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Comptons les moutons

Vadim Lebovici

9 octobre 2017

Séminaire “Maths Pour Tous"

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Table des matières

1 Histoire des nombres 2

1.1 Une origine naturelle . . . . 2

1.2 Comptons les moutons . . . . 2

1.3 De l’écriture des nombres . . . . 3

1.4 Qu’est-ce qu’un nombre ? . . . . 3

2 Problème de définition 4 2.1 Tout définir, une lubie de mathématicien ? . . . . 4

2.1.1 Notations . . . . 4

2.1.2 Mise à l’épreuve de notre définition . . . . 4

2.1.3 Et les nombres ? . . . . 6

2.2 Comment les définir ? . . . . 6

2.2.1 Caractères essentiels des nombres . . . . 6

2.2.2 Eviter les paradoxes . . . . 6

2.2.3 Quelques axiomes de ZF . . . . 7

2.2.4 Et les nombres ? . . . . 9

3 Construction 10 3.1 Nos premières constructions . . . 10

3.1.1 Première tentative . . . 10

3.1.2 Seconde tentative . . . 10

3.1.3 Cerise sur le mouton . . . 11

3.2 Entièrement relatif . . . 12

3.2.1 Pourquoi avons-nous besoin des nombres relatifs ? . . . 12

3.2.2 Première tentative . . . 12

3.2.3 Seconde tentative . . . 13

3.3 Petit goûter . . . 15

3.4 Et tous les autres ? . . . 16

Introduction

Nous savons tous compter. D’ailleurs si je vous demande combien font 2+2, la majorité d’entre vous devrait me répondre 4. Pourtant, malgré le caractère évident qu’ont les nombres à nos yeux, il nous est difficile de les définir. Mais après tout, quel en serait l’intérêt ? Nous pourrions croire qu’un concept d’une telle clareté ne mérite pas de description plus poussée, mais c’est faux. Le dictionnaire

1

distingue deux aspects d’une définition :

c’est une opération mentale qui consiste à déterminer les limites et le contenu d’un concept.

Il est donc nécessaire de définir un objet pour le comprendre précisément, le cerner par la pensée.

C’est une proposition qui met en équivalence un être à définir, avec un ensemble d’attri- buts qui déterminent ses caractères essentiels. Il nous faut déterminer ce qui caractérise les nombres, cet ensemble d’attributs, puis trouver une définition qui décrit exactement ces caractères.

1. définition tirée du Trésor de la langue française informatisé.

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Dans cet exposé, nous montrerons plus précisément pourquoi et comment les mathématiciens ont défini les nombres. Mais laissez-moi d’abord vous faire voyager dans le temps, des premières utilisations des nombres à aujourd’hui.

1 Histoire des nombres

1.1 Une origine naturelle

Leonard Kronecker (1823 - 1891), mathématicien allemand, s’est un jour exclamé : "Dieu a fait les nombres entiers, tout le reste est l’œuvre de l’homme." Peut-être ne le saviez-vous pas, mais les nombres 0, 1, 2, 3... et ainsi de suite sont appelés "entiers naturels", et ce n’est pas un hasard, ils ont en effet un caractère naturel, qui leur est propre. Quoique... si l’on fait bien attention, le nombre 0 semble un peu moins naturel que les autres non ? Il est rare d’entendre quelqu’un compter les sous qu’il a dans sa main en commençant à zéro... d’ailleurs, le zéro est arrivé bien après l’apparition des autres, c’est le petit dernier des nombres entiers. Mais passons sur cela. Faisons plutôt un saut dans le passé pour comprendre ce que voulait dire Kronecker dans sa citation.

1.2 Comptons les moutons

Figure 1 – Un troupeau de mouton comme il y en avait en Mésopotamie

Il y a bien longtemps de cela, à la fin du IVème millénaire avant notre ère, en Mésopotamie, les bergers se préparaient à diriger et protéger durant la longue période estivale les moutons (Figure 1) de nombreux propriétaires. En effet, ces bêtes avaient besoin de voyager dans des prairies plus au Nord afin de se nourrir convenablement, pour ne revenir que lorsque les températures seraient devenues plus clémentes. Un problème se posa alors pour les propriétaires : comment vérifier que le berger n’a pas perdu des moutons en route ? Et pour le berger un autre problème se pose : comment s’assurer que le propriétaire ne lui demandait pas de payer une compensation pour des moutons perdus qui n’avaient jamais existé ?

Une solution a rapidement été trouvée pour faire face à ce genre de problèmes. Les bergers et

les propriétaires comptaient ensemble le nombre de moutons au départ à l’aide de petits jetons

d’argile placés au fond d’un vase en terre cuite. Lorsque tout le troupeau était dénombré, le vase

était scellé et le troupeau pouvait partir. Au retour, il suffisait de briser le vase.

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Mais alors, le propriétaire ne peut gérer ses affaires durant l’absence de ses moutons et connaître le nombre de moutons qu’il possède sans briser le vase. C’est pourquoi, rapidement, en plus des jetons en argile, des petits dessins symbolisant les moutons étaient faites pour chaque mouton compté. Ainsi, il suffisait de lire sur le vase le nombre de moutons du troupeau.

La véritable avancée arrive au IIIème millénaire avant notre ère. Les hommes prennent alors soudain conscience qu’il est bien plus pratique de ne dessiner que des bâtons neutres puis d’inscrire à la fin le symbole de l’objet qu’il compte. Le nombre est né, le dénombrement des moutons n’est plus séparé de celui des vaches, le dénombrement existe en tant que tel, par l’intermédiaire de ces bâtons ne symbolisant rien d’autre que des unités alignées les unes à la suite des autres, sans précision de ce quelles représentent, parce qu’elles sont l’abstraction du concept de nombre qui était présent depuis le départ sur le vase.

1.3 De l’écriture des nombres

A ce stade, la conceptualisation abstraite du nombre dans l’imaginaire collectif des intellectuels et des commerçants de l’époque est chose faite. Mais l’écriture de ces nombres a fortement évolué depuis cette époque, et les anciens bâtons sont devenus les nombres arabes que nous connaissons tous.

