UNIVERSITÉLIBRE DEBRUXELLES
Faculté des Sciences appliquées Service d’optique et d’acoustique
Instabilité, solitons et solhiatons
Une approche expérimentale de la dynamique non linéaire
en fibres optiques
Promoteur de thèse : Marc Haelterman
Année académique –
Dissertation originale
présentée par Gaetan Van Simaeys
en vue de l’obtention du grade
de doeur en Sciences appliquées
À Daddy, qui m’y voyait déjà
À Mummy, qui n’en a jamais douté
Remerciements
Merci à Philippe et Marc de m’avoir soutenu et guidé, chacun à sa façon, pendant ces quatre larges années de thèse.
Merci à Marc pour avoir partagé sa prodigieuse intuition physique et son enthousiasme devant les courbes les plus obscures.
Merci à Marc de m’inciter à me dépasser pour tenter de me hisser à son niveau d’exigence.
Merci à Philippe pour m’avoir fait profiter de sa rigueur onueuse, de ses conseils nuancés et de son intransigeante honnêteté. C’est assurément grâce à son sens de l’écoute et à sa diplomatie qu’on parvient à se sentir comme che SOA au travail.
Merci à Philippe de m’avoir laissé dépenser sans (trop) compter.
Merci à Stéphane d’avoir intercédé pour moi auprès des chefs et de m’avoir ainsi permis de rejoindre la petite bande d’UFOlogues, autrefois recluse dans les cachots du bâtiment U.
Merci à Stéphane d’avoir si souvent entrouvert à mon attention sa boîte à malice. Merci pour sa disponibilité sans faille.
Merci à Stéphane pour sa releure attentive et patiente, pour son œil acéré et matois et son calami- teux coup de raquette.
Merci à Frédérique de s’être plongée dans les chiffres romans et dans le fragaçant roman de mes chiffres.
Merci à Stéphane et Frédérique pour la très belle mise en page de cette thèse.
Merci à Stéphane et Frédérique pour les supeeeeeerbes figures du second chapitre.
Merci à Frédérique et Stéphane pour leur bonne humeur communicative et leur entrain — si, si ! Merci à Frédérique et Stéphane pour les encouragements incessants.
Merci à Frédérique et Stéphane pour la chaleur de leur indéfeible amitié.
Merci à Stéphane, dit Pits, de m’avoir éclairé sur le sujet ardu des solhiatons. Merci de m’avoir refilé le bébé, tiens !
Merci à Simon-Pierre de m’avoir fait douter. C’est le début du bon-sens, paraît-il.
Merci à oncle Gérard pour son goût de la formule et sa recherche de citations.
Merci par ailleurs aux chercheurs de l’ARC, S. Massart, E. Brainis et N. Cerf de m’avoir accordé la permission de faire usage de leur dit “pattern generator”, qui m’a longtemps semblé indispensable.
Merci d’avance aux membres éminents de mon jury pour leurs critiques avisées et la mansuétude de
leur appréciation.
ii
Merci à mes anciens camarades de jeu, Nadège, Pascal, Thibaut et Antonio, d’avoir su m’ensei- gner et me distraire.
Merci à Nadège pour ses attentions et ses gâteaux, ses grandes ripailles et ses sites mitonnés aux petits oignons.
Merci à Pascal pour ses innombrables explications rigoureuses, détaillées, où jamais l’approximation n’a trouvé de place. Grâce à lui, je commence à saisir la subtile nuance entre entre vétille et détail, chicane et reitude.
Merci à Thibaut pour sa franc-comtoise camaraderie.
Merci à Antonio de m’avoir fait partager ses deux passions. Je n’oublierai pas les astuces de l’une et la méthode pragmatique qu’il a développée pour l’autre.
Merci à Ingrid d’avoir patienté si souvent et supporté si longtemps. Ça doit être l’amour, sans doute.
Merci à Mummy de m’avoir si bien nourri et d’avoir veillé si attentivement à la bonne santé de son petit. À Isabelle et Alain aussi, de m’inviter au resto pour fêter ça. Merci à Mathilde et Théo de me rappeler que finalement, ce n’est pas si important.
Et merci à tous ceux que j’oublie d’oublier que je les ai oubliés.
Table des matières
Introduction
Observation expérimentale de la récurrence de l’instabilité modulationnelle
La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam, ou l’histoire d’un paradoxe . . . .
