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La guerre des mots pour nommer les Kurdes et leur territoire au Conseil de l'Europe

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La guerre des mots pour nommer les Kurdes et leur territoire au Conseil de l’Europe

Salih Akin

To cite this version:

Salih Akin. La guerre des mots pour nommer les Kurdes et leur territoire au Conseil de l’Europe.

Etudes Kurdes, L’Harmattan, 2000. �hal-01898031�

(2)
(3)

J.Lerapport est consultab leàla pag e; hrtp:/ /stars.ro</r/doc/do C98fFDOC8131RTM etlarecommandation etla directiveadoptées respectiuementàlapage hrtp:f/stars.ro</r/ta/ta98 /FRECI377.JffMetàla

page

http://srars.coefr1ta/ta98

/FDlRs45.IfTM

dusiteIntemet duCvn.seil de l'Europe.

;1- Dêclarationf aite, ie22juin1998, àReutersparLc.le Araman,

membreduPartidela MèrePatrie.

S alih AlUN

UniversitédeRouen

La g uerre des mots pour nomm er

les Kurdes et leur territoire au Conseil de l'Europe

~ 25 juin 1998 , l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe a débattu d'un rappo rt de la Commission des M igrations, des Réfugi és et de la D émographie,

intitulé

«Situation humanitairedesréfugiés eldes personnes déplacées kurdesdanslesud-estde laTurquieetlenorddel'Irak".'

C e rap

-

port, préparé par la députée suisse Rutb-G aby V ermot- M ongold, du Groupe Socialiste. avai

t

pour objet de

«com - prendrelescauses desdéplacements de populations, essentielle- ment d'origineethniquekurde,tantill'intérieur qu'en provenan - ce du nord del'Irakel du Sud-Eside laTurquie,eld'M:aluerleur siuuuion er leurs besoins»,

LI

délégat

ion turque de cette As semblée avai

t

contesté le rapport dans son intégralité

et

repro ché

à

son auteur de s'occuper

«surtoutdesproblèmespoli - tiquesel /lOn seulement humanitaires»'.

Dans la m êm e logique, les m embres turcs de ladit e C ommission ava ient présent

é

un

«avis divergent", dans

lequel ils

reprenaient

toutes

le s obser -

vations du rapporteur pour les dénier de m anière catégorique et

résum aient la questio n kurde au seul

«

problème de terrorisme

du PKK». La délég ation turque alla jusqu'à déposer une m otio n

afin que

la

di scussion du rapport soit reti rée de l 'ordre de jour

de i'A ssern bl

é

e, m ais

cette

m otion fut repouss

é

e le 22 juin

1998

et

le rapport fut fi

nalement débattuà

la date prévue.

(4)

•34 • Etudes kurdes -N<1-rh 'UEIl2000

Tou tefois, le

débat a

révélé un conflit sur

les mols

et eu pour

conséquence

d'opérer, dans

le

projet de

«

recommandation " ct de

«

directive " proposé par le rapporteur, des

m

odi-

fication

s

portant aussi bien sur la dénomination dcsK

urdes et de leur

territoi

re que sur la mise en mots

desm

esures

à

prendrepour am éliorerla situation

«des

per sonnes dépla- cées kurdes dans le sud-est de la Turquie et le nord de l'Irak

»,

La présente étude a po ur objet d'examiner les m odifications de dénomination destinées

à

changer la re présenta- tion du problème abordé dans le rapport. D ans un premier temps, on abo rdera un ce rtain nombre de dénominations des

K

urdes et de leur territoi re utilisées par le rapporteur et ma intenues dans le texte de l a reco mmandation et de la directive adopté pal'l'Assemblée Parlementaire. D ans un second temps, onfera une analyse contrastive et systémique des dénominations qui ont subi un changeme

nt dansla v

ersion adoptée des documents. Mais nous rappellerons tout

d'abord la fonction

de

la dénomi

nation dans

l'organisationdu m

onde,

dansla

catégorisation ethnique,

territoriale

et

linguistique du

réel.

