B. DUMONT
, INRAAdaptation
des Herbivores auxMilieux
Theix 63122
Saint-Genès-Champanelle
Déterminisme des choix alimentaires des herbivores au
pâturage :
principales théories
Comment mieux gérer les
zonesagricoles
endéprise ? Comment les
herbivores peuvent-ils contribuer à entretenir
cesespaces ? Comment
utiliser
aumieux les choix alimentaires des animaux rendus à
unecertaine liberté de consommation dans
unmilieu hétérogène ? Ces questions d’actualité
enFrance expliquent l’importance croissante des recherches conduites à l’INRA
surle pâturage extensif. Cet article
présente les principales théories visant à expliquer les choix
alimentaires des herbivores
aupâturage.
La demande
socio-économique
pour la ges-tion de
l’espace
rural est devenuepressante.
Les herbivores
peuvent
contribuer à yrépondre,
enjouant
enparticulier
un rôledirect dans la maîtrise de la
végétation
par lepâturage. Aujourd’hui,
dans certaines zonesd’élevage, l’équilibre
des ressourcesproduc- tives, écologiques
etpaysagères,
que mainte- naientjusqu’alors
les éleveurs et leurs trou- peaux, est d’ores etdéjà
menacé par une certaine désertification. Celle-ci entraîne unesous-exploitation
des ressourcesfourragères qui
conduit àplus
ou moinslong
terme à unenvahissement de
l’espace
par unevégétation
indésirable. Cette évolution se traduit par l’embroussaillement des parcours,
qui
acomme
conséquence
laplus spectaculaire,
enzone
méditerranéenne,
ledéveloppement
desincendies.
Cependant,
des zonesherbagères plus productives
sont elles aussi concernées.L’un des
enjeux
est alors de savoirgérer
cessurfaces de
façon
extensive dans des sys- tèmesd’élevage qui
feront le moinspossible appel
aux interventions humaines(fauche,...)
et où le
pâturage
aura un rôleprédominant.
Ces
systèmes
de conduite destroupeaux
et des surfaces devront aboutir à de nouveauxéquilibres acceptables
pour tous. Ils concer-nent en
priorité
lestroupeaux
allaitants bovins etovins,
lesplus
nombreux dans leszones
herbagères
difficiles etmenacées,
maisqui
sedéveloppent
aussi dans desrégions plus
riches où le nombre de vaches laitières diminue. Cestroupeaux
devront contribuer à entretenirl’espace,
mais évidemmentégale-
ment assurer une
production qui permettra
par ailleurs de réduire les coûts de cet entre- tien.
Par ses choix
alimentaires,
l’herbivore a unimpact
déterminant sur l’évolution de laflore,
de l’environnement et des ressourcesfourragères, pouvant
favoriser ou, àl’inverse, surexploiter
certains éléments du couvert.L’objectif
d’entretiend’espaces
par lepâtu-
rage nécessite donc de mieux
comprendre
lesRésumé
- -L’objectif d’entretien d’espaces par le pâturage nécessite de mieux comprendre
les règles qui président aux choix alimentaires des herbivores. Les études dans ce
domaine se sont longtemps articulées autour de l’Optimal
Foraging
Theory, qui postule que les décisions des animaux sont dictées par la volonté de maximiser leur bilan énergétique.Cependant,
afin de mieux rendre compte de la diversité desrégimes
observés, d’autresapproches
ont été proposées, inspirées pour unelarge part par les contraintes nutritionnelles que subissent les herbivores. Il semble clair que les caractéristiques
morpho-physiologiques
des animaux expli- quent largement les différences de choix entre espèces. En revanche, au sein de chaque espèce, lesexpériences
alimentaires dans le jeune âge,l’apprentissage
avec la mère et la reconnaissance des conséquences
post-ingestives
des choix réa-lisés jouent un rôle dans
l’acquisition
d’habitudes alimentaires et expliquent à la fois une certaine « sagesse nutritionnelle » et laplasticité
des comportementsobservés.
Selon la théorie de l’alimentation
optimale,
lesherbivores choisissent les aliments
qui
leurpermettent
de maximiser leur bilanénergétique.
règles qui président
aux choix alimentaires des différentesespèces
d’herbivores que l’on souhaite utiliser.1 / L’Optimal Foraging Theory
!!!!!, , , , - , ,, , ,!!!,!!
