FACULTE DE
MEDECINE
ET DEPHARMACIE
DEBORDEAUX
ANNÉE 1897-1898 ©3
ESSAI HISTORIQUE ET CRITIQUE
SUR
L'ERGOTI
Et l'action de l'Ergot de Sei
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenue publiquement le 19 Janvier 1898
Jules-Hippolyte-Ernest SAVIGNAC
Né à Cheylades (Cantal), le 5 Septembre 1871
ÉLÈVE DU SERVICE DE SANTÉ DE LA MARINE
/ MM. de NABIAS professeur.... Président.
„ . ,
, ,
\
PITRES professeur....\Examinateursde laThèse:{i o,T,r>,,7,v,SABRAZËS agrege, , I Juges
\ RÉGIS chargé decours)
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE DU MIDI — PAUL GASSIG-NOL
91 — RUE PORTE-DIJEAUX — 91 1898
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux
M. DE NABIAS, doyen — M. PITRES, doyen honoraire.
9B B6©FESSECRS MM. M1GE...
AZAM..
DUPE Y.
MM.
ri. . . . \ PICOT.
Clinique interne
^ PITRES
nl. . , \ DEMONS.
Clinique externe
j
LANEi.ONGUE, Pathologie interne... N.Pathologie et théra¬
peutique générales. VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecine opératoire. MASSE.
Clinique d'accouche¬
ments MOUSSOUS.
Anatomie pathologi¬
que COYNE.
Anatomie BOUCHARD.
Anatomie générale et
histologie VI AUET.
A ga&ai Ci10s «o fil skction de médecine(Patholog
MM. MESNARD.
CASSAET.
AUCHn,.
Professeurs honoraires.
MM.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
Médecinelégale MQRACHE".
Phvsique BERGON1É.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle ... GUILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale.... de NABIAS.
Médecine expérimen¬
tale FERRÉ.
Clinique ophtalmolo¬
gique BADAL.
Clinique des maladies chirurgicalesdis en¬
fants P1ÉCHAUD.
Clinique gynécologique BOURSIER.
l^\Elt€I€El :
ie interneet Médecinelégale.) MM. SABRAZÈS.
Le DANTEC.
section de chirurgie et accouchements
Accouchements...\MM. RIVIERE.
) CHAMBRELENT
[MM. VILLAR.
Pathologie
externe]
B1NAUD.f BRAQUEIIAYE |
section des sciences anatomiques et ph ysi01.0g1quks
JMM. PRINCETEAU | Physiologie MM. PACHON
•••I CANNIEU. Histoire naturelle BEILLE.
Anatomie.
section des sciencesphysiques
Physique MM. S1GALAS. | Pharmacie M. BARTHE.
Chimieet Toxicologie
DENIGÈS.
|1! ©SU BlS €© Il 1* li 10 © 10 A T A 9 2* 10!S :
Clinique interne des enfants MM. MOUSSOUS.
Clinique des maladies cutanées etsyphilitiques.
Clinique des maladies des voies urinaires Maladies du larynx, des oreilles etdu nez Maladies mentales
Pathologie externe Accouchements Chimie
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS.
DENUCÉ.
RIVIÈRE.
DENIGES Le Secrétairede la Faculté: LEMAIRE.
Pardélibération du5 août 1879, la Facultéaarrêté que les opinions émises dans les Thesesquiluisontprésentées doivent être considérées commepropresàleursauteurs, et qu'elle n'entend leur donner ni-approbation niimprobation.
A mon Président de Thèse
MONSIEUR LE DOCTEUR DE NADIA S
DOCTEUR ÈS SCIENCES
PROFESSEUR DE MATIÈRES MÉDICALES A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX
OFFICIER DE l/lNSTRUOTION PUBLIQUE
INTRODUCTION
EnchoisissantPergolisme et l'ergot de seigle commesujet de notre thèse"nous n'avonspasla prétention
d'apporter
de documents nouveaux àl'histoire del'ergotisme,
ni de tou¬cher d'une
façon
décisive tel pointcontesté de l'action phy¬siologique
de l'ergot.On a
beaucoup
écrit, surtout àl'étranger,
sur ce vaste su¬jet; certains, comme Thulier, Ettner et, dans ces derniers temps, le danois Ehlers, sesont occupés du côté historique
de la question. D'autres ont étudié l'ergot au point de vue
chimique
etpharmacologique,
citons en première ligne Draggendorf,Tanret ; desphysiologistes
enfin ont à main¬tes reprises fait de nombreusesexpérienceset bâti maintes théories sur l'action si contestée de l'ergot et de sesprépara¬
tions.
Faireune revue succincte deces différents travaux, analy¬
ser les plus intéressants au triple point de vue :
historique, pharmacologique, physiologique,
tenter en unmotune mise aupoint de cette vastequestion, tel est le but de ce travail, d'où sa division en deuxparties.Dans la première partie
(historique),
nous étudions non l'ergotde seigle maisl'ergotisme,
non le médicament mais lefléau. Dans quelques pages nous tentons de donner une idée de ceque fut dansles temps anciens(Fignis sacer),
au moyen âge le feu de Saint-Antoine, et enfin de ce qu'est l'er¬gotisme de nosjours.
Dans la deuxième partie de notre thèse,nous faisons dans
_ 8 —
un premierchapitre l'étucle botanique, chimique, pharmaco- logique de l'ergot.
Le deuxième chapitre est
l'exposé
des travaux qui ont étéfaitssur l'ergotau point devue physiologique.