1. L e s fo nction s socio lin g uisti ques d e la d énomination

La dénomination est l' une des fonctions essen tielles du langage qui permet d'associer des noms aux objets et, ainsi, de les distinguer, de les différe ncier, de les assigner

à

des classes

.

Tout objet doi t être nommé pour pouvoir être po rt

éà

l'exis

tence!

C'est par les noms que no us parlons des objets, qui se voient ainsi se co nférer une certaine existence.

Toutefois, les noms ne sont pas des éléments linguist iques

«

sans histoire ", ma is pro-

duits

par l'homme

.

En fonction de ses prédispositio

n

s sociales, culturelles, identitaires et politiques,

l'ho

mme signifie,

dans les nom

s qu'il donne aux objets, un peu de lui-

même,sa subjectiv ité,samanièredepercevoirelde concevoirlemonde.Les noms expri-

m ent not

re relation aux

objets

.

D is-moi c omment

III

nommes, je te dirai qui tu es: c'est

parle

détournement d'une formule que l'on peut mettre en exergue ce

positionnem

ent intr

insèque à

tout acte de dénom

ination.

C'est pou rquoi, la dénomination s'accompagne très souvent d'une pri

se

de position subjective

dont on peut

relever la trace dans les noms. Ce

la

permet

à

l'instan

ce

n

om

mante de se distingue r

à

son t our, de

se

classer, de s'affirmer

à

travers les dénomi nations attribuées aux objets. Les noms sont

aussi des

pro gnunmes de sens et ten- dent

à

devenir des programmes d'actions. La dénomination des objets permet de les re pré- senter selon notre vi sion du m onde et

d'ar

gum enter notre action sur cesob jets.

C' est sans

doute dans la

dénomination des po

pulations,

des

territoires et des

langues que

les enjeux sociolinguistiques sont les

plus forts.

Ca r, il s'agit là d'une actio n lingui stique

(5)

La

guerredes mots ... •

35 •

des tinée

il

opérer dans les stratégies d'assig nation et de construction id entitaire, d'ap- pr opriation territoriale, etc. Celui qui peut im poser un no m

à

un e population,

à

un te rri- toire et /ou

à

une lang

ue s'im

pose de lui-même en s'appropr iant celte ou ces entités.

U

hi stoire

du colonialisme

m

ontre que l'une des premières

op érations entreprise s apr ès l'occupation et la pac ification d'un pays es

t

de procéder

à

une va ste cam

pagne

de

redé- nominati

on

dupays. de seshabitants.

de sa lan gue.

Il

en fut ainsi pour

de nombreux

pays qui connurent le joug du co

lonialism

e,

il en est toujours

de

même pour

le K

urdistan.

2. Consensus pour nommer l a réalité kurde au Cons eil de l'Europe

L

e rap

port

de

Ruth-Gaby Vermot-Mongold

co

nstitue,ànotre connaissance,

un document sans

précédentqui

exam

inela situa

tion des

Kurdesdéplacés

dans

leur

pays et ré

fugiés à

l'étranger. C'est

la premièrefoisque,

dans une

institution de prestige,

le

Conseilde l'Europe, dontl'ob

jecti

f

est

depromouvoirlaliberté,la démocratie

et

lesdroitsdel'hom-

m c en Europe, un rapport

i

ssu de no mb reuses enquêtes, auditions, témoignages, etc, abordait dans le fond la question de l'interminable exode ku rde. Si les recom ma ndations et directives proposées pa r le rapporteur n'étaient pas m

odifi

ées et leur

adoption

suivie d'effet, la situation des réfugiés kurdes et, arec elle, la question kurde auraient peut-être pu enfi n trou ver un début de solution. Car, le rapporteur proposait. dans l'alinéa 2 d e so

n pro

jet de

directive,d'organiser,avecla participation detoutesles parties concernées, ane conférence parlementaire internationale surla question kurde envisagée sous tous ses aspects.