Les études sur les choix alimentaires des herbivores se sont
longtemps
articuléesautour de la théorie de l’alimentation
opti-
male
(ou Optimal Foraging Theory :
Schoener1971, Pyke et
al1977, Stephens
et Krebs1986), qui postule
que les décisions des ani-maux sont dictées par la « volonté » de maxi- miser leur bilan
énergétique.
Si cette théoriepermet
deprévoir
avec succès la sélection ali- mentaire des carnivores ou desnectarivores,
les contraintesparticulières auxquelles
sontconfrontés les herbivores
(ressources
aisé- mentdisponibles
mais dequalité hétérogène
et variable dans le
temps, régulations parti-
culières des
quantités ingérées
chez les rumi-nants)
ont nécessité desadaptations
dumodèle
général.
Elles ont étéproposées
dansle sens d’une
optimisation
del’ingestion
derations
équilibrées (Westoby 1974),
ou aumoins en tenant
compte
de la nécessité que l’herbivoreingère
unequantité
minimale de certains nutriments(Belovsky 1978,
Owen- Smith et Novellie1982).
Ces modèles tien- nentégalement compte
des contraintesdiges- tives, particulièrement
dansplusieurs
travaux récents
(Verlinden
etWiley 1989,
Owen-Smith1993,
Newman et al1995).
Les modèlesqui s’inspirent
del’Optimal Foraging Theory s’expriment
selon différentstypes
deformulation,
les deuxprincipales
étant lesmodèles de
programmation
linéaire(Westoby 1974, Belovsky 1978)
et les modèles decontingence (Owen-Smith
et Novellie1982,
Verlinden etWiley 1989).
S’alimenter de manière
optimale peut
réduire la duréed’ingestion journalière, périodes
au coursdesquelles
les herbivoressont le
plus
sensible à laprédation.
Cela per- met aussi aux animaux depâturer
en dehors des heures où les contraintesthermiques
sontles
plus fortes,
et dedisposer
deplus
detemps
pour d’autres activités(reproduction,
soins aux
jeunes,...). Un
animalpourrait
s’ali-menter d’une manière
optimale
tout en satis-faisant à certaines contraintes nutrition- nelles sans nécessairement
percevoir
lavaleur de ce
qu’il ingère.
Pourcela,
il suffitqu’il
oriente ses choix àpartir
de certainescaractéristiques
des organesvégétaux
consommés
(Cassini 1994).
Il a, eneffet,
degrandes
chances de satisfaire ses besoins en suivantquelques règles simples
comme cellesde sélectionner des
jeunes
pousses en crois-sance ou les
placettes
d’herbe lesplus
hauteset les
plus
vertes.Même si les modèles
qui s’inspirent
del’Op-
timal
Foraging
ontpermis
deprévoir
avecplus
ou moins de succès lerégime
de diffé-rentes
espèces
d’herbivores dans des situa- tions concrètes depâturage (e.g. Belovsky 1978, 1986,
Owen-Smith et Novellie1982,
Owen-Smith1993),
il ne semble pas que lesherbivores s’alimentent
systématiquement
d’une manière
optimale.
Parexemple,
alorsque les moutons choisissent
parfois,
àl’auge (Kenney
et Black1984)
ou aupâturage (Arnold 1987),
lesfourrages qui permettent l’ingestion
laplus rapide,
ilspeuvent
en revanche être trèssélectifs,
bien que cela limite leur vitessed’ingestion,
sur desprai-
ries où la
quantité
d’herbe estpourtant
limi-tante
(Broom
et Arnold1986).
Deplus, quand
ils ont le choix entre du trèfle et du ray-grass, les moutons sélectionnent les deux
espèces (Parsons
et al1994)
bien que leur vitessed’ingestion
soitplus
élevée sur le trèfle(Pen- ning
et al1991).
Dans ce dernierexemple,
laquestion
est d’ailleurs relancéedepuis
que Newman et al(1995)
ont calculéqu’un régime
mixte
représenterait
le meilleurcompromis
entre vitesses
d’ingestion,
transit etabsorp-
tion des nutriments. Plus
généralement,
unelimite à
l’application
del’Optimal Foraging Theory
aux herbivores est que les différents modèles cités ne rendent pascompte
de la diversité desrégimes (Westoby 1978),
et celamême
quand
on tientcompte
des contraintes nutritionnellesdéjà évoquées (Pyke
et al1977,
Maizeret1988,
Owen-Smith1993).
