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Capture-moi Copyright 2015 par Geneva Lee

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Academic year: 2022

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Capture-moi

Copyright © 2015 par Geneva Lee

Tous droits réservés. Ce livre, ou quelque partie que ce soit, ne peut être reproduit de quelque manière que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur.

Ce livre est une fiction. Les noms, caractères, professions, lieux, événements ou incidents sont les produits de l’imagination de l’auteur utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des

personnages réels, vivants ou morts, serait totalement fortuite.

Titre original : Capture Me

Première publication : 2015, Westminster Press www.GenevaLee.com

Collection New Romance® dirigée par Hugues de Saint Vincent Ouvrage dirigé par Isabelle Antoni

Photo de couverture : © Ayal Ardon/Arcangel Images Pour la présente édition :

© 2017, Hugo et compagnie 34-36, rue La Pérouse

75116 - Paris www.hugoetcie.fr ISBN : 9782755630923

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

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DU MÊME AUTEUR

Déjà parus :

Commande-moi Captive-moi Couronne-moi

Cherche-moi Convoite-moi

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À Sharon qui me supporte pour profiter de Smith.

Merci.

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S OMMAIRE

Titre Copyright Du même auteur Dédicace

Chapitre premier Chapitre deux Chapitre trois Chapitre quatre Chapitre cinq Chapitre six Chapitre sept Chapitre huit Chapitre neuf Chapitre dix Chapitre onze

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Chapitre douze Chapitre treize Chapitre quatorze Chapitre quinze Chapitre seize Chapitre dix-sept Chapitre dix-huit Chapitre dix-neuf Chapitre vingt Chapitre vingt et un Chapitre vingt-deux Chapitre vingt-trois Chapitre vingt-quatre Chapitre vingt-cinq Chapitre vingt-six Chapitre vingt-sept Chapitre vingt-huit Chapitre vingt-neuf Message de l’auteure Remerciements

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CHAPITRE PREMIER

Quand je raccroche le téléphone, la musique s’arrête. Mon portable tombe par terre et je me laisse glisser contre le mur. J’ouvre ma veste de costume et, d’une main tremblante, j’essaie d’attraper les boutons de ma chemise, jusqu’au dernier. Je soulève les couches de tissu imbibées de sang en grognant.

Merde, c’est profond. Je suis bon pour des points de suture.

– Tu vas avoir besoin de beaucoup plus que ça, dis-je à Jake.

Il ne répond pas. Probablement parce qu’il est mort.

On se reverra en enfer.

Bon, avec un mort de plus sur les bras, j’ai un témoin à charge en moins contre Hammond. Et avec Georgia sortie de l’équation, il ne me reste plus beaucoup d’options. Nous avons des mails et quelques enregistrements de réunions, mais ce n’est pas assez pour faire tomber un homme tel qu’Hammond. Mais après ce qui vient de se passer cette nuit et après son agression contre Belle, je ferai tout ce que je peux pour qu’il comparaisse en justice.

Je promène mon regard sur la scène de destruction autour de moi et j’attends. Du verre brisé. Des meubles renversés. Une porte défoncée. Un

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cadavre. Soit c’est une scène de crime soit le résultat d’une super-fête.

Il a fallu que je défonce la chambre d’hôtel la plus chère de tout Londres. Mon compte en banque va souffrir le mois prochain. Ça va niquer le plafond du dépôt de garantie.

Tu perds les pédales, Price.

Une flaque de sang s’élargit à côté de moi, je l’observe s’agrandir, fasciné. Elle est alimentée par le liquide qui s’échappe de ma poitrine.

Mon portable sonne, c’est le numéro d’Hammond qui s’affiche. Je glisse le pouce sur l’écran pour accepter l’appel et lui annonce :

– Price 1. Jake 0. Il va falloir un bon croque-mort pour s’occuper de lui.

Hammond glousse de l’autre côté de la ligne :

– Il ne t’arrivait vraiment pas à la cheville. Tu crois vraiment que je l’aurais laissé te tuer ?

– Et ma femme alors ?

Je ferme les yeux de toutes mes forces avant de les rouvrir, pour essayer de retrouver la netteté de ma vision.

– Rien à foutre d’elle. C’est entre toi et moi.

– Je n’arrive pas à croire que tu te sois servi de Margot pour l’énerver contre moi. C’est un coup bas.

Je coince mon portable entre ma tête et mon épaule, il devient trop lourd.

– C’est la guerre, fils.

– Qui gagne ?

Je lui pose la question, car si je me souviens bien du dernier score, le reste devient flou.

– Eh bien, d’un moment à l’autre, on va t’arrêter pour le meurtre de Jake. Ce qui me donne un point.

Hammond se met à glousser.

Pas moi. Sa blague n’est pas très drôle.

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– Je n’ai pas un point pour Jake ?

– On ne marque que les points importants. Quand tu seras en prison, ça me donnera trois cibles de plus sur ma liste et tu viens de me rendre un grand service en envoyant ta femme directement chez eux. Je n’arrive pas à me décider. Tu crois que je devrais frapper ce soir pendant qu’ils sont tous ensemble ou attendre que tu aies un peu moisi dans ta cellule d’abord ? Ça pourrait être drôle de lire un article sur le désaxé qui, après avoir commis un meurtre, annonce un complot contre la monarchie britannique.

– Sauf que la monarchie britannique est de mon côté.

Je cligne des yeux en voyant la porte disparaître et réapparaître. Je penche la tête de côté pour essayer de voir où elle est partie.

– Pour l’instant. Mais tu penses être le seul à tenir le Palais informé ? Alexander ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Quand il obtiendra la preuve que tu as continué à travailler pour moi pendant tout ce temps, il n’aura pas très envie de se mouiller pour toi.

– Revirement intéressant, mais personne ne va mordre à l’hameçon.

– Je suis un conteur très convaincant, mon cher Smith. Je raconte très bien les histoires. Amuse-toi bien avec le détective Spade. Il avait tellement hâte de te rencontrer.

Plus de bruit dans le téléphone, ma main tombe par terre. Il m’est de plus en plus difficile de réfléchir et il fait si sombre. Est-ce que Belle a éteint la lumière en partant ?

Belle.

Quels que soient les plans d’Hammond pour moi, elle est l’électron libre qu’il ne pourra pas attraper. Peu importent les preuves dont dispose Alexander contre moi, elle ne les croira jamais. Ce qui veut dire qu’elle est la prochaine sur la liste d’Hammond. Il va vouloir la supprimer en premier.

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Je me force à me lever. Maudite courtoisie qui m’a fait appeler les flics. Il va vraiment falloir que je fasse quelque chose contre cette culpabilité à la con. Je tâtonne pour retrouver mon portable, je le glisse dans ma poche puis j’essaie d’ouvrir la porte, mais je tombe dessus.

De l’ADN. De l’ADN partout.

Bon Dieu, je pourrais tout aussi bien semer un chemin de miettes de pain derrière moi pour qu’on me retrouve.

J’attrape un coussin en passant devant le canapé, j’en arrache le tissu pour le récupérer et le presser contre ma blessure. Il va falloir que je fasse soigner ça, mais pour l’instant, ce que j’ai de mieux à faire, c’est d’arrêter que mon sang coule, pour qu’il ne conduise pas directement à moi. Je ferme ma veste en entrant dans l’ascenseur. Le couple à mes côtés continue de discuter, même lorsque la première goutte de sang s’écrase par terre. Je ne vais pas m’en sortir. Tendant la main, j’appuie sur les boutons des étages, mes doigts gourds en allument un maximum.

Dès que les portes s’ouvrent, je descends et titube dans le couloir. Puis mes genoux cèdent. Mon regard tombe sur un placard réservé au service de ménage et je me jette sur la poignée de la porte. Je l’actionne et le monde plonge dans les ténèbres.

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CHAPITRE DEUX

Je débarque dans le hall du Westminster Royal palace vêtue d’un peignoir en satin maculé de sang. À l’évidence, je sais comment faire une entrée remarquée ! Je le traverse promptement en me dirigeant vers la réception, puis je m’appuie sur le comptoir pour retrouver l’équilibre. Mes jambes tremblent trop. L’employée de service se fige en prenant conscience de mon apparence, ce qui la réduit au silence.

– J’aimerais parler au directeur, dis-je à voix basse.

Je ne veux pas causer de scène. Nous sommes vivants. Tout le reste peut être dépêtré le plus discrètement possible.