Comme no

us

allons le vo ir, cette

pro

position a été

pu

rement et simp

lement

sup-

prim

ée de la

directiv

e.

T outefois,

un certain nombre de

dénominations utilisées par le rapporteur on t été m ain

-

tenues dans les do cum

ents

adoptés. Il s'agit d'une part des dénominations se rapport ant au peu

ple

kurde

:

•population kurdeirakienne

(

2

o ccurrences : alinéa 2)

•demundeurs d'asileet de migralltsensi1.llatioll irrégulière d'originekurde(alinéa6)

populationskurdes(2occurrences :alinéattieliv.i]

Kurdes

(alinéa 1 3.ii)

•ciwyensturcsd'origiJlekurde

(alinéa Id.iv.d)

personnesdéplacéesd'originekurde (alinéalS.iv.l)

•femmes,enjanuetpersonnesâgéesqui relllrent

( alinéa

13.i

v.j )

(6)

•36 •Etudeskurdes -N' 1- tl~\'K"'"2000

ct d'autre part des

dénominations

réf érant au territoir e kurde :

•nordde l'Irnk

(S o ccurrences : tit re, aliné as 3 et 13

.v.o.

de la recomm an dation et titre .t alinéa 1 de la directive)

•partienorddel'Irak

(ali néa 13.iv.r. de l a recommandatio n)

•regionnorddel'Irnk

(aliné a lâ.vi.b. de la recommandatio n

)

md-estdl!laTurquie(2O('('U1Tf'n('e~ :titredelarecommandation etdeladirective)

provincesdu sud-esl delnTurquie(alinéa13.i.delarecommandation)

•proiinces

du su

d-est

(4 occurr ences :alinéas 1 3.iv

.a,

1 3.iv .i , l3.i v .g

.

et 1 3.vi.b.)

partiesud-estdu pays(alinéaB.iv.g. delarecomm andation]

•régionskurdes

dusud-est

deUITurquie (alinéa

2 de

la

dir ective).

T out es ces dénominations ont été reproduites sans m odification dans le texte de la recommandation et de la directive. Si l'examen de ces dénominations fait état des

diffi-

cultés discursives de dire les Kurdes et leur territoir e dans les docum ents o fficiels du Co nseil de l'Europe, il semble surtout révél er J 'existence d'un consensus po ur nommer ces entités dans cette institution. En effet, on constate ra pidement que les K urdes ne sont pas envi sag és com m e une entité n ation al e autono m e. On n e relève qu'une seu le occurrence de l'ethnonym e

«

K urdes » reprodui t dans l'alinéa 13.ii de la recommand ation. D es stratégies dénom inatives

euphémisantes,

conune le reco urs

àPop/J,LIionskur des , ou

les rattachant aux Turcs o u aux Irakiens (cito-yell.S

turcsd'origine kurde) sont

destinées

à

atténuer l a porté e de la réalité ethnique kurde.

La

description[e

mmes,enfants

el

personnes âgées qui rentrentest

une m anière détournée qui permet de désig ner l es Kurdes par le renvoi

à

la situa tion de comm unic ation, tout en évi tant de les nommer en t ant qu'en tité ethnique.

L e syn tagme

d'origine kurde,

qui qualif ie certaines dénominations, m érite sans doute un

exam en particulier. Sa caracté r i stique principale nous sem ble être une distanciation

qu'il opère par rapport aux perso nnes

à

qui i l s'applique. En l'utilisant, les locut eurs

signifient qu'ils se dés engagent face aux imp lication s politiques et idéolo giques qu'ils

auraient entraînées s'ils avai ent désigné ces personnes par l'ethnonyme

«

K urdes " ou

par

ladénornination«

peuple kurde" . Par aill eurs,

l'em

ploi

du

syntagmed'origine

kurde

suppose une transformation identi taire, un e m étamorp hose. O n ve ut dire que si ces per

-

sonnes sont d'origine

kurde,

ils sont avant tout citoyens tur cs, iraki ens, etc. Il en est ainsi

dans la désignation citoyens tur

csd'origine kurde.