Dans un troisième chapitre, nous
étudions
l'action de l'er¬got sur les différentes fonctions, plus particulièrement sur la circulation, et nous exposons les expériences faites à ce
sujetau Laboratoire
desCliniques. Ces travaux
sontd'ail¬
leursen cours; sans en tirer des conclusions qui seraient prématurées, nous donnons les résultats qui nous ont paru les plus certains.
Nous saisissons l'occasion de cemodeste travail, pour re¬
mercier M. le professeuragrégé Sabrazès. Il a mis à notre disposition, avec cette
amabilité
que lui connaissent tousceuxqui fréquentent le Laboratoire des Cliniques,les trésors
* desa bibliothèqueet ceux non moins remarquables de son érudition.
Nous adressons à M. le professeur de Nabias l'expression
de notre vive gratitude pour les renseignements précieux qu'il nous a fournis et pour legrand honneur qu'il nous fait
en acceptant la présidencede notre thèse.
PREMIÈRE
PARTIECHAPITRE PREMIER
L'Ergotisme
dansl'antiquité.
L'ergotis.meest sans doute aussi vieux que le monde. Du moment où l'homme a fait du seigle son
principal
aliment, ila dû subir les atteintes de l'ergot.
Mais il enestde cette maladie commedebien d'autres. Quand
on remontedans le cours des siècles pour en faire
l'histoire,
peu à peu les
descriptions
typiques s'effacent, et dansles ré¬cits des auteurs anciens, dans les
descriptions
qu'ils don¬nentde certaines épidémies, il est bien difficile de faire la part de telle affection etd'affirmer que telle appellation cor¬
respond bien à telle entité morbide connue de nos
jours.
C'est ainsi que nous voyons dans la Bible des mots que l'on traduit par « brûlure et nielle » et dont il est impossible de déterminer le sens exact.
On a voulu reconnaître l'ergotisme dans les
descriptions
quenousa laissées llippocratede certaines
épidémies,
etpar¬ticulièrementdans la
description
de celle survenue en l'an 436-39?L'ignis sacerdes Anciens
(dontparlent
notammentVirgile,Columelle, Pline)
ne correspondrait pas à une entité mor¬bide distincte. Cette
appellation,
d'après Fuscli engloberaituncerthin nombre d'affections de nature incertaine ayant
- 10 -
ce caractèrecommun : de
s'accompagner
de douleurs brû¬lantes ou peut-être de sepropager à la manière du feu.
C'est ainsi quedans Virgile et Columelle les mots « ignis
sacer»
désigneraient
le charbon ; et que Pline aurait appelé ainsi le zona.Le « feu persique » desauteurs arabesne correspond pas
davantage à une affection bien définie, et les
descriptions
qu'ilsen donnent font songer tantôt à la rougeole, tantôt à la variole, tantôt au charbon.Auxxe et xie siècle, les
chroniqueurs emploient
le mot« ignis sacer» pour parler d'une épidémie qui apparaissait fréquemmenten Europe pendantcette période.
L'honneurd'y avoir vu
l'ergotisme
revient en première ligne à Thuilier, à Terrier et àquelques
autres médecinsfrançais.
Dès la fin duxn°siècle,
l'expression
« ignissacer » est rem¬placée par feu de saint Antoine, feu saint Martial.
CHAPITRE II
JL'ergotisme au moyen âge.
Au moyen âge, l'histoire del'ergostimeseprécise, les
chro¬
niqueurs du temps abondent en détails curieux, en descrip¬
tions saisissantes au sujet des terribles ravages que faisait
à cette époque enEuropele mal saint Antoine.
Lesconditions dans lesquelles se produisaient ces
épidé¬
mies, la marche de la maladie, l'aspect des malades, tout y
est narré avec cette forme pittoresque et naïve qui fait le
charme de la littérature de cetteépoque.
Nousneferons pas, à la suite du danois Ehlers,
l'énuméra-
tion un peu fastidieuse mais si documentée des
innombra¬
bles cas de mal de saint Antoine que
mentionnent les chro¬
niqueurs du temps; nous nous
contenterons de citer les
principales épidémies, lesplus
types,celles qui
sont pour ainsi dire le plus nettementmarquées
aucoin de l'ergo-
tisme.
Nous nous efforcerons de dégagerde ces
nombreuses des¬
criptions, les traits communs,
les grands symptômes qui
donnent à ces épidémies un
air de famille et qui font
son¬ger parmi tant de causes
diverses (misère, famine, etc.) à
un même facteur principal,qui est incontestablement l'ergo-
tisme.
La première épidémie que
l'on
supposeavoir été l'ergo-
tisme est mentionnée pourPan
897 dans les annales du
cou¬vent de Xanten,
près
duRhin.
Uneautre
épidémie célèbre
aéclaté à Paris
en945. La chro-1
— 12 -
nique raconteà ce propos que le « l'eu » attaquait
divers
membres desmalades et les brûlait
jusqu'à
ce quela
mort les ait délivrés de leurs souffrances; les malades se réfu¬giaient dans les édifices sacrés, dans l'espoir de voir cesser leursmaux.
La plupart envahitune église de Paris dédiée à Marie « la Sainte Mère de Dieu », carie duc Huguesy fit donner chaque jour à manger à tousceux qui étaient indigents.
Quelques malades qui secrurent trop vite guéris voulu¬
rent retourner chez eux, mais le feu reparutaussitôtsur eux et ils durent retourner à l'église, où ils furent de nouveau délivrés de leurs douleurs.