1.4 Qu’est-ce qu’un nombre ?

Entre les débuts des mathématiques et le XIXème siècle, les mathématiciens travaillaient avec les nombres sans réellement les avoir définis et, plutôt que de définir les concepts proprement, ils utilisaient simplement les propriétés qu’ils connaissaient des nombres et leur intuition pour ne pas énoncer de théorème faux.

Ce n’est pas un hasard, vous l’avez peut-être vu dans le teaser de présentation du séminaire, mais définir les nombres est une question épineuse et très vaste. Répondre à la question "Qu’est-ce qu’un nombre ?" est extrêmement difficile.

Selon Gottlob Frege, mathématicien, logicien et philosophe du XIXème siècle, c’est en majeure partie parce qu’on ne cesse de confondre le nombre avec la représentation psychologique qu’on en a. On confond par exemple le nombre 3 avec l’image mentale de l’ajout d’une chose à un amas de deux choses. Si l’on demande au dictionnaire maintenant, il fait aveux de faiblesse : le Trésor de la Langue Française Informatisé affirme que "le nombre est une des notions fondamentales de l’entendement [...] qu’on ne peut définir". Les mathématiciens et philosophes se sont également penché sur la question comme Frege, Schröder, Mill, et bien d’autres, sans véritable aboutissement.

Pour vous faire une idée du travail qu’il a fallu aux penseurs de l’époque pour parvenir à la

définition des nombres que nous avons aujourd’hui, il faut savoir que dans les Fondements de

l’arithmétique, Frege souhaitait construire une théorie sur laquelle on pourrait fonder toutes les

mathématiques et donc en particulier les nombres. Cependant, Bertrand Russel adresse une lettre

à Frege en 1902 dans laquelle il montre que l’une des bases de sa théorie mène à une contradiction

et que la théorie n’est donc pas utilisable. Frege publie tout de même son livre et écrit en annexe

après avoir énoncé le paradoxe de Russel : "Pour un écrivain scientifique, il est peu d’infortunes

pires que de voir l’une des fondations de son travail s’effondrer alors que celui-ci s’achève. C’est

dans cette situation inconfortable que m’a mis une lettre de M. Bertrand Russell, alors que le pré-

sent volume allait paraître."

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Ce n’est qu’au XXème siècle que l’affaire se dénoua lorsque naît la théorie ZF, du nom des mathématiciens Ernst Zermelo et Abraham Frænkel.

2 Problème de définition

2.1 Tout définir, une lubie de mathématicien ?

Les présentations historiques brèves étant faites, nous avons encore plus d’éléments en tête à propos de nos nombres, mais nous n’avons toujours pas de définition de ces derniers. Mais tout d’abord, pourquoi vouloir absolument les définir, puisque nous savons tous si parfaitement ce qu’ils sont ? J’en ai parlé en introduction, il faut être clair dans la définition de nos concepts.

Sinon, on ne sait pas de quoi on parle, mais quelles peuvent en être les conséquences ? Regardez, par exemple : Qu’est-ce qu’un ensemble selon vous ? Selon le dictionnaire

2

, un ensemble mathématique est une collection d’éléments de nature quelconque qui satisfait à la condition qu’il existe un critère permettant de distinguer si un élément donné appartient ou non à l’ensemble. Contentons-nous de cette définition pour l’instant et testons la un petit peu.

2.1.1 Notations

En mathématiques, pour ne pas se perdre dans les différentes façon de parler d’une même chose, nous utilisons des notations : une fois que nous sommes d’accord sur les notations, en un coup d’œil, nous comprenons sans ambiguïté de quoi nous parlons.

Nous notons un ensemble A constitué des éléments b, c, d entre accolades de la manière sui- vante : A = {b, c, d}. Pour mieux comprendre, si l’ensemble est mon panier de fruit P , qui contient une pomme, une poire et une orange, en mathématiques nous le noterons pour plus de clareté : P = {Pomme, Poire, Orange}, c’est aussi simple que cela.

Il est à noter aussi que si deux éléments sont égaux, on ne les note pas deux fois. Si j’ima- gine un ensemble constitué d’une personne, Monsieur X, cela n’aurait pas de sens de noter {Monsieur X, Monsieur X} puisqu’il est unique. On note donc cet ensemble {Monsieur X}. De la même façon, il n’existe qu’un chiffre 1, cela n’aurait aucun sens de noter donc {1, 1} et on a donc ici aussi {1, 1} = {1}.

Il nous faut aussi une manière simple de noter que nous avons une pomme dans notre panier de fruits. En mathématiques, si une pomme est dans notre panier, on dit qu’une pomme appartient à notre panier P et on le note Pomme ∈ P . Si elle n’y est pas, on remplace ∈ par ∈ / et on dit qu’elle n’appartient pas au panier de fruits. Ainsi dans les exemples précédents :

dA

— Poire ∈ P ,

— 1 ∈ {1}.

— Mangue ∈ / P

2. définition tirée du Trésor de la langue française informatisé.

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2.1.2 Mise à l’épreuve de notre définition

Pour commencer à réfléchir, citons les premiers ensembles qui nous viennent à l’esprit, nous venons d’en voir quelques exemples. Pour coller à la définition, nous cherchons une collection d’objets liés par une propriété commune. Nous pouvons alors citer :

— L’ensemble des fruits F = {pomme, poire, fraise, ...} correspond à la définition,

— l’ensemble des lettres de l’alphabet latin également L = {a, b, c ..., z},

— l’ensemble de tous les nombres entiers naturels N = {0, 1, 2, ...} en est un aussi mais ce dernier est infini lui, alors que les précédents ne l’étaient pas. Il existe donc des ensembles infinis.

Amusons nous un petit peu maintenant et considérons l’ensemble des ensembles infinis. Nous avons bien un ensemble au sens de notre définition : la propriété est : "être un ensemble infini".

Enivrés par ce pouvoir de créer des ensembles comme bon nous semble, créons donc l’ensemble de tous les ensembles, appelons le E, il correspond encore à notre définition. Nous avons alors par exemple FE, LE et N ∈ E. Oui mais... E est un ensemble n’est-ce pas ? On a donc aussi EE. Il s’appartient à lui-même. N’est-ce pas singulier, pour un ensemble ? Cela ne correspond en tout cas pas à l’intuition que nous en avons car si notre intuition est celle d’un contenant, nous avons du mal à imaginer un objet étant à la fois le contenant et son contenu.

