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3. Caractéristiques et schéma du récit fantastique

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Academic year: 2022

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3. Caractéristiques et schéma du récit fantastique 3.1. Caractéristiques du fantastique

! Toutes ces caractéristiques ne s’appliquent pas forcément à tous les récits fantastiques. Les écrivains n’avaient pas cette liste en tête lorsqu’ils rédigeaient. C’est par la suite que les spécialistes, en se penchant sur ces récits, ont remarqué des ressemblances.

Le récit à la première personne

Le récit fantastique est fréquemment conduit à la 1ère personne. Cela permet de raconter des phénomènes fantastiques à partir de la conscience du narrateur de faire partager au lecteur ses incertitudes, ses interrogations, son effroi. Le lecteur partage la perception du narrateur qui constate, sans les comprendre, des phénomènes surnaturels, ce qui nourrit le suspens.

Le contexte spatio-temporel

Les lieux sont souvent les mêmes : endroits isolés, bord de rivière, maison inhabitée, magasin d’antiquité,... On présente au lecteur un lieu inconnu, parfois hostile. Cependant, il ne s’agit pas d’un monde imaginaire. C’est bien dans notre univers réel qu’un phénomène étrange se déclenche.

Le moment joue aussi un rôle important (crépuscule, nuit, minuit,...) ainsi que les conditions météorologiques (brouillard, pluie, tout ce qui brouille les données perceptibles).

Les champs lexicaux

- Les champs lexicaux du surnaturel et de la mort :

Ces champs lexicaux évoquent un monde imaginaire qui transporte le lecteur hors de la réalité.

Ils révèlent la présence d’êtres immatériels (l’esprit, le fantôme, le double).

- Les champs lexicaux de la peur et de la folie :

Ces champs lexicaux soulignent la terreur qu’inspirent aux personnages ou au narrateur les phénomènes paranormaux et mettent en place une atmosphère d’épouvante, de terreur, d’angoisse, de folie qui s’entremêlent pour brouiller nos perceptions et nous faire douter.

L’expression de l’indétermination

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indéfinis (quelqu’un, quelque chose, on), démonstratifs (cela, ça) ; des expressions indéterminées (la créature, la chose), mettent en évidence le caractère innommable de toute présence surnaturelle.

La personnification

Figure de style qui consiste à attribuer des conduites ou des traits humains à des objets ou à des idées et peut produire, selon les contextes, des effets poétiques, tragiques ou comiques.

Ex. : Alors un mouvement se faisait dans les buissons. Une rose, empourprée d’une flamme céleste, levait la tête et regardait Médar avec un sourire angélique. (E.T.A. Hoffmann, Les Élixirs du diable).

 La rose personnifiée devient extraordinaire.

Ou une main qui devient vivante

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Exercice :

Repère les caractéristiques fantastiques (mots, expressions) dans le texte suivant. Utilise un code couleur pour distinguer aisément chaque caractéristique. Sois précis.

Le tableau,Jean Ray

Je veux parler de Gryde, l'usurier.

Cinq mille hommes lui durent de l'argent; il fut la cause de cent douze suicides, de neuf crimes sensationnels, d'innombrables faillites, ruines et débâcles financières

Cent mille malédictions l'ont accablé et l'ont fait rire; la cent mille et unième l'a tué, et tué de la manière la plus étrange, la plus affreuse que cauchemar pût enfanter

Je lui devais deux cents livres; il me faisait payer mensuellement des intérêts meurtriers; en plus, il fit de moi son ami intime... C'était sa manière de m'être le plus désagréable, car j'ai supporté toutes ses méchancetés. J'ai dû faire chorus aux rires qu'il lâchait devant les larmes, les prières et la mort de ses victimes saignées à blanc.

Il passait la douleur et le sang au journal et au grand-livre, parmi le flot montant de son argent.

Aujourd'hui, je ne m'en plains plus, car cela m'a permis d'assister à son agonie. Et je souhaite la pareille à tous ses confrères.

Un matin, je le trouvai dans son cabinet, en face d'un jeune homme, très pâle et très beau.

Le jeune homme parlait :

 Je ne puis pas vous payer, monsieur Gryde, mais, je vous en prie, ne m'exécutez pas.