En 991-, le feu sacré ravagea avec une violence inouïe l'Aquitaine, le Limousin et les provinces voisines, il mourut plus de 40.000personnes des deux sexes. .
Un feuinvisible dévorait les corps et séparait du tronc les membres attaqués.
Les crisdes patients faisaient peine à entendre, de même que la chute des membres consumés était horrible à voir;
la puanteur de la chair corrompue était insupportable;
beaucoup
de personnes étaient consumées par le feu en une seule nuit.Gomme aux époques précédentes, le peuple affluait dans leséglises, se plaçant sous la protection des bons saints.
A Bordeaux, on promena en procession solennelle les reliques de saintMartial, et l'épidémie disparutcomme par enchantement.
Ehles pense que la procession eut lieu commepar hasard
au printemps, c'est-à-dire à
l'époque
où le poison du pain ergoté a perdu son intensité.La Lorraine a été,avec le Dauphiné, une des provinces de France les plus éprouvées par le feu de saintAntoine, à la suite de mauvaises récoltes qui amenèrent une telle misère dans ce pays que Richer, dans son « Histoire de Lorraine », cite des cas
d'anthropophagie;
une grande épidémie se déclare en996.Aldaberon II, évêque
de Metz, transforme sa maison en hôpital, qui recevait tous les jours entre 80 et 100 malades.
De nouvelles
épidémies éclatent
enLorraine se produisant
toujours
dans les mêmes conditions, et présentant à peu
près
le même aspect
: «Des nombreuses personnes atteintes
par
la peste, rapporte Rodolphus, les unes furent tordues
dans d'atroces
supplices, causés
pardes contractions ner¬
veuses, tandis que
d'autres périssaient dans une mort misé¬
rable, les
membres noircis
commedu charbon et rongés par
le feu sacré. »
C'est de 1090, au
commencement du xn° siècle, qu'on
observe en Franceles ravages
les plus terribles de ce fléau.
Cettesérie
d'épidémies coïncide
avecles croisades, époque
où les chrétiens quittaient
tout, patrie et foyer, pour se dis¬
tinguer dans
la lutte contre les infidèles.
Les guerres
civiles continuelles et les invasions des Nor¬
mands transformaientle nord et
le centre de la France en
théâtre de misères de toutes sortes;
peut-être même le feu
sacrén'était-il
parmi
cesfléaux
quele moins dangereux.
La
population diminuait sensiblement en France; les habi¬
tantsabandonnaient les campagnes
et négligeaient de culti¬
verle sol. Ily
eut de très mauvaises récoltes.
Toute la France, mais
surtout le Dauphiné, souffrit de
cette
épidémie de feu sacré.
Le pape
Urbain II fonde à cette époque l'ordre de saint
Antoine. Cet ordre, qui
devait secourir les malheureux
atteints de cette maladie,
avait Vienne en Dauphiné comme
quartier
général. Pendant l'année 1094, il y eut une famine
épouvantable dans tous les pays. L'Allemagne, la France, la
Bourgogne,
l'Italie, l'Angleterre, le Danemark furent dévas¬
tés par une
disette horrible, provoquée par une mauvaise
récolte, par
des pluies torrentielles et continues, des mala¬
dies surles hommeset
les animaux domestiques, enfin par
des catastrophes
telles qu'elles ont même laissé une trace
ineffaçable dans la chronologie des rois de Danemark, où
l'épithète
«Famine
»est accolée au roi Oluf (Oluf Hunger), à
cause de la grande
famine de Danemark (1063-93).
- 14 —
Le caractère desmaladiesquiaccompagnaientcette famine n'est pas
spécifié.
Lesdescriptions
plus ou moins vaguesqu'en ont laisséles
chroniqueurs
ne permettent pas de se faire uneopinion.Cependant Ilmoni est d'avis que la peste, en 1086, a été occasionnée en grande partie parl'ergotisme.
Vers 1140-41, Ja maladie semble avoir
régné
en Espagne. On y a, en toutcas, fondé à cette époque deshôpitaux
pour lesmalades qui souffraient du feu sacréou persique.
L'épidémie s'estmontrée encore une fois au xne siècle en
Angleterre, pendant l'été humide et froid de 1196.
Au xmesiècle, le mal de saint Antoine exerce encore ses ravages dans divers points de
l'Europe,
les épidémies sontsans doute moins terribles; danstous les caselles ont laissé moins de traces dans les
chroniques
du temps.Toutes cesépidémies nous-présentent bien des caractères communs; et d'abord, aupoint de vue
étiologique,
leurscon¬ditions de production.
Aumoyen âge, le mal de saint Antoineaccompagne pres¬
que toujours la famine.
En effet, les conditions qui font les récoltes insuffisantes :
annéespluvieuses, hivers froids, étés
humides,
manque de culture, font aussi les récoltes mauvaises, c'est-à-dire plusriches en ergot.
La maladie sévit surtout dans le peuple, surdes sujets qui sont, dirait-on, de nosjours, en état de plus grande récepti¬
vité et de moindre résistance : malheureux décimés par les invasions, la famine, les maladiesde toutes sortes ; n'ayant d'ailleurs pour soutenir leur misérable existence que ce même pain empoisonné, cause de leur mal.
Quant auxsymptômes mêmes de la maladie, nous retrou¬
vons dans les
descriptions
les deux ordres de phénomènes considérés de nosjours commecaractéristiques
del'empoi¬
sonnementpar l'ergot.