Tout cela ne vous donne pas une soudaine envie de créer un nouvel ensemble ? Moi oui, l’en- semble des ensembles qui s’appartiennent à eux-mêmes. Et puis pendant qu’on y est, l’ensemble des ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux-mêmes, notons le A. On a alors qu’un ensemble x appartient à A si x n’appartient pas à x, ce que l’on écrit A = {x ensemble tel que x /x}. Mais voilà, la définition bancale que nous avons choisie va révéler sa véritable nature... En fait, A ne peut pas exister, car cela mènerait à une absurdité, c’est-à-dire à une proposition vraie et fausse à la fois.

Remarque 2.1. En quoi est-ce un problème ?

— Les ensembles sont concrets, nous en avons vu des exemples précédemment.

— Notre définition doit être l’exacte description des caractères essentiels d’un ensemble. Rai- sonner sur la définition doit être équivalent à raisonner sur l’objet lui-même.

Ainsi, si la définition conduit à un ensemble absurde, c’est qu’elle-même est fausse.

Je vais maintenant montrer que cet ensemble ne peut exister. La preuve repose sur la question suivante : "Ce dernier ensemble s’appartient-il à lui-même ?".

Démonstration. Supposons par l’absurde

3

qu’il existe un ensemble A qui contienne exactement les ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux-mêmes. Nous allons étudier tous les cas qui peuvent alors se produire :

— Premier cas : AA, A s’appartient à lui-même, mais donc par la définition de A, il ne s’appartient pas : A /A.

— Second cas : A /A, mais alors par la définition de A, on a AA.

Les deux possibilités sont absurdes, A n’existe donc pas.

Nous sommes face à un paradoxe, publié par le mathématicien britannique Bertrand Russell en 1903. Celui là même qui figurait dans sa lettre à Frege de 1902. Puisque la définition naïve d’un ensemble ne convient pas, Ernst Zermelo, Abraham Frænkel et Thoralf Skolem ont élaboré au XXème siècle une manière de définir proprement les ensembles, que l’on appelle la théorie ZF

3. Pour plus de précisions sur le raisonnement par l’absurde, vous pouvez consulter l’exposé de Yoan Tardy.

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(Zermelo-Frænkel).

2.1.3 Et les nombres ?

Maintenant je vous demande, qu’est-ce qu’un nombre ? Selon le dictionnaire

4

un nombre est une notion qui permet de compter, de dénombrer les choses. A la lumière des paragraphes précédents, nous ne pouvons pas avoir confiance en cette définition vague, nous risquerions de tomber encore une fois sur un paradoxe. Il est donc nécessaire de définir les nombres correctement, en suivant les principes que nous avons énoncé en introduction.

2.2 Comment les définir ?

2.2.1 Caractères essentiels des nombres

Pour définir les nombres, référons nous à notre définition : il nous faut trouver les attributs qui les caractérisent. Il s’agit simplement d’énoncer quelles sont les propriétés naturelles des nombres.

Premier attribut Je l’ai mentionné tout à l’heure, mais il est naturel pour s’imaginer le nombre 2 de s’imaginer deux objets physiques : par exemple des cailloux. Le nombre 2 apparaît comme l’ajout d’un caillou à un tas en contenant déjà un. Le nombre 3 apparaît alors comme le tas précédent auquel on a ajouté un caillou. Pour obtenir un nombre, on ajoute un au précédent, les nombres se suivent donc et sont liés par la relation de succession qu’est l’ajout de un.

Deuxième attribut Si vous étiez souvent mal classé lors des courses à pieds en cours d’édu- cation physique, vous avez dû amèrement constater que les nombres sont rangés, ordonnés. En mathématiques, on note le fait que 0 soit plus petit que 1 de la façon suivante : 0 < 1 et nous avons alors par exemple :

— 0 < 3

— 4 < 2584

Troisième attribut Le dernier attribut en a peut-être traumatisé certains. Les tables de multi- plication, cela vous rappelle sûrement quelque chose. L’addition, la multiplication, sont évidemment un des attributs fondamentaux des nombres. Même lorsque nous ne voulons compter que de simples moutons, nous en avons besoin. On appelle cela en mathématiques des lois et on parle de la loi + ou de la loi ×.

Nous avons énoncé des attributs des nombres mais nous ne pouvons être sûrs que ce sont les seuls, contentons-nous de ceux là pour l’instant pour avancer.

2.2.2 Eviter les paradoxes

Nous l’avons vu, définir les nombres est une question extrêmement difficile et peut mener à des paradoxes. Comment faire pour éviter cela ?

4. définition tirée du Larousse

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En mathématiques, pour ne pas tomber sur des absurdité nous démontrons nos théorèmes à l’aide de raisonnements logiques et de théorèmes déjà obtenus. Ces théorèmes déjà obtenus ont eux-mêmes été prouvés à l’aide de théorèmes les précédant. Pour ne pas que le tout soit un cercle vicieux ou une régression infinie, il doit exister des résultats que l’on ne peut prouver mais que nous devons supposer vrais pour commencer notre raisonnement. Ces résultats, nous les appelons axiomes, ce sont des propositions mathématiques considérées comme vraies sans démonstration.

Pour nous familiariser avec la notion d’axiome, en voici un exemple :

Axiome 2.2.1 (Transitivité de l’égalité). Nous considérons trois objets A,B et C quelconques. Si A=B et B=C alors A=C.

Vous voyez sur cet exemple l’aspect naturel du contenu de l’axiome, mais on ne peut le démon- trer, il faut l’admettre.

Quel est le rapport avec la définition des nombres ? Baser une définition sur un petit nombre d’axiomes permet de contrôler les risques de tomber sur un paradoxe pour deux raisons :

— Un axiome est un énoncé clair et non ambigü, que nous considérons comme vrai pour fonder nos raisonnements.

