Modules sur les anneaux principaux
Avertissement
Dans cette partie du cours, le mot anneau signifiera, sauf mention expresse du contraire, anneau commutatif unitaire.
0. G´en´eralit´es sur les modules (informel)
La notion de module est aux anneaux ce que la notion d’espace vectoriel est aux corps.
Soit Aun anneau. On appellemodulesurA, ouA-module, un groupe ab´elien M, dont la loi est not´ee habituellement + et l’´el´ement neutre 0, muni d’une application de A×M dans M (appel´ee application de structure, ou action de A surM) not´ee (a, x)7→ax (ou a·x) telle que l’on a :
- a(x+y) = ax+ay - (a+b)x=ax+bx - a(bx) = (ab)x - 1x=x
pour tous a, b dans A et x,y dans M.
(On rappelle que dans le contexte des groupes les mots “ab´elien” et “com- mutatif” sont synonymes ; le mot “ab´elien” est plutˆot utilis´e quand la loi est not´ee additivement et le mot “commutatif” quand la loi est not´ee multipli- cativement.)
Exemple 0.1. Les notions de groupe ab´elien et de Z-module co¨ıncident. En effet, soit M un groupe ab´elien dont la loi est not´ee + , on d´efinit une application de Z× M dans M qui v´erifie les axiomes ci-dessus en posant nx =x+x+· · ·+x, n termes, pour n ≥0 et nx=−(−n) xpour n <0.
Soient M et N deux A-modules. On appelle homomorphisme de A-modules une application f deM dans N telle que l’on a :
- f(x+y) =f(x) +f(y) - f(ax) = af(x)
pour tous a dans A et x, y dans M. (Un homomorphisme deA-modules est donc en particulier un homomorphisme de groupes ab´eliens.) On dit aussi qu’une telle application est A-lin´eaire.
SoitM unA-module. On appellesous-module(ou sous-A-module) une partie M0 de M qui v´erifie les propri´et´es suivantes :
- M0 est un sous-groupe du groupe ab´elien M;
- si x appartient `aM0 alors ax appartient `aM0 pour tout a dans A.
Un sous-A-module muni des “lois” induites par celles duA-module est encore un A-module d’o`u le nom.
Exemples
- Un anneauA est de fa¸con ´evidente un module sur lui-mˆeme. Un id´eal n’est rien d’autre qu’un sous-A-module de A.
- Le noyau et l’image d’un homomorphisme de A-modules f : M →N sont respectivement des sous-modules de M etN.
- Soient A un anneau et M un module sur A. Soit E une partie deM. La partie de M constitu´ee des ´el´ements de la forme a1x1 +a2x2 +· · ·+anxn, a1, a2,· · · , an d´esignant des ´el´ements de A et x1, x2,· · · , xn des ´el´ements de E, est un sous-module ; on l’appelle le sous-module engendr´e parE. C’est le plus petit sous-module de M contenant E. S’il co¨ıncide avec M on dit bien sˆur que M est engendr´e par E.
SoientM unA-module etM0un sous-module. On consid`ere le groupe ab´elien quotient M/M0. On constate que l’action de A sur M induit une action de A surM/M0 qui fait de M/M0 unA-module ; cetA-module s’appelle encore le quotient de M par M0.
Exemple. Soit A un anneau et I un id´eal de A alors l’anneau quotient A/I est naturellememt un A-module.
Suites exactes de modules
Soient f : M0 → M et g : M → M00 deux homomorphismes de A-modules, on dit que la suite (de A-modules et d’homomorphismes de A-modules) 0 → M0→f M→g M00 → 0 (0 d´esigne ici le A-module trivial) est exacte si les trois propri´et´es suivantes sont v´erifi´ees :
- le noyau de g est ´egal `a l’image de f;
- f est injectif (en d’autres termes le noyau de f est ´egal `a l’image de l’ho- momorphisme trivial 0→M!) ;
- g est surjectif (en d’autres termes le noyau de l’homomorphisme trivial M00→0 est ´egal `a l’image de g!).
Dans ces conditions g induit un isomorphisme M/f(M0)∼=M00.
Exemple. Soientf :Z→Zl’applicationn7→2n etg :Z→Z/2 la surjection canonique ; 0 → Z→f Z→g Z/2 → 0 est une suite exacte de Z-modules (et d’homomorphismes de Z-modules).
Modules d’homomorphismes
Soient M et N deux A-modules. On note HomA(M, N) l’ensemble des ho- momorphismes de A-modules de M dans N. Soient f et g deux de ces homomorphismes, on note f +g l’homomorphisme M → N, x 7→ f(x) + g(x) ; HomA(M, N) muni de la loi (f, g) 7→ f + g est un groupe ab´elien (l’´el´ement neutre est l’homomorphisme nul). Soitaun ´el´ement deA, on note af l’application M → N, x 7→ af(x) ; c’est encore un homomorphisme de A-modules (parce queAest commutatif). L’applicationA×HomA(M, N)→ HomA(M, N),(a, f)7→af fait du groupe ab´elien HomA(M, N) unA-module.
Produits et sommes de modules
Soit (Mi)i∈I une famille de A-modules. (L’ensemble d’indices I sera par la suite pratiquement toujours fini.)
On consid`ere le groupe ab´elien produitQi∈IMi. On constate que l’action de A sur chacun des Mi induit une action deA surQi∈IMi qui fait de Qi∈IMi unA-module ; cetA-module s’appelle encore leproduit de la famille (Mi)i∈I. Soit M un A-module, dans le cas particulier o`u l’on a Mi =M pour tout i, le produit Qi∈IMi est ´evidemment not´e MI.
Les projections Qi∈IMi → Mi sont not´ees ci-dessous πi; ce sont des homo- morphismes de A-modules.
Proposition 0.2. Soit (Mi)i∈I une famille de A-modules. Alors, pour tout A-module N, l’application
HomA(N,Y
i∈I
Mi)→Y
i∈I
HomA(N, Mi) , f 7→(πi◦f)i∈I est un isomorphisme de A-modules.
On consid`ere maintenant le groupe ab´elien sommeLi∈IMi. On rappelle que
L
i∈IMi est le sous-groupe de Qi∈IMi form´e des ´el´ements (xi)i∈I “`a support fini” (c’est-`a-dire v´erifiant xi = 0 pour i en dehors d’un sous-ensemble fini de I). On constate queLi∈IMi est un sous-A-module de Qi∈IMi; Li∈IMi, muni de la structure de A-module induite, s’appelle encore la somme de la famille (Mi)i∈I. (On observera que si l’ensembleIest fini alors on aLi∈IMi =
Q
i∈IMi.)
Soit M un A-module, dans le cas particulier o`u l’on a Mi = M pour tout i la somme Li∈IMi est not´eM(I).
