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« La stipulation d'une clause de non-concurrence illicite ne cause plus nécessairement un préjudice ». note sous Cass. soc. 25 mai 2016.

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La stipulation d’une clause de non-concurrence illicite ne cause plus nécessairement un préjudice

Soc. 25 mai 2016, n°14-20578, à paraître au Bulletin

« Mais attendu que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; que la cour d'appel, ayant constaté que le salarié n'avait subi aucun préjudice résultant de l'illicéité de la clause de non concurrence, le moyen ne peut être accueilli ».

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a remis au goût du jour la question des rapports, parfois tumultueux, du droit du travail avec le droit civil. En ce sens, on a pu s’interroger sur l’incidence des changements programmés sur les règles applicables à la relation de travail

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. S’il est encore trop tôt pour observer un éventuel infléchissement des solutions travaillistes en matière contractuelle, plusieurs décisions récentes témoignent en revanche d’un rapprochement vers le droit commun s’agissant de la mise en oeuvre de la responsabilité civile de l’employeur.

Cette tendance est confirmée par un arrêt du 25 mai 2016 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation.

En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité de chargé de démarcheur commercial par une société de gestion de patrimoine. Après avoir été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il prit acte de la rupture de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes indemnitaires. Par un arrêt du 14 mai 2014, la cour d’appel de Poitiers le débouta de sa demande d’indemnisation du préjudice résultant de l’illicéité de sa clause de non- concurrence. Il décida alors de se pourvoir en cassation, selon le moyen que la stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié. En refusant de retenir l’existence d’un préjudice, au motif que le requérant avait exercé, après la rupture de son contrat de travail, l’activité interdite par la clause, la cour d’appel aurait ainsi violé les articles 1147 du Code civil et L. 1121-1 du Code du travail. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi et confirme la position retenue par les magistrats poitevins. Elle estime que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, lesquels, en l’espèce, ont constaté que le salarié n’avait subi aucun préjudice résultant de l’illicéité de la clause de non-concurrence. Bien que prévisible, cette décision opère un véritable revirement de jurisprudence en matière d’appréciation du préjudice résultant de la stipulation d’une clause de non-concurrence illicite. Si la solution mérite l’approbation (1), sa portée ne doit toutefois pas être exagérée compte-tenu des circonstances de l’affaire (2).

1. Depuis les arrêts du 10 juillet 2002, on sait que la validité des clauses de non-concurrence est subordonnée, notamment, à l’existence d’une contrepartie pécuniaire spécifique

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. Faute de satisfaire à cette exigence, la clause est considérée comme nulle de nullité relative, celle-ci ne pouvant être invoquée que par le salarié

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. Dans le même temps, la jurisprudence est venue énoncer que la stipulation d’une clause illicite causait nécessairement un préjudice au salarié. Cette qualification automatique du préjudice visait non seulement les cas où celui-ci respecte l’obligation de non- concurrence nonobstant sa nullité

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, mais également la situation dans laquelle l’annulation de la

1 G. Loiseau, « Le contrat de travail dans le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats ». JCP S 2015, n°55, p. 1468 ; Ch. Radé, « L’impact de la réforme du droit des contrats en droit du travail ». Lexbase Hebdo éd. soc.

2016, n°645 ; M. Fabre-Magnan, « La réforme du droit des contrats : quelques contre-feux civilistes à la dérèglementation du droit du travail ». SSL 2016, n°1715, p. 8 ; et notre contribution « L’incidence de la réforme du droit des contrats sur le régime du contrat de travail : renouvellement ou statu quo ? ». RDT 2016, p. 258.

2 Soc. 10 juillet 2002, n° 00-45135, Bull civ. V n°239, Dr. soc. 2002, p. 949, chron. R. Vatinet ; D. 2002, p. 2491, note Y. Serra.

3 Soc. 25 janv. 2006, no 04-43.646, JCP S, 2006, 1211, note P.-Y. Verkindt, Dr. soc. 2006, p. 463, obs. J. Mouly

4 Soc. 11 janvier 2006, n°03-46933, Bull. civ. V n°8, Dr. soc. 2006, p. 465, obs. J. Mouly.

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clause est concomitante à la rupture du contrat de travail

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. Dans cette dernière hypothèse, l’affirmation d’un préjudice nécessairement causé au salarié, au double visa des articles 1147 du Code civil et L. 1121-1 du Code du travail, suscitait de nombreuses réserves. Aussi son abandon dans l’arrêt sous commentaire nous semble-t-il aller dans le bon sens.

