée dans les rédac- tions et s’est imposée comme la norme dans la ges- tion des effectifs, quand bien même la loi interdit de recourir à la pige pour couvrir durablement des postes qui auraient pu être pourvus en CDI.

La rémunération à la pige est arrivée dans la correction avec le passage sous la convention col- lective des journalistes. Ça a été la traduction dans les rédactions du contrat d’usage en vigueur dans les imprimeries et sous lequel travaillaient les cor- recteurs rouleurs. À la différence près que, dans les imprimeries, l’implantation de la CGT permettait une gestion de l’embauche qui, tout en prenant en compte la nature très aléatoire de la charge de travail en presse quotidienne, était attentive aux titularisa- tions dès lors qu’un sous-effectif était permanent, là où, dans les rédactions, il est devenu très difficile de faire titulariser un correcteur rémunéré à la pige.

En outre, le contrat d’usage était plus clair que la pige, laquelle n’est qu’une forme de rémunération et non pas, justement, un contrat. Le flou autour de la relation de travail rémunérée à la pige est l’objet de débats incessants entre les représentants syndicaux et les employeurs, dans la branche comme dans les entreprises, et le « pigiste » ne sait jamais s’il est en CDI, en CDD ou en je ne sais quoi encore. Bien sûr, la loi est, en la matière, du côté des salariés : à défaut

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aux informations et communications internes de l’entreprise, qu’elles viennent de la direction, des instances représentatives du personnel ou des orga- nisations syndicales, faute d’inscription sur les listes électroniques internes. Et, souvent, ils doivent aller chercher l’information par eux-mêmes, en sollicitant des collègues en CDI ou les élus. Cette inégalité de traitement montre bien le peu de considération que les entreprises portent à ces salariés précaires, sur lesquels, tous métiers confondus, repose pourtant aujourd’hui une large partie de la production dans l’industrie de la presse.

le statut de microentrepreneur

L’autoentrepreneuriat – que l’on appelle désormais

« microentrepreneuriat » – est apparu en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Pour les employeurs, la création de ce statut a été une véritable aubaine et beaucoup se sont jetés dessus, voyant en lui l’oppor- tunité rêvée de s’offrir des travailleurs corvéables et jetables, privés de la protection du Code du travail et des conventions collectives, et de s’émanciper des cotisations sociales. Derrière le discours sur l’auto- nomie, l’indépendance, la liberté d’être son propre patron qui a médiatiquement construit ce statut, il y a une exploitation capitaliste sauvage, libérée des garde- fous qu’impose encore le salariat. Désormais, bien des illusions ont été dissipées ; la situation dramatique des coursiers à vélo a obligé les médias à regarder le microentrepreneuriat autrement que comme une belle à faire des services* tout en touchant une partie de

leur allocation, dans le cadre des règles du cumul allocation-salaire de l’Unédic. En cela, contraire- ment aux TAD de l’édition, les correcteurs de presse rémunérés à la pige ne se retrouvent pas forcément sans aucun revenu les mois où leurs employeurs ne leur fournissent pas de travail, l’allocation chômage faisant office, en quelque sorte, de filet de sécurité.

Mais, comme les TAD, les correcteurs rémunérés à la pige ou en CDD subissent une inégalité de trai- tement par rapport aux salariés en CDI « classiques » (on parle aussi, pour les journalistes, de « journalistes mensualisés »), qui s’exprime de bien des manières, même si la réalité est plus ou moins sombre d’une entreprise de presse à l’autre. De fait, dans nombre de rédactions, les salariés rémunérés à la pige ou en CDD – et ceci n’est pas seulement valable pour les correcteurs – sont exclus des œuvres sociales, oubliés des négociations annuelles obligatoires – notamment des revalorisations salariales –, des primes collec- tives, des remboursements de frais de transport, des compléments employeurs en cas d’arrêt maladie ou de congés maternité. Et ne parlons même pas des élections professionnelles, qui sont systématique- ment l’objet de batailles entre syndicats et direction pour trouver un accord encadrant la participation des salariés rémunérés à la pige à la vie démocra- tique de l’entreprise, en tant qu’électeurs mais aussi en tant que candidats. Une participation d’autant plus compliquée et délicate que ces travailleurs pré- caires ne bénéficient généralement d’aucun accès

