CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Double sténose gastrique et duodénale révélant une maladie de Crohn (à propos d ’ un cas)
Gastric and duodenal stenosis revealing Crohn’s disease (about one case)
I. Sadeq · W. Hliwa · T. Kharrasse · R. Alaoui
© Springer-Verlag France 2012
RésuméL’atteinte gastroduodénale au cours de la maladie de Crohn (MC) est rare. Nous rapportons un cas exceptionnel d’une double sténose gastrique et duodénale ayant révélée une maladie de Crohn et nous définissons ses caractéristiques épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutives.
Observation : patiente de 25 ans, suivie depuis 2004 pour diarrhée chronique, avait été traitée à tort pour tuberculose intestinale sans amélioration clinique. Nous avions évoqué postérieurement le diagnostic de la maladie de Crohn gastro- intestinale sur des arguments ci-dessous.
Cliniques : présence de vomissements alimentaires post prandiaux, d’une sensation de plénitude gastrique, de deux épisodes d’hématémèses de faible abondance et des épigas- tralgies.
Endoscopique et histologique : une fibroscopieœsogastro- duodénale avait montré une gastrite érythémateuse, une sté- nose médiogastrique dont les pourtours étaient inflammatoires saignants facilement au contact. Une muqueuse duodénale micronodulaire érosive par endroit. La biopsie gastrique révé- lait une granulomatose tuberculoïde non nécrosante. Une colonoscopie était normale. La biopsie colique avait retrouvé une granulomatose tuberculoïde non nécrosante.
Radiologique : le transit oesogastro-duodénale retrouvait un estomac de stase et une sténose courte, régulière et cons- tante au niveau antral. Le transit du grêle montrait un aspect tubulé, rigide, sténosé de la dernière portion duodénale.
La patiente avait été traitée par corticothérapie, immuno- suppresseurs et inhibiteurs de la pompe à protons avec une bonne évolution clinique et biologique.
Mots clésMaladie de Crohn . Sténose . Maladie de Crohn gastroduodénale . Granulomatoses gastriques
AbstractGastric and duodenal in Crohn’s disease is rare.
We report an exceptional case of double gastric and duode-
nal stenosis revealing a Crohn’s disease, we define its epide- miological, clinical, therapeutic and evolutive caracteristics.
Case report: patient, 25 years old, followed since 2004 for chronic diarrhea, was wrongly treated for intestinal tubercu- losis without clinical improvement, Crohn’s disease was diagnosed on the following arguments.
Clinical: presence of postprandial food vomiting, a fee- ling of fullness, two episodes of of low abundance hemate- mesis and epigastric pain.
Endoscopic and histological: an œsogastroduodénale endoscopy showed erythematous gastritis, gastric stenosis, micronodular duodenal mucosa. Gastric biopsy revealed noncaseating granulomas. Colonoscopy was normal. Colonic biopsy found a noncaseating granulomas. Radiology: The upper gastrointestinal transit found a gastric and duodenal stasis and short, regular antral stenosis. The SBFT showed a duodenal stenosis. The patient was treated with corticoste- roids, immunosuppressive drugs and proton pump inhibitor with a good clinical and biological evolution.
Keywords Crohn’s disease . Stenosis . Gastroduodenal Crohn’s disease . Gastric granulomatous diseases
Introduction
La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique qui atteint préférentiellement le côlon et l’iléon mais peut se localiser à tous les segments du tube digestif.
L’atteinte gastroduodénale est rare. Elle est retrouvée dans 0,5 à 4% des patients atteints de la maladie de Crohn [1,2].
Les lésions digestives proximales peuvent être découvertes lors d’une endoscopie digestive haute effectuée chez des malades non sélectionnés ou ayant une localisation distale de la maladie de Crohn [3]. Ces lésions sont de différents types. Elles peuvent être sous forme d’œdème, érythème, ulcération. Les sténoses sont rares. Nous rapportons un cas de double sténose gastrique et duodénale d’origine croh- nienne ayant révélé une maladie de Crohn.