. La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam . . . .
. Récurrence fpu et solitons . . . .
. L’interprétation auelle de la récurrence fpu . . . .
. Les observations expérimentales de la récurrence fpu . . . .
. Conclusions . . . .
Le concept d’instabilité modulationnelle . . . .
. Définition de l’instabilité modulationnelle . . . .
. Stabilité et instabilité des ondes d’enveloppe continue . . . .
. L’évolution à long terme de l’ im . . . .
Les modèles de l’instabilité modulationnelle . . . .
. L’approche perturbative . . . .
. Le modèle à modes . . . .
. Solution périodique exae de l’équation nls dans le problème de l’im . . . .
. Etude numérique de la récurrence de l’im . . . .
La génération d’impulsions plateaux, deus ex machina de notre expérience . . . .
. Impulsions et instabilité modulationnelle . . . .
. Le miroir non linéaire en boucle fibrée, source d’impulsions re angulaires . . . .
L’observation expérimentale de la récurrence fpu de l’im . . . .
. Le dispositif expérimental . . . .
. Les résultats expérimentaux . . . .
Conclusion . . . .
Bibliographie . . . .
Étude des parois de domaines de polarisation
La transmission de données par parois de domaines optiques . . . .
. Télécommunications par fibres optiques et solitons . . . .
. Le schéma de transmission par parois de domaines . . . .
Propagation non linéaire dans les fibres optiques . . . .
. Équations de propagation . . . .
. Réponses linéaire et non linéaire du milieu . . . .
. Les symétries des tenseurs de susceptibilité . . . .
. Les équations d’enveloppe . . . .
Polarisation et biréfringences dans les fibres optiques . . . .
. État de polarisation d’une onde plane . . . .
. Définition de l’état de polarisation dans les fibres optiques . . . .
. Définition des modes propres dans les fibres réelles . . . .
. Origine et caraéristiques des effets de biréfringence dans les fibres optiques . . .
vi TABLE DES MATIÈRES
. Fibres hélicoïdales et parois de domaines . . . .
Évolution de la polarisation dans les fibres optiques . . . .
. Paramètres de Stokes et sphère de Poincaré . . . .
. Les effets de biréfringence dans le formalisme de Stokes . . . .
. La représentation de la biréfringence et de l’aivité optique sur la sphère de Poincaré . . . .
. Les modes normaux dans les fibres torses et hélicoïdales . . . .
Description analytique des parois de domaines de polarisation . . . .
. Recherche du potentiel . . . .
. Calcul des trajeoires associées aux parois de domaines de polarisation . . . .
. Recherche numérique des trajeoires . . . .
Étude numérique des parois de domaines . . . .
. Les équations du modèle numérique . . . .
. Procédure numérique et paramètres de la simulation . . . .
. Évolution des parois de domaines dans les fibres hélicoïdales . . . .
Proposition d’expérience pour l’observation du soliton en paroi de domaines . . . . .
Conclusion . . . .
Bibliographie . . . .
Observation expérimentale du solhiaton
Milieux et struures périodiques : les enjeux d’une révolution photonique . . . .
Propagation dans les réseaux de Bragg fibrés . . . .
. Propriétés linéaires des réseaux de Bragg fibrés . . . .
. Effets non linéaires et solhiatons . . . .
La propagation non linéaire dans un réseau dynamique . . . .
. Réseaux dynamiques en fibre optique . . . .
. Modélisation de la propagation non linéaire dans un réseau dynamique . . . . .
. Propagation non linéaire à la résonance . . . .
Conception de l’expérience . . . .
. Exigences et limitations dans le choix des paramètres . . . .
. Détermination de la configuration expérimentale . . . .
Simulations numériques . . . .
. Motivation et procédure de l’étude numérique . . . .
. Propagation des impulsions solhiatons dans le réseau de Bragg dynamique . . . .
. Réalisation imparfaite des conditions de résonance de Bragg . . . .
. Simulation de la situation expérimentale . . . .
Expérience . . . .
. Description du montage . . . .
. Résultats expérimentaux . . . .
Conclusion et perspeives . . . .
Bibliographie . . . .
Conclusion
A Le problème
FPUet l’approximation continue
Bibliographie . . . .