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l’ encadrement juridique imposé par le salariat. Les correcteurs, eux, n’avaient qu’à y perdre, étant exclus de tous les bénéfices du salariat. Et l’on sait combien la perte est importante depuis qu’en janvier 2020 le rapport Racine1 a révélé que, pendant quarante ans, l’Agessa n’avait pas prélevé les cotisations retraites…

Des milliers de travailleurs rémunérés en droits d’auteur – légalement ou illégalement – se retrouvent aujourd’hui avec des trous de cotisations de dizaines d’années, alors qu’ils pensaient avoir cotisé2.

Le paiement des correcteurs d’édition en droits d’auteur est une pratique illégale. D’ailleurs, l’Agessa elle-même ne cultive pas la moindre ambiguïté à cet égard ; dans un document intitulé « Auteurs du livre : qui est concerné et pour quelles activités ? », daté de mars 2019, elle précise que « les correcteurs, c’est- à-dire les personnes qui effectuent la vérification typographique d’épreuves et assurent le respect de la ponctuation, de la syntaxe et de l’orthographe (en principe salariés et bénéficiaires de la convention col- lective de l’édition) », ne relèvent pas du régime des artistes-auteurs. De fait, le correcteur n’est pas un auteur et la convention collective nationale de l’édition l’écrit noir sur blanc : le correcteur est un salarié. Dans les années 2000, le Syndicat des correcteurs CGT a organisé une bataille systémique contre ce dévoiement du droit d’auteur, bataille qu’il a notamment menée

1. « L’auteur et l’acte de création », rapport de Bruno Racine remis au ministre de la Culture, le 22 janvier 2020.

2. Vulser Nicole, « L’Agessa a amputé la retraite de dizaines de milliers d’auteurs », Le Monde, 15 février 2020.

aspiration individuelle à l’autonomie, et les prolos de la pédale et du bitume sont devenus le symbole d’une exploitation économique décomplexée et d’une pré- carité extrême. Mais cette prise de conscience, liée au développement des plates-formes numériques, est assez récente et oublie tout un pan moins visible de l’exploitation microentrepreneuriale, celle qui se déploie dans les couloirs feutrés des maisons d’édition et, dans une moindre mesure, en presse.

Avant Uber, il y avait les correcteurs, avant l’au- toentrepreneuriat, il y avait… les droits d’auteur. De fait, les patrons de l’édition ont toujours cherché à pousser une part de leurs travailleurs en dehors du salariat, et si la branche de l’édition n’est pas ubé- risée en soit, certains de ses métiers le sont, et depuis longtemps. Ainsi, avant 2009 et l’arrivée du statut d’autoentrepreneur, nombre de maisons d’édition rémunéraient leurs correcteurs en droits d’auteur en les assujettissant à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa1). Les droits d’auteur ne sont pas du salaire et les travailleurs rémunérés ainsi sont exclus du champ de la conven- tion collective nationale de l’édition, des accords d’entreprise et, en outre, ne cotisent pas pour le chômage. Pour les employeurs, le recours à l’Agessa était donc une belle opportunité, qui leur permet- tait de faire baisser le coût de la correction, de ne pas augmenter leur masse salariale et d’échapper à

1. Créée en 1975, l’Agessa est l’organisme de gestion de la sécu- rité sociale des auteurs.

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années, l’on parle d’ailleurs de « TAD fantômes » ou de « TAD dormants ».

