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JEAN LARTÉGUY. Le protecteur. Pièce en quatre actes MERCURE DE FRANCE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L E P R O T E C T E U R

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J E A N L A R T É G U Y

Le protecteur

Pièce en quatre actes

M E R C U R E DE F R A N C E

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© MERCURE DE FRANCE, 1 9 7 2 .

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A Jean Rigault

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A V A N T L E L E V E R D U R I D E A U

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Sur un écran tendu devant le rideau de scène, un grand portrait traité dans le style chromo. C'est celui du Protecteur, Antoine Roumégoux, un homme joufflu et rose de 55 à 60 ans. Col à la Mao, décorations à la soviétique, lunettes cerclées d'or qui écrasent les yeux. Au-dessus du portrait, un slogan inscrit dans une banderole : « Pensez français, lisez français, achetez français. » Autour du portrait, d'autres chromos dans le genre pompier : visages rayonnants de jeunes, les yeux fixés sur la ligne rouge ou bleue des lendemains qui chantent, nobles vieil- lards sur fond de drapeaux qui flottent au vent de l'histoire, tracteurs étincelants sur un lever de soleil... etc.

Pendant que les spectateurs prennent place, un haut- parleur débite des slogans publicitaires coupés de nouvelles.

HAUT-PARLEUR

Ne buvez que de la bière cent pour cent fran- çaise, la seule bière fabriquée avec l'orge et le houblon des coteaux de la Meuse et de l'Alsace.

La bière est la boisson de la France roumé- guienne.

( Musique.)

... Le vin de France, tiré des raisins de France pressés aux pieds, selon les méthodes traditionnelles de nos vignerons remises en honneur par Antoine Roumégoux... (Musique.)

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Pour vivre plus, pour vivre mieux, buvez français !

(Musique.)

Nouvelles sportives : dans le match de rugby qui opposait, en coupe de France 1 Division, Montauban à Bayonne, Bayonne l'a emporté par trois à zéro. A l'issue du match, le capitaine de l'équipe de Bayonne nous a déclaré :

( Voix rocailleuse du capitaine bayonnais)

C'est grâce aux enseignements puisés dans les écrits du Protecteur, grâce à l'énergie dont il nous donne sans cesse l'exemple, que s'est imposée à nous, en cours de partie... la... le machin... la tactique... (Il bredouille de plus en plus.) Enfin...

quoi... on a gagné.

Les spectateurs se sont installés. Tolain paraît devant le rideau de réclames.

C'est un homme sans âge, habillé d'un vieux pull-over à col roulé, d'un pantalon de velours qui tire-bouchonne, chaussé de pantoufles éculées. Mal rasé, les cheveux en brous- saille, il traîne des pieds; sa voix est graillonneuse, éraillée.

TOLAIN

Ce paquet de muscles a oublié la fin de sa leçon. Il va dérouiller, le connard. Bien fait pour sa tronche.

HAUT-PARLEUR

N'achetez que la voiture française exclusive- ment conçue pour les routes françaises...

TOLAIN

Il y en a plus d'autres.

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L'écran se lève, découvrant le rideau. Les lumières commencent à baisser.

HAUT-PARLEUR

Un manifeste portant les signatures les plus prestigieuses des arts, des lettres et de la politique, parmi lesquelles nous relevons celles du physicien Marinaud, prix Nobel, du philosophe Crespinet, du pasteur Machinevski, du grand rabbin Durand, de Monseigneur Truchton, des académiciens Tatave et Macrinpuce, des maîtres du barreau Pilchard et Mauricier, invite l'Assemblée consul- tative, en hommage à son guide génial, à donner à la France le nom de Rouméguie...

Tolain est seul au centre de la scène, éclairé par un projecteur.

TOLAIN

(Il salue en portant deux doigts à hauteur de sa tempe.) Moi, c'est seulement Tolain, bonshommes.

Qu' est-ce que je fais? Je balaye...

Le rideau se lève.

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A C T E I

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Le même décor servira durant toute la représentation.

C'est une grande pièce dont les murs ont été récem- ment passés à la chaux. Cette pièce tient à la fois de l'infirmerie de dépôt, de la chambrée pour sous-officiers célibataires et de la salle de projection d'un patronage.

Au fond, une glace en pied comme on en trouve à la porte des casernes, où les soldats qui sont de sortie s'assurent que leur tenue est correcte. Au-dessus, un écran de cinéma roulé. D'un côté, un grand baffle appuyé contre le mur.

De l'autre, un paravent délabré qui cache mal un W.-C.

et un lavabo surmonté d'une lampe et d'une petite glace.