Ce sont les phénomènes de gangrène qui ont surtout
frappé l'imagination
deschroniqueurs;
il s'agit danstous- 15 —
leurs récits d'un feu qui dévore les extrémités,
détache
les doigts desmembres, les membres du tronc.
Les
phénomènes convulsifs, moins bien mis
enrelief, sont
cependantrelatés. C'est ainsi qu'à
proposde l'épidémie qui
sévit en Lorraine, en 996, Rodolphus rapporte : « Des nom¬
breuses personnes
atteintes
parla
peste,les
unesfurent
tordues dans d'atroces supplices
causés
par des contrac¬tions nerveuses.»
On admet aujourd'hui que ces deux ordres de
phénomènes
convulsifs etgangreneux ne
correspondent
pasà deux for¬
mes différentes d'ergotisme, comme on l'a supposé
long¬
tempsen
Allemagne, où les convulsions étaient la règle, la gangrène l'exception.
Ce sont deux
symptômes correspondant à deux phases
distinctes d'une même affection. Au début, convulsions,plus
tard gangrène, et si
l'intoxication
estlégère,
on pourran'ob¬
server que des
phénomènes convulsifs.
Le traitement de ce mal terrible, dont on ignorait lacause, est naturellement toutce
qu'il
y ade plus empirique et de
plus merveilleux.Les livres de médecine
populaire,qui datent de la première
période de l'arttypographique, citent toutes sortes de remè¬
descontre la maladiequi nous occupe.
Ainsi Ettner nous apprend que «
de tous les côtés
onprétendait
éteindre le feusacré
avecle lait de chèvre.
»Dans un manuscrit de la
bibliothèque
deCopenhague,
datant du xive siècle, on trouve la recette
suivante
: «C'est le
feu mauvois du mauvois sang. Preinds de
l'hermodacte, des
os depoule et dusel
natif, meis le tout ensemble dedans
une poelle et t'aies en une poudre :ensuite laves l'endroict où
setrouvela fistule avecque
du vinaigre fort, preinds la pouldre
etsaupouldresla fistule. »
Un autre livre
populaire médical du
xiii"siècle du danois
Henrick, préconise tout
à tour
:Le plantin, « sa vapeurest
aussi bonne
pourle feu dans
les oreilleset pour le
mauvois feu.
»— 16 —
L'absinthe, « si l'on cuit ses
feuilles
avecde l'huile, alors
cela
profite
contrele mauvois feu et cela profite contre
cequi
est brûlé. »
Lecyprès, «
cyprès mélangé
avecla farine d'orge et du
vinaigre, est bon pour lemauvois feu.
»Un autre auteur danois, Christiern Ledersen, conseille l'oseille. « Si
quelqu'un
attrapedu mauvois feu,
quebeau¬
coup de monde
appelle feu de saint Antoine, qu'il
prenne alors de l'oseille, qu'il la pile en petits morceauxet qu'il
y attache le suc, car cela éteint la chaleur et guérit. »Lemême auteur conseille encorel'écorce de prunellier, le coriandre, la joubarbe, la racine de lis blanc, l'herbe dite
« la morsure du diable ». Ces plantes, convenablement pilées etdisposées en emplâtre sur
la
partiemalade,
étei¬gnent lefeu etguérissent.
D'ailleurs le moyenâgeeutpeu de confiance dans les re¬
mèdes de sesempiriques; avec sa foi intense, il vit dans l'er- gotisme le fléau de Dieu : ignissacer, feu saint Antoine.
Il est tout naturel quele peuple croyant de cette époque dédaigne les soins inefficaces des hommes de l'artet attende de la divinité la guérison d'un mal qui lui vient d'elle.
Partout le peuple, aux époques d'épidémies, envahit les édifices sacrés. On fait des processions solennelles. Telles reliques (celles de saint Martial, de sainte
Catherine), tels
oratoires
(ceux
de sainte Geneviève, de la vierge Marie), jouissent alors d'une grande renommée.Nous avonsdéjà parlé del'ordre de saint Antoine, l'auteur danoisDaugaard nous fournit des détails trèsintéressants
sur sa fondation dans son histoire des couvents.
»L'ordre a été institué par Gaston, un gentilhomme du Dauphiné. Celui-ci avaitun fils malade que nul remède ne
pouvait guérir.
»Il s'est rendu au village
Saint-Didier-la-Mothe,
appelé plus tard Saint-Antoine, où on gardait les reliques de ce saind et a imploré la guérison de son fils. Il a accompagné saprière du
vœu quelui
et son fils se sacrifieraient avec tousleurs biensau service des pauvres malades attaqués du feu sacré, qu'on appelle aussi le feu de saintAntoine, ou le feu d'enfer. Ensuite il est tombé dans un sommeil pendant le¬
quel saintAntoine lui est apparu, en lui annonçant que Dieu avait exaucésa prière, qu'il n'avait qu'à tenir sa pro¬
messeet que lui, ainsique tous ceuxqui sevoueraientà son
service, se désigneraient par un T, ceque le saint lui-même lui a montré.
» L'année 1095 il a accompli, avec son fils, le vœu, en insti¬
tuant un ordre qui ne tarda pas à gagner une grande exten¬
sion, par le zèle qu'il
déployait
à soigner les malades, de sorte que le pape Urbain II leur a donné confirmation des statuts de l'ordre, la même année, à la célèbre assemblée deÇlermont.
