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LOUIS XIV ET SA COUR

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L O U I S X I V

E T SA C O U R

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DU MEME AUTEUR

L'ARCHITRÉSORIER LE BRUN, GOUVERNEUR DE LA HOLLANDE (1810-1813) (Couronné par l'Académie française), Paris, Emile-Paul, édit.

LANZUN, UN COURTISAN DU GRAND ROI (Second prix Gobert), Paris, Hachette, édit.

LE GRAND CONTI (Second prix Gobert), Paris, Amiot-Dumont.

CURIOSITÉS HISTORIQUES, Paris, Emile-Paul, édit.

LA VIE AMOUREUSE DE LA GRANDE MADEMOISELLE (deux volu- mes), Flammarion.

COMÉDIES SANGLANTES, DRAMES INTIMES, Paris, Emile-Paul, édit.

DAMES D'AUTREFOIS, Paris, Emile-Paul, édit.

FEMMES FORTES, Paris, Emile-Paul, édit.

HISTOIRE ET PORTRAITS, Paris (trois volumes), Emile-Paul, édit.

CHATEAUBRIAND AU TRAVAIL, Avignon, Aubanel, édit.

HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU (tomes III, IV, V et VI), en collaboration avec Gabriel Hanotaux.

LE BEAU PASSÉ, Editions de la Table Ronde.

I. — DE BAYARD AU ROI SOLEIL.

II. — DE COLBERT A MARAT.

RICHELIEU, en collaboration avec Gabriel Hanotaux (un volume), Flammarion.

LE MARÉCHAL DE LA FORCE. UN SERVITEUR DE SEPT ROIS (deux volumes), Librairie Plon.

LA GRANDE MADEMOISELLE (un volume), Flammarion.

EN SUIVANT NOS PÈRES (un volume), Amiot-Dumont.

JOURNAL DE VIENNET, PAIR DE FRANCE, TÉMOIN DE TROIS RÈGNES, Amiot-Dumont.

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LES T E M P S E T L E S D E S T I N S

DUC DE LA FORCE

D E L ' A C A D É M I E F R A N Ç A I S E

L O U I S X I V E T S A C O U R

LIBRAIRIE ARTHÈME FAYARD 18, Rue du Saint-Gothard

P A R I S X I V

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I l a é t é t i r é d e c e t o u v r a g e : CINQUANTE E X E M P L A I R E S S U R P A P I E R LAFUMA N U M É R O T É S 1 A 5 0

CINQ E X E M P L A I R E S H O R S C O M M E R C E S U R P A P I E R LAFUMA N U M É R O T É S HC 1 A HC 5

© Librairie Arthème Fayard, 1956.

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A Marie-Thérèse de NOAILLES Duchesse de LA FORCE,

Au plus judicieux, Au plus fin,

Au plus dévoué des critiques.

1908-1956.

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PRÉFACE

Jacques Bainville, en ce chef-d'œuvre de raison et de clarté qu'est son Histoire de France, n'a retenu du règne de Louis X I V que « ce qui appartient à la haute politique » : « Nous avons laissé de côté, dit-il, tout ce qui est le domaine de la littérature et de l'anecdote. Et pourtant Louis X I V a sa légende inséparable de son histoire et de la nôtre. Versailles, la Cour, les maîtresses du Roi, la touchante La Vallière, l'altière Montespan, l'austère Maintenon, qui devint sa compagne légitime, sont encore un fonds inépuisable pour le roman, le théâtre et la conversation.

Tour à tour, si ce n'est en même temps, les Français ont admiré ou blâmé cette vie royale commencée dans le succès et la gloire, achevée dans les deuils de famille et les revers. Ils ne se sont pas lassés de s'en répéter les détails, partagés entre le respect et l'envie qu'inspirent les grands noms et les grandes fortunes.

Cette curiosité n'est pas épuisée, tant la France, à tous les égards, a vécu au siècle de Louis XIV, tant les imaginations ont été frappées par le soleil de Versailles. »

Cette curiosité, nous allons essayer de la satisfaire.

N. B. J'ai utilisé la bibliographie des Mémoires de Saint-Simon publiés et commentés par MM. de Boislisle et Lecestre, dont les savants travaux ont renouvelé l'histoire de la Cour de Louis XIV.

Pour les documents inédits, j'ai indiqué les sources au bas des pages.

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CHAPITRE PREMIER AVANT VERSAILLES

Le 22 avril 1682, le marquis de Sourches notait dans ses Mémoires : « Le Roi quitta Saint-Germain, dont les bâtiments qu'il y faisait commençaient de rendre le séjour incommode et vint s'établir à Saint-Cloud, dans la belle maison de Mon- sieur, son frère unique, jusqu'à ce que ses appartements de Versailles fussent en état d'être habités. » Et le marquis ajoutait le 6 mai : « Le Roi quitta Saint-Cloud pour s'établir à Versailles, où il souhaitait d'être depuis longtemps. »

I

JE M'APPELLE LOUIS XIV

Trente-neuf ans s'étaient écoulés, depuis que, le 21 avril 1643, quelque trois semaines a v a n t la mort de Louis X I I I , Louis X I V avait été solennellement baptisé dans la chapelle de ce château vieux de Saint-Germain élevé par François I On avait « nommé » l'enfant, car, ondoyé lors de sa naissance le 5 septembre 1638, il ne portait pas encore de nom de bap- tême. Conduit, après la cérémonie, au château de Saint-Ger- main, que Henri IV avait bâti et dont les terrasses étagées dominaient la Seine, il avait été accueilli par cette question de Louis X I I I : « Comment vous appelez-vous à présent? » E t il avait répondu ! « Je m'appelle Louis XIV, mon papa.

— Pas encore, avait repris Louis X I I I , mais ce sera bientôt. » (1) « Cinq pavillons en saillie au château vieux de Saint-Germain ».

(Note des Mémoires de Sourches.)

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II

AU PALAIS-ROYAL

Louis X I V se souvenait parfaitement des années d'enfance passées au Palais-Cardinal que Richelieu avait légué au feu Roi. Dès l'automne qui avait suivi la mort de Louis XIII, Anne d'Autriche, dégoûtée du Louvre encore à demi féodal, de ses ponts-levis, des tours qui le flanquaient à l'est, à l'ouest et au nord, s'y était installée. La belle maison à la mode, bâtie par le feu ministre, lui avait paru plus attrayante que le vieux château des rois de France. La Régente avait occupé le glorieux appartement dont les fenêtres et les balcons, munis de balustres de fer ciselé, donnaient sur le jardin, charmant en ce début d'octobre avec ses fleurs, ses eaux, et la parure automnale de son bosquet. Le Palais-Cardinal était devenu le Palais-Royal. Louis X I V n'avait pas oublié la salle de bain dorée, décorée de fleurs, de chiffres, d'allégories et de paysages, ni l'oratoire illustré de tableaux où Philippe de Champagne, Vouet, Bourdon, Stella, Lahire, Corneille, Dori- gny et Paerson avaient peint la vie de la Sainte Vierge. C'était dans cet appartement qu'il avait vu la Reine, vêtue de sa robe de chambre, prendre son déjeuner, — un plantureux petit déjeuner qui convenait à sa santé admirable et qui se composait d'un bouillon, de côtelettes, de saucisses et de pain bouilli. C'est là qu'âgé de neuf ans, il présentait la che- mise à sa mère, qui le baisait tendrement et s'habillait pour aller à la messe.

Qui d'entre nous n'a entendu répéter dès son enfance ce proverbe :

La façon de donner v a u t mieux que ce qu'on donne?

Cet alexandrin est en général séparé de celui qui doit le précéder :

Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne.

L'un et l'autre sont de Corneille et ils ont été prononcés pour la première fois sur la scène au début de la comédie du Men- teur, en 1642.

Le fils aîné de Louis X I I I n'était encore que dans sa cin- quième année. Je ne pense pas qu'il ait connu alors ces deux

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vers. Il n'avait pas, d'ailleurs, besoin qu'on les lui commentât et il avait sans doute deviné lui-même la vérité proclamée par le valet de Dorante. Rien ne le prouve mieux qu'une anec- dote rapportée par Marie Dubois, seigneur de Lestourmière et du Poirier, qui fut gentilhomme servant du Roi, valet de chambre de Louis XIV, comme il l'avait été de Louis XIII et qui a laissé un manuscrit intitulé Mes petites curiosités, sept cents pages in-8° publiées en 1936 par M. Louis de Grandmaison. Ces petites curiosités, le temps leur a donné de la couleur, et leur intérêt est grand. Le 20 janvier 1647, au Palais-Royal, la Régente s'en est allée dîner, car il est midi.