La présence du terme

«

kurde" n'est

que secondaire par rap port au sy ntagme

«

citoyens turcs ", principal désignatif qui ren-

voie

à

la nationalité de ces personnes.

(7)
(8)

• 38 •

Etudeskurdes-1- fÙ lllf H2000

au ssitôt rattaché à la T urquie. Par ai

lleurs. le toponyme «

K ur- distan

»,

qui est tahou en Turqu ie, l'est auss

i

pour le C onseil de

l'Europe,caraucuneoccurrencedecetermen'estrelevée dans la

recommandation et dans la directive.v

Il ex iste donc un cert ainconsensus au suj et de la dénomination de la réalité kurde dans cette institution. L es dénomina tions m ain te- nues so nt celles qui app araissent comme étant le m oi ns

«

enga- ge ant es

»,

le m oins

«i

mpliquantes

»

pour le Conseil de l'Europe, qui prend ainsi

le

risque d'une déformation de la réalité.

3 , Divergencess ur l'adéquation des mots à d ésignerle r éel

Si consensus il y a,

les divergences

ne sont p as pour autant mineures au Conseil de

l'Europe

quant à la dénomination des K urde s et de leur territoire. L a suppressio n des termes

et

énon- cés indésirables par

les

auto rités

turques,

tout comme le rem- pl acem ent d'un certa in nombre de tenues. m ontrent l'opposi- tion du C onseil

à

la termino

log

ie utilisée par le rapp orteur.

3,1. S uppression d es t ermes et énoncés i ndésirables

Ce tte stratégie concerne des termes et éno ncés situés dans trois alinéas de la recommandation et un alinéa de la directive. Elle prend la forme d'une censure exe rcée de la part de l'institut

ion

européenne sur des m ots qui m ettent en cause la po

litique de

l'Etat

turc

vis-à-v

is des

Kurdes. Ainsi, c'est l'énoncé

el dansles province»du sud-est de laTurq uie

qui a été supprimé de l'ali-

néa : 3 du projet de recommandation :

L'Assembléenote avecune vive inquiétudela situation huma - nüaue précairedespopulations d'originekurdeetd'autresori - gines uu nord de l'Irakel dUIlS les provinces dusud-est de la Turquie.

6_Lerapportutilise14 occurrences dutoponyme

«Kurdistan».Une seule occurrencefaittoutefois unrenvoidirectau terri~

tairekurde,tandis que13 sont utiliséesda/lsles appellations despartis politiqllesetcrçanismes klll'des(Parotides TravailleursduKurdistan, PartiDémocrcticuedu Kurdistan,Union PatriotiqueduKl1I'distall et Sociétédu Croix-Rouge duKurdistan).

(9)

La

guerredesmots

...

• 39 •

Labolition de l'énoncé qui t erritor ialise la

«

situation humanitaire précaire " des K urdes en Turquie déresponsabilise les autorités turqu es de

leur

politique désastreuse sur les plan s hu main, cu lturel et social. La mêm e vo lonté de mé nager

l'Etat tur

c est également

il

l'œu vre dan,

l'alinéa·l

rie la recommandation. Celle fois, ce sont le terme kurdes et l'énoncé el

jugelamise enœuvredus)Stème de gardes villageois trèspréoccupantedu point de

v ue

desdroits del'hommequi

on t

été

ray

és:

L'assembléecondamn eégalemenl l'év(LCuatioTletlincendiedevillageskurdesparLesforces arméest!trquesetju.gelamiseen œuvredu sJstèmede gardesvillageoistrèspréoccupante dupoint de vue desdroitsde{'homme.