— Tout se déduit des axiomes choisis et des règles de raisonnement, donc moins nous avons d’axiomes, plus il sera alors facile en cas d’absurdité d’en trouver la source, car elle pro- viendra forcément d’un des axiomes.

Au XXème siècle, en constatant que la théorie des ensembles (qui les définit) développée par Georg Cantor était soumise elle aussi au paradoxe de Russel, les mathématiciens Frænkel, Zermelo et Skolem ont axiomatisé la théorie de Cantor. Ils ont formulé en termes logiques un petit nombre d’axiomes, moins de dix dans ce cas précis, points de départ d’une théorie proche de celle de Cantor mais qui ne comporterait pas de paradoxe : la théorie ZF. Grâce à la théorie des ensembles, nous pouvons définir tous les objets des mathématiques modernes et, puisque la théorie a été axiomatisée, les mathématiques modernes le sont aussi. Les mathématiques que nous connaissons reposent donc sur moins de dix axiomes.

Remarque 2.2. La théorie ZF n’est pas la seule manière d’axiomatiser la théorie des ensembles, il existe en effet d’autres théories comme la théorie des classes de Von Neumann ou la théorie des types de Russel.

2.2.3 Quelques axiomes de ZF

Pour mieux comprendre le rôle des axiomes dans la définition d’un concept, intéressons-nous à cette fameuse théorie ZF

5

et donc à la définition d’un ensemble. Pour l’instant, nous n’avons aucun axiome qui nous aiderait à définir ce qu’est un ensemble, c’est-à-dire qui retranscrirait un des caractères essentiels des ensembles. Une première question qui peut nous venir à l’esprit, comment pourrait-on caractériser l’égalité de deux ensembles ? Le premier axiome de la théorie ZF répond à cette question et est un bon exemple d’axiome :

Axiome 2.2.2 (Axiome d’extensionnalité). Deux ensembles sont égaux s’ils ont les mêmes élé- ments.

5. Pour les plus courageux d’entre vous, les axiomes de la théorie des ensembles sont disponiblessur Wikipedia par exemple.

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Cela parait peut-être évident pour certains après l’avoir lu, mais il exprime en fait que peut importe la manière dont on a définit notre ensemble, il ne dépend que de ses éléments et penser à énoncer cela en axiome est une avancée conceptuelle forte.

Nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin vers la définition de nos ensembles. Dans le cas précédent des nombres, les attributs que nous avons cité portaient sur les relations entre les nombres et leurs opérations. Pour trouver des propriétés naturelles des ensembles, demandez-vous donc ce que vous pourriez faire avec deux ensembles A et B pour en obtenir un nouveau ?

Première possibilité Prendre les éléments de l’un, les éléments de l’autre, et de les réunir (figure 2). Nous avons envie de dire que la réunion des éléments de A et de ceux de B , que l’on note AB est encore un ensemble, mais a priori, ce n’est pas le cas. Nous énonçons donc un axiome.

Axiome 2.2.3 (Axiome de la réunion (simplifié)). La réunion de deux ensembles est un ensemble.

Exemple 2.1. Pour mieux comprendre la réunion de deux ensembles, on a par exemple : {1, 2, 19} ∪ {1, 5} = {1, 2, 5, 19}

Figure 2 – Réunion de deux ensembles

Figure 3 – Paire de deux ensembles

Deuxième possibilité Dans l’exemple précédent nous ne sommes pas encore en mesure de dire que les ensembles en sont bien car nous n’avons pas encore une définition assez complète. Si j’ai deux éléments, 1 et 5 comme dans l’exemple précédent, il est naturel de vouloir considérer l’ensemble contenant ces deux éléments. Dans le cas de A et B ensembles quelconques, il est donc naturel d’exiger que la paire {A, B } soit encore un ensemble (figure 3).

Axiome 2.2.4 (Axiome de la paire). Si A et B sont deux ensembles, alors {A, B} est bien un ensemble.

Autrement dit, si nous avons deux ensembles, nous pouvons créer une nouvel ensemble qui

contient exactement comme éléments les deux premiers. On constate ici qu’un ensemble peut éga-

lement être vu comme élément d’un ensemble plus gros ! Le statut d’ensemble/élément est relatif,

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et c’est bien naturel. Par exemple, dans une école, une classe est à la fois un élément de l’école vu comme ensemble de classes et un ensemble d’élève ! Nous sommes bien habitués à jouer sur ces différences de point de vue et elles existent en mathématiques également.

Remarques 2.3. — Ce sont loin d’être les seuls axiomes de la théorie ZF, mais je ne vais pas en développer plus pour l’instant car il ne me seront pas utiles pour la définition des nombres.

Je ne vais de toute façon pas tous les traiter dans cet exposé.

— Ces axiomes nous servent à construire un nouvel ensemble à partir de deux précédents. On dit que ce sont des axiomes de construction.

Et maintenant ? Pour l’instant nous avons donné des caractères des ensembles, des moyens d’en créer de nouveaux à partir de ceux déjà obtenus, mais nous n’avons aucun ensemble à notre disposition, nous ne pouvons donc pas utiliser nos règles. Il nous faut nous donner un premier ensemble, le plus simple possible.

Axiome 2.2.5 (Existence de l’ensemble vide). Il existe un ensemble qui ne contient aucun élément.

Remarque 2.4. En fait, cet axiome ne figure pas explicitement dans les axiomes de la théorie des ensembles car il peut se déduire d’un autre, plus compliqué, que je ne citerai pas ici.

Nous voilà enfin muni de notre tout premier ensemble, le vide, que l’on note ∅ . Nous l’avons dit, il nous manque des axiomes encore, mais en admettant que nous les ayons tous énoncés nous pourrions maintenant définir nos ensembles de la manière suivante :

Définition 2.1 (Ensemble). On appelle ensemble tout objet construit à partir de l’ensemble vide et de l’utilisation des axiomes de construction et qui vérifie tous les autres axiomes.

Conclusion Résumons un peu la démarche des deux parties précédentes :

— Nous avons montré que l’utilisation d’un petit nombre d’axiomes dans la définition d’un concept permettait d’éviter les absurdités.