Louis XIV regarde, dans le jardin, par la fenêtre ouverte,

« un soldat qui joue de l'épée à deux mains ». Il dit au maré- chal de Villeroy, son gouverneur : « Voyez-vous ce soldat-là ? Il ne fait pas cela pour rien ? — Non, Sire, répond le maréchal, il faut lui donner quelque chose. « Et se tournant vers les valets de chambre : « Qui a une demi-pistole la prête au Roi.

Je la lui ferai rendre. — Oh! ce n'est pas assez, Monsieur, observe l'enfant : il faut lui donner davantage! » Le maréchal n'est pas de cet avis : « Voulez-vous que je vous dise ? reprend Louis XIV. Pour ce soldat, c'est véritablement assez et pour vous, si c'était vous qui la donnassiez ; mais pour moi, ce n'est pas assez, il faut qu'il ait la pistole entière. — Le Roi est charmant, on ne peut rien lui refuser », remarque à part soi M. du Poirier. Le maréchal, en effet, ne refuse pas et le valet de chambre est « si aise que son maître raisonne de la sorte qu'il en pleure d'admiration ».

Quarante-cinq années plus tard, à Versailles, l'enfant

devenu depuis longtemps le Roi-Soleil n'aura pas changé sa

façon de donner. Le 25 décembre 1692, il avait résolu de pour-

voir du gouvernement de Péronne le comte de Ligneris, pre-

mier lieutenant de ses gardes du corps et brigadier de ses

armées. Ligneris étant alors en quartier, le Roi marchait à

côté de lui pour se rendre de son appartement à celui de

Mme de Maintenon : « A propos, Ligneris, commença-t-il,

j'ai oublié de vous dire qu'il y a trois jours que je vous ai

donné le gouvernement de Péronne ; j'en ai séparé le gou-

vernement de Montdidier, mais ce n'est pas une affaire pour

vous, car cela ne vaut que huit à neuf cents livres de rente. »

Le marquis de Sourches, qui nous conte cette scène, ajoute :

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« Ligneris lui fit ses actions de grâces avec tout le ressenti- ment que méritait un présent si considérable et si peu attendu de sa part, et le Roi, ayant marché quelques pas, se tourna une seconde fois vers lui et lui dit : Vous avez cru pendant quelque temps que je vous avais oublié ; mais je ne vous ai jamais oublié et je vous ferai connaître, en toutes occasions, l'estime que j'ai pour vous. Ligneris ne put répondre à cela que par un profond abaissement, qui lui coûta plus qu'à un autre, parce qu'il était le plus grand homme de France.

Ensuite le Roi fit encore trois ou quatre pas et, se retournant une troisième fois vers lui : Ligneris, lui dit-il, ce n'est pas la peine de vous faire un présent à demi, je rejoins en votre faveur au gouvernement de Péronne le gouvernement de Montdidier. » Le marquis de Sourches rapporte une autre scène du même genre qui eut pour théâtre la chambre de Louis XIV à Marly le 10 février 1696, après le lever. Le marquis de Cavoye est tête à tête avec le Roi, qui l'a fait appeler et qui lui parle ainsi : « Cavoye, il y a trop longtemps que nous nous connais- sons pour nous séparer ; je ne veux pas que vous me quittiez, et si vous souhaitez du bien pour votre femme, nous trouve- rons aisément les moyens de vous mettre l'esprit en repos.

— Ah ! Sire, lui répond Cavoye en se jetant à ses pieds, je ne marchande point avec Votre Majesté et je me rengage à son service, avec joie pour toute ma vie ». Le Roi le releva avec bonté et lui tint encore « plusieurs discours pleins d'amitié et de marques d'estime ».

De tels exemples ne sont point rares : « Jamais, dit Saint- Simon, personne ne donna de meilleure grâce et n'augmenta tant par là le prix de ses bienfaits ; jamais personne ne vendit mieux ses paroles, son sourire même, jusqu'à ses regards.

Il rendit tout précieux par le choix et la majesté, à quoi la rareté et la brièveté de ses paroles ajoutait beaucoup. »

« Une manière de faire des grâces, notait à son tour La Bruyère, qui était comme un second bienfait. » Et ici l'auteur des Caractères ne peut nous cacher qu'il avait lu le remercie- ment adressé en 1643 par Corneille au cardinal Mazarin en tête de la tragédie de Pompée :

La façon de bien faire est un second bienfait.

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Savoir donner est plus aisé que savoir refuser. Louis XIV savait l'un et l'autre : « Notre Prince ne fait rien qui ne soit orné de grâces, soit qu'il donne, soit qu'il refuse, déclare le bon La Fontaine dans son remerciement à l'Académie fran- çaise ; car outre qu'il ne refuse que quand il le doit, c'est d'une manière qui adoucit le chagrin de n'avoir pas obtenu ce qu'on lui demande. »

C'est dans le jardin du Palais-Royal que, le 11 avril 1647, Louis XIV avait fait une promenade en automobile, « un cer- tain carrosse à ressorts, dans lequel le Roi et Mgr d'Anjou, son frère 1 se promenèrent. Ce carrosse était conduit par trois hommes, un d'avant qui était assis sur le siège du cocher et les autres assis sur le derrière et qui tous trois fai- saient jouer, avec beaucoup de peine, certains ressorts qui fai- saient véritablement rouler le carrosse ». Avec tant de peine que l'ingénieuse machine « ne fut point approuvée ».

Autre souvenir, sinistre celui-là : une nuit de la fin d'août 1648, en pleine Fronde, tout Paris en armes et, dans la rue Saint-Honoré, les chandelles allumées aux fenêtres de toutes les maisons par ordre des officiers de la ville ; au Palais- Royal, l'enfant-Roi tenant près de lui son jeune frère de huit ans et tirant l'épée pour le rassurer et « donnant coeur » à son entourage.

Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, un carrosse où se trouvaient Anne d'Autriche, Louis XIV, Madame la Princesse née Montmorency, accompagnée de sa dame d'honneur Mme de Senecey, et Madame la Princesse, née Maillé Brézé, femme de Monsieur le Prince le Héros, gagnait le château neuf de Saint-Germain, démeublé à cette époque de l'année.

M. de Lionne, secrétaire des commandements de la Reine Régente, ne manqua point d'observer : « Si nous n'étions sortis de Paris, nous y étions enveloppés peu de jours après par quelque émeute du peuple que l'on eût suscitée. » Heureu- sement la paix de Rueil, le 15 avril, réconciliait la Cour et le

Parlement. Accalmie avant de nouveaux orages.

(1) Philippe de France, duc d'Anjou, puis d'Orléans après la mort

de son oncle Gaston de France.

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III

LA COUR ERRANTE

L'année suivante, la Fronde sévissait en Guyenne et la répression, montrant un visage sans douceur, ravageait la province. Le vieux maréchal de La Force, réfugié dans sa forteresse de Castelnau, « lieu de rochers » qui commandait un coude de la Dordogne, près de Sarlat, écrivait au Roi pour se plaindre du duc d ' E p e r n o n qui, à la tête des troupes royales, avait occupé Sainte-Foy et Bergerac, non loin du château de La Force. De Compiègne, le 11 juin 1650, en une lettre contre-signée par Phélypeaux, Louis X I V promettait

« d'y pourvoir » de sorte que le maréchal lésé « aurait toute la satisfaction qu'il pouvait tirer » : « Cependant, ajoutait-il, ayant été parfaitement informé de l'état où sont à présent les affaires de ma province de Guyenne, j'ai résolu de m'y en aller en personne pour éteindre par ma présence le feu que les ducs de Bouillon et de la Rochefoucauld et leurs adhérents tâchent d'y allumer. De quoi j'ai voulu vous donner aussitôt part ainsi que je fais au sieur marquis de La Force votre fils, comme à des personnes que j'estime et en qui j'ai une entière confiance. » Le roi comptait que le maréchal, avec tous les amis qu'il pourrait trouver, « l'assisterait dans le dessein qu'il avait de rétablir le repos et la tranquillité de la province ». Le Roi pénétrait, malgré son jeune âge, « les sentiments des factieux, qui n'avaient pour principale visée que de trouver leurs avantages particuliers dans le trouble et dont la malice était allée même jusques à s'être engagés, par des traités avec les Espagnols, à leur mettre la Guyenne en proie ». Le Roi s'engageait à conserver la mémoire de t o u t ce que ferait le maréchal pour le bien de l'État, et il terminait ainsi : « C'est ce que j'ai à vous dire par celle que je vous fais de l'avis de la Reine Régente Madame ma M è r e » (1) Le duc d'Épernon avait épousé, en 1622, Angélique légitimée de France, fille de Henri IV et de la marquise de Verneuil. Anne d'Au- triche l'appelait sa belle-sœur. Veuf (1627), il convola (1634) avec Marie du Cambout, favorite d'Anne d'Autriche.