Elle semble soulagée. Je suis certaine qu’elle est plus que ravie de se débarrasser de moi en refilant mon cas à quelqu’un d’autre.

Et ça, ça me met en rogne.

D’un certain côté, j’ai envie qu’elle fasse preuve d’un minimum d’humanité envers la femme traumatisée qu’elle a devant elle. Ne devrait- elle pas au moins me demander si ça va ? Mais répondre à cette question serait probablement plus simple si quelqu’un ne venait pas de se faire assassiner, même si c’était de la légitime défense.

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C’est trop. Voilà le véritable fondement de ma colère. Je suis là, mais mon esprit est enfermé dans la chambre d’hôtel que je viens de quitter.

Je lève brièvement les yeux pour apercevoir l’air choqué qu’affichent les clients de l’hôtel qui passent à côté de moi. Smith m’a fait entrer dans notre suite en utilisant l’ascenseur privé réservé aux clients de marque, ce qui m’avait épargné l’embarras d’être dévisagée par des étrangers. Je dois avoir une sacrée tête – battue comme plâtre lors de ma première confrontation avec Jake et maintenant couverte de blessures toutes fraîches. Quand je resserre le peignoir autour de moi, j’entends le tintement des bris de verre piégés dans les plis du tissu, qui tombent et s’éparpillent sur le sol en marbre.

Et j’avais peur d’attirer l’attention sur moi.

Mais bon Dieu, qu’est-ce que tu fous là ? Je n’en sais strictement rien.

Smith est là-haut, à attendre la police à côté d’un cadavre. Je devrais être à ses côtés. Mon mari est peut-être parano de croire qu’Hammond pourrait venir en personne finir le contrat lancé sur sa tête, mais honnêtement, il n’est pas du genre à venir sur une scène de crime. Il est bien trop malin pour ça. Merde, même ses sbires n’oseraient pas.

Et Smith est bien trop intelligent pour oublier qu’il y a encore un vrai risque, ce qui veut dire qu’il m’a écartée pour une bonne raison. Quand je comprends ça, j’ai l’impression que mon sang se glace. Il y a de nombreuses raisons parfaitement logiques pour expliquer son envie de me faire partir, mais notre relation ne fonctionne pas franchement sur un plan rationnel.

À l’abri du danger immédiat, plus les secondes passent et plus j’y vois clair.

La femme à qui je m’étais adressée a fait appel à un homme bien habillé. Ils sont assez éloignés pour que je n’entende pas ce qu’ils se disent, mais impossible d’ignorer les regards perçants qu’ils jettent dans

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ma direction, comme un mélange curieux de sollicitude et d’irritation. On dirait qu’eux aussi souhaitent éviter la moindre scène.

Mais bon, il est tout à fait possible qu’ils sachent exactement ce qui se passe. Jake a bien réussi à entrer dans notre suite d’une manière ou d’une autre. Est-ce qu’un employé du Westminster Royal lui en a donné l’accès ? Hammond peut acheter n’importe qui, n’importe où, et je suis quasiment certaine qu’il a une réserve de ficelles à tirer pour les occasions d’urgence telles que celle-ci.

Je dois sortir de là. Smith m’a dit d’appeler la police, mais va-t-il rester sagement assis à attendre les forces de l’ordre ?

Il a exigé que je parte pour cacher quelque chose.

Sans plus réfléchir, je pars en courant vers l’ascenseur, bousculant légèrement un couple sur mon chemin. Je marmonne des excuses rapides en sautant dans la cabine et appuie frénétiquement sur le bouton pour fermer les portes avant qu’ils ne puissent réagir.

On m’a assez vue dans cet état. Je n’ai pas besoin de subir, en plus, un trajet gênant avec d’autres personnes. Au moins, notre suite a son propre étage privé. Si la police n’est pas encore arrivée, personne n’aura découvert la scène du crime.

Mais quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent, je me fige sur place.

Une trace de sang s’étale depuis la porte jusqu’à moi. Quelqu’un est parti d’ici en saignant à profusion, et je sais que ce n’est pas moi.

Je ne saigne pas tant que ça. Soit Jake n’est pas mort, soit…

Je ne refuse d’envisager ces deux options.

Me précipitant à l’intérieur, je manque perdre l’équilibre en me prenant les pieds dans le corps sans vie de mon agresseur.

Il est décédé. J’aurais pu en être soulagée si je n’avais pas dû enjamber cette zone ensanglantée. Si Jake est mort, cette trace de sang me mènera à Smith.

Réfléchis.

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Ce n’est pas en me laissant guider par la peur que je vais trouver une solution. Les doigts tremblants, je retire mon peignoir, essayant d’ignorer le cadavre dans la pièce. Mon corps est agité de spasmes, j’ai du mal à enfiler les vêtements que j’avais disposés sur mon lit tout à l’heure. J’ai comme l’impression que me balader vêtue de satin taché de sang n’est pas une bonne idée et ça, au moins, c’est un problème que je peux régler.

J’inspire profondément pour reprendre un peu de contrôle avant de rassembler mes cheveux en queue-de-cheval. J’ai besoin de me maîtriser, c’est le minimum.

Je fourre le peignoir dans mon sac et fais un rapide tour des lieux pour récupérer toutes mes affaires.

Nous avions pris très peu de choses avec nous. Une idée de Smith.

C’est comme s’il s’était douté qu’il se passerait un truc. Mais la preuve la plus accablante ne peut pas être fourrée dans un tote bag et je n’ai pas le temps de la nettoyer.

Contente d’avoir tout rassemblé, je fais demi-tour pour me diriger vers le couloir. Cette fois-ci, je remarque la trace de sang sur le montant de la porte. J’ai envie de croire que c’est celui de Jake, mais pour laisser une telle empreinte derrière lui, il aurait du tremper toute sa main dans une mare d’hémoglobine.

Smith saigne, et pas qu’un peu.

Il a probablement besoin d’une ambulance, mais si c’est pour cette raison qu’il m’a envoyée appeler la police, pourquoi est-il parti ? Une personne normale aurait appelé à l’aide, mais à cet instant, je ne pense qu’à une chose : retrouver mon mari.

Que suis-je censée raconter aux secours, de toute façon ? Qu’il a été blessé mais s’est perdu en route quand il a voulu appeler les autorités ? Smith est un fugitif. Il le sait et la police le saura aussi. Même s’il est blessé, je vais le tuer.

S’il n’est pas déjà mort.

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L’idée me donne des frissons, mais je la repousse et repars vite fait vers les ascenseurs au bout du couloir. Impossible de savoir lequel il a pris. En suivant les traces de sang, je déduis qu’il a emprunté les ascenseurs publics plutôt que celui réservé à l’usage privé de la suite qui mène directement au garage. Je ne comprends pas pourquoi.

Le problème, c’est qu’il est impossible de savoir dans lequel il est entré. Je repère une trace sur les boutons en regardant le mur. C’est là que j’ai une idée. En l’étudiant de plus près, j’en trouve une autre sur le montant de la cabine la plus à droite. C’est là qu’il est monté. Je ferme les yeux pour me concentrer et me focaliser sur mon besoin de le retrouver.

Puis j’appuie sur le bouton pour l’appeler. Il me faut cinq minutes et plusieurs personnes interloquées pour faire venir celui que je veux.

Soulagée, je découvre qu’il est vide. Le problème, c’est que la moitié des boutons du tableau sont tachés.

Réfléchis, Belle.

J’appuie sur tous en priant de le retrouver rapidement. J’ai besoin de le voir, de le toucher. Au milieu de ce cauchemar éveillé dans lequel nous sommes piégés, il est le seul élément tangible. Je dois le retrouver. Il est sûrement rapidement descendu. Les portes s’ouvrent deux étages plus bas sur une nouvelle trace ensanglantée. Je la suis en me préparant à ce que je pourrais trouver à l’autre bout de la piste. Mais elle débouche sur un local technique. J’ouvre la porte avant d’en avoir trop peur.

La lumière du couloir éclaire faiblement le réduit et tombe sur le corps avachi de Smith.

Passant mes doigts autour de son poignet, je vérifie son pouls et ravale un sanglot en le trouvant si faible. Faible, mais présent.

Et maintenant, si je savais seulement quoi faire.

Si j’en juge par la sensation de brûlure de mes yeux, mon corps opterait pour une bonne crise de larmes. Heureusement, mon côté grosse

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dure capable de gérer les situations de crise a pris le dessus pour me sauver.