C’est
pourquoi
certains auteursremplacent aujourd’hui
le critèred’optimisation
par un critère moins strict de satisfaction : un ali- ment serait consomméquand
ilprésente
suf- fisamment d’intérêt et nonuniquement quand
c’est le meilleur(Emmans
etKyriaza-
kis
1994).
C’estégalement
la raison pourlaquelle
d’autresapproches
ont étéproposées
afind’expliquer
cequi
détermine les choix alimentaires des herbivores. Concluonscependant
que, même si les modèlesqui
s’ins-pirent
del’Optimal Foraging
donnentparfois
des résultats
décevants, l’analyse
des situa-tions où les choix réalisés s’écartent de ceux
annoncés ouvre d’intéressantes voies de recherches
(Owen-Smith 1993).
2 / La « sagesse nutritionnelle »
De par leur
importance,
les contraintes nutritionnelles constituent le fondement deplusieurs théories,
danslesquelles
ils’agit
soit d’éviter de consommer en
trop grande quantité
descomposés toxiques,
soitd’équili-
brer les éléments nutritifs
indispensables
àl’animal.
La
grande
variété decomposés
secondaires contenus dans lesplantes
et la toxicité de cer-tains d’entre eux conduiraient les herbivores à diversifier leur
régime,
et à échantillonner tout en considérant avecprécaution
les ali-ments
qu’ils
ne connaissent pas(Freeland
et Janzen1974, Westoby 1978,
Maizeret1988).
Une telle
stratégie permettrait
derepérer
lesvégétaux qui peuvent
êtreconsommés,
et delimiter la concentration de
chaque composé
secondaireingéré.
Toutes lesespèces
d’herbi-vores n’ont pas les mêmes
capacités
pourdétoxiquer
et éliminer cescomposés
secon-daires,
cequi pourrait
enpartie expliquer
leurs choix différents
(Robbins
et al1991).
Parce que leur
régime
est engénéral
demeilleure
qualité
que cequi
leur estoffert,
les herbivores semblent doués d’une « sagesse nutritionnelle
» qui
leurpermet
de sélection-ner des
régimes équilibrés
et suffisamment riches en nutrimentsindispensables (Wes- toby 1974,
Maizeret1988,
Provenza etBalph 1990).
Le fait deprendre
en considération la nécessité de consommer un nutriment limi- tant(Owen-Smith
et Novellie1982)
commepar
exemple
le sodium(Belovsky 1978)
rendacceptable
lesprédictions
issues de cesmodèles
et, récemment,
Wallis de Vries etSchippers (1994)
ont montréqu’ils
rendaientbien mieux
compte
de la distributionspatiale
de bovins dans un milieu très
hétérogène, quand
ils introduisaient dans leur modèle unobjectif
de maximisation del’ingestion
dusodium et du
phosphore.
De telles théories
impliquent
que les ani-maux soient
capables
de déterminer lescaractéristiques
nutritionnelles et les compo- séstoxiques
desplantes qu’ils
consomment.Ovins et bovins savent rectifier
précisément
une carence en sodium en buvant des solu- tions salées
(Denton
et Sabine1961, Sly
etBell
1979).
Al’herbe,
les animaux savent uti-liser les
pierres
àsel,
mais ils ne sont pastoujours aptes
àcorriger
dans de bonnes pro-portions
un déficit en sodium ou enphos- phore
eningérant
uncomplément
ou en choi-sissant les
espèces qu’ils pâturent (Arnold 1985).
Alors que les rongeurspréfèrent
lesaliments
qui, nutritionnellement,
leur sont leplus
favorable(Provenza
etBalph 1987,
Cas-sini
1994),
les herbivores semblent avoir degrandes
difficultés à évaluer lacomposition
de ce
qu’ils ingèrent
et àadapter
leurrégime
en
conséquence (Arnold
et Hill1972,
Zahoriket
Houpt 1977,
Arnold1985,
Provenza etBalph 1987, 1990).