Qu’elle soit imposée ou choisie, la microentre- prise est, pour la plupart des correcteurs, une fausse indépendance. La relation de travail répond moins aux règles du contrat commercial qu’à celles du sala- riat en matière de subordination et de rémunération : il est rare que le correcteur fixe lui-même son tarif, des délais et des consignes stricts lui sont imposés, son travail est parfois tracé, toujours contrôlé et il peut être congédié sans autre forme de procès qu’un mail lapidaire. Pis, nombre de maisons d’édition recrutent leurs correcteurs microentrepreneurs comme elles recruteraient des salariés, exigeant des lettres de motivation et des curriculums vitae ! Avez- vous déjà demandé à un plombier qu’il vous four- nisse son CV ou qu’il vous explique ses motivations à intervenir sur votre douche ? Dans l’entreprise, la relation de travail du correcteur microentrepreneur est d’ailleurs souvent encadrée par les mêmes relais hiérarchiques que les salariés, qui jonglent entre les microentrepreneurs et les TAD. Il s’agit, ni plus ni moins, de salariat déguisé. Un « salariat » où le cor- recteur ne bénéficie pas de la protection du Code du travail et des accords collectifs, où il paye lui-même les cotisations patronales, où il ne cotise pas à l’as- surance chômage, ce chômage qu’il peut pourtant rejoindre d’une minute à l’autre, sans la moindre indemnité. Et le tout pour un revenu maigre, fixé généralement sur la base du net versé aux correc- teurs salariés, mais auquel le microentrepreneur devant le conseil de prud’hommes de Paris, faisant

condamner plusieurs grands noms de l’édition pour travail dissimulé : Gallimard en 2004, Editis en 2010 et Berger-Levrault en 2018. Ces jugements, qui font jurisprudence en la matière, ont permis de considé- rablement réduire le recours à l’Agessa pour le paie- ment des correcteurs dans l’édition.

Mais c’était compter sans la présidence Sarkozy et sa création folle de 2009 : le microentrepreneu- riat. Absence de cotisations sociales, de rémunéra- tion minimale, de représentation syndicale, de justice prud’homale, non-application du Code du travail, de la convention collective et des accords d’entreprise : l’occasion était trop belle pour le patronat pour qu’il l’ignore. Et, dans l’édition, l’autoentrepreneuriat s’est souvent substitué au paiement en Agessa, puis au salariat, même le plus précarisé, celui des TAD.

Pour ces employeurs, le paiement à la tâche ne suffi- sait pas, il fallait aussi qu’il échappe au droit du tra- vail et aux cotisations. Ainsi, du jour au lendemain, des correcteurs ayant des années de CDI derrière eux se sont retrouvés à devoir choisir entre la porte ou l’autoentrepreneuriat, plongeant dans une pré- carité encore plus grande que celle que leur impo- sait déjà le statut de TAD. Le chantage était simple : soit le correcteur passait à l’autoentreprise, soit son employeur cessait de lui fournir du travail – puisque le statut de TAD ne l’y obligeait pas. Il ne s’agissait donc même pas de licenciement, juste d’une rupture brutale de la charge de travail ! À propos de ces nom- breux TAD non licenciés mais sans travail depuis des

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leurs fins de mois, la plupart très peu exigeants sur les tarifs et les conditions de travail et proposant une expertise loin d’être professionnelle ? Des dizaines.

Résultat : aujourd’hui, nombre de vrais correcteurs d’édition peinent à trouver du travail et à vivre de leur métier. L’on a même vu, en août 2019, une entre- prise proposer de rémunérer son correcteur un euro les 20 pages s’il a le statut de microentrepreneur ou bien en… bons d’achat (« de la boutique de son choix

», bien sûr…), s’il n’a pas le statut. La conséquence, c’est une faible attractivité de ces métiers, vers les- quels les jeunes se tournent de moins en moins, peu enclins à embrasser la précarité. Les organismes de formation peinent d’ailleurs à remplir leurs sessions et, à terme, le risque majeur, c’est la perte des savoir- faire, et, donc, la disparition du métier.

Le microentrepreneuriat est aussi un outil pour déréglementer le droit du travail dans la branche de l’édition et tenter de tirer vers le bas les exigences de justice sociale des organisations syndicales. On l’a vu lors des négociations autour de la refonte de l’annexe IV de la convention collective nationale de l’édition, en 2017 et 2018. À plusieurs reprises, le SNE a tenté de justifier ses refus de sécuriser réelle- ment le statut de TAD en arguant qu’un statut trop sécurisé pousserait les employeurs à recourir à des microentrepreneurs. Autrement dit, déprécariser les TAD reviendrait à les pousser dans les bras d’un statut encore pire ! Le même argument peut être avancé lorsqu’il s’agit de discuter d’une revalorisa- tion de la grille des salaires minima. On le retrouve devra retirer ce qu’il versera à titre des cotisations

sociales (intégralement à sa charge) et ce qu’il provi- sionnera pour s’offrir des congés payés, une retraite à taux plein, une mutuelle. À la fin, le microentrepre- neur n’aura la jouissance directe, au mieux, que de la moitié de ce qu’il aura facturé et, en plus, aura perdu tout droit d’aller-retour avec Pôle emploi.