(2) Archives de La Force.

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Le Roi-Soleil n'était pas encore monté au zénith ; roi de moins de douze ans, il apprenait peu à peu son métier.

Au mois de juillet 1650, la Reine, décidée à s'en aller pacifier la Guyenne, comme elle s'en était allée, avec le Roi son fils, quelques jours plus tôt, pacifier la Normandie et la Bourgogne, prit la route de Bordeaux. Leurs Majestés, avec la Grande Mademoiselle et le cardinal Mazarin, arrivèrent à Libourne le 1 août. Elles y attendaient les hommages de leurs fidèles serviteurs, mais l'exécution du sieur Richon, gouverneur du château de Vayres et celle de M. de Canoles, capitaine de l'armée royale, pendu en représailles à Bordeaux, où il était prisonnier, faillirent compromettre les négociations.

Les espérances de paix s'évanouissaient. Le Roi, la Reine, Monsieur, Mademoiselle et le cardinal couraient le risque de se faire enlever par les rebelles. Le soir « ils allaient le long de la Dordogne pour se baigner, si seuls qu'avec cinquante hommes on les pouvait prendre et revenir à minuit ».

Les parlementaires de Bordeaux, le 1 octobre 1650, signèrent un traité avec le Roi. Louis XIV, a y a n t à ses côtés le cardinal dans son carrosse, fit son entrée dans la ville quelques jours plus tard sans cérémonie. La Cour s'embarqua pour Blaye, où elle allait, par terre, prendre le chemin du retour. Rentré en son château près de Bergerac, le maréchal de La Force mandait au juge de Caumont-sur-Garonne le 19 octobre : « Je viens d'arriver de voir Leurs Majestés à Blaye, où j'ai été parfaitement bien reçu. »

IV

UNE COURSE AU BOIS DE BOULOGNE

Paris, au mois de mai 1651, était encore loin d'être sûr. La Fronde déchirait toujours le Royaume. Le cardinal Mazarin, premier ministre de la régente Anne d'Autriche, attendait à Brühl, dans les É t a t s de l'archevêque de Cologne, la fin de son exil volontaire, le moment favorable pour rentrer en France et ressaisir le pouvoir. Quelques semaines plus tôt, Gaston de France, duc d'Orléans, oncle du jeune Louis XIV, avait songé à déchaîner une émeute, au cours de laquelle Mathieu Molé, premier président du Parlement, eût été saisi

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mort ou vif, M. de Chavigny, garde des Sceaux, jeté par les fenêtres de son hôtel et le Roi enlevé du Palais-Royal : « Ce jour-là, raconta plus tard la duchesse de Longueville, je crus que Paris allait être mis à feu et à sang. » Paris devait voir, l'année suivante des journées autrement graves. Beaucoup de Français, à la veille des splendeurs du grand règne, à la veille d'un nouveau siècle d'Auguste, redoutaient ou espéraient « un renversement total de l'État ». Cependant l'Espagne, battue à la bataille de Rethel (1650) par le maré- chal du Plessis-Praslin, l'Espagne, prête à envoyer sa flotte par la Gironde et la Garonne, espérait donner la main aux factieux, toujours renaissants, de Bordeaux, l'Espagne n'avait pas cessé d'être à craindre.

Paris, entre temps, ne perdait nulle occasion de se divertir.

Il n'avait pas encore cette passion pour les courses de chevaux qui devait grandir sous Louis XV et Louis XVI et faire, aux XIX et XX siècles, la gloire d'Auteuil et de Longchamp.

Elle avait sévi en Angleterre, sous Jacques I le roi du turf, l'inventeur des hippodromes gazonnés. Outre-Manche, la Révolution qui, en 1649, avait décapité Charles I avait été la mort des courses. Olivier Cromwell avait osé déclarer à son Parlement : « On se plaint parmi vous de ne plus avoir de courses de chevaux, de combats de coqs et le reste... Tant que Dieu ne nous aura pas amenés à un autre état d'esprit, il ne pourra nous supporter... Oui, dira-t-on, mais il supporte bien les gens de France, ils font ceci et cela... Mais ont-ils en France l'Évangile que nous avons ? Ils n'ont vu le soleil qu'un peu et nous avons, nous, de grandes lumières. Si Dieu vous donne un esprit de réforme, vous préserverez cette

nation de ces frivolités. »

Vers le 10 mai 1651, il y avait environ trois semaines que de « frivoles Français » nourrissaient, à Boulogne-sur-Seine, deux chevaux de course selon les meilleures méthodes britan- niques. On faisait manger à ces bêtes de race du pain à J'anis et des faverolles au lieu d'avoine, menu auquel on ajoutait bientôt deux ou trois cents œufs frais. Je ne sais si le comte d'Harcourt, propriétaire de l'une et le duc de Joyeuse, propriétaire de l'autre, observèrent cette précaution recom- mandée par Gervax Markham dans un ouvrage paru en 1599 : How to choose, ride, train and diet both hunting and running

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horses : « Le jour de la course, quand l'heure de sortir votre cheval sera arrivée, bridez-le, veillez avec soin sur ses couver- tures, puis remplissez-lui la bouche de vinaigre bien fort et insufflez-le-lui dans les naseaux, ce qui aura pour effet d'ouvrir ses canaux respiratoires et le rendre plus apte à recevoir le vent. » Le comte d'Harcourt était ce Charles de Lorraine qui, l'année précédente, avait marché au secours de Guise, en qualité de lieutenant général, et pris part à la victoire de Rethel. Duc d'Elbeuf en 1657, à la mort de son père, il devait mourir en 1692. C'était, sous la Fronde, un cavalier d'une vingtaine d'années. Son cousin Louis de Lorraine, duc de Joyeuse, qui devait tomber mortellement blessé devant Arras, sous les ordres de Turenne, le 22 août 1654, frisait la trentaine. Il était petit-fils du fameux duc de Joyeuse, comte du Bouchage, Capucin après la mort de sa femme Catherine de Nogaret, puis maréchal de France, puis de nouveau Capucin. C'est le Père Ange dont Voltaire a dit :

Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.

Le 15 mai 1651, le petit-fils de ce Capucin botté ne courut pas lui-même. Il avait confié ce soin au sieur du Plessis du Vernet, maître de l'une de ces académies où l'on enseignait aux jeunes gentilshommes à peine sortis de l'enfance la

«perfection du cavalier ». Le prince d'Harcourt, au contraire, fut son propre « jockey ». Quantité de seigneurs admirèrent la course, à laquelle assistèrent, n'en doutons pas, bon nombre de Parisiens. Nicolas-François Baudot, sieur du Buisson et d'Aubenay, ne nous a pas dit, dans son Journal des Guerres civiles, s'il avait quitté l'hôtel du Plessis-Guénegaud rue des Francs-Bourgeois pour contempler, au bois de Bou- logne, le spectacle qui attirait tout Paris, Il a eu du moins l'inspiration de nous en laisser un curieux récit.

Le départ devait avoir lieu à la barrière de la Muette. La piste, que l'on avait entourée d'une clôture, suivait le chemin de Saint-Cloud, puis obliquait à droite dans la plaine de Longchamp, non loin de la célèbre abbaye fondée en 1260 par Isabelle, sœur de Saint-Louis, où avaient vécu tant d'illustres dames. Cette piste gagnait ensuite les abords du château de Madrid, que François I avait bâti sur le modèle du palais où

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Charles-Quint l'avait enfermé en Espagne après la bataille de Pavie. Avec ses « deux tours rondes couvertes en dôme » et les ornements de faïence qui, sur sa façade, étincelaient au soleil, le Madrid du bois de Boulogne rappelait le château d'Espagne. En vue du château, la piste s'inclinait de nouveau à droite et aboutissait à son point de départ, la barrière de la Muette. Le signal est enfin donné. Nos deux cavaliers s'élan- cent. Impossible encore de prédire qui gagnera le prix de mille écus. Le comte d'Harcourt « vêtu d'un habit fait exprès et très étroit, un bonnet en tête juste et ses cheveux dedans, mais ayant trois livres de plomb en sa poche pour peser autant que Plessis du Vernet », vole de conserve avec son concurrent.