Ceci est enpartie
lié aufait,
au moins aupâturage,
que les herbi-vores, à la différence des rongeurs
omnivores,
font delongs
repas au coursdesquels
ilsingè-
rent différentes
espèces végétales
aux carac-téristiques
variées. Lesparticularités diges-
tives des ruminants et les
caractéristiques
des
fourrages
retardent la libération de cer-tains éléments dans le rumen, et les fermen- tations ruminales modifient la nature de ce
qui
est absorbé. L’identification d’effets indi- vidualisés des aliments est doncplus
délicate.En
revanche, quand
les herbivores sont confrontés à des situationsplus simples
avecun choix
limité,
ils sontcapables
de relierl’ingestion
d’un aliment à sesconséquences positives
ounégatives,
et ceci influence leurspréférences
ultérieures. Parexemple,
Tho-rhallsdottir
(1991)
et Burritt et Provenza(1992)
ont offert à des moutons alternative- ment(un jour
surdeux)
deux aliments de valeurs nutritivesdifférentes,
chacun d’entreeux associé à un arôme
particulier.
Les ani-maux ont reconnu les
conséquences post- ingestives
dechaque
alimentpuisqu’ils
ontacquis
unepréférence
pour l’arôme associé à celui de meilleurequalité.
Cettepréférence persiste
mêmequand
cet arôme n’estplus
associé à une
quelconque caractéristique
nutritionnelle. De
même,
chez lemouton,
uneperfusion
d’acides gras volatiles(AGV)
va, selon sonimportance,
stimuler ou limiter l’in-gestion
de l’alimentqu’elle
accompagne(Far- ningham
etWhyte 1993,
Provenza1995),
etinfluencer son
acceptation
ultérieure(Pro-
venza
1995).
Un excès de consommation de céréales estsusceptible
d’entraîner une modi- fication des choix des ovins et des bovins enfaveur d’aliments habituellement moins
pré-
férés
(Provenza 1995).
Plusgénéralement,
lesruminants
acquièrent
des aversions alimen- taires pour des aliments associés à des com-posés toxiques (e.g.
Olsen etRalphs 1986,
Zahorik et al1990),
et limitentl’ingestion
derégimes trop
riches(e.g.
Nicholson et al 1992)ou au contraire déficients
(e.g. Egan
etRogers 1978)
enénergie
ou en certains nutri- ments. L’effet del’ingestion
decomposés toxiques
sur les choix estrapide puisqu’il peut
être obtenu en moins d’une heure selon Provenza et al(1993).
Il estpersistant puisque
des animaux refusentpendant plu-
sieurs mois de consommer une
espèce préala-
blement associée au chlorure de lithium
(Bur-
ritt et Provenza1990,
Lane et al1990).
Quand
ilsingèrent
uncomposé toxique,
lesanimaux sont
capables
d’un discernementqui
traduit leurspossibilités
de mémorisation.Par
exemple,
Burritt et Provenza(1991)
ontmontré que des moutons recevant du chlorure de lithium
juste après
un repas constitué dequatre
aliments connus et d’un nouveau, associaient l’effetnégatif
du LiCI à ce seulaliment nouveau,
qu’ils rejetaient
ensuite.Les ruminants
percevraient
la valeur desaliments non
toxiques
par le biais d’indica- teurs internes tels que la concentration desproduits
de fermentations microbiennes dans le rumen(AGV, ammoniaque),
de certaineshormones
(insuline, CCK)
ou de certains métabolites(AGV,
acidesaminés) sanguins,
informationsrelayées
par la libération de neuromédiateurs(sérotonine, dopamine, CCK)
au niveau du cerveau(Provenza
etBalph 1990,
Provenza1995). Quand, pendant
une
phase d’ingestion,
un herbivoreconsomme un seul aliment ou un
mélange simple
danslequel
seul un desfourrages
estinconnu,
il estcapable
d’identifier les effetspositifs
et surtoutnégatifs
de sonchoix,
des’en souvenir et ainsi
d’acquérir
une certainesagesse nutritionnelle
(Provenza 1995).
Aupâturage,
les animaux ontpeut
être déve-loppé
destactiques d’échantillonnage
desespèces
nouvelles dont ilsignorent
laqualité, qui
leurpermettent
d’identifier les consé- quences de leuringestion,
parexemple,
ilspourraient
ne consommerqu’une
seuleespèce
inconnue à la
fois,
et eningérer
tantqu’ils
neperçoivent
pas deconséquences négatives.
En
fait,
les herbivores associent les consé- quencespost-ingestives
de leurs choix à desphénomènes sensoriels,
cequi
leurpermet
ensuite de reconnaître les alimentsofferts,
etde les choisir ou de les
rejeter. Cependant,
lareconnaissance externe des
fourrages
nesemble pas
toujours
suffisante pour que les herbivores se souviennent àlong
terme deLes herbivores semblent doués d’une sagesse nutritionnelle
qui
leur
permet
de sélectionner desrégimes équilibrés
et
suffisamment
riches en
nutriments
indispensables.
