NOUVEAU CAS DE POLYDACTYLIE HÉRÉDITAIRE
CHEZ LES BOVINS
J. J. LAUVERGNE
Statiora de
Génétique
anim2le,Centre national de Recherches
zootechniques, Jouy
enJosas, (Seine-et-Oise).
SOMMAIRE
Une forme de
polydactylie
héréditaire a été observée dans la descendance d’un Taureau Normand normal. La tare se manifeste parl’adjonction
d’undoigt supplémentaire préaxial ;
elle atteintles pattes antérieures et accessoirement les pattes
postérieures ;
on trouve des variations dansson degré
d’expression.
Cette tare,
qui
atteint les deux sexes, est observée sur 2p. 100des descendants femelles,l’hypo-
thèse
génétique
laplus
vraisemblable estqu’il s’agit
d’un facteur dominantincomplètement pénétrant.
INTRODUCTION
La
polydactylie,
définie comme étant laprésence
d’un nombre dedoigts supé-
rieur au nombre de
doigts
del’espèce,
semble être courante dans lerègne
animal.B ROCHAR
T
( 1945 )
a fait une revuebibliographique
des anomalies dusegment
distal chez l’homme et les animauxdomestiques.
Lapolydactylie
a étésignalée
aussi bienchez l’Homme que chez le
Cheval,
leBoeuf,
leMouton,
laChèvre,
lePorc,
leChien,
leChat,
leCobaye
et la Poule. Elle se rencontreégalement
chez la Souris(G p ü NEBERG , 1952
),
lePigeon (WrESrr!x, 19 6 0 ),
chez divers batraciens(R OS TA ND , 1951 )
etcertainement dans
beaucoup
d’autresespèces
animales.Nous avons vu
apparaître
lapolydactylie
dans la descendance du taureau nor-mand
QUIDAM,
en cours detestage
au Centre d’Insémination artificielle de CHnRaioSt(Yonne).
Nous avons examiné au 3i mars19 6 1 ,
122femellesparmi lesquelles
2étaientpolydactyles ;
un mâlepolydactyle
a étéégalement
observé.ÉTUDE MORPHOLOGIQUE
1
° Le
segment
distal de Bos TaurusL’examen du
squelette
osseux des membres de Bos Taurus nous révèle selon CHAUV E
AU et ARI,OING
( 1903 )
un carpe formé de 6 os et un tarse formé de 5 os pro-longés
l’un et l’autre par l’os canon issu de la soudure desmétacarpiens
ou métatar-siens III et
IV ;
lemétacarpien
1 estabsent,
le II presquetoujours absent,
le V trèsréduit ;
le métatarsien 1 esttoujours absent,
les II et V sont très réduits et soudés à l’os canon. Lesdoigts
III et I!’ à l’avant comme à l’arrière sont fonctionnels etcomportent
troisphalanges.
On trouve, en outre, des os ditssésamoïdes,
4 au niveau de lapremière phalange
formant la base des 2ergots
et 2 au niveau de la deuxièmephalange (tableau i).
2
0
DescriPtion
des anormaux descendants deQUIDAM
Les
renseignements
concernant les deuxsujets
anormaux femelle sont rassemblés dans le tableau 2.Leur examen à
l’âge
de m mois n’a pas révélé d’autres anomalies que lapoly- dactylie qui
apersisté depuis.
Lesradiographies
etphotos
ont été faiteslorsque
lesanimaux étaient
âgés
de 18 mois environ.- 019
présente
3doigts
auxquatre pattes (fig.
i et2 ) :
aux
pattes
antérieures ledoigt supplémentaire
estintérieur ;
il a 3phalanges
et ne repose pas sur le
sol ;
à laradiographie
on remarque laprésence
d’un métacar-pien
très mince(fig.
I et2 ) ;
àgauche
lapatte
conserve 2ergots
alorsqu’à
droite iln’y en
aplus qu’un ;
aux
pattes postérieures,
ledoigt supplémentaire
estégalement intérieur ;
ilest moins
développé qu’aux pattes antérieures ;
laradiographie
révèle laprésence
beaucoup plus
fruste du métatarsienintérieur,
de 2phalanges
à droite et de 3pha- langes
àgauche (fig.
3etq.) ;
il y- a un seulergot
àchaque patte.
- 035
présente
3doigts
auxpattes
antérieuresseulement,
ils’agit
là encore d’undoigt
intérieur nonfonctionnel ;
lesimages radiologiques
sont très semblables à celles despattes
avant de 019(métacarpien
internefiliforme,
3phalanges) ;
on note, enoutre à
gauche,
laprésence
dumétacarpien
rudimentaire IV(fig.
5 et6).
I,es deuxpattes
nepossèdent qu’un
seulergot.