— Nous avons étudié une partie de l’axiomatisation de la définition des ensembles pour mieux comprendre l’intérêt des axiomes.

2.2.4 Et les nombres ?

Nous souhaitons définir les nombres et pour cela, en accord avec notre introduction nous avons cité comme propriétés des nombres la succession, l’ordre et les opérations. Le problème, c’est que nous ne les avons pas définit proprement. Pour définir proprement les nombres et tous les attributs en une seule fois, nous allons construire des objets sur lesquels on pourra définir la succession, qui seront rangés et que l’on pourra additioner et nous les appellerons nombres.

Construire des objets ? Une construction en mathématiques désigne le même procédé qu’en gé-

néral, c’est-à-dire la création d’un nouvel objet à partir d’anciens en suivant des règles de construc-

tion. Pour construire ces fameux objets qui représenteront à terme nos nombres, nous utiliserons

les seuls outils que nous avons pour l’instant : les ensembles. Ainsi, les nombres, ce sont des en-

sembles sur lesquels nous avons définit tous les attributs qui nous intéressent. La raison de ce choix

est que nos ensembles ont été proprement définis par la théorie ZF, ils constituent donc une base

axiomatisée solide. Nous n’avons par cette démarche nul besoin de rajouter des axiomes à ceux de

ZF pour construire nos nombres et souvenez-vous : moins il y a d’axiomes mieux c’est. En outre,

il se trouve que l’on peut définir comme je l’ai dis tout à l’heure l’ensemble des mathématiques à

l’aide de la théorie ZF, ce qui justifie que nous utilisions cette méthode.

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3 Construction

3.1 Nos premières constructions

Lançons nous, essayons de construire les nombres. Voici ce que nous devons faire :

Objectif : Construire des ensembles sur lesquels nous définirons la succession, l’ordre et l’addition à partir de

— L’ensemble vide ∅

— La possibilité de faire des paires d’ensembles déjà construits

— La possibilité de faire la réunion de deux ensembles déjà construits 3.1.1 Première tentative

Le premier pas Une manière naturelle de commencer serait de définir 0. Pour l’instant nous n’avons qu’un seul ensemble : ∅ . Nous définissons donc 0 comme étant l’ensemble vide.

La succession Plutôt que de définir les nombres un par un, il nous suffit de définir 0 et la succession pour tous les avoir puisque c’est une manière systématique de passer d’un nombre au suivant. Pour commencer, essayons de définir 1 à partir de 0 et d’en déduire une méthode pour passer d’un nombre au suivant. Nous avons comme outil la paire et la réunion. Cependant

∅ ∪ ∅ = ∅ que nous avions déjà construit, alors que { ∅ , ∅ } =

6

{ ∅ } est bien un nouvel ensemble !

— Et nous pouvons définir 1 = { ∅ }.

— Mais nous avons aussi une méthode pour construire 2 de la même façon : 2 = {1} = {{ ∅ }}

— et nous pourrions continuer ainsi : 3 = {{{ ∅ }}} etc.

— Ici, nous avons bien défini la succession car lorsque nous avons un nombre n déjà construit, nous définissons son successeur S(n) comme étant S(n) = {n}.

L’ordre Nous avons donc construit nos nombres, mais regardons maintenant si nous pouvons définir l’ordre simplement sur eux. Si j’ai deux nombres différents, comment définir le fait que l’un soit plus petit que l’autre ?

Exemple 3.1. Par exemple, si je prends 2 = {{ ∅ }} et 4 = {{{{ ∅ }}}}, comment définir le fait que 2 < 4 ? Et bien ce n’est pas facile, cela n’apparaît pas si naturellement. On pourrait remarquer que 4 est le successeur de 3 qui est le successeur de 2. Donc si on définit l’ensemble des successeurs de 2 : Successeurs(2) = {3, 4, 5, ...}, on dira que 2<4 si 4 ∈ Successeurs(2). Mais nous ne sommes pas sûrs que Successeurs(2) soit un ensemble car nous ne l’avons pas obtenu à partir d’un de nos axiomes... et donc de dire que 4 lui appartient n’a pas de sens a priori.

L’addition L’addition se définit à partir de la succession et du principe de récurrence, nous ne le ferons pas dans ce polycopié car cela dépasserait largement du cadre que nous nous sommes fixés.

3.1.2 Seconde tentative

Maintenant que nous avons vu une première manière naïve de construire les nombres je vais vous en présenter une plus jolie car elle retranscrit mieux que la précédente les propriétés des nombres.

6. Souvenez-vous des règles de notation entre accolades

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Le premier pas Notre choix de 0 ne change pas, c’est le plus naturel : 0 = ∅ .

La succession On se donne un nombre entier n déjà construit et on veut définir son successeur S(n). Tout à l’heure, nous avions dit S(n) = {n}, et ce n’était pas satisfaisant. Une meilleure manière de procéder est de définir : S(n) = n ∪ {n}. Deux questions peuvent vous venir à l’esprit :

— Pourquoi ? Parce qu’elle retranscrit mieux les propriétés des nombres, vous le verrez ensuite.

— Comment penser à procéder comme ça ? Il faut trouver l’idée en ne perdant jamais de vu ce qu’on veut retranscrire dans la définition et c’est en cela que réside le travail du mathématicien qui a trouvé cette construction.

Voici ce que ça donne :

1. Nous définissons ainsi 1 comme l’ensemble 0 ∪ {0} = ∅ ∪ { ∅ } = { ∅ }.

2. Puis en répétant l’opération nous appelons 2 l’ensemble 1 ∪{1} = { ∅ }∪{{ ∅ }} = { ∅ , { ∅ }}.

... et ainsi de suite.

Vous constatez alors à quel point cette façon de construire les nombres est pratique, en effet si l’on regarde bien :

1. Le nombre 1 = { ∅ } n’est autre que {0}.

2. De même le nombre 2 = { ∅ , { ∅ }} n’est autre que {0, 1}.

... et ainsi de suite.

L’ordre L’ordre est alors d’une simplicité fulgurante car un nombre est représenté par l’ensemble de ses prédécesseurs, par exemple 6 = {1, 2, 3, 4, 5}. Ainsi on définit :

Définition 3.1. Soient deux entiers n et m. On dit que n est strictement plus petit que m et on note n < m si nm.