L’acquisition
depréférences
alimentaires résulte aussi de
l’apprentissage
avec la mère et
d’expériences
dansle jeune âge.
leurs
caractéristiques
nutritionnelles. Pourcela,
ils doiventpériodiquement
consommerde
petites quantités
des différentsfourrages (Westoby 1978,
Illius et al1992),
et ceci d’au-tant
plus
que leur valeur nutritionnelle évo- luerapidement (Dumont
et al1995).
Cettehypothèse implique cependant qu’une
fois unaliment connu, les herbivores sont
capables
de se remémorer
rapidement
les consé-quences de son
ingestion
en en consommanttrès peu.
Enfin,
Newman et al(1992)
ont observé que des brebis maintenuesdepuis plus
de deuxmois sur des
parcelles
de trèfle ou de ray- grass choisissentpréférentiellement
l’autreespèce quand
on leur offre desmicro-pla-
cettes de ray-grass et de trèfle. Une des
hypo-
thèses
invoquées
pourexpliquer
cecomporte-
ment est une
préférence
pour cequi
est rare,qui,
selon cesauteurs, permettrait
aux ani-maux de maintenir la diversité de leur flore
microbienne,
et parconséquent
de conserverune
possibilité d’adaptation
à unchangement
brutal de
régime.
3 / La place de l’hédonisme
Aux
partisans
des théoriesqui s’appuient
sur les contraintes nutritionnelles que ren-
contrent les
herbivores, s’opposent
ceuxqui pensent
que leurs choix sont avant tout dictés par la recherche de sensationsagréables,
gus-tatives,
olfactives et tactiles(Arnold 1985,
Provenza etBalph 1990).
Alors que l’animal utilise la vue pour s’orienter aupâturage,
c’est surtout par legoût
que se feraient seschoix alimentaires
(Arnold 1966, Krueger
etal
1974).
Des variations del’équipement
sen-soriel des animaux
pourraient expliquer
desdifférences de choix entre
espèces
et entre individus d’une mêmeespèce (Arnold 1985).
Une sensation
agréable pourrait également
résulter de la consommation d’un aliment
nouveau
(Allen 1972,
Newman et al1992),
cette réaction
psychologique pouvant expli-
quer en
partie
la diversité desrégimes.
4 / Expérience dans le jeune âge et apprentissage
L’expérience
des animaux influenceégale-
ment leurs choix alimentaires. Par
exemple,
des agneaux autorisés à
pâturer
avec leurmère soit du
trèfle,
soit du ray-grasspendant
une courte
période
avant oupendant
lesevrage, choisissent
préférentiellement
par la suitel’espèce qu’ils
connaissentdéjà (Ramos
et Tennessen
1992).
Demême,
des brebisCaussenardes des
garrigues qui exploitent
ces parcours
depuis
leurjeune âge
y consom- mentplus
deligneux
que des brebis Mérinos récemment introduites(Thiault
et al1979).
Des
ovins,
des bovins ou descaprins, placés
dans un milieu
qu’ils
ne connaissent pas,pâturent jusqu’à
20 %plus longtemps,
maisingèrent jusqu’à
40 % moins que des animauxexpérimentés (Provenza
etBalph 1987).
Ceciest
peut
être dû à leurplus
faible vitesse d’in-gestion
sur des couvertsqu’ils
ne sont pas habitués àpâturer (Flores
et al1989),
ou àune moins
grande acceptation
desespèces qui
leur sont inconnues. Les herbivores
ingèrent également plus
deplantes toxiques
dans unmilieu nouveau
(Provenza
etBalph 1990).
Les
expériences
alimentaires dans lejeune âge
tout commel’apprentissage
avec la mèresemblent
jouer
un rôleprimordial
dans l’éla- boration despréférences.
Lesexpériences
ali-mentaires dans le
jeune âge
influencentplus
les choix des animaux que leurs
expériences
ultérieures
(Arnold
et Maller1977).
Lapériode
au cours delaquelle l’appareil diges-
tif du
jeune
ruminant setransforme,
sembleparticulièrement propice
à uneimprégnation
alimentaire(Provenza
etBalph 1987, Squibb
et al
1990).