Près de l'avant-scène, à gauche, une porte commandée de l'extérieur. De trois quarts par rapport au public, une table couverte d'un mauvais tapis vert, un fauteuil à bas- cule qui grince, un autre fauteuil en peluche très usagé et deux chaises en bois. A droite, deux lits métalliques d'hôpital étroits et peints en blanc. A côté de chacun d'eux, une petite armoire. Au-dessus, entre les deux lits, un grand portrait d'Antoine Roumégoux.

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Sur l'un des lits, un homme est étendu. C'est Paul Lebourg. Il est en smoking. Chemise à jabot et man- chettes de dentelle. Le pantalon très étroit est tendu par un sous-pied. Paul porte barbe et cheveux longs, mais très soignés. Il n'a rien d'un hippy, il évoque plutôt un dandy de l'époque romantique.

Tolain a sorti un balai d'un placard. Il en donne deux ou trois coups, puis vient s'asseoir à califourchon à côté du lit. Il sort un harmonica de sa poche et commence à jouer une chanson de cow-brry. Paul se réveille et se frotte les yeux, puis le crâne. Il fait une grimace et se

redresse sur le lit.

PAUL

Ce que je peux avoir mal au crâne ! (Il aperçoit Tolain.) Où suis-je?

TOLAIN

(Il s'arrête de jouer, et de sa voix éraillée :) Dans la merde, bonhomme.

(Il recommence à jouer de l'harmonica.) PAUL

Pourquoi m'appelles-tu bonhomme?

TOLAIN

J'appelle tout le monde bonhomme. J'arrive

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pas à retenir les noms. J'ai pas de mémoire.

Paul s'est levé. Il va se regarder dans la glace. Il défripe ses vêtements, lisse sa barbe, arrange ses cheveux, fait bouffer son jabot.

Tolain l'a suivi et dans son dos singe tous ses gestes.

Paul se retourne brusquement et se heurte à lui.

PAUL

Et toi, qu'est-ce que tu fais?

TOLAIN

Ce que je peux pour amuser la clientèle.

PAUL (faussement détaché)

Il passe beaucoup de clients ? TOLAIN

Ça dépend des saisons, comme dans l'hôtel- lerie.

PAUL

On reste longtemps?

TOLAIN C'est selon.

PAUL Et après ? TOLAIN

Après ? Je change les draps pour les suivants.

Quand j'ai la flemme, je les laisse.

PAUL

Qu'est-ce qu'on devient en sortant d'ici ?

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TOLAIN

Quand on sort. (Un silence.) Ça dépend.

PAUL De quoi?

TOLAIN

Des fois (sur un ton faussement détaché) ... on rentre chez soi... Des fois...

PAUL

... on ne rentre pas. C'est bien ce que tu veux dire?

TOLAIN (méfiant)

Moi je veux rien dire.

Il recommence à jouer de l'harmonica.

PAUL (conciliant)

Te fâche pas. J'aimerais savoir ce qui va m'ar- river. C'est normal.

Tolain joue un petit air comme pour se donner le temps de réfléchir.

TOLAIN

Ouais, c'est normal. Et puis on est fait pour s'entendre tous les deux. N'est-ce-pas bonhomme?

(Comme s'il avait déjà trop parlé.) Maintenant, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Pour ce qui est de notre clientèle (il tend le bras et lève le pouce :) Un : les déchets! les minables, ceux qui n'ont rien compris. (Il fait le geste de balayer un tas de poussière et il siffle.) Liquidés dans la journée. (Il lève deux doigts.) Deux : le tout-venant.

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Pas plus de trois ou quatre jours. Quelques séances collectives pour leur apprendre à se conduire correctement. Après, on les renvoie à leurs petites familles. (Il lève trois doigts.) Trois : les cas d'espèce. Pour ceux-là, pas de limites. Ils restent ici tant qu'ils n'ont pas déballé leurs salades.

PAUL

Et ceux qui ne veulent rien déballer ? TOLAIN

Connais pas. Pourtant, on ne force personne.

(Il ricane.) On persuade.

PAUL Ensuite ? TOLAIN

Le Tribunal de la Révolution. C'est là qu'il faut les voir, bonhomme, qui s'allongent, se couvrent de pipi et donnent les petits copains.

Après c'est la sentence. A chaque coup, tu dérouilles du maximum. Heureusement que Toto est là pour commuer les peines. Il comprend si bien les faiblesses humaines!

PAUL (étonné) Toto?

TOLAIN (grandiloquent)

Voyons! L'Émanation Suprême du Parti, le Phare qui nous éclaire dans la Nuit de l'Histoire, le Protecteur de la République et le Guide de la Révolution (revenant à son ton canaille)... ton petit copain Antoine Roumégoux... Je l'appelle Toto,

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