Prenez cette toile-; c'est mon œuvre unique. Unique, entendez-vous.? Cent fois, je l'ai recommencée... Elle est toute ma vie. Même à ce jour, elle n'est pas complètement finie: il y manque quelque chose - je ne sais pas trop quoi -mais, plus tard, je trouverai et je l'achèverai.

« Prenez-la pour cette dette qui me tue, et…qui tue maman. »

Gryde ricanait; m'ayant aperçu, il me fit signe de regarder un tableau de moyenne grandeur appuyé à la bibliothèque. J'eus un mouvement de stupeur et d'admiration: jamais je n'avais rien vu de si beau.

C'était une grande figure d'homme nu, d'une beauté de dieu, sortant d'un lointain vague, nuageux, un lointain d'orage, de nuit et de flammes.

 Je ne sais pas encore comment je l'appellerai, dit l'artiste d'une voix douloureuse. Voyez- vous, cette figure-là j'en rêve depuis que je suis enfant ; elle me vient d'un songe comme des mélodies sont venues du ciel au chevet de Mozart et de Haydn.

 Vous me devez trois cents livres, monsieur Warton, dit Gryde.

L'adolescent joignit les mains.

 Et mon tableau, monsieur Gryde ? Il vaut le double, le triple, le décuple !

 Dans cent ans, répondit Gryde. Je ne vivrai pas aussi longtemps.

Je crus pourtant remarquer dans son regard une lueur vacillante, qui changeait cette clarté fixe de l'acier que j'y ai toujours vue.

Admiration ou espoir d'un gain futur insensé ? Alors, Gryde parla.

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 Vous me devez trois cents livres, payables par mensualités de dix. Je vais vous signer un reçu pour les dix mois à venir ...Tâchez d'être exact à l'échéance du onzième mois, monsieur Warton !

L'artiste s'était voilé la face de ses belles mains.

 Dix mois ! C'est dix mois de repos, de tranquillité pour maman. Elle est si nerveuse et si chétive, monsieur Gryde, et puis je pourrai travailler pendant ces dix mois…

Il prit le reçu.

 Mais, dit Gryde, de votre propre aveu, il manque quelque chose au tableau. Vous me devez le parachèvement et le titre d'ici dix mois.

L'artiste promit, et le tableau prit place au mur, au-dessus du bureau de Gryde.

Onze mois s'écoulèrent. Warton ne put payer sa mensualité de dix livres.

Il pria, supplia, rien n'y fit; Gryde ordonna la vente des biens du malheureux. Quand vinrent les huissiers, ils trouvèrent la maman et le fils dormant de l'éternel sommeil dans l'haleine terrible d'un réchaud de charbons ardents.

Il y avait une lettre pour Gryde sur la table.

« Je vous ai promis le titre de mon tableau, y disait l'artiste. Appelez-le Vengeance. Quant à l'achèvement, je tiendrai parole. »

Gryde en fut fort peu satisfait.

 D'abord, ce titre ne convient pas, disait-il, et puis comment pourrait-il l'achever à présent ?

Il venait de lancer un défi à l'enfer.

Un matin, je trouvai Gryde extraordinairement énervé.

 Regardez le tableau, me cria-t-il dès mon entrée. Vous n'y voyez rien ? Je n'y trouvai rien de changé.

Ma déclaration sembla lui faire grand plaisir.

 Figurez-vous... dit-il. Il passa la main sur son front, où je vis perler la sueur, et continua presque aussitôt :

 C'était hier, après minuit. J'étais déjà couché, quand je me souvins que j'avais laissé des papiers assez importants sur mon bureau. Je me levai aussitôt pour réparer cet oubli. Je trouvai fort bien le chemin dans l'obscurité, dans cette maison dont chaque coin m'est familier, et je pénétrai donc dans mon cabinet sans allumer la lumière. Du reste, la lune éclairait très nettement la pièce.

Comme je me penchais sur mes paperasses, quelque chose bougea entre la fenêtre et moi…

Regardez le tableau ! Regardez le tableau! hurla tout à coup Gryde. C'est une hallucination, sans doute. Je n'y suis pourtant pas sujet... Il me semble avoir vu bouger à nouveau la figure... Eh bien ! cette nuit, j'ai cru voir- non, j'ai vu -le bras de l'homme sortir de la toile pour me saisir !