Soit i un ´el´ement de I. Soit x un ´el´ement de Mi, on note ci-dessous ιi(x) l’´el´ement de Li∈IMi dont la composante d’indice i est x et dont toutes les autres composantes sont nulles ; l’applicationιi :Mi →Li∈IMi ainsi d´efinie est un homomorphisme de A-modules.
Proposition 0.3. Soit (Mi)i∈I une famille de A-modules. Alors, pour tout A-module N, l’application
HomA(M
i∈I
Mi, N)→Y
i∈I
HomA(Mi, N) , f 7→(f◦ιi)i∈I
est isomorphisme de A-modules.
Modules libres
Tout espace vectoriel sur un corps K est isomorphe `a K(I) pour un certain ensemble I. L’analogue est faux pour les A-modules.
Proposition-D´efinition 0.4.SoitM unA-module. Les conditions suivantes sont ´equivalentes :
(i) Il existe une famille (ei)i∈I d’´el´ements de M telle que tout ´el´ement x de M s’´ecrive de fa¸con uniquePi∈Ixiei, xi d´esignant des ´el´ements de A avec xi = 0 pour i en dehors d’un sous-ensemble fini de I.
(ii) Il existe un ensembleI et un isomorphisme deA-modules deA(I) surM. Si ces conditions sont v´erifi´ees, on dit que le A-module M est libre et que la famille (ei)i∈I ou le sous-ensemble {ei;i∈I} est une base de M.
(La condition d’unicit´e qui apparaˆıt dans (i) implique en particulier que l’application I →M , i7→ ei est injective et induit donc une bijection de I sur {ei;i∈I}.)
Exemples. LesZ-modules Z/n (n≥1) et Q ne sont pas libres.
Modules de type fini
On dit qu’un A-module M est de type fini s’il est engendr´e par une partie finie.
Exemples. LeZ-module Z/n est de type fini le Z-module Q ne l’est pas.
Proposition 0.5. Soit M un A-module. Les conditions suivantes sont ´equi- valentes :
(i) M est de type fini ;
(ii) il existe un ensemble fini I et un homomorphisme de A-modules surjectif de AI sur M.
Proposition 0.6. SoitA un anneau non nul. SoitI un ensemble. Les condi- tions suivantes sont ´equivalentes :
(i) le A-module A(I) est de type fini ; (ii) l’ensemble I est fini.
La proposition suivante est un peu moins ´evidente que les pr´ec´edentes : Proposition 0.7. Soit A un anneau non nul ; soient I et J deux ensembles finis. Si les A-modules AI et AJ sont isomorphes alors les ensembles I et J ont mˆeme cardinal.
Premi`ere d´emonstration (avec axiome du choix). Soit m un id´eal maximal de A (un tel id´eal existe parce que A est non nul, c’est l`a qu’intervient l’axiome du choix). Soit M un A-module, on note mM le sous-module de M constitu´e des ´el´ements de la forme ax avec a dans m et x dans M; l’application de structure A ×M/mM → M/mM induit une application A/m× M/mM qui fait de M/mM un A/m-espace vectoriel. On constate qu’un isomorphisme de A-modulesM ∼=N induit un isomorphisme de A/m- espaces vectoriels M/mM ∼= N/mN. On constate ´egalement que l’on a des isomorphismes canoniques de A/m-espaces vectoriels AI/(mAI) ∼= (A/m)I et AJ/(mAJ) ∼= (A/m)J. On conclut `a l’aide de la th´eorie de la dimension pour les espaces vectoriels : si les A-modulesAI etAJ sont isomorphes alors il en est de mˆeme pour les A/m-espaces vectoriels (A/m)I et (A/m)I et les
ensembles I etJ ont mˆeme cardinal.
Seconde d´emonstration (sans axiome du choix). Elle r´esulte des deux obser- vations suivantes :
– Soitn≥1 un entier, alors il existe sur leA-moduleAn une formen-lin´eaire altern´ee qui prend la valeur 1 (et qui est donc non nulle si l’anneau A est non nul), `a savoir l’application
((a11, a2,1, . . . , an,1),(a12, a2,2, . . . , an,2), . . . ,(a1n, a2,n, . . . , an,n))7→d´et [aij] , la notation d´et [aij] d´esignant le d´eterminant de la matrice [aij] dont la d´efinition est rappel´ee dans la d´emonstration de la proposition 0.10.
– Soient m et n deux entiers naturels avec m < n, alors toute application n-lin´eaire altern´ee sur Am est nulle.
Les deux propositions pr´ec´edentes permettent de d´efinir la dimension d’un module libre de type fini sur un anneau non nul :
Proposition-D´efinition 0.8. Soit A un anneau non nul. Soit M un A-module libre de type fini. Alors toutes les bases de M sont finies et ont mˆeme cardinal. Ce cardinal s’appelle la dimension de M.
Proposition 0.9. Soit A un anneau non nul. Soient n ≥0 un entier et M un A-module. Les conditions suivantes sont ´equivalentes :
(i) M est libre de dimension n; (ii) M est isomorphe `a An.
Proposition-D´efinition 0.10. Soit A un anneau non nul. Soit L un A-module libre de dimension n. Soient (e1, e2, . . . , en) une base de L et (e01, e02, . . . , e0n) un n-uple d’´el´ements de L; soit P la matrice carr´ee d’ordre n `a coefficients dans A dont la j-i`eme colonne, 1 ≤ j ≤ n, est form´ee des coordonn´ees dee0j dans la base (e1, e2, . . . , en). Les conditions suivantes sont
´
equivalentes :
(i) le n-uple (e01, e02, . . . , e0n) est une base de L;
(ii) la matrice P est inversible (c’est-`a-dire, il existe une matrice Q carr´ee d’ordre n `a coefficients dans A avec QP = In et P Q= In, In d´esignant la matrice “identit´e” d’ordre n) ;
(iii) le d´eterminant de P est un ´el´ement inversible de A.
Si ces conditions sont v´erifi´ees on dit que P est la matrice de passage de la base (e1, e2, . . . , en) `a la base (e01, e02, . . . , e0n).
D´emonstration de l’´equivalence (i) ⇐⇒ (ii). On commence par faire les observations suivantes :
- Soient L un A-module et n un entier. Alors un ´el´ement (e1, e2, . . . , en) de Ln s’identifie `a un homomorphisme du A-module An dans L, `a savoir l’homomorphisme
(x1, x2, . . . , xn)7→
n
X
i=1
xiei
(c’est une illustration de la proposition 0.3). De plus L est un A-module libre de base (e1, e2, . . . , en) si et seulement si cet homomorphisme est un isomorphisme (c’est une variante de la proposition 0.4).