Les invitées de Mme l'Abbesse de Longchamp eurent-elles le plaisir de les voir passer? Y a-t-il des spectateurs sur la terrasse et aux fenêtres du château bâti au dernier siècle par François I ? On peut l'imaginer. Nous savons seulement que, selon les conventions, la « paction », comme disait encore Pierre Corneille, le sieur Dauphin, écuyer de la Grande Écurie, attendait nos deux champions. Les voici, et soudain Plessis du Vernet, le « jockey » du duc de Joyeuse, « prend le devant » et, quelques instants plus tard, précède de cent pas à la barrière de la Muette le comte d'Harcourt. Plus heureux que le Joyeuse de la bataille de Coutras (1587) le Joyeuse d'aujour- d'hui a remporté la victoire.

Louis XIV eut-il quelque curiosité de cette course ? M. du Poirier ne nous le dit pas dans ses Mémoires. Les divertisse- ments du Roi étaient « les promenades qu'il faisait aux maisons autour de Paris, ses petites chasses, son fort dans le jardin du Palais-Royal, où il faisait faire à sa compagnie de tous les jeunes princes et seigneurs, des attaques, des défenses, des sorties et l'exercice ».

V

LE CANON DE LA BASTILLE

L e 2 juillet 1652, ce ne s o n t plus à des c o m b a t s p o u r rire q u ' a s s i s t e L o u i s X I V . Il o c c u p e a v e c son a r m é e les h a u t e u r s de C h a r o n n e , t a n d i s q u e la G r a n d e Mademoiselle, rebelle c o m m e Paris, se p r o m è n e sur les t o u r s de la Bastille. S o u d a i n

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M a d e m o i s e l l e d o n n a u n o r d r e e t les c a n o n s de la B a s t i l l e q u i é t a i e n t p o i n t é s v e r s P a r i s , f u r e n t p o i n t é s v e r s les f a u b o u r g s e t la c a m p a g n e .

C e p e n d a n t s u r les c o t e a u x de C h a r o n n e , la C o u r s ' a t t e n d a i t à v o i r les t r o u p e s j e t é e s d a n s le fossé e t c o m m e é c r a s é e s c o n t r e le m u r d ' e n c e i n t e , l o r s q u e des flocons de f u m é e b l a n c h e e n v e l o p p è r e n t t o u t à c o u p la B a s t i l l e : « B o n , d i t M a z a r i n , ils t i r e n t s u r les e n n e m i s », c a r le r u s é c a r d i n a l c o m p t a i t s u r les intelligences q u ' i l a v a i t d a n s P a r i s , e t ne d o u t a i t p a s d ' y e n t r e r p a r la p o r t e d u T e m p l e , où M. de G u é n e g a u d , t r é s o r i e r d e l ' É p a r g n e , d e v a i t , ce j o u r - l à , ê t r e de g a r d e , en q u a l i t é de colonel de son q u a r t i e r . U n e s e c o n d e fois la f u m é e b l a n c h e e n t o u r a la vieille forteresse, e t le c a n o n t o n n a e n c o r e : « J ' a i p e u r q u e ce soit c o n t r e nous, r e p r i t q u e l q u ' u n . D ' a u t r e s a j o u t è r e n t : « C'est p e u t - ê t r e M a d e m o i s e l l e q u i est allée à la B a s t i l l e e t l ' o n a t i r é à son a r r i v é e . » E t le m a r é c h a l de V i l l e r o y c o n f i r m a c e t t e o p i n i o n : « Si c ' e s t M a d e m o i s e l l e , ce s e r a elle q u i a u r a t i r é s u r nous. » L e m a r é c h a l ne se t r o m p a i t p a s . L e c a n o n c o n t i n u a i t de t o n n e r e t des r a n g s e n t i e r s de c a v a l i e r s r o y a u x é t a i e n t e m p o r t é s p a r les b o u l e t s .

L e soir de ce j o u r , M a d e m o i s e l l e , le p l u s b e a u p a r t i de F r a n c e , qui d e p u i s ses p l u s t e n d r e s a n n é e s r ê v a i t d ' é p o u s e r son cousin g e r m a i n L o u i s X I V , i g n o r a i t e n c o r e q u e là-bas, à C h a r o n n e , q u a n d le R o i a v a i t v u son a r m é e d é c i m é e p a r le c a n o n de la B a s t i l l e e t l ' a r m é e e n n e m i e , a v e c M o n s i e u r le P r i n c e , s ' é c h a p p a n t d a n s P a r i s p a r le p o n t - l e v i s a b a i s s é de la p o r t e S a i n t - A n t o i n e , le c a r d i n a l a v a i t d i t a v e c son fin s o u r i r e et son p r o d i g i e u x a c c e n t : « Ce c a n o n - l à a toué son m a r i . »

V

LE LOUVRE A DEMI FÉODAL

D e m o i t i é m o i n s v a s t e q u ' a u j o u r d ' h u i , f e r m é e a u n o r d e t à l ' e s t p a r le v i e u x L o u v r e féodal, la c o u r d u L o u v r e s ' o u v r a i t d u c ô t é de S a i n t - G e r m a i n - l ' A u x e r r o i s p a r u n p a s s a g e v o û t é long et noir. L e p a s s a g e a b o u t i s s a i t , e n t r e d e u x grosses t o u r s à d e u x p o n t s - l e v i s parallèles, l ' u n assez large, p o u r les car- rosses, l ' a u t r e é t r o i t , a p p e l é le g u i c h e t , p o u r les p i é t o n s . U n p o n t d o r m a n t p r o l o n g e a i t les p o n t s - l e v i s ; a u b o u t d u p o n t

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dormant, une porte cochère, la porte de Bourbon, donnait sur la rue d'Autriche ou du Louvre, une bien piètre rue.

Séparée de Saint-Germain-l'Auxerrois par tout un quartier, elle commençait à la Seine entre le Petit-Bourbon à droite, le château à gauche et finissait rue Saint-Honoré. Si elle exis- tait encore, elle se confondrait, au-delà de notre rue de Rivoli, avec notre rue de l'Oratoire.

Rentré triomphalement à Paris, après la Fronde, le 21 oc- tobre 1652, Louis X I V avait bientôt rappelé son ministre Mazarin, qui avait cru devoir s'exiler encore pour un temps à Bouillon; dès le 3 février 1653, le cardinal reparaissait dans la ville des barricades « tout puissant et tranquille ». Le Roi s'était installé au Louvre : « Il avait, observe Mme de Motte- ville, éprouvé, par les fâcheuses aventures qu'il avait eues au Palais-Royal, que ces maisons particulières et sans fossé n'étaient pas propres pour lui. » Que d'aménagements, que d'embellissements il avait dû faire au Louvre, tout en conti- nuant d'habiter le pavillon qui avait été celui des deux pre- miers Bourbons et celui des deux derniers Valois ! M. Hau- tecœur en a décrit les splendeurs m i n u t i e u s e m e n t

Au mois d'avril 1655, tandis que la Cour est au Louvre, Dubois sert son quartier. Voici, d'après ses Mémoires, la journée de son maître.

VII

LA JOURNÉE D'UN ROI DE TREIZE ANS

Au réveil, récitation de l'office et chapelet, puis entrée du précepteur M. de Péréfixe, ancien évêque de Rodez et futur archevêque de Paris : étude de l'histoire sainte et de l'histoire de France. L'étude terminée, deux valets de chambre entrent à leur tour. Le Roi se lève, quitte son alcôve et reste une demi-heure dans sa chambre. A côté, dans sa chambre de parade, pièce au plafond magnifique, aux lambris splen- dides, l'attendent des princes du sang et des seigneurs. Sou- dain le Roi. Il est en robe de chambre et va « droit à eux ». Il parle le plus familièrement du monde à ces hauts person-

(1) Le Louvre et les Tuileries, chap. II.

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nages, qui semblent ravis de son entretien. Assis sur une chaise à présent, il se lave les mains, la bouche et le visage, s'essuie, détache son bonnet, « qui est lié autour de sa tête » à cause de sa longue chevelure. Puis c'est la prière dans la ruelle du lit avec les aumôniers. Bientôt nouvelle séance sur la chaise : on le peigne. Il passe ensuite un petit habit, des chausses de sergette, une camisole de Hollande et va, dans un grand cabinet derrière son antichambre, faire de la voltige

« avec la légèreté d'un oiseau », faire des armes et s'exercer au maniement de la pique. Revenu dans sa « chambre d'al- côve », il change d'habit et prend son déjeuner. Après, visite au cardinal Mazarin, dont l'appartement est au-dessus du sien. Un secrétaire d ' É t a t arrive avec ses rapports. La séance chez le cardinal ministre dure une heure et demie. Le Roi s'initie aux affaires.