 Vous êtes fou, dis-je brusquement.

 Je le voudrais bien, s'écria Gryde, car si c'était vrai. ..

 Eh bien! lacérez la toile, si vous croyez à votre histoire ! La figure de Gryde s'éclaira.

 Je n'y avais pas pensé, dit-il. C'était trop simple...

D'un tiroir, il sortit un long poignard au manche finement ciselé. Mais, comme il s'apprêtait à détruire le tableau, il se ravisa soudain.

 Non, dit-il. Pourquoi gaspiller cent livres pour un méchant rêve ? C'est vous qui êtes fou, mon jeune ami.

Et, rageur, il jeta l'arme sur son bureau.

Ce n'était plus le même Gryde que je trouvai le lendemain, mais un vieillard aux yeux déments, grelottant d'une frayeur affreuse.

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 Non, hurla-t-il, je ne suis pas fou, imbécile, j'ai vu vrai! Je me suis levé cette nuit. J'ai voulu voir si j'avais rêvé. Eh bien! eh bien! ...il est sorti du tableau, rugit Gryde en se tordant les mains, et...et...mais regardez donc la toile, triple idiot, il m'a pris le poignard !

J'ai mis la tête dans les mains ; j'ai cru devenir fou comme Gryde. Ma logique s'est révoltée:

la figure du tableau tenait dans sa main un poignard qu'elle n'avait pas hier, et je reconnus aux ciselures artistiques, que c'était le poignard que Gryde avait jeté la veille sur son bureau !

J'ai conjuré Gryde de détruire la toile. Mais l'avarice a encore combattu victorieusement la frayeur.

Il ne voulait pas croire que Warton allait tenir parole !

...Gryde est mort.

On l'a trouvé dans son fauteuil, exsangue, la gorge béante. L'acier meurtrier avait entamé jusqu'au cuir du siège.

J'ai jeté un regard terrifié sur le tableau: la lame du poignard était rouge jusqu'à la garde.

Jean Ray, Les contes du whisky, (c) La Renaissance du livre, 1925.

Vocabulaire

un usurier : personne qui prête à usure

l'usure : (latin usura, intérêt de l'argent)

Délit consistant à stipuler dans un prêt d'argent un intérêt à un taux excessif dépassant un plafond fixé par la loi.

Faire chorus : (latin chorus, chœur) : Répéter en chœur, ensemble ; manifester unanimement son approbation ou sa désapprobation, dire ensemble la même chose.

grand-livre : Document qui regroupe tous les comptes de l'entreprise.

la garde : Partie d'une arme blanche entre la lame et la poignée, destinée à protéger la main.

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Correctif (caractéristiques):

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3.2. Grille du récit fantastique1 1. Introduction

Dans l’introduction, le narrateur explicite éventuellement pourquoi et comment il est amené à raconter l’aventure qui lui est arrivée, à lui ou à un de ses proches, ou dont il a été témoin. Il introduit l’évènement étrange en racontant ce qui l’a précédé et qui reste dans le domaine réaliste. Le héros n’a aucun soupçon de ce qui va lui arriver, il n’a pas peur car son aventure commence de manière banale et ne comporte que de petits faits insolites et isolés (= situation initiale)

Une histoire banale. Un décor réaliste. Des faits ordinaires. Dans cette ambiance naturelle, tout est prêt pour que, discrètement, un ou plusieurs événements insolites surviennent. Ils vont presque passer inaperçus. Ils ne font pas encore peur. Le « je » continue à raconter son histoire ou celle d’un autre.

2. Avertissement

L’avertissement est le début de l’action fantastique. Le héros se met en action et quelque chose ou quelqu’un l’avertit qu’il ne doit pas continuer ce qu’il projette d’entreprendre (= situation initiale)

 Quelque chose ou quelqu’un survient que le « je » perçoit comme inquiétant. Ces phénomènes et ces situations qui se répètent font penser que ce n’est pas naturel, que c’est le fait d’une force surnaturelle. Le « je » est ainsi averti. Il ne devrait pas aller au-delà, il devrait oublier les bruits bizarres, les coïncidences, oublier la peur ou l’angoisse qui s’installe.