Passant mes bras autour de son torse, j’essaie de soulever son corps. Il est trop lourd. Saloperie de musculature super-sexy. J’essuie une larme rebelle sur ma joue et m’effondre par terre, à ses côtés.

– Réveille-toi, je lui ordonne. Je sais que tu es plus têtu qu’une mule, mais là, il faut que tu m’écoutes pour une fois.

D’un geste rageur, je chasse les larmes qui coulent désormais librement et je reprends :

– On a dit pour toujours et j’ai besoin que tu tiennes ta promesse là- dessus, Price.

J’attends qu’il me réponde. Je le supplierais, même.

Smith est immobile, seul sa poitrine bouge faiblement. Sa respiration se fait irrégulière. J’ai besoin d’aide et je ne sais vraiment pas où en trouver.

Repoussant son corps, je m’agenouille par terre dans le noir et entreprends de le palper. Et c’est là que ma main entre en contact avec un objet lisse et frais. Son portable.

Je ne connais qu’une personne qui viendrait à ma rescousse, sans poser de question. Enfin, pas tout de suite.

Je compose son numéro sans y réfléchir à deux fois, fermant la porte en même temps. Nous voilà enveloppés dans le noir. Je m’installe contre la chaleur du corps de mon mari quand le téléphone se met à sonner.

***

J’entends qu’on frappe doucement à la porte. Le bruit me tire du sommeil sans rêve dans lequel j’étais plongée. C’est soit notre salut, soit notre damnation qui frappe à la porte. Mais quoi qu’il en soit, il faut ouvrir. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Je la repousse du pied et je

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cligne des yeux, aveuglée par la lumière relative du couloir, jusqu’à ce que je reconnaisse un visage familier, et bienvenu.

Edward ne fait preuve d’aucune émotion en voyant ce qui se tient à ses pieds. Il remonte ses lunettes en écaille de tortue sur son nez et secoue sa tête auréolée de cheveux bouclés.

– Tu devrais te mettre des limites quand tu pars faire la fête.

Ni l’un ni l’autre ne trouvons sa blague drôle. Rien d’aussi insignifiant ne saurait disperser le nuage de tension qui s’installe entre nous.

– Merci.

Les questions suivront. Des questions difficiles. Des questions auxquelles je ne veux pas répondre. Mais là, tout ce qui compte, c’est qu’il soit venu.

– J’imagine que tu as un plan.

Pas vraiment. Les plans sont pour les gens capables de se déplacer.

D’agir. De penser. Il y a une minute encore, je ne savais pas si j’allais pouvoir me sortir de là. Désormais, il me faut trouver quoi faire. Tout à l’heure, j’ai fait défiler la liste de ses contacts et trouvé le sien. Le coup était risqué, et ce n’était pas ma solution de repli privilégiée, mais seule Georgia aurait pu être capable de nous venir en aide. Avant d’arriver sur la section des G, un autre nom a retenu mon attention.

– Dans ses contacts, il y a un certain Dr Roget, dis-je à Edward. Si on se sort d’ici, je peux l’appeler.

– Ce n’est pas franchement un plan, commente-t-il sans le moindre sourire.

Je ne prends pas la peine de lui annoncer que mon plan B implique Georgia Kincaid. Je me contente de lui lancer un regard d’avertissement.

– Là, mon plan, c’est de survivre aux cinq prochaines minutes et quand on y sera, je me concentrerai sur les dix suivantes.

– On pourrait appeler Alexander, suggère-t-il.

– Non !

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Ma réaction est dure, mais elle est instinctive. Alexander pourrait nous venir en aide – après tout, c’est lui qui nous a mis dans cette situation –, mais j’ai le pressentiment qu’il faut garder Clara et sa fille éloignées le plus possible de ce qui nous arrive. C’est déjà assez nul comme ça d’avoir entraîné Edward dans ce bourbier.

– Comme tu veux.

Je tends la main vers lui.

– Aide-moi à me lever.

Edward ne demande pas d’explication immédiate. Il attrape mon poignet et m’aide à revenir à la verticale, mais dès que j’avance dans la lumière, ses doigts se serrent.

– Putain, Belle, que s’est-il passé ?

Il ne m’avait pas encore vue. J’avais espéré ne réapparaître qu’une fois mes blessures cicatrisées.

– Ce n’est pas important, je réponds en secouant la tête. Les blessures de Smith sont sérieuses. On doit se concentrer sur lui.

Edward ne bouge pas d’un iota.

– C’est lui qui t’a fait ça ?

– Quoi ? Non ! je m’exclame, choquée. Au contraire, il m’a sauvée.

Edward ne cherche pas à en savoir plus. Il soulève le corps de Smith pour le mettre sur son épaule.

– Ok. Alors, nous avons un homme inconscient sur les bras. Et toi, tu as l’air d’avoir boxé au moins dix rounds. J’imagine que nous prenons l’ascenseur pour rejoindre la réception ?

– Pas besoin de te la jouer sarcastique.

Mais il marque un point. Même sans porter d’homme inconscient, Edward ne passe pas inaperçu. Impossible d’emprunter l’entrée principale.

Quand l’idée me vient, je claque des doigts en répondant : – La Bugatti. Il l’a laissée dans le garage privé.

– Je te suis.

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Impossible de prendre l’ascenseur. Je ne peux pas risquer de croiser la police si elle est déjà arrivée. Me dirigeant vers les escaliers, je me prépare à l’idée de retourner dans notre chambre d’hôtel et à revoir le corps de Jake. Mais une fois la porte ouverte, je m’élance immédiatement dans la cage d’escalier. La police doit déjà être là en nombre. Et je sais qu’il ne leur faudra pas longtemps pour remonter la piste des traces de sang dans le couloir et la suivre.

Smith a commis un acte de légitime défense. Ce fait devrait être suffisant pour lui épargner une inculpation, sans avoir à mentionner son alliance avec Alexander. Je n’ai absolument pas peur qu’il se retrouve en prison. Mais avec Hammond toujours en vie, nous ne sommes en sécurité nulle part à Londres, pas même dans une cellule. La meilleure option est de rester loin de la vue d’Hammond, ce qui veut dire que je ne peux que m’en remettre à moi-même.

– Et maintenant, quoi ? demande Edward d’un ton impatient en réajustant le poids de Smith sur son épaule. Je ne dis pas ça pour t’inquiéter, mais ils vont rapidement boucler l’hôtel. Il faut qu’on se tire tout de suite.

– Les escaliers.

Sans se plaindre, il descend Smith au sous-sol. Quand nous arrivons tout en bas de l’escalier, je ferme les yeux avant d’appuyer sur la poignée de la porte.

Edward marmonne un truc qui se rapproche de « miracle ».

– La voilà, dis-je en désignant la voiture de sport véritablement unique de Smith.

À sa vue, il plisse le front en me regardant d’un air interrogateur.

– C’est une deux places, remarque-t-il.

– Tu conduis.

Edward installe Smith sur le siège passager et je grimpe sur les genoux de mon mari. Dans le noir, je ne voyais pas sa blessure. Maintenant, je ne

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veux pas la regarder. Mais je glisse mes mains contre la tache ensanglantée chaude et collante et j’appuie dessus. Mon expérience médicale se limite à une question de bon sens et à ce que j’ai vu dans les films.

Je ne suis pas sûre qu’une des deux sources puisse lui venir en aide.

– Où va-t-on ? demande Edward en passant la marche arrière et en faisant crisser les pneus de la voiture vers la sortie.

Avec un peu de chance, le Dr Roget est un ami, un très bon ami. Une voix fatiguée me répond à la deuxième sonnerie.

– Price ?

– C’est sa femme.

Je réponds précipitamment en ignorant le petit coup au cœur de culpabilité que je ressens lorsqu’Edward me jette un regard incrédule.

– Je ne sais pas si c’est une erreur de vous appeler, mais Smith a besoin d’aide. D’aide discrète.

Soit je passe l’appel qui nous sauvera, soit je nous jette droit dans un piège, mais je n’ai pas trop d’autres options.

– Vous pouvez venir à l’hôpital Sainte Mary ? – Oui, mais…

J’hésite. J’aimerais éviter les hôpitaux et les questions indiscrètes qui viennent avec.

– Si vous passez par l’aile Est, vous tomberez sur le service d’oncologie. Il est fermé le soir. Je vous y retrouve.

– Merci.

J’ai répondu dans un souffle, mais il a déjà raccroché.