Des agneaux nourrisprécocement
avec un
fourrage
riche en fibres et de faiblevaleur
nutritionnelle, acceptent plus
volon-tiers une fois sevrés de consommer des four- rages
grossiers,
et semblentégalement
mieuxles
digérer (Distel
et al1994).
Demême,
des chèvresqui
ont consommé desplantes
richesen tanins dans leur
jeune âge
sont par la suiteplus aptes
àdétoxiquer
lesproduits
dela
dégradation
de cescomposés
secondaires(Distel
et Provenza1991).
Sur des savanestropicales
à évolutionrapide,
les choix ali- mentaires de chèvres créoles reflètent en par- tie lacomposition botanique
du parcours l’an- née de leur naissance(Biquand
etBiquand-Guyot 1992).
Plusieursespèces
sontégalement particulièrement
consommées par les individus d’une mêmelignée,
cequi indique
une certaine transmission sociale despréférences.
C’est en fait surtout la mèrequi
a un rôle
majeur
dansl’acquisition
despréfé-
rences du
jeune
herbivore. Thorhallsdottir et al(1990)
ont montré que des agneaux àqui
on
permettait
de consommer un nouvel ali- ment avec leur mère eningèrent
par la suite environ deux foisplus
que des agneauxqui
ont eu la même
expérience précoce
avec uneautre femelle. Ces derniers en consomment
cependant
encore deux foisplus
que des agneauxexposés
seuls à l’aliment.Enfin,
Mirza et Provenza
(1990, 1994)
ont récem-ment observé
qu’en présence
de leurmère,
des agneauxapprenaient rapidement
à éviterun aliment
toxique
et à sélectionner unealternative satisfaisante.
5 / Contraintes
morphologiques et digestives, adaptation
physiologique
auxvégétaux
consommés
Les
caractéristiques morphologiques
etphysiologiques
des herbivores se traduisent par des différences de besoinsénergétiques, d’aptitude
au tri et decapacité digestive, qui
influencent
largement
leurs choix. La massecorporelle
détermine la taille descomparti-
ments
digestifs et,
pour unelarge part,
la taille de la bouche de l’animal. Le volumedigestif
des herbivoresaugmente
linéaire-ment avec leur masse
corporelle (Demment
etVan Soest
1985).
Lesespèces
depetit format, qui
ont des besoinsénergétiques
ramenés àleur volume
digestif plus importants
que lesespèces
degrand format,
doivent donc sélec- tionner desfourrages
de meilleurequalité (Demment
et Van Soest1985,
Demment et Greenwood1988).
Pour une mêmecomposi-
tion du
régime,
lespetits
ruminantsdigèrent également
moins bien lesfourrages grossiers.
L’écart de
digestibilité
entre ovins et bovinsatteint en moyenne 5
points
pour cent pourles
fourrages
pauvres(Dulphy
et al1994).
Cette
plus grande capacité digestive
desbovins a été mise en relation avec le
temps
deséjour plus long
des aliments dans leur tubedigestif (Carle
etDulphy 1980, Poppi
et al1981),
ceci se retrouvant d’une manièreplus générale
entreespèces
de différents formats(Demment
et Greenwood1988).
Enrevanche,
lesespèces
degrand
format sont moinsaptes
à trier. Elles sont
particulièrement
handica-pées
sur les couvertshétérogènes
où les élé-ments de
qualité
sont rares ou moins acces-sibles
(e.g.
Zeeman et al1983, Hodgson
et al1991).
Elles sontégalement désavantagées
sur les couverts herbacés ras où la
profondeur
des
prises
alimentaires est limitée(Illius
et Gordon1987).
La taille desprises
est alorssurtout déterminée par la
largeur
de la barreincisive, qui augmente
avec la masse corpo- relleplus
lentement(autour
dePVO,35)
que les besoinsénergétiques (Clutton-Brock
et Har-vey
1983,
Gordon et Illius1988). Conséquence
de
cela,
les bovins choisissentplus systémati- quement
que les ovins depâturer
lesplacettes
d’herbe
végétative
lesplus
hautes(Illius
etGordon
1990). Cependant,
laplus grande apti-
tude des bovinscomparés
aux ovins àexploi-
ter des
fourrages grossiers
n’est pasunique-
ment la
conséquence
de leurplus
faibleaptitude
au tri et de leursplus grandes
capa- citésingestive
etdigestive.