B La méthode des tirs appliquée à la recherche des parois de domaines de polarisation
C’est surtout ce qu’on ne comprend pas qu’on explique.
L’Ensorcelée, Barbey d’Aurevilly (–)
Introduction
la tombée du soir, le soleil semble plonger dans l’océan qu’il colore de miel et d’ocre. Le tableau est éculé mais il met en lumière les relations intimes qui lient la lumière et l’eau.
Dans le langage commun, dans l’imagination des poètes et dans les fantasmes des physiciens, qui le sont aussi un peu parfois. Mais quel élément a le plus inspiré l’autre, entre les miroitements du lac et les flots de lumière ? L’onde désigne aussi bien la vague qui s’échoue sur la plage que la vibration du champ élerique qui la réchauffe en été.
Les théories modernes puisent abondamment dans cette analogie. Au-delà du jargon qu’elles utilisent, elles s’inspirent l’une de l’autre, l’optique non linéaire empruntant nombre de concepts à l’hydrodynamique. L’un des exemples les plus illustres est assurément la poursuite par Scott-Russell d’une vague produite dans le sillage d’un bateau il y a plus d’un siècle et demi. Cette vague se propa- geait dans le canal Édimbourg–Glasgow sans se déformer. Il s’agissait de la première observation du soliton — impulsion non linéaire permanente — qui allait jouer un rôle central dans le développe- ment des sciences non linéaires plus de cent ans plus tard.
Bien après le compte-rendu de Scott-Russell, les observations se sont poursuivies, d’abord en hydrodynamique pour des raisons pratiques et historiques, puis en optique non linéaire une fois que le laser eut apporté un véritable vent de révolution dans cette matière. Entre-temps, l’ordinateur aussi avait fait son entrée dans la panoplie du physicien. Il permettait de réaliser des expériences numériques sans se soucier des contraintes matérielles. Les sciences non linéaires connurent alors une fabuleuse efflorescence, multipliant les succès et apportant un flot continuel de découvertes.
Plus tard, ces recherches fondamentales allaient mener à des applications qui marquent désor- mais d’une empreinte indélébile notre mode de vie auel. Et c’est sans doute les technologies des télécommunications par fibre optique qui constituent la vitrine la plus éclatante de la réussite des sciences non linéaires.
Notre travail de thèse traverse les différents thèmes abordés dans cette histoire abrégée. Par une approche expérimentale, nous avons tenté de retrouver, dans les fibres optiques, des phénomènes non linéaires novateurs ou plus anciens, du plus fondamental au plus prometteur du point de vue des applications. Nous avons toujours eu le même souci de préciser le contexte de nos recherches et de l’inscrire dans une perspe ive plus large, afin de mettre en valeur tous les enjeux de notre travail de thèse.
Le présent manuscrit est organisé comme suit.
Le premier chapitre est consacré à l’un des problèmes fondateurs des sciences non linéaires : la dynamique de récurrence dite “de Fermi-Paa-Ulam”. Après en avoir introduit les concepts géné- raux, nous montrerons dans quelle mesure ils s’appliquent dans le contexte de la propagation d’ondes soumises à l’instabilité modulationnelle. Nous retracerons l’évolution des conceptions du problème en soulignant l’effort colleif de chercheurs issus de disciplines différentes. Nous discuterons en- suite les résultats de nos observations qui apportent la première démonstration expérimentale de ce phénomène dans les fibres optiques.
Dans le second chapitre, nous évoquerons les propriétés de polarisation du champ éleroma-
gnétique, qui témoignent de sa nature veorielle. Les équations qui en décrivent l’évolution seront
présentées, ainsi que les hypothèses et simplifications sur lesquelles repose leur dérivation. Nous ver-
rons que la théorie prévoit notamment la propagation sans déformation d’un certain type d’ondes
Introduction
solitaires, appelé “paroi de domaines de polarisation”. L’étude numérique que nous avons menée a permis de déterminer les conditions dans lesquelles ces parois peuvent se propager et résister aux perturbations extérieures, inévitables en pratique dans des fibres optiques réelles. Sur base de ces résultats, nous proposerons une ébauche d’expérience qui devrait conduire à son observation.