Au-delà des conditions de rémunération et de travail, la microentreprise peut aussi s’avérer être un danger pour le métier en lui-même. Ce statut permet, en effet, à n’importe qui de s’improviser professionnel de tel ou tel savoir-faire et de vendre ses services. À une époque où la réduction du pré- tendu coût du travail semble être la feuille de route de la plupart des entreprises, ces faux profession- nels peuvent s’imposer dans certains secteurs, en tirant vers le bas les salaires de ceux qui sont encore salariés (mais aussi les « tarifs » des microentrepre- neurs contraints) et, potentiellement, les exigences des employeurs – qui, bien sûr, restent les premiers responsables de la dégradation galopante des condi- tions de travail, puisque ce sont eux qui les fixent.

En ce qui concerne la correction en édition, l’arrivée de l’autoentreprise dans la branche s’est aussi tra- duite par un regain de ces correcteurs occasionnels issus d’un marché du travail très tendu et bien plus large que celui de l’édition et de la presse. Combien d’appels ou de messages recevons-nous, chaque mois à la permanence du syndicat, d’anciens profes- seurs de lettres à la retraite, d’employés « amoureux de la langue » et autres étudiants désireux d’arrondir

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ii

perspectives revendicatives en défense de la correction et des correcteurs

Le métier de correcteur est socialement sinistré. La précarité s’est installée partout là où il intervient et, si elle côtoie parfois des conditions plus décentes et plus stables, elle tend à devenir la norme. Cette situation va de pair avec la déconsidération de la correction aux yeux de nombreux dirigeants d’entreprises d’édition et, plus encore, de presse. La foi aveugle en l’infor- matique et ses logiciels aux mille promesses – jamais tenues, s’agissant des correcteurs automatiques – ont servi à habiller des politiques de réduction des coûts et des masses salariales supportées en partie par les cor- recteurs. Le plan social de 2018 au quotidien L’Équipe est, en cela, assez révélateur : les deux catégories les plus touchées par les réductions d’effectifs étaient les correcteurs et les photograveurs, les uns traitant l’écrit, les autres l’image. Lors des discussions avec la direction du journal, celle-ci a invoqué ProLexis pour justifier la diminution du nombre de correcteurs et Binuscan pour justifier celle du nombre de photo- graveurs. Ces deux logiciels avaient pourtant depuis longtemps largement montré leurs limites1… et la direction du quotidien sportif en était bien consciente.

1. Au sujet de l’utilisation de ProLexis, lire l’article passionnant de Christophe Versailles, correcteur au Journal officiel, publié dans le n° 235 de Cantonade, « ProLexis, un outil de correcteur ».

aussi dans le « dialogue social » de certaines entre- prises, où l’on menace implicitement les TAD trop revendicatifs de recourir à la microentreprise. Ou comment le microentrepreneuriat justifie toutes les régressions sociales et enterre les acquis.

Si le microentrepreneuriat s’est confortablement installé dans l’édition, au mépris de la convention col- lective et de l’exercice du métier de correcteur, on le retrouve aussi dans la presse, mais dans une moindre mesure. Aussi est-il encore inexistant, et il faut veiller à ce qu’il le reste, dans les ateliers de correction de la presse quotidienne nationale. En revanche, on commence à le voir s’installer en presse magazine.

En cela, le passage sous la convention collective des journalistes peut aider ; les correcteurs devenus, sur le bulletin de salaire du moins, des journalistes, ils sont couverts par la loi Cressard du 4 juillet 1974, qui dispose notamment que « toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyen- nant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualifi- cation donnée à la convention par les parties ».