Maintenant il descend au rez-de-chaussée donner le bon- jour à la Reine sa mère puis il sort du Louvre, traverse la rue d'Autriche, franchit la porte du Petit Bourbon, l'hôtel gothique, demeure, au siècle précédent, du connétable qui trahit François I Là il monte à cheval en a t t e n d a n t sa mère, puis, avec elle, entend la messe dans la chapelle et enfin reconduit la Reine au Louvre.

Il change de vêtements, revêt « un habit assez ordinaire », s'il doit aller à la chasse, un habit un peu plus élégant, s'il doit rester au Louvre. Il dîne seul ou avec la Reine. « Les étran- gers, les provinciaux, les curieux, nous dit M. Hautecœur, traversaient sans encombre le corps de garde, allaient gratter à la porte de la chambre, que le plus souvent le Roi lui-même venait ouvrir ; ils le regardaient manger en cette pièce, où, suivant l'usage, on apportait une table toute servie ».

C'est dans l'après-midi qu'il reçoit les ambassadeurs et il sait les entretenir avec une noble familiarité. Nous le retrou- vons un peu plus tard au Cours (-la-Reine). De son carrosse, qui s'avance au pas comme tous les autres, il parle aux hon- nêtes gens de condition qui se promènent. Il rentre au Louvre, préside le Conseil ou assiste à la Comédie. « Tout ce qu'il y a de beau » y paraît et chacun « reçoit quelque civilité du Roi ».

Louis X I V soupe avec sa mère. Au sortir de table, devant les filles d'honneur de la Reine, les nièces de Mazarin et ce que l'on appelle « le monde du Louvre », il danse. Seuls les petits

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violons l'accompagnent. Ce n'est pas, en effet, un de ces bal- lets où il excelle, le ballet des Amours par exemple. Après la danse, les petits jeux : pour celui du roman, les joueurs s'asseyent en rond, l'un d'eux commence et les autres conti- nuent à tour de rôle la même histoire d'amour.

Minuit bientôt, l'heure du coucher. Louis X I V donne le bonsoir à la Reine mère. Prière dans la chambre de parade.

Puis le Roi, en se déshabillant, cause avec les seigneurs qui ont le droit d'y figurer. Quelques privilégiés le suivent dans la « chambre d'alcôve ». Quand le comte du Lude, premier gentilhomme de la Chambre, va tirer le rideau du Roi, Dubois, s'il a quelque faveur à demander, le prie de pressentir Sa Majesté. Le comte s'exécute de bonne grâce. Dubois, aujour- d'hui, veut obtenir, pour son petit-fils, âgé de trois ans, la sur- vivance de l'office de valet de chambre. Louis X I V le regarde et lui dit que l'enfant est encore bien jeune : « Sire, observe Dubois, Votre Majesté me permettra de lui dire que le défunt Roi en a donné à cent au berceau et que votre chambre et votre maison sont pleines de ces exemples. — Eh ! bien, je vous la donne. » Rideau, il fait nuit dans l'alcôve du Roi.

VIII

MALGRÉ LUI ET MALGRÉ ELLE

C'est au Louvre, dans l'appartement des nièces de Mazarin, que Louis X I V avait senti qu'il aimait Marie Mancini; c'est au Louvre que la Reine mère, le 21 juin 1659 avait vu entrer dans sa chambre le Roi désespéré. C'était le soir. Là, devant l'alcôve où Lesueur avait représenté l'histoire de Junon, Junon à qui on avait l'habitude de comparer la Reine, Anne d'Autriche avait « tiré son fils à part et lui avait parlé long- temps; mais comme la sensibilité d'un cœur qui aime demande la solitude, Sa Majesté avait pris elle-même un flambeau qui était sur la table et, passant de sa chambre dans son cabinet des bains, elle avait prié le Roi de la suivre ». Sur les lambris étincelants d'or, les portraits des rois d'Espagne Philippe I et Philippe IV, peints par Velasquez, semblaient se joindre à la reine Anne d'Autriche pour conjurer leur arrière-petit-fils et neveu Louis X I V d'épouser, au lieu de Marie Mancini, leur

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arrière-petite-fille et fille Marie-Thérèse. E t sur la voûte d'une sorte d'alcôve, au-dessus d'une baignoire de marbre blanc, que des colonnes de marbre blanc et noir à chapiteaux de bronze doré séparaient du reste de la pièce, l'histoire de Psyché était t o u t à fait de circonstance, puisque l'Amour supplie Vénus de lui rendre celle qu'il aime. Au bout d'une heure, le Roi était sorti « avec quelque enflure aux yeux » et le lendemain, Marie Mancini, m o n t a n t dans le carrosse qui allait l'emmener à La Rochelle, lui avait jeté cet adieu si triste : « Sire, vous êtes roi, vous pleurez et je pars ! »

I X

L'ENTRÉE TRIOMPHALE DU ROI ET DE LA REINE A PARIS Lorsque, venant de la Bastille, on suivait la rue Saint- Antoine pour gagner le Louvre, on apercevait à gauche, après l'église des Jésuites, un hôtel de construction récente. Cet hôtel, — combien défiguré après trois siècles — porte aujour- d'hui le numéro 68 de la rue François-Miron, tronçon débap- tisé de la rue Saint-Antoine. C'était, en 1659, une maison élégante et somptueuse que Cateau la Borgnesse, Catherine Bellier, baronne de Beauvais, première femme d'Anne d'Au- triche et première passade de Louis XIV, avait fait bâtir par Lepautre avec des pierres que la Reine mère lui avait données, bien que Mazarin les destinât à l'achèvement du Louvre.

Femme de chambre qui connaissait la valeur de l'argent, Cateau la Borgnesse avait disposé, au rez-de-chaussée, quatre boutiques dont les baies s'ouvraient de chaque côté d'une noble porte cochère. Au-dessus de la porte, dans la voussure, deux amours soutenant un médaillon de pierre qui représen- tait la Reine mère, attestaient la reconnaissance de la maî- tresse du lieu. Le premier étage, h a u t de vingt-cinq pieds, était percé de sept fenêtres ; le deuxième était un attique sur- monté d'un c o m b l e

Le 26 août 1660, vers une heure de l'après-midi, l'hôtel de Beauvais semblait devenu un petit Louvre, mais ce n'était (1) Voir Jules Cousin, L'Hôtel de Beauvais rue Saint-Antoine (Revue universelle des Arts, année 1864).

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pas dans les pièces qui donnaient sur l'ample cour ovale et sur le délicieux jardin suspendu, égayé et rafraîchi par des eaux jaillissantes, que l'on eût rencontré dames et seigneurs.

Toutes les têtes se pressaient aux fenêtres qui avaient vue sur la rue Saint-Antoine. Au grand balcon du premier étage, avant-corps central que couronnait un fronton sculpté aux armes de France et de Navarre, étaient assises sous un dais cramoisi la Reine mère et Henriette de France, reine d'An- gleterre, a y a n t entre elles Henriette d'Angleterre, leur nièce et fille, la future duchesse d'Orléans. Debout un peu en arrière, on apercevait lord Germyn et Nicolas Bautru, comte de Nogent. Le balcon le plus rapproché était occupé par le cardinal Mazarin, près de qui se tenait Turenne, vêtu de noir ; au balcon le plus rapproché de l'église des Jésuites, la duchesse de Chevreuse, la princesse palatine, la comtesse de Noailles.

Qu'attend donc cette brillante assistance ? Qu'attend donc, à une fenêtre du premier étage, Marie Mancini et, parmi les spectateurs du deuxième, Madame Scarron ? On attend Louis X I V qui vient d'épouser à Saint-Jean-de-Luz, après la paix des Pyrénées, l'infante Marie-Thérèse et qui fait son entrée solennelle dans Paris.