La suppression du terme kurdes dans le syntagme

villageskurdesrend flo

ue et opè re un brouillage de la responsabilité de l'évacuation et de l'incendie, dont la responsabilité est cependant explicitement attribués dans cet alinéa aux forces années turqu es. Il est de no toriété publi que que ces forces armées évac ue

nt incendient des villages dans les

autre s régions de la Turqu ie. U ne com mission parlementaire de l'Assemblée na tionale turque a en effet reconnu en 1997 l'évacuation de 3 135 v illages kurdes « pour des rai- sons de sécurité

».

L e C onseil de l'Europe prend une position non seulement m oins explicite qu e la commission parlementaire turqu

e,

m ais elleépargne également les auto- rités turque

s sur

le sy

stème de ga

rdes villageois qui, armés

et payés

par l'Etat, suppléent l es forees armées et échappent

à

tout contrô le démocratique. L 'alinéa 9.iv.1. de la recom- m andation livr e un ex emple plus frap pa nt de cc so uci du C onseil de l'Europe:

[L'Assembléeparlementairereconunanc1eauCom itédesMinistresll1.:Îler la Turquie)à adopter desmesurespourintégrer lespersonnesdépllu:éesd'originekurdequisouhnitent s'établirdans d'autresparties dela Turquieet,lecas échénnt, àleuraccorder,de même 'I"'aux rapatriés, un déd~mm ngemenlpourles biens détruitsparlesJorcesarméesturques.

La disparition du syntagme par

lesforcesarméesturques

dému nit la forme passive

les biens détruits

d'un age nt qui serait

à

l'origine de l'action. C'est ex plicitement que les forees

armées

turques sont ici disculpé es de leur politique de la

«

t erre brûlée

.

qu'elles pratiqu ent depuis une quinzain e d'années. Enfin, un e suppression très signi ficative concerne la proposition d'organisat io n d'une conférence int ernationale f aite dan s l'alin éa 2 du projet de directive

:

L~4.uembléeesri/llp.qfl'elledMlmitjouer un rôlel'lmimportantdanslapromotiondelapaix etdela réconciliation danslesrëgionskurdes du sud-est de la Turquie etailleu rs.Acette finellecharge lescommissioll') concemées d'étudierplus acutemetu cettequestion dans

(10)

•40Etude

s

kurdes

-

N' 1-

> ""'"''''

2000

leurs domaine,~de compétencerespectif.~etd'organiseravec laponicuxuicnde toutesles partiesconcernéesuneconférence parlementaireinternationale surlaquestion kurdeenvi· sagéesoustous ses aspects.

L a disparition de celle proposition fa it peser de sérieux dout es sur la volonté du C onseil de l'Europe de

trouver une solutionà

la question kurde

.

Quoi qu'il en soit. celle pu silla- nimité m ontre qu

el'institution

n'es t pas prête

à

prendre l'initiative d'un règlement poli-

tique de la

question. Elle se

limiteà

des recommandatio ns et dir ectives, com

me

celles qu

i

sont examinées ici qui

restent,

l a plupart du temps, sans effets dans la prat ique.

3 .2. R emp l acement d es t ermes embarra ssants

C ette stratégi

enou

s

place

au cœur des représentations

qu

e

le Conseil de

l'Europe veut do

nner

de

la réalité

kurde. C ar, les termes supprimés sont remplacés par d'autres, jugés officiellement acceptables par le C onseil. Ainsi, c'est l'ethnonyme

Kurdes

»

qui a été remplacé dans l'alinéa 8 de la recommandation adoptée :

L'A",mblée considère

que IlL gmt"ité de I

lL

situ

ILtion

"umILnit

ILiredes K

u

r

des

(~

populIL -

lionsde la régiull)justijie pleinemen: fJW' leConsei!de l'Europeetd'autresorganisations internuuonolesrOlllpélelllf'ssesaisissm!de[t'lUf/1lf'St.WIl....