Je répète les instructions mot pour mot à Edward. Il hoche calmement la tête sans prendre la peine de parler, pourtant je vois bien qu’il serre les dents. La voiture prend de la vitesse alors que nous nous dirigeons vers notre destination et notre destin des plus incertains. Il a plein de questions et probablement quelques mots très durs à m’adresser.

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Impossible d’imaginer les réponses qu’il finira par exiger. Alors, je me concentre sur le fait que le sang de Smith est encore chaud sur mes mains, ce qui veut dire qu’il est vivant.

Pour l’instant.

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CHAPITRE TROIS

Comme promis, le service d’oncologie de l’hôpital Sainte Mary est plongé dans le noir quand nous arrivons. Au milieu des ombres, on ne distingue pas grand-chose. Encore un bâtiment anonyme comme les autres, fermé pour la nuit. Je suis parcourue de picotements, j’ai la chair de poule.

Étrangement, le côté très banal de l’endroit rend notre acte encore plus terrifiant. Je jette un coup d’œil nerveux à Edward lorsqu’il gare la Bugatti près de l’entrée. La lumière du seul et unique lampadaire de la rue s’infiltre péniblement dans l’habitacle de la voiture, soulignant d’un léger halo lumineux ses cheveux bouclés.

Cette image angélique lui convient. Il faut plus qu’un peu de loyauté pour traîner un futur suspect dans une affaire d’homicide de l’autre côté de la ville, surtout si l’on pense au fait qu’il n’apprécie pas Smith plus que ça. À cet instant précis, je ne serais pas étonnée de découvrir qu’il cache une paire d’ailes.

– Tu es sûre de ce que tu fais ? demande-t-il en regardant le bâtiment sinistrement silencieux par les vitres teintées de la voiture.

– Oui.

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Mais ce n’est pas le cas. Pas vraiment. Si Smith était conscient, il me dirait probablement que je fais une monstrueuse erreur en accordant ma confiance au Dr Roget, mais là n’est pas la question. Il est dans les vapes et plus les secondes passent, plus la réalité de ses blessures devient préoccupante. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû prendre une décision et j’ai décidé que le jeu en valait la chandelle.

Edward pousse un gros soupir et me fait un signe de tête assez sec avant de sortir du véhicule. Il en fait le tour et m’aide à m’en extraire. Je prends garde à éviter de mettre encore plus de sang sur ses vêtements, ce qui est éminemment stupide, puisqu’il en est déjà couvert. Mais moins il rentrera à la maison taché, moins il aura de questions auxquelles répondre et mieux vaut laisser les autres en dehors de cette affaire.

Il plisse les yeux en prenant note du teint cireux de Smith, mais ne dit pas un mot. Que pourrait-il dire, après tout ? Que la blessure est grave ? Qu’il est peut-être trop tard ? Ces questions m’ont déjà traversé l’esprit.

Dieu merci, mon meilleur ami me connaît assez bien pour le savoir. Je ne pense pas être capable de supporter la vérité si on les énonce à voix haute.

Pas encore.

Edward soulève le corps de Smith pour le sortir de la voiture, puis se tourne vers moi.

– Si cela se révèle une erreur…

– Ça n’arrivera pas, lui dis-je pour le rassurer, au moins autant que moi.

– Si c’est le cas, continue-t-il en m’ignorant, alors tire-toi.

– Edward, je ne…

Cette fois-ci, il m’interrompt :

– Ce n’est pas ouvert au débat. Smith voudrait la même chose.

Surprise, j’ai un mouvement brusque. Il a raison. Smith voudrait que je parte en courant. Mon meilleur ami et mon mari ne partagent généralement pas le même avis. C’est étrange de voir Edward porter sa

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parole maintenant, ce qui me rappelle plus vivement encore que Smith n’est pas capable de me lancer cet avertissement lui-même.

Et même si je déteste qu’on me dise quoi faire, je ne peux pas dissocier cette requête des hommes qui la font. Ce soir, il faut que je décide quand je dois m’obstiner et quand je dois faire preuve d’intelligence, surtout si je dois veiller à notre sécurité à tous.

Levant mes yeux vers les siens pour le toiser, j’accepte enfin : – D’accord, tant que tu fais la même chose. Je fuis : tu fuis.

– Et Smith ? demande Edward, éreinté.

– Il voudrait nous savoir en sécurité tous les deux.

– Je ne suis pas certain de faire partie du cercle des personnes qui comptent à ses yeux, répond-il platement.

Je n’ai pas eu l’opportunité de tout raconter à Edward sur les relations de Smith avec notre petit cercle privé. Après ce qu’il a fait pour moi ce soir, il mérite de le savoir, mais là, ce n’est pas le moment.

– Tu serais surpris.

Je n’en dis pas plus.

Edward m’adresse un regard empreint de frustration et désigne la porte d’entrée d’un mouvement de tête.

– Je te suis.

Je prends une grande inspiration avant de me diriger vers le bâtiment.

Je m’arrête devant les portes vitrées. Après une courte pause pour rassembler mon courage, je lève le poing pour frapper doucement. À l’intérieur, le hall d’entrée est plongé dans le noir. N’importe qui pourrait m’attendre là-dedans. Je jette un coup d’œil vers Smith et Edward, puis je prie silencieusement le Ciel de ne pas les envoyer directement dans la gueule du loup. Du coin de l’œil, je repère un mouvement à l’intérieur et je me tourne vers la clinique pour découvrir un homme qui s’avance dans le noir.

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J’arrête de respirer en attendant qu’il déverrouille la porte, mais quand il y parvient, sa seule réaction est de froncer les sourcils avec lassitude en découvrant Smith. D’un signe de la main, il nous fait signe de le suivre à l’intérieur.

– Madame Price, j’imagine ? – Oui.

En lui répondant, ma bouche s’assèche. Je n’ai pas l’habitude qu’on m’appelle par le nom de Smith. C’est encore trop récent et encore plus étrange dans ces circonstances. Une jeune mariée normale devrait être en chemin pour sa lune de miel, pas en train de se démener pour faire soigner clandestinement son mari.

Le Dr Roget nous conduit dans une salle éclairée par des néons très puissants et nous désigne une table d’examen recouverte de papier. Edward dépose doucement le corps de Smith et recule quand le médecin passe à l’acte. Je le regarde travailler en me rongeant les ongles impatiemment. À en juger par les quelques cheveux gris sur ses tempes, c’est un homme un peu plus âgé. Le stress de sa profession a creusé une ride entre ses yeux qui semble s’approfondir à mesure que son examen progresse. Je ne doute pas un instant que ce soit un médecin et qu’il prenne sa responsabilité professionnelle envers Smith très au sérieux. Mais en fin de compte, même les gens bien peuvent être achetés. À partir d’aujourd’hui, je garderai cette vérité au centre de toutes mes décisions.

– Va-t-il s’en sortir ? demande Edward en formulant l’unique question qui me trotte dans la tête.

– Pour le moment, je dois le stabiliser, aboie le docteur par-dessus son épaule. Et à moins que vous n’ayez des compétences médicales, je préfère travailler sans public. Je vous tiendrai au courant dès que j’en saurai plus.

– Je ne sortirai pas d’ici.

Je croise mes bras sur ma poitrine, bien consciente d’avoir certainement l’air d’une gamine effrontée. Mais je m’en fous.

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– Madame Price, vous m’avez demandé de vous venir en aide, me rappelle le docteur Roget sans prendre la peine de se détourner de la perfusion qu’il est en train de planter au creux du coude de Smith.

– Il a raison, Madame Price.

Edward m’attrape le bras et me fait sortir de la pièce.

J’ignore sa pique grossière faisant référence à mon statut de femme mariée, et me contorsionne pour échapper à sa prise.

– Tu lui fais confiance ?

– Nous n’avons pas le choix, mais tu le sais déjà, répond Edward en secouant la tête. On dirait bien que nous avons du temps à tuer. Que penses-tu du jeu des vingt questions ?

Il est temps de passer aux aveux et vu notre situation, je ne vois pas de solution pour y échapper.

– Tu veux commencer, ou dois-je le faire ?

– Je prends la main, annonce-t-il en accompagnant sa réponse d’un rire creux. Si j’arrive à trouver par où commencer.

– Que penses-tu de mon mariage ?

J’offre cette solution d’une voix calme et posée et Edward nous dirige vers une rangée de chaises avant de se laisser tomber sur l’une d’elles.