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Pourtant, le métier de correcteur ne devrait pas avoir vocation à disparaître, tant l’écrit n’a jamais été aussi présent dans nos sociétés. Les supports de lecture se multiplient : journaux, magazines, mooks, livres, ordinateurs, téléphones, tablettes, liseuses. Et aucun de ces supports n’a plus de légitimité qu’un autre à proposer des textes où les fautes se promènent, où l’unité typographique vacille, où les informations ne sont pas vérifiées. Penser que la correction est un métier du papier ne repose sur rien de rationnel…

Les correcteurs doivent défendre leur métier s’ils veulent continuer d’en vivre et s’ils sont convaincus de son importance dans la diffusion d’une informa- tion et d’une culture de qualité. Et la défense du métier doit aujourd’hui passer par la nécessité de le faire valoir auprès des directions des entreprises mais aussi des collègues exerçant d’autres métiers de la chaîne du livre, de rappeler ce qu’il apporte concrè- tement aux productions éditoriales, que ce soit dans la presse ou l’édition.

la polyvalence :

crépuscule ou avenir des correcteurs ?

Le monde du travail est aujourd’hui soumis à une injonction libérale de plus en plus pressante, celle de la polyvalence. Le travailleur doit être flexible, avoir plu- sieurs cordes à son arc, même si aucune ne peut tirer une flèche correctement. Les employeurs raisonnent de moins en moins en termes de métier et de plus en plus en termes de fonction et de compétences ; ils ne La baisse des effectifs des correcteurs dans la

presse et dans l’édition dégrade inévitablement la qualité des productions, mais aussi les conditions de travail de celles et ceux qui exercent encore ce métier. Dans l’édition, par exemple, l’on voit ainsi peu à peu disparaître l’étape essentielle de la prépara- tion de copie, effectuée par les lecteurs-correcteurs, qu’on appelle aussi « préparateurs ». Les correcteurs reçoivent de plus en plus des textes montés sans avoir été préparés et se retrouvent à devoir effectuer un travail qui n’en est que plus long et difficile pour un résultat qui ne peut être que moins satisfaisant.

La suppression de la préparation de copie répond à une exigence comptable : une étape en moins, c’est un travailleur en moins à rémunérer, et quand ce travailleur est un lecteur-correcteur, donc à statut cadre, le gain financier est encore plus alléchant.

Parce que le correcteur qui travaille sur un texte non préparé n’est pas rémunéré au taux horaire du pré- parateur de copie, quand bien même il se retrouve à la faire aussi. On en est arrivé à un point tel que l’on parle désormais de « lectures préparantes » ou de « préparations de copie déguisées » pour désigner ces textes qui arrivent en correction sans passer par l’étape de la préparation de copie. En presse, l’on assiste plutôt à l’inverse, même si la logique reste la même : la relecture sur morasse* est de plus en plus réduite, voire disparaît, conséquence d’une chasse aux « coûts » qui se traduit souvent par une dévalori- sation du support imprimé, organisée et imposée par certaines directions de journaux.

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de l’autre, inéluctablement. Le secrétaire de rédac- tion qui n’est pas correcteur de formation corrigera moins bien, et le correcteur devenu secrétaire de rédaction sans y avoir été formé peinera à faire du secrétariat de rédaction de bonne tenue. Finalement, ces deux métiers, pourtant centraux dans le pro- cessus de fabrication d’un journal, pâtissent de cette logique comptable qu’est la polyvalence.

Si la polyvalence peut être l’avenir d’un correc- teur dans une entreprise, par exemple dans le cadre d’une mobilité interne exigée par un plan social, elle est assurément, à terme, le crépuscule de la correc- tion, et nous devons nous battre pour endiguer ces phénomènes, au risque de voir le métier disparaître de la presse dans quelques années.

enrichir les savoir-faire de la correction Refuser la polyvalence ne signifie pas refuser d’en- richir notre savoir-faire. Au contraire, plus l’expertise du correcteur sera importante, plus il apparaîtra indis- pensable, y compris aux yeux de ceux qui pensent pouvoir se contenter d’un logiciel pour corriger l’or- thographe. Les correcteurs ont de multiples compé- tences à acquérir, dont ils ne disposent pas forcément après les cursus de formation classiques au métier.