- En particulier une matrice [aij] (i est l’indice de la ligne et j celui de la colonne) carr´ee d’ordre n `a coefficients dans A (que l’on peut voir comme un ´el´ement de (An)n) s’identifie `a un homomorphisme du A-moduleAn dans lui-mˆeme, `a savoir l’homomorphisme
(x1, x2, . . . , xn)7→(
n
X
j=1
a1jxj ,
n
X
j=1
a2jxj , . . . ,
n
X
j=1
aijxj , . . . ,
n
X
j=1
anjxj ) .
Soit Mn(A) l’ensemble des matrices carr´ees d’ordre n `a coefficients dans A, la bijection de Mn(A) dans HomA(An, An) ainsi d´efinie, disons ι, v´erifie les propri´et´es suivantes :
- ι(P +Q) = ι(P) +ι(Q) pour tous P etQ dans Mn(A) ; - ι(aP) =a ι(P) pour tout a dans A et toutP dans Mn(A) ; - ι(P Q) =ι(P)◦ι(Q) pour tous P et Q dans Mn(A) ; - ι(In) = IdAn, IdAn d´esignant l’identit´e de An.
En d’autres termes, Mn(A) s’identifie `a HomA(An, An) comme A-alg`ebre.
Avec les identifications ci-dessus l’´equivalence des conditions (i) et (ii) devient un avatar de l’´equivalence des deux conditions suivantes :
(i-bis) (e01, e02, . . . , e0n) est un isomorphisme ;
(ii-bis) (e01, e02, . . . , e0n)◦(e1, e2, . . . , en)−1 est un isomorphisme.
D´emonstration de l’´equivalence (ii) ⇐⇒ (iii). On note d´et : Mn(A) → A l’application qui associe `a une matrice carr´ee d’ordren `a coefficients dans A son d´eterminant. Comme dans le cas o`uA est un corps, on a
d´et [aij] = X
σ∈Sn
(σ)
n
Y
j=1
aσ(j),j ,
Snd´esignant l’ensemble des permutations de{1,2, . . . , n}et(σ) la signature d’une permutation σ.
Comme dans le cas o`u A est un corps, l’application d´et v´erifie d´et(P Q) = d´etP d´etQ
pour tousP etQdans Mn(A). Cette formule montre que siP est un ´el´ement inversible de Mn(A) alors d´etP est un ´el´ement inversible de A.
Comme dans le cas o`uAest un corps on peut introduire la comatrice, disons comP, d’une matrice P carr´ee d’ordre n `a coefficients dans A (la comatrice est la transpos´ee de la matrice des “cofacteurs”). On a encore :
(comP)P = (d´etP) In ; P (comP) = (d´etP) In .
Ces formules montrent que si d´etP est un ´el´ement inversible de A alors P
est un ´el´ement inversible de Mn(A).
Sous-modules suppl´ementaires
Soit M un A-module. Soient M0 et M00 deux sous-modules. On dit que M0 et M00 sont en somme directe, ou que M0 et M00 sont suppl´ementaires, ou encore que M0 est un suppl´ementaire deM00 si l’homomorphisme canonique de A-modules, M0⊕M00 → M , (x0, x00) 7→ x0 +x00, est un isomorphisme ; on ´ecrit alorsM =M0⊕M00. L’image de cet homomorphisme, c’est-`a-dire le sous-module de M des ´el´ements de la forme x0 +x00 avec x0 dans M0 et x00 dansM00, est not´eeM0+M00; son noyau (qui est un sous-module deM0⊕M00) est isomorphe (comme A-module) au sous-module M0TM00 deM. On peut synth´etiser la discussion pr´ec´edente de la fa¸con suivante :
Soient M un A-module et M0 et M00 deux sous-modules, alors la suite de A-modules et d’homomorphismes de A-modules
0→M0\M00→M →M0+M00→0 ,
dans laquelle la deuxi`eme et la troisi`eme fl`eche sont respectivement les ho- momorphismes x7→(−x, x) et (x0, x00)7→x0+x00, est exacte.
En conclusion, comme dans le cas des espaces vectoriels, M0 et M00 sont en somme directe si et seulement si l’on a M0 +M00 =M et M0TM00 ={0}.
Cependant, contrairement `a ce qui se passe dans le cas des espaces vectoriels, il est faux que tout sous-module admette un suppl´ementaire.
Proposition 0.11. Soient M un A-module et M0 un sous-module ; soient respectivement ι : M0 → M et π : M → M/M0 l’injection et la surjection canoniques. Les conditions suivantes sont ´equivalentes :
(i) Le sous-module M0 admet un suppl´ementaire.
(ii) Il existe un homomorphisme de A-modules σ : M/M0 → M tel que le compos´e π◦σ est l’identit´e de M/M0.
(iii) Il existe un homomorphisme de A-modules ρ : M → M0 tel que le compos´e ρ◦ι est l’identit´e de M0.
Exemples
On prend A=Z.
On prend M = Z/6. On consid`ere les deux sous-modules M0 et M00 form´es respectivement des ´el´ements x v´erifiant 2x = 0 et 3x = 0 ; ces deux sous- modules sont en somme directe. (On observe que l’on a M0 ∼=Z/2 et M00 ∼= Z/3 si bien que l’on obtient Z/6∼=Z/2⊕Z/3.)
On prend M =Zet M0 = 2Z(le sous-module de Z form´e des entiers pairs) ; M0 = 2Z n’admet pas de suppl´ementaire.
On prend M =Z/4. On consid`ere le sous-module M0 form´e des ´el´ements x v´erifiant 2x= 0 (M0 est donc isomorphe `a Z/2) ; `a nouveau ce sous-module n’admet pas de suppl´ementaire.
Modules de torsion
Soit E un espace vectoriel sur un corps K, alors “λx= 0”, avec λdans K et xdansE, implique “λ= 0 oux= 0”. Ceci n’est plus vrai quand on consid`ere des modules sur un anneau qui n’est pas un corps.
Proposition-D´efinition 0.12. Soit M un A-module. Un ´el´ement x de M est dit de torsion s’il existe a 6= 0 dans A tel que l’on a ax = 0. On dit que M est de torsion si tous ses ´el´ements sont de torsion ; on dit que M est sans torsion si son seul ´el´ement de torsion est0. SiAest int`egre, le sous-ensemble de M form´e des ´el´ements de torsion est un sous-module, appel´e sous-module de torsion de M (ou mˆeme torsion de M).
Exemple. Les Z-modules Z/n (n≥1) et Q/Zsont de torsion.
Lemme 0.13.SoitM un module sur un anneau int`egre ; soitT(M)son sous- module de torsion. Alors le A-module quotient M/T(M) est sans torsion.