– J’admets volontiers avoir espéré une autre explication à cette question.

– Comme quoi ? je demande, complètement incrédule, en m’installant sur la chaise d’à côté.

– Autant que je sache, les petites amies n’ont pas de pouvoir décisionnaire sur les soins médicaux de leur petit copain.

– Tu as raison. J’aurais peut-être dû mentir, dis-je en m’avachissant, me cognant légèrement la tête contre le mur derrière moi.

– Pour commencer, ça fait presque aussi mal que si tu ne me l’avais pas dit. Quand ? Comment ?

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Je ferme les yeux et me pince l’arête du nez dans une tentative futile de retarder le début d’un mal de crâne lié au stress.

– À New York. Le maître d’hôtel nous a mariés dans notre suite.

– Impossible de publier ça dans le moindre carnet mondain.

Mais la taquinerie qui aurait dû donner du relief à sa remarque est absente. J’ai besoin d’un contact avec lui, alors je tends la main pour attraper la sienne. Sachant que malgré cette entaille dans nos rapports de confiance, nous sommes toujours aussi liés, je lui réponds :

– Ton absence m’a tuée. Je n’ai toujours pas l’impression que c’est arrivé pour de vrai.

– Qui d’autre est au courant ? – Clara, j’admets en soupirant.

– Je suppose que c’est de bonne guerre.

Je connais Clara depuis plus longtemps qu’Edward, mais ce n’est pas la raison pour laquelle elle a été mise au courant avant lui.

– En fait, elle l’a su par Alexander. J’imagine que le problème, quand ta meilleure amie est mariée à l’un des hommes les plus puissants du monde, c’est qu’il est difficile de lui cacher quoi que ce soit. Il l’a appris avant elle.

– Alors, en gros, tu as mis en colère tes meilleurs amis, tu les as intimement blessés, tu as épousé un gars que nous connaissons à peine et tu es pourchassée par des assassins. J’ai fait le tour ?

Cette fois-ci, malgré son ton très sombre, je décèle une légère lueur d’humour dans son regard. Je pousse mon épaule contre lui et lui réponds :

– Grosso modo.

– Et pourtant, j’ai encore tant de questions à poser.

– Moi aussi.

C’est difficile à admettre, douloureux même, mais après en avoir tant appris sur la relation de Smith avec Hammond, de nouvelles informations toutes plus affreuses les unes que les autres continuent à affluer. L’homme

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qui m’a attaqué était bien plus qu’un homme de main quelconque. Il voulait me voir morte et enterrée pas seulement pour une simple raison financière. Sa motivation était profondément personnelle. Combien d’autres anciens amis de Smith vont encore débarquer avec le même genre de grief ?

Je n’ai pas envie de charger Edward du poids de cette histoire, ce qui veut dire que ce fardeau, et tant d’autres, je dois les porter seule.

– Quoi d’autre ? me relance Edward.

Apparemment, il était sérieux quand il a proposé le jeu des vingt questions.

– Honnêtement, je ne sais même pas par où commencer.

– Et pourquoi pas par ce soir ? suggère-t-il. Putain, mais que s’est-il passé ? La moitié de tout ce sang n’est pas le sien.

– Non, effectivement.

Je prends une grande inspiration. Je lui dois au moins cette vérité, mais je ne suis pas sûre d’avoir déjà envie de revivre les événements.

– J’ai été agressée hier. Un type m’a violemment frappée.

– Bon Dieu, Belle.

Edward passe son bras autour de mes épaules et je sens qu’il a une question sur le bout de la langue.

– C’est tout, lui dis-je pour le rassurer. Il ne m’a pas…

– C’est bon, j’ai compris.

Je suis contente qu’il ne me force pas à tout relater, coup par coup, un détail éprouvant après l’autre, ni même à affronter la réalité de ce qui aurait pu se passer si un bon Samaritain n’avait pas appelé la police.

– C’était très dur, lui dis-je en me sentant glisser vers les ténèbres de mon agression.

Je me rapproche d’Edward pour m’imprégner de la chaleur de son corps.

– Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ?

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Sa réprimande est douce et amicale, mais elle est tout de même là.

– Smith avait peur que ce soit bien plus qu’une banale agression, alors il nous a pris une chambre au Westminster Royal, puis il est allé régler quelques affaires.

– Il t’a laissée là-bas ? s’étrangle Edward.

– Non ! J’ai appelé Tante Jane.

Dès que les mots sortent de ma bouche, je me fige complètement.

Tante Jane.

Dans tout ce chaos, j’ai oublié de l’appeler. Elle doit être retournée à l’hôtel et… Cette idée est trop horrible.

Je bats des mains dans tous les sens avant d’être capable de sortir un mot :

– Portable.

Edward plonge la main dans sa poche et en extrait son téléphone. Il ne dit pas un mot en me voyant composer son numéro. Je compte les sonneries.

Elle décroche à la troisième : – C’est moi.

Je retiens un sanglot et je me force à parler aussi normalement que possible.

– Dieu merci.

Derrière, c’est la cacophonie. Elle reprend :

– Tout l’hôtel a été bouclé. Ils ne m’ont pas laissée accéder à ta chambre. Ils ont évacué tout le monde, mais je n’arrivais pas à te trouver.

Je m’effondre en cherchant les mots pour la calmer sans éveiller de suspicions. Je ne trouve pas.

– Je n’y suis pas.

– Je ne peux pas dire que je sois désolée de l’apprendre de ta bouche.

Mais même lorsqu’elle me répond, j’entends le ton de sa voix grimper d’une octave. Elle reprend :

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– Où es-tu ?

– Je ne peux pas te le dire.

J’essaie de lui répondre en m’excusant. Si je lui dis, elle sera encore plus en danger, mais le secret n’en est pas plus simple à garder.

Jane observe un petit moment de silence avant de répondre : – Je vois. Es-tu en sécurité ? Est-ce qu’Edward est à tes côtés ? Bien sûr. Elle a déjà enregistré le numéro dans son répertoire.

– Oui et oui.

– Et Smith ? – Il est ici.

Je ne peux pas affirmer qu’il est hors de danger. Pas encore.

– Je ne peux rien te dire mais, s’il te plaît, crois-moi. Je t’appellerai dès que ce sera possible.

– Je sais, ma chérie. Je suis à ta disposition jour et nuit où que tu sois.

Impossible de supporter toute la désolation dans sa voix. Tante Jane comprend. Comme toujours. Mais je sais que je lui ai fait très peur. Je ne peux qu’espérer que cette frayeur soit de courte durée et que tout ce cauchemar prenne rapidement fin.

– Il faut que j’y aille.

– Prends soin de toi.

Je raccroche en me demandant si ce sont les derniers mots qu’elle m’adressera jamais. Si c’était Hammond qui décidait, ce serait le cas.

Quand je lève les yeux, j’aperçois Edward en position d’attente.

– Qu’est-ce que tu sais sur Hammond et ses relations avec ton frère ? Il se raidit totalement en m’entendant prononcer ce nom et me répond après s’être éclairci la gorge.

– J’en sais suffisamment.

Être au courant de quoi que ce soit concernant Hammond est déjà trop pour quiconque, d’autant plus que chaque fois qu’on apprend quelque chose sur lui, on s’aperçoit qu’en fait, on en ignore encore beaucoup. Cet

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homme est une énigme. La seule chose que je ne remets pas en question à propos de lui, c’est qu’il est dangereux.

– Il faut qu’on disparaisse, j’avoue en murmurant à Edward. Et je ne sais pas comment faire.

– Alexander…

Je lève la main pour l’interrompre. Même si j’aime profondément ma meilleure amie et que je lui fais confiance sur toute la ligne, il faut que son mari reste en dehors de tout ça.

– Il ne doit pas savoir.

– Il cherche à le faire tomber, me révèle Edward comme si ça changeait quoi que ce soit.

– Je sais.

Je me frictionne le front en cherchant mes mots pour tout lui expliquer délicatement.

– Smith aussi.

– Mais alors…

Il laisse sa remarque en suspens à mesure que sa confusion se transforme en révélation.

– Ton frère est tellement obsédé qu’il n’arrive pas à y voir clair. Je dois disparaître de la circulation jusqu’à ce que j’en sache plus, quand je pourrai parler à Smith, évidemment.

– J’imagine que je ne peux pas savoir où tu vas aller, dit-il d’un ton éreinté.