Là aussi, la désignation des Kurdess'opère dan

s

le brouillage total. L e remplacement de l'ethnonyme

« K

urdes » par

popullttion,de

lit

r

égion permet de faire un renvoi situa- ti onne! et d'aboli r toute marque d'ethnic

ité

kurde.

L'usage

du pluri el dans

populations

suppose une plur alité dont les Kurd es ne seraient qu'une partie. Le remplacement ne se limite pas aux seuls termes

condam

nés par leur passé discursif chargé. Il concerne ég a- lement un alinéa entier.

Il

s'agit de l'alinéa 9.iv.a qui a été intégralement m odifié

:

[C'est pourquoi,l'Assemblée parlementairerecommandeau ComitédesMinistresd'inviter

l

a Turquie]àcesserl'uulisoium

de.1 force..

ILrméescoture IlLpopulauon

ci

vile

kurde

(~à

trouverune solution non militaiream problèmes quise posen:actuellement.danslespro .

"inces du Sud

-Est).

D'u

ne

vis ée

pr é

ci se (

cessatio ll de Eiuiliuüion.desforcesarméescOIi/rela populationcici -

le kurde), l'on pas,;e

à

un objectif plus large

(1I11eso

llltioli lloIl 111ilitaire...), qui n'est pas

inintéressant en lui-même. M ais

saformu

latio n flou

e (problème' qui

se

poseut .i.]

et l'ab-

sence de précisions m ontrent que

et

remplacement est

avant tout destinéà

éliminer la

(11)

_ __ _ _ __ _ _ _ __ _ _ _ _ _ _

~La""guerredesmots... •

4 1

légitime proposition du rapporte

ur

el

à

ménager encore le s forces armées turques. Cette attention bienveillante

à

l'égard de celles-ci est encore plus manifeste lorsqu'il s'agit d'inviter la Turquie

à

poursuivre les m embres des forces al mées

accus és

des violations des droi ts de l'homme, cumm

e

dans l'alinéa 9.iv .e :

{C'est pourquoi,l'Assembléeparlementairerefommande au Comité des Ministres

d'incue

r laTurquie]lirestaurerl'Êuudedroitduns lu partie sud-estdu payselen particulieràlever l'état d'urgence(lansles provincesdu sud-est,àassurereffimcemenlLa protectiondes liil - Lages, àexerceruncontrôlecivilsurles activilés militairesdans

h l

région,ycomprisparla tenuederegistreseten assurant

le

respect desdroits de l'homme,àpoursuivrelesmembres desforces armées accusésde vwlations d

es

droits de l'homme(~

t

oute

perso,,,,e qui viole

les droitsde

l'homme).

Uénonc

é toute personne

qui

viole

les droitsde l'homme

remplace ainsi

les membres des forces armées accusésde

violations des

droitsde l'homme ,

en rendant flou ce qui était explicite.

Que

penser de cette stratég ie opacifiante et

de

ce re fus du Conseil de l'Euro pe de nom m er explicitement ce ux qui commettent des violations des droits de

l

'hom m e. alors m ême que la Cour européen nedes droits de l'ho mm e, juridiction relev ant du m ême C onseil, condamne régulièrement 1" forces années turques po ur les violations des dro its de l'ho mm e commise

s

con tresles Kurdes, mais im punies enTurquie

?

La visée généralisante

(toute

personne qui.. .) de

l'énoncé remplaçant ne

permet pas de d

é

termi- ner avec précision de qui il s'agit. D e plus, le C onseil ne recommande pas par cel

énon- cé

une action no uvelle, m ais se contente plutôt de rap peler une des règles élémentaires des démocraties,

à

savoir l a po ursuite judiciaire de ceux qui commettent des violations des droi ts de l'homme. Enfin, l'alinéa 9.vii. fournit un exemple de remplacement qui montre le refus du Co nseil de l'Europe de co nsidérer les K urdes dans leur réalité ethno- eulturelle :

[C'est pourquoi, l' Assemblée parlementaire recommande au

Comité

de,

M

inistres] de mettre

SUTpied,conjointement avecl'Union européenne, un programme communde coopération aveclaTurquie destinéliassurerWleassistancepOllfrequi est du peuple kurde(- la pro- motiundesdroilsculturels dela population kurdeel d'rLUtresdùers groupesdeI~1'0]Ju/(J - IWH

locale

IÙIOS

le sud-es: d

e(IlTurquie ).