Il y a déjà quelque temps que défile, sous les yeux de la Cour, l'éblouissant cortège. Enfin, acclamé par la foule, voici le Roi. Les dames ne cachent pas leur admiration : « Il est vêtu d'un habit t o u t de broderies d'argent trait, mêlé de perles et garni d'une quantité merveilleuse de rubans incarnat et argent avec un superbe bouquet de plumes incarnat et blanc attaché d'une enseigne de diamants. « Il est monté sur un magnifique « cheval d'Espagne bai-brun, dont la housse est toute en broderies d'argent et le harnais semé de pierre- ries. » Tandis qu'il s'arrête sous le balcon des Reines, tandis que s'arrête aussi, étincelante d'or, d'argent et de pierreries en son char triomphal, la jeune reine Marie-Thérèse, de quel œil angoissé Marie Mancini regarde celui qu'elle a aimé, qu'elle aime encore ! et cette infante qui lui a pris sa place, Cependant au deuxième étage de l'hôtel de Beauvais, la future Mme de Maintenon, à qui rien ne peut faire prévoir son étonnante fortune, observe avec désintéressement : « Je ne crois pas qu'il se puisse voir rien de si beau et la Reine va se coucher ce soir assez contente du mari qu'elle a choisi. »

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Le couple royal, reçu au Louvre par la Reine mère qui l'avait devancé, la jeune Reine fut installée au premier étage de l'aile méridionale.

De l'appartement de Louis XIV, dont notre salle La Caze était la salle des gardes, on entrait chez la Reine par le petit cabinet du Roi. On débouchait dans la chambre de parade (notre salle Clarac), au-dessus de laquelle « l'appartement de commodité de la Reine » avait accès dans « l ' a p p a r t e m e n t de commodité du Roi ». M. H a u t e c œ u r a donné, dans son beau livre sur le Louvre, de précieux détails qui permettent à l'ima- gination de relever un instant les aménagements disparus.

L'appartement s'étendait vers Saint-Germain-l'Auxerrois,

« dans toute la largeur de l'aile ». Trois pièces se succédaient au bord de l'eau : le grand cabinet, la grande chambre de la Reine et l'antichambre. « Dans la grande chambre, nous dit M. Hautecœur, des balustres bordaient une estrade de mar- queterie, œuvre de Jean-Armand et que dominait sans doute le dais royal. L'antichambre n'était éclairée que par une fenêtre de chaque côté. Mais son mur oriental se creusait en un petit cabinet formant oratoire, où Michel Dorigny avait peint la Vierge tenant l'enfant Jésus sur ses genoux, saint Joseph accompagné d'anges sous des palmiers. Du côté de la cour, l'antichambre s'ouvrait sur un escalier. » A ces appar- tements splendides, les plafonds de Coypel et les paysages de Mauperché ajoutaient leur splendeur et leur gaieté.

X

COMMENT ON PRÉSENTE UN PLACET

Le 24 juin 1663, M. du Poirier demandait à Rossignol, garçon de la chambre du Roi, comment il devait s'y prendre pour présenter un placet à son maître : « Prenez garde, lui dit ce garçon, lorsque le Roi viendra demain matin dans sa chambre pour tenir le Conseil ; vous lui présentez la chaise et lorsqu'il mettra son chapeau sur la table et qu'il dira : Passez de là, ne vous pressez pas de sortir des premiers ; demeurez des der- niers et ouvrez votre placet et le mettez sur le chapeau du Roi, qui est devant lui. Le Roi vous regardera et fera un petit souris, qui ne vous sera pas désavantageux ». Molière, dans

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son remerciement au Roi, s'adressant à sa Muse le 7 novembre 1663, ne pensait pas autrement que Rossignol, mais il disait mieux :

Dès que vous ouvrirez la bouche, Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voudrez dire, E t se m e t t a n t doucement à sourire,

D'un air qui sur les cœurs fait un charmant effet, Il passera comme un trait

E t cela doit vous suffire, Voilà votre compliment fait.

Toujours prêt à tendre la main, Dubois ne manquera pas de présenter un placet à Mlle de La Vallière, devenue duchesse en 1667. Ce sera lors d'un voyage de la Cour à Versailles et en faveur de la fille mineure d'un de ses amis. Il nous explique avec sa naïveté ordinaire : « Mme la Duchesse de La Val- lière (à la chapelle) me demanda ce que c'était ; je lui dis que ses officiers, faisant l'enclos de son parc de La Vallière, y avaient compris du bien qui était à une petite mineure, qu'elle était trop juste pour le souffrir. Elle me dit : Monsieur Dubois, je verrai ce que c 'est et puis je l'enverrai à un homme que j'ai là, qui fait mes affaires. »

Le Roi ne décourageait pas les solliciteurs. Il nous déclare dans ses Mémoires : « Je fis connaître qu'en quelque nature d'affaire que ce fût, il fallait me demander directement ce qui n'était que grâce, et je donnai à tous mes sujets sans dis- tinction la liberté de s'adresser à moi à toute heure, de vive voix et par placets. Les placets furent d'abord en très grand nombre, qui ne me rebuta pas néanmoins. Le désordre où l'on avait mis mes affaires en produisait beaucoup. »

X I LE CARROUSEL

La Gazette et les Mémoires sont pleins du récit des fêtes, gloire du Louvre. Le carrousel du 5 juin 1662 a laissé son nom à la place même où il fut donné en l'honneur de la Reine mère.

Ce 5 juin dix mille spectateurs contemplèrent, devant le

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château des Tuileries, cinq quadrilles aux savantes évolu- tions. Le Roi y figurait en empereur romain : « Il y avait un air distingué, nous dit la Grande Mademoiselle, il y paraissait le maître comme partout où il est ; car il est au-dessus des autres par sa mine et son mérite comme par sa qualité. » Monsieur était en roi des Persans, le duc d'Enghien en roi des Indes, le duc de Guise en roi des Américains. Dans la suite de l'empereur des Turcs, qui était Monsieur le Prince le Héros, venait Lauzun, alors connu sous le nom de marquis de Puy- guilhem, avec la devise composée par Benserade, une fleur tournée vers le soleil et les mots : Ne despice amantem. Ne méprisez pas qui vous aime.

La Grande Mademoiselle s'est trompée en écrivant beau- coup plus tard que « par une sorte de pressentiment, il avait choisi, ce jour-là, pour emblème une fusée m o n t a n t t o u t au plus h a u t dans les nues ».

La Cour devenant de plus en plus « grosse », il avait fallu agrandir le Louvre. L'aile orientale et le Petit-Bourbon avaient été livrés aux démolisseurs dans les derniers jours de 1660. Après l'incendie de 1661, s'était élevée la galerie d'Apollon, enfin l'année 1678 avait vu achever la colonnade de Perrault.

X I I

AU CHATEAU DES TUILERIES

Louis X I V n'avait jamais aimé le Louvre. Lorsque avaient été terminées les immenses transformations du château des Tuileries, il s'était installé dans la vieille demeure de Cathe- rine de Médicis, le 9 novembre 1667. « Son a p p a r t e m e n t de commodité », au premier étage, donnait sur le jardin, le char- m a n t appartement qu'illustraient les plafonds de Noël Coypel et dont les lambris décorés par Millet, offraient aux regards la gaieté de leurs perspectives. Marie-Thérèse avait son

« appartement de commodité » au premier étage. Il faisait suite à celui du Roi et « comprenait, dit M. Hautecœur, un cabinet, une chambre, une grande chambre ou salon, une antichambre, une salle des gardes. On y accédait par un esca- lier situé entre ce bâtiment et le pavillon de Flore et décoré

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d'une rampe en fer forgé avec le chiffre du Roi et son emblème solaire ». Cet appartement, égayé des peintures de Nocret et des paysages de Millet, regardait à perte de vue, au-delà du jardin que Le Nôtre avait dessiné, la montagne de Chaillot, la longue perspective des Champs-Élysées, appelés quelques années plus tard l'allée des Tuileries. C'est le plus souvent aux Tuileries que résida désormais le Roi, quand il se trou- vait à Paris. Si l'on en croit Saint-Simon, il « n'y bougeait » de chez la comtesse de Soissons, qui « surintendante de la maison de la Reine, logeait aux Tuileries, où était la Cour ».

Elle y régnait par « un reste de la splendeur du feu cardinal Mazarin, son oncle, et, plus encore par son esprit et son adresse, en était devenue le centre, mais fort choisi ».

Là figuraient et s'agitaient les Guiche, les Vardes, les Lauzun, les Marcillac. Madame la Comtesse, ainsi que l'on désignait alors Olympe Mancini, trônait plus glorieusement encore non loin du Louvre, sur l'emplacement de notre halle aux blés, dans ce luxueux hôtel de Soissons qui étalait, entre la rue Coquillière et la rue des Deux-Écus, les festons, les eaux jaillissantes, les arcs de ses jardins, les hautes toitures de ses trois pavillons sculptés aux armes de France. Mais Saint- Germain faisait tort aux Tuileries.