Le sujet du troisième et dernier chapitre est la propagation non linéaire dans les milieux pé-
riodiques, et en particulier dans les réseaux de Bragg fibrés. Nous verrons qu’à l’instar des semi-
condueurs utilisés en éleronique, ces milieux sont caraérisés par l’ouverture d’une bande inter-
dite dans la relation de dispersion qui les caraérise. Cette bande interdite est à l’origine de leurs
propriétés de propagation particulières, très différentes de celles des milieux uniformes. La théorie
prévoit par exemple qu’une impulsion peut être complètement piégée au sein du réseau de Bragg par
effet Kerr. Pour observer ce phénomène, nous avons conçu un dispositif dans lequel le réseau n’est
pas figé dès sa fabrication, mais se déplace le long de la fibre. Il est en fait induit dans la fibre par le
battement de deux ondes de forte intensité. Nous comparerons les propriétés de ce réseau dynamique
avec celles des réseaux de Bragg usuels, et nous développerons un modèle théorique qui y décrit la
propagation des ondes. Après une étude numérique approfondie, nous présenterons et détaillerons la
configuration expérimentale mise en place pour observer le confinement non linéaire d’impulsions
dans ces réseaux. Enfin, nous discuterons les résultats de nos observations qui apportent, comme
nous le verrons, la première confirmation expérimentale du processus de confinement de l’énergie
dû à l’existence d’une bande interdite dans un matériau périodique non linéaire.
Penser, c’est inventer sans croire.
—Propos sur la religion, Alain
Observation expérimentale
de la récurrence de l’instabilité
modulationnelle 1
albutiante encore il y a à peine un demi-siècle, la physique des phénomènes non linéaires occupe désormais le devant de la scène. L’un de ses problèmes précurseurs, la récurrence dite de Fermi-Pasta-Ulam, fut posé par Fermi peu après la seconde guerre mondiale ; il laisse aujourd’hui encore certaines questions ouvertes. Ce chapitre est consacré à l’étude de ce phénomène tel qu’il survient dans la propagation de lumière dans les fibres optiques. Nous commençons par définir le problème original placé dans son contexte, puis nous retraçons l’important effort mené sur plusieurs fronts pour le résoudre. Nous indiquerons comment le phénomène d’instabilité modulationnelle se trouve intimement lié à la notion de récurrence de Fermi-Pasta-Ulam. Nous voyons ensuite les modèles théoriques qui décrivent cette instabilité dans les fibres optiques. Enfin, nous détaillons le principe et les résultats de l’expérience qui nous a permis de démontrer l’existence de la récurrence des ondes optiques soumises à l’instabilité modulationnelle.
La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam, ou l’histoire d’un paradoxe
Dans cette seion, nous allons voir quelles furent les circonstances de la découverte de la ré- currence de Fermi-Pasta-Ulam (fpu), quelles en furent les conséquences, et pourquoi elle suscite aujourd’hui encore tant d’efforts de la part des chercheurs.
. La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam
Maniac. Prononcé au crépuscule, ce terme présage d’événements funestes. Pourtant au début des années , il était annonciateur d’une aube nouvelle pour la science, et pour la physique en particulier. Il fallait un physicien d’exception, Enrico Fermi, véritable visionnaire, pour en percevoir les premières lueurs. Maniac était l’un des tout premiers supercalculateurs — on oserait à peine le qualifier d’ordinateur aujourd’hui — dont était équipé le laboratoire de Los Alamos (USA) quelques années après la seconde guerre mondiale. Fermi, qui avait pressenti l’importance des phénomènes non linéaires dans les futures théories fondamentales de la physique, comprit le parti qu’il pourrait tirer de cette machine. Par le biais d’ “expériences” numériques, il espérait dégager les propriétés des solutions à certains problèmes qui ne connaissait pas alors de solutions analytiques, ou du moins établir les hypothèses qui prévalent dans leur étude [].
À l’été , il décida donc avec ses collaborateurs J. Pasta et S. Ulam d’entamer l’étude du com- portement à long terme d’un système non linéaire des plus simple. En l’occurrence, le système discret considéré était une chaîne aux extrémités fixes, constituée de particules ponuelles de masse identique reliées à leurs voisines immédiates par des ressorts linéaires et faiblement non linéaires.
En mais’est encore tenue une conférence à New York sur les derniers développements relatifs au modèlefpu dans les études sur la conduion thermique.