D ans cet alinéa. le syntagme pour ce qui es: du peuple kur

de

a été rem

pl

acé par l'én oncé

pour la pr

omotion

des

d rous cu

lturels

de la popuùuion kurde et

d'autres divers

groupes de

ln po

pulationlocale dans

le sud-es t de

laT

urquie. L e

remplacem

ent

de

la dénomi nation

(12)

• 42 • Etudes kurdes -

N'1 -

" ':Vll'''"

2000

p euple kurde revient

à

ln caractériser explicitement commeinadéquate

il

désigner le réel.

Po ur le Conseil de l'Eur ope, i l n'est do nc pas qu estion de considérer les Kurdes en tant qu e

«

peuple

»,

m ais plutôt comme une

«

pop ulati on

»,

Son objectif est d'éviter un enchaînem ent argumentatif qui pourrait le conduire

il

recon naître aux K urdes l e droi

t d'autodéterminatio

n au cas où

le

terme " peuple "

leur était

appliqué.

Les stratégies de suppression et de remplacement des termes embarr assants me ttent ainsi en évidence des affro ntements et des dialogismes entre des dis cours favorabl es et hos tiles au sujet des K urdes. Il s'ag it d'une bataille pourles mots, qui, selon 1. Authier- H evuz, es t un des él éments esse ntiels des "bataille s p our les c h oses " qui marquent lespra - tiques s ociales (1 995, p.360)

4.

«

Je ne reconnai s plus mon rapport qui est co mplètement c hâtré »

C e n'est sans doute pa s la pr emièrefois qu'un pro jet de recommandation et de directive sub it d'importantes altératio ns au C onseil de l'Europe. En revanche, l'ampl eur des m odification s de dé nominations du gr OU pl' humain co ncern

éet de son

terri toire n ous pOU&>I'

à

penser qu'il s'agi t là d'une bata ille de Illob sa ns précédent. Si on avait pu di spo ser du texte des am en- demen ts, il aura il été possible de relev er les m otivations et les points de vu e divergents

il

l'origine des changements dénominatifs. Quoi qu 'il en soit,

lesm

odifications opé

rées

dans les documents ne sont paspasséesin aperçues:

le rapporteur

a pr otesté, tandis que les m éd ia o nt mis en cause la volonté du C onseil de l'Europe de trouver un e so lution aux problème s des réf ugiés kurdes et

à

l a qu estion kurde,

«

J e Ile reconllais plus mon rapport qui est c onipl ètemetü châtré. Il ne contienJ plus r ie n dom le s réfugiés

pourra~m

ser éjouir, Le C onseil de l'Europe a

maturé

unef oisdeplus q u'il é taitpusillanime e t qu'il ne prenait pas a u sérieux s a tâchequ i est d'a ider les victimes des violations des droits d e l'Homme" : c'es t dan s ces termes que le rapporteu

r Ruth-G

aby V ermot-Mongold, dans un e conférence de presse tenue après

le vote",

s'es t indignée des modifi cations opérées dans son rapport par l'Assemblée parlementaire du C onseil de l'Eur ope,

D ans une dépêche intitulée .

Kurdes:

Strasbourg r enOllce

à

u ne

confërence

intemati.ona -

le "

datée

du 25 juin t998, l'agence de presse Reuter s a souligné la disparition d'une

importante proposition durapporteur. La dépêche pr é cise que les modifi cations de d én o-

(13)

7.Dépêt:hed'AFP,dujeudi 2sjuin1998.

La guerre des mots ...