– Je te le dirai si nécessaire, mais ce serait peut-être mieux que tu l’ignores.

Je n’aime pas l’idée d’avoir à faire mentir Edward plus que nécessaire.

– Je vais passer quelques coups de téléphone.

Je n’ai pas le temps de lui demander à qui il veut parler que le Dr Roget apparaît sur le pas de la porte.

– Quel est votre groupe sanguin ?

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– Euh, A je crois, je réponds, plus ou moins sûre.

– O négatif.

Le Dr Roget fait signe à Edward de le suivre.

– Le bonheur d’être donneur universel, marmonne-t-il en remontant sa manche avant d’entrer dans la salle d’examen.

Je le suis de près et ma main se plaque sur ma bouche pour réprimer un petit cri quand je vois Smith raccordé à des intraveineuses et à un masque à oxygène.

– Il a besoin d’être transfusé, explique le médecin en faisant signe à Edward de s’asseoir sur la chaise à côté de la table. Je ne peux pas prendre le risque de retourner dans le bâtiment principal pour demander du sang.

– Heureusement que je suis là, remarque Edward, les dents serrées.

Je lui adresse un sourire plein de reconnaissance et, quelques minutes plus tard, son sang s’écoule de son bras dans une poche en plastique.

– Maintenant, laissez-moi vous examiner, suggère le Dr Roget. Peut- être dans une autre salle.

Mon cœur s’accélère quand je me rends compte qu’il veut me faire changer de pièce. Smith est en sécurité ici avec Edward et l’endroit est calme. Si tout dégénère, je n’aurai qu’à pousser un cri.

– Comme vous le souhaitez.

L’avertissement d’Edward résonne encore dans mon esprit et je me prépare au pire en entrant dans la salle d’examen derrière le médecin.

Mais il ne fait qu’allumer la lumière.

– Vous avez un saignement à l’épaule, remarque-t-il immédiatement.

Un peu hébétée, je hoche la tête. Je suis surprise que ce ne soit pas un piège. Mon univers se réduit-il à considérer comme ennemi chaque étranger rencontré ? Je passe mon T-shirt par-dessus ma tête en grimaçant lorsque le tissu s’accroche à la blessure que je me suis faite en essayant de sortir par la fenêtre de la chambre d’hôtel.

– C’est l’adrénaline, explique-t-il.

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Je cligne des yeux en secouant la tête.

– Je vous demande pardon ?

– Vous continuez à fonctionner grâce à l’adrénaline. C’est ce qui vous a maintenue en vie, m’explique-t-il. C’est pour ça que vous avez oublié que vous êtes également blessée.

– Je m’inquiétais pour Smith, je réponds en murmurant.

– C’est compréhensible.

Il tamponne la blessure avec un morceau de coton humide. Je sens d’abord un liquide froid, puis une brûlure. Il poursuit alors :

– Vous avez raison de vous inquiéter.

– Va-t-il s’en sortir ?

Je ne suis pas sûre d’avoir posé cette question à voix haute, je parle d’une si petite voix.

– Oui. Vous avez agi rapidement. Quand on lui aura passé la transfusion, il sera stabilisé. Pour l’instant.

– Et après ?

– Malheureusement, vous ne pouvez pas rester ici, répond le médecin en souriant tristement.

Pour un médecin, ce n’est pas idéal de soigner un patient et de le virer tout de suite après, mais il est simplement impossible de faire autrement.

– Je comprends.

– Vraiment, Madame Price ? demande-t-il ostensiblement. Je pourrais trouver une excuse et le faire admettre dans l’heure, mais il serait mort d’ici demain. Comprenez-vous vraiment ?

– Oui.

Le mot m’arrache la langue. C’est la seconde fois que je le dis avec autant de conviction cette semaine. Et à chaque fois, les implications sont irréversibles.

– Je ne vous demanderai rien d’autre.

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Il termine de me bander l’épaule et se dirige vers le lavabo en poursuivant :

– Mieux vaut que j’en ignore le plus possible.

– Qu’allez-vous dire alors ?

– Que Smith est venu me voir pour se faire soigner et que je l’ai fait, comme prévu dans le cadre de mon accord avec Hammond.

– Vous allez jouer les innocents, dis-je en pigeant.

Il hoche la tête pour répondre :

– Je ne me suis pas occupé de vous quand vous avez été admise à l’hôpital, Madame Price. Mais j’ai regardé votre dossier. Vous n’avez pas besoin de m’en dire plus.

Il a déjà tout deviné. Il sait que Smith est passé d’un coup du statut d’enfant chéri d’Hammond à ennemi numéro un.

– Moins votre ami en saura, mieux ce sera pour lui, surtout vu son identité.

J’empêche mes lèvres de trembler. Je sais que tout ça est loin d’être terminé. J’ai un plan. Mais le fait d’avoir à passer à l’acte me déboule dessus à toute vitesse.

– Quand ils viendront poser des questions, je dirai que Smith et sa femme sont venus.

Il s’essuie les mains dans une serviette et la fait tomber dans un bac à linge, puis conclut :

– Je devrais aller surveiller le donneur.

Edward ne sera pas mêlé à tout ça. C’est un petit soulagement, mais c’en est un tout de même. À partir de maintenant, je ne peux plus compter que sur moi, à moins que Smith ne se réveille.

Jusqu’à ce qu’il se réveille, me dis-je en me forçant à croire à son imminent retour parmi les vivants.

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CHAPITRE QUATRE

Chaque respiration est une lutte. En fait pas vraiment. Mais rien ne peut arrêter le déluge de cauchemars qui accompagnent les ténèbres qui oppressent mon corps.

Ouvre les yeux.

Je me répète cet ordre jusqu’à ce que mes paupières se soulèvent légèrement. Observant les dalles de faux plafond au-dessus de moi, il me faut un instant pour me rendre compte que je respire à travers un masque à oxygène. Je donne un petit coup contre son bord englué de sueur pour essayer de le repousser. Un million de questions envahissent mon cerveau et toutes sont centrées autour d’une seule et même personne : Belle.

Me hissant sur mes coudes, je ressens une vive douleur qui me fait immédiatement retomber sur la table d’examen.

– À votre place, je n’essaierais pas de me relever, me recommande une voix glaciale. Elle sera de retour dans quelques secondes.

Cette fois, je parviens à retirer le masque et je tourne la tête vers la voix en ignorant ce deuxième accès de douleur fulgurante. Edward est le chouchou des médias, il est adulé des foules pour sa gentillesse et sa douceur. Dans une certaine mesure, le prince est l’ultime gendre idéal,

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mais si les journalistes pouvaient le voir à cet instant, ils lui retireraient illico son titre.

Il me regarde de haut avec froideur. Sur son visage, pas une trace de cet infâme air amical et son message est clair : il est là pour elle. Pas pour moi.

Comme si j’en avais quelque chose à foutre. Je me suis cogné l’attitude hautaine de sa famille depuis assez longtemps pour savoir ce qu’ils sont vraiment. Je les ai tolérés dans le seul but de détruire Hammond. Maintenant, je vais devoir les supporter pour de nouvelles raisons, mais je ne suis pas obligé d’apprécier Edward. Je suis absolument certain que c’est réciproque.

– Qu’est-ce que vous foutez là ?

J’ai pu lui poser la question d’une voix rauque avant de succomber à une quinte de toux.

– Tout le plaisir est pour moi, rétorque-t-il d’un ton plat en levant son bras pour me montrer le tube écarlate scotché à sa peau. Vous aviez besoin de sang.

Il ne me dit rien d’autre, mais sa présence à mes côtés est suffisante pour m’aider à reconstituer les événements. Même s’il ne me dit pas nous sommes. Ni où est partie ma femme. J’essaie de me lever à nouveau, mais cette fois-ci, Edward m’intercepte pour m’immobiliser.

– Vous êtes complètement dingue ? Pourriez-vous essayer de ne pas vous tuer pendant au moins cinq foutues minutes ?

– Où est-elle ? je demande d’une voix sourde.

– Votre médecin l’examine.

Cette fois-ci, il ne peut pas me retenir. Je passe mes pieds par-dessus la table, mais des étoiles naissent dans mon champ de vision. Secouant la tête, j’essaie de repousser les vertiges qui m’assaillent.

– Elle va bien, m’informe Edward en m’attrapant l’épaule. On ne peut pas en dire autant de vous.

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– C’est un entêté, ajoute le Dr Roget depuis le pas de la porte. Smith, votre adorable épouse est ici. En sécurité.