Lemme 0.14. Soit M un module de type fini de torsion sur un anneau int`egre A, alors il existe a6= 0 dans Atel que l’on a ax= 0 pour toutx dans M.
Exercice 0.15. Montrer que le Z-module Q/Z n’est pas de type fini.
La proposition suivante prolonge l’exemple 0.1.
Proposition 0.16. Soit M un groupe ab´elien. Les conditions suivantes sont
´
equivalentes : (i) M est fini ;
(ii) M est de type fini et de torsion comme Z-module.
A-modules munis d’un endomorphisme et A[X]-modules On se convainc ci-dessous de ce que les notions suivantes co¨ıncident :
- la notion de A-module muni d’un endomorphisme ; - la notion de A[X]-module.
1) Soient M un A-module et u un endomorphisme de M, c’est-`a-dire un homomorphisme de A-modulesM →M.
Soit P =a0 +a1X+· · ·+anXn un polynˆome de A[X], on note P(u) l’en- domomorphisme a0Id +a1u+· · ·+anun deM, Id d´esignant l’identit´e de M (qui est bien sˆur un endomorphisme de A-modules).
L’application A[X]×M → M,(P, m) 7→ P(u)(m) fait de M (plus pr´eci- s´ement, du groupe ab´elien sous-jacent auA-moduleM) unA[X]-module. En d’autres termes, on munit M d’une structure deA[X]-module en posant :
P.m=P(u)(m).
On observera que si l’on consid`ere A comme un sous-anneau de A[X] alors cette structure de A[X]-module prolonge celle de A-module.
2) Soit M unA[X]-module.
CommeAest un sous-anneau deA[X],M est aussi unA-module et l’applica- tion
u:M →M , m7→X.m est un endomorphisme du A-moduleM.
3.1) Soient M un A-module et u un endomorphisme de M. On consate que l’endomorphisme (de A-modules) de M associ´e, par le proc´ed´e du 2), `a la structure de A[X]-module d´efinie en 1), est u.
3.2) Soit M unA[X]-module. On constate que la structure de A[X]-module associ´ee, par le proc´ed´e du 1), `a l’endomorphisme (deA-modules) deM d´efini en 2), est la structure initiale.
Dictionnaire
Soient M etN deuxA-modules ; soient u un endomorphisme de M etv un endomorphisme de N. Une application A-lin´eaire f : M → N est A[X]- lin´eaire (pour les structures de A[X]-modules d´efinies pr´ec´edemment) si et
seulement si le diagramme suivant est commutatif : M −−−→f N
y
u
y
v
M −−−→f N .
Soient (M, u) comme ci-dessus. Un sous-A-module M0 de M est un sous- A[X]-module si et seulement si M0 est stable par u, c’est-`a-dire si l’on a u(M0) ⊂ M0; M0 a un suppl´ementaire en tant que sous-A[X]-module si et seulement si il a un suppl´ementaire M00 en tant que sous-A-module qui est aussi stable par u.
Nous utiliserons ce point de vue dans la suite quand A est un corps.
Proposition 0.17 Soient E un espace vectoriel sur un corps K et u un endomorphisme de E. Les conditions suivantes sont ´equivalentes :
(i) E est de dimension finie comme K-espace vectoriel ;
(ii) E est de type fini et de torsion comme K[X]-module (pour la structure d´efinie par u).
Cette proposition montre que les deux notions suivantes co¨ıncident :
- la notion de K-espace vectoriel de dimension finie muni d’un endomor- phisme ;
- la notion de K[X]-module de type fini et de torsion.
Pr´esentation canonique d’un A[X]-module
Cet intertitre renvoie `a la suite exacte de la proposition 0.18 ci-apr`es.
Soit M unA-module. On commence par introduire leA[X]-module, qui sera not´e M[X], dont les ´el´ements sont les “polynˆomes `a coefficients dans M” ; pour cela on copie simplement la d´efinition “formelle” des polynˆomes `a co- efficients dans un anneau.
On consid`ere le A-module M(N).
On munit cet A-module de la structure A[X]-module d´efinie par l’endomor- phisme
(m0, m1, . . . , mn,0,0, . . .)7→(0, m0, m1, . . . , mn,0,0, . . .) , endomorphisme que l’on note v.
On identifie ensuite leA-moduleM `a un sous-module duA-moduleM(N) via l’homomorphisme (injectif) de A-modulesm 7→(m,0,0, . . .) que l’on noteι.
Avec ces deux conventions, l’´egalit´e
(m0, m1, . . . , mn,0,0, . . .) =
n
X
k=0
vk(ι(mk)) s’´ecrit aussi
(m0, m1, . . . , mn,0,0, . . .) =
n
X
k=0
Xkmk .
Il est donc raisonnable de noterM[X] leA[X]-module (M(N), v). On constate que l’action de A[X] sur M[X] est simplement donn´ee par la formule
(X
i
aiXi)·(X
j
Xjmj) = X
k
Xk( X
i+j=k
aimj) .
On suppose `a pr´esent que le A-moduleM est muni d’un endomorphisme u.
On note encore u l’endomorphisme (de A[X]-module)
n
X
k=0
Xkmk 7→
n
X
k=0
Xku(mk) du A[X]-moduleM[X].
On introduit ´egalement l’application, de M[X] dansM,
n
X
k=0
Xkmk 7→
n
X
k=0
uk(mk),
uk d´esignant le k-i`eme it´er´e de u, application que l’on note ε. Il est clair qu’elle estA-lin´eaire. On v´erifie qu’elle est en faitA[X]-lin´eaire, si l’on munit le A-module M de la structure de A[X]-module d´efinie par u. (Ceci revient
`
a v´erifier que le diagramme
M(N) −−−→ε M
y
v
y
u
M(N) −−−→ε M est commutatif.)
Nous voici enfin arriv´es `a l’´enonc´e que nous avions en vue :
Proposition 0.18.SoitM un A-module muni d’un endomorphismeu; ou ce qui revient au mˆeme, soitM un A[X]-module. Alors la suite deA[X]-modules et d’homomorphismes de A[X]-modules
0 −−−→ M[X] −−−−→XId−u M[X] −−−→ε M −−−→ 0 est exacte.
(La notation Id d´esigne ci-dessus l’identit´e du A[X]-module M[X].)