3. Transgression

Vient la transgression, puisque le héros ne tient pas compte de l’avertissement et accomplit ce qu’il désirait. Il peut être intrigué par l’avertissement, mais le plus souvent il s’en moque. Ces séquences, comme dans les contes, peuvent être répétées (= élément modificateur).

Les événements se précipitent. Le « je » n’a pas tenu compte de l’avertissement. Il est allé au-delà. Il ne maîtrise plus la situation.

4. L’aventure

Parce qu’il n’a pas tenu compte de l’avertissement, le héros va se trouver entrainé dans une aventure. Parfois, entre la transgression et le cœur de l’aventure, il y a un moment où le héros ne considère pas encore ce qui lui arrive comme inexplicable.

Toutefois, dans ce cas, de petits faits étranges (de plus en plus petits, de plus en plus étranges) peuvent se produire, mais ils n’effrayent guère le héros. Tout au plus commence-t- il à être intrigué. Tout à coup, un évènement fantastique et inexplicable se produit. Et à partir de cet instant, des choses de plus en plus fantastiques arrivent au héros, ou bien le même évènement se répète, parfois de plus en plus fort, sans que le héros ne puisse jamais expliquer ce qui lui arrive (= transformation).

 Les événements surnaturels prennent le dessus. Des faits étranges et inexplicables se produisent. L’aventure tourne à l’étrange, au cauchemar. Le « je », qui est d’abord intrigué, affronte les forces du surnaturel. Il ne peut plus rien expliquer.

1 Théorie empruntée à J.-J. Besson, B. De Roeck et al., Texto 4ème sec., Namur, Éditions Érasme, 2012, pp. 328, 329.

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5. La peur

La peur est liée à l’évènement étrange qui arrive tout à coup. Elle saisit le héros brutalement et de plus en plus fort, jusqu’à un sommet. S’il y a répétition d’évènements étranges, le héros tente de se raisonner entre les diverses manifestations d’étrangeté. Mais sa peur augmente, bien qu’il se persuade que ce qui lui arrive n’est pas possible et qu’il n’aura plus peur, jusqu’à ce que la peur triomphe. Cette panique est abondamment décrite par le héros (= transformation).

 Au fur et à mesure des événements bizarres qui surviennent, la peur s’installe. Le

« je » essaie de faire face, de raisonner. Mais devant les événements qui transgressent les lois du monde connu, le « je » finit par se laisser envahir par la peur, par la panique.

6. La conclusion

La conclusion marque la fin de l’évènement fantastique par fuite du héros, syncope ou autre procédé. Il reste cependant une trace attestant la réalité de l’évènement. Le héros lui- même est parfois marqué par une malédiction ou meurt.

L’histoire prend fin. Le « je » est mort ou bien il reste marqué. Le mystère et le malaise demeurent. Ni le « je » ni le lecteur ne savent s’il faut croire au surnaturel ou si des éclaircissements, d’ailleurs flous et incomplets, peuvent expliquer rationnellement l’inexplicable.

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Exercice :

Applique la grille du fantastique au texte suivant. Dans un premier temps, délimite les différentes parties de ce texte (à indiquer dans la marge). Ensuite, justifie cette répartition à partir des éléments théoriques ci-dessus. N’oublie pas de les exemplifier.

La Boule Noire de Thomas Owen

Thomas Owen, « La Boule Noire » dans La Truie et autres histoires secrètes, Verviers, Editions Gérard & Cie (Bibliothèque Marabout), 1972, pp. 19-28.

Le ciment tout neuf de la terrasse était rugueux. Le balcon de fer était marqué de rouille en 1

plusieurs endroits. Le fleuve, trois étages plus bas, avait l'harmonieuse courbure d'une lame 2

d'argent. Vue de l'extérieur, la fenêtre de la chambre accusait le manque d'entretien. La peinture 3

s'écaillait, un peu de mastic s'était détaché d'une vitre. On voyait, par terre, une capsule de bouteille 4

qu'on avait négligé de ramasser. L'hôtel, admirablement situé, vivait sur sa réputation.

5

Nettesheim quitta la terrasse et alla s'asseoir sur le lit. Il dénoua ses chaussures, puis s'étendit 6

et, les mains sous la nuque, se mit à réfléchir.

7

Il dînerait dehors, après avoir acheté des journaux, mais d'abord, il viderait sa valise et 8

pendrait son costume bleu. Demain, il verrait ces gens...