43 •

m ination opérées dans le projet de recommandation et dc direc- tive ont résulté d

'un

m archandage entre la délégation turq ue et les groupes dc la droite

parlem

entaire. Le s principaux am ende- m ents modifi ant la déno mi nation des Ku

rdes

et de leur territoi- re.

ainsi

que ce rtaines propositions du l'apporteur, ont

été,

d'après

Reuters,

pré

sentés

par les parlem

entaires

Walter Schwimmer (Autriche, gr oupe PPE, démocrate-chrétien), D avid

A

tkinson (Grande-Bre

tagne,

g ro

upe GDE,

cons ervateur ) et Lord

R

ussel- Jo hnston (Grande-B retagne, groupe

LOR, libéral).

Une dépêche de l'AFp, intitulée

«

Le C onseil de l'Europe t buche

SUI'

le problème kurde " (25 juin

1998)

notait qu e

«

l'Assemblée parlementaire, coupée endeux, droite contre gauche, a adopté une r ecornmarulation vidée de sa

substance,

sur la base d'un compro - m

is

de ladroite el de la dé légation turque [...] Les parlemeniaues n'onl, cette fois enc ore, pas o mëcotueraer

Ia

T urquieet o nt sabr é les troispoints les pl us irnport<tnts de la recommandation :le terme

"kurde"et lescriuques contre les forces arm ées ont été gommés

IjlUlSimenl purtoul, lu proposition d'organiser une conférence p ur -

lemenuure

interruuionale su r les Kurdes a é té biff ée ainsi que la proposition de c essez-le-jeujau» parle P KK. dans ftne lettre udres sée

àtous

les pa rlementaires des "40"

».

5 . A mbig uïtés linguistiques ct p olitiques du Con seil d e l'Europ e

M

algré l'opposition affichée par la gauche aux am endement s

pm-

posés par la droite par lementaire, ceux-ci ontdonc été finalem ent

adoptés. Si les décisions du Conseil des Ministres du Conseil de

l'Europe requirentl'u

nanimité,

celles de l'Assembléeparlementai-

re

néces

sitent

une

majorité des deux tiers des re présenta nts des

Et ats. Ilapparaît ai nsi que c'e s t la responsabilit

é

et l e prestige du

Conseil de l'Europ

e

Jans so

n

ensemble 'lui sont engagés sur

la

question

kurde.

Le s modifications qui ont

été opéréessur le

projet

de recommandation et de directive reviennent

à

dén aturer la réa-

(14)

• 44 •

Etudeskurdes -N°1- FI':I"""2000

lité kurde elàmodifierlesmodalitésdepositiondela questionkurde.

La

plupartdesmesures favorablesaux Kurdespréconiséesparlerapporteurontdanslafoulée été éliminées.

Comme onl'a vu,leConseil del'Europea pratiquéune stratégie consistantàéviter de nom- merleschosesparleurnom.

Il

estrestédanslenon-dit, dansle brouillageet dansle flou.

Ledire autrement qu'il aadopté s'estcertestraduit par des occurrences duterme«kurde", mais, à chaquefois,lesKurdesontétéréduitsethniquementetleurpaysasubiune impor- tante limitationterritoriale.

Sans doute,le Conseildel'Europe reconnaît-ill'existencedesKurdes.CeUereconnaissan- cene signifie toutefoispas queles Kurdessontconsidéréscomme unpeuple à part entière, leConseilmontre seslimitesdèslorsqu'ils'agitdes'attaque rau cœurduproblème kurdeet d'essayerdeluitrouverune solution.

La

suppressionetleremplacement destermesembar- rassants montre l'importancede l'inf1ue ncepolitique turqueau Conseil. Lapolitique de dénégation ethniquepratiquéeen Turquieà l'égarddesKurdes atrouvé dansl'institution euro péennedes défenseurs, qui refusentd'assumerleursresponsabi litéslorsqu'ils'agitde lapromotiondes droits de l'homme et deladémocratieet dela préve ntiondes conflits.

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