D´emonstration.L’homomorphismeεest bien surjectif ; en effet, l’application compos´eeε◦ιest l’identit´e deM. On montre que l’homomorphismeXId−u est injectif par un argument de “degr´e” : un ´el´ement non nul deM[X] est de la forme Pnk=0Xkmk avec mn 6= 0 et l’on a
(XId−u)(
n
X
k=0
Xkmk) =Xn+1mn +
n
X
k=0
Xk(mk−1−u(mk))
(avec la convention m−1 = 0). Il reste `a montrer que l’image de XId−u est
´
egale au noyau deε: Im(XId−u) = Ker(ε). L’inclusion Im(XId−u)⊂Ker(ε) est cons´equence de l’´egalit´e ε◦(XId−u) = 0 (que le lecteur v´erifiera). On se convainc de l’inclusion Ker(ε)⊂Im(XId−u) en observant que l’on a
n
X
k=0
Xkmk =
n
X
k=1
(XkId−uk)(mk)
siPnk=0Xkmk appartient au noyau deεet que le second membre est toujours dans l’image de Im(XId−u) puisque l’on a
XkId−uk = (XId−u)◦ X
i+j=k−1
Xiuj .
A-modules annul´es par I et A/I-modules
Soit I un id´eal de A. Soit M unA-module ; on dit que M est annul´e par I, si l’on a ax= 0 pour toutadansI et toutxdansM. Dans ce cas l’action de A sur M induit une action de A/I sur M qui fait de M (plus pr´ecis´ement, du groupe ab´elien sous-jacent au A-moduleM) un A/I-module.
R´eciproquement, soit M un A/I-module ; M peut ˆetre consid´er´e comme un A-module via l’homomorphisme d’anneaux canonique A → A/I et cet A- module est annul´e par I.
Le lecteur se convaincra que ce qui pr´ec`ede montre que les deux notions suivantes co¨ıncident :
- la notion de A-module annul´es par I; - la notion de A/I-module.
Exemples
- La notion de groupe ab´elien annul´e par pco¨ıncide avec celle de Z/p-espace vectoriel.
- La notion de C-espace vectoriel co¨ıncide avec celle de R-espace vectoriel muni d’un endormorphisme u v´erifiant u2 = −Id (Id d´esignant l’identit´e du R-espace vectoriel en question).
1. D´ecomposition canonique d’un module de torsion sur un anneau principal
Soient A un anneau et I, J deux id´eaux de A; si I est contenu dans J on dispose d’un homomorphisme d’anneaux canonique A/I → A/J. En parti- culier, soient a1, a2, . . . , andes ´el´ements de Aet a=Qni=1ai leur produit ; on dispose alors d’homomorphismes d’anneaux A/a → A/ai et de l’homomor- phisme d’anneaux produit A/a → Qni=1A/ai (attention, le mot produit n’a pas ici le mˆeme sens que deux lignes plus haut !).
Th´eor`eme 1.1 (Th´eor`eme des restes chinois). Soit A un anneau principal.
Soient a1, a2, . . . , an des ´el´ements de A premiers entre eux deux `a deux ; soit a=Qni=1ai leur produit. Alors l’homomorphisme d’anneaux naturel :
A/a→
n
Y
i=1
A/ai
est un isomorphisme.
D´emonstration. On proc`ede par r´ecurrence sur n. On est ramen´e ainsi `a d´emontrer le th´eor`eme pour n = 2. Dans ce cas on consid`ere une “identit´e de Bezout” u1a1+u2a2 = 1. On pose e1 =u2a2, e2 =u1a1. On a :
- a1e1 ≡0 (mod a) et a2e2 ≡0 (mod a) ;
-e21 ≡e1 (mod a),e22 ≡e2 (mod a),e1e2 ≡0 (mod a),e1+e2 ≡1 (mod a) ; (On a en fait e1 +e2 = 1, la troisi`eme congruence est ´evidente, et les deux premi`eres congruences sont cons´equence des deux derni`eres.)
- e1 ≡1 (mod a1),e1 ≡0 (mod a2),e2 ≡0 (mod a1), e2 ≡1 (mod a2).
Les congruences ci-dessus montrent que l’application A×A→A, (x1, x2)7→
x1e1 +x2e2, induit un homomorphisme d’anneaux A/a1 ×A/a2 → A/a qui est inverse, `a droite et `a gauche, de l’homomorphisme canonique A/a →
A/a1 ×A/a2.
Corollaire 1.2. Il existe des ´el´ements ei de A, 1≤i≤n, bien d´etermin´es mod a, tels que l’on a :
n
X
i=1
ei ≡1 (mod a) , ei ≡δij (mod aj) , aiei ≡0 (mod a) .
(La notation δij ci-dessus d´esigne le symbole de Kronecker, valant 1 pour i=j et 0 pour i6=j.)
D´emonstration.Consid´erer les images r´eciproques par l’isomorphismeA/a∼=
Qn
i=1A/ai des ´el´ements de Qni=1A/ai dont l’une des composantes est un et
les autres z´ero.
Variante de la d´emonstration du th´eor`eme 1.1 et du corollaire 1.2
On pose bi = Qj6=iaj; les bj sont premiers entre eux dans leur ensemble.
D’apr`es Bezout il existe des ui tel que l’on a Pni=1uibi = 1. On prend alors ei =uibi ce qui permet de d´emontrer le th´eor`eme 1.1 et le corollaire 1.2 sans r´ecurrence.
Soient a un ´el´ement d’un anneau A et M un A-module ; on note M(a) le sous-module de M form´e des ´el´ements x v´erifiant ax= 0.
Proposition 1.3. Soit A un anneau principal. Soient a1, a2, . . . , an des ´el´e- ments de A premiers entre eux deux `a deux ; soit a = Qni=1ai leur produit.
Alors, pour tout A-module M, le sous-module M(a) est somme directe des sous-modules M(ai) :
M(a) =
n
M
i=1
M(ai) .
D´emonstration.On consid`ere les ´el´ementsei deAfournis par le corollaire 1.2.
On note εi l’endomorphismex7→eixdeM(a) ; par d´efinition mˆeme deM(a) cet endomorphisme est ind´ependant du choix de ei mod a. La proposition r´esulte des points suivants :
- L’endomorphisme Pni=1εi est l’identit´e deM(a) (ceci est cons´equence de la congruence Pni=1ei ≡1 (mod a)).
- L’image deεiest contenue dansM(ai) (ceci est cons´equence de la congruence aiei ≡0 (mod a)).
- On a εi(x) = δijx si x appartient `a M(aj) (ceci est cons´equence de la
congruence ei ≡δij (mod aj)).
Exercice 1.4 (Condition n´ecessaire et suffisante pour qu’un endomorphisme soit diagonalisable).
Soit E un espace vectoriel K muni d’un endomorphismeu. Montrer (`a l’aide de la proposition 1.3) que les deux conditions suivantes sont ´equivalentes : (i) L’endomorphisme u est diagonalisable.
(ii) Il existe un polynˆome P de K[X] qui se factorise en (X−λ1)(X −λ2) . . .(X−λr),λ1, λ2, . . . , λr d´esignant des ´el´ements deux `a deux distincts de K, tel que l’on a P(u) = 0.