X I I I

AU CHATEAU DE SAINT-GERMAIN

U n e galère, sous l'effort de s o i x a n t e r a m e u r s , c o n d u i s a i t parfois L o u i s X I V à t r a v e r s les m é a n d r e s de la Seine j u s q u ' a u P e c q et s ' a m a r r a i t a u pied de la colline. Le R o i et son cor- tège d é b a r q u a i e n t . P a r les r a m p e s e t les terrasses, ils s'ache- m i n a i e n t v e r s le c h â t e a u v i e u x .

Q u n d la Cour é t a i t a u c h â t e a u de S a i n t - G e r m a i n , Marie- T h é r è s e h a b i t a i t l ' a p p a r t e m e n t qui r e g a r d a i t le n o r d et d o n t les fenêtres, c o m m e celles de l ' a p p a r t e m e n t d u Roi, s ' o u v r a i e n t s u r u n b a l c o n r é c e m m e n t c o n s t r u i t .

C'est d a n s sa c h a m b r e de S a i n t - G e r m a i n q u ' u n p r ê t r e bolonais, S é b a s t i e n Locatelli, qui v o y a g e a i t en F r a n c e , p u t la c o n t e m p l e r v e r s la fin de l ' a n n é e 1664 : « P e n d a n t q u e les demoiselles la coiffaient, a-t-il r a c o n t é , j ' y fus i n t r o d u i t p a r

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n o t r e c o m p a t r i o t e la s i g n o r a E u l a r i a , c é l è b r e c o m é d i e n n e bolonaise, a i m é e d'elle p o u r son t a l e n t e t son a d m i r a b l e c h a s - t e t é . Elle p o r t a i t u n léger c o r s e t de toile b l a n c h e b i e n g a r n i de baleines, serré à la taille, e t u n e j u p e si é t r o i t e q u ' e l l e s e m - b l a i t e n v e l o p p é e d ' u n sac de soie. L a R e i n e coiffée, des p a g e s a p p o r t è r e n t ses v ê t e m e n t s de dessus, d ' u n e jolie étoffe e x t r ê - m e m e n t riche à fleurs a l t e r n a t i v e m e n t b l e u e s e t or s u r f o n d d ' a r g e n t , e t les o r n e m e n t s , qui t o u s lui f u r e n t a j u s t é s à la taille p a r des cavaliers. Ils la l a c è r e n t m ê m e e t a c h e v è r e n t de l'habiller, m a i s les f e m m e s p l a c è r e n t les b i j o u x de la t ê t e e t d u corsage. Sa t o i l e t t e t e r m i n é e , elle se t o u r n a v e r s les é t r a n g e r s , d o n t on a v a i t i n t r o d u i t u n c e r t a i n n o m b r e , fit u n e t r è s belle r é v é r e n c e e t vola, p o u r ainsi dire, à l ' a p p a r t e m e n t de la R e i n e m è r e . Ce f u t alors s e u l e m e n t q u e j e p u s b i e n la voir, m a i s s e u l e m e n t d a n s le g r a n d m i r o i r p l a c é d e v a n t elle, où se reflétait t o u t e la c h a m b r e . C o m m e elle p o r t a i t des sou- liers, j e r e m a r q u a i la p e t i t e s s e de sa taille, q u e la h a u t e u r de ses m u l e s m ' a v a i t dissimulés les a u t r e s fois. E l l e ne d i t p a s u n m o t e t se fit t o u j o u r s e n t e n d r e p a r signes. »

D e 1665 à 1682, le R o i fit r e p r é s e n t e r à S a i n t - G e r m a i n : Astrate, t r a g é d i e de Q u i n a u l t (1665) ;

A n d r o m a q u e , t r a g é d i e de R a c i n e (1667) ; L ' A v a r e , c o m é d i e de Molière (1668) ; Les P l a i d e u r s , c o m é d i e de R a c i n e (1668) ;

Les A m a n t s magnifiques, c o m é d i e de Molière (1670) ; B r i t a n n i c u s , t r a g é d i e de R a c i n e (1673 e t 1680) ; M i t h r i d a t e , t r a g é d i e de R a c i n e (1673 e t 1680) ; Alceste, o p é r a de Q u i n a u l t e t Lulli (1675) ; Isis, o p é r a de Q u i n a u l t e t Lulli (1677) ;

Bellérophon, o p é r a de T h o m a s Corneille (ou de F o n t e n e l l e , ) e t de Lulli (1680) ;

Bérénice, t r a g é d i e de R a c i n e (1680) ;

Le T r i o m p h e de l ' A m o u r , o p é r a de B e n s e r a d e , Q u i n a u l t e t Lulli (1681) ;

Bajazet, t r a g é d i e de R a c i n e ( 1 6 8 1 )

(1) Voir Lacour-Gayet, Le Château de Saint-Germain-en-Laye, p. 170.

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E n c e t t e a n n é e 1682, S a i n t - G e r m a i n p a r a i s s a i t bien p e t i t p o u r loger t o u t e la Cour. Aussi de b e a u x hôtels s ' é t a i e n t b â t i s n o n loin d u c h â t e a u v i e u x : les h ô t e l s de V e n d ô m e , de L o r - raine, de la R o c h e f o u c a u l d , d'Effiat, de L a M o t t e , de Chaulnes, de Condé, de Villeroy, de L a u z u n , de Seignelay, d u Maine, q u i d e v a i e n t , loin d u soleil royal, p e r d r e la plus g r a n d e p a r t i e de leur a t t r a i t .

X I V VERSAILLES

Q u e les t e m p s s o n t c h a n g é s ! S a i n t - S i m o n nous d o n n e ce d é t a i l q u ' i l t e n a i t de son père, le favori de Louis X I I I : « Le feu R o i s ' é t a i t lassé, e t sa suite encore plus q u e lui, d ' a v o i r c o u c h é s o u v e n t , p a r t i e d a n s u n m o u l i n à v e n t , p a r t i e d a n s u n e sale hôtellerie de rouliers, qui é t a i t alors t o u t Versailles. » Les t r o p « longues chasses d a n s les forêts de S a i n t - L é g e r e t des e n v i r o n s ne l e u r p e r m e t t a n t p a s de r e g a g n e r S a i n t - G e r m a i n » a v a n t la nuit, « il a v a i t fait b â t i r u n p e t i t c h â t e a u qui ne conte- n a i t q u e le lieu où est m a i n t e n a n t la p e t i t e c o u r de m a r b r e . . . D ' a b o r d f o r t à l ' é t r o i t , p u i s u n p e u p l u s large, il y couchait, à ses r e t o u r s de chasse avec h u i t ou dix c o u r t i s a n s qui l ' a v a i e n t suivi ».

Sous L o u i s X I V , j u s q u ' à l ' a n n é e 1682, le pavillon de bri- ques e t de pierres, l ' é l é g a n t e g e n t i l h o m m i è r e de Louis X I I I , e n s e r r é e p e u à p e u d a n s u n palais i m m e n s e , n ' a v a i t été q u ' u n

« lieu de d i v e r t i s s e m e n t et de plaisir ». Le m a î t r e , a u mois de m a i 1664, s ' y d i v e r t i s s a i t à la m a n i è r e d ' u n héros d ' o p é r a . É p r i s de Mlle de L a Vallière, d a n s les j a r d i n s n a i s s a n t s , il d o n n a i t en l ' h o n n e u r de sa j e u n e m a î t r e s s e , les fêtes qui méri- t è r e n t si b i e n l e u r n o m de P l a i s i r s de l'Ile enchantée.