I. Sadeq (*) · W. Hliwa · T. Kharrasse · R. Alaoui Service d’hépato-gastroentérologie,
CHU Ibn rochd, Casablanca, Maroc e-mail : imane.sadeq@gmail.com
J. Afr. Hépatol. Gastroentérol. (2012) 6:324-327 DOI 10.1007/s12157-012-0411-6
Observation
Il s’agissait de Mme AR., âgée de 25 ans, hospitalisée en 2004 pour diarrhée chronique pour laquelle le diagnostic de tuberculose intestinale probable était posé. La patiente était mise sous antibacillaires mais sans amélioration.
Le début de la symptomatologie remontait à juin 2004 par l’installation de vomissements alimentaires postprandiaux, une sensation de plénitude gastrique, deux épisodes d’héma- témèse de faible abondance et des épigastralgies, avec des douleurs thoraciques gauches, une dyspnée, des palpitations, et un amaigrissement.
A l’examen on trouvait une patiente apyrétique, graba- taire, dénutrie (IMC : 14 kg/m2) avec une pâleur cutanéo- muqueuse. Le reste de l’examen était sans particularité. Un bilan biologique révèlait un syndrome de malabsorption (hypoalbuminémie à 13 g/l, hypocholestérolémie totale à 1,33 g/l, hypoglycémie à 0,46 g/l, hypocalcémie 68 mg/l, anémie avec une hémoglobine à 9,5 g/dl).
L’endoscopie oeso-gastro-duodénale objectivait une gas- trite érythémateuse, une sténose médiogastrique dont les pourtours étaient inflammatoires saignant facilement au contact (Fig. 1), une muqueuse duodénale micronodulaire érosive par endroit. Les résultats histologiques des biopsies gastriques et duodénales effectuées faisaient évoquer le diag- nostic de granulomatose car elles trouvaient des granulomes épithélio-giganto-cellulaires sans nécrose caséeuse.
La coloscopie ne montrait pas de lésions macroscopiques mais elle retrouvait les mêmes éléments histologiques lors des biopsies coliques.
Le transit oeso-gastro-duodénal montrait un estomac de stase et une sténose courte, régulière et constante au niveau antral (Fig. 2). Le transit du grêle montrait un aspect tubulé, rigide, sténosé de la dernière portion duodénale (Fig. 3).
Le diagnostic de la maladie de Crohn était retenu devant la présence histologique de granulomes épithélio-giganto-celul-
Fig. 1 Sténose antrale à la fibroscopie oeso-gastro-duodénale
Fig. 2 TOGD : un estomac de stase et une sténose courte, régu- lière et constante au niveau antral
Fig. 3 Le transit du grêle montre un aspect tubulé, rigide, sténosé de la dernière portion duodénale
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laires sans nécrose caséeuse, la non-réponse aux traitements antibacillaires et l’absence d’arguments en faveur d’une autres granulomatoses notamment un bilan de sarcoïdose réalisé était négatif : une TDM thoraco-abdominale qui ne retrouvait pas d’anomalie du parenchyme pulmonaire, une consultation ophtalmologique normale, la biopsie des fosses nasales et glandes salivaires sans spécificité, une anergie tuberculinique, des enzymes de conversion de l’angiotensine normaux, une hypocalcémie, une phosphorémie normale, une hypocalciurie, et une hypophosphaturie. Ainsi, qu’un bilan de VIH et de syphilis négatif.
La patiente recevait un traitement d’attaque à base de corticoïdes à la dose de 1 mg/kg/j pendant 1 mois, associé à des inhibiteurs de la pompe à protons à la dose de 20 mg/j et un traitement d’entretien à base de purinéthol à la dose de 1,5 mg/kg /j avec une bonne évolution clinique, biologique.
Après un recul de 2 ans, la malade était asymptomatique, une fibroscopie oeso-gastro-duodénale de contrôle faite montrait une amélioration notable des lésions endoscopiques, sans image de sténose médiogastrique.
Discussion
La maladie de Crohn à localisation proximale symptoma- tique survient le plus souvent chez l’homme avec un sex- ratio de 2 [3,4]. L’âge de survenue la maladie de Crohn proximale est plus jeune que la maladie de Crohn distale.