L’ordre est directement donné par la relation d’appartenance ∈, nous n’avons plus aucun effort à faire parce que la manière de construire est excellente.

L’addition Pour les mêmes raisons que précédemment, nous ne définirons pas l’addition sur nos entiers.

3.1.3 Cerise sur le mouton

Nous avons fini notre construction des entiers naturels, nous avons définit chaque nombre un par un et nous avons donné un sens à l’ordre et à l’addition. Mais cette partie n’est pourtant pas terminée. Depuis le début de ce polycopié, j’ai écris 143 fois le mot ensemble, sans compter celle là. Une question qui devrait vous venir après autant d’occurences d’un même mot et qui n’est pas triviale du tout : "Est-ce que mes nombres forment bien tous réunis un ensemble que je pourrais noter N = {0, 1, 2, 3, ...} ?". A priori, c’est loin d’être évident car si vous reprenez la méthode, nous construisons 0, 1, 2, 3, et ainsi de suite... jusqu’à l’infini. Même si à chaque étape du raisonnement, le nombre que je construis est un ensemble, aucun de mes axiomes ne me dit que j’ai le droit de construire des ensembles infinis (la paire et la réunion ne permettent de construire des ensembles en donnant leurs éléments que s’ils sont finis). Il nous faut donc un nouvel axiome.

Axiome 3.1.1 (Axiome de l’infini). Il existe un ensemble contentant le vide et tous ses successeurs.

(13)

On peut par exemple (et au hasard) décider de noter cet ensemble N . La construction que nous venons de faire s’appelle la construction de Von Neumann (1903-1957) qui était un mathématicien et physicien américano-hongrois.

3.2 Entièrement relatif

3.2.1 Pourquoi avons-nous besoin des nombres relatifs ?

Nous venons de construire les entiers naturels 0, 1, 2, etc. Nous sommmes habiutés à rencontrer d’autres nombres, les nombres négatifs, qui forment avec les nombres positifs ce que l’on appelle en mathématiques les entiers relatifs. Quand nous prenons l’ascenseur par exemple et que nous allons au 2ème sous-sol, nous allons en fait à l’étage −2, cela ne nous choque pas.

Ils peuvent être utiles aussi pour d’autres raison, car ils contiennent une information supplé- mentaire : le signe du nombre, s’il est positif ou négatif. Plutôt que de compter nos sous dans notre poche, imaginons que nous voulions retenir combien d’argent nous avons sur notre compte bancaire. Disons que nous ayons par exemple 500 e sur notre compte, tout va bien, mais si un jour nous achetons un objet à 520 e , ou bien nous ne pouvons pas l’acheter car il nous manque 20 e , ou bien nous sommes à découvert de 20 e . Mais tout ceci est bien compliqué à retenir comme donnée pour notre compte en banque. Les nombres relatifs apparaissent alors comme une simpli- fication dans les données à conserver et ils simplifient également pour les mêmes raisons tous les calculs. Grâce à eux ici nous ne retenons qu’un nombre que l’on appelle M, le montant d’argent que nous avons sur notre compte, et qui selon qu’il est positif ou négatif, nous dira si nous sommes à découvert ou non.

3.2.2 Première tentative

Nous voulons construire les nombres relatifs, comme nous l’avons fait pour le cas des entiers na- turels, pour les définir proprement. Commençons comme dans le cas de N par essayer de construire les entiers relatifs naïvement. Si l’on regarde les nombres 1, 2, 3, ... et −1, −2, −3, ... on a envie de dire que la seule chose qui les différencient est le signe − que l’on met devant eux. Comment traduire ça mathématiquement ? On pourrait par exemple procéder comme suit :

— les nombres positifs restent les mêmes n ∈ N ,

— on nomme −1, −2, −3 les ensembles {0, 1}, {0, 2}, {0, 3} et ainsi de suite.

Ici le 0 que l’on rajoute à côté nous sert juste à nous indiquer qu’on considère −3 et non 3.

L’ordre Ce n’est pas compliqué de définir l’ordre sur ces nombres. Il faut distinguer les cas et regarder quand on prend deux nombres si les deux sont négatifs, si l’un des deux est négatif ou si les deux sont positifs et définir dans chacun de ces cas à quelle condition l’un est plus grand que l’autre.

L’addition L’addition en revanche... est plus compliquée. Il faudrait distinguer les cas :

n + m est déjà définit si les deux sont dans N ,

— {0, n} + {0, m} = {0, m + n} : ici nous définissons ce que nous voulons pour le résultat de

−n + (−m) c’est-à-dire −(n + m).

(14)

— Dans le cas où on additionne un nombre positif et un nombre négatif :

n + {0, m} = nm si n > m (1)

= {0, m − n} si n < m (2) Et vous voyez que dans la définition, nous utilisons la soustraction sur les entiers naturels, opération que nous n’avons pas défini ! Nous le pourrions bien sûr mais la construction de Z devrait nous permettre de soustraire par ajout du nombre opposé, nous n’avons pas envie de faire ce travail durant la construction. Intéressons-nous maintenant à une méthode bien plus efficace et qui caractérise bien mieux nos entiers relatifs.

3.2.3 Seconde tentative

En gardant toujours la même démarche, posons-nous la question suivante : quelles sont les caractéristiques d’un nombre relatif ? Prenons par exemple le nombre −2. Ce qu’on peut en dire, et c’est pour ça que nous avons envie de le créer, c’est que lorsque je lui ajoute un entier naturel plus grand que lui comme par exemple 8 j’obtiens 8 + (−2) = 8 − 2 = 6. Ainsi −2 est caractérisé par le faire que lorsque je pars de 8, j’arrive à 6 en ajoutant −2. Pour le nombre 2, on part de 6 et on arrive à 8 en ajoutant 2. On pourrait alors vouloir définir −2 comme {8, 6}. Oui mais {8, 6} = {6, 8} ce n’est qu’un sac qui contient 6 et 8, il ne présente pas d’orientation, on ne peut distinguer le point de départ et le point d’arrivée et donc on ne peut pas distinguer −2 de 2. Mais on peut construire un ensemble, que l’on appelle couple et que l’on note (6, 8) tel que l’ordre dans lequel je note mes éléments importe : (8, 6) 6= (6, 8).