Chez le veau mâle
polydactyle,
l’anomalie se limitait auxpattes
antérieuresqui présentaient
troisonglons.
3° Discitssioit B
R OC H A R
T
( 1945 )
remarque que la variété des manifestations de l’anomalie avait conduit les anciens auteurs anatomistes ettératologistes
àdistinguer plusieurs types
depolydactylie :
il y aurait d’abord unepolydactylie atavique, qui engloberait
les cas de
réapparition
dedoigts perdus
au cours del’évolution,
il y aurait en outre unepolydactylie
par dédoublement desdoigts, puis
par dédoublement de la mainou du
pied.
Toute étude héréditaire de la
polydactylie
conduit à la conclusion que cette dernièrepeut
se manifester sous des formes très différentes. Il n’est paslogique
decréer une
terminologie
de classification par avance arbitraire.Ainsi,
chez lesbovins,
RoBERTS
( I921 )
trouvait dans une mêmelignée
d’Holstein Friesl’ait aux U. S. A. descas dits de
tridactylie
et un autre dediplopodie (dédoublement
dupied).
Nous
admettons,
pour notrecompte,
que celareprésente
un seul et mêmephéno- mène, puisqu’aussi
bien nous avons décrit des variations dansl’expression phéno- typique
de cette tare.Il nous semble donc
logique,
autant queprudent,
de définir ainsi lapolydactylie
que nous avons observée :
Polydactylie préaxiale
parréapparition
d’undoigt
àl’emplacement
dudoigt disparu
n&dquo; II,qui
se manifestetoujours
auxpattes antérieures, plus
rarement et moins intensément auxpattes postérieures ;
les membres atteintsprésentent
desvariations dans le nombre des
ergots.
ÉTUDE GÉNÉTIQUE
Dans la descendance de
QuiDAM,
taureau normal croisé à des vaches Normandeségalement normales,
on a trouvé des anormaux des deux sexes. lafréquence
de cesapparitions
n’a pu être établie que chez lesfemelles,
elle est de 2 : 122soit1 ,8
p. 100. Rors!RTS( 1921 ) déjà
cité observe des cas depolydactylie
dans troisgénérations
successives et il constate
l’apparition
d’anormaux dans des croisementsd’anor-
maux avec normaux, d’oil il conclut à la
présence
d’un seul facteur dominant.MoRRiLi,
( 1945 )
dans la raceHereford
aux U. S. A. ne trouve l’anomalie que chez desmâles,
fils oupetits-fils
par leur mère d’une mêmevache ;
il avancel’hypothèse
d’un facteur récessif lié au sexe.
Dans les deux cas le nombre total d’animaux observés est faible
(moins
d’unedizaine).
Ces deux auteurs ne mettent pas en doute la monofactorialité de
l’anomalie ;
considérant la trèsgrande
récurrence de la tarequi
a étésignalée
de toustemps
danspresque toutes les races
(les
muséestératologiques
contiennent de nombreusespièces anatomiques
de cetteanomalie),
et en raisonnant paranalogie
avec les autresespèces
oùl’analyse génétique
a étépoussée plus loin,
il semblelogique d’adopter
cette
hypothèse,
au moins momentanément.Quant
au mode d’action dugène
nous ne pouvons, pourexpliquer
le casrelaté,
ni retenir
l’hypothèse
de dominance(ROBERTS, 1921 )
nil’hypothèse
de récessivité liée au sexe(Mo R Rm,r&dquo; zg54).
Il nous
paraît
donclogique d’approfondir
labibliographie
de laquestion,
ennous référant à une
espèce beaucoup
mieux étudiée. GRÜNEBEPG(ig52)
nousapprend
que chez la souris existent au moins 4cas de
polydactylie préaxiale
et 2 cas depoly- dactylie postaxiale simple,
sanscompter
les anomalies bien caractériséesqui
s’accom-pagnent
accessoirement depolydactylie,
telles que les taresmyolenceplialic
blebsou
fidget.
Étudiées
dans deslignées
différentes lespolydactylies préaxiales simples
- c’est-à-dire nonaccompagnées
d’autres anomalies - manifestent une variabilitéd’expression
assezgrande
et leursdisjonctions
nepeuvent
se ramener à desrapports
mendélienssimples,
au moins àpremière
vue.Cependant
HOLT( 1945 ),
dans le casqu’il étudie,
montrequ’il s’agit
d’un seul facteur mendélienincomplètement
récessif.Cette notion de récessivité ou de dominance
incomplète
avait d’ailleurs été dé-gagée depuis longtemps
par TiMOFEEFF-RESSOVSKY(rg25),
cité par BROCHART(ig 45 ), qui avançait
les termes de «pénétrance
» comme mesure dupourcentage
d’anormauxparmi
lesporteurs
d’une certaine combinaisongénétique,
et d’«expressivité
» commetraduction des différences
pouvant
se manifester dans l’action dugène.