»L'ordre ne tarde pas à prendre une grande extension en
Europe; les princes comblentses membres d'honneurs et de
privilèges.
En 1298, Boniface VIII leur donne le titre de chanoines
réguliers et faitabbé leur supérieur.
En 1502, l'empereur Maximilien leur a donné comme'ar-
moirie, celle du règne, à savoir : une aigle noire aux ailes déployées, coiffée de la couronne
impériale
et ayant sur sa poitrine le T bleu se détachant sur un bouclier doré.En Danemark, les frères de saint Antoine fondent au
moyen âge deux couvents richement dotés, à savoir : l'église
deMoli, en Sleswig et le couvent deSaint-Antoine, à Praesto.
En 1573, le roi Christian Ierdonne à l'ordre de Saint-Antoine
une autre église, Bole en Angel.
La reine Dorothée, son épouse, faitau nouveaucouvent un don gracieux de 300 florins. Leurs fils, le roi Jean et le duc Frédéric continuent aux frères de saint Antoine leur protec¬
tion etleurs faveurs. 11 est à croire qu'une
épidémie
d'ergo- tisme, d'une certaine violence, a dû être la causede l'intérêt toutspécial
qu'ont pris le roi Christian et ses fils pour leshôpitaux-couvents
des frères deSaint-Antoine, quoiqu'on ne— 18 —
sache rien de précis sur
l'apparition
au xv°siècle d'une telle
épidémie.En Suède, il existaitaussi à cette époque des couvents
du
même genre et, dans ces
couvents-hôpitaux, certains reli¬
gieux étaientspécialement
chargés de pratiquer les opéra¬
tions que
nécessitaient
desgangrènes ergotiques.
Ap
rès
avoir longuement parlé dumal
desaint Antoine, de
l'ordre de saintAntoine, il nous semble injuste de ne pas dire un mot du cochon du même saint.
L'historien Ilildebrand, dans une notetrès curieuse, toute à la réhabilitation de l'animal et, par suite, de son auguste patron,dit : «que cette bête accompagne
le
saintparcequ'elleest attaquée par une maladie ressemblant au feu de saint Antoine. »
Ilildebrand mentionneégalement qu'on a mis à Lubeck
une défense contre Ferrement dans lesrues de cochons bar¬
botant dans les ordures. Exception était faite pour 20 co¬
chons qui avaient toute liberté désirablepour le compte de saint Antoine.
Ces cochons portaient au cou un grelot et étaient
marqués
au flanc du Tde l'ordre.
Avant de clore ce résumérapide del'histoiredel'ergotisme
au moyen âge, nous ferons, au sujet del'expression « feu de saint Antoine », la même réserve que nous avons formulée
au début à proposde
l'ignis
sacer.Les auteurs du temps qui parlent du feu de saint Antoine n'ont pas toujours eu en vue l'ergotisme.
Ainsi le feu saint Antoine de Rabelais qui brûle surtout autour de l'anus : « Que le feu saint Antoine arde le boyau
culier del'orfébvre » est très probablement la syphilis.
CHAPITRE III
II/
•
L'ergotisme
dans lestemps
modernes.11 semblequ'il s'est écoulé
longtemps,
tout un siècle aprèsla découverte de
l'imprimerie,
avant que la science médicale ait commencé às'occuper
deFergotisme.
La première
description
incontestable deFergotisme
con¬cerneune épidémie qui sedéclara en
Lunebourg (Allemagne)
en 1581 et fut observéepar Roussens.
La deuxième épidémie qui a été
l'objet
d'unedescription scientifique
se déclara dans les montagnes des « Sadeten »(Allemagne 1587). Gaspard
Schwœkfeld qui l'a décritedéclare que « le blé avait étéattaqué
par de la rosée vénéneuse et âcre ».Les connaissances appuyées sur une base
scientifique
solide datent des observations d'un
Français,
Thuillierpère,
médecin du duc de
Sully.
Ce médecin fut témoin oculaire del'apparition
de la peste enSologne.
La Solognea été le
principal foyer
del'ergotisme
en France.Les conditions
physiques
de ce pays étaient d'ailleurs trèsfavorables,
surtout à cetteépoque,
audéveloppementde
l'er¬got de seigle et de
l'ergotisme.
C'était un paysdisgracié
de la nature à bien deségards, humide,
produisant demaigresrécoltes,
habité par des gens fiévreuxet misérables.Thuillieralaissé de
l'épidémie
qui sévitenSologne,
del670 à1674, unebonnedescription
: « La maladiecommençaitavec une sensationd'engourdissement
dans les jambes et del'œdème;
ensuite survenaient desfrissons,
delàdécoloration,
- 20 -
dela
gangrène
etla chute des membres attaqués, des mains,
des pieds,
des bras et jambes entiers, dans quelques cas du
nez. »
En 1673 l'Académie délègue un de ses
membres, Dodard,
pour
aller étudier
surplace la peste de Sologne.
Yoici les conclusions du rapportde
Dodard
:1° Que le seigle
dégénère de Ja manière qu'on
adit en
Sologne,dans le Berry, dans le Gàtinais, dans le pays de
Blois, presque
partout particulièrement
surles terres légères
etsablonneuses;
qu'il
yavait
peud'années où l'on n'obser¬
vât quelques
mauvais grains semblables;
quequand il y en
avait peu, on ne
s'apercevait d'aucun mauvais effet du grain
lequel était
très
commundans les années humides, surtout
lorsque des
chaleurs excessives succédaient à
unprintemps
pluvieux.