Mon regard se porte par-dessus son épaule et mon cœur bat contre mes côtes comme celui d’un animal en cage. Je pensais l’avoir envoyée en lieu sûr, mais Hammond a immédiatement mis fin à cet espoir. J’aurais dû être apaisé de savoir qu’elle n’est pas allée rejoindre Clara et Alexander après mon appel téléphonique, mais sachant qu’elle est ici, à se faire soigner sans le savoir par le médecin personnel d’Hammond, ne me donne qu’encore plus envie, une envie désespérée, de l’éloigner de Londres le plus rapidement possible.

Belle jette un coup d’œil derrière le médecin, puis se précipite vers moi. L’avoir à mes côtés me détend immédiatement, même si c’est pour quelques secondes, suffisamment pour m’effondrer dans un amas de draps d’examen chiffonnés.

– Tu as besoin d’une transfusion.

Elle s’affaire à me calmer, caressant mes cheveux pour les écarter de mon front sans que son regard ne croise le mien. Quand enfin ses yeux remontent vers les miens, je lui lève le menton pour la voir en face et je vois des larmes ourler ses cils.

– Salut, ma belle, lui dis-je à voix basse.

Ça ne sert à rien d’essayer de la rassurer. Je suis tombé amoureux d’une femme intelligente ; ce serait une insulte de minimiser ce qu’elle a supporté.

Ou ce qui est encore à venir.

– Tu m’as foutu la trouille, Price, murmure-t-elle. Je ne sais pas si je dois te frapper ou t’embrasser.

– Il se trouve que j’apprécie un peu de brutalité dans nos rapports, je lui rappelle en caressant sa joue indemne du dos de la main.

À moins d’un mètre de là, Edward pousse un grognement et un petit sourire embarrassé naît sur le beau visage de Belle. Même avec ses

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blessures, elle est la plus belle femme du monde. Une beauté classique, avec ses pommettes hautes, son teint de rose et ses traits reflétant une sensibilité d’ingénue. Juste l’idée de la voir porter un rouge à lèvres carmin ultra-sexy suffit à me faire bander en temps normal.

Mais rien de tout ça ne captive mon attention ni n’alimente mon obsession. C’est son tempérament de feu qui m’a séduit. Avant elle, les relations ne m’intéressaient pas. Je n’aurais jamais cru pouvoir accorder ma confiance à une femme encore une fois. Elle a, assez simplement, rallumé une flamme que j’avais crue éteinte pour toujours. Elle a donné un sens à ma vie qui me dépasse. Elle est ma raison de vivre, ma raison de combattre.

Et elle est en danger.

– J’aimerais m’entretenir seul avec le Docteur Roget.

Les dents de Belle s’enfoncent dans sa lèvre inférieure alors qu’elle m’observe en se levant. Elle croise ensuite les bras sur son buste menu.

– Tu m’as déjà virée une fois ce soir et regarde comment ça s’est terminé.

– Je ne te demande que d’aller dans le couloir, je lui réponds en me forçant à sourire.

Belle soupire en se tournant pour sortir.

Le médecin retire la perfusion du bras d’Edward et me la flanque dans le mien. J’adresse un regard lourd de sens au meilleur ami de Belle sans qu’elle puisse le remarquer. Il le voit et me montre qu’il a compris en me faisant un petit signe de tête.

– Il y a un distributeur au bout du couloir, les informe le médecin. Il devrait y avoir des trucs sucrés à l’intérieur. Et asseyez-vous.

– Très bien. Allez, viens.

Elle passe son bras autour de sa taille et tous deux partagent un sourire si authentique qu’une vague de jalousie se soulève dans ma poitrine.

Edward est gay, je devrais me sentir stupide. Mais j’envie leur relation, si

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simple et si naturelle. J’ai envie de la faire sourire, pas pleurer.

Aujourd’hui, je n’ai pas réussi à la protéger. Je suis son mari et je suis en échec sur toute la ligne.

Le médecin tapote ma peau pour faire apparaître une veine, mais c’est à peine si je le sens.

– C’est mauvais à quel point ?

– Ça pourrait être pire, dit-il en haussant les épaules.

Il ne prend pas la peine de m’avertir avant de me planter l’aiguille dans le bras.

– Comment ça ?

– Vous pourriez être mort et, dans ce scénario-là, elle aussi.

– Est-ce une menace ?

J’accompagne ma réponse d’un grognement et d’un geste brusque pour empoigner sa blouse.

Le docteur retire alors mes mains calmement et continue à brancher l’intraveineuse.

– Nous avons tous les deux prêté serment dans nos professions, Smith.

Le mien est beaucoup plus facile à respecter, de bien des façons.

– Ah oui, jurer de ne pas nuire ?

Je pose la question en riant. Il a nui à beaucoup de monde. Comme nous tous.

– Ma responsabilité professionnelle se limite à la santé de mes patients. Je suis responsable de leur maintien en vie. Peu importent leur identité ou les crimes qu’ils ont commis. Si la police m’amène un criminel blessé, il est de mon devoir en tant que médecin de le soigner.

– Je me suis toujours demandé comment vous faisiez pour dormir la nuit, dis-je entre mes dents.

– Je me suis souvent posé la même question pour vous, réplique-t-il immédiatement. Votre devoir se cantonne à servir les intérêts de votre client.

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– C’est là que nous sommes différents, Docteur. Je sais que je suis un déchet de l’humanité.

– J’en suis également conscient, répond-il en s’installant sur un tabouret à côté de la table. Hammond a offert des ressources financières à l’hôpital que l’État ne pouvait nous offrir. J’ai fait mon choix.

Nous avons tous fait ce même choix : nous avons vendu notre âme au plus offrant. À Londres, c’est Hammond qui paie le plus pour les obtenir.

Il l’a toujours fait.

– Je ne le regrette pas, continue-t-il. J’ai sauvé d’innombrables vies grâce à ses donations.

– Et celles qu’il a volées ?

– C’est regrettable, répond-il avec une légère hésitation.

En fin de compte, il nous sera impossible de nier que nos comptes seront dans le rouge. Peu importe ce que nous nous racontons, peu importe tout le bien que nous faisons.

– Georgia est morte, lui dis-je. Il l’a tuée.

La gorge du médecin esquisse un mouvement de déglutition pour digérer l’information.

– Je suis navré de l’apprendre.

– Il me tuera, moi aussi, et Belle.

– Votre femme est intelligente, Smith. Je lui ai déjà fait quelques recommandations.

Je plisse les yeux pour lui répondre : – À quel jeu jouons-nous, là ?

– Pas de jeu, Smith. Je ne me suis pas assis à côté de vous pour philosopher et débattre d’éthique. J’essaie de vous dire que je n’ai pas informé Hammond de votre présence ici ce soir.

Il me montre ses mains, comme pour me montrer qu’il me fait un cadeau.

Nous savons tous les deux que ce n’est pas aussi simple que ça.

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– Il le saura.

– Quand ce sera le cas, je lui rappellerai qu’il m’a ordonné de m’occuper de sa famille, quelles que soient les circonstances.

– Je ne fais pas partie de sa famille. Plus maintenant.

Il lève un sourcil broussailleux.

– Je ne le savais pas. Vous êtes simplement arrivé ici avec votre femme et vous aviez besoin d’être soigné. Je vous laisse repartir, sans poser plus de questions.

– Ça n’aura aucune importance, dis-je en soupirant. Nous n’arriverons même pas à quitter la ville.

– J’ai été surpris de vous voir entretenir des relations amicales aussi nobles. Vous avez peut-être plus de temps que vous ne le pensez.

– Alors, vous n’allez pas le contacter du tout ?

Je ne cache pas ma surprise. Hammond n’est pas du genre à envisager la solution la plus rationnelle. C’est un pari risqué de la part du Dr Roget de lui cacher une telle information.

– Je vous ai dit que ma responsabilité se cantonnait aux soins apportés à mes patients. Votre santé est ma responsabilité. Pour autant que je sache, Hammond ne souffrira pas de votre guérison.

Si j’ai mon mot à dire sur la question, si. Le médecin se pince les lèvres et se lève comme s’il se doutait du cours de mes pensées.

– J’apprécie votre geste.

Malgré le serment professionnel auquel il se raccroche, il est difficile d’éprouver de la reconnaissance pour un homme dont la fonction première est de garder un homme diabolique vivant et en bonne santé.