Dans la série d’Andant, l’âge moyen des malades au moment du diagnostic est de 21,3 ans [3]. Elle se caractérise par une symptomatologie non spécifique et variée faite de dou- leurs épigastriques postprandiales, une perte de poids, une sensation de satiété précoce, une anorexie, des nausées, des vomissements chroniques et plus rarement des hématémèses ou méléna, une anémie, un malaise, un pyrosis [1,5]. Cette symptomatologie non spécifique peut être source de retard diagnostique comme ce fut le cas de notre patiente (retard diagnostique de 5 ans). L’endoscopie oeso-gastro-duodénale retrouve en général unœdème, un érythème, des érosions, des ulcérations (aphtoides, linéaire, serpigineuse), une sté- nose, des orifices fistuleux, des pseudo-diverticules [1].
Une révélation de la maladie de Crohn par une double sté- nose gastrique et duodénale est une situation exceptionnelle [5]. Les biopsies doivent être multiples, étagées et profondes réalisées sur la muqueuse normale et pathologique. L’histo- logie est le plus souvent non spécifique et retrouve un infiltrat polymorphe, une lésion de gastrite chronique active focale, parfois elle peut être plus évocatrice et objective un granulome épithélio-giganto-celullaire sans nécrose caséeuse (lésion transmurale) [1,6]. Quand la maladie de Crohn proximale est révélatrice, les arguments en faveur sont histologique avec un granulome au sein des zones inflammatoires, endoscopique devant la présence concomi-
tante d’une maladie de Crohn distale et surtout l’élimination des autres causes de granulomatoses notamment tubercu- lose, sarcoïdose, VIH et syphilis [5]. Le traitement est surtout médical et se fait par une corticothérapie à raison de 1 mg/kg/j qui représente le traitement d’attaque suivie d’un traitement d’entretien fait par la 6-mercaptopurine (1 à 1,5 mg/kg/j) ou l’azathioprine (2 à 2,5 mg/kg/j) [1].
Devant des lésions ulcéreuses, il est recommandé d’asso- cier un traitement par des inhibiteurs de la pompe à protons et d’éradiquer une infection àHélicobacter pyloriassociée [1,7]. Les dérivés salicylés n’ont pas d’effet bénéfique sur la maladie de Crohn gastro-intestinale et aggraveraient même ses symptômes [1,8]. Quant à l’infliximab (anti TNF α), quelques cas de sténoses duodénales crohniennes traités par infliximab ont été publiés dans la littérature et semblent bien répondre au traitement [9-11].
La dilatation par ballonnet hydrostatique représente le traitement endoscopique des sténoses pyloriques ou duodéna- les courtes (< 2 cm) mais il y a un risque de récidive ou de per- foration [1,6,7]. La chirurgie est indiquée en cas de non- réponse aux traitements médicaux et endoscopiques, d’hémor- ragies incoercibles, de sténose gastrique résistante aux traite- ments médical et endoscopique, de fistules ou d’abcès [1,7].
Ceci concerne un tiers des patients ayant une maladie de Crohn gastro-intestinale [10]. La dérivation interne et la struc- turoplastie sont préférées aux résections telles que la duodé- nopancréatéctomie céphalique ou l’antréctomie [1,6,12].
L’évolution spontanée de la maladie de Crohn proximale se fait le plus souvent vers des complications précoces et sévères faites de sténoses gastriques ou duodénales, de fistu- les (gastro-colique, gastro-iléale, gastro-splénique, duodéno- biliaire, duodéno-pancreatique), de perforation et d’hémor- ragies digestives foudroyantes, de pancréatite (due aux reflux du contenu duodénal aux pancréas lors d’une sténose duodénale), rarement de dégénérescence maligne [1,7].
Cependant, dans notre observation un traitement par cortico- thérapie, inhibiteurs de la pompe à protons et purinéthol a permis une bonne évolution clinique, biologique, et endo- scopique avec un recul de 2 ans sans recours à la chirurgie.
Conclusion
La sténose crohnienne est une présentation inhabituelle de la maladie de Crohn proximale. Le diagnostic n’est pas tou- jours facile. L’évolution est sévère. Le traitement peut être médical, endoscopique et chirurgical.
Références
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