E n o c t o b r e 1676, Louis X I V faisait r e p r é s e n t e r six tragé- dies de Corneille, et le p o è t e s e p t u a g é n a i r e s'écriait, c h a r m é e t r a j e u n i :

Est-il vrai, g r a n d M o n a r q u e e t puis-je m e v a n t e r Q u e t u p r e n n e s plaisir à m e ressusciter ;

Q u ' a u b o u t de q u a r a n t e ans, C i n n a , Pompée, Horace R e v i e n n e n t à la m o d e et r e t r o u v e n t l e u r place,

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E t q u e l ' h e u r e u x b r i l l a n t de m e s j e u n e s r i v a u x

N ' ô t e p o i n t l e u r v i e u x l u s t r e à m e s p r e m i e r s t r a v a u x ? A c h è v e : les d e r n i e r s n ' o n t rien q u i d é g é n è r e ,

R i e n qui les fasse croire e n f a n t s d ' u n a u t r e p è r e ; Ce s o n t des m a l h e u r e u x étouffés a u b e r c e a u Q u ' u n seul de t e s r e g a r d s t i r e r a i t d u t o m b e a u . On v o i t Sertorius, Œ d i p e e t Rodogune

R é t a b l i s p a r t o n c h o i x d a n s t o u t e l e u r f o r t u n e ; E t ce c h o i x m o n t r e r a q u ' O t h o n e t S u r é n a N e s o n t p a s des c a d e t s i n d i g n e s de C i n n a , Sophonisbe, à son t o u r , Attila, P u l c h é r i e R e p r e n d r o n t , p o u r t e plaire, u n e s e c o n d e vie ; Agésilas, en foule, a u r a i t des s p c t a t e u r s , E t Bérénice enfin t r o u v e r a i t d e s a c t e u r s .

R i e n n ' a v a i t égalé les fêtes d u m o i s de j u i l l e t 1674, E r n e s t Lavisse, d o n t la m a l v e i l l a n c e à l ' é g a r d d u G r a n d R o i ne d é s a r m e guère, ne p e u t s ' e m p ê c h e r de les a d m i r e r . « C ' é t a i t u n des p l u s chers plaisirs d u Roi, n o u s dit-il, de se p r o m e n e r en g o n d o l e à la n u i t t o m b a n t e ou t o m b é e , suivi d ' u n v a i s s e a u qui p o r t a i t Lulli e t sa t r o u p e . Il a i m a i t à g o û t e r la f r a î c h e u r d u soir e t entendre s u r le c a n a l les agréables concerts des voix et des instruments, qui seuls i n t e r r o m p a i e n t alors le silence de la nuit. L a d e r n i è r e fête de l ' é t é 1674 f u t d o n n é e s u r l ' e a u . E n t ê t e d u canal, d e u x c h e v a u x de feu se d r e s s a i e n t d o m p t é s p a r des héros ; la ligne de l ' e a u é t a i t m a r q u é e p a r des c o r d o n s de feu ; à l ' u n des b r a s de la croix, v e r s T r i a n o n , b r i l l a i t u n c h a r de N e p t u n e e n t o u r é de t r i t o n s ; à l ' a u t r e , v e r s la M é n a g e r i e , u n c h a r d ' A p o l l o n , e s c o r t é p a r les H e u r e s ; e t à l ' a u t r e e x t r é - m i t é de l'eau, o n a p e r c e v a i t u n g i g a n t e s q u e palais l u m i n e u x . Le Roi, la Cour, Lulli s ' e m b a r q u è r e n t e t l ' o n ne c r o i r a i t p a s q u e ce soit l ' h o n n ê t e F é l i b i e n q u i é c r i v e : D a n s le p r o f o n d silence de la nuit, l'on entendait les violons qui s u i v a i e n t le vais- seau de S a Majesté, le son des i n s t r u m e n t s semblait d o n n e r la vie à toutes les figures dont la lumière modérée d o n n a i t a u s s i à la s y m p h o n i e u n agrément qu'elle n ' a u r a i t p o i n t eu d a n s une entière obscurité. P e n d a n t que les v a i s s e a u x voguaient avec len- teur, l'on entrevoyait l'eau qui blanchissait tout a u t o u r , et les r a m e s qui la battaient mollement et p a r coups mesurés m a r - quaient comme des sifflements. Les grandes pièces d ' e a u ressem-

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blaient à de longues galeries el à de grands salons enrichis et parés d'un artifice et d'une beauté jusque-là inconnus et au-des- sus de ce que l'esprit humain peut concevoir. »

Au moment où, pour toujours, le Roi s'établissait à Ver- sailles, en ce printemps de l'année 1682, il réalisait son rêve.

Son appartement et celui de la Reine l'attendaient au châ- teau. Ils étaient parallèles. L'un s'ouvrait au nord de la galerie (des glaces), sur le salon de la Guerre, l'autre au midi, sur le salon de la Paix. L'appartement de la Reine, compre- nait, outre la chambre qui communiquait avec ce salon, trois grandes pièces et plusieurs petites. Il dominait le par- terre du midi, l'orangerie et la pièce d'eau des Suisses. Marie- Thérèse l'habita moins encore que son appartement des Tui- leries, puisqu'elle y mourut le 30 juillet 1683.

Cependant l'Olympe, où Louis X I V allait s'épanouir plus de trente ans, était encore rempli de maçons. La Dauphine, en son état de grossesse, « fut obligée de changer d'apparte- ment, le second jour qu'elle fut arrivée, note le marquis de Sourches, parce que le bruit l'empêchait de dormir ».

Ce fut seulement le 6 août qu'eurent lieu les couches de la princesse. Il était dix heures et demie du soir. M. Émile Collas, dans sa Belle-Fille de Louis X I V , a décrit l'enthou- siasme de la foule hétéroclite, depuis deux jours impatiente d'apprendre la naissance d'un héritier du trône. Il nous a montré le Roi faisant ouvrir les portes de la chambre de la Dauphine, annonçant : « Nous avons un duc de Bourgogne », le redisant à tout le monde, donnant à chacun sa main à baiser, le Dauphin embrassant toutes les dames, même les femmes de chambre ; les soldats, les ouvriers fort nombreux attisant les feux de joie allumés dans la cour, les échafau- dages, les habits précipités dans les flammes ; une chaise même jetée par ses porteurs dans le brasier, autour duquel dansaient deux cents Suisses ; et tandis que le chant du Te Deum retentissait dans la chapelle, le Roi, que l'on venait d'avertir, répondant avec sérénité : « Laissez-les faire, pourvu qu'ils ne nous brûlent pas. » Enthousiasme semblable à celui que devait soulever, le 29 septembre 1820, au château des Tuileries, la naissance du duc de Bordeaux, qui, pas plus que le duc de Bourgogne, ne devait monter sur le trône.

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« Versailles, déclare Ernest Lavisse, est la scène où il faut regarder Louis XIV. » C'est ce que nous allons faire dans les pages qui vont suivre, où il va nous apparaître au milieu de sa Cour innombrable, dans ce château dont Le Brun avait été l'illustre décorateur. Lorsque Louis X I V en 1686, avait rem- placé la terrasse, œuvre de Levau, par la galerie (des glaces), Le Brun eut cinquante toises d'étendue pour déployer son talent; lorsque le Roi eut étudié la m a q u e t t e à l'aquarelle que lui présentait Le Brun et dont Apollon, Neptune et le dieu Pan étaient les héros, il préféra voir resplendir aux voûtes ses propres triomphes qui sont les triomphes de la France.

A tous les visiteurs qui se pressent à Versailles, la France d'aujourd'hui pourrait dire :

Venez dans son palais, vous y verrez ma gloire.

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C H A P I T R E D E U X I È M E

LE ROI I

L'OPINION DES CONTEMPORAINS En quelque obscurité que le Ciel l'eût fait naître Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître.

Ces vers, où Bérénice célèbre Titus, ont été souvent et justement appliqués à Louis XIV. Dès 1660, après l'entrée triomphale dans Paris, La Fontaine demandait émerveillé :

Croyez-vous que le monde ait vu beaucoup de rois Ou de taille aussi belle ou de mine aussi bonne?

Ce n'est pas mon avis et lorsque je le vois, J e crois voir la grandeur elle-même en personne.

Ce ne sont pas vaines flatteries de poète. Guy Patin avait écrit au mois d'avril 1658 : « J'ai vu aujourd'hui le Roi, c'est un beau prince, fort et robuste, il est grand et de bonne grâce. » Alvise Grimani, le nonce vénitien signale « sa haute stature et son aspect majestueux » ; Primi Visconti « sa belle prestance ».

« On trouverait difficilement son pareil », écrit plus tard la Palatine, seconde femme de Monsieur, séduite par « la voix charmante » de son beau-frère. Le marquis de Sourches avouera : « Sans le flatter, jamais homme n'a eu une mine si haute que lui, ni t a n t de grâce dans toutes ses actions et il conservait encore tous ses avantages dans sa vieillesse.

« Mlle d'Aumale disait : « Il était grand et bien fait, joignant à une beauté majestueuse un air de dignité qui brillait dans toutes ses actions. » Saint-Simon enfin, qui ne l'aime guère, rend les armes et semble résumer tous les textes que nous

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