Sans conviction, je l’écoute me dire des choses que je sais déjà. Je ne peux pas rester ici. Ce serait dangereux de me faire soigner à l’hôpital. Je vais devoir partir quand ma transfusion sera passée. Je hoche la tête juste ce qu’il faut, même si ça ne sert à rien. C’est lui qu’Hammond cherchera à faire parler en premier quand il apprendra les détails de ce qui s’est passé

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aujourd’hui. Nous n’avons pas beaucoup de temps avant que le prochain assaut infernal ne soit donné.

L’interrompant au beau milieu d’une phrase, je lui demande : – Est-ce que vous pouvez demander à Edward de venir ? – Bien entendu, répond-il, l’air soulagé.

Edward me jette un coup d’œil en entrant dans la pièce, la méfiance se peint à nouveau sur ses traits.

– Je voulais vous remercier, lui dis-je.

Cette fois-ci, impossible de remettre en question ma sincérité. Du moins, pas de mon côté.

– Vous étiez là pour Belle alors que ça m’était impossible.

– On dirait bien que ça vous est difficile d’être là pour elle, remarque Edward. Vous n’êtes peut-être pas l’homme de la situation.

Tous mes instincts physiques me poussent à le mettre en pièces, mais je réprime cette envie. Serrant les poings, je me force à rester calme.

– C’est dorénavant de ma seule responsabilité.

– Et votre devoir envers les autres ? demande Edward en me jetant un regard narquois et lourd de sens.

Je n’ai plus envie d’entretenir cette conversation à double sens.

– Répétez ce que j’ai dit à votre frère. Il a assez d’information pour faire courir Hammond pendant des mois. C’en est terminé pour moi.

– Il se désolera de l’apprendre.

– Mais je suspecte que ce n’est pas votre cas.

Jusqu’à présent, je n’étais pas sûr du degré d’information d’Edward dans la chasse aux sorcières menée par son frère.

– C’est le devoir d’un fils de venger la mort de son père. Si vous me pardonnez le cliché, je dirai que nous avons cette croyance dans le sang, mais mon véritable but a toujours été de protéger Clara et Belle.

– Et ce n’est pas le cas d’Alexander ?

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– Il mourrait pour Clara, m’assure-t-il. Je ne suis pas certain qu’il ferait pareil sacrifice pour Belle.

– Il n’aurait pas à le faire, dis-je durement. C’est mon devoir.

Edward détourne les yeux en me parlant doucement.

– Il vous a dit de prendre vos distances avec elle.

– Je n’ai jamais été très doué pour suivre les ordres, je lui rappelle.

C’est pour cette raison que je doute qu’il pleure mon départ.

– Si jamais il arrive quoi que ce soit à Belle…

– Épargnez-moi cette menace, lui dis-je en l’interrompant. S’il lui arrive quoi que ce soit, vous n’aurez pas à me chercher. Vous n’aurez pas à me tuer. Je m’en chargerai moi-même.

Je lui tends la main et Edward la prend fermement. Il reconnaît silencieusement que nous nous comprenons. Je me moque de savoir s’il me croit. Je sais qu’il me pourchassera sans merci si je ne tiens pas ma promesse. Mais il n’aura pas à le faire. Je suis un homme de parole.

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CHAPITRE CINQ

À peine les portes de l’hôpital franchies, Belle s’est murée dans le silence et je suis partagé entre l’envie de la forcer à me parler et la peur d’être surpris au fin fond de mes réflexions. Plus nous nous éloignons de Londres, plus le monde s’assombrit derrière les vitres de la voiture. Il n’y a pas de lampadaires pour éclairer l’autoroute M4 et, mis à part quelques petits îlots de civilisation çà et là dans la périphérie de la ville, la nuit a peint le monde en noir. Le temps a perdu toute signification depuis que nous roulons en silence pour nous éloigner de la ville que nous considérons comme la nôtre, filant vers une destination inconnue.

Je pense avoir deviné l’endroit où elle me conduit, mais je comprends pourquoi elle hésite à me faire part de son plan tant que nous ne sommes pas sortis du Grand Londres. Il n’y a pas de raison de croire que nous sommes en danger immédiat, mais je sais qu’elle éprouve le même pressentiment que moi. Étrangement, ne pas parler de ce qui s’est passé – et de ce qui nous attend certainement aussi – est un soulagement. Du moins pour le moment. Dans le froid de la nuit, la réalité semble inexistante, comme si nous trébuchions aux portes des limbes.

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Émotionnellement, c’est le cas. Peu de couples testent la mention

« jusqu’à ce que la mort vous sépare » aussi rapidement après avoir prononcé leurs vœux. Je tends la main pour prendre celle de Belle, mon visage encore tourné vers l’anonymat du monde extérieur. Il m’est suffisant de savoir qu’elle est à mes côtés. Elle pense me conduire dans un endroit où nous serons en sécurité, mais c’est loin de la vérité.

Je l’éloigne du danger.

Mes blessures ont été le catalyseur nécessaire à la motiver à partir et, quand je serai certain qu’elle sera en sûreté, je retournerai à Londres pour terminer ce que j’ai entrepris. Un boulot pour lequel j’ai de bonnes chances de finir derrière les barreaux ou six pieds sous terre.

À mesure que nous roulons dans la nuit, les lueurs bleutées de l’aurore apparaissent à l’horizon, puis revêtent des teintes d’un rose soutenu.

Jusque-là, je n’ai jamais détesté le lever du soleil, mais ce matin, alors qu’il illumine un paysage que je ne connais pas, c’est le cas. Les doigts de Belle serrent les miens, comme si elle aussi craignait ce que la journée va nous apporter. La nuit dernière, nous avons survécu. Avant, un nouveau jour aurait pu nous faire l’effet d’une promesse de possibilités multiples, mais maintenant, il n’apporte plus que la menace d’un nouveau danger.

Dans la nuit, nous nous sommes fondus dans le monde. Les premiers rayons du soleil s’abattent sur le capot de la Bugatti, nous exposant à la vue de tous. L’aube nous a rattrapés et, avec elle, son lot de menaces.

Nous ne pouvons pas aller plus vite que le temps. Notre seul espoir est d’échapper au passé.

Une pluie d’éclats lumineux se diffracte dans l’habitacle de la voiture, et je me rends compte que Belle en est la source. Le soleil s’est pris dans les diamants de son alliance.

Elle la porte. Malgré tout ce qui s’est passé et malgré sa difficulté à respecter maintenant les vœux que nous avons prononcés, elle a enfin fini par glisser cette satanée bague à son annulaire. Si je croyais en une

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divinité quelconque, j’aurais pu prendre ça pour un signe. Juste au moment où une nouvelle journée me nargue, elle me rappelle aussi que j’ai une bonne raison de me battre. Je me suis mis au service de cette cause bien avant de rencontrer Belle Stuart, bien longtemps avant de comprendre pourquoi je m’y sentais forcé.

Maintenant, je le sais.

Toutes les décisions que j’ai prises m’ont conduit à la situation actuelle, et même si je souhaiterais que les circonstances soient moins déconnantes, j’en aime tout de même la conséquence : elle. Belle est entrée dans ma vie pour la pire raison envisageable et, étrangement, malgré toute la laideur qui entoure notre rencontre, elle m’a donné quelque chose que je pensais impossible. De l’amour. Une raison d’être.

De l’espoir.

Et même si j’ai du mal à m’accrocher à ces deux derniers dons, l’amour a toujours été là. Et c’est cet amour qui m’a conduit à revenir à l’endroit où je pourrais croire à nouveau.

– Tu es bien calme, murmure-t-elle.

C’est l’hôpital qui se fout de la charité.

– Tu es très concentrée quand tu conduis. Je ne voulais pas te distraire.

– J’aimerais bien te voir essayer, rétorque-t-elle, un sourire aux lèvres.

Mais à peine cet instant de légèreté est-il apparu qu’il disparaît.

– Gare-toi sur le côté, je vais te montrer ça.

J’essaie de retrouver un ton enjoué. Mais ça ne sert à rien. Dans notre avenir proche, ces parenthèses enjouées resteront fugaces.

– Ton pansement tient bon ? demande-t-elle sèchement en attirant mon attention sur les problèmes urgents.

Je relève ma chemise et secoue la tête.

– Pas de quoi s’inquiéter.

– Vas-tu me demander où nous allons ? relance- t-elle.

Ses yeux bleus m’interrogent brièvement avant de revenir à la route.

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