Observation expérimentale de la récurrence de l’instabilité modulationnelle
Fig. . – À gauche, l’ordinateur maniac-i du laboratoire de Los Alamos. Au centre, Enrico Fermi (–) ; à droite, Stanislaw Ulam (–).
Ils s’attendaient à ce que le couplage non linéaire introduit entre oscillateurs voisins, qui permet un transfert d’énergie entre les modes de vibration successifs, entraînât une équipartition de l’énergie sur un large spere. Autrement dit, le système “se thermaliserait” après un certain temps.
Les simulations furent réalisées durant l’été par une jeune physicienne, Mary Tsingou, dont la postérité s’empressa d’oublier la contribution []. Contre toute attente, ils observèrent que lorsque seul le mode de vibration fondamental était initialement excité, l’énergie s’échangeait apparemment de manière (quasi-)périodique entre un petit nombre de modes de basse fréquence. Toute l’énergie ou presque retournait donc dans le mode fondamental initialement excité après un certain temps (voir figure .). C’est ce phénomène d’évolution caraérisée par un retour périodique vers l’état initial que l’on désigne par les termes de “récurrence de Fermi-Paa-Ulam” (fpu). Cette “petite découverte”, comme Fermi la qualifia alors [], allait conduire au développement des théories modernes en sciences non linéaires.
. Récurrence
FPUet solitons
Les résultats obtenus furent compilés dans un rapport en [], mais Fermi venait de mourir.
Sans la caution scientifique de Fermi, Pasta et Ulam hésitèrent à le publier sous une forme définitive.
Finalement, seul le rapport préliminaire circula, essentiellement dans la communauté de mécanique statistique, où les résultats, la méthode et le modèle utilisés furent souvent remis en question, sinon traités avec défiance [].
Hormis dans quelques rapports à la di ff usion asse confidentielle, l’étude de la récurrence fpu dans les systèmes non linéaires ne revint à l’avant-scène scientifique que près de ans plus tard, en
. Zabusky et Kruskal étudiaient alors numériquement les solutions périodiques de l’équation de Korteweg-de Vries (kdv) []. Cette équation forme avec l’équation de Schrödinger non linéaire la base des théories modernes des ondes dispersives et non linéaires dans les milieux continus non dis- sipatifs []. À cet égard, elles constituent une extension aux milieux continus des équations étudiées par Fermi dans les systèmes discrets [, –] (cette affirmation est explicitée en annexe A.)
De manière générale, cette équation se présente sous la forme
∂u
∂t + αu ∂u
∂x + ∂
3u
∂x
3= 0, avec α = constante. (.)
La coordonnée d’évolution est désignée ici par t , le second terme synthétise un effet non linéaire et
le dernier terme représente un effet dispersif en une certaine coordonnée spatiale x.
La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam, ou l’histoire d’un paradoxe
Fig. . – Distribution d’énergie dans les modes (impairs) successifs au cours du temps dans une chaîne unidimensionnelle de oscillateurs non linéaires couplés, couplés par une non-linéarité cu- bique, avec α = (voir sa définition en annexe A). Ce résultat, obtenu par Fermi, Pasta, Ulam et Tsingou [], illustre le comportement de récurrence fpu.
L’équation kdv décrit en autres la propagation des ondes de surface en eau peu profonde [ ],
d’ondes éleromagnétiques dans les lignes de transmission élerique [, ], et la dynamique de di-
vers types d’ondes de charges d’espace dans les plasmas [, –]. Zabusky et Kruskal observèrent
dans leurs simulations (figure .) qu’une onde initialement cosinusoïdale évoluait en un train d’im-
pulsions qui, prises isolément, conservent leur forme au cours du temps. On connaissait l’existence de
telles “ondes solitaires” depuis la célèbre observation par John Scott-Russell d’une vague qui se pro-
pageait sans déformation le long du canal Édimbourg–Glasgow () [], événement qui n’avait
pourtant pas suscité d’émoi particulier à l’époque. Zabusky et Kruskal identifièrent, en plus de leur
caraère “solitaire”, leur remarquable propriété de stabilité struurelle : ces ondes non linéaires lo-
calisées peuvent entrer en collision entre elles et y survivre sans que leur forme soit modifiée. C’est
pourquoi ils introduisirent le nouveau concept de “soliton” pour désigner ces impulsions, terme qui
évoque plutôt des particules que des ondes. Une fois formé ce train de solitons d’amplitudes va-
riables, ils observèrent que celui-ci reconstituait approximativement la condition initiale. Ils recon-
nurent dans cette dynamique la récurrence fpu et y apportèrent une explication phénoménologique
en termes d’interaions entre solitons : L’onde initiale se module progressivement en un train pé-
riodique de solitons, qui possèdent des vitesses différentes en proportion de leurs amplitudes. Ces
différences de vitesse conduisent à leur désalignement au sein du train, ce qui correspond à un trans-
fert d’énergie vers plusieurs autres composantes sperales. Par ailleurs, comme les conditions aux
limites sont périodiques, si un soliton quitte une période de modulation d’un côté, un autre y entre
Observation expérimentale de la récurrence de l’instabilité modulationnelle
par l’autre côté. En raison de la stabilité intrinsèque des solitons, le seul effet dû à leurs interaions est une série de déphasages, de sorte qu’ils retrouvent leur alignement d’origine et reforme l’onde initiale cosinusoïdale.