L’écriture inclusive est un exemple assez parlant de compétence rare et pourtant amenée à être très prisées des rédactions et des maisons d’édition. Les débats qui ont agité les mondes de l’écrit ces der- nières années autour de cette question – jusqu’à sortir paient plus un savoir-faire, mais des postes auxquels

ils rattachent des compétences, et souvent le plus pos- sible pour limiter ou réduire le nombre de salariés.

Même les personnels de la haute direction, autrefois souvent issus du sérail, sont recrutés non pas pour leur connaissance du milieu industriel et professionnel dans lequel ils vont être amenés à travailler, mais pour leurs capacités de gestion, de management et leurs profils psychologiques. Et c’est ainsi qu’on se retrouve avec un ancien directeur des ressources humaines de l’au- tomobile propulsé président de la commission sociale du Syndicat national de l’édition, après avoir fait un passage éclair dans l’industrie de la parfumerie…

Présidence qu’il quittera après seulement quelques mois, pour s’en aller voguer vers d’autres horizons.

En ce qui concerne la correction, c’est surtout dans la presse que l’injonction à la polyvalence est la plus forte. Considéré comme désuet, hérité d’un autre âge, le correcteur voit son savoir-faire confié au secrétaire de rédaction*, pour le support imprimé, ou à l’éditeur, pour le Web. Soit il devient lui-même secrétaire de rédaction ou éditeur, soit le secrétaire de rédaction ou l’éditeur absorbe sa charge de tra- vail. Dans les deux cas, le métier s’efface derrière le salarié multitâche. Beaucoup d’entreprises, surtout en presse magazine et en presse quotidienne régio- nale, ne voient désormais plus l’utilité de profes- sionnels exclusivement dédiés à la correction des journaux. La première victime de cette polyvalence, c’est la qualité éditoriale, du fait que cette fusion des fonctions impose que l’une s’exerce au détriment

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professionnelles, sur lesquelles les correcteurs peuvent déjà être sollicités, comme la translittération des lan- gues étrangères.

L’une des meilleures façons de défendre notre métier et de maintenir les effectifs des cassetins, voire de les développer, c’est aussi d’aller chercher de la charge de travail, ne pas se contenter de ce qu’on nous donne à corriger et œuvrer syndicalement à déployer l’intervention de la correction sur toutes les productions écrites de l’entreprise, quel que soit leur support, mais aussi leur objet. À une époque où le nom d’un journal est devenu une marque plus que le titre d’une publication, pourquoi ne pas aller cher- cher la correction des communications externes de l’entreprise, qui couvrent tous les événements, expo- sitions, salons qu’elle organise ? Pourquoi ne pas aller chercher aussi les communications internes, qui sont pléthoriques : procès-verbaux des réunions du comité social et économique et de ses commis- sions, adresses de la direction, etc. ? Imposer partout l’exigence d’une communication de qualité, lisible, sans fautes ni erreurs, ne peut que renforcer notre implantation et la pertinence de notre intervention.

Et, en la matière, bien avant les procès-verbaux des institutions représentatives du personnel, il y a un support majeur à investir : le Web.

en presse, gagner le web

Depuis des années, les grands éditeurs de presse prophétisent la fin du papier et le proche avènement l’Académie française de son hibernation – ont montré

tous les enjeux qu’il y avait derrière, bien au-delà de la seule question de la langue. Certaines maisons d’édi- tion et certains titres de presse ont, à la suite de ces débats et réflexions, annoncé qu’ils appliqueraient une écriture plus inclusive à leurs publications (certains optant pour l’utilisation du point médian, d’autres se contentant de féminiser certains mots). Ainsi, par exemple, le média en ligne Slate.fr a-t-il décidé, en novembre 2017, qu’il appliquerait désormais l’accord de proximité, qu’il présente comme « une règle plus juste issue du latin et appliquée en leurs temps par Corneille et Ronsard1 ». De même, les correcteurs du Monde et ceux du Parisien ont travaillé, suite à ces débats, avec les journalistes et les rédacteurs en chef à la féminisation des noms de métiers et de fonctions, établissant des listes pour fixer les nouveaux usages.