9

Couché comme il l'était, il ne pouvait apercevoir, par la fenêtre ouverte, que le ciel bleu et la 10

rondeur verte d'une colline lointaine légèrement estompée par la brume. Il se sentait en même temps 11

fatigué et détendu, heureux d'être allongé, respirant bien, prêt à basculer dans un sommeil paisible...

12

La fraîcheur du soir le réveilla. Il se leva sans effort et, de la terrasse, contempla le paysage.

13

Le fleuve qui lui était apparu argenté, deux heures plus tôt, était tout différent à présent. Il miroitait 14

sous les lumières du soir comme de l'acier poli. Une rumeur confuse montait, d'où se détachait 15

parfois le ronronnement doux d'une allège descendant le courant ou le halètement saccadé d'un 16

bateau poussif peinant en sens inverse.

17

Nettesheim demeurait accoudé au balcon, humant l'odeur de la vallée, bercé par instants par 18

les flonflons de l'orchestre qui, trois étages plus bas, sous les marronniers étêtés, jouait sans 19

conviction pour quelques clients attardés. Cette musique insipide le rendait triste. Le bien-être, la 20

détente, l'impression de liberté éprouvée en fin d'après-midi, lorsqu'il avait ouvert la porte-fenêtre 21

sur la large vallée verdoyante, faisaient place à présent, la nuit venue, à une curieuse sensation 22

d'ennui et de lassitude. Il avait aspiré au repos et c'était à présent la solitude qui lui pesait.

23

Il tourna le dos au fleuve, pénétra dans la chambre envahie de ténèbres, referma la croisée, 24

tira les rideaux et, un peu à l'aveuglette, trouva le cordon de l'interrupteur au-dessus du lit.

25

Au moment où la lumière se fit, il se passa un tout petit incident, insignifiant, qui créa 26

cependant dans la pièce une atmosphère nouvelle, comme si, à ce signe, une rupture soudaine s'était 27

produite avec le monde extérieur.

28

(13)

De la blancheur impeccable de l'édredon léger, une chose assez semblable à une petite boule 29

de laine sombre, souple et molle, avait roulé sous le gros fauteuil club en velours bleu. Rouler n'est 30

pas exactement le mot qui convient. Cette chose avait eu l'air à la fois de voler et de bondir, ce qui 31

le fit songer en même temps à un chat minuscule et à un oiseau. Le seul animal à qui assimiler cet 32

aspect velu et soyeux, cette légèreté de tache d'ombre mouvante, était la chauve-souris.

33

Nettesheim se pencha pour regarder sous le fauteuil, mais ne vit rien. Il s'assit, intrigué et 34

amusé, se remémorant l'absence de pesanteur, l'aisance extrême avec laquelle cette petite chose 35

s'était déplacée et, en même temps, l'espèce de détermination, de volonté qui l'animait.

36

Enfoncé dans le fauteuil profond, il en caressait machinalement le velours. Il réfléchissait, se 37

disant qu'il avait sans doute mal regardé. En effet, il avait à présent la sensation de percevoir sous 38

lui un mince souffle régulier, pareil à la respiration prudente d'une bête terrée.

39

Il se leva et tenta de distinguer quelque chose sous le siège. Mais la boiserie en était fort 40

basse et bien qu'il se fût allongé sur le tapis pour regarder, il ne put rien distinguer. La palpitation 41

rythmée lui était maintenant très distinctement perceptible. Il n'osait pas glisser la main sous le 42

fauteuil et préféra déplacer celui-ci en l'éloignant du mur. Comme il s'y efforçait, très rapidement 43

« cela » lui passa entre les jambes et fila dans un autre coin de la pièce, sous un coffre très bas, où 44

vraiment il fallait beaucoup d'adresse et de souplesse pour se loger si promptement.

45

Il avait la certitude, à présent, que cette « chose » si rapide, si agile, qu'il souhaitait voir de 46

plus près, sans y parvenir, était douée d'intelligence et de ruse. Il demeurait debout, bien campé sur 47

ses jambes écartées, tous les sens en éveil. Nul bruit ; il n'entendait même plus cette respiration 48

rythmée. Mais une étrange odeur envahissait doucement la pièce. Il ne put l'identifier 49

immédiatement, bien qu'elle évoquât pour lui des souvenirs très précis. Un jardin de curé, sous le 50

soleil de juin. Il y lisait sur un banc, devant les carrés de gazon bordés de buis.