distance normalisée
Fig. . – La récurrence fpu observée dans les simulations numériques de l’équation kdv à partir d’une condition initiale cosinusoïdale. La condition initiale est en pointillé, et le train de solitons intermédiaires ( sont ici dénombrés) en trait continu. D’après Zabusky et Kruskal [].
Dès les premières études des systèmes continus non linéaires, la récurrence fpu a été associée aux modèles intégrables — c.-à-d. qui possèdent des solutions solitons []. On s’attendait donc à la trouver dans l’autre modèle majeur de la physique décrivant la propagation d’ondes dans des milieux dispersifs et non linéaires, l’équation non linéaire de Schrödinger [, , ] (nls). Cette équation est omniprésente en physique non linéaire où elle régit la propagation d’enveloppes d’ondes d’amplitude complexe — et non l’évolution de l’amplitude réelle de l’onde comme c’est le cas pour l’équation kdv.
L’équation nls a été établie dans des contextes très variés. Ainsi, elle décrit notamment la circu- lation d’ondes sur des vortex [, ], la propagation des enveloppes du champ élerique en optique non linéaire [, ] — et tout particulièrement dans les fibres optiques [] —, la propagation d’ondes éleroniques [, ] et ioniques [] dans les plasmas, le comportement macroscopiques des condensats de Bose-Einstein atomiques peu denses [, ], ou encore l’hydrodynamique des vagues en eau profonde [–]. C’est précisément en étudiant la dynamique non linéaire de ces vagues que Yuen et Lake mirent en évidence la récurrence fpu, dans un milieu dispersif où la propa- gation est décrite par l’équation nls et non par l’équation kdv. Comme pour l’équation kdv, il est possible de montrer [] que l’équation nls est liée au système discret fpu (une chaîne d’oscillateurs anharmoniques, étudiée à l’origine par Fermi, Pasta et Ulam) lorsque ce système comporte non pas un nombre fini limité ( dans le problème fpu original) mais une infinité d’oscillateurs.
Avant de détailler plus avant les résultats des nombreux auteurs qui ont consacré leurs recherches à bâtir l’édifice de compréhension du phénomène de récurrence fpu, il est important de préciser le vocabulaire utilisé. Bien que l’équation nls permette de modéliser la propagation dans toutes les si- tuations physiques que nous venons de mentionner, les phénomènes observés et les types d’ondes im- pliquées sont bien souvent désignés de manière différente. Ainsi, si les concepts étudiés sont a priori transposables d’un domaine à l’autre, ils n’y sont pas toujours désignés pareillement. Par exemple, les
“trains d’ondes continus”, selon la terminologie de l’hydrodynamique, sont équivalentes aux ondes
(d’enveloppes) continues considérées en optique non linéaire des fibres. L’équation nls décrit en
La récurrence de Fermi-Pasta-Ulam, ou l’histoire d’un paradoxe
effet la propagation d’enveloppes d’ondes, mais les “porteuses” associées à ces enveloppes ne sont pas, en général, explicitement mentionnées en optique. Afin de conserver une perspeive globale à notre propos, nous veillerons à conserver tout au long de ce chapitre la terminologie propre à chacun des contextes physiques évoqués. C’est pourquoi nous emploierons le terme de trains d’ondes conti- nus pour relater les recherches en hydrodynamique, et d’ondes continues en optique, bien que leurs dynamiques soient qualitativement identiques.