Quoi qu’ils puissent en penser sur le fond, les cor- recteurs ont tout intérêt à se former aux règles de l’écriture inclusive et aux questions qu’elle soulève, pour les maîtriser de façon professionnelle. Pourquoi ? Parce que ce sont des règles parfois compliquées, qui viennent surtout bouleverser des habitudes bien ancrées, et qu’il est très difficile, aujourd’hui, pour qui ne les maîtrise pas, de les respecter de manière homogène dans un texte. Un correcteur susceptible d’apporter ce savoir-faire dans une rédaction serait précieux. Il en va de même pour d’autres compétences

1. « Écriture inclusive : Slate.fr choisit l’accord de proximité », article publié le 7 novembre 2017 sur Slate.fr.

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grands quotidiens, à réfléchir à comment investir ce vaste monde qu’est Internet. Le Web, sur lequel l’on se promène désormais par le biais de sup- ports multiples, a bouleversé certaines habitudes de consommation de l’information – sans pour autant faire table rase des anciennes. Mais les choix opérés jusque-là par la plupart des éditeurs de presse quo- tidienne nationale et régionale sont inconsistants et empêchent un déploiement réussi de leurs titres dans un espace déjà saturé par les offres d’information.

Les politiques sociales affichées à l’égard des ser- vices de la fabrication des titres papier – imagerie, correction, secrétariat de rédaction – sont assez révé- latrices de ces errements et de ces erreurs. Car les éditeurs de presse ont avant tout vu dans le numé- rique un moyen de s’affranchir des « coûts » de ces ser- vices qui, pourtant, se trouvent au cœur de la qualité des productions. Comme si le lectorat du Net était plus permissif, moins exigeant que celui du papier.

Comme si le lecteur qui s’offusque d’une faute d’ac- cord dans un article du quotidien qu’il achète en kiosque ne trouverait rien à redire à un nom propre écorché dans le titre d’un article du site Web.

Grâce aux réseaux sociaux, et à Twitter en particu- lier, ce préjugé a été battu en brèche. Et, aujourd’hui, il n’est pas rare que les sites Web des journaux soient la risée du Net à la suite de fautes d’orthographe relevées dans les articles publiés. De fautes d’ortho- graphe, mais aussi, et surtout, d’informations erro- nées. Car le correcteur n’est pas seulement celui qui veille sur la typographie, l’orthographe, la grammaire, du tout-numérique. À les entendre, l’information

ne s’écrira bientôt plus que sur Internet et le papier n’intéresserait déjà plus grand monde. La chute libre de la vente au numéro, l’érosion des abonnements, l’arrêt de grands titres emblématiques (France-Soir, La Tribune) seraient autant de signes que la presse papier est condamnée. Depuis, ce discours catastro- phiste a montré ses limites ; non seulement le papier est toujours là, mais de nouveaux titres naissent en faisant l’option d’une diffusion en kiosques. Pis, il semblerait que les annonceurs – colonne vertébrale de l’économie de la presse… – rechignent toujours à investir vraiment dans les supports numériques.

Finalement, un constat s’impose : c’est toujours le papier qui fait entrer l’argent et qui, allant, finance le développement des supports numériques. Dès lors, l’on est en droit de se demander si les prophé- ties numériques n’ont pas surtout servi à justifier les réductions d’effectifs, tentant d’asseoir leur légiti- mité sur la transition 2.0. Les dirigeants de la presse quotidienne nationale, à l’exception notable de ceux du Monde, semblent avoir vu dans l’essor du numé- rique une opportunité de se débarrasser des (ex-) ouvriers du Livre et de la forte culture syndicale et professionnelle qui les soudait. Dans les rédactions, cela s’est traduit par une marginalisation et une dévi- talisation de certains services du prépresse, en par- ticulier ceux des correcteurs et des photograveurs (imagerie), au mépris des exigences de qualité.

Bien sûr, l’on ne saurait sérieusement remettre en cause la nécessité qu’il y a, notamment pour les

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