2° Que la constitution de l'air ou
des pluies, qui rendait
ainsi le seigle malfaisant, était assez rare
puisque
cesfaits
n'avaient été observés que trois fois
à Montargis, dans l'es¬
pace de
vingt-huit
ans.3° Que le pain de
seigle dans lequel il entre de
cegrain
ainsi vicie n'est ni pire ni
meilleur
augoût.
4° Que l'ergot
produit
cesaccidents lorsqu'il est
nouveau, etqu'il nelesproduit qu'après
unlong
usage.5° Que son effetest de tarir le lait chez les femmes,
de don¬
ner
quelquefois des fièvres malignes accompagnées d'assou¬
pissement et
de délire
;d'engendrer la gangrène,
auxbras et
surtout auxjambes, ordinairement attaquées les
premières;
que le
mal débute
par unengourdissement à la partie affec¬
tée, suivi d'un peu d'enflure sans
inflammation
; quela
peau devienten cet endroit froideet livide, et quela gangrène, quiycommence par
le centre,
nes'y manifeste
quelongtemps après,
de sorte qu'on estsouvent obligé de faire
une ouver¬ture à la peau pour reconnaître si
la
gangrèn'e existedessous.
6° Quel'orviétan et la tisane de lupine avaient fait assez de bien aux malades, et qu'on pouvait espérer prévenir ce
— 21 —
mal par
des esprits ardents et des alcalis volatils, mais
que le
seul remède qu'on eut trouvé à cette gangrène était
de couper la partie attaquée ; que
si
on nela coupait
pas,la
peau
devenait sèche et maigre,
commesi elle était collée
surles os, et très noire, sans
cependant tomber
enpourriture
; quetandis
queles jambes
sedésséchaient ainsi, la gangrène
montait aux épaules, et
qu'il n'y avait
engénéral
queles
pauvres gens qui
fussent sujets à
cessortes de
maux. » M. Dodart dit encore dans sa lettre, qu'il résulte desdiffé¬
rents rapports qu'on lui
avait faits,
quela maladie était dif¬
férente selon les tempset les lieux; que
l'Académie des scien¬
ces devait examiner séparément le
seigle ergoté des diffé¬
rents pays, pour le comparer avec
celui qu'on trouve dans
l'Ile de France.
Ces épidémies de Sologne,
la
«gangrène des Solognats
» furent en général comme les autresépidémies françaises
bien pires que
les épidémies allemandes,
sonsqu'on sache
au juste pour quelle
raison.
D'aprèsles
opinionsd'un pbarmacologuemoderne,Kobost,
l'ergot de seigle
contiendrait deux poisons
:l'acide sphacéli-
nique qui provoque
l'ergotisme gangréneux et la cornutine
qui est la cause de
l'ergotisme convulsif (Kriebel-Krankheit
des Allemands).
Si l'on veut accepter cette
doctrine, il faut alors
sefigurer
que l'ergot de seigle
français est plus riche
enacide spliacé-
linique, tondis que
le
«mutterkorn
»allemand contient
une plus grande
quantité de cornutine.
Cetteexplication
semble trop belle
pourêtre réelle.
Dans les épidémies
du Harz (1694), de Suisse(t709), de Nijni-
Nowgorod, de
Simbirsk (1863), les
cas,tant de forme gangre¬
neuse,quede forme
spasmodique,
sesont produits simulta¬
nément.
Toutes les
épidémies
russesdu xix13 siècle appartiennent à
la forme convulsive^ à
l'exception de l'épidémie de 1834,
parmi les Cosaques
du
Donoù la forme gangreneuse fut do¬
minante.
— 22 —
L'étude de
l'ergotisme, interrompue
en France par la mort de Dodart,est reprise en 1710 parl'Académieroyaledesscien¬ces.
Le chirurgien Noël soumet à la docte assemblée de nom¬
breuses observationsde gangrènes ergotiques observées par lui à rHôtel-Dieu d'Orléans.
La gangrène débute le plus souventpar les membres infé¬
rieurs, intéressant d'abord les orteils. Cet auteur ne relate
qu'un
seul casoù il ait vu la gangrène débuter par la main.L'amputation
était le seul remède.M. Fagoa, premier médecin du roi fait à cette époque un mémoire pour expliquer la formation de
l'ergotqu'il
attribueaux brouillards et à la destruction de
l'enveloppe
desgrains.Apropos d'une épidémiesurvenue, vers 1708, en Langue¬
doc et dans le Dauphiné. M. Le Comte, médecin de
l'Abbaye
de Saint-Antoine du Viennois, fait paraître un mémoire.
Il différencie la gangrène ordinairede la gangrène ergoti- que. Cette dernière a une marche plus lente
(cinq
ou six moisavant de gagner les parties internes et de causer lamort).
Lemalade peut accomplir pendant
longtemps
les fonctions de la vie sans être incommodé par sonmal.Le centre du membre atteint de cettegangrène est le siège d'une douleur intolérable pendant que l'extérieur est plus froid que de la glace.
Lesremèdes qu'on emploie dans la gangrène ordinaire ne
réussissent pasdans celle-ci.
La partie malade,
insensible,
noire et desséchée comme si le feu y avait passé, se sépare des parties vives sans qu'il y aitjamais desphénomènes depourriture.Quelques
années plus tard, Gassoud, médecin de la même provinceet de la mêmeabbaye,
fait à son tour un rapportsur la question.