Soit M un module de torsion sur un anneau principalA. Soit π un ´el´ement irr´eductible de A; on note M(π) le sous-module de M form´e des ´el´ements annul´es par une puissance de π (on prendra garde de ne pas confondre les notations M(π) etM(π) !).
Proposition 1.5. Un module M de torsion sur un anneau principal A est somme directe de ses sous-modulesM(π),πd´ecrivant un syst`eme repr´esentatif P d’´el´ements irr´eductibles de A :
M = M
π∈P
M(π) .
On dit que M(π) est lacomposante π-primaire de M ou la π-composante du module de torsion M. Si l’on a M =M(π) on dit queM est un π-module.
D´emonstration de la proposition 1.5. Soit x un ´el´ement de M. Puisque M est de torsion il existe un ´el´ement non nul a de A tel que l’on a ax = 0.
On consid`ere la d´ecomposition en facteurs irr´eductibles de a dans A, a = u π1v1π2v2. . . πrvr, u d´esignant un ´el´ement inversible et π1, π2, . . . , πr des
´
el´ements irr´eductibles deux `a deux distincts. D’apr`es 1.3 x s’´ecrit Pri=1xi avec πivixi = 0. Ceci montre que M est la somme des M(π), π d´ecrivant un syst`eme repr´esentatif d’´el´ements irr´eductibles de A. La proposition 1.3 montre ´egalement que cette somme est directe. En effet, celle-ci entraˆıne que si l’on aPri=1xi = 0 avec πviixi = 0,π1, π2, . . . , πr d´esignant des ´el´ements irr´eductibles deux `a deux distincts etvi des entiers naturels, alors on axi = 0
pour tout i.
2. Structure des modules de type fini sur un anneau principal 2.1. Sous-modules des modules libres de dimension finie
Th´eor`eme 2.1.1 (Th´eor`eme de la base adapt´ee).Soit A un anneau princi- pal. Soient L un A-module libre de dimension finie n et L0 un sous-module de L. Alors :
(a) Le sous-module L0 est un A-module libre de dimension ≤n.
(b) Il existe une base {e1, e2, . . . , en} de L, un entier r≤n, et des ´el´ements non nuls a1, a2, . . . , ar de A tels que {a1e1, a2e2, . . . , arer} est une base de L0 et que ak divise ak+1 pour 1≤k ≤r−1.
(Le nom “Th´eor`eme de la base adapt´ee” sous lequel est connu le r´esultat ci-dessus fait bien sˆur r´ef´erence au point (b).)
Comme on va le voir, la d´emonstration du point (b) est plus subtile que celle du point (a). . . ce qui est logique puisque le point (b) pr´ecise substantielle- ment le point (a).
On utilise dans les deux cas le lemme tr`es ´el´ementaire suivant dont la v´erifi- cation est laiss´ee au lecteur :
Lemme 2.1.2. SoientA un anneau etM unA-module. Soienteun ´el´ement de M et u : M → A une application A-lin´eaire, tels que l’on a u(e) = 1.
Alors :
- Le sous-module Ae de M est libre de dimension 1, de base {e}.
- Les sous-modules Ae et Keru de M sont en somme directe : M =Ae⊕Keru .
D´emonstration du point (a) du th´eor`eme 2.1.1
On proc`ede par r´ecurrence sur la dimensionndeL. On en vient tout de suite
`
a la description du pas de r´ecurrence puisqu’il n’y a rien `a d´emontrer pour n = 0 (le lecteur mal `a l’aise devant l’ensemble vide pourra commencer la r´ecurrence `a n=1 !).
On suppose n ≥ 1. Soit {ε1, ε2, . . . , εn} une base de L. On note L0 le sous- module deLengendr´e par{ε1, ε2, . . . , εn−1};L0 est unA-module libre de di- mensionn−1 (de base{ε1, ε2, . . . , εn−1}). On peut voir ´egalementL0 comme
le noyau de la n-i`eme forme cordonn´ee, c’est-`a-dire l’application A-lin´eaire ε∗n :L→A d´efinie par ε∗n(εi) = δni.
SiL0 est contenu dans L0 c’est termin´e. En effet par hypoth`ese de r´ecurrence L0 est libre de dimension ≤n−1.
Si L0 n’est pas contenu dans L0 on consid`ere l’intersection L00 = L0TL0. A nouveau, on peut voirL00comme le noyau de la restriction deε∗n`aL0. L’image ε∗n(L0) de cette restriction est un sous-module de A, en d’autres termes un id´eal. Comme A est principal ε∗n(L0) s’´ecrit Aan,an d´esignant un ´el´ement de A; an est non nul puisque L0 n’est pas contenu dansL0. On conclut `a l’aide du lemme 2.1.2. On prend pour M le sous-module L0, pour u : L0 → A la forme lin´eaire d´efinie par ε∗n(x) =anu(x) et pour e un ´el´ement ε0n de L0 avec ε∗n(ε0n) = an (il existe un tel ´el´ement puisque par d´efinition an appartient `a ε∗n(L0)). Le lemme 2.1.2 nous dit que l’on a L0 = L00 ⊕Aε0n et que le sous- module Aε0n est libre de dimension 1 ; comme, par hypoth`ese de r´ecurrence, L00 est libre de dimension ≤n−1, L0 est bien libre de dimension ≤n.
D´emonstration du point (b) du th´eor`eme 2.1.1
Nous allons bˆatir notre d´emonstration sur le lemme 2.1.3 ci-dessous. Nous donnons trois versions de ce lemme ´etiquet´ees (a), (b) et (c) ; il est tr`es facile de v´erifier que ces versions se d´eduisent l’une de l’autre...ce que le lecteur ne manquera pas de faire.
Lemme 2.1.3.Soit A un anneau principal. Soient M et N deuxA-modules et ϕ:M ×N →A une application A-bilin´eaire.
(a) Alors l’image de ϕ est un id´eal de A.
(b)Alors il existe un ´el´ement(x0, y0)deM×N tel queϕ(x0, y0)diviseϕ(x, y) pour tout (x, y) dans M ×N.
(c) Soient I l’id´eal de A engendr´e par l’image de ϕ et d un ´el´ement de A tel que l’on a I = Ad, alors il existe un ´el´ement (x0, y0) de M ×N avec d=ϕ(x0, y0).
La d´emonstration du lemme 2.1.3 est renvoy´ee au paragraphe 4. On explique en attendant comment la version (b) du lemme 2.1.3 permet de construire une “base adapt´ee”.
On proc`ede encore par r´ecurrence sur la dimensionndeL. Il suffit `a nouveau d’expliquer le pas de r´ecurrence puisqu’il n’y a toujours rien `a d´emontrer pour n = 0.