Remarque 3.1. C’est Kuratowski qui propose de construire la paire ordonnée à partir des axiomes que nous connaissons déjà. Il définit le couple (6, 8) comme (6, 8) = {6, {6, 8}}. Il ajoute bien un ordre, à la paire que nous connaissions. En lisant l’ensemble {6, {6, 8}} on peut déterminer sans ambiguïté un premier nombre : 6 et un second : 8.

Exemple 3.2. Voici quelques exemples de couples de nombres : (3, 8), (4, 19), (8, 3).

Ainsi le nombre −2 est caractérisé par le couple (6, 8), mais il pourrait l’être aussi par le couple (10, 12). Le couple (8, 6) lui représente 2 mais on pourrait choisir (14, 12). Puisque nous pouvons faire le choix que nous voulons, nous définissons pour n ∈ N :

— le nombre positif n = (n, 0),

— le nombre négatif −n = (0, n)

et nous obtenons ainsi tous les nombres relatifs.

L’addition Nous commençons cette fois par l’addition, vous comprendrez pourquoi. Essayons de définir l’addition sur nos couples. La manière la plus simple de définir l’addition sur les couples serait d’additionner les composantes entre elles :

Exemple 3.3. (2, 3) + (8, 6) = (10, 9)

Mais il apparaît alors un problème lorsque l’on somme 5 − 8 qui devrait me donner −3 par exemple car on obtient :

5 − 8 = 5 + (−8) = (5, 0) + (0, 8) = (5, 8). (3)

Or (5, 8) ne correspond à personne dans notre définition des entiers relatifs, pourtant on constate

tout de même quelque chose : 5 − 8 = −3, on tombe sur un couple que l’on aurait pu choisir tout

(15)

à l’heure pour caractériser notre nombre −3. Pour que le résultat du calcul soit égal à −3 nous aurions envie d’appeler aussi (5, 8) = −3 mais ceci nous imposerait (5, 8) = (0, 3) ce qui est faux.

De plus, si nous avions fait un autre calcul, nous aurions peut-être voulu appelé −3 = (7, 10) ou (15, 18). En fait, c’est tous ces couples qui caractérisent −3, pour bien définir −3 il faut donc le définir comme l’ensemble de ces couples.

Pour être plus précis, caractérisons proprement ce qu’est d’être dans le même ensemble. Nous voudrions que deux couples (a, b) et (c, d) soient dans le même ensemble, que l’on note (a, b) ∼ (c, d) si, et seulement si ab = cd, mais nous n’avons pas de soustraction à notre disposition ! Nous rusons et choisissons comme condition

(a, b) ∼ (c, d) si, et seulement si a + d = c + b (4) ce qui abouti à la même condition mais en utilisant les seuls outils que nous avons : l’addition. On dira que deux couples liés par la relation 4 sont équivalents. Nous pouvons alors définir :

— ...

— On appelle −3 l’ensemble des couples équivalents à (0, 3) soit {(0, 3), (1, 4), (2, 5), (3, 6), ...}

que l’on note [(0, 3)].

— On appelle 0 l’ensemble des couples équivalents à (0, 0) soit {(0, 0), (1, 1), (2, 2), (3, 3), ...}

que l’on note [(0, 0)].

— On appelle +1 l’ensemble des couples équivalents à (1, 0) soit {(1, 0), (2, 1), (3, 2), (4, 3), ...}

que l’on note [(1, 0)].

— ...

Remarques 3.2.

— En mathématiques, la relation que nous définissons entre nos couples est une relation d’équi- valence nous parlons de la classe de −3 pour parler de l’ensemble qui le contient.

— Attention : puisque (0, 1) ∼ (1, 2) nous avons donc que [(0, 1)] = [(1, 2)], ils définissent la même classe !

Nous en arrivons enfin à la définition de l’addition, nous prenons la manière la plus naturelle de faire :

Définition 3.2. On définit l’addition comme suit :

[(a, b)] + [(c, d)] = [(a, b) + (c, d)]

Essayons de nous familiariser avec cette définition et de comprendre en quoi tout ceci est naturel. Ainsi, pour additionner deux nombres −1 et +5 il suffit de prendre un représentant de chaque nombre comme par exemple (5, 6) et (7, 2), de les additionner (5, 6) + (7, 2) = (12, 8) et nous avons alors :

(−1) + (+5) = [(5, 6)] + [(7, 2)] = [(12, 8)] = [(4, 0)] = +4 ce qui est bien ce que nous voulions définir pour la somme (−1) + (+5) !

Remarque 3.3. Que se passerait-il si nous prenions des représentants différents ? Est-ce que le

résultat de l’addition changerait ? Si c’était le cas, alors il faudrait tout revoir car nous ne voulons

pas que (−2) + (+3) fasse tantôt +1, tantôt +7 selon le représentant choisi. Le résultat ne change

pas, quelque soit le représentant choisi. On peut le démontrer, mais il n’est pas intéressant de le

faire ici.

(16)

L’ordre L’ordre est simple à définir sur ces couples, mais cela n’apporterait pas grand chose au polycopié de le faire.

Remarque 3.4. A bien y regarder on constate que 0, +1, +2, ... ainsi construits ne sont pas tout a fait les nombres 0, 1, 2, ... que nous avions construits avant. Ce ne sont en effet pas tout à fait eux, mais ils ont les mêmes propriétés, et c’est ce qui importe. Travailler avec +1 ou travailler avec 1 ne change rien, c’est pour cela que nous ne faisons pas la distinction.

Appelons pour terminer ces nombres les entiers relatifs et notons l’ensemble que nous venons de construire Z .

Remarque 3.5. Z est bel est bien un ensemble mais pour le montrer il faut utiliser un axiome plus compliqué de la théorie ZF qui est le schéma de compréhension et que nous ne développerons pas ici.

3.3 Petit goûter

Figure 4 – Une fraction

121

de gâteau

Nous avançons à grandes enjambées et nous avons déjà construit maintenant tous les nombres entiers. Peut-être devinez-vous l’ensemble de nombres que nous allons construire ensuite. C’est un ensemble qui apparaît étrangement encore plus simplement que les entiers négatifs, car il se trouve dans toutes nos situations du quotidien. Lorsque nous coupons un gâteau ou que nous faisons la cuisine par exemple. Je parle bien sûr de l’ensemble des fractions comme par exemple

12

,

14

ou encore −

123321

qui nous permettent depuis bien longtemps de partager les desserts de façon équitable (figure 4). En mathématiques on les appelle

dénominateurnumérateur

. Dans une situation plus commune, le numérateur est le nombre de gâteaux, le dénominateur le nombre de personnes, et la fraction nous donne la portion de gâteau que chaque personne aura. En mathématiques, cet ensemble s’appelle l’ensemble des nombres rationnels et se note Q . Rassurez-vous, avec tout le travail que nous avons fourni jusqu’à maintenant, la construction de cet ensemble est en fait un jeu d’enfant. Tout le problème, comme depuis le début, est de trouver la bonne construction qui permet de définir la structure des nombres que nous connaissons simplement (j’entends par structure la multiplication et l’addition).

Construction Souvenez-vous de ce que nous avons fait tout à l’heure, nous avons utilisé les

couples, nous avons transcrit grâce à eux de la manière la plus simple possible cette idée de dé-

bit/crédit et nous nous sommes rendu compte que cette méthode permettait de définir l’addition

de manière extrêmement simple. Ceci pourrait presque nous donner des idées pour Q , avec pour

différence qu’avant nous nous intéressions à la différence entre débit et crédit et maintenant nous

(17)

nous intéressons au rapport entre numérateur et dénominateur.

Ainsi nous décidons de représenter par exemple la fraction

34

par le couple (3, 4). Vous souvenez- vous du problème que nous avions eu tout à l’heure ? Par notre méthode, plusieurs couples portaient le même nom. Ici, nous retombons sur le même problème, le couple (3, 4) est le même que le couple (6, 8) ou que (−3, −4). Ceci se voit parfaitement sur un dessin pour le premier, et pour le second les deux signes moins se compensent.

Il ne nous reste alors plus qu’à faire comme tout à l’heure, nous regroupons dans un même ensemble les couples qui correspondent à la même fraction, dans mon exemple à

34

, comme par exemple (3, 4), (6, 8), (24, 32), ... etc, puis nous appelons cet ensemble

34

, c’est en fait celui qui représente

34

. C’est l’ensemble de ces représentants, qui est bien un ensemble

7

, que nous appellerons Q .

Remarque 3.6. On remarque comme précédemment que les entiers relatifs sont en fait représentés différement dans l’ensemble que nous venons de construire : par exemple 4 est en fait

41

qui est un ensemble contenant les couples (4, 1) ou (8, 2) par exemple.

Qu’en est-il maintenant des opérations ? Nous faisons les mêmes vérifications que pour Z . Elles sont exactement aussi simple à définir sur les couples que sur les fractions puisqu’un couple est une fraction ou on remplace la barre par deux parenthèses et une virgule. Mais nos nombres rationnels sont des ensembles de couples, il faut donc encore une fois vérifier que les opérations ne dépendent pas du couple choisi pour représenter la fraction, ce que nous ne ferons pas non plus ici.

3.4 Et tous les autres ?

Figure 5 – Droite réelle

Nous avons construit les ensembles N , Z et Q ! Il nous reste un ensemble à construire, mais nous ne le ferons pas. Nous le présenterons ici et nous expliquerons ainsi un petit peu pourquoi nous ne pouvons pas détailler la construction. Cet ensemble, c’est l’ensemble des nombres réels, R , c’est-à-dire l’ensemble de tous les nombres usuels. Il est représenté par une droite, vous l’avez sûrement déjà rencontré sous cette forme (figure 5). Lorsque l’on mesure avec un double décimètre par exemple, on peut mesurer toutes les longueurs entre 0 et 20 cm, c’est-à-dire en fait que ce qu’on mesure peut avoir une longueur en centimètres égale à n’importe quel nombre réel entre 0 et 20. Ces deux images montrent qu’en fait on peut se déplacer dans les nombres réels de 0 jusqu’à 1 sans avoir à faire de "saut", on peut se déplacer continument de 0 à 1. Si je reste dans N vous voyez que ce n’est pas possible.

7. Même méthode de démonstration que pourZ

(18)

C’est cette propriété qui en fait un ensemble si particulier. En construisant les ensembles pré- cédents nous nous sommes intéressés à l’addition ou à la multiplication mais jamais à "l’aspect" de l’ensemble. Si nous devions représenter Q , nous aurions une droite trouée absolument partout, si finement qu’il nous serait impossible de voir les trous, mais laissez-moi vous expliquer. On nomme nombres irrationnels les nombres réels auxquels on a retiré les nombres rationnels et cet ensemble est noté R \ Q . Pour mieux comprendre la constitution de la droite réelle que nous avons vu voici deux faits :

Si on considère deux nombres réels quelconques, il existe un rationnel (strictement) entre eux.

Si on considère deux nombres réels quelconques, il existe un irrationnel (strictement) entre eux.

Ainsi vous comprenez que sur la droite réelle, entre chaque rationnel se trouve un irrationnel, donc Q est effectivement troué. Cependant, il est également présent absolument partout puisqu’il existe toujours un rationnel entre deux nombres réels quelconques. R apparaît alors comme la droite trouée formée par Q que nous venons de construire dont on aurait "comblé tous les trous". Pour

"combler les trous", il faut faire une construction différente, utilisant des outils d’analyse, car ce

n’est pas une tâche aisée. En outre, "combler les trous" nous fait apparaître des nombres bien

plus compliqués, qui ne s’écrivent pas comme une fraction. Un exemple bien connu est le nombre

π = 3.14... mais nous ne sommes même pas en mesure de décrire les nombres que nous avons

ajouté hormis quelques cas particuliers. Contentons-nous de N , Z et Q pour l’instant si vous le

voulez bien...

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