Vers cetteépoque, Duhamel et Boucher donnent une des¬
cription
méthodique
de lasymptomatologie
del'ergotisme
, gangréneux. Ils décrivent à la maladiequatre périodes.
— 23 —
Première
'période.
— D'abord les troubles psychiques etnerveuxouvrent la scène : mélancolieet dépression pendant lejour; cauchemars et délire pendant la nuit. En même temps
rachialgië
et courbature générale, contractions spas-modiques et crampes dans les membres. Cependant les au¬
tres fonctions sont normales.
L'appétit
est conservé, le ventre libre, les urines abondantes mais couleur paille.La deuxième
période
s'annonce par l'aggravation des symptômes précédents. Les membres paralysésdans la pre¬mière période sontmaintenant engourdis. Ceux
quefrappëra
la gangrène sont le siège de douleur vive avec sensation de brûlure interne. La peau qui les recouvre a quelquefois une teinteérysipélateuse qui tourne bientôt au violet. Si l'on soi¬
gne alors les malades, le sangest poisseux, le pouls devient faible et très petit, l'appétit commenceà seperdre dans cette deuxième période. Lesmaladesont froid etpâlissent, ilsse re¬
muent avec peine et cet état dure plus ou moins longtemps.
Troisième
période.
— La troisième période s'annonce par¬le changement subit de la douleur vive, que les malades sen¬
tent aux piedsou aux mains, douleur qui se transforme en froid glacial, alors le sentiment et le mouvement s'éteignent entièrement dans la partie atteinte.
La douleur secommunique de procheen proche de la
main
àl'avant-bras, de l'avant-bras au bras. Lamêmeprogression
de douleur a lieu dans les parties inférieures
lorsqu'elles
sont attaquées.
Le membre affecté devient livide; la peau se ride et
semble
avoir été trempée dans de l'eau glacée; la
partie diminue de
volume etse dessèche; les malades pâlissent, jaunissent, se refroidissent peu à peu. Leblanc de leurs yeux est
jaune.
Le pouls devient imperceptible. Le meilleursigne qu'il
y aitdans cette période est un fourmillement
dans la
partie ma¬ladequi annonce un retourde vie. Lachaleur renaît, le pouls
se ranime, le visage reprend sa
couleur naturelle.
Quatrième
période.
- Lemembre, livide dans la période
précédente, devient noir,comme boucané, il est absolument— 24 —
insensible. Lepoulsse fait alors à peinesentir, l'abattement estextrême.
Le membre devenu 'noir, n'est pas fétide ; il est comme durci etdesséché au feu. La
séparation
d'avecles parties sai¬nes se fait souvent d'elle-même surtout aux articulations; eton reconnaît où se fera la section à une bande plusou moins large, en forme decordon rouge et enflammé, qui cir¬
conscrit le membreaffecté et borne la gangrène.
Il s'établit à cetteligne une supputation qui détachepeu à
peu la partie morte, et le membre sphacélé tombe souvent de lui-même. Quelquefois il reste attaché par quelques ten¬
dons plus difficiles à rompre queles autresparties. Cette sé¬
paration se fait toujours sans
hémorragie. L'hémorragie
n'est même pas à craindre en cas
d'amputation,
ce qu'on at¬tribuesoit à la coagulation du sang, soit à l'étatgangréneux desvaisseaux sanguins.
Quelquefois
la gangrènepasse d'un membre à un autre ou bien elle gagne le tronc.-Terminaison. — Ce mal a.trois manières dese terminer : i° Il ne passe pas au quatrième temps, et la guérison est annoncée par un fourmillement qui fait place à l'engourdis¬
sement du membre malade.
2° La gangrène ergotique s'arrête en hauteur, la suppura¬
tion s'établit à l'endroit d'arrêt, le pouls, qui étaitpetit,se re¬
lève peu à peu, le visage se ranime, les forces reviennent
aux malades.
Mais si la déperdition de substance par la suppuration a été trop
considérable,
les malades, quoique rétablis, retom¬bent
après
un certaintemps
dans une espèce d'étisie accom¬pagnée de fièvrelente, qui les consume peu à peu et ils meu¬
rentcomme d'inanition. ,
Dans le troisième cas, le mal gagne le tronc; le pouls, d'abord plein de
fourmillements,
devient insensible et finit pardisparaître ; les yeuxs'enfoncent,
le visage, surtout le nez, devient livide et d'un fro'id glacial ; l'abattement est ex¬trême, le malade insensible. Un délire sourd et quelques défaillances sont les avant-coureurs de la mort.
Tous ces accidents varient d'ailleurs et secombinent entre eux suivant la qualité de l'ergot,
Tige,
le sexe, le tempéra¬ment des individus.
Nous ne nous attarderons pas à faire Ténumération, année par année, desépidémies oudes cas isolésd'ergotisme qui sesont montrés en France au xvne et au xvine siècle.
Disons que les principaux foyers d'ergotisme sont à cette époque : la Sologne, l'Orléanais, le Daupliiné qui, comme au moyen âge, est encore une des régions les plus
éprouvées
de notre pays.
En 1770-72, Tergotisme est signalé en Auvergne, dans le Limousin, dans le Maine. Comme toujours, c'est la forme gangréneuse qui domine; nous venons de donner de cet ergotisrne une symptomatologie détaillée.