On consid`ere donc la version (b) du lemme 2.1.3. On prend pourM le dual de L, c’est-`a-dire le A-module L∗ = HomA(L, A) form´e des applications A- lin´eaires deLdansA, pourN le sous-moduleL0 deLet pour ϕl’application L∗ ×L0 → A, (λ, x0) 7→ λ(x0). La version (b) du lemme 2.1.3 nous dit qu’il existe u1 dans L∗ ete01 dans L0 tels que :
(D) L’´el´ement a1 =u1(e01) de A divise λ(x0) pour tout λ dans L∗ et tout x0 dans L0.
Ceci implique que tout ´el´ement x0 de L0 s’´ecrit a1x avecx dans L. En effet, soient{ε1, ε2, . . . , εn}une base deL, alorsx0s’´ecritPni=1ε∗i(x0)εi,ε∗1, ε∗2, . . . , ε∗n d´esignant les formes coordonn´ees associ´ees `a cette base et d’apr`es (D) les ε∗i(x0) sont tous divisibles para1.
Comme le cas L0 = 0 est trivial, on suppose ci-dessous L0 6= 0. Dans ce cas a1 est non nul et l’´ecriturex0 =a1x ´evoqu´ee ci-dessus est unique.
On a en particulier e01 =a1e1 avec e1 dans L. L’´egalit´e u1(e01) = a1 entraˆıne u1(e1) = 1. Le lemme 2.1.2 nous dit que les sous-modules Ae1 et Keru1 deL sont en somme directe :
L=Ae1 ⊕Keru1
(et queAe1 est libre de dimension 1, de base{e1}). De mˆeme, soitu01 :L0 →A l’application A-lin´eaire d´efinie par u1(x0) =a1u01(x0) (pour justifier une telle
´
ecriture on peut `a nouveau invoquer (D)), on a encore u01(e01) = 1. Les sous- modules Ae01 et Keru01 de L0 sont donc en somme directe :
L0 =Ae01⊕Keru01 (et Ae01 est libre de dimension 1, de base {e01}).
On observe que Keru1 est un A-module libre de dimension n−1. En effet, on sait d´ej`a d’apr`es le point (a) du th´eor`eme 2.1.1 que c’est un A-module libre de dimension finie et l’on se convainc facilement de l’´egalit´e
dim(Ae1⊕Keru1) = 1 + dim(Keru1) ,
dim( ) d´esignant la dimension d’un A-module libre de dimension finie. On observe ´egalement que l’on a Keru01 ⊂Keru1. On peut donc appliquer l’hy- poth`ese de r´ecurrence : Il existe une base {e2, . . . , en} de Keru1, un entier
r ≤n, et des ´el´ements non nulsa2, . . . , ar de A tels que {a2e2, . . . , arer} est une base de Keru01et queaidiviseai+1pour 2≤i≤r−1. Il r´esulte alors de ce qui pr´ec`ede que {e1, e2, . . . , en} et {a1e1, a2e2, . . . , arer} sont respectivement des bases de L et L0. Pour achever la d´emonstration il suffit de v´erifier que a1 divise a2. Ceci r´esulte toujours de (D) : On a a2 = e∗2(a2e2), e∗2 : L → A d´esignant la deuxi`eme forme coordonn´ee associ´ee `a la base{e1, e2, . . . , en}de
L, et a2e2 appartient `a L0.
Corollaire 2.1.4.Pour qu’un sous-moduleL0 d’un module libreL de dimen- sion finie sur un anneau principal A admette un suppl´ementaire, il faut et il suffit que le A-module quotient L/L0 soit sans torsion. En particulier, pour que le sous-module Ax, engendr´e par un ´el´ement non nul x de L, admette un suppl´ementaire, il faut et il suffit que x soit “primitif”, c’est-`a-dire que
“x=ay avec a∈A et y∈L” implique “a∈A×”.
Corollaire 2.1.5. Tout sous-module d’un module de type fini sur un anneau principal est aussi de type fini.
D´emonstration.SoientAun anneau,M unA-module etM0 un sous-module.
Si M est de type fini il existe un A-module libre de dimension finie L et un homomorphisme de A-modules surjectif ε : L → M (voir Proposition 0.5).
On pose L0 = ε−1(M0), on observe que L0 est un sous-module de L et que l’homomorphisme induitL0 →M0est encore surjectif ; siAest principal alors L0 est un A-module libre de dimension finie (Th´eor`eme 2.1.1 (a)) et M0 est
donc de type fini.
2.2. Th´eor`emes de structure
Th´eor`eme 2.2.1 (Th´eor`eme de structure).Tout module de type fini sur un anneau principal A est isomorphe `a une somme directe de modules de la forme A/Ik, en nombre fini m, o`u les Ik sont des id´eaux de A, tels que l’on a I1 ⊂I2 ⊂. . .⊂Im 6=A.
D´emonstration. Soit M un A-module. Si M est de type fini il existe un A-module libre de dimension finie L et un homomorphisme de A-modules surjectif ε : L → M (voir Proposition 0.5). On pose L0 = Kerε; on a donc un isomorphisme M ∼=L/L0. En utilisant le th´eor`eme de la base adapt´ee on obtient un isomorphisme de A-modules
M 'A/Aa1⊕A/Aa2⊕ · · · ⊕A/Aar⊕An−r avec ak 6= 0 pour 1≤k ≤r etak|ak+1 pour 1 ≤k≤r−1.
Si l’on a Aak = A pour tout k on prend m = n−r, I1 = 0, I2 = 0, . . . , Im = 0. S’il existe k avec Aak 6= A on note s le plus petit entier tel que l’on a Aas 6= A et l’on prend m = n−s+ 1, I1 = 0, I2 = 0, . . . , In−r = 0,
In−r+1 =Aar, . . . ,Im =Aas.
Corollaire 2.2.2. Tout module de type fini sur un anneau principal est somme directe de son sous-module de torsion et d’un module libre.
Corollaire 2.2.3. Sur un anneau principal tout module sans torsion et de type fini est un module libre de dimension finie.
Contre-exemple. LeZ-module Q qui est sans torsion n’est pas libre.
Corollaire 2.2.4. Tout module de type fini sur un anneau principal est une somme directe finie de modules isomorphes `a A ou `a un module de la forme A/πk o`u π est un ´el´ement irr´eductible de A et k un entier ≥1.
Exemples. Consid´erer les cas A = Z et A = K[X], K d´esignant un corps alg´ebriquement clos.