51

Nettesheim alla prendre sa canne qu'il avait posée sur une table basse, avec son chapeau et 52

les journaux du matin. C'était une bonne canne, vigoureuse, en épine, sous le pommeau lisse de 53

laquelle un petit chat d'argent donnait la chasse à deux minuscules souris. Il s'en servit pour 54

débusquer, sous le coffre, la petite « chose » qui se cachait, mais il ne réussit pas à l'atteindre. Le 55

bout de la canne avait dû accrocher, dans un angle de la plinthe, une toile d'araignée, car un 56

lambeau y adhérait. Il inspecta attentivement cette petite trace noire, duveteuse et répugnante, et y 57

trouva non point une odeur de poussière, mais un parfum de buis très prononcé… Contrairement à 58

ce qu'il pensait, il avait donc bien touché la « chose » et même l'avait blessée, ou tout au moins 59

écorchée. Il insista alors et redoubla ses efforts sous le coffre. Il agitait sa canne de gauche à droite, 60

au ras du tapis, avec un acharnement méchant. Et soudain, alors qu'il croyait tout cela vain, la boule 61

velue et membraneuse jaillit de sa cachette, bondit sur le lit et le regarda. Oui, chose stupéfiante qui 62

le laissait interdit, au cœur de cette pelote indéfinissable, il voyait luire un regard et ce regard, fixé 63

sur lui, était étonnamment expressif.

64

Nettesheim frappa rageusement sur le lit, mais manqua son but. Ses coups faisaient un bruit 65

mou sur l'édredon et la boule sautait à droite et à gauche avec une vivacité incroyable. Mais à 66

(14)

Il constata à ce moment que la boule avait grossi. Comme si, augmentant sa propre 70

substance, la nourrissant de sa peur et de sa colère, elle ajoutait à son cocon de nouvelles couches 71

membraneuses, de nouvelles épaisseurs de sombres filaments entremêlés. Elle ne se gonflait pas 72

seulement, comme certains animaux qui reprennent ensuite leur forme antérieure, mais elle se 73

développait, prenait du volume et du poids. Grosse à certain moment comme une noix de coco et 74

assez semblable d'apparence à ce fruit fibreux, mais en moins solide, en moins ferme, elle fut 75

bientôt de la taille d'un melon, d'une pastèque, d'une citrouille…

76

Nettesheim fut repris par sa rage et sa fureur. S'arrachant à son siège, il bondit, plongea 77

littéralement sur cette masse malsaine, duveteuse, cédant au toucher, comme le duvet mou d'un 78

édredon, y enfonça les mains, y trouva, palpitant et chaud, le corps central, le noyau vivant, pareil 79

au cœur d'une bête ou à l'amande d'un fruit inconsistant et vénéneux, et l'arracha avec un cri de 80

triomphe.

81

C'était comme une fourmi au corps laiteux, de la grosseur d'un poing d'enfant, blafarde et 82

tiède, caoutchouteuse, dégageant une forte odeur de buis.

83

Nettesheim jeta vivement le noyau au sol et posa le pied dessus. Cela s'écrasa lentement 84

comme l'aurait fait un œuf cuit dur. Il en sortit une humeur blanchâtre au relent funèbre.

85

Mais, dans le même temps, demeuraient collés à ses mains des lambeaux de voiles noirs, 86

tissus lâches et fugitifs comme l'ombre, tandis que d'autres s'enroulaient autour de ses bras. Même, 87

le long de ses jambes, il y avait des choses souples, soyeuses et collantes qui se plaquaient, qui 88

montaient, qui l'empêtraient toujours davantage.

89

Sa colère fit place à une terrible angoisse qui bientôt bascula dans la terreur. Déjà impuissant 90

à réagir, déjà prisonnier, il laissait son esprit divaguer en observations futiles. Une trace de brûlure 91

de cigarette sur le bord de la table de chevet ; la souillure brunâtre d'une mouche écrasée sur le mur 92

à la tête du lit ; à la pointe de sa chaussure, une écorchure faite Dieu sait quand…

93

Il tendit l'oreille aux bruits du dehors et entendit très distinctement une allège rapide qui 94

descendait au fil de l'eau. Il s'en voulait de ne pouvoir concentrer son esprit sur le drame qui 95

s'amorçait et qu'il allait affronter démuni, sans lucidité, sans esprit de combat.

