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Une décision éprouvante

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1888 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 octobre 2014

Respecter l’autonomie des patients est l’un des principaux préceptes de la médecine. Pouvoir décider librement de son devenir est fondamental, mais cela mène parfois à des décisions bien difficiles, comme l’illustre l’histoire vécue par notre patient.

Gaston a 95 ans. Il est issu d’une famille modeste de paysans neuchâtelois. Après un apprentissage de boulanger, il devient journaliste, très engagé en politique. Père de trois enfants de son premier mariage, il se remarie avec Liliane, un médecin-den- tiste, de dix-sept ans sa cadette, avec qui il a fêté récemment ses 50 ans de mariage.

Ils n’ont pas eu d’enfant ensemble.

L’état de santé de Gaston se détériore ces derniers mois (perte de la vision à gauche sur thrombose, dégénérescence maculaire à droite, hypoacousie, troubles de la marche, arthrose, cardiopathie). Liliane s’épuise pro- gressivement à domicile, car il devient de plus en plus dépendant.

Gaston est hospitalisé en raison de trou- bles de la marche nouveaux et d’une dysar- thrie, secondaires à un AVC subaigu. Une prise en charge classique avec antiagré- gants et rééducation est proposée. Le pa- tient refuse une telle prise en charge. Son déclin physique était déjà difficile à suppor- ter avant l’AVC, désormais ce n’est plus vi- vable. Il arrête sa «médication pour le cœur», et devient rapidement dyspnéique. Il veut mourir. L’avis d’un psychogériatre est solli- cité, afin d’évaluer le risque suicidaire, jugé faible. «J’ai pensé à me suicider, mais ce serait trop dur pour ceux qui restent !». La capacité de discernement est conservée, selon notre confrère, et un état dépressif majeur est écarté.

L’évolution clinique est marquée par une décompensation cardiaque générant des

accès de dyspnée sévère. Les consultants en soins palliatifs sont contactés initialement pour la gestion des symptômes. Une séda- tion palliative est discutée avec le couple comme dernier recours en cas de dyspnée asphyxiante réfractaire. Finalement, Gaston reprend ses diurétiques, se stabilise, puis est transféré en unité de soins palliatifs. A son arrivée, la dyspnée est résolue.

Les symptômes physiques sont désor- mais contrôlés, mais la demande de mort persiste. Gaston n’a plus envie de vivre. Il est trop vieux, ne peut plus lire ni écrire, et se sent comme un fardeau pour les autres.

Il ne trouve plus de sens à continuer à vivre de cette façon. Après la vie active qu’il a menée, se retrouver cloué dans un lit, inca- pable de lire ou d’écrire, est un non-sens pour lui. Il n’a plus goût à la vie. Sa femme n’est plus une ressource mais plutôt l’objet de ses peurs. Manger ou boire n’est désor- mais plus une source de plaisir.

L’aumônier est appelé à évaluer Gaston.

Il conclut à une détresse spirituelle sévère.

Pour lui, aucune solution n’est susceptible de «faire sens» pour Gaston. Ses conseils sont de poursuivre les moments d’écoute, afin de lui procurer un soutien spirituel dans ce moment de vie très difficile. A la deman- de de Gaston, nous prenons contact avec son fils aîné. De vieilles histoires de famille avaient terni leur bonne relation. Le patient est très heureux le jour où son fils vient lui rendre visite. Il souhaite que Liliane et lui soient en bons termes avant sa mort. Les retrouvailles se passent bien et Gaston est comblé lorsque son fils rappelle Liliane pour lui demander des nouvelles. Les liens sont renoués.

Gaston voit bien que Liliane se fatigue, et il aimerait qu’elle puisse se reposer : «Je veux mourir par amour pour ma femme, pour ne pas qu’elle souffre plus longtemps.» Il craint pour sa santé, mais aussi pour sa vie.

Liliane, de son côté, paraît déprimée et très anxieuse. Lors de notre première rencon tre, elle est même irritante : «Vous savez ? Pour soigner, il faut avant tout avoir de l’empa- thie.» Elle tient bon, me dit-elle, grâce à ses benzodiazépines.

La problématique du suicide assisté est abordée. Gaston demande cette solution,

et le plus vite sera le mieux. Cela semble désormais une mission prioritaire pour lui.

Liliane est membre d’une association d’aide au suicide, et elle approuve ce choix, mais son mari n’y est pas inscrit. «Peut-être par négligence», dit-il.

La demande répétée de suicide assisté déclenche une procédure (directive institu- tionnelle) évaluant la faisabilité de l’acte au sein de l’hôpital. Liliane remplit le formulaire d’inscription pour l’assistance au suicide à la place de Gaston, qui n’en est physique- ment plus capable. Elle le fait valider en présence d’un notaire, paie la cotisation et reçoit rapidement la confirmation d’inscrip- tion. Gaston est désormais membre de cette association au suicide. De notre côté, nous mettons en place un traitement symptoma- tique et arrêtons tout traitement curatif ou préventif, avec l’accord du patient.

Quelques jours après son entrée, Gaston se sent mieux. Il n’a plus la bouche sèche, mange bien et raconte beaucoup d’histoires aux soignants. «Je m’habitue à être un patient». La demande de mort paraît moins im minente, voire oubliée. Mais lorsque le chef de service se présente, Gaston s’exclame : «C’est vous le Grand Chef ? Et bien faites quelque chose ! ça ne peut plus durer !».

Le personnel soignant fait ce qu’il peut pour que Gaston soit confortable : toilette, repas, boissons fraîches, accompagnement.

Ce vieux bonhomme sympathique fait peine à voir. Il s’efforce d’être courtois, drôle, et de maintenir de bonnes interactions humai- nes. Cela contraste avec la souffrance psy- chique qu’il dit endurer. Quand on le ques- tionne à ce sujet, il explique faire cela pour maintenir une bonne ambiance, pour passer le temps, pour être gentil avec le personnel.