Questions d’unicit´e
Proposition 2.2.5. Soit A un anneau. Soit
I1 ⊂I2 ⊂. . .⊂Ik ⊂. . .⊂Im 6=A
un suite croissante finie d’id´eaux de A, distincts de A. Soit enfin M le A-module somme directe des A-modules A/Ik :
M =
m
M
k=1
A/Ik .
Alors :
- L’id´eal Ik (1 ≤ k ≤ m) est form´e des ´el´ements a de A tels que pour tout A-module N et toute application k-A-lin´eaire altern´ee ϕ : Mk → N, l’application aϕ est nulle.
- Pour k > m, toute application k-A-lin´eaire altern´ee, d´efinie sur Mk, est nulle et m est le plus petit entier ayant cette propri´et´e ; c’est aussi le nombre minimum de g´en´erateurs de M.
D´emonstration. Soit ek (1≤k ≤m) l’´el´ement de M dont la k-i`eme compo- sante est la classe de 1 dans A/Ik et les autres composantes z´ero ; pour tout (x1, x2, . . . , xk) dansMk,ϕ(x1, x2, . . . , xk) est combinaison lin´eaire d’´el´ements deN de la formeϕ(ei1, ei2, . . . , eik) aveci1 < i2 < . . . < ik et par cons´equent ik ≥k, on a doncaeik = 0 etaϕ= 0 pour tout a dans Ik.
D’autre part, soientpl’application naturelleM →(A/Ik)k, ∆ : ((A/Ik)k)k→ A/Ikl’application d´eterminant, etϕ0 :Mk →A/Ik l’applicationk-A-lin´eaire altern´ee d´efinie par
ϕ0(x1, x2, . . . , xk) = ∆(p(x1), p(x2), . . . , p(xk)) .
On a par construction ϕ0(e1, e2, . . . , ek) = ¯1 (cette notation d´esigne la classe de 1 dans A/Ik), ce qui montre queaϕ0 = 0 implique a∈Ik. La proposition 2.2.5 montre que l’entiermet les id´eauxIkdu th´eor`eme 2.2.1 sont uniques :
Th´eor`eme 2.2.6(Th´eor`eme de structure avec unicit´e).Tout module de type fini sur un anneau principalAest isomorphe `a une somme directe de modules de la forme A/Ik, en nombre fini m, o`u les Ik sont des id´eaux de A, tels que l’on a I1 ⊂ I2 ⊂ . . . ⊂ Im 6= A. Ces id´eaux et l’entier m sont uniquement d´etermin´es.
D´efinition 2.2.7.SoitM un module de type fini sur un anneau principal A.
Les id´eaux I1, I2, . . . , Im de A, avec I1 ⊂I2 ⊂. . .⊂Im 6=A, tels que l’on a M 'A/I1⊕A/I2⊕. . .⊕A/Im
s’appellent les id´eaux (ou les facteurs) invariants de M. L’id´eal produit I1I2. . . Im s’appelle l’id´eal caract´eristique de M et se note χ(M).
Remarque 2.2.8. On revient sur le th´eor`eme de la base adapt´ee.
Si l’on a Aak = A pour tout k la suite des id´eaux invariants du A-module quotient L/L0 (qui est libre de dimension n−r) est 0 ⊂0⊂. . .⊂ 0, l’id´eal 0 apparaˆıssantn−rfois dans cette suite. S’il existe k avecAak6=A la suite des id´eaux invariants de L/L0 est la suivante :
0⊂0⊂. . .⊂0⊂Aar ⊂Aar−1 ⊂. . .⊂Aas ,
0 apparaˆıssantn−rfois au d´ebut de cette suite etsd´esignant, comme dans la d´emonstration du th´eor`eme 2.2.1, le plus petit entier tel que l’on aAas6=A.
Ceci entraˆıne qu’il existe aussi une “version avec unicit´e” du th´eor`eme de la base adapt´ee.
L’´enonc´e suivant r´esulte de la d´efinition mˆeme de l’id´eal caract´eristique d’un module de type fini sur un anneau principal :
Proposition 2.2.9.Soit M un module de type fini sur un anneau principal.
Les deux conditions suivantes sont ´equivalentes : (i) le module M est de torsion ;
(ii) l’id´eal caract´eristique χ(M) est non nul.
Exemple 2.2.10.SoitM un groupe ab´elien fini ;M est donc un Z-module de type fini et de torsion. L’id´eal caract´eristique deM est l’id´eal de Zengendr´e par le cardinal de M.
3. Applications lin´eaires entre modules libres de dimension finie sur un anneau principal
Cas g´en´eral
Th´eor`eme 3.1.SoitA un anneau principal. Soitf :L0 →Lune application A-lin´eaire entre deux A-modules libres de dimension finie ; soient n0 la di- mension de L0 et n celle de L. Alors il existe, une base E0 ={e01, e02, . . . , e0n0} de L0 et une base E ={e1, e2, . . . , en} de L, un entier r ≥ 0 et des ´el´ements non nuls a1, a2, . . . , ar de A, avec ak divisant ak+1 pour 1 ≤ k ≤r−1, tels que l’on a f(e0j) = ajej pour 1 ≤ j ≤ r et f(e0j) = 0 pour j > r, autrement dit tels que la matrice de f dans les bases E0 et E a la forme suivante :
a1 0 0 · · · 0 0 a2 0 · · · 0
... . .. ...
ar
0 . ..
0 0 · · · 0
.
D´emonstration.On commence par appliquer le th´eor`eme de la base adapt´ee au sous-module Imf (que l’on note aussi f(L0)). Ce th´eor`eme nous dit qu’il existe une base E = {e1, e2, . . . , en} de L, un entier r ≤ n, et des ´el´ements non nulsa1, a2, . . . , ardeA, avecak divisantak+1pour 1≤k ≤r−1, tels que {a1e1, a2e2, . . . , arer} est une base de Imf. On choisit ensuite des ´el´ements e0k, 1≤k ≤r, de L0 avecf(e0k) =akek et on consid`ere le sous-module L00 de L0 qu’ils engendrent. On v´erifie alors les points suivants :
- Le A-moduleL00 est libre de base {e01, e02, . . . , e0r}.
- Les sous-modules L00 et Kerf sont en somme directe : L0 =L00⊕Kerf.
(Pour le premier, on peut introduire l’application A-lin´eaire g : Imf → L0 d´efinie par g(akek) = e0k et observer que f et g induisent des applications A-lin´eairesL00→Imf et Imf →L00inverses l’une de l’autre. Pour le second, on constate d’une part que si un ´el´ement x0 deL0 s’´ecritx00+y avecx00 ∈L00 ety∈Kerf alors on ax00 =g(f(x0)) ety=x0−g(f(x0)) et d’autre part que g(f(x0)) et x0−g(f(x0)) appartiennent bien respectivement `aL00 et Kerf.)