96

Il tenta d'arracher, mais sans conviction, ces choses ignobles qui l'enlaçaient, ces membranes 97

de deuil semblables à des voiles de crêpe. Mais à mesure qu'il se débattait, il se trouva toujours plus 98

entravé, incapable de se dépêtrer, sortant avec peine un bras, puis l'autre, de cette masse 99

inconsistante dont l'apparente légèreté était trompeuse et qu'une sorte de méchanceté végétale 100

poussait à ne pas relâcher son étreinte. Un silence atroce planait sur cette scène où les sursauts de 101

l’homme ne ralentissaient pas le lent et monstrueux embrassement. Sans un cri, il se roula au sol 102

pour se dégager, se mit en boule comme un lutteur qui veut rouler sur lui-même, et favorisa ainsi 103

son enveloppement au creux d'un cocon abominable.

104

Il pensa à sa mort, et qu'une fois disparu, ce serait comme s'il n'avait jamais existé. Et cela 105

l'aida à se résigner, car cet effacement, qu'il se produisît à l'instant ou plus tard, aurait exactement la 106

même insignifiance. Il eut conscience encore que sa taille diminuait sous les couches sournoises qui 107

le submergeaient, l'assimilaient, le digéraient en quelque sorte, dans une suite de déroulements, de 108

nouures, de glissements et d'entrelacements monstrueux. De cette pelote répugnante dont il 109

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percevait comme siennes les moindres pulsations internes, il devenait à son tour le noyau vivant. Il 110

eut encore la force de penser aux conséquences qu'il tirerait de cette situation, de cet état d'être au 111

cœur de la « chose » ...

112

La lumière du soleil levant monta derrière les collines et vint frapper les fenêtres de la 113

chambre. Mille rais de clarté percèrent l'épaisseur relative des rideaux.

114

Il bondit peureusement sous le divan au moment où quelqu'un ouvrait la porte 115

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Correctif « La boule noire » (application de la grille du fantastique) - Introduction :

Lignes : 1-25

- Histoire banale : Nettesheim arrive à l’hôtel, observe les lieux, découvre sa chambre, planifie sa soirée.

- Décor réaliste : description de l’hôtel.

- Faits ordinaires : planifie sa soirée, s’endort, observe le paysage depuis son balcon.

- Pas de sentiment de peur : « bien-être »  « ennui ».

- Avertissement : Lignes : 26-33

- Qqch survient : « petit incident »  « atmosphère nouvelle »  « rupture » avec le monde extérieur  on bascule dans le surnaturel.

- Indices qui montrent que la boule n’est pas naturelle ( il découvre la chose sans savoir ce qu’elle est) : aspect et mouvement de la chose.

- Transgression : Lignes : 34-51

- Nettesheim ne respecte pas l’avertissement (il observe, il est intrigué par l’avertissement) et va au- delà : « se pencha pour regarder », « il se leva ».

- Il commence à avoir peur mais n’ose pas encore agir : « il n’osait pas ».

- Il est intrigué mais ne comprend pas ce qu’il se passe : « il ne put l’identifier »  il ne maîtrise pas la situation : les événements se précipitent : respiration de la bête, la chose file et diffuse une odeur étrange.

- Aventure : Lignes : 52-112

- Nettesheim agit : il prend sa canne.

- Des fait inexplicables (surnaturels) prennent le dessus : en touchant la chose, une odeur forte se dégage, la chose saute sur le lit et le regarde, la boule grossit en se nourrissant de la peur de Nettesheim.

- Nettesheim affronte les forces surnaturelles (« frappa rageusement »), il attaque la chose (« bondit »).

- Conclusion : Lignes : 113-fin

Rappel : les forces surnaturelles sont invincibles dans le fantastique.

- Nettesheim est devenu la chose : fin de l’événement.

- Il reste marqué car il est devenu la chose

 On peut imaginer que la scène va se reproduire avec le client suivant, qui ouvre la porte.

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