A l'étranger, des épidémiesnombreuses sévissent surtout
en Allemagne, dans le
Meeklenbourg,
la Lusace, la Silésie, leSlesvig-Hostein;
c'est toujoursla formeconvulsive qui domine dansces épidémies allemandes. Celle du Holstein de 1717,nous rapporte Sclieffel, était caractérisée par de terribles
fourmillements et des contractions flbrillaires visibles.
L'ergotisme à forme plutôt convulsive (bien que quelques
cas de gangrène soientrelatés) décime les troupes de Pierre
le Grand en Russie.
Cette môme forme d'ergotisme séviten Silésie en 1745 et fait de nombreuses victimes : convulsions irrégulières et paroxystiques, vomissements,
épistaxis,
syncopes;tels sont lessymptômes caractéristiques del'épidémie
silésienne.Citons en terminant quelques
épidémies
qui se sont pré¬sentées avec une symptomatologie un peu
différente
desdeux grandes formes convulsive et gangreneuse.
Pendant une épidémiesurvenue en
Transylvanie
en1830,
Meïer a constaté souvent, comme suites de la maladie, la folie et l'idiotie. De nosjours, dans
l'épidémie
de Marbourg,en 1880, Boer n'aréuni qu'un fait de symptômesgangreneux, tels que la chute des ongles; mais les malades deviennent fréquemmentidiots. Il a observé un véritable cas de tabès
- 26 —
clorsalis bien caractéristique, tant au point de vue clinique
qu'anatomique.
Traube nous a laissé des descriptions d'autopsies. D'après
cetauteur, il paraîtraitque les cadavres, après les formes aiguës, montraient très rapidement des signes de putréfac¬
tion et la putréfaction seule détendait la raideur excessive des membres. Les parties abdominales avaient une teinte jaune; le foie était brun foncé, dur, gonflé de sang. La vési¬
culebiliaire, distendue à crever par la bile, celle-ci, d'une couleur vert clair et aqueuse. La muqueuse intestinale pré¬
sentait, dans toute son étendue, un grand nombre de taches vasculaires
dendritiques,
« comme on en trouveaprès
les vomissements de sang ».CHAPITRE IV
L'ergotisme
auXIXe siècle
.L'ergotisme 11e se rencontre
plus guère
enFrance de
nos jours. Cependantaprès
la campagnede Russie et le terrible
hiver1812-181:», l'ergotismea fait sa
réapparition dans notre
pays.
L'épidémie
a ravagéles départements de la Saône-et-
Loire et de l'Allier. Comme la plupart des
épidémies françai¬
ses, elleprésentait la forme gangreneuse.
En 1845, Fergotisme est
signalé
de nouveau enFrance dans
lesdépartements de
l'Isère, de la Loire, de la Haute-Loire et
duRhône,
parBarrier,alorsc.hirurgien
enchef de l'Hôtel-Dieu
de Lyon.
A Lyon, onconstateencore
quelques
cassporadiques,
en1855. Mais de nosjours, l'ergotisme, sous
forme épidémique,
nese rencontre plus
guère qu'en Russie et plus partculière-
ment dans les départements
de Kiew et de Nijni-Novgo-
rod.
Lacivilisation
progressive, c'est-à-dire
pournospopulations
rurales; demeilleures
conditions hygiéniques,
unenourri¬
tureplus saine, et
surtout plus variée, semble faire reculer
le mal versl'Orient.
Dans certainesprovincesrusses,en
effet, la vie des
paysansest très misérable; les soins
à donner
auxrécoltes sont très
négligés; le vannage,
le séchage du blé et la manutention
se font surtout dansdes conditions déplorables.
En terminant cette rapide
étude de l'ergotisme
auxixe siè¬
cle, disonsquelques
mots de l'opinion d'Ehlers relative à cer-
— 28 -
taines maladies particulières de date d'ailleurs récentes :
acrodynie, maladie de Raynaud,
érythromégalie.
Pour lui, les observations publiées deces maladies,ne sont pourla plupart, que des casd'ergotisme méconnus.
Cette affirmation esta coup sûr exagérée.
Cependant il nous semble juste de dire qu'on apeutêtre un peu trop perdu de vue la gangrène ergotique, dont les cas bien tranchés deviennent de nos jours de
plus
en plusrares.
C'est ainsi que certaines observationsrelatéesparRaynaud, par exemple, sont manifestement entachées d'ergotisme.
DEUXIÈME
PARTIECHAPITRE PREMIER
Étude
botanique, chimique
etpharmaeologique
de
l'ergot de seigle.
I.
Étude botanique.
On donne en botanique le nom
d'ergot à
unemaladie des
céréales et particulièrement du seigle. La
maladie
estdue
audéveloppement
de champignons du genre «claviceps
»dans
les tissus de l'ovaire du seigle.
Cependantcette maladie n'est pas
particulière
auseigle,
plusieurscarex : le froment, l'orge, peuventen être atteints.Après cette définition succincte de l'ergot de
seigle,
nous allons en donner un léger aperçuhistorique.
L'historique
de l'ergot deseigle comprend
:celui de l'ergo-
tisrne, celui de l'emploi
thérapeutique, celui des opinions
relativesà sa nature.
Nous nousoccuperonssurtout
ici de l'historique botanique,
réservant un autre chapitre à
l'histoire de l'emploi théra¬
peutique.
Il faut arriverjusqu'à
Candolle,
en1815,
pouravoir des
notions exactes surla nature de l'ergot; et cependant
les
nombreuses