Dans des anomalies où
l’expressivité
est très variable onconçoit
très bienqu’à
la limite certains tarés ne soient pas décelables parce que
trop
faiblementatteints ;
ils sont dits normal
overla! (C!,axK,
1934, cité par KOBOZIEFF,rg3g).
Ces notions de
pénétrance incomplète
etd’expressivité
variable sont trèsutiles,
mais elles traduisent notre
ignorance
des circonstances exactescapables
de modifierl’expression
dugène majeur, responsable
de l’anomalie.Cette situation a pu
cependant
êtreprécisée
dans le cas dupolydactylisme
de HOLT par la mise en évidence par FISHER
( 1950 )
d’ungène susceptible
de réduire10fois la manifestation de l’anomalie.
La
polydactylie
se classe d’ailleursparmi
les anomalies dont onpeut
obtenirune
phénocopie.
Ainsi EVANS et al.( 1951 ),
enremplaçant
à un certain stade de lagestation
l’acidefolique
par un antimétabolite dans la ration de la rategravide
fontapparaître
dans la descendance toutes sortesd’anomalies,
dont lapolydactylie.
En raisonnant par
analogie
avec desespèces
mieux étudiées onpeut
avancerà côté de
l’hypothèse
de récessivitécomplète,
celles de dominance ou de récessivité àpénétrance incomplète.
L’hypothèse
de récessivitéimpliquerait qu’une partie
ducheptel
femellesoit
porteuse
dugène responsable
de lapolydactylie
alors quel’hypothèse
dedominance ne nécessiterait pas cette
supposition. Remarquons
d’ailleurs que les deux cas de RoBER’rs( 1921 )
et de MoxRWr,( 1945 ) pourraient s’expliquer
parune dominance à
pénétrance incomplète.
Encore faudrait-il démontrer que tous les casde
polydactylie
bovine rencontrésproviendraient
de mutations au même locus. Disonsqu’avec nos
données la dominance àpénétrance incomplète
estplus
vraisemblable que la récessivité àpénétrance incomplète.
Lapénétrance
duzygote
chez les hétéro-zygotes
serait alors de 4 p. 100.Reçu en mars 1962
SUMMARY
A NEW CASE OF IIEREDITARY POLYDACTYLISM IN CATTLE
t1 form of
hereditary polydactylism
has been observed in the progeny of a normal bull from the v Normande x breed. The defect appears as an additionalpreaxial
digit. It is found on the forefeet and as accessories on the hind feet. Variations have been noted in thedegree
of its mani- festation.This defect which may affect both sexes has been observed in 2p. roo of the female descendants,
the most
likely genetical hypothesis being
that it ist he result of an dominant factor withincomplete
penetrance.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
B R OC
HART VL, i945. Les anomalies congénitales et héréditaires du squelette des membres des Animaux domes-
tiques et de l’Homme (segment acromélique ou distal), Thèse Vétérinaire, R. Foulon, Paris.
CxnuvEnu A., ARLOING S., 1903. Traité d’anatomie comparée des animaux domestiques, Baillère et Fils, Paris.
CLAR K
F. H., 1934. Genelics, 19, 365-393.
E
VANS H. 2B1., NELSON M. !t., As LING C. «’., 1951. 2BIultiple congenital abnormalities resulting from acute
folic acid deficiency during gestation, Science, 114, 479- F
ISHER
R. A., 1950- Polydactylism in mice, Nature, 165, 407.
GRÜNEBFRG Il., I95z. Tlze Genelics of the M ouse, Martinus Nijhoff, La Haye.
H OLT
. Cité par GRUNEBERG (1952).
K
OBOZIEFF N., POMRIASKINSKN&dquo;KOBOzIEFF N. A., 1939. Sur la constitution généotypiques de la brachy-
ourie accompagnée de coudures chez la Souris. Bull Biol. 78, 330-335. MORILL 1:. L., I945. A new sex-linked defect in cattle, J. Hered., 36, Si-82.
ROBERTS E. J., 1921, Polydactylism in cattle. J. Hered., 12, 84-86.
RO S T
AND J., I95I. Sur la polydactylie des batraciens anoures. Bull. Biol., 85, 113-136.
TtMOFEEFF-RESSOVSx!’ N. W., 1925. Studies on the phenotypic manifestation of hereditary factors.
The genovariation radius incompletus of Drosophila funebris. Zhurn. Eskp. Biol.
WtESSER F., y6o. Die Erbschaden der land7tÙtschaftlichen Vutztiere, Gustav FISHER, Jena.