Tout d’abord, au plan des fondements, la mobilisation de l’article L. 1121-1 du Code du travail n’emportait guère la conviction. Si l’on quitte un instant le terrain de la cause en tant que justification d’une contrepartie financière spécifique, et que l’on entreprend d’expliquer cette dernière par une volonté de compenser l’atteinte à la liberté du travail du salarié

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, le visa de l’article L. 1121-1 est certes concevable. Cela étant, dès lors que l’annulation de la clause de non- concurrence a été obtenue concomitamment à la rupture du contrat de travail, il ne permet en aucune façon d’identifier en quoi pouvait bien consister le préjudice nécessairement causé au salarié

! La référence à l’article 1147 du Code civil, qui se trouve à nouveau mobilisé en l’espèce par le demandeur au pourvoi, s’avérait elle aussi des plus douteuses, quoique pour des raisons différentes.

Inséré dans le titre 3 du Code civil, siège du droit commun des contrats, l’article 1147 prévoit le versement de dommages-intérêts par le débiteur défaillant d’une obligation découlant d’un acte juridique valablement formé. Partant, et même à supposer que la clause de non-concurrence puisse être regardée comme une sorte de « contrat dans le contrat »

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, il demeure hasardeux de se référer au régime de l’inexécution contractuelle en présence d’un engagement nul. En pareilles circonstances, la réparation du préjudice subi en raison de la nullité d’un acte juridique provoquée par la faute d’une partie - en l’espèce la méconnaissance de règles de validité d’essence prétorienne - doit être entreprise sur le terrain extracontractuel

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.

Dans cette optique, ensuite, il reste encore à établir l’existence d’un préjudice consécutif à la stipulation d’une clause illicite, conformément aux principes du droit commun de la responsabilité civile. Or là aussi, la présomption instaurée par la chambre sociale était loin de faire l’unanimité

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. D’une part, elle interdisait aux juges du fond toute appréciation de la réalité du préjudice prétendument éprouvé par le salarié

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. Leur rôle se trouvait alors cantonné à la fixation du montant des dommages-intérêts alloués en réparation, avec parfois une tendance à prononcer des condamnations à des montants symboliques. D’autre part, et surtout, quel pouvait bien être ce fameux préjudice nécessairement causé par une restriction à la liberté du travail, à laquelle, faut-il le rappeler, le salarié n’a jamais été véritablement soumis ? On peut concevoir, à la rigueur, que l’interdiction d’exercer une activité professionnelle donnée puisse décourager le salarié en poste de rechercher de meilleures conditions de travail auprès d’entreprises concurrentes. Mais il faudrait alors apprécier in concreto s’il a véritablement été empêché de contracter du fait de la stipulation de la clause de non-concurrence. Au surplus, il conviendrait d’évaluer la connaissance qu’il pouvait éventuellement avoir de la nullité de ladite clause et de la possibilité qui était la sienne de s’en prévaloir pour le cas où il serait conduit à exercée l’activité prohibée. En somme, l’existence d’un

5 Soc. 12 janvier 2011, n°08-45280, Bull. civ. V n°15, Dr. soc. 2011, p. 468, obs. J. Mouly.

6 En ce sens D. Baugard, « L’engagement de verser une contrepartie financière dans la clause de non-concurrence ». in Mélanges Gaudu, IRJS, Paris, 2014, p. 332 et s.

7 A. Martinon, « La cause au temps de la construction du contrat de travail ». in La cause en droit du travail, B. Teyssié (dir.), Paris, Éd. Panthéon-Assas, 2013, p. 28.

8 J. Mouly, op. citi. ; v. aussi L.-F. Pignarre, « Contrepartie financière de la clause de non-concurrence et droit des obligations : jeux d’influence ». RDT 2009, p. 151. Reconnaissons tout de même que pour les contrats conclus antérieurement au revirement de 2002, il peut sembler bien sévère de reprocher à l’employeur de n’avoir pas respecté une condition de validité qui, par définition, n’existait pas au jour de la stipulation de la clause de non-concurrence.

9 Etant observé que le recours à la « théorie » du préjudice nécessairement causé se manifeste également dans le domaine médicale, lorsque le professionnel de santé manque à son obligation précontractuelle d’information vis-à-vis de son patient, Civ. 1ère 3 juin 2010, n°09-13591, Bull. civ. I, n°128.

10 Ch. Radé, « La remise tardive d’un bulletin de salaire n’est plus nécessairement sanctionné par l’octroi de dommages et intérêts ». Lexbase Hebdo éd. soc. 2016, n°653.

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préjudice est ici soumise à d’importants aléas qui rendent pour le moins discutable la systématisation d'une atteinte aux intérêts patrimoniaux du salarié en présence d’une clause illicite.

Aussi partage-t-on le sentiment, avec d’autres

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, que l’engagement de la responsabilité civile de l’employeur fait surtout ici figure de peine privée, pour reprendre les mots de Starck, et que les dommages-intérêts qui lui sont réclamés assument avant tout une fonction punitive. Or, quoi que l’on puisse penser de l’introduction en droit français de dommages-intérêt punitifs

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, il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel de la législation, et dans l’attente d’une réforme à venir, cette instrumentalisation du droit de la responsabilité civile se révèle peu orthodoxe.