Cela ressemble à une prestation théâtrale, tant il raconte d’anecdotes et s’applique à être un patient «modèle». Il se retient même d’utiliser sa sonnette pour ne pas déranger, mais avoue vouloir appeler dès son réveil, pour ne pas rester seul.

L’état de Liliane nous inquiète de jour en jour. Pour que le médecin responsable de l’aide au suicide puisse intervenir, Gaston doit encore écrire quelques lignes pour motiver sa demande, en expliquant sa dé- tresse et en réitérant son souhait de mourir.

C’est lors de cette dernière démarche que Liliane craque. Elle ne peut pas finaliser la démarche. Elle est en quelque sorte en train

Une décision éprouvante

éclairage

A. Liaudet M. Beauverd

Dr André Liaudet Rue de Clendy 19 1400 Yverdon andre.liaudet@chuv.ch andre.liaudet@gmail.com Dr Michel Beauverd Service de soins palliatifs Hôpital Nestlé CHUV, 1011 Lausanne michel.beauverd@chuv.ch

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1888-9

… Cela ressemble à une prestation théâtrale, tant il raconte d’anecdotes et s’applique à être un patient «modèle» …

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 octobre 2014 1889 d’organiser le suicide de Gaston, et ne se

sent pas la force d’une telle responsabilité.

Elle fait des crises d’angoisse, dort très mal et prend encore plus de somnifères. L’idée que son mari se suicide dans leur maison et qu’elle doive y vivre par la suite l’effraie. Elle l’accepte, et par amour pour lui irait jusqu’au bout, mais les forces semblent lui manquer :

«C’est trop dur». Cette solution qui semblait si simple, rapide, propre et sans souffran- ce, devient trop lourde par sa concrétisa- tion. Un soir, elle appelle l’ambulance et le médecin de garde, suite à une attaque de panique. Le lendemain, elle appelle le ser- vice en urgence, pour nous confier sa dé- tresse. Elle rechigne à voir son médecin traitant, y va finalement mais ne prend pas les antidépresseurs prescrits. Elle ne sou- haite ni suivi psychologique ni soutien de l’aumônier. Malgré sa souffrance, qu’elle met en relation avec la demande de suicide assisté, elle n’exprime pas directement le souhait d’interrompre les démarches.

Son mari prend conscience petit à petit de la souffrance grandissante de sa femme.

Après une semaine dans l’unité, lui-même n’est plus persuadé que le suicide assisté soit une bonne solution. Une routine s’est installée, la relation avec le personnel soi- gnant est bonne. Il pense à attendre la mort naturelle : «J’espère que la nature sera plus rapide que les démarches pour Exit». Un temps de réflexion est proposé. Il nous ré- pète : «J’ai peur que ma femme meure avant moi». Cela semble pour lui être une mission de mourir pour la soulager. Voyant la détres- se de sa femme, Gaston met fin aux dé- marches. Liliane nous confie : «Je me sens dans une impasse : mettre fin à ses souf- frances, mais devoir ensuite continuer à vivre sans lui». Elle est soulagée et apaisée par la décision d’arrêt des démarches de son mari. La relation amoureuse avec Gaston change aussi. Il est plus tendre, lui caresse

la main. Elle semble perplexe, ne sachant pas comment réagir.

Trois semaines passent, Gaston devient moins causant. Il a toujours des histoires à raconter, mais cela n’a pas l’air de lui faire plaisir. Il ne sourit plus. Il trouve le temps long. Les paramètres vitaux restent stables, ce qui le chagrine à chaque fois un peu plus.

Liliane vient encore le voir tous les jours, mais ils ne parlent plus trop, et à chaque fois, il finit par la prier de partir, pour qu’elle aille s’occuper aussi d’elle, se changer les idées.

Gaston a peur que son corps trouve un équilibre dans cette nouvelle situation et qu’il ne meure pas. «On a cru qu’Exit allait résoudre le problème, mais moralement, ce n’était pas supportable pour ma femme.

Finalement, j’attends une mort qui ne vient pas». Sa décision de ne pas avoir recours au suicide assisté reste néanmoins inchan- gée, et il prend son mal en patience.

discussion

La thématique du suicide assisté est au centre de nombreux débats médico-éthi- ques et politiques.1 Les publications sur le

sujet sont nombreuses,1-5 pourtant peu d’études s’intéressent à l’impact du suicide assisté sur les proches.6-8 Et plus particu- lièrement sur la période de deuil. La peur d’une stigmatisation sociale, l’acte gardé secret, le stress post-traumatique, les di- lemmes moraux et l’isolement social qui en résulte sont différents points mis en évi- dence.6,7,9,10 Malgré cela, les proches sont toujours peu impliqués dans les décisions de suicide assisté. Souvent, la demande vient du patient et est peu discutée avec la famille. Un soutien est nécessaire tout au long de la démarche de «préparation de la mort», et par la suite, étant donné la com- plexité de la procédure, et la finalité inhabi- tuelle.

L’histoire de Gaston illustre bien la diffi- culté de pouvoir choisir de mourir, et l’impact d’une telle décision sur les proches. L’ambi- valence est présente tout au long de son hospitalisation, entre attendre la mort et la prévoir, tout en risquant de mettre Liliane dans une grande détresse. Finalement, l’at- tente d’une mort naturelle paraît être la solution la moins pire pour eux, mais y a-t-il une autre solution ?

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10 Wagner B, Muller J, Maercker A. Death by request in Switzerland : Posttraumatic stress disorder and com- plicated grief after witnessing assisted suicide. Eur Psy- chiatry 2012;27:542-6.

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