Elle résulte aussien
partie
de différencesinter-spécifiques
depréférences,
les bovins choisissantplus
volon-tiers que les ovins de consommer un
fourrage grossier
associé à unfourrage
de meilleurequalité,
dans des situations où lesaptitudes
des animaux n’influencent pas leurs choix
(Dumont
et al1995,
Dumont et Petit1995).
Le
type
dedigestion (ruminale
oucaecale) joue
à la fois sur lacapacité
dedigestion
etd’ingestion
des herbivores(Janis 1976,
Han-ley 1982,
Duncan et al1990).
Chez les rumi-nants,
lesparticules
doivent être réduites àune taille suffisamment
petite
pourquitter
lerumen, ce
qui
estgénéralement
considérécomme étant
susceptible
de limiter lesquanti-
tés
ingérées.
Enrevanche,
les ruminantsdigè-
rent mieux les
parois végétales (Dulphy
et al1994)
et n’auraient parconséquent
pas besoind’ingérer,
à massecorporelle égale,
les mêmesquantités
que les herbivores àdigestion
cae-cale.
Malgré cela,
des bovins et des chevaux à l’entretien ou en croissanceingèrent
àl’auge
des
quantités
voisines de matière sèche parkg
depoids
vif(Chenost
et Martin-Rosset1985, Cymbaluk 1990),
même si une augmen- tation de la teneur en fibres desfourrages
affecte moins
l’ingestion
chez les chevaux.Les choix alimentaires des ruminants ont enfin été
expliqués
selon une théoried’adapta-
tion
éco-physiologique
des différentesespèces
aux organes
végétaux qu’elles
consomment.L’importance
du réticulo-rumen parrapport
à la massecorporelle,
maiségalement
d’autrescaractéristiques anatomiques
etphysiolo- giques
de leurappareil digestif (importance
des
glandes
salivaires et des villosités de laparoi
dorsale du rumen,développement
de lamuqueuse de
l’abomasum, longueur
de l’intes-tin,...)
ontpermis
à Hofmann(1973, 1989)
declasser les ruminants en trois
grandes catégo-
ries : les « grazers
» (ou
grass androughage
eaters :
bovins, ovins),
les « browsers» (ou
concentrate selectors :
chevreuil)
et les consommateurs mixtes(cerf, caprins).
Les« grazers »,
grâce
à leur énorme réticulo-rumen
rapporté
à leurpoids, digèrent
très effi-cacement les
parois végétales,
alors que les« browsers
» possèdent
un ensemble de struc- tures et de sites dedigestion qui
leurpermet-
tent
d’exploiter
au mieux la gamme desdicoty-
lédones. Par
ailleurs, rappelons
que lerégime qu’ils
sélectionnent déterminelargement
l’or-ganisation
sociale des ruminants africains(Jarman 1974).
Lesespèces
sélectives viventplutôt
encouple
ou enpetits
groupes, alors que les « grazers » forment souvent degrands troupeaux.
Conclusion
Il existe donc
plusieurs
théoriesqui
tententd’expliquer
lesprincipes
de la sélection ali- mentaire des herbivores aupâturage.
Selonles conditions dans
lesquelles
les animaux setrouvent,
certains facteurs aurontplus
oumoins
d’importance.
Parexemple,
la nécessité d’éviter de consommer descomposés
secon-daires
toxiques
n’influence certainement pas les choix des animauxpâturant
desprairies tempérées.
Il semble clair que les caractéris-tiques morpho-physiologiques
des herbivores définissent lesgrandes lignes
de leurs straté-gies
alimentaires etexpliquent
les différences entreespèces.
Enrevanche,
au sein dechaque espèce
lesexpériences
alimentaires dans lejeune âge, l’apprentissage
avec la mère et lareconnaissance des
conséquences post-inges-
tives des choix réalisés
jouent
un rôle dansl’acquisition
d’habitudes alimentaires etexpli- quent
à la fois une certaine « sagesse nutri- tionnelle » et laplasticité
descomportements
observés.Remarquons
enfin que l’étatphysio- logique
des animaux modulel’expression
deleurs
préférences
et de leursaptitudes.
Enfonction de la
quantité
de matière sèchequ’ils
doivent
ingérer
pour couvrir leurs besoinsénergétiques,
les herbivores aurontplus
oumoins de
temps
pour rechercher leursespèces préférées.
Ceci serépercutera
sur lacomposi-
tion de leur ration
journalière.
Les
caractéristiques morphologiques
etphysiologiques
desherbivores
expliquent largement
lesdifférences
dechoix alimentaires entre
espèces.
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