Dans le contexte de l’équation nls, ce sont Yuen et Lake qui produisirent les résultats les plus pertinents pour élucider le phénomène de récurrence fpu observé la dynamique des vagues qui se propagent en eau profonde. D’abord, ils étudièrent la propagation d’impulsions [], puis celle de trains d’ondes continus []. Dans les deux cas, impulsions et trains d’ondes continus, ils obser- vèrent que l’enveloppe de l’onde se brisait pour évoluer vers un train d’impulsions de type “solitons”.
Ce comportement témoignait de l’inabilité dite de modulation, ou modulationnelle, (im) des ondes continues en eau profonde, qui tendent à se moduler spontanément lorsqu’elles sont soumises à cer- taines perturbations de leur enveloppe. Ce processus d’instabilité avait alors déjà été identifié par Benjamin et Feir, dont les travaux furent publiés en [, ]. Pour la première fois cependant, Yuen et Lake investiguèrent numériquement et expérimentalement l’évolution à long terme de l’im, décrite par l’équation nls. Ils montrèrent qu’une onde continue initialement modulée par un seul mode (une cosinusoïde pure) évoluait spontanément en un train de solitons, mais qu’ensuite, le sys- tème retrouvait progressivement son état initial. La perturbation correspondante croît donc d’abord exponentiellement, tandis que l’énergie initialement confinée dans le mode fondamental (c.-à-d. à la fréquence de la porteuse d’enveloppe continue) est progressivement transférée vers le mode de la per- turbation et quelques-unes de ses premières harmoniques. Puis, la perturbation atteint un maximum et diminue, alors que toute l’énergie (ou quasiment) retourne vers la composante sperale corres- pondant à l’enveloppe continue, qui était le mode initialement excité. Ce processus de croissance puis décroissance se poursuit ensuite de manière (quasi) périodique. Cette évolution caraérisée par un retour périodique à l’état initial non modulé est précisément la récurrence fpu d’une onde conti- nue soumise à l’instabilité de modulation. Elle est représentée dans le domaine temporel et dans le domaine speral à la figure ..
À la seion ., nous préciserons les conditions de survenance de l’instabilité de modulation dans le cadre de l’équation nls pour la propagation non linéaire dans les fibres optiques, et détaillerons les différents modèles qui en décrivent l’évolution. Pour l’instant, nous nous contenterons de présenter l’explication apportée à cette récurrence par Yuen et Lake [, , ]. Contrairement aux solitons de l’équation kdv, les solitons de l’équation nls ont tous la même vitesse. Toutefois, les dépha- sages produits par leurs interaions se traduisent en déplacements relatifs. En définitive, ces auteurs attribuent la récurrence fpu de l’instabilité modulationnelle à la dynamique d’un ensemble de soli- tons, analogue à celle précédemment décrite pour l’équation kdv. Ils trouvèrent leur interprétation confortée par le fait que les simulations numériques de l’instabilité de modulation démontrait que la récurrence fpu était une solution à l’équation nls avec des conditions aux limites périodiques [, ].
Avant d’exposer l’interprétation qui prévaut auellement pour expliquer la récurrence fpu, il faut souligner que les équations des modèles continus ne restituent que qualitativement la dyna- mique de récurrence originale de la chaîne d’oscillateurs ponuels étudiée par Fermi et ses collabo- rateurs []. Certes, la condition initiale est périodique dans ces modèles, essentiellement pour des raisons numériques, alors que les extrémités de la chaîne d’oscillateurs considérée par Fermi étaient supposées fixes ; cette distinion n’affee cependant pas le résultat, qui reste parfaitement valable [].
Plus important, comme nous le montrons dans l’annexe A, les modèles continus ne constituent que
des approximations au modèle fpu discret. Nous avons choisi de focaliser notre présentation sur les
systèmes continus car ils nous concernent plus direement. Notons cependant que le système fpu
Observation expérimentale de la récurrence de l’instabilité modulationnelle
-2
-1 0
1
2
0 0,5
1 1,5
2 0 0,25 0,5 0,75
1
temps t distance
z
|E|
2(a)
-3 -2 -1 0 1 2 3
0 0,5
1 1,5
0 0,25 0,5 0,75
1