2. Opportun, le revirement opéré par la chambre sociale était également prévisible, si ce n’est attendu. Il s’inscrit en effet dans ce qui se dessine depuis peu comme une orientation plus large, venant déconstruire un édifice prétorien bâti progressivement depuis le début des années 1990

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. A travers la notion de préjudice « nécessairement causé », la Cour de cassation a ainsi entrepris de sanctionner par l’allocation de dommages-intérêts toute une série de manquements de l’employeur à des obligations, assez hétéroclites du reste, posées par la loi ou dégagées par la jurisprudence. Sont notamment visés l’absence de visite médicale d’embauche

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, le défaut d’information du salarié sur la convention collective applicable dans l’entreprise

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, ou encore sur les critères d’ordre des licenciements pour motif économique

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. Jusqu’à il y a peu, la remise tardive la Cour de cassation jugeait que la remise tardive des documents de fin de contrat - attestation Pôle emploi, certificat de travail, bulletins de salaire - causait nécessairement elle aussi un préjudice au salarié, lequel était dispensé d’en prouver l’existence

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. Or, dans un arrêt remarqué du 13 avril 2006, comportant une motivation identique à la décision entreprise, la chambre sociale estima, que « l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond

; que le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué » par la remise de bulletins de paie seulement lors de l’audience de conciliation

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. Dans les prochains mois, on peut donc s’attendre à ce que l’abandon du « préjudice nécessairement causé » remette en question nombre de solutions antérieures, ou à tout le moins celles pour lesquelles le manquement de l’employeur ne génère pas systématiquement, et effectivement, un préjudice

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.

La portée de ce revirement sur le régime de la clause de non-concurrence apparaît quant à lui plus limité. S’il opère un changement radical de perspective s’agissant de l’établissement du préjudice consécutif à une clause illicite que le salarié n’a pas exécutée, ses conséquences seront sans doute moins spectaculaires lorsque celui-ci se sera conformé à la disposition litigieuse. En effet, le salarié qui respecte une clause de non-concurrence nulle se conforme a une obligation dépourvue de la contrepartie à laquelle il aurait légitimement pu prétendre. A raisonner dans l’optique d’un engagement synallagmatique - où la contrepartie pécuniaire constitue la cause de la sujétion du salarié

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-, et comme certains auteurs l’ont proposé

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, la réparation du préjudice causé au salarié peut

11 S. Tournaux, « Nullité de la clause de non-concurrence et préjudice subi par le salarié ». Lexbase Hebdo éd. soc.

2016, n°658.

12 Sur cette question v. notamment Ph. Jestaz, « Les dommages et intérêts en quête d’un fondement ». RLDA 2013, n°85, p. 109.

13 Voir SSL 2016, n°1721, p. 12, « Un retour au droit commun ».

14 Soc. 18 décembre 2013, n°12-15454, Bull. civ. V, n°309

15 Soc. 19 mai 2004, n°02-44671, Bull. civ. V, n°134.

16 Soc. 7 juillet 1999, n°97-43140, inédit.

17 Par exemple, Soc. 4 février 2015, n°13-18168, inédit.

18 Soc. 13 avril 2016, n°14-28293, à paraître au bulletin

19 Il convient en effet de remarquer, avec le Professeur Radé, que certains manquements causent nécessairement un préjudice, comme par exemple l’absence de versement, ou le paiement tardif, des éléments de rémunérations présentant

« un caractère alimentaire », Ch. Radé, op. cit.

20 V. notamment J.-L. Aubert, J. Flour et E. Savaux, Les obligations, tome 1 : L’acte juridique, Paris, Sirey, 15ème éd., 2012, n°262 ; G. Auzero, « Quelle contrepartie à l’obligation de non-concurrence ? ». RDT 2011, p. 306.

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alors être envisagée sur le terrain des restitutions consécutives à l’annulation de la clause. Faute, pour l’employeur, d’être en mesure de restituer l’avantage que lui a procuré le respect d’une obligation de non-concurrence par le salarié, ce dernier devrait bénéficier d’une restitution par équivalent monétaire. Il appartiendra alors aux juges du fond de statuer sur le montant des dommages-intérêts en se référant au montant des contreparties stipulées selon des paramètres de sujétion analogues.

Enfin, aux termes de l’article 1182 de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, il restera à s’assurer que la clause n’a pas été confirmée par le salarié. L’alinéa 3 de l’article précité dispose en effet que « l’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation ». Toutefois, même en admettant que l’employeur parvienne à rapporte la preuve d’une exécution de la clause dans les conditions prescrites à l’article 1182, il n’est pas certain que la satisfaction des conditions posées par le droit commun suffise à paralyser l’application des règles spéciales entourant la validité des clauses de non-concurrence en droit du travail. Là encore, l’avenir dira si le renouveau du droit des contrat emportera ou non un recul des particularismes travaillistes.

Lucas Bento de Carvalho

21 L.-F. Pignarre, op. cit. ; L. Gratton, « Le dommage déduit de la faute ». RTD